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« Histoire
de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de
l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).
Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836
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TOME 3
CHAPITRE
PREMIER
Rejet de la proposition tendant à ce qu'il soit nommé un
lieutenant-général du royaume. - Élection du baron Surlet
de Choquier comme régent de
(page 1)
L'adhésion de la France aux 14e et 15e protocoles, et le refus de Louis-Philippe d'accepter (page 2) la couronne de
Belgique pour son fils, tout en donnant un nouvel essor aux intrigues des
orangistes, répandit un découragement général parmi les patriotes,
et fit craindre que le pays ne retombât dans cet état de confusion voisin de
l'anarchie d'où on avait espéré le retirer, par l'élection d'un souverain.
Autant le gouvernement provisoire avait été confiant dans l'acceptation du duc
de Nemours, autant il fut accablé et embarrassé, quand il reconnut que le rejet
méprisant du protocole du 7 février n'avait produit d'autre résultat que de
fortifier la détermination des grandes puissances de maintenir son contenu (Le protocole
du 7 février (n° 15) fut présente par lord Ponsonby
au comité diplomatique, le 10 février, et renvoyé aussitôt, sous prétexte que,
dans une matière aussi délicate et aussi importante, le comité ne pouvait
recevoir de la conférence un acte contraire aux décisions du congrès, et
qu'ayant élu le duc de Nemours, et envoyé une députation à Paris, ce n'était
qu'à cette députation officielle, qu'une réponse pouvait être faite). M. Lebeau, ayant foi dans l'assurance donnée par
lord Ponsonby que l'acceptation du prince français
était impossible, avait déjà pris ses précautions contre un refus et tâché d'y
apporter un remède en proposant la nomination d'un lieutenant-général, qui
exercerait les pouvoirs du chef de l'état, jusqu'à ce que le souverain, élu par
le congrès, eût accepté la couronne, et juré (page 3) le maintien de la constitution. Cette proposition, qui n'était nullement
contraire à l'acceptation du duc de Nemours, devait d'autant plus être prise en
considération, que le gouvernement provisoire était tombé dans un grand
discrédit. La majorité de ce corps semblait fatiguée du poids de la puissance,
et pressé de se débarrasser de sa responsabilité. Le baron d'Hoogvorst avait déjà donné sa démission, et les autres
étaient prêts à imiter son exemple. Les affaires se présentaient sous un aspect
sinistre à l'intérieur et à l'extérieur. Le gouvernement néerlandais, qui avait
organisé son armée avec une admirable vigueur, prenait une attitude menaçante.
Les espérances d'un arrangement à l'amiable étaient déclarées par ses ministres
plus éloignées que jamais. Une collision entre les deux pays semblait d'autant
plus inévitable, que l'armistice du mois de décembre était chaque jour enfreint
par les deux parties, dans les environs de Maestricht et dans les Flandres.
Toutefois, tandis que les Hollandais agissaient
comme guidés par une seule impulsion et présentaient le tableau d'un
patriotisme fortifié par la concorde, et d'un dévouement loyal et sans bornes
au trône et au gouvernement,
Le projet de M. Lebeau fut en conséquence
renvoyé aux sections, où, après de mûres délibérations, il donna lieu à un
projet plus populaire, l'établissement d'une régence, décision principalement
fondée sur la répugnance des députés à permettre la plus légère altération à
leur constitution naissante ; car il fut objecté qu'un lieutenant-général,
exerçant le pouvoir souverain, pourrait opérer des modifications dans la
constitution, avec le consentement des chambres, selon l'article 131 de cette
loi ; tandis que ces changements ne pourraient avoir lieu sous une régence.
(page 5) A cette
époque, de Potter, qui trouvait l'occasion favorable pour introduire ses
théories démocratiques, adressa une pétition au congrès, pour demander
l'établissement d'une république. « Nous portons maintenant la peine de nos
premières erreurs (disait le pétitionnaire), après avoir tout essayé pour
échapper à notre ruine. Quelques-uns de vous, pensant que le plus sûr moyen de
mettre un terme aux maux qui nous accablent était de chercher l'appui de la
France, et une union directe avec ce pays, ont voté pour le duc de Nemours.
Mais le gouvernement français ne veut rien faire pour
Il n'était pas douteux. Mais M. de Potter
semblait ignorer l'état politique de l'Europe, comme il ignorait les sentiments
de ses compatriotes. M. de Robaulx ayant fondé sur cette pétition une
proposition pour l'établissement immédiate de la république, sa motion fut
rejetée à la presqu'unanimité, tandis qu'un grand nombre de membres déclara
que, la forme républicaine ayant déjà été irrévocablement repoussée, toute
proposition à cet effet était aussi inconstitutionnelle et (page 6) aussi insultante pour la
chambre qu'une proposition au retour du prince d'Orange ; car, pour avoir fait
mention du nom de ce prince, le vénérable Maclagan
d'Ostende avait été rappelé à l'ordre. Cette motion fut ensuite tout à fait
mise de côté, le 23 février, par l'adoption, à une immense majorité, d'une
proposition « déclarant que le trône était vacant et décrétant la nomination
d'une régence, avec une liste civile de 10,000 flor. par mois, et la jouissance d'un palais national. Le congrès
se réservait le droit d'exercer exclusivement le pouvoir constituant et
législatif. »
Le jour de la nomination du régent ayant été
fixé au 24, le choix des représentants désigna le baron Surlet
de Choquier ; son compétiteur était le comte
Félix de Mérode, qui, peu ambitieux de l'honneur qu'on voulait lui conférer,
n'avait fait aucun effort pour assurer son élection, laquelle eût probablement
eu lieu, s'il l'avait voulu. Les deux candidats paraissent avoir agi d'accord,
et avec le plus grand désintéressement. Un ami commun, jouissant d'une grande
influence, leur ayant adressé une note, pour leur demander des instructions sur
ce qui devait être fait, si un second scrutin était nécessaire, reçut la
réponse suivante : « Faites ce que vous jugerez le plus convenable au pays.
Nous sommes parfaitement d'accord. »
L'élection de Surlet
de Choquier fut reçue avec de vives acclamations par
le public, qui la considéra (page 7)
comme un gage de stabilité. La nomination d'une régence n'était, à la vérité,
qu'une modification de cet état provisoire dont tous les partis désiraient de
sortir ; mais elle était néanmoins un progrès et la seule mesure qu'on pût
prudemment adopter. Le refus du duc de Nemours et le véto
exclusif de la conférence, ayant restreint le nombre des personnes éligibles
à la souveraineté, et rendu les Belges plus circonspects, en les menaçant de
prolonger cette incertitude, dont les effets funestes ne pouvaient être adoucis
que par un mezzo termine. Procéder à une nouvelle élection, sans des
assurances d'acceptation, eût été une persistance dangereuse dans l'erreur où
déjà l'on était tombé. Continuer le statu quo était impossible ; et comme un changement était inévitable, le
congrès agit sagement en établissant le principe monarchique par la « déclaration
que la trône était vacant. » Ainsi, taudis qu'on diminuait les
craintes qu'inspiraient aux cabinets les tendances républicaines, on donnait à
tous les partis le temps de jeter les yeux autour d'eux, et de se concerter sur
le choix de la personne la plus propre à satisfaire le vœu général.
L'installation du régent eut lieu le 25. La
cérémonie donna à la capitale un aspect inaccoutumé de fête et de mouvement ;
et pourtant le pays était placé sur un volcan. Des complots et des
conspirations étaient fomentés de toutes parts, le démon (page 8) de la guerre civile ; appelait
les citoyens à une mutuelle destruction. La vigilance d'un parti et la
pusillanimité de l'autre conjurèrent l'orage. Le régent, ayant quitté son modeste
logement, se rendit dans le plus simple équipage, et avec une escorte de
cavalerie au palais de la nation. Il fut reçu au pied du grand escalier par une
députation de 10 membres, qui le conduisit au sein de la chambre. Après avoir
salué avec l'air d'un homme peu désireux de l'honneur qui venait de lui être
conféré, il monta sur une estrade couverte de velours cramoisi, où le lion
belge était brodé rampant passant, tenant dans ses pattes une lance
surmontée du chapeau de la liberté, supportée des deux côtés par la bannière
nationale, et avec la devise : « L'Union fait la force. » Amère satire
des dissensions qui devaient si longtemps encore paralyser toute l'énergie du
gouvernement, et qui menacèrent plus d'une fois le salut du royaume naissant.
Entouré d'un nombreux état-major, dont les
uniformes variés ajoutaient beaucoup à l'éclat de la scène, le baron Surlet de Choquier donna d'abord
son assentiment solennel au décret établissant « que c'était comme corps
constituant que le congrès avait proclamé l'indépendance de
(page 10) Le baron
Erasme Surlet de Choquier,
qui venait d'être élevé aux plus grands honneurs que ses concitoyens pouvaient
lui conférer, était alors âgé de 63 ans. Issu d'une famille ancienne et riche
de la province du Limbourg, il avait passé la plus grande partie de sa vie,
dans une obscurité relative, à sa terre patrimoniale de Gingelom, près de St.-Trond, où il s'était consacré aux travaux de l'agriculture.
Lors de la première révolution française, Surlet
avait embrassé avec feu les théories d'égalité du républicanisme et déposé ses titres
héréditaires. Ayant reçu une éducation distinguée, doué de talents naturels,
d'une certaine éloquence, d'un esprit fin et mordant, caché sous le voile d'une
grande simplicité de manières, il acquit de bonne heure la confiance de ses
concitoyens, et avait rempli plusieurs places peu importantes dans la
magistrature municipale. Partisan enthousiaste et admirateur de la France, il
appuya chaudement toutes les mesures qui tendaient à augmenter son influence
parmi ses compatriotes. Ayant été élu membre du corps législatif, comme un des
représentants du département de
Ce ne fut cependant qu'à l'érection du royaume
des Pays-Bas, que Surlet commença à jouer un rôle
dans les affaires publiques, comme membre (page 11)
de la seconde chambre des états-généraux. Il s’y distingua par sa politique
libérale et par une opposition presque continuelle au gouvernement. Cette
hostilité s'augmenta encore des intrigues constantes du ministère pour
l'exclure de la représentation nationale. Frugal et tempéré dans ses habitudes,
franc et affable dans ses manières, bienveillant, et jouissant d'une réputation
sans tache, il possédait l'estime de ses égaux, tandis que sa noble stature,
ses longs cheveux gris flottant négligemment sur ses épaules, son aspect
vénérable, relevé par un regard spirituel et vif, ajoutaient à l'impression
qu'il produisait sur les populations des campagnes qui l'admiraient comme un
patriarche. Lors de la convocation du congrès belge, il fut élu député, et
choisi comme président par cette chambre où il se rendit très populaire, par le
tact et la modération qu'il apportait dans le maintien de l'ordre. Ce fut à la
popularité dont il jouissait dans le congrès, qu'il dut l'honneur d'être élu
régent.
Quoique sa qualité de président l'empêchât en
quelque sorte de prendre part aux débats, ses tendances politiques étaient très
connues. Les sympathies de sa jeunesse, nourries pendant l'âge mûr, ne
s'étaient pas modifiées. Ses inclinations étaient essentiellement françaises.
Sachant que la réunion, proprement dite, à la France était chose impossible, il
désirait vivement arriver au même but par (page 12) quelque
terme moyen. Aussi, s'employa-t-il avec zèle pour obtenir l'élection et
l'acceptation du duc de Nemours ; et quoique sa propre élévation fût le
résultat du refus de ce prince, il aurait volontiers sacrifié tous les honneurs
temporaires qui lui furent décernés, au succès de sa combinaison favorite.
Célibataire, jouissant d'une fortune personnelle au dessus de ses besoins, il
paraissait exempt de tous sentiments d'ambition, ou les cachait si bien sous le
voile d'un grand désintéressement qu'ils échappaient à la pénétration de tout
observateur ordinaire. Son acceptation du souverain pouvoir (si l'on peut
appeler ainsi l'autorité restreinte (En
conférant le pouvoir exécutif au régent, le congrès s'était réservé
exclusivement le pouvoir législatif el constituant ; il faisait ainsi du régent
l'agent de sa propre volonté, et le rendait incapable de concourir ou de
s'opposer à ses actes) dont il fut investi par le
congrès) fut considérée comme un acte de dévouement au pays et d'abnégation
personnelle ; et quoique plus d'une circonstance ait prouvé qu'il n'était pas
insensible aux charmes de cet intérim de royauté, le public fut
intimement convaincu qu'il était plus pressé de quitter les honneurs qu'il
n'avait eu hâte de les accepter.
L'organisation intérieure du pays et sa
consolidation au dehors ne firent que peu de progrès pendant la durée de la
régence ; en effet, quoique (page 13)
très recommandable comme homme privé,
quoiqu'éminemment propre à présider une assemblée législative, le baron Surlet n'était pas capable de tenir tête aux nombreux
embarras qui l'environnaient ; il manquait du courage moral et de la fermeté
nécessaires pour vaincre les factions au dedans, de l'influence et de
l'expérience politique suffisantes pour inspirer le respect au dehors. Mais
comme une réunion ou une quasi-réunion à la France était son projet
favori, il y subordonnait toutes les autres combinaisons. Ainsi, tandis qu'il
se soumettait lui-même entièrement à l'influence du cabinet français et de ses
agents, tandis qu'il travaillait incessamment à donner aux actes de son
gouvernement une tendance exclusivement française, il trompait les espérances
de la grande masse du peuple belge, qui avait cru trouver en lui et ses
ministres d'ardents défenseurs de l'indépendance nationale.
Heureusement pour le repos de l'Europe, le
général Belliard, qui avait succédé à M. Bresson, le
5 mars, et qui avait été nommé l'un des agents de la conférence, était plus
dévoué aux intérêts généraux de l'Europe que désireux de livrer son pays à des
chances incertaines d'agrandissement. Si l'on eût confié ces fonctions
diplomatiques à un homme du parti du mouvement, à un homme moins prudent et
moins conciliant que ne l'était ce brave et respectable vétéran des armées
françaises, les résultats de ces négociations eussent été des plus désastreux (Le comte Auguste Belliard,
lieutenant-général et pair de France, né en Picardie, soldat de fortune, qui
arriva aux plus grands honneurs, sans autre appui que celui de son mérite
personnel. Napoléon appréciait bien ses talents, et il le chargea plusieurs
fois de fonctions de la plus haute importance. Le général Belliard
s'était acquis la bienveillance de tous les Belges lorsqu'il commandait la
division militaire dont Bruxelles faisait partie, sous l'empire. Il fut ensuite
gouverneur de Madrid, puis appelé aux fonctions de chef d'état-major de la
cavalerie de la grande armée commandée par Murat).
L'influence du général Belliard, ses efforts auxquels
s'associa avec zèle et cordialité son collègue britannique, avec lequel il
avait noué les relations les plus amicales, servirent avec bonheur de
contrepoids aux tendances du gouvernement qui étaient en opposition directe
avec les vues des grandes puissances, et qui, si elles eussent continué,
auraient amené une conflagration générale.
Ce fut l'adoption de ce système diplomatique,
exclusivement français et conséquemment essentiellement anti-européen, qui
détermina M. Van de Weyer à donner sa démission de ministre des affaires
étrangères (Nous
avons déjà remarqué qu'on ne peut attribuer à cette circonstance, la démission
de M. Van de Weyer et la dissolution du premier ministère du régent. (Note de
l’Editeur belge.)). Cette démission amena (page 15) la dissolution du ministère qui, dans
le fait, était composé d'éléments tellement hétérogènes que son existence
n'était plus possible. M. Van de Weyer avait été un des premiers à reconnaître
l'erreur dans laquelle on était tombé, et il sentait qu'il fallait chercher à
assurer l'indépendance nationale. En effet, il était devenu nécessaire d'établir
un système sur des bases différentes et plus larges, de cultiver et
d'encourager non seulement une union avec
Ce fut le 28 mars que le nouveau ministère fut
(page 16) installé (Second
ministère : MM. Lebeau, Affaires étrangères ; Duvivier, Finances. de
Sauvage, Intérieur ; Barthélémy, Justice ; comte d'Hane . Guerre. (Note de l'Éditeur anglais)); ce changement
fut favorable au maintien de la paix. M. Lebeau, qui avait entrepris la tâche
difficile et ingrate de diriger le département des affaires étrangères, entra
en fonctions, avec l'intention de conduire la politique du cabinet dans une
nouvelle voie, et de la rendre en quelque sorte moins exclusivement française ;
ce qui détruisait tout espoir d'un arrangement amical. Lord Ponsonby
profita promptement de cette modification, pour encourager le nouveau ministère
dans un système qui, dès l'abord, promettait de ramener l'harmonie entre les
intérêts de l'Europe et ceux de
« L'erreur dans laquelle votre diplomatie est
tombée jusqu'à présent (disait le diplomate anglais), a été dans sa partialité
pour la France, et dans sa défiance puérile des autres cabinets. Cela peut être
excusable au premier abord, car cela résulte de la nature particulière de votre
position ; en effet, en admettant que les germes de votre révolution (page 17) aient été
depuis longtemps implantés, c'est à la France qu'ils doivent d'être arrivés à
leur maturité. Vous avez donc raison de compter sur son secours. L'analogie de
vos positions relativement aux autres états, la défaveur qui tombe sur vous en
particulier peut vous avoir mis dans la nécessité de vous appuyer sur la
France, pour le soutien des principes qui ont amené le renversement des deux dynasties.
Mais soyez persuadés, si vous appréciez votre nationalité, et si vous avez un
sincère désir d'être admis comme membres de la grande famille européenne, que
vous devez adopter des principes plus larges, plus généraux et moins faits pour
inspirer des jalousies parmi ceux qui, malgré votre répugnance pour une
intervention, doivent être les arbitres de votre destinée. La France peut avoir
amené votre révolution au point où elle est ; mais seule elle ne peut assurer
votre existence politique : pour cela la coopération de
(page 18)
« La seule ligne que vous puissiez suivre est celle de la conciliation et
de la modération. Vous devez être fermes, mais modérés ; et, avant de jeter le
gant, pesez bien toutes les chances fâcheuses qui vous menacent, si vous forcez
l'Europe à tirer l'épée. Au lieu de parler de votre manque de confiance dans
les autres puissances, tâchez de faire cesser leur manque de confiance en vous.
Si l'élection du prince d'Orange est impraticable, choisissez quelqu'autre prince qui offre les garanties désirées.
Prouvez à l'Europe que vous voulez vous soumettre aux liens sociaux qui
unissent les autres états, que vous êtes disposés à prendre une position
conforme à votre importance politique. Montrez que vous êtes disposés à
défendre vos droits, sans enfreindre ceux des nations voisines, que vous n'êtes
enclins à une réunion ni directe ni indirecte, que vous ne penchez pas plus
vers le midi que vers le nord, et que, de quelque côté que la tranquillité
publique soit menacée, vous serez disposés à interposer vos bons offices.
Prouvez, par votre modération, que votre seul but sera toujours de conserver
votre indépendance et les principes d'une monarchie tempérée, et non de
propager des doctrines subversives. Par dessus tout, persuadez-vous que le but
des grandes puissances est le maintien de la paix, et qu'à moins que vous
n'apportiez votre quote-part dans les (page 19)
sacrifices qu'elle réclame, vous ne pouvez espérer de vous trouver d'accord
avec le reste de l'Europe. La consolidation de votre existence nationale, peu
importe sous quel prince et sous quelle forme de gouvernement, dépend de la
conservation du parfait accord entre les grandes puissances, et
particulièrement de l'intime union entre la France et l'Angleterre. En
commettant un acte quelconque qui puisse tendre à détruire l'harmonie entre les
grandes puissances, vous seriez coupables d'un suicide national. »
La conformité de ces conseils prudents avec
l'opinion de l'un des publicistes les plus distingués de
(page 22) Ces observations étaient pleinement confirmées
par l'état du pays à cette époque. Son armée, ses finances, son commerce
étaient dans un état déplorable : car, quoique l'établissement d'une régence
fût le seul moyen d'empêcher l'anarchie, ce n'était guère qu'une prolongation
de cet état précaire qui avait, pendant six mois, menacé la paix de l'Europe.
Le gouvernement du régent était sans force et sans considération, incapable de
réprimer les factions qui tenaient la capitale et les provinces dans une
agitation constante ; il voyait son autorité à l'intérieur, méconnue et trahie
par ses propres agents, tandis que sa politique extérieure était compromise par
les discussions prématurées du congrès, ou amèrement critiquées par
l'association patriotique, qui s'était mise au niveau du pouvoir exécutif, et
avait obtenu une influence immense sur les classes inférieures.
Cette association, formée le23
mars, était composée de fonctionnaires publics et d'officiers de tout grade ;
de sorte que presque tous les individus qui la composaient désiraient donner
des preuves de patriotisme, ou craignaient que leurs opinions politiques ne
fussent mises en question. Son but avoué, comme l'exprimait l'article 4 de ses
statuts, était : « de défendre et de maintenir la nationalité et l'indépendance
belges, au prix des plus grands sacrifices ; de combattre les Nassau ; (page 23) de ne jamais entrer en
composition avec cette famille, à quelque extrémité que le pays fût réduit ; et
enfin de repousser l'agression étrangère. »
Si cette association concourut puissamment à
déjouer les efforts des partisans du prince d'Orange, elle contribua peu à la
défense du pays ; car, quoique ses doctrines répandues puissent avoir augmenté
encore l'extrême confiance d'une partie du peuple dans ses forces, elle servit
à augmenter l'esprit d'indiscipline qui s'emparait de toutes les branches du
service public, spécialement de l'armée, et qui jusqu'alors avait déjoué toutes
les tentatives d'organisation et de subordination. La garde civique présentait,
il est vrai, une force numérique imposante, mais la plus grande partie était
sans armes, et la totalité sans aucune idée de la discipline. Une armée
régulière de 45,000 hommes existait sur le papier ; mais son effectif s'élevait
à peine à la moitié de ce chiffre. Elle était mal commandée. Aussi, à une époque
plus récente, le ministre de la guerre, interpellé sur le renvoi de certains
officiers, le motiva sur ce qu'ils avaient été flétris de la main du bourreau (Discours
de M. Charles de Brouckère aux chambres, en septembre 1831. Il est nécessaire
d'observer cependant que ces officiers appartenaient aux corps francs et non
aux régiments de ligne).
Et pourtant, pour bloquer Anvers et Maestricht, (page 24) pour défendre une longue ligne de
frontières ouvertes, s'étendant de Venloo sur
Le commerce et l'industrie étaient complètement
paralysés, la pénurie des finances était extrême. Quelques provinces étaient en
arrière pour leurs contributions ; l'emprunt forcé de 10,000,000,
décrété le mois d'octobre précédent, était épuisé, et le gouvernement fut
obligé d'emprunter 600,000 fl. à la banque, pour subvenir au dépenses courantes
de mars. Si le congrès n'eût pas sanctionné un second emprunt de 12,000,000 fl., le ministre de la guerre eût été hors d'état
de disposer des nouvelles levées de miliciens, qui jusque-là étaient demeurées
inactives, par le manque de fonds. Mais à mesure que l'horizon s'obscurcissait,
le langage du congrès (page 25) devenait
plus énergique dans toutes les questions qui se liaient à la politique
extérieure.
L'état d'agitation de l'Europe, à cette époque,
était cependant essentiellement favorable aux prétentions de
L'attention de l'Autriche était tournée vers
l'insurrection de ses provinces lombardo-vénitiennes, tandis que le Hanovre,
(page 27) Enfin,
L'issue de cet état compliqué des affaires,
d'accord .jusqu'à un certain point, avec les exagérations des ultra-libéraux belges, surpassait de beaucoup cependant les
présomptions les plus favorables des patriotes modérés. La restitution des 11e et 12e protocoles amena la révision
et la modification de quelques-unes des clauses les plus nuisibles. Le ton de
hauteur que prit le congrès parvint à convaincre la conférence non que la
puissance de
Dans toute autre circonstance, ce langage
hautain (page 29) et intempestif des
Belges eût lassé la patience des puissances arbitres de leur sort, et peut-être
amené un partage, malgré la répugnance de l'Angleterre, partage par lequel plus
des deux tiers des Flandres, avec la province d'Anvers, et la moitié de celles
du Limbourg et du Brabant, y compris Bruxelles, fussent retournés à
Quoique les intentions des grandes puissances,
relativement à cette question, fussent enveloppées du plus profond mystère, il
est certain qu'une proposition de partage fut faite non officiellement par les
plénipotentiaires français et prussien, comme le moyen le plus simple et le
plus prompt de trancher le nœud des négociations. Mais il n'en est pas moins
certain que ce sujet n'a jamais été traité devant le cabinet britannique d'une
manière officielle. On tâcha de lui suggérer secrètement (page 30) cette idée ; mais il la rejeta sans hésiter. La pensée
d'occuper Anvers et « de convertir ce port en un second Gibraltar, » supposée
dans les chambres belges et répétée par M. Nothomb, n'a jamais existé un
moment.
Admettant pour un moment l'hypothèse que
Quelque peu conciliante, quelque hautaine que
fût la conduite du gouvernement belge envers la conférence, il tenta néanmoins
de sortir de son état d'isolement, en ouvrant des relations directes avec les
cabinets de Saint-James, des Tuileries, de Berlin et la confédération
germanique. Quoique le général Belliard et lord Ponsouby eussent été présentés au régent, comme agents
réunis de la conférence près du gouvernement, et non comme envoyés de leurs
cours auprès de celui qui tenait la place d'un souverain futur, M. Le Hon,
membre du congrès, fut envoyé à Paris, où il fut solennellement reçu par
Louis-Philippe, comme envoyé extraordinaire du régent, le 17 mars.
Reconnaissance virtuelle de l'indépendance belge ; car la mission antérieure du
comte de Celles devait être considérée plutôt comme une négociation privée avec
le gouvernement que comme une ambassade directe auprès du roi. Le comte d'Aerschot se rendit aussi à Londres, avec de semblables
pleins (page 32) pouvoirs. Mais sa
mission ne réussit pas, et, après plusieurs efforts infructueux. pour obtenir une réception publique, il fut rappelé le 17
avril.
Tandis que M. Behr se voyait repoussé à Berlin,
les efforts de M. Michiels échouaient également à Francfort, où il avait été
envoyé près de la diète avec ordre de faire tous ses efforts pour tâcher de
convaincre les représentants de la confédération, « que
Les embarras qui résultaient de l'opposition
des Belges, de la non-adhésion de la France aux protocoles des 20 et 27
janvier, s'augmentaient encore des infractions constantes à l'armistice du 15
décembre. (page 33) D'un côté, les Hollandais,
débarqués près de Calloo, où ils avaient coupé les
digues et inondé les polders, dévastèrent plusieurs fermes, et prirent
possession du fort Ste-Marie, qu'ils abandonnèrent ensuite, après avoir détruit les
fortifications du côté de la rivière, firent des excursions dans les Flandres
et dans le voisinage de Maestricht, où ils commirent des déprédations ; et
quoique l'Escaut fût nominalement ouvert depuis le 20 janvier, la navigation de
cette rivière était souvent empêchée au mépris de toute justice, tandis que
celle de
Ces instructions, tout en garantissant la libre
(page 34) navigation
de l'Escaut, déclaraient « qu'à moins que tout acte d'hostilité ne vînt à
cesser, et que les troupes belges ne se retirassent aussitôt dans les positions
occupées par elles le 21 novembre 1830, à 4 heures de relevée, laissant ainsi
ouvertes les communications par la grande route d'Aix-la-Chapelle à Eindhoven
et Maestricht, les grandes puissances ordonneraient à l'instant le blocus des
ports belges, et adopteraient telles autres mesures tendant à assurer la
stricte exécution de l'armistice. » Ces remontrances n'ayant amené d'autre
résultat qu'une note de récrimination de la part des Belges, de nouvelles
instructions furent envoyées à lord Ponsonby, le 17
février, déclarant que la note en question était inadmissible dans ses
prétentions et évasive dans ses explications, et qu'il lui était ordonné de
prendre les mesures nécessaires pour savoir du commandant de Maestricht si les
stipulations des protocoles étaient exactement remplies. En conséquence, M. Abercrombie, accompagné de M. White, fut envoyé à
Maestricht, le 17 février, avec des instructions pour s'assurer des positions
occupées par les troupes belges, et de l'état du canal de Zuid-Wilhelms-Vaart. Arrivés à
Tongres, quartier-général de l'armée de
L'audacieuse insubordination des volontaires
de Mellinet, qui persistèrent à occuper les positions
qui leur étaient interdites, exigea un second voyage des mêmes commissaires, le
23 mars. A la demande expresse du gouvernement belge, ils furent accompagnés
par deux officiers de l'état-major du général Daine ; mais le général Dibbets refusa d'entrer en communication avec ces officiers. (page 36) Cette seconde mission, qui avait
aussi pour but d'intercéder en faveur d'un Belge condamné à mort par le conseil
de guerre de Maestricht, fut couronné de succès. Le canal fut réparé ; les
volontaires furent retenus sur la rive droite de
MM. Abercrombie et
White furent les premiers étrangers qui pénétrèrent dans la forteresse depuis
la révolution, et ayant profité de la permission que leur donna le gouverneur
de visiter la plus importante partie de ses travaux de défense, ils purent se
convaincre des mesures judicieuses adoptées par le général Dibbets
pour la sûreté (page 37) intérieure et
extérieure de la place. Malgré la grande étendue des fortifications, la
faiblesse relative de la garnison et l'esprit hostile d'une population
nombreuse, Dibbets, soldat brave et déterminé, avait
réussi à pouvoir défier toute attaque du dehors et toute trahison au dedans (Le nombre de
la garnison était d'à peu près 5,500 hommes, y compris un escadron de
cuirassiers. La population de Maestricht peut être évaluée à environ 20,000
habitants). Les
mesures qu'il avait adoptées étaient simples et efficaces. Les portes et la grand'garde avaient été transformées en blockaus,
avec des épaulements pour l'artillerie, des palissades et des meurtrières
pour la mousqueterie. Les principales rues, aboutissant aux casernes, à la place
d'armes et aux magasins, étaient fermées par de fortes barricades. Une partie
des remparts était convertie en ouvrages d'attaques contre la ville ; le pont
sur
Mais les empêchements les plus sérieux à la
solution pacifique de la question batavo-belge
consistaient dans les discussions relatives au Luxembourg. Les prétentions des
Belges étaient diamétralement opposées aux vues et aux déclarations des grandes
puissances ; ils réclamaient cette province comme une partie intégrante de
On soutenait en outre que par une loi du 9
vendémiaire an IV (octobre 1795), le Luxembourg avait été uni à la France, sous
le nom de département des Forêts, non comme province séparée, mais comme partie
intégrante de
(page 40) Il était
également évident, par la lettre du 3e article du traité de Campo-Formio,
ratifié par le 2e article de celui de Lunéville, par lequel l'empereur
« renonçait pour lui-même et ses successeurs à tous ses droits et titres
sur ses anciennes provinces belges, connues sous le nom de Pays-Bas
autrichiens, » que le cabinet de Vienne n'avait pas fait d'exception pour ce
qui regardait le Luxembourg, mais l'avait compris sous la dénomination générale
de provinces belgiques. De plus, par le 8e article du premier de ces traités
et le quatrième du dernier, la France prenait pour elle-même tous les
engagements contractés par ces nouvelles acquisitions envers leurs anciens
souverains, à la charge du pays en général, sans distinction de provinces. Le
même principe avait été suivi par le gouvernement néerlandais, selon le traité
du 11 octobre 1815, et ces engagements avaient alors été désignés sous le nom
de dette austro-belge. Tels étaient les principaux arguments présentés pour
démontrer que le Luxembourg avait été identifié avec
D'autres faits étaient encore avancés pour
prouver que les relations du Luxembourg avec la diète germanique ne
détruisaient pas cette ancienne homogénéité. A l'avènement du roi Guillaume, un
arrêté royal du 22 avril 1815 ordonnait la révision de l'ancienne loi
fondamentale hollandaise, et déclarait (art. 2) que « le grand-duché de Luxembourg,
nonobstant ses rapports particuliers avec la confédération germanique, pourrait
être considéré comme formant une partie intégrante du royaume, en tout ce qui
concernait la représentation et les institutions législatives. » Une
proclamation du roi, en date du 24 août de la même année, annonçait la sanction
royale et l'acceptation de la loi fondamentale, révisée et renfermait les votes
des Luxembourgeois dans la liste générale, tandis que, si ces provinces avaient
formé un état séparé, il eût été nécessaire d'établir une classification
distincte (Par
le 29e
article de la loi fondamentale, il était établi que le roi des Pays-Bas ne
pouvait pas porter une autre couronne ; en conséquence, le grand-duché ne
pouvait pas former un état à part sans une violation directe de la constitution). Non seulement le Luxembourg était assimilé, sous tous
les rapports, aux autres provinces, par la loi fondamentale, mais pour le
garantir contre la possibilité d'un démembrement à la mort du roi, par suite
des prétentions que le prince Frédéric aurait pu élever sur le grand-duché,
comme apanage héréditaire, en échange des quatre états de Nassau cédés à
Ces arguments, quoique puissants et bien
fondés, ne furent pas admis par les grandes puissances. Sans vouloir entrer
dans des recherches historiques, ou contester les principaux faits avancés par
les Belges, elles objectaient que, quoique le grand-duché pût, pendant
plusieurs années, avoir fait partie de
Se fondant sur ces prémisses, la conférence
trancha la question, en adhérant aux premier et second articles des bases de
séparation, annexées au protocole du 27 janvier, et déclarant péremptoirement
que «
Les discussions irritantes, qui ont eu lieu à
ce sujet, jointes à la détermination avouée des Belges, de ne pas se soumettre
à cette décision, en abandonnant leurs frères du Luxembourg, avaient longtemps
occupé l'attention de la diète, qui, dans sa première décision du 21 octobre
1830, avait résolu que« chaque état de la confédération devrait, en cas de
nécessité, donner assistance aux autres, autant qu'il le pourrait sans danger
et sans compromettre le salut de ses troupes. » Jusque-là la situation
intérieure de l'Allemagne (page 46) avait été
telle qu'elle n'appelait pas l'attention exclusive des différents
gouvernements. Mais l'aspect des affaires devint si sérieux dans le Luxembourg,
les menaces des Belges si peu équivoques, et les appels du roi des Pays-Bas si
précis, que l'ordre avait été donné d'assembler une armée fédérale de 24 mille
hommes (Extrait d'un
protocole séparé de la 9e
assemblée de la confédération des 17 et 18 mars 1831). Cette
force, consistant dans le 10e corps et dans la seconde division du 9e corps,
devait se tenir prête à « agir contre les insurgés et à s'avancer sur le
Luxembourg, pour rétablir l'autorité du grand-duc et occuper le pays, jusqu'à
la conclusion d'un arrangement définitif » (Le
10e
corps consistait dans les contingents du Hanovre, de Holstein, Brunswick, les
deux Mecklenbourg, Bremen
et Lubeck, formant un total nominal d'à peu près 30,000 hommes. Le 9e
corps était formé des troupes de
Comme mesure préliminaire, le roi fit une
proclamation, le 15 février, pour en appeler à la fidélité des habitants et
leur expliquer la position particulière du grand-duché relativement à la
confédération, établissant que la direction de leurs affaires serait
immédiatement placée sous une administration particulière, présidée par le duc
Bernard de Saxe-Weimar, et qu'une nouvelle loi (page 47) fondamentale et un nouveau système de
taxes, appropriés à leurs habitudes et à leurs ressources, seraient promulgués,
promettant amnistie et protection à quiconque renoncerait à ses erreurs,
menaçant les réfractaires de peines sévères, et enfin annonçant l'arrivée
prochaine de l'armée de la confédération, destinée à soutenir le
gouverneur-général dans toutes ses opérations, tendant au rétablissement de la
tranquillité et de l'ordre légal. A cette proclamation était jointe une autre
du duc de Saxe-Weimar, qui arriva à Luxembourg le 4 mars, ayant été
escorté depuis Trèves par un corps nombreux de troupes prussiennes. Aucun de
ces documents ne produisit son effet. Pas un seul habitant en dehors du cercle
de la forteresse ne revint à l'obéissance. La célèbre contre-proclamation du
régent produisit un effet tout à fait différent.
Cette déclaration hardie et énergique causa une
sensation extraordinaire dans le Luxembourg et même en Hollande ; elle amena
une note de M. Falck à lord Palmerston, datée du 23 mars, dénonçant la
proclamation du régent comme « la preuve indubitable des projets
d'agression des Belges, de leur mépris pour les volontés des cinq grandes puissances,
et de l'imminence des hostilités, » et demandant aux plénipotentiaires «
d'aviser (page 48) le plus tôt
possible aux moyens de fournir un corps auxiliaire de troupes pour la défense
du territoire hollandais, indépendamment des autres mesures que la conférence
pourrait adopter pour l'accomplissement prompt et entier des stipulations du 12e protocole, annexe A, auquel le
gouvernement des Pays-Bas avait déjà donné son adhésion pleine et
entière. » Les dangers qui menaçaient
Cependant les orangistes ne restaient pas
oisifs ; le refus du due de Nemours, l'attitude menaçante de la confédération germanique,
l'encouragement tacite de quelques-unes des grandes puissances, la faiblesse du
gouvernement du régent, les jalousies et la vénalité de quelques officiers
supérieurs, les sympathies mal cachées des autres, l'insubordination (page 49) de l'année, le manque total
d'homogénéité dans les différents départements d'administration intérieure, le
mécontentement du commerce et de l'industrie, la réception de fortes sommes
destinées à la corruption ; toutes ces choses combinées donnèrent un nouvel
élan aux partisans du prince, et amenèrent le projet du mouvement de mars.
Les ramifications de ce complot étaient plus
étendues que celles de la conspiration Grégoire ; car il est hors de doute que
plusieurs personnes riches de l'aristocratie, que quelques officiers, ainsi
qu'une partie des capitalistes, manufacturiers et négociants d'Anvers, Gand et
Bruxelles, désiraient le retour du prince, non par suite d'un dévouement à sa
personne, mais par le désir de sortir promptement de l'état d'anarchie et de
ruine, auquel ils ne voyaient d'issue que par l'intermédiaire de la famille
d'Orange. Ils étaient encouragés dans ces idées par les assurances directes du
baron de Krudner, et par les avis indirects de la
mission britannique qui leur faisait entendre que ces vues coïncidaient avec
celles des quatre grandes puissances, lesquelles, quoiqu'ayant péremptoirement
refusé toute coopération active, profiteraient avec plaisir du succès d'une
première démonstration, pour reconnaître un choix qui détruirait la plus grande
partie des obstacles à une solution, et faciliterait l'arrangement des affaires
du Luxembourg, (page 50) en ce qui
avait rapport aux agnats de la maison de Nassau.
Les agents du prince cherchaient surtout à
multiplier le nombre de leurs partisans dans l'armée, à s'assurer la neutralité
sinon la coopération des gardes civiques, et à préparer l'esprit public pour le
mouvement, en distribuant des écrits et des placards anonymes en faveur du
prince, tandis que les journaux orangistes défendaient hardiment sa cause, dans
les termes les plus chauds. Aucun effort, aucun moyen de corruption n'étaient
omis pour obtenir l'assistance de ceux qui avaient de l'audace et pour
entraîner l'adhésion pacifique des hommes timides. Ces derniers étaient, sans
contredit, les plus nombreux, car personne, excepté les généraux Van der Smissen et Nypels, les colonels Borremans et Edeline et quelques
autres de grades inférieurs, ne fut directement compromis ; de violents
soupçons atteignirent quelques individus qui, en cas de succès, étaient prêts
peut-être à déserter la bannière nationale, aussi promptement qu'ils avaient
déserté celle du roi. Moins aventureux, mais plus adroits que leurs camarades,
ils se préparaient à passer du côté du prince, ou à promettre leur fidélité à
la révolution, selon l'issue des événements. C'est ainsi que, comme presque
toujours, les principaux instigateurs parviennent à échapper, tandis que leurs
agents, parmi lesquels (page 51)
nous citerons Borremans, sont les seules victimes.
Le projet des orangistes n'était pas cependant
sans hardiesse ; s'il eût été fondé sur de justes espérances de coopération
générale, et s'il n'eût pas dû entraîner les plus affreux désastres, non
seulement pour
La conspiration devait éclater le 24 mars.
Mais, par le manque d'accord et de discrétion de quelques-uns des chefs, la
timidité et la froideur des autres, par la vigilance de l'association
patriotique et plus tard par les révélations d'un officier d'état-major, qui
avait été admis dans le complot, le secret fut divulgué, et des mesures
vigoureuses furent adoptées pour atteindre les conspirateurs. Des ordres furent
donnés aussitôt d'arrêter Van der Smissen, Nypels et plusieurs officiers de lanciers, tandis que Borremans, livré par ses propres soldats, faillit tomber
victime de la fureur du peuple, dont l'exaspération était montée au plus haut
point. Van der Smissen, ayant été averti à temps, se
sauva à Aix-la-Chapelle, où il fut rejoint par trois ou quatre autres
conspirateurs de moindre importance ; telle est la relation le plus
généralement admise de cette conspiration.
Indépendamment des conséquences effrayantes qui
pouvaient en être la suite, même si elle eût eu un succès partiel, il résulte
évidemment d'un examen attentif, que les ressources des orangistes n'étaient
pas en rapport avec le but qu'ils voulaient atteindre, et que la cause du
prince était (page 54) essentiellement anti-nationale. La coopération active d'un petit nombre
d'officiers supérieurs et l'adhésion passive des autres étaient peut-être
assurées ; mais presque tous les officiers des grades inférieurs et la plus
grande partie des troupes étaient chaudement attachés au nouvel ordre de
choses. Les chefs de la conspiration étaient si convaincus de ce fait, qu'ils
jugèrent même prudent de ne point faire connaître le complot aux officiers
subalternes et aux soldats de la cavalerie et de l'artillerie, qui passèrent la
nuit du 23, prêts à faire un mouvement de Malines sur Bruxelles. Il n'existait
ni unité, ni confiance, ni plan combiné parmi les chefs, qui ne pouvaient en
outre compter sur leurs soldats. L'argent avait été répandu abondamment, les
promesses prodiguées en retour ; mais quand le moment de l'action approcha, il
se trouva à peine 12 hommes qui fussent préparés pour faire face au danger.
Quelques-uns, par manque de courage, d'autres, dans la crainte d'exciter la
guerre civile. Et les masses, qu'on avait assuré être prêtes à tirer le glaive,
n'existaient que dans l'imagination des chefs du complot.
Tout semblait dépendre de l'influence de Van
der Smissen sur la garnison d'Anvers et de celle de
d'Hoogvorst sur la garde civique de Bruxelles. Mais
la conduite de l'un n'était pas propre à commander le respect et la confiance,
tandis que (page 55) l'autre, dont
le nom populaire avait été mis en avant pour entraîner la garde civique,
désavouait toute participation au complot ; quoique, par des motifs de
générosité, il eût promis de ne pas divulguer les propositions qui lui avaient
été faites. En outre, le clergé, la noblesse catholique et la population,
stimulés et excités par l'association, étaient furieux contre les orangistes,
et se seraient, sans aucun doute, levés en masse. Ainsi des scènes sanglantes
et l'anarchie s'en fussent suivies et eussent entraîné à leur suite des maux
incalculables. Le pillage de la maison de M. Mathieu et la destruction d'autres
propriétés sont des preuves effrayantes de la facilité avec laquelle la
populace pouvait être entraînée aux derniers excès.
L'attention des partisans du prince était aussi
principalement dirigée vers la conquête de la capitale. Ils disaient, que
Bruxelles ayant donné le premier signal de la révolte et étant le foyer central
de la révolution, les provinces suivraient encore son exemple dans l'événement
d'un changement politique. Calcul erroné ! car, en
admettant que Bruxelles, Gand et Anvers eussent ouvert leurs portes au prince,
il est incontestable que Liége, Verviers, Mons et Bruges, avec la plus grande
partie des Flandres, tout le Hainaut et le pays wallon, eussent arboré le
drapeau français, plutôt que de se soumettre à la domination d'un membre de la
famille expulsée. Une guerre (page 56)
civile opiniâtre eût préludé à une guerre générale. Mais un des plus sérieux
obstacles à la réussite de ce plan était dans l'opposition décidée du roi
Guillaume lui-même, qui, loin de montrer la moindre disposition à renoncer à
ses droits en faveur du prince, opposait tous les obstacles possibles à ses
partisans, et déclarait hautement qu'il était décidé à ne jamais le
reconnaître. A mesure que l'époque à laquelle la conspiration devait éclater
approchait, les orangistes initiaient davantage à tous leurs plans l'envoyé
britannique. Dès lors, celui-ci dut prendre des mesures pour approfondir autant
que possible la nature de ces projets, peser les chances de succès ou de
défaite, et adopter la conduite la plus avantageuse aux intérêts de l'Europe,
auxquels ceux de la maison de Nassau étaient nécessairement soumis. Ici gisait
une des principales erreurs de ce parti. Le trait caractéristique de leur
politique étant l'égoïsme le plus complet, leur vœu apparent était d'identifier
l'Europe avec eux, au lieu de s'identifier avec l'Europe. Le bien-être et les
intérêts des autres Etats étaient pour eux matière de peu de considération ;
et, malgré leurs déclarations de désintéressement, il était évident, par la
nature des négociations, que les intérêts de la dynastie dominaient ceux de la
nation.
Connaître la vraie position des choses par les
rapports d'hommes aussi aveuglés que les orangistes (page 57)
était difficile ; pendant longtemps, leurs représentations et leurs assurances
réussirent à tromper ceux qui étaient d'autant plus crédules que les assurances
données par les orangistes étaient d'accord avec les intérêts et les désirs du
gouvernement britannique. A la fin cependant la faiblesse et l'inefficacité de
leurs ressources furent connues ; l'état réel des sentiments publics devint
plus apparent, et l'abîme vers lequel ils marchaient en y entraînant eux et les
autres, apparut dans toute son horreur. Aussitôt que la vérité fut connue, le
premier devoir de lord Ponsonby, envers son
gouvernement et envers l'Europe (devoir qui était un acte d'humanité envers les
conspirateurs eux-mêmes), fut de retirer toute assistance à un complot qui
menaçait d'entraîner les conséquences les plus désastreuses, sans offrir le
moindre espoir de succès. Lord Ponsonby jugea
nécessaire de leur parler avec la franchise et la fermeté d'un homme d'état qui
avait su les démasquer. En conséquence, il se servit de toute son influence
privée ; car son caractère officiel ne pouvait être mis en avant pour amener
ceux qui le consultaient à ne point plonger le pays dans une guerre civile
inévitable, ou, ce qui était encore d'une plus grande importance, de ne point
le jeter dans les bras de la France ; ce dernier malheur et tous deux peut-être
étant inévitables.
(page 58) Tel était l'état simple et clair de la
question. Le moment était critique, et le moindre délai pouvait amener l'issue
que lord Ponsonby avait pour objet spécial d'éviter ;
les orangistes, au contraire, de même que les républicains, étaient plus désireux
d'exciter que d'éviter une guerre générale ; ils la regardaient, en effet,
comme le plus sûr moyen d'amener une restauration. Mais qu'était-ce que les
intérêts de la nation ou de la dynastie comparativement à ceux de l'Europe !
Soutenir la dynastie aux dépens de la nation pouvait remplir les vues des
partisans du prince, mais c'eût été une maladresse et même un crime de la part
de l'agent britannique ; car ayant ainsi rempli ses devoirs consciencieusement,
et ayant jusqu'alors préservé
« II est facile, mais odieux (dit un publiciste
allemand éclairé) (« Abfall der Niederlande (séparation des Pays-Bas), par le docteur Friedlander. » Hambourg, 1833), de se cacher sous le voile de l'anonyme pour
attaquer les personnes dans ce qu'elles ont de plus cher : l'honneur. Cette conduite
est d'autant plus lâche qu'on ne peut en poursuivre la réparation. Aussi, tout
homme d'honneur se doit-il à lui-même et à la vérité de démasquer ces vils
calomniateurs. « (…) Absentem amicum - Qui non defendit
alio culpante (…) - Hic niger est, hunc tu, Romane, caveto. »
La lettre suivante du régent de
« Gingelom, près St.-Trond,
20 mars 1832.
« MONSIEUR,
« Je reçois à l'instant votre lettre du 19
mars, et m'empresse d'avoir l'honneur de vous répondre (page 60) que j'ai lu la lettre signée le ch. V. -, insérée dans le
Lynx, rapportée par l'Indépendant et dont vous m'envoyez une copie.
Je puis vous assurer, Monsieur, que tout ce qui a rapport à la prétendue
communication qui doit m'avoir été faite par lord Ponsonby
au sujet d'une pétition signée par plusieurs notables de Bruxelles, Gand et
Anvers, tendant à demander à la conférence de Londres le retour en Belgique de
la famille Orange-Nassau, est absolument faux. Je pense, Monsieur, que cette déclaration pourra vous
satisfaire, soit en ce qui vous concerne personnellement, soit comme ami de
lord Ponsonby. Je vous autorise, Monsieur, à en faire
l'usage que vous jugerez convenable.
« Signé, E. SURLET
DE CHOQUIER.
« A monsieur Charles White.
« P. S. Étant indisposé depuis une
quinzaine de jours, c'est avec la plus grande difficulté que j'ai pu écrire ces
lignes en faveur de la vérité. » (La lettre signée « le Ch.
V. - », à laquelle le régent faisait allusion, contenait une série de
diatribes violentes contre lord Ponsonby. Elle fut
non seulement réfutée par le baron Surlet, mais
victorieusement combattue dans plusieurs journaux étrangers par le docteur Friedlander).
Pendant les quelques jours qui suivirent la (page 61) découverte de ce complot, les
scènes d'anarchie, de terreur et de confusion qui eurent lieu à Bruxelles
dépassent tout ce que l'on peut s'imaginer. L'association patriotique, soutenue
par l'adhésion de presque toutes les personnes notables du pays, rédigea un
manifeste, dans les termes les plus violents, et s'arrogea une puissance qui
entravait complètement la marche du gouvernement, en exerçant une espèce de
terrorisme sur les esprits, qui rappelait les scènes effrayantes et
douloureuses de la première révolution française. Heureusement le sang ne fut
pas répandu ; la colère de la populace sembla se calmer par la destruction des
propriétés, et quoique les orangistes et même d'autres citoyens fussent encore
menacés par moments, l'orage se calma peu à peu et une sorte de tranquillité
apparente succéda à ces scènes de désordre.