Accueil        Séances plénières         Tables des matières         Biographies         Livres numérisés     Bibliographie et liens      Note d’intention

 

« Aperçus de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 » (« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)

 

Chapitre précédent                         Retour à la table des matières                          Chapitre suivant

 

C. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.

 

XVI. L'Organisation de l'armée.

 

(page 352) Alexandre Gendebien a toujours montré la plus vive sollicitude pour l'organisation d'une armée forte ; il prouve que l'on aurait pu, tirant parti de la suspension d'armes et de l'armistice, conjurer le désastre du mois d'août 1831.

Nous pouvions, sans grands regrets, payer un peu cher le temps nécessaire pour la réorganisation de l'armée qui présentait plus d'une difficulté que le temps seul pouvait surmonter.       ­

Avant et surtout depuis l'explosion du mois d'août 1830, nous n'avions rien négligé pour désorganiser l'armée des Pays-Bas : nous avions propagé très activement les provocations à l'indiscipline et à la ­désertion. Il fallait beaucoup de temps pour ramener, par le patriotisme, le soldat dans les rangs et le soumettre à la discipline quoique très peu sévère.      ­

L'infanterie aurait pu s'organiser en très peu de temps, mais les armes et les objets d'équipement manquaient.

Les armes spéciales manquaient de tout : la cavalerie n'avait pas de chevaux, ils étaient restés en Hollande, elle n'avait pas les objets d'équipement, d'armement, les plus indispensables ; tous ses magasins étaient en Hollande.

L'artillerie n'avait qu'un très petit nombre d'officiers ; l'inique partialité du gouvernement déchu avait exclu les Belges des cadres de cette arme. Nous n'avions pas de chevaux, ils étaient tous restés en (page 353) Hollande ; nous avions très peu d'affûts ; ils étaient très vieux et peu propices au service actif, en un mot, nous n'avions pas d'artillerie, excepté les canons, tout manquait, tout était à faire pour cette arme. Je serais ingrat si je laissais passer cette occasion de rappeler les services rendus par mon ancien condisciple et ami, M. De Ghistelle, qui, privé de tous les éléments indispensables, organisa en peu de temps plusieurs batteries. On peut dire créer, car de rien il fit beaucoup et bien ; il paya, de sa vie, son zèle, son activité, son indomptable volonté de bien faire.

Le corps du génie militaire était, de toutes les armes spéciales, celui qui avait été le plus maltraité par l'odieuse partialité hollandaise, les Belges figurant à son état-major dans la proportion de un à dix-sept.

C'était une organisation ou plutôt une création complète à faire.

Il en était de même du corps des pontonniers, il n'en existait pas même le premier élément.

En présence de tous ces faits, on conçoit les difficultés d'une prompte et bonne organisation militaire. ­

M. de Mérode en souleva une radicale que nous réussîmes à tourner. D'accord avec M. Goblet, que j'avais fait nommer ministre de la Guerre, je voulais, indépendamment des corps de volontaires, une armée régulière de soixante mille hommes. M. de Mérode ne voulait alors que des volontaires ; il n'avait confiance que dans les volontaires, qu'il sacrifia plus tard et laissa calomnier par M. Ch. de Brouckère, lorsque l'autorité supérieure, d'accord avec les hautes puissances, remplit sa mission de tuer la Révolution dans ses éléments les plus vivaces. M. de Merode ne voulait qu'une armée de quarante mille hommes ; M. Rogier était de son avis, et, comme lui, laissa plus tard décimer, calomnier les volontaires.

Pour atteindre le chiffre de 60,000 hommes, je déterminai M. Goblet à proposer, sous ma garantie et ma responsabilité personnelles, une armée de 40,000 hommes, en laissant, au bout de la phrase, un blanc suffisant pour y ajouter, après les signatures données, le mot d'infanterie. En ajoutant les armes spéciales plus ou moins en proportion avec l'infanterie, on put organiser une armée de soixante mille hommes. C'est, je pense, ce qui fut fait.

Ma confiance dans nos braves volontaires était au moins aussi grande que celle de MM. de Mérode et Rogier ; elle a été plus durable que la leur et ma reconnaissance ne leur a pas fait défaut lorsque les courtisans les ont sacrifiés au nouvel ordre de choses. De même que, pendant l'effervescence révolutionnaire, j'étais le défenseur et le protecteur de l'ancienne armée, de même, au moment de la réaction, j'ai (page 354) défendu, toujours et avec énergie les droits des volontaires à la reconnaissance nationale. J'ai plus d'une fois stigmatisé, broyé les courtisans qui ont accepté l'ignoble mais lucrative mission de les calomnier.

Je reviendrai sur ce triste sujet. Je réhabiliterai les calomniés ; je prouverai que les moins dignes d'entre eux étaient plus honorables, plus dignes d'estime et de récompense nationale que leurs détracteurs aussi lâches qu'insolents.                                      .

Le temps ne m'a pas fait oublier l'injuste, l'inique ingratitude des exploiteurs, ni mon devoir de reconnaissance pour ceux qui ont conquis notre nationalité, notre indépendance, nos libertés !

Chapitre suivant