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d’intention
« Aperçus
de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 »
(« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)
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C. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.
XV. Gendebien et la réunion à la France.
(page 347) Poursuivant sa réplique, Gendebien tint à
s'expliquer nettement, unefois de plus, sur sa
participation au mouvement révolutionnaire et son projet d'appel à la France :
Van de
Weyer me communiqua la lettre que De Potter lui avait écrite le 11 septembre ;
nous convînmes de la réponse à lui faire ; c'est-à-dire « lui faire comprendre
que le moment n'était pas encore venu de son arrivée à Bruxelles, arrivée qui
devait être le signal des combats ». Ce signal, nous devions le différer
encore, parce que nous n'avions pas réuni suffisamment de moyens de résistance.
Je me chargeai de répondre, dans ce sens, à la lettre de De
Potter. Ce que je fis dans la nuit du 13 au 14 ou du 14 au 15 septembre. Je lui
dis notre situation qui était déplorable et pleine de dangers imminents. J'en
rembrunis même les couleurs, pour tempérer les ardeurs belliqueuses, les
impatiences patriotiques de De Potter : elles se
sont, hélas ! subitement évanouies au premier appel qui fut fait à son
bouillant patriotisme !!!
Pour
le calmer tout à fait, je cherchai à lui faire croire que nous enrayions le
mouvement dans l'espoir de faire notre paix avec Guillaume ; tandis qu'en
réalité nous cherchions à gagner le temps indispensable pour réunir et
organiser les moyens de défense en armes et en hommes ; ce que Ducpetiaux et moi faisions, avec un courage et une ardeur
infatigables. Je passais toutes les nuits à correspondre avec les meilleurs
patriotes de Belgique.
De
Potter suppose que j'ai promis à l'agent envoyé de France, d'enrayer le
mouvement et que j'ai tenu ma promesse pour agir dans l'intérêt de la France ;
c'est une calomnie : j'ai dit, au contraire, à l'envoyé français que la
révolution se ferait, que personne n'était assez puissant pour l'arrêter, que
tout le monde était assez puissant pour la proclamer immédiatement.
La
consigne à laquelle je suis resté fidèle jusqu'au 25 du mois d'août, est celle
qui a été votée par une réunion au Courrier des Pays-Bas, le 14 oule 15 du mois d'août, à l'unanimité moins Van de Weyer et
moi qui insistions pour qu'on s'organisât immédiatement, convaincus que la
révolution éclaterait incessamment.
Il
fut décidé dans cette réunion que chacun se rendrait à un poste déterminé pour
faire de la propagande et recruter des hommes et des moyens de défense. J'avais
reçu mission d'aller à Paris ; j'étais arrêté à Mons lorsque le mouvement du 25
août éclata. C'est ce qui me fit écrire à De Potter le 16 septembre au sujet de
l'émeute du 25 du mois (page 348) d'août : « Beaucoup de ceux qui
auraient pu diriger le mouvement étant absents, les autres, fidèles à la
consigne, ont voulu l'arrêter ; de là incertitude, défaut de direction et par
suite mouvement désordonné de la part du peuple qui eût agi merveilleusement
s'il eût été bien dirigé.»
Non
seulement MM. De Potter père et fils se sont rendus coupables de déloyauté,
mais ils en ont fait sortir une audacieuse calomnie : « M. Gendebien,
disent-ils, ne voyait que la France et notre réunion à ce royaume »... L'ami en
question n'avait pas moins travaillé exclusivement dans le sens de la France !
» ...« Celui que j'avais regardé comme l'âme du mouvement belge, n'avait voulu
que faire servir la Belgique à arrondir l'empire français !! »
A
tant de fiel, à tant de venin, on serait en droit de ne répondre qu'en écrasant
les insectes malfaisants qui les ont produits. Mes contemporains feront justice
de ces infamies, et moi je me contente de confondre mes détracteurs en disant
la vérité :
J'ai
vu dans la révolution de Juillet, l'aurore de notre délivrance : mes regards se
sont tournés vers cette France si grande, si généreuse, lorsqu'elle n'est pas
détournée de ses instincts toujours si sympathiques aux peuples opprimés.
Aussi, dès le 2 ou le 3 août, comme le dit De Potter, j'ai espéré, désiré la
réunion de la Belgique à la France, comme le seul moyen de nous débarrasser du
joug du roi Guillaume et du joug, des insolents dédains et de la morgue stupide
des séides du pouvoir exploiteur. J'ai désiré cette réunion jusqu'au moment de
notre victoire du 26 septembre qui nous permit d'espérer nationalité,
indépendance et liberté.
De
Potter pensait comme moi, car je lui ai écrit plusieurs fois dans ce sens, et
jamais, je l'affirme, il n'a exprimé une idée contraire. Il m'écrivit même :
« Ne comptez pas sur la réunion à la France ; les Français la désirent,
mais le gouvernement n'ose le vouloir. Comptez sur les sympathies et les bras
du peuple qui ne demande qu'à voler à votre secours. »
J'exprimai
la même idée dans ma lettre du 16 septembre (je pense que sa date est du 14 ou
15 septembre). J'exprimais même mes regrets que la France n'ait pas pris
immédiatement la limite du Rhin. « Ma lettre qui était fort longue, dit De
Potter, contenait les prévisions les plus sinistres. » Oui, et mes prévisions
n'étaient que trop fondées. En effet :
Dès
le 2 ou le 3 août, j'avais écrit à Paris, les réponses étaient évasives ; le
15, un agent français chargé de répondre verbalement à mes questions m'avait
dit que le gouvernement français ne nous aiderait pas, alors même que les
Prussiens entreraient à Bruxelles, ce (page 349) qui arriverait
nécessairement, disait-il, si nous faisions la folie de nous insurger.
Le
26 du mois d'août, les bourgeois avaient tiré sur le peuple qui, dit De Potter
dans ses Souvenirs, page 118, « ne s'était montré à Bruxelles qu'un
moment, et sa vengeance satisfaite sur les instruments les plus actifs du
despotisme de Guillaume, semblait s'être retiré de la scène ».
Nous
ne pouvions donc plus guère compter sur le peuple qui avait, quelques jours
avant, traîné la voiture du roi Guillaume allant visiter l'exposition des
produits industriels qui était aussi un repoussoir pour la révolution. Puis, le
peuple avait été de mille manières façonné à l'admiration du Roi, et
spécialement par les lithographies que Jobar éditait,
à la plus grande gloire et popularité de Guillaume.
Le
1er septembre, lors de l'entrée du prince d'Orange à Bruxelles, une
démonstration patriotique donna des espérances ; mais dès le lendemain le peuple
semblait encore s'être retiré.
Le 7
septembre M. de Gerlache avait entraîné nos représentants à La Haye ; ce qui
avait fait évanouir les espérances et profondément découragé les patriotes les
plus dévoués.
Les nouvelles
sinistres qu'on recevait de la Hollande, l'arrivée des troupes dans le
voisinage de Bruxelles, les préparatifs et les menaces de la Prusse ; tout
justifiait nos alarmes, nos appréhensions et nos regrets de l'indifférence et
de l'inaction du gouvernement français.
De
Potter m'impute à crime d'avoir, avant les quatre journées, tourné mes
regards vers la France et désiré la réunion ! Il oublie que longtemps après la
victoire du 26 septembre, lorsque les dangers de la situation de septembre
avaient disparu, les sympathies pour la France et les regrets de ne pouvoir
réaliser la réunion, trouvaient de l'écho, non seulement dans le pays, mais au
sein même du Congrès, où plusieurs orateurs se sont prononcés ouvertement et
sans contradiction ; je n'en citerai qu'un, et de préférence M. Lebeau, parce
qu'il n'a jamais été considéré comme réunioniste.
Dans la séance du Congrès du 19 janvier 1831, M. Lebeau dit :
« Je
crois avoir fait assez violence à la sympathie qui m'entraînait vers
Louis-Philippe, la réunion de la Belgique à la France, sous ce roi
populaire, fut pour moi LE PLUS BEAU DES REVES. »
M.
De Potter a-t-il protesté contre ce discours et tant d'autres prononcés dans le
même sens ? A-t-il protesté contre les nombreuses pétitions qui demandaient au
Congrès la réunion à la France ? Je ne crains pas d'affirmer que si la France
avait été constituée en république, (page 350) il aurait demandé et
acclamé, avec enthousiasme, la réunion de la. Belgique à la France.
Ce
n'est qu'en 1839, en pleine voie de dénigrement contre tous ses
collègues et plus particulièrement contre moi son ancien ami et défenseur, qu'il
s'est avisé d'éditer ses accusations calomnieuses.
Lorsque
dès le 2 ou le 3 du mois d'août j'ai tourné mes regards vers. la France, ai-je
eu tort ? Mes sympathies m'ont-elles trompé ? Ont-elles été funestes à mon pays
? Non ! cent mille fois non ! .C'est grâce à la France que la Prusse et
l'Angleterre ne nous ont pas écrasés. C'est grâce à la France et à son
représentant (le brave et loyal envoyé de France, le général Belliard) que la conspiration de Ponsonby
a échoué au mois de mars 1831. C'est grâce à la France que nous n'avons pas été
honteusement replacés, le 12 août 1831, sous le joug du roi de Hollande et de
son digne ministre Van Maanen. C'est grâce à la
France, qu'Anvers, notre métropole commerciale, a été, en 1832, mise à l'abri
des actes de vandalisme de Chassé.
Par
un acte de déloyauté, De Potter et après lui son fils Agathon
m'imputent à crime les confidences intimes de ma lettre du 16 septembre 1830 ;
ils m'accusent de n'avoir travaillé qu'à arrondir la France.
J'ai
démontré que c'est une calomnie. Mes contemporains le savent : personne n'a
plus loyalement, plus activement travaillé à la délivrance de mon pays.
Je
suppose que la réunion à la France ait été consommée le 16 septembre 1830 ;
quels avantages et quels malheurs en seraient résultés pour la Belgique ?
Elle
eût été immédiatement mise à l'abri des menaces de l'armée hollandaise campée à
deux lieues de sa capitale ; elle eût été immédiatement mise à l'abri de
l'envahissement de l'armée prussienne qui campait à l'extrême frontière. De
Potter, qui était à 72 lieues en parfaite sécurité, ne comprenait pas, ou
plutôt fit semblant, en 1839, de ne pas comprendre les dangers de la situation.
Il les comprit et les exagéra dans son imagination, alors qu'ils avaient
disparu : il n'osait pas marcher sur Bruxelles, on dut l'y entraîner deux
jours après la victoire. Voir pages 135, 136, 322 de ses Souvenirs.
Par
la réunion, la Belgique eût évité le combat inégal et très périlleux des quatre
journées. Elle eût évité l'incendie, le vol, le viol, le meurtre, elle eût
évité l'effusion d'un sang généreux pendant les quatre journées et les combats
meurtriers qui les ont suivies ; elle eût évité le bombardement, l'incendie et
les massacres d'Anvers ; elle eût évité les trahisons du 2 février et du 27
mars 1831 ; elle eût évité la (page 351) défaite du mois d'août 1831,
habilement préparée pour tuer la révolution en la faisant passer sous les
fourches caudines ; elle eût évité les hontes du lâche abandon de deux
demi-provinces et de 400,000 Belges qui avaient versé leur sang pour la
délivrance de la patrie ; elle n'eût pas abandonné sa part dans l’actif de la
communauté dissoute ; elle n'eût pas eu la honte de consentir à un tribut au
profit de la Hollande, sous prétexte de payer sa part d'une dette qui n'était
pas la sienne et un autre tribut qu'elle a consenti à payer pour naviguer sur
l'Escaut, contrairement au droit naturel et des gens. La France, en 1830, comme
la République française en 1796, eût proclamé la liberté de ce fleuve, etc....
Notre nationalité se serait confondue avec la nationalité d'un grand
peuple ; le dommage, à mon avis, eût été moins grand pour l'honneur national,
que la castration imposée à un peuple qui venait de faire acte de virilité.
Voilà pour les intérêts moraux.
Les
intérêts matériels eussent été satisfaits et mieux garantis. Cette assertion,
pour se faire comprendre, n'a pas besoin de commentaires.
Qu'on
ne s'y trompe pas : Je ne fais que me défendre contre les absurdes et méchantes
accusations que MM. De Potter ont fait sortir de ma lettre du 16 septembre et
des commentaires et des insinuations perfides, dont ils l'ont si cavalièrement,
si audacieusement illustrée.
Je
voulais éviter à mon pays les catastrophes qu'il a heureusement,
miraculeusement surmontées. Après la victoire du 26 septembre 1830, à laquelle
De Potter a obstinément refusé de concourir, je ne me suis pas comme lui borné
à désirer la conservation de notre nationalité ; j'ai tout fait pour la
conserver intacte et honorable.
Au
mois de mars 1831, j'aurais pu, AVEC GRAND PROFIT, la laisser vendre et livrer
au prince d'Orange ; on me demandait seulement de ne pas la défendre, de
m'absenter pendant huit jours.
Au
mois d'août 1831, je l'ai défendue au péril de ma vie.
Je n'ai cessé, pendant neuf ans,
de la défendre contre toutes les défaillances ; au mois de mars 1839, mes
efforts ayant été impuissants à la sauver de l'opprobre et du déshonneur, j'ai
protesté énergiquement :
j'ai
quitté la carrière parlementaire. Je me suis condamné à l'ilotisme politique,
en expiation du plus grand crime qui puisse être imposé aux représentants d'un
peuple libre.
Par
une lettre que LA LIBERTÉ publia le 10 novembre
1867, Agathon De Potter, prétextant des
violences verbales de son antagoniste, déclara renoncer pour le moment à tout
échange de vues, se réservant de produire, (page 352) « en temps
opportun, les nombreux et curieux documents » que lui avait laissés son
père.
La
rédaction du journal lui offrit néanmoins de lui tenir ses colonnes ouvertes « pour lui permettre de défendre son père à l'endroit même où celui-ci a
été attaqué », mais constata que tout ce que Gendebien avait écrit jusque-là
était resté debout, qu'il ne faisait après tout « que se défendre contre
d'injustes attaques» ; c'était là l’explication de la vivacité de son
langage.
Après
cette lettre, Gendebien termina la réfutation des SOUVENIRS
PERSONNELS de Louis De Potter en consacrant de nombreuses pages à la
discussion de divers événements, tels l'inauguration du Congrès, le protocole
du 17 novembre, la signature de l'armistice. Il expliqua son refus
d'adhésion à cette dernière mesure qui d'ailleurs « n'aurait exercé aucune
influence sérieuse sur les destinées de la Belgique, si les doctrinaires
n'avaient abrité leur couardise derrière ce document ».