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Note
d’intention
« Aperçus
de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 »
(« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)
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C. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.
XXIII. L'exclusion des Nassau.
(page 363) Le Congrès passa, sans
transition, de la question de la forme du gouvernement à la proposition de
l'exclusion à perpétuité de la famille des Nassau, de tous pouvoirs en
Belgique.
Dans la séance du 23 novembre, M.
Constantin Rodenbach développa sa proposition d'exclusion, avec verve, talent,
énergie.
La Conférence de Londres a essayé
de faire échouer ou au moins de faire ajourner la proposition de l'exclusion
des Nassau.
Les
députés Anversois au Congrès, hostiles à la révolution, étaient souvent, mieux
et plus vite que le Gouvernement provisoire, instruits des projets de la
diplomatie. Aussi, ils n'ont rien négligé pour faire ajourner la proposition
d'exclusion, espérant que l'intervention prévue de la Conférence ferait reculer
bon nombre de membres et peut-être la majorité du Congrès.
La
diplomatie avertie et profitant du temps que lui avaient procuré les incidents
dilatoires, envoya à Bruxelles deux commissaires, MM. Bresson et Langsdorf, avec mission d'empêcher à tout prix l'exclusion
des Nassau.
Le
Comité diplomatique reçut leur communication, la discuta avec dignité et
demanda l'intervention du Gouvernement provisoire, pour la solution de cette
grave et périlleuse question.
Nous fîmes savoir au Comité
diplomatique que notre opinion était faite, que nous repoussions à l'unanimité
tous les genres d'intervention.
Après avoir expédié quelques
affaires, nous nous rendîmes au Congrès ; nous devions, pour y arriver,
traverser le salon où siégeait le Comité diplomatique.
M. de Mérode partit le premier, je
le suivis de près, craignant une excentricité de cet enfant terrible. A mon
arrivée, Messieurs les diplomates appuyaient leur mission d'un avertissement amical,
c'est-à-dire de la menace d'une intervention des puissances qui serait
probablement suivie d'une occupation et peut-être du partage de la Belgique.
Je
leur répondis avec une énergique indignation : « Votre menace est vaine. » M. Langsdorf essaya de m'interrompre ; je continuai : «
j'ajoute qu'elle est ridicule, car vous ne pourriez occuper, moins encore
partager la Belgique, sans faire la part de la France ; cette part comprendrait
nécessairement toutes les places fortes que vous avez construites contre elle ;
la Sainte-Alliance reculera devant ce fait et la France tout entière se
soulèverait à l'idée de voir l'avant-garde de la Sainte-Alliance à soixante
lieues de sa capitale. »
(page
364) MM. Langsdorf et Bresson reprirent : « Nous
avons l'honneur de vous dire, en toute vérité, l'objet de notre mission et les
conséquences de votre refus d'adhésion. Nous n'avons pas mission de vous
menacer, mais de vous avertir. »
- «
Avertissement ou menace, c'est toujours une contrainte morale, tout au moins,
que vous avez la prétention d'exercer sur les délibérations du Congrès. Eh
bien, je vous le dis en toute vérité et je l'affirme : vous n'obtiendrez de
votre mission d'autre résultat que de hâter sa discussion et d'ajouter, à
l'immense majorité déjà acquise, les votes de quelques membres timides ou
irrésolus. Dites aux rois, vos maîtres, qu'il y a en Belgique beaucoup d'hommes
de cœur, des blouses et des fusils de chasse. Dites-leur aussi que la France
tout entière s'opposera à leurs projets. »
Je
me levai et me rendis au Congrès.
Rogier
qui était arrivé pendant mon allocution, repoussa de son côté, avec non moins
d'énergie, les prétentions et les menaces de la Conférence.
Le
Congrès se constitua en comité secret ; le rapport simple, net, calme et digne que
fit Van de Weyer, président du Comité diplomatique, électrisa le Congrès,
souleva l'indignation de tous les cœurs vraiment belges. L'immense majorité
demanda qu'on allât immédiatement aux voix.
La séance étant redevenue publique, les tribunes sont bientôt envahies
par une foule compacte. « L'enceinte du Congrès est on ne peut plus agitée »,
tous les députés se livrent à des conversations très animées ; « plusieurs nous
paraissent vivement affectés », dit le compte-rendu de L'Union.
Monsieur
le Président se lève et dit :
«
L'Assemblée décide qu'elle passe à l'ordre du jour et se déclare en permanence
jusqu'à la décision sur l'exclusion. »
Une
vive émotion, un frémissement approbatif et très significatif, quelques bravos
immédiatement comprimés par le public lui-même, accueillent les paroles du
Président.
M.
JOTTRAND parle le premier et, d'une voix émue, mais ferme, dit : « Je demande
la clôture immédiate de la discussion ; hier, par les motifs que j'ai
développés à la tribune, j'avais cru devoir déclarer que je voterais contre la
proposition ; aujourd'hui, après les communication qui nous ont été faites, en
Comité secret, je croirais manquer à la dignité nationale et à mon devoir de
représentant du peuple belge, si j'hésitais une minute à voter l'exclusion à
perpétuité de la famille des Nassau. »
(page 365) Des applaudissements, des bravos, sont la récompense
de cette noble et loyale conversion.
M. DE LANGHE qui avait parlé et voté contre la proposition d'exclusion,
imite M. Jottrand et, par les mêmes motifs, votera
l'exclusion. Mêmes applaudissements énergiques.
M.
DUVAL DE BEAULIEU et d'autres membres qui se proposaient de combattre la
proposition, déclarent que, en présence de la situation qui est faite à la
Belgique, ils votent pour l'exclusion des Nassau. (Bravo ! Bravo !)
La
discussion étant arrivée à son terme, le Congrès était impatient d'aller aux
voix ; le public était aussi impatient que le Congrès. Mais les timides, les
habiles qui avaient usé de tous les moyens de retarder la mise à l'ordre du jour
de la proposition d'exclusion, recommencèrent leurs manœuvres. Dans le but
évident de gagner du temps ou de faire entendre des réserves prudentes, des
protestations, des arrière-pensées agréables aux Revenants ÉVENTUELS.
Vivement
indigné de toutes ces manœuvres si compromettantes pour la dignité nationale,
je prononçai ces paroles textuelles que j'extrais du compte rendu de la séance
du 24 novembre.
M.
A. GENDEBIEN, avec chaleur :
« Si j'avais été consulté par l'auteur de la proposition, avant qu'elle
fut soumise à l'Assemblée, je lui aurais dit que cette proposition était
inutile, qu'il ne fallait pas s'en occuper, que la dynastie des Nassau était
enterrée au Parc.
« Nous
sommes ici depuis trois semaines et nous marchons à pas de tortue, sans nous
souvenir que, au jour du péril, nos braves volontaires accouraient au pas de
course à la défense de notre sainte cause. Il est temps d'en finir. -
Quant à ceux qui craignent une guerre avec la Hollande, je leur dirai que c'est
à tort qu'ils se méfient du peuple belge. Avec six canons et des fusils de
chasse, nous avons chassé de Bruxelles une armée de 15,000 hommes, que
soutenait une artillerie nombreuse et bien fournie. Ce n'est pas par de la
faiblesse et de la pusillanimité que nous délivrerons notre territoire. - Notre
révolution est commencée, elle marchera, il faut qu'elle marche, car une
révolution qui s'arrête avant d'être arrivée à son terme, se perd ! » (Bravo !)
On
réclame vivement la clôture.
M.
de Gerlache et M. de Muelenaere parlent vivement contre la clôture ; elle n'est
pas prononcée.
MM. Fleussu, Le Hon, Sécus, Dubois, de Mooreghem,
Fransman, (page 366) de Celles, Nagelmackers,
Duval, Barbanson et François, tous inscrits, déclarent renoncer à la parole.
M.
de Gerlache, ayant fait son siège, ne voulut pas renoncer à la parole ; il lut
un long discours écrit, habilement pointé, contre la proposition d'exclusion
qu'il ne réussit pas plus à battre en brèche, le 24 novembre, qu'il ne réussit
à Liége et à Bruxelles au 7 septembre, à battre en brèche la révolution qu'il
condamnait dans son principe et qu'il vouait à une catastrophe certaine et
prochaine (Note de bas de page : Gendebien, on le sait,
n'aimait pas de Gerlache. Il lui reproche ici ses tentatives d'enrayer au
début, le mouvement révolutionnaire, rappelle sa proposition de remettre en
liberté les prisonniers hollandais, sa manœuvre équivoque du 3 février 1831,
consistant à saper l'un par l'autre les deux candidats au trône, Leuchtenberg et Nemours, afin de ne laisser d'autre
conclusion possible que le rappel du prince d'Orange).
Après avoir subi les jérémiades plus
spéculatives que sérieuses de quelques députés d'Anvers et de Maestricht, le
Congrès proclama solennellement la déchéance par 161 voix contre 28.
Le
Congrès était presque complet : 189 votants sur 200 membres.
J'ai voté pour l'exclusion de toute la famille des Nassau : j'aurais eu
mille votes à émettre, je n'aurais pas hésité à les donner pour l'exclusion.
Je
n'hésite pas non plus à avouer que j'ai eu, en votant, un serrement de cœur ; je
ne voyais en ce moment que les bonnes qualités du prince d'Orange : son
courage, sa bravoure chevaleresque, son affabilité, ses idées égalitaires, qui
lui faisaient préférer la bourgeoisie à la noblesse. Sous ce dernier rapport,
le roi Guillaume avait à peu près les mêmes idées que son fils.
Le
prince d'Orange n'avait pas les idées gouvernementales de son père : Quinze ou
dix-huit mois avant la révolution, j'eus l'occasion de lui parler de la
responsabilité des ministres, de l'impopularité de Van Maanen
; il me dit : « Les ministres sont les serviteurs de la nation ; quand ils
déplaisent, on doit les renvoyer comme on renvoie un mauvais domestique. »
Il
me répéta la même chose dans notre longue conférence, pendant la nuit du 1er au
2 septembre 1830 ; il ajouta : « Van Maanen ne se
maintient au ministère, que parce qu'il flatte le roi dans ses idées de secte.
Je respecte les idées de mon père, mais je ne les partage pas. On s'occupe
beaucoup trop de religion en Hollande et, en Belgique comme en Hollande, on en
abuse. Je ne suis sous ce rapport, ni Hollandais, ni Belge, ni protestant, ni
catholique. C'est, je crois, ce que le gouvernement devrait toujours être ;
c'est à dire impartial, indifférent. »
(page
367) Le prince d'Orange, ayant appris le projet d'exclusion de toute sa
famille, m'écrivit, par l'intermédiaire d'un frère maçon, mon ami intime. -
Celui-ci vint me faire cette communication, la veille de l'arrivée du
commissaire de la conférence chargée de s'opposer à cette exclusion. Il plaida
chaudement la cause du prince. Je lui dictai ma réponse, à peu près en ces
termes :
«
Dites au Prince que si nous étions encore dans la nuit du 1er au 2 septembre,
je lui donnerais les mêmes conseils. Aujourd'hui, tout est changé : le sac de
Bruxelles, le bombardement d'Anvers pèsent sur la famille tout entière. Je veux
bien croire que le frère d'Orange y est étranger ; mais toutes les apparences
le condamnent. Une protestation énergique aurait peut-être conjuré la
solidarité qui l'atteint comme le reste de sa famille. Son silence le condamne
; une protestation serait aujourd'hui sans effet. - Quant au conseil qu'on lui
a donné à Anvers, après les combats de septembre, de se présenter franchement,
courageusement à Bruxelles, et d'y proclamer l'indépendance de la Belgique, il
était non seulement téméraire, mais absurde ; depuis le bombardement d'Anvers,
ce conseille conduirait à une mort certaine.
« Dites au Prince que ceux
qui encouragent ses illusions, se trompent et le trompent par excès de zèle et
peut-être, dans l'espoir de gracieuses récompenses. .
« Le Congrès, quoiqu'on
fasse, votera l'exclusion à une immense majorité. »
Plus tard, le Prince me fit
souvent savoir ses sentiments d'estime pour ma franchise, ma loyauté et mon
désintéressement.
Je
ne dirais pas ces choses si elles n'étaient que flatteuses pour moi ; mais
elles sont surtout honorables pour le Prince ; elles prouvent qu'il n'a pas
mérité l'infortune que quelques membres de sa famille ont fait peser sur lui ;
en historien consciencieux je considère comme un devoir de dire la vérité.
Dans sa monomanie de tout
censurer, M. De Potter critique vivement l'exclusion prononcée par le
Congrès.
Aux
pages 182 et 183 de ses Souvenirs, il avait amèrement reproché à ses
collègues et leur avait imputé à crime d'avoir repoussé sa proposition de
déchéance des Nassau. J'ai démontré qu'il n'a pas fait cette proposition et que
son accusation est un odieux mensonge, une calomnie.
A la page 241, il répète ce
mensonge. « Avant le Congrès, dit-il, j'avais voulu faire déclarer la déchéance
de la dynastie hollandaise ».
Immédiatement
après, il ajoute : « Quand cette assemblée monarchique eut voté l'exclusion
perpétuelle des Nassau de la candidature au trône, (page 368) je jugeai
qu'elle avait posé un acte inutile, illogique et absurde, sur la ridicule perpétuité
duquel il lui faudrait incontestablement revenir, à une époque plus ou
moins rapprochée, et sur lequel je conservais encore l'espoir de la faire
revenir, dès lors même, non pour rappeler les Nassau, mais pour proclamer la
république. »
La
passion désordonnée de tout censurer, de tout critiquer l'aveugle au point non
seulement de mentir, mais de se mettre en contradiction avec lui-même.
Ce
n'est pas tout : « Je conservais, dit-il, l'espoir de le faire revenir (le
Congrès) sur l'exclusion, non pour rappeler les Nassau, mais pour proclamer la
république. »
Qu'avait
de commun la révocation de l'exclusion des Nassau avec l'établissement de la
république ? L'exclusion de cette famille n'était pas un obstacle à
l'établissement de la République ; elle faisait, au contraire, disparaître un
des obstacles à sa proclamation. Dès lors, il était illogique, absurde de
désirer la révocation du vote d'exclusion, de la considérer comme un moyen
d'arriver à la proclamation de la république.
Encore
une fois, et comme toujours, De Potter se donne le triste et ridicule plaisir
de censurer ce qui est digne d'éloges ; il se met en contradiction avec
lui-même et montre peu de respect pour la logique.