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« Aperçus de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 » (« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)

 

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A. LES PRODROMES DE LA RÉVOLUTION.

 

XIX. Comment Gendebien se débarrasse du Procureur du Roi et s'empare de la Police judiciaire.

 

(page 242) Ce n'était pas assez - dit Gendebien - d'avoir, dès avant la constitution de la Commission de sûreté, pris possession du pouvoir communal et de sa police, pour nous constituer avec chance de succès, il nous restait à conquérir, ou au moins à neutraliser la police judiciaire qui était dans les mains d'un des plus dévoués séides de Van Maanen.

M. Schuermans, procureur du roi, dont le zèle dépassait de beaucoup la prudence, siégea, contre son habitude, à la Chambre de police correctionnelle, le jour même du funeste départ de nos députés. Cette coïncidence fut considérée comme une audacieuse réaction et produisit une effervescence très vive.

Je proposai à mes collègues de la Commission de Sûreté d'inviter M. Schuermms à s'abstenir, avec menace de destitution, s'il ne tenait pas compte de notre invitation. Ma proposition n'eut pas de succès. Le lendemain le Tribunal de Commerce siégeant dans le même local où avait siégé Schuermans, fut chassé brutalement par des patriotes qui croyaient que Schuermans avait l'audace de braver une seconde fois l'indignation publique.

Je m'emparai de cet incident pour renouveler ma demande. Deux de nos Collègues, ne voyant dans ce fait qu'une insulte à la magistrature, proposaient de faire poursuivre sévèrement les citoyens qui s'en étaient rendus coupables ; je déplorai plus qu'eux cet événement et je dis qu'il n'y avait qu'une seule manière d'en prévenir le retour, c'était de faire disparaître la cause, c'est-à-dire destituer Schuermans ou au moins l'éloigner du parquet, ainsi que je l'avais demandé précédemment.

« Vous voulez faire des poursuites judiciaires ? Vous ne réfléchissez pas que c'est à Schuerm1ns que vous devez vous adresser, lui, la cause première de ce déplorable incident. Réfléchissez enfin, que si vous devez un jour sévir contre les ennemis de la Révolution, c'est encore à Schuermans que vous devrez vous adresser ! Quelle répression pouvez­-vous espérer de l'intervention obligée de l'ami de Van Maanen ? » Il n'y a plus à hésiter, il faut écarter cet homme.

Je ne fus pas plus heureux que la première fois, le vertige de la légalité l'emporta.

(page 257) ­Je dus recourir à un remède héroïque, le seul qui réussisse en Révolution : je fis, par des officieux, savoir à Schuermans qu'il était menacé de nouveaux désagréments (sa demeure avait été saccagée le 26 du mois d'août) que sa vie était en danger, que les patriotes avaient décidé sa mort.

Le lendemain je réunis quelques-uns des jeunes gens qui étaient toujours à ma disposition ; je leur dis : « La nuit prochaine vers une heure du matin, lorsqu'il n'y aura plus à craindre une émeute, vous casserez la sonnette, demandant à entrer, vous menacerez de briser la porte, vous casserez quelques vitres, vous le menacerez de mort, il essayera de se sauver, vous le poursuivrez jusqu’à ce qu'il soit sorti par une des portes de la ville, vous constaterez par les employés de la garde, l'identité et la fuite de Schuermans, vous m'en ferez rapport demain matin, à 7 heures. N'oubliez pas qu'il ne faut pas lui faire du mal ; il ne faut pas même l'arrêter, il faut seulement constater qu'il est parti ! »

Tout s'étant accompli, selon mes instructions, j'ouvris immédiatement une enquête constatant son absence et je pris l'arrêté suivant :

« Vu l'absence constatée du procureur du Roi, considérant que dans les graves circonstances où nous sommes, il est nécessaire et urgent de le remplacer provisoirement et jusqu'à son retour.        ,

«  … Prions M. M. , avocat, de remplir momentanément et gratuitement les fonctions de procureur du roi, jusqu'à ce qu'il y soit autrement pourvu.» ,

M. M.... était un jeune homme instruit, très intelligent, très dévoué, jouissant d'une haute considération, par ses qualités personnelles et sa fortune.

Je m'étais concerté avec lui, et pour le mettre à l'abri d'une réaction éventuelle, je lui avais remis une lettre sommatoire motivée sur la nécessité et l'urgence de pourvoir au bon ordre et à la sécurité de tous. SALUS POPULI SUPREMA LEX.

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