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Note
d’intention
« Aperçus
de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 »
(« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)
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C. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.
XXVI.
Les Rapports des Comités au Congrès.
(page 372) Dans les séances
des 9, 10 et 14 décembre, le Congrès entendit les rapports des chefs des
comités de l'Intérieur, de la Justice, de la Guerre et de la Sûreté publique.
Tous ces rapports révèlent les embarras, les difficultés de
l'administration, bien moins à cause de la situation troublée que parce que
tout était à faire à la fois et que les éléments de l'administration manquaient
au point de vue du personnel et du matériel.
Malgré les souffrances inséparables d'une révolution qui avait tout
renversé : gouvernement, administrations, industrie, commerce, l'immense
majorité de la population se montrait partout calme, résignée, pleine de
confiance dans les résultats de sa victoire, que les envieux, les parasites,
les intrigants ne lui contestaient pas encore. Les difficultés, les embarras de
l'administration ne procédaient pas des administrés ; ils avaient leur source
dans l'égoïsme et l'inique partialité du gouvernement déchu, qui avait
concentré toutes les administrations en Hollande et les avait peuplées de
Hollandais.
La Belgique ne possédait ni archives, ni rétroactes, ni personnel, tout
était à créer. On comprendra sans peine les labeurs des divers comités et la
difficulté de répondre aux nécessités multiples de la situation.
Ce n'est pas tout. Les patriotes de bonne volonté qui répondaient à
l'appel des comités, ne tenaient pas en place et couraient partout où il y
avait à combattre.
Lors du bombardement d'Anvers, les bureaux ont été littéralement vidés.
Ce n'est que plusieurs jours après cette barbare atrocité que les bureaux
purent se peupler d'un personnel à peu près suffisant, mais non habile encore à
l'expédition des affaires.
Gendebien tantôt analyse, tantôt reproduit lN
EXTENSO ces diversrapports que l'on peut lire dans
l'ouvrage d' Huyttens.
Après avoir mis en relief la tendance constante du Gouvernement
provisoire à simplifier, à économiser, Gendebien signale la réalisation
éphémère, proposée par lui, d'une fusion de trois organismes : les corps des(page 373) ponts et chaussées, du génie militaire, du génie des mines. «
J'ai dû, - dit-il - pour convaincre la résistance d'un seul récalcitrant
haut placé dans la hiérarchie, menacer d'une espèce de coup d'état : j'ai
déclaré que si, dans les 24 heures, la fusion n'était pas agréée, le Corps des
ponts et chaussées serait dissout, qu'il serait remplacé par un corps de génie
militaire et des mines. Cette menace, qu'on savait n'être pas vaine, amena un
commun accord ; la fusion fut décrétée par arrêté du Gouvernement provisoire du
17 février 1831. »
Cet arrêté ayant été révoqué - sans
le moindre exposé des motifs -par le Régent le 27 avril 1831, Gendebien
a tenu à donner les raisons qui l'avaient amené à le proposer et le Gouvernement
provisoire à le signer.
Les statistiques publiées par un journal belge, Le Courrier des
Pays-Bas, avaient fait connaître, plusieurs mois avant la révolution, le
très petit nombre de Belges appartenant au corps de génie militaire. M. Goblet,
ministre de la Guerre, dans son rapport au Congrès, a confirmé les statistiques
: sur 25 officiers supérieurs du génie, dit-il, pas un seul Belge, le Corps
entier, composé de 14e officiers, ne comptait que 10 Belges, dont
plusieurs étaient restés en Hollande.
Cette simple observation ne justifiait-elle pas l'utilité, la nécessité
même de la fusion des deux corps.
Le Corps des Ponts-et-Chaussées était composé des éléments les plus
parfaits pour constituer le corps du génie militaire. Tous avaient fait de fortes
études à l'École polytechnique, et presque tous avaient fait les dernières
campagnes du premier Empire ; ne pas tirer parti de ces précieux éléments
d'organisation, c'eût été faire une grande faute ; les repousser, révoquer
l'arrêté du Gouvernement provisoire qui les avait mis en œuvres, c'est presque
une trahison : on a pu s'en convaincre, pendant la triste campagne du mois
d'Août 1831, de douloureuse mémoire. .
Pendant la guerre, le Corps des Ponts et Chaussées est à peu près
inactif ; il en est de même du génie militaire pendant la paix ; la fusion,
sous ce rapport, est facile, logique ; elle présente d'autant moins
d'inconvénients que la Belgique neutre ne peut faire qu'une guerre défensive
pour ainsi dire sur place.
La fusion ne pourrait avoir des inconvénients qu'en cas de guerre
lointaine qui priverait l'administration intérieure de ses ingénieurs civils.
Or, cette folie inhumaine nous est heureusement interdite.
Qu'il me soit permis de le dire : au point de vue de la séparation des
deux Corps si facilement fusionables, comme au point
de vue d'autres éléments de notre organisation militaire, on s'obstine à
procéder (page 374 ) comme si nous
étions destinés à faire des guerres lointaines, triste et ridicule imitation de
la grenouille, voulant égaler le bœuf, ou du stupide corbeau imitant l'aigle
qui enlève et s'annexe le mouton.
La fusion aurait eu l'avantage de donner au personnel des deux Corps un
travail régulier, continu et agréable par sa variété. Elle aurait évité les
ennuis de l'oisiveté qui atrophie tant de belles intelligences.
La fusion eût, en produisant d'importantes économies au budget, permis
de donner au personnel des deux Corps et surtout au personnel du génie
militaire, des appointements en rapport avec les labeurs, les frais de leurs
études et les services qu'ils seraient appelés à rendre.
Les mêmes hommes d'Etat qui ont montré tant d'empressement à repousser,
avec un superbe dédain, les éléments précieux d'une organisation solide de ce
qu'on peut appeler la tête et l'âme d'une bonne armée, ne daignèrent pas
s'occuper de l'organisation des gardes civiques du premier ban ; ils firent
mieux : ils licencièrent, le 26 juin 1831, les miliciens de la classe de 1826
qui, au nombre de huit mille hommes, constituaient la portion la plus solide de
l'armée !
Par arrêté du 15 février 1831, le Gouvernement provisoire avait, ainsi
que c'était son droit et son devoir, maintenu cette classe de 1826 sous les
armes.
Tous les services de l'armée furent organisés avec le même zèle, la même
perspicacité. Qu'on s'étonne après cela de la catastrophe du mois d'août 1831.
Gendebien rappelle ensuite l'œuvre accomplie par le Comité de Justice,
dont il était le président et Claes le secrétaire (Note
de bas de page : M. Claes, de Louvain, était un des plus spirituels et des
plus hardis rédacteurs du Courrier des Pays-Bas. Il paya son patriotisme
de plusieurs mois de prison. Il eût été condamné à l'exil, pour ses hardiesses
au sujet du procès de De Potter, si je ne l'avais
arraché à une condamnation certaine, par une manœuvre qui intimida les séides
de Van Maanen. Il est mort en 1832, d'une attaque de
choléra. (Note de Gendebien.)). Ses membres, dit-il,
représentaient l'élite du barreau bruxellois. C'étaient le vénérable M. Kockaert, dont le grand âge n'avait atrophié ni l'esprit,
ni le cœur et dont la science et l'expérience étaient un guide pour ses
collègues et une garantie pour les justiciables » ; Blargnies,
Defacqz et Barbanson qui « étaient dans l'âge de
la virilité qui conçoit promptement et sûrement, et qui ne recule devant aucun
obstacle, aucune difficulté ».
Après avoir reproduit le rapport du ministre de la Guerre Goblet,
Gendebien fait cette remarque : Au milieu d'une situation aussi troublée, au milieu
d'obstacles et (page 375) d'embarras
sans cesse renaissants ; en présence de tant de difficultés vaincues et d'aussi
beaux résultats obtenus dès le 10 décembre 1830, avec d'aussi faibles
ressources, la postérité appréciera et réduira à leur plus simple expression
les dédains, les jactances des courtisans qui se sont audacieusement attribué
tout le mérite de l'organisation de notre armée ; tandis qu'ils n'ont su que
désorganiser, bafouer, calomnier les corps de volontaires qui, en 1831, avaient
courageusement défendu l'indépendance et les libertés par eux conquises en
1830. SIC VOS NON, VOBIS.
Gendebien décrit alors l'aménagement plus que modeste du Comité de
Justice et mentionne que de ce local parût le mot d'ordre de l'Association
nationale.
Le Comité de Justice occupait le premier étage du ministère actuel des
Affaires Etrangères : le Gouvernement provisoire occupait le rez-de-chaussée. Ce bâtiment,
pendant les quatre journées, avait été occupé par les Hollandais ; on s'y était
battu ; plusieurs militaires y avaient été tués. Peu de meubles étaient restés intacts ; ils ont servi à
l'ameublement du Gouvernement provisoire ; il ne restait au premier étage
qu'une grande table de bois blanc, veuve de son tapis vert ; on y ajouta huit
chaises en paille ; il n'y avait pas même de rideaux aux croisées. C'est là que
se faisaient les grandes et petites réceptions officielles et officieuses. Les
affaires n'en marchaient pas plus mal.
C'est autour de ma longue table de bois blanc que se réunissaient,
chaque jour, les meilleurs patriotes, dont j'étais souvent obligé de calmer
l'ardeur et à qui je disais quelques jours avant la conspiration du mois de
mars 1831 : « Du calme, de la prudence, le moment n'est pas venu d'agir», et à
qui je disais le 23 mars 1831 : « La conspiration est flagrante, le moment est
venu d'agir vigoureusement et avec ensemble. »
C'est sur cette même table de bois blanc, qu'on écrivit, sous ma dictée,
le projet de l'Association patriotique qui sauva la Belgique d'une honteuse et
désastreuse restauration.
C'est sur cette même table de bois blanc que j'écrivis, immédiatement
après, ma double démission de ministre de la Justice et de premier président de
la Cour supérieure de justice de Bruxelles. Cumul qui n'a rien coûté à mon pays
et qui n'était pour moi, qu'une double charge, puisque j'ai refusé le traitement
de premier président qui était le seul auquel j'avais droit ; la Constitution
permettant le cumul de deux fonctions, n'autorisait l'allocation que du
traitement du magistrat et non celui du ministre. J'ai, au surplus, refusé tout
traitement et déclaré que je n'en recevrais aucun, pendant la Révolution.
(page 376) Les
commentaires, la conclusion de Gendebien sont une apologie du Gouvernement
provisoire :
« Les rapports des cinq Comités d'administration prouvent qu'au milieu
des embarras, des graves préoccupations du moment, le Gouvernement s'occupait
de l'avenir avec une sollicitude digne de l'époque de rénovation sociale et
d'autant plus louable qu'on la rencontre peu dans les gouvernements exempts de
soucis pour le présent et largement payés pour s'occuper sans cesse des
améliorations que réclame le progrès, qu'exige impérieusement, mais toujours en
vain, l'égalité humanitaire qui seule peut sauver la société d'une catastrophe
qui compromettra peut-être la civilisation elle-même. »