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Note
d’intention
« Aperçus
de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 »
(« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)
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C. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.
XXXV.
Gendebien combat l'envoi de commissaires à Londres et à Paris.
(page 405) (Note
de bas de page : Nous donnons la version des Révélations, plus
complète, de préférence à celle des Aperçus, tout en empruntant à
celle-ci le passage final).
Le 12 janvier, je parlai longuement et assez heureusement sur la
proposition de la section centrale d'envoyer des commissaires à Londres et à
Paris pour prendre des renseignements sur le choix du chef de l'Etat qui serait
agréable aux puissances et favorable à la Belgique.
Voici les principaux passages de ce discours qui fit quelque sensation :
... « Il s'agit de savoir si vous enverrez des commissaires à
Londres et à Paris. Je suis loin, Messieurs, de m'opposer à une pareille
mesure. Il est de mon devoir de ne pas m'y opposer à cause de la mission que
j'ai remplie moi-même ; on pourrait croire que mon opposition prend naissance
dans un amour-propre mal entendu ; je dois prévenir une semblable accusation.
Cependant, je dois faire remarquer au Congrès que si l'envoi de ses
commissaires a pour but de demander soit la réunion pure et simple de la
Belgique à la France, soit d'offrir la couronne à S. M. Louis-Philippe, soit
d'obtenir son fils pour Roi des Belges, je crois devoir le prévenir que cette
démarche est inutile. Je suis convaincu qu'elle n'aura pour résultat qu'un
refus. Je laisse au Congrès le soin de décider s'il croit de sa dignité et de
la dignité nationale de s'exposer sérieusement à un refus.
(page 406) Je ne me dissimule
pas, Messieurs, les embarras de notre position. Je sens tous les inconvénients
d'une régence ; mais il faut faire la part de la nécessité et si cette
nécessité est telle que le parti que nous désirerions tous, soit impossible, il
faut bien s'attacher au seul qui nous reste : une régence. Ce n'est pas que je
sois, plus qu'un autre, partisan du provisoire. Un gouvernement provisoire
commettra nécessairement des fautes, et jamais il ne présentera les avantages
d'un gouvernement définitif ; mais encore ici nous devons faire la part de la
nécessité.
Puisque j'ai parlé de Gouvernement provisoire, je dirai qu'il faut être
sobre de critiques pour des hommes qui ont été portés au pouvoir, malgré eux,
qui l'ont accepté dans les temps les plus difficiles et au moment où il y avait
danger à s'en saisir.
Pour ma part, je m'en expliquerai franchement : arrivé à Bruxelles, le
28 du mois d'août, après, les premiers événements, je fus chargé, le même jour,
par mes concitoyens, d'une mission délicate à La Haye ; les événements ont
prouvé qu'elle était dangereuse, je l'ai remplie. J'en ai rendu compte à ceux
qui m'en avaient chargé ; ils m'en ont témoigné leur satisfaction ; je ne
demande pas d'autre récompense.
C'est par l'élection libre et spontanée de mes concitoyens que j'ai
rempli les diverses missions qui m'ont été confiées, jusqu'au moment où j'ai
été appelé au Gouvernement provisoire, et je peux dire qu'aujourd'hui ceux qui,
au dehors de cette enceinte accusent le Gouvernement provisoire d'avoir usurpé
le pouvoir, sont ceux-là mêmes qui nous y ont poussés, avec le plus d'instance
au moment du danger. Ainsi, Messieurs, je crois m'être justifié du reproche
d'ambition, reproche injuste, mal fondé, absurde, et dont cependant je crois
devoir me justifier au sein du Congrès que je regarde comme une famille.
Nous avons fait des fautes ; mais qui n'en eût pas fait ? Oublie-t-on
quelle était notre position ? Ne sait-on pas que nous nous étions imposé la
tâche difficile de repousser, par la force, l'armée hollandaise tout entière,
alors que nous n'avions pas un seul homme de l'armée ? Nous nous sommes exposés
à des chances bien inégales, et grâce au courage d'une peuple héroïque, notre
succès a été complet.
Si nous n'avions par réussi, nous aurions été accusés d'ambition, et,
sans doute, notre sang eût coulé. Je ne dis pas, Messieurs, qu'on nous doive de
la reconnaissance pour les services que nous avons rendus, mais du moins qu'on
ne nous refuse pas quelque indulgence pour les fautes que nous avons pu
commettre.
Nous avons besoin d'indulgence, de celle surtout du Congrès national, (page 407) sans laquelle il nous serait
impossible de nous soutenir au pouvoir.
Mais quelles que soient les intentions de nos accusateurs, quelles que
soient leurs vues et la violence de leurs attaques, nous resterons au pouvoir
jusqu'à ce que les représentants de la nation nous aient déclaré que nos
services ne sont plus nécessaires.
Pour moi, Messieurs, je suis décidé à m'y maintenir, et à en user avec
une vigueur nouvelle (Bravo ! applaudissements nombreux et répétés).
Nous avons commis des fautes ? Mais qui n'en eût pas commis à notre
place ? Le Gouvernement provisoire s'est installé à l'hôtel de ville, ayant,
pour tout mobilier, une table de bois blanc, pris dans un corps de garde, et
deux bouteilles vides surmontées chacune d'une chandelle. (On rit : « cela est
vrai, c'est ainsi ».) Nos ressources : la caisse communale renfermant 10
florins 36 cents (nouveaux rires) ; c'est avec ces moyen que nous n'avons pas
désespéré de la victoire ; que nous avons commencé à organiser, en entier,
l'armée, l'ordre judiciaire, l'administration civile, l'administration des
finances. Nous avons pu faire des fautes ; des gouvernements qui ont employé 15
ans pour le même travail n'ont pas su s'en préserver. Comment n'en aurions-nous
pas fait, nous qui avons tout organisé en six semaines et, pour ainsi dire, au
milieu du champ de bataille : l'élection du Congrès, son installation, la
tranquillité rétablie, la confiance que les provinces ont témoignée au Congrès
national et au Gouvernement provisoire, malgré les basses intrigues, malgré les
infâmes calomnies, fruits de quelques amours-propres froissés, de quelques
ambitions déçues ; calomnies trop absurdes pour nous atteindre, et auxquelles
on ne donnerait quelque consistance qu'en daignant les relever.
Voilà, Messieurs, quelle a été notre tâche ; quoiqu'en disent certains
esprits chagrins, je pense que nous avons fait quelque bien et peu de mal.
Je reviens, Messieurs, à l'objet en discussion... »
Ici je rendis compte de ma dernière mission à Paris, de mon entrevue
avec lé roi Louis-Philippe et de mes conférences avec le Ministre
des Affaires Etrangères de France.
Dans mes précédentes lettres, j'ai rapporté les propres paroles du Roi,
je m'abstiendrai de les reproduire. .
Je dois mentionner un incident qui n'est pas sans intérêt ; je continue
donc mon discours :
« Je crois devoir maintenant relever l'opinion d'un de nos
collègues ; (page 408) je le ferai
parce qu'on pourrait croire, en Europe, que cette opinion a quelque consistance
en Belgique.
L'orateur auquel je fais allusion a dit que la Belgique n'éprouve aucune
sympathie pour la France. La faiblesse des arguments invoqués à l'appui de
cette opinion, par un collègue à qui il ne manque ni esprit ni logique, prouve
qu'elle est trop difficile à justifier.
Pour prouver le défaut de sympathie, on a dit : « la Révolution
française a été antireligieuse, tandis que la Révolution belge a été faite dans
l'intérêt de la religion. La France s'est soulevée contre un roi jésuite ; la
Belgique contre un roi protestant : »
Je crois devoir protester contre ces assertions : ce n'est pas pour les
idées religieuses que la Révolution belge a été faite, elle a été faite contre
le despotisme, le roi Guillaume aurait été le roi très chrétien, ou le roi très
catholique, j'aurais aidé à le renverser ; je l'aurais renversé, eût-il été le
Saint-Père lui-même, parce que le despotisme est toujours insupportable ; qu'il
vienne de la république, du pouvoir absolu, de la philosophie ou de la théocratie
: le despotisme, de quelque part qu'il vienne, est odieux et insupportable.
Ce qui a soulevé le peuple belge, comme le peuple français, c'est la
déception, la mauvaise foi ; c'est le despotisme de Guillaume qui, par une
oppression de quinze ans, a voulu humilier et dégrader le peuple belge ! C'est
l'abus de la force qui, en Belgique comme en France, a fait surgir la
liberté....
Je me résume, Messieurs, et je finis comme j'ai commencé ; il est loin
de ma pensée de m'opposer aux conclusions de la section centrale ; je les
appuie au contraire, mais je réserve mon vote jusqu'à la fin de la discussion.
»
Le compte rendu de la séance se termine par ces mots :
« Ce discours, entièrement improvisé, a produit une vive impression sur
l'assemblée. »
Mes amis vinrent me féliciter de n'avoir pas désespéré du salut de la
révolution et d'avoir, par des paroles énergiques, relevé les courages, dissipé
les inquiétudes. Le Congrès a repris confiance dans le pouvoir ; marchez sans
hésitation, le Congrès vous appuiera, vous soutiendra.
La proposition d'envoi de commissaires à Londres et à Paris était
évidemment condamnée par l'immense majorité du Congrès.
Au moment du vote, M. Devaux proposa un amendement en ces termes : « Le
Congrès désignera quatre de ses membres qui se concerteront avec le Comité
diplomatique pour s'entendre sur le choix du (page 409) chef de l'Etat, et qui délibéreront en commun avec le
Comité diplomatique sur tous les objets relatifs à ce choix. » .
C'était là une proposition nouvelle. M. Devaux le reconnaissait. C'était
aussi, sous une autre forme, une nouvelle proposition de défiance et de blâme
pour le Comité diplomatique et pour le Gouvernement provisoire.
La discussion fut courte. Le Congrès, fatigué, indigné, se lève tout
entier, prononce la clôture et rejette, par 107 voix contre 62, l'envoi de
commissaires à Londres et à Paris.
La proposition de M. Devaux est rejetée à une immense majorité. Que de
bruit, que de temps perdu pour aboutir à des résultats aussi peu satisfaisants
pour les amours-propres et les petites passions qui les avaient provoqués.
C'est au moment où le peuple était sans travail et sans pain, les
populations souffrantes et travaillées, surexcitées par les intrigues
orangistes, c'est au moment où les meilleurs patriotes étaient à bout de force,
de patience et d'énergie, que quelques brouillons, quelques rhéteurs, quelques
ambitieux faisaient perdre au Congrès un temps précieux et favorisaient,
encourageaient à leur insu sans doute, les entreprises des ennemis de la
Révolution qui ne se contentaient plus d'intriguer dans l'ombre, mais levaient
audacieusement la tête.