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d’intention
« Aperçus
de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 »
(« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)
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C. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.
XXIV. Le Gouvernement provisoire décrète un service funèbre pour les
victimes de Septembre.
(page 368) Dans sa séance du
20 novembre, le Congrès, sur la proposition de M. Werner de Merode,
décréta :
« Un message sera envoyé au Gouvernement provisoire, pour l'inviter à
ordonner qu'un service funèbre sera célébré dans l'Eglise des SS. Michel
et Gudule, à Bruxelles, le samedi 4 décembre prochain, pour tous les braves
morts pour la cause nationale. Le Congrès assistera en corps. »
Par arrêté du 22 novembre, le Gouvernement provisoire décréta que ce
service aurait lieu le 4 décembre, aux frais de l'Etat. – Il décréta de plus :
« qu'après la cérémonie religieuse, il sera solennellement procédé à la pose de
la première pierre d'un monument qui sera élevé à la place des Martyrs, pour
transmettre à la postérité la reconnaissance de la patrie et les noms des
braves morts pour la liberté. »
Il chargea l'administration de la Sûreté Publique de l'exécution de son
arrêté.
Le 3 décembre, à 8 heures du soir et le 4, à 8 heures du matin, (page 369) toutes les cloches de toutes
les paroisses de Bruxelles sonnèrent àt outes volées ; elles inspirèrent à toute la population un
sentiment indescriptible de douleur, d'orgueil et d'espérance.
On se rappelait avec une profonde émotion, le tocsin qui, pendant les
quatre journées, n'avait cessé de retentir dans toutes les paroisses, y
compris Gobert (Note de bas
de page : Nom populaire du quartier de Coudenberg) qui était au milieu du champ de bataille.
On se rappelait avec orgueil, la victoire de Bruxelles et tous les
combats qui avaient été autant de victoires, depuis Bruxelles jusqu'à Anvers.
Le patriotisme du peuple et de presque toutes les classes de la société,
l'audacieux courage de nos volontaires, l'attitude pleine de confiance et
d'ardeur des bataillons de l'armée régulière, donnaient les plus belles
espérances, inspiraient une confiance universelle. Les ambitieux, les
parasites, les intrigants, les Talleyrand, les Ponsonby,
n'avaient pas encore fait sentir leurs funestes influences.
C'est dans cette heureuse situation des esprits, que s'accomplit la
solennelle cérémonie à la fois religieuse et patriotique.
Le cortège se forma au Palais de la Nation ; il était composé du Gouvernement
provisoire, du Congrès tout entier, de toutes les autorités judiciaires,
civiles et militaires. Il était précédé, suivi, escorté de députations de
volontaires, de bataillons et d'escadrons d'artilleurs de l'armée régulière et
de la Garde civique.
Plusieurs musiques ont, pendant toute cette solennité, fait retentir la
Brabançonne et la Marseillaise.
A son entrée à Ste Gudule, le cortège a été reçu par le clergé. M. Sterckx, qui vient de mourir (Note de bas
de page : Le cardinal Engelbert Sterckx mourut le 4 décembre 1867),
archevêque de Malines, officiait en qualité de grand vicaire.
L'Eglise avait revêtu ses plus beaux ornements de deuil.
Le catafalque portait la blouse et la casquette patriotiques, des
insignes militaires, des sabres, des fusils.
Dans le chœur, au-dessus du grand autel, un écusson entouré de drapeaux
aux couleurs nationales, rappelait les glorieuses journées de Bruxelles.
Les victoires de Walhem, de Lierre, de
Berchem, d'Anvers, de Namur, de Liége, de Mons, de Venloo, etc... étaient
consacrées par des écussons attachés aux piliers du chœur.
Pendant le service, MM. Liedts, Vilain XIIII, Nothomb et (page 370) l'abbé de Haerne,
les plus jeunes députés du Congrès, firent une collecte pour les blessés et
pour les veuves et les orphelins.
Après le service, le cortège s'est rendu à la plate des Martyrs pour
rendre hommage aux glorieuses victimes de nos nombreuses victoires.
Le Président du Congrès s'est placé au bord de l'excavation destinée à
recevoir la première pierre du monument commémoratif ; d'une voix profondément
émue, il lut l'allocution suivante qui fit couler plus d'une larme et
tressaillir plus d'un noble cœur :
« Ombres magnanimes des guerriers morts en combattant pour la liberté,
recevez les hommages de la patrie reconnaissante, le souvenir de votre
dévouement se perpétuera à jamais ; il arrivera, de génération en génération,
dans le cœur des Belges, et sera plus durable que le monument que nous élevons
aujourd'hui à votre gloire. L'histoire transmettra vos noms et vos actions à la
postérité la plus reculée, qui aura peine à croire à l'héroïque résistance que
vous avez opposée à l'ennemi, forcé, par votre intrépidité, à une honteuse
retraite. Et comment pourrait-elle y croire, puisque la génération présente,
témoin elle-même de ces hauts faits, doute presque de leur réalité.
« Ombres des braves qui ont donné leur sang pour conquérir et
assurer nos libertés,. tournez vos regards vers notre chère patrie ; allumez,
dans le cœur de nos jeunes défenseurs, le feu sacré de l'amour de la gloire, et
que, marchant sur vos traces, ils consolident, par leur courage et leurs
vertus, ce que vous avez si glorieusement commencé. »
Cette chaleureuse allocution a été couverte par des applaudissements
unanimes et enthousiastes.
Le Président du Congrès et M. A. Gendebien, président du jour du
Gouvernement provisoire, descendent au fond de la tombe et y déposent la boîte
contenant de nombreuses médailles, les arrêtés du Congrès et du Gouvernement
provisoire, ordonnant cette solennité, et le procès-verbal de cette cérémonie,
signé par le Président du Congrès et par tous les membres du Gouvernement
provisoire. Cette boîte est scellée à son tour dans la première pierre du
monument.
Le cortège est retourné au Palais de la Nation, suivant le même
itinéraire qu'à son arrivée. - Les rues étaient encombrées d'une foule
enthousiaste, toutes les croisées étaient garnies de dames qui agitaient leurs
mouchoirs avec une vive expression de sympathie et d'admiration.
Une médaille frappée en bronze pour perpétuer le souvenir de cet acte de
patriotique reconnaissance, fut distribuée à tous les membres du Congrès.
Cette médaille présente à sa face un monument funéraire avec cette.
inscription : Dulce et décorum pro patria mari (il est doux et glorieux de mourir pour la
patrie).
Le revers porte une inscription latine, dont voici la traduction :« Le
despotisme batave repoussé : A. Gendebien, S. Van de Weyer, (page 371) comte Félix de Mérode,
Charles Rogier, baron Vanderlinden d'Hooghvorst, Jolly, J. De Coppin,
J. Vanderlinden, gouvernant en Belgique.»
E. L. SurIet de Chokier,
président du Congrès, a posé la première pierre d'un monument consacré par la
reconnaissance publique à l'éternelle mémoire des martyrs de la liberté, le 4
décembre 1830.
« Par les soins d'Isidore Plaisant, administrateur général de la Sûreté
Publique. »
Trois de ces médailles ont été enfermées dans la boîte scellée et
déposée sous la première pierre du monument.
Cette noble et touchante cérémonie, la marche imposante du cortège
composé des représentants de toutes les classes de la société, excitèrent
l'enthousiasme de tous et produisirent dans les provinces, le meilleur effet.
Le Congrès en ressenti une vive impression qui se traduisit en poignées de mains cordiales et nombreuses qui
signifiaient : « Nous irons jusqu'au bout, courageusement» (Note
de bas de page : Gendebien termine le récit de cette journée en opposant
la touchante simplicité de la cérémonie aux vaines pompes des solennités
officielles).