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Note
d’intention
« Aperçus
de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 »
(« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)
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A. LES PRODROMES DE
XX. Les timides et les décidés de la Commission de Sûreté.
(page 259) Ce succès n’eut guère d’autre
résultat que de neutraliser l’influence de M. Schuermans;
parce que la Commission de Sûreté était divisée en deux groupes, l’un qui prétendait
n’avoir qu’une mission de police (page 260) et de sécurité, pour les citoyens et les
propriétés ; l’autre qui voulait marcher
de l’avant et continuer la révolution.
Entre ces deux groupes, M. Félix de Merode
prétendait qu’il n’y avait plus rien à faire, qu’il fallait inscrire aux portes
de la Ville et de la Régence « Notre députaille est à
La Haye, il n’y a plus rien à faire. » Aussi la Commission ne fit rien ou
très peu de chose.
Van de Weyer était l’âme, l’esprit, le bras droit de M. le général d’Hooghvorst, qui faisait ou plutôt laissait faire en son
nom, ne demandant qu’une chose, c’est d’être convaincu qu’il restait dans la légalité
et dans sa mission de maintenir l’ordre ; il se montra toujours de très
bonne composition, jusqu’à la veille du combat. On chercha en vain à lui
démontrer que repousser la force par la force, c’était encore faire de la
légalité, puisque c’était exécuter la proclamation du prince d’Orange, celle de
nos députés du 3 septembre ; c’était remplir l’engagement que nous avions pris
de maintenir, par tous les moyens possibles, le principe de la
séparation du Midi et du Nord. On lui dit en vain qu’il ne sortirait de la
légalité qu’en attaquant l’armée.
Il n’accepta pas cette distinction et déclara qu’il se démettait de son
commandement et se bornerait à faire de la police.
De mon côté, j’étais président de tous ces comités et Ducpetiaux,
secrétaire perpétuel. Ces comités se composaient du président et du secrétaire,
excepté celui de défense et d’armement, qui n’eut pas une bien longue durée.
Parmi ses membres, il y avait un officier d’artillerie pensionné, qui voulait
établir la défense par des ouvrages, des redoutes extérieures. Je le suivis
dans deux excursions; je lui démontrai que son système était impraticable. Il
n’y persistait pas moins et par des motifs si dénués de sens qu’ils me parurent
suspects.
Le considérant, à tort peut-être, comme chargé de préparer notre défaite,
je lui dis « Notre défense est à l’intérieur de Bruxelles, nous résisterons
aussi longtemps qu’il restera une maison debout. Les princes ne nous vaincront
qu’en démolissant, brûlant la plus belle des deux capitales ; quand cette belle
et noble besogne sera faite, si on leur laisse le temps de l’accomplir, la
Belgique entière se soulèvera; elle écrasera ses barbares et fratricides
ennemis. »
Je me suis dit « S’il est le séide des princes, il ne manquera pas de leur
rendre compte de nos énergiques, de nos sinistres projets. Cette salutaire
menace arrêtera ou retardera l’attaque qu’ils méditent. M. Roget (ne pas
confondre avec Ch. Rogier), M. Roget, ancien élève de
l’école polytechnique, ancien officier de génie, prépara un plan de la ville
sur lequel nous avons commencé à tracer la défense, au moyen (page
261) de barricades. Nous n’eûmes pas
le temps d’achever notre œuvre l’attaque
ayant eu lieu douze jours avant l’époque annoncée. Je considère comme une cause
de succès l’inachèvement de notre plan : parce que si le peuple avait pensé que
la défense avait été préparée, que tout avait été prévu, il aurait attendu des
ordres et n’aurait pas pris la vigoureuse initiative qui a vaincu.
Pour les armes, nous avons sollicité de toutes les députations, de toutes
les communes où nous avions des relations, des envois d’armes. Ducpetiaux a pris la poste, deux fois je pense, pour aller
en solliciter à Liége et à Louvain. De mon côté je m’étais assuré les armes qui
étaient à la caserne Ste Elisabeth, à la garde d’un ancien frère d’armes de mon
beau-frère, le général Duvivier. La veille de mon départ pour aller chercher De
Potter à Lille, c’est-à-dire le 18 septembre, j’allai le voir, je le
convainquis de l’inutilité de sa résistance, quand on viendrait prendre son
dépôt d’armes. Il n’avait avec lui que quelques hommes pour l’entretien des
armes. Je vais d’ailleurs, lui dis-je, vous remettre une sommation en règle qui
mettra votre responsabilité à couvert en constatant que toute résistance était
inutile, impossible; ce que je fis. On alla prendre les armes après mon départ
pour Lille.
Les autres comités nous occupaient beaucoup plus.
Ils nous imposaient de nombreuses correspondances, des réceptions
continuelles et surtout la triste obligation de leur dire « Attendez,.
tenez-vous prêts à marcher au premier signal. » Nous n’avions pas d’argent
pour les nourrir. Cet ajournement n’eût pas eu grand inconvénient si nous
n’avions pas été attaqués à l’improviste, et douze jours avant le terme annoncé
par mon beau-père, par M. Ch. De Brouckère et par MM. Vleminckx
(Note de bas de page : Le docteur Vleminckx
(I800-1876) consacra, comme inspecteur général, son activité à l’organisation
du service médical de l’armée. Il fut de 1864 à 1876 membre de la Chambre des
Représentants, pour Bruxelles) et Nicolaï qui avaient été
chargés de porter à La Haye l’adresse aux députés méridionaux.
Tous les jours je passais trois ou quatre heures au Conseil de la garde,
pour maintenir l’harmonie et l’ensemble, bien plus que pour régler les affaires
de service, qui marchaient aussi régulièrement qu’il était possible de
l’espérer au milieu des agitations et des alarmes continuelles.
Ayant remarqué que tous les papiers restés sur la table étaient enlevés
tous les matins et remis, disait-on, au général de Vautier
(Note de bas de page : Nous parlerons plus loin du général de Wautier), qui avait placé, au service du
Conseil, un espion que je connaissais, j’en profitai pour laisser de temps en
temps une liste des villes et communes (page
262) qui étaient censées avoir
promis des volontaires, des armes, des canons, des munitions, etc. Je laissai
une liste commençant par C’; le lendemain une liste commençant par P’ ». Au
bout de chaque lettre, il y avait : volontaires, un chiffre quelconque,
armes, canons, munitions, un chiffre, vivres, boeufs,
moutons, pains, etc. de telle façon qu’au bout de quelques jours les additions
présentèrent des chiffres effrayants pour ceux qui nous faisaient espionner, et
qui étaient ainsi victimes de leurs turpitudes.
Les espions ne sont pas dangereux pour les hommes qui savent être discrets
ils sont, comme on le voit, très utiles pour les hommes qui savent en tirer
parti.
Il y avait dans le Conseil quelques timides qui tempéraient quelquefois les
excentricités des exaltés ; ils étaient souvent des auxiliaires utiles à la
froide et prudente raison qui conçoit et dirige les événements.
Un des plus exaltés, un vrai brûle raison, M. Pletinckx,
demandait, exigeait sans cesse qu’on allât attaquer les Hollandais, souvent il
terminait sa péroraison en mettant sur la table son sabre, comme dernier
argument, comme gage de son courage.
Je lui répondais sans cesse « Avec quoi voulez-vous vous battre ? Vous
n’avez ni armes, ni munitions, ni organisation ; une charge de cavalerie peut
tout compromettre. Notre champ de bataille est à Bruxelles, ici nous pouvons
vaincre et nous vaincrons. » Je finis par lui dire un jour : « Mon cher Pletinckx,
vos provocations obstinées au combat sont si déraisonnables qu’on finira par y
voir un parti pris de compromettre la révolution ; on y verra peut-être de la
trahison. » — « Ah bah ! me dit-il, cela n’est pas possible. » — « Cela
est plus possible et cela serait plus raisonnable que vos plans de campagne en
plaine. » Cela le fit réfléchir, il ne mit plus son sabre sur la table ; mais
il se dédommagea en proposant une attaque de la ville de Termonde dont les
habitants étaient très disposés à combattre la faible garnison, tandis qu’on se
présenterait aux portes.
Puis il prépara une attaque contre la ville de Charleroi, dont les
habitants étaient très chauds patriotes.
L’une et l’autre expédition manquèrent, par les indiscrétions qui mirent
les autorités militaires en mesure de faire avorter les surprises ; en effet, l’expédition de
Termonde s’arrêta à Assche ou à Zellick
; celle de Charleroi s’arrêta à mi-chemin de Waterloo.
Ces deux déconvenues ayant calmé Pletinckx, je le
persuadai facilement que tous nos efforts devaient se concentrer sur la défense
de Bruxelles ; qu’il devait désormais y consacrer toute son activité et
employer toute son intelligence à convaincre les patriotes que dans Bruxelles
nous triompherions certainement.