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« Histoire
de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de
l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).
Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836
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TOME 2
CHAPITRE
NEUVIEME
Les Belges décident qu'il sera procédé à l'élection du chef de l'Etat. -
Le colonel Achille Murat. - Candidats au trône. - Les suffrages sont partages
entre les ducs de Leuchtemberg et de Nemours. -
Politique et intrigues du gouvernement français pour assurer l'élection du duc
de Nemours. - Conduite de lord Ponsonby et de M.
Bresson en cette occasion. - Lettres et notes du comte H. Sébastiani.
- Le duc de Leuchtemberg, dont la candidature est
accueillie favorablement par le peuple, est proposée
par M. Lebeau et soixante-quinze députés. - Le marquis de
(page 311) Il n'est rien peut-être dans toute l'histoire de ces temps,
de plus remarquable que les circonstances qui accompagnèrent les efforts des
Belges pour arriver à une solution sur la question de souveraineté.
(page 312) Mais la nation était tellement
convaincue de l'urgente nécessité de mettre fin aux intrigues et aux
dissensions des factions, elle était si lasse de l'incertitude
de sa position, et appréhendait tellement de tomber dans une anarchie complète,
qu'elle applaudit unanimement à la résolution du congrès d'en venir à une
prompte issue.
La diplomatie seule voyait avec
peine cette détermination, et songeait à mettre des obstacles à une solution
immédiate, mais par des motifs très différents, et qui faillirent interrompre
cette bonne intelligence qui était le but avoué des grandes puissances.
Cependant la difficulté ne
consistait pas tant dans l'adoption de ce principe, que dans le choix de la
personne destinée à monter sur le trône. Tous étaient unanimes sur le point
d'exclusion, tandis qu'ils différaient sur le choix de la personne. L'élection
la plus convenable pour tout (page 314)
le pays, était sans aucun doute celle du prince Léopold de Saxe-Cobourg
; mais
Un pas immense avait cependant déjà
été fait, pour conserver l'harmonie, par l'extension du veto d'exclusion non
seulement « à tout prince des familles régnantes, dans les cinq états dont les
représentants étaient assemblés à la conférence de Londres (Protocole
(n° 14) du 1er
février 1831), » mais au duc de Leuchtemberg (Auguste-Charles-Eugène
Napoléon,
fils d'Eugène de Beauharnais, né le 9 décembre 1810, mort prince de Portugal et
époux de dona Maria, le 28 mars 1835). La parenté de ce dernier avec la
famille de Napoléon était faite pour réveiller les intrigues des bonapartistes
et pour remplir
(page 316) Les remontrances ou les intrigues des différents cabinets
furent cependant une barrière insuffisante contre l'impatience des Belges. En
conséquence, le 19 janvier, après plusieurs jours de débats préparatoires sur
la question d'urgence, le jour pour l'élection finale fut irrévocablement fixé
par le congrès au 28. Dans la même séance, il fut résolu que la légation à
Paris consulterait le cabinet français « sur différents points commerciaux et
politiques qui avaient rapport au choix du chef de l'Etat, » tandis qu'une
proposition semblable relative à
A peine la question du choix du
chef de l'Etat fut-elle sérieusement agitée, qu'une multitude de
compétiteurs à la royauté se firent connaître du public. Les prétendants, dont
les noms furent désignés à leur insu ou sans leur acquiescement, étaient
presque aussi nombreux que les députés destinés à faire l'élection. La France,
l'Italie, l'Allemagne et
En même temps, tandis que les prétentions
de quelques candidats populaires, spécialement du duc de Luchtemberg,
étaient chaudement défendues par la presse quotidienne, il y avait, entre
autres candidats, un prince d'une maison médiatisée insignifiante, le prince de
Salm (Le
prince Frédéric-Ernest-Othon-Philippe de Salm Kyrbourg,
de Aahaus en Westphalie), qui tâcha d'attirer l'attention
publique par des écrits et des (page 319)
avertissements, affichés sur toutes les murailles, dans lesquels il offrait
ses services, comme prince ayant toutes les qualités pour assurer
l'indépendance et la prospérité des Belges, et leur réconciliation avec les
grandes puissances. Mais, par une de ces contradictions capricieuses, qui
empreignent d'un si singulier caractère les événements de cette époque, tout ce
corps d'éphémères compétiteurs aux gloires orageuses de la royauté fut
abandonné, au moment de l'élection, excepté les deux que les grandes puissances
avaient expressément exclus. Alternative singulière ; car, comme M. Nothomb l'a
justement observé : « le duc de Luchtemberg était
essentiellement anti-français sans être européen, tandis que le duc de Nemours
était si exclusivement français, qu'il était par cela même directement
anti-européen. » L'un et l'autre avaient, en conséquence, été déclarés
inadmissibles par la conférence, les Belges ne pouvaient pas l'ignorer ; car,
quoique les protocoles du 1er et du 7 février soient postérieurs à l'élection,
ils furent avertis des intentions des grandes puissances par M. Bresson,
jusqu'à l'époque où il reçut des instructions pour encourager 1e choix du duc
de Nemours. Le même fait leur avait aussi été certifié par lord Ponsonby, dès le premier moment où la question fut agitée,
jusqu'à l'époque où le refus de Louis-Philippe ouvrit les yeux aux plus
incrédules. Le langage de lord Ponsonby, (page 320) qui fut si mal interprété par
les deux partis, n'avait jamais varié ; il fut toujours positivement négatif.
Le nom de l'archiduc Charles d'Autriche fut également mis en
avant ; mais outre que ce prince tombait sous l'exclusion du 14e protocole, il n'était considéré que
comme un manteau pour les partisans du prince d'Orange et pour ceux qui, étant
intimement convaincus que les deux autres candidats n'accepteraient pas, ou ne
seraient pas reconnus, votèrent en sa faveur, afin de diminuer le chiffre de
la majorité qui pouvait se prononcer
pour l'un ou pour l'autre.
La combinaison en faveur du fils de
l'illustre Eugène, fut en grande partie la création de M. Lebeau qui la proposa,. et fut soutenu par presque tous
les libéraux modérés et ceux qu'on pouvait considérer comme les plus
franchement attachés à l'indépendance du pays. Les réunionistes français, y
compris le peu de républicains et une partie du parti catholique, se rallièrent
autour du duc de Nemours, dont la souveraineté, si elle eût pu être compatible
avec la paix, eût été l'équivalent d'une vice-royauté française, avec cette
différence importante qu'au lieu d'admettre les Belges aux honneurs et aux
avantages d'une incorporation avec la France, elle eût exposé
A mesure que l'époque de l'élection
approchait, la conduite du cabinet français, qui jusqu'alors avait été franche
et honorable, donna lieu à de sévères critiques et fut, selon toute apparence,
entachée d'un défaut de sincérité et d'un désir de manquer à ses promesses. Il
fut accusé d'intriguer secrètement pour amener l'élection du duc de Nemours,
tandis qu'il assurait solennellement aux grandes puissances et aux envoyés
belges qu'il ne soutenait pas cette combinaison. Il refusa de souscrire au
protocole relatif aux limites territoriales de ce pays dont il pouvait devenir
possesseur par élection ou par une guerre, sous prétexte que la conférence
était une médiation, et toutefois il intervint péremptoirement par son
opposition à l'élection du candidat que le peuple affectionnait. Il désavouait
toute vue d'agrandissement, et proclamait la plus grande sympathie pour
Quelques-unes de ces accusations
étaient, sans aucun doute, fondées ; mais l'état critique de la France, à
l'intérieur, doit être admis comme une excuse de sa conduite peu franche au dehors ; (page
322) on pourrait dire qu'elle vivait au jour le jour, et incertaine du
lendemain. Dépendant de la force des événements, qui souvent dérangent les
systèmes, et à la merci de la volonté populaire, qui le dominait presque, le
gouvernement, balloté d'émeute en émeute, n'avait que
des intervalles de vie, et, à moins que le trône de juillet n'eût porté
l'abnégation jusqu'à l'imprudence, ou se fût résolu à suivre les destinées des
doctrinaires, il était de son devoir de se préparer à ce système d'agression,
qu'il aurait été infailliblement forcé de suivre, si le parti du mouvement eût
pris le dessus. Il était évident que son but, en encourageant le choix du duc
de Nemours, tout en donnant des assurances réitérées qu'il était opposé à cette
élection, n'indiquait pas la volonté d'accepter ultérieurement, mais celle
d'empêcher le succès du duc de Leuchtemberg, dont le
voisinage était considéré comme dangereux pour le repos intérieur de la France
et pour la consolidation de sa nouvelle dynastie. Dans la position où se
trouvait le cabinet du Palais-Royal, et par suite de l'irrévocable
détermination du roi de ne pas accepter la couronne pour son fils, l'élection
doit être considérée comme un acte de politique
adroite. Elle empêcha un mal grave et immédiat, et donna le temps de songer à
une combinaison plus convenable, qui ne demandait pour réussir que d'être
développée et sagement amenée.
(page 323) Par son refus d'adhérer au protocole du 27, sous le prétexte
que la conférence était une médiation, et en même temps, en intervenant
directement, en dénonçant l'élection du duc de Leuchtemberg
comme un acte hostile envers la France, le gouvernement de ce pays tombait dans
une contradiction évidente et coupable, mais fût demeuré neutre si les Belges,
sourds aux avis et aux remontrances, n'eussent pas été menacés, le fils de Beauharnais
eût été élu à une grande majorité. La France devait alors tirer l'épée ou subir
le voisinage d'un roi, qui en ralliant autour de son trône les esprits
mécontents de l'Europe, eût été un brandon perpétuel de discorde près de ses
frontières, et, sans offrir la moindre garantie à l'Europe, une source de
malaise et d'embarras, un instrument d'anarchie dans les mains des ennemis de
l'intérieur et du dehors. Dans l'état social et moral où le pays se trouvait
alors, il eût mieux valu pour Louis-Philippe abdiquer le trône ou jeter ses
armées en Belgique que d'admettre le contact d'un si dangereux voisin. Les
délais étaient sans doute périlleux ; l'anarchie pouvait et devait
infailliblement suivre, si le temps se fût prolongé ; des projets de conquête et
de partage peuvent même avoir existé. L'appât était tentant, et il était
difficile d'y résister en dépit des immenses risques qu'il fallait courir. Les
événements qui suivirent ont prouvé cependant que la profession
(page 324) de foi du gouvernement
français était sincère et honorable ; et comme, depuis,
En soutenant la cause de son
candidat favori, son habile défenseur faisait observer que trois combinaisons
seules étaient possibles, savoir : le prince d'Orange, le duc de Nemours et le
duc de Leuchtemberg. « Le premier (disait-il), doit
entraîner une guerre civile ; le second, une guerre générale et immédiate ;
mais avec le troisième, la guerre est tout au plus probable. Deux causes
peuvent néanmoins produire une conflagration immédiate ; l'une est certaine :
c'est une union directe ou indirecte avec la France ; l'autre est problématique
: ce serait une guerre entre les principes de liberté et ceux de l'absolutisme.
» Faisant ainsi allusion à l'élection du duc de Leuchtemberg,
en dépit des menaces faites par la France d'abandonner la cause de ce prince en
la soumettant au droit d'intervention. En ce qui regardait le prince d'Orange,
il n'était appuyé par aucun homme d'énergie ou de talent, tandis que toutes les
forces de la révolution se ralliaient autour de ses
compétiteurs, et, en ce qui avait un rapport direct ou indirect à l'union avec
la France, les conclusions ci-dessus étaient essentiellement
(page 325) justes. Mais on pouvait
objecter que l'hypothèse de l'élection des deux derniers princes, en ce qui
concerne ses rapports avec la guerre, aurait dû être inverse.
Le seul fait de l'élection du duc de
Leuchtemberg eût forcé impérieusement la France
d'agir selon ses déclarations, sous peine de déceler une faiblesse qui pouvait
lui être fatale. Si elle n'avait pas déclaré immédiatement la guerre, elle
devait au moins renoncer à toute relation amicale avec
Ce ne fut que peu de jours avant
l'époque désignée pour la discussion finale, que le gouvernement français,
paraît avoir agi en parfait accord avec les intentions générales des alliés.
Ainsi, ce fut seulement le 11 janvier que M. Bresson adressa au président du
comité diplomatique une note, établissant que l'élection du duc de Leuchtemberg jetterait
Un langage semblable avait toujours
été la réponse aux démonstrations antérieures faites pour entraîner le cabinet
français à revenir sur ses déterminations. La première de ces mesures, celle de
la réunion, n'avait jamais été mise en (page
327) avant, d'une manière officielle ou collective, ou
sanctionnée par le vœu national. Mais si le gouvernement français n'avait pas
été retenu par son désir ardent d'éviter la guerre, il pouvait facilement
profiter pour lui-même des importunités des émissaires belges, et, suivant
l'exemple de Danton, à la convention, il aurait pu interpréter les désirs
privés de M. Gendebien, coryphée des réunionistes, comme le vœu de toute la
nation. Quoique M. Gendebien ait été encouragé, dans sa combinaison favorite,
par
Une lettre, adressée à son gouvernement,
le 9 de janvier, par M. Firmin Rogier, agent diplomatique belge à Paris, place
ces matières sous le plus grand jour. Elle prouve que le comte H. Sébastiani avait péremptoirement déclaré « que les
objections du roi étaient irrévocables, que la France ne reconnaîtrait jamais
le duc de Leuchtemberg comme roi des Belges, que
Louis- Philippe ne lui donnerait jamais une de ses filles (page 328) en mariage, et qu'il n'avait
pas hésité à déclarer que, de toutes les combinaisons possibles, celle du jeune
duc de Leuchtemberg était la plus désagréable à la
France, et la moins favorable au repos et à l'indépendance de
Cependant, au lieu de produire
l'effet désiré, ces communications furent repoussées hautement comme une
violation directe du principe de non-intervention ; elles servirent à augmenter
encore l'entêtement obstiné de la chambre belge et des (page 239) associations patriotiques, et
à les confirmer dans leur détermination aveugle de ne suivre que leur volonté
dans le choix du souverain, résolution qui fut hautement applaudie comme une
preuve vigoureuse et nécessaire de nationalité et d'indépendance. En
conséquence, les partisans des deux candidats principaux redoublèrent d'efforts
et se divisèrent en deux camps ; chacun desquels prit conseil auprès des
envoyés de la conférence. Les partisans du duc de Nemours se ralliaient autour
de M. Bresson, et les amis du duc de Leuchtemberg en
appelaient à lord Ponsonby. Le vent de la faveur
populaire paraissait à la fin pousser ce dernier prince. Soixante-onze députés,
s'étaient déjà engagés à le soutenir ; des agents officieux furent envoyés à
Munich, pour le consulter. Un parti, principalement composé d'anciens
serviteurs de l'empire, travaillait pour lui à Paris, et pour encourager et
augmenter le nombre de ses adhérents, en Belgique, ils affirmaient hardiment,
dans les journaux, qu'ils avaient reçu une lettre autographe dans laquelle le
prince déclarait « qu'étant profondément touché de la preuve de confiance et
d'estime qu'on lui donnait, il regarderait comme un devoir d'accepter le
trône, s'il obtenait la majorité au congrès. » Cette assertion fut cependant
reconnue entièrement dénuée de fondement. Quel que puisse avoir été le désir
secret du jeune prince et de sa mère, (page
340) sous la direction de laquelle
il était encore, il s'abstint de toute communication directe, et recommanda aux
personnes chargées de cette négociation à Paris et à Bruxelles, d'éviter de le
compromettre par quelqu'assurance positive,
précaution d'autant plus nécessaire que le gouvernement anglais, qu'on
supposait si à tort favorable à cette combinaison, avait donné des instructions
à lord Erskine, son ministre à la cour de Bavière,
d'exprimer son improbation d'une manière non équivoque, tandis que l'envoyé
français avait l'ordre de présenter les remontrances de son gouvernement, dans
des termes encore plus énergiques. Détourné par ces considérations et par
d'autres puissants motifs, le prince, loin de consentir à accepter la couronne
à tout hasard, adressa au duc de Bassano une lettre, dans laquelle il déclarait
« que son acceptation serait subordonnée à la sanction du roi des Français, et
que l'intérêt de
Toutes les intrigues possibles
furent néanmoins employées pour lui procurer la majorité. Le comte de Méjean,
officier français depuis longtemps attaché à la famille Beauharnais, fut envoyé
de Munich à Bruxelles, où il demeura trois jours, et contribua largement à
fortifier les espérances des partisans du prince. Le nom de Leuchtemberg
était tracé sur toutes les murailles. La presse, (page 331) spécialement le Courrier, soutenait
sa cause avec enthousiasme, et déclarait que la volonté du peuple français
l'emporterait sur celle de son gouvernement, et le détournerait de l'idée d'une
intervention française. Son portrait était exposé dans tous les magasins, et
attaché à tous les arbres de la liberté. Des chansons en son honneur étaient
chantées dans tous les lieux publics. Son buste fut couronné et inauguré au
théâtre, au milieu des applaudissements les plus bruyants. Les estaminets
étaient pleins de ses partisans buvant à ses frais ; des processions précédées
de bannières et musique en tête, paradaient dans les rues, et s'assemblaient
tumultueusement dans les environs de la salle du congrès, en demandant son
élection.
De sorte qu'à moins que quelque
vigoureux effort ne fût fait par la diplomatie française, son succès était
inévitable. Cela paraissait d'autant plus probable que, par un changement
soudain et capricieux de l'opinion populaire, la conduite de ce même cabinet,
pour lequel le congrès avait récemment montré une sympathie si exclusive, était
maintenant l'objet des soupçons des représentants . et critiqué avec aigreur par la presse. Leurs sarcasmes
étaient principalement dirigés contre le comte Sébastiani,
qu'ils regardaient comme le plus grand ennemi de l'indépendance belge, et sur
le compte duquel ils s'exprimaient, (page
332) même en présence de M. Bresson, dans les termes
de l'aversion la moins déguisée (M.
Bresson se trouvait, un jour, à dîner chez le restaurateur Dubos ; une réunion
de patriotes discutait bruyamment le mérite de certains diplomates et par
dessus tout celui de Sébastiani, en des termes
extrêmement amers. Au moment où ils étaient sur le point de quitter la salle,
un d'eux, croyant peut-être qu'ils auraient été trop loin, s'approcha de M.
Bresson, et lui présenta quelques excuses, exprimant le désir qu'il ne
considérât pas cela comme une chose personnelle. « Je suppose qu'il n'y a rien
de personnel pour moi dans ce que vous avez dit (répondit M. Bresson avec le
plus grand sang-froid), car je pense que si vous aviez l'intention de
m'insulter, vous auriez au moins le courage de me le dire en face. » Son
interlocuteur le salua et se retira sans mot dire).
En dépit des soupçons d'orangisme,
dont la légation anglaise était l'objet, l'opinion populaire lui fut pendant quelque
temps favorable. M. Lebeau et plusieurs autres patriotes éclairés parurent
désirer établir des rapports qui avaient été jusque-là négligés par presque
tous, excepté par le parti anti-national. L'influence
anglaise gagnait imperceptiblement du terrain ; celle de la France diminuait en
proportion. Lord Ponsonby profita adroitement de ce
retour de l'esprit public, pour assurer ses relations avec les libéraux
modérés, et surtout avec M. Lebeau, chez lequel il avait tout d'abord découvert
plusieurs des qualités (page 333) essentielles qui devaient le conduire à une
position éminente dans le gouvernement futur de son pays. Ainsi, à l'exception
de MM. Van de Weyer, Charles
Le Hon, les deux de Brouckère et deux ou trois autres, M. Lebeau
était presque le seul homme qui s'annonçât avec évidence comme un homme destiné
à obtenir une prééminence politique et parlementaire.
En même temps, les rapports de M.
Bresson, sur les progrès de la combinaison Leuchtemberg,
éveillaient beaucoup d'inquiétudes à Paris et, à la fin, forcèrent le
gouvernement à adopter le seul moyen par lequel il pouvait se tirer de cet
embarras, sans troubler le repos de l'Europe. La plus grande adresse et la plus
grande promptitude étaient requises de la part des agents français ; mais pour
se garder contre toute possibilité d'indiscrétion, il était encore très
nécessaire pour ce gouvernement de cacher la nature réelle de ses intentions
ultérieures, procédé qui pouvait avoir les plus funestes résultats.
Des instructions furent, en
conséquence, envoyées à M. Bresson, pour assurer l'élection du duc de Nemours,
instructions qui furent suivies par lui avec tant de promptitude et de zèle,
qu'elles firent naître l'idée qu'il avait l'assurance d'une acceptation
immédiate. Cela dut être ainsi ; car, quoique dévoué aux intérêts de son pays,
quoique propre à remplir la mission diplomatique (page 334) la plus difficile, avec
adresse et habileté, M. Bresson avait l'esprit trop élevé et trop indépendant
pour se prêter, avec connaissance de cause, à l'acte de duplicité dont il était
l'instrument. Une maladie qu'il essuya, résultat de ses tourments d'esprit,
prouve assez combien il a dû souffrir du caractère équivoque qu'il avait été
obligé de soutenir. Quoiqu'on l'ait dénoncé d'abord comme ayant participé sciemment
aux manœuvres qui trompèrent les Belges, et quoiqu'on l'ait menacé de violences
sur sa personne, l'opinion publique a bientôt su distinguer l'agent de celui
qui l'employait et rendre hommage à son intégrité et à son caractère honorable (Telles
étaient les appréhensions pour la sûreté personnelle de M. Bresson, qu'un
Français, ancien courrier de cabinet, qui avait autrefois servi sa famille, le
supplia, les larmes aux veux, de quitter la ville en secret. L'animadversion
des Belges ne se manifesta, que lorsque le refus de Louis-Philippe leur prouva
qu'ils avaient été joués).
La froideur,
qui existait déjà entre M. Bresson et lord Ponsonby,
et qui avait sa source dans la politique mystérieuse et vacillante du
gouvernement français, s'augmenta des événements qui accompagnèrent l'élection
du duc de Nemours, pendant laquelle l'envoyé français, cédant trop fréquemment
à l'ardeur impétueuse de son caractère, ne parvint pas toujours à conserver le
(page 335) sang-froid et le calme si nécessaires en
diplomatie. Il était, dans cette qualité essentielle, inférieur à son collègue
anglais, qui, indépendamment de cette élévation de sentiments qui le rendaient
si remarquable dans les occasions ordinaires, paraissait gagner de la dignité,
du calme, à mesure que les difficultés s'amassaient autour de lui.
On doit cependant avoir beaucoup
d'indulgence pour tous deux. D'un côté, l'envoyé anglais ne pouvait pas
supposer que le cabinet français pût juger nécessaire de tromper son propre
agent. Pleinement convaincu aussi, que l'élection du duc de Nemours était
entièrement opposée aux vues de la conférence, dont lui et M. Bresson étaient
les envoyés spéciaux, lord Ponsonby était justement
surpris et indigné que son collègue prêtât tout son appui à une combinaison
qu'il considérait comme dangereuse et anti-européenne. Son étonnement augmenta
quand il apprit que M. Bresson avait assuré ceux qui lui demandaient conseil,
que l'acceptation immédiate n'était pas douteuse, quoiqu'il fût évident que
cette acceptation était de tout point incompatible avec la paix de l'Europe, et
une violation directe de tous les engagements pris antérieurement. Telles
étaient, en effet, les assurances données par M. Bresson jusque peu d'heures
encore avant la réponse définitive de Louis-Philippe. Preuve convaincante de sa
sincérité ; (page 336)
car le duc de Leuchtemberg ayant été rejeté, et les
maux si redoutés par le cabinet français ayant été victorieusement écartés, il
n'existait plus de raison de supposer qu'il persistât dans la mystification,
jusqu'à la dernière heure, s'il n'avait pas été lui-même complètement dupe.
Lord Ponsonby ne pouvant cependant juger que par les
effets, la froideur qui existait entre eux se changea en une rupture complète ;
et comme une coopération sincère était devenue impraticable, le rappel de l'un
ou de l'autre devenait indispensable. Lord Ponsonby
avait obéi aux instructions de la conférence ; M. Bresson les avait violées :
la justice demandait le rappel du dernier (Cette
nécessité devint d'autant plus impérative, que le gouvernement belge avait
appuyé le rejet de certains protocoles (20 janvier et 7 février) sur l'absence
de la signature de M. Bresson. Il est évident (disait M. Van de Weyer au
congrès, le 10 février) que lord Ponsonby ne peut
faire seul une communication au congrès. Lord Ponsonby
et M. Bresson sont les agents plénipotentiaires de la conférence de Londres.
Ils ne peuvent agir officiellement qu'ensemble ; et le comité
diplomatique ne peut reconnaître leurs communications comme officielles, que
quand elles sont signées par tous deux).
D'un autre côté, la malveillance et
le zèle excessif des parties adverses contribuaient à augmenter la
mésintelligence et à stimuler la jalousie de (page 337) M. Bresson envers la légation anglaise, en dépit
des efforts prudents et conciliatoires de M. Abercrombie,
secrétaire de la légation anglaise, agissant comme médiateur. Parmi d'autres
circonstances propres à exciter M. Bresson, il fut rapporté que lord Ponsonby avait non seulement soutenu le duc de Leuchtemberg, mais qu'il avait parlé avec confiance de sa
reconnaissance par
Tel était le langage tenu par
l'envoyé anglais et M. Bresson à tous ceux qui le consultaient. Ainsi, comme
Nullement découragés par les difficultés qui
les environnaient, lord Ponsonby et M. Bresson
poursuivirent fermement leur route : l'un avec un degré de zèle et d'énergie
qui donnait à cette affaire l'apparence d'une question de laquelle l'honneur de
son pays dépendait ; l'autre, avec cette froide pénétration d'un homme qui est
assuré que, si le grand but de son gouvernement (page 339) n'est pas atteint, l'insuccès amènera une autre
combinaison capable d'offrir toutes les garanties demandées par la conférence,
et propre à concilier les vues de la nation belge.
Craignant que les efforts de M.
Bresson ne fussent insuffisants, le cabinet français jugea prudent de lui
adjoindre un autre diplomate ; la personne choisie pour cette mission fut le
marquis de
« Paris, 27 janvier 1831.
« Monsieur,
« Je m'empresse de répondre à
votre lettre du 24. Le conseil du roi, dans sa réunion de ce matin, a été
unanime sur la nécessité de déclarer au gouvernement provisoire, que le cabinet
français considérerait le choix du duc de Leuchtemberg
pour le trône des Belges comme un acte d'hostilité envers
« Signé, H. SÉbasTIANI. »
Cette déclaration péremptoire, que
le comte Sébastiani, par un sophisme extraordinaire,
déclara après être un acte de non-reconnaissance et non d'intervention, était
trop positive pour ne pas produire l'effet désiré. En conséquence, des 71
députés qui avaient signé la proposition en faveur (page 341) du duc de Leuchtemberg,
4 revinrent sur leur proposition, tandis que ceux qui avaient réservé leur
vote, ou qui avaient l'intention de se prononcer pour lui, passèrent du côté de
son compétiteur. La discussion, qui commença le 28 janvier, continua jusqu'au 3
février inclusivement, jour où M. Bresson, qui n'avait passé que 24 heures à Paris,
communiqua cette fameuse note du comte Sébastiani à
laquelle on a si souvent fait allusion, et qui, adroitement produite au moment
des débats, servit à rallier plus d'un suffrage indécis, et à convaincre chacun
que la France était résolue de s'abstenir de toute intervention ultérieure.
« Paris, 1er février 1831.
« Monsieur,
« Si, comme je l'espère, vous n'avez
pas communiqué au gouvernement le protocole du 27 janvier, vous vous opposerez à
cette communication, parce que le gouvernement du roi n'a pas adhéré à ses
dispositions. En ce qui a rapport à la dette, de même qu'en ce qui a rapport à
la fixation des limites entre les territoires belge et hollandais, nous
regardons toujours comme nécessaire le libre concours des deux Etats.
« La conférence de Londres est
une médiation, (page 342) et
l'intention du gouvernement du roi est qu'elle ne perde jamais ce caractère.
« Signé, H. SÉbastiani.
« A monsieur Bresson. »
La communication de cette lettre
donna lieu aux plus vives démonstrations de satisfaction dans l'assemblée. Elle
était en effet admirablement calculée pour rétablir l'influence française et
pour faire croire que la France, ne partageant pas les vues et les principes de
la conférence, était disposée à coopérer avec
A mesure que la discussion
approchait de son terme, l'impatience et l'anxiété des députés, celles du
public qui encombrait les tribunes et les rues adjacentes, étaient montées au plus
haut degré ; la fluctuation et l'indécision de plusieurs membres étaient
cependant si grandes, même encore au dernier moment, qu'il était difficile de
prévoir le résultat, quoique M. Bresson, qui surveillait les événements avec la
plus grande anxiété, parût croire au succès. Le moment critique étant enfin
arrivé, les secrétaires tirèrent les noms de l'urne et les lurent à haute voix,
au milieu d'un silence inquiet. Aucun des candidats n'ayant obtenu la majorité
absolue au premier tour de scrutin, il fut nécessaire de procéder à un second.
Alors 8 membres, qui avaient auparavant soutenu le duc de Leuchtemberg
ou l'Archiduc, ayant reporté leurs votes sur le prince français, ce dernier fut
élu à la majorité d'une voix (Premier
scrutin : nombre
des votants 191 ; majorité absolue 96 ; pour le duc
de Nemours, 89 ; pour le duc de Leuchtemberg,
67 ; pour l'Archiduc, 35 ; absents. 9 ; total, 200. Second
scrutin : nombre des
votants, 192 ; majorité absolue, 97 ; pour le duc de Nemours,
97 ; pour le duc de Leuchtemberg, 74 ; pour
l'Archiduc, 21 ; absents, 8 ; total, 200.)
(page 344) Quoiqu'un grand nombre des partisans du duc de Leuchtemberg fût affligé de l'insuccès de leur candidat
favori, le peuple, toujours si versatile, accueillit le résultat du vote avec
les plus vives acclamations ; et lorsque les salves d'artillerie et le son des
cloches annoncèrent l'élection d'un roi, il s'empressa d'applaudir au choix de Louis-Charles-Philippe d'Orléans, comme il
aurait célébré celui du fils d'Eugène. Les marchands et les ouvriers de
Bruxelles, qui avaient tant souffert de la stagnation des affaires, voyaient
avec joie un événement qui présageait un retour vers la prospérité. Tout ce
qu'ils désiraient, était la tranquillité et la présence d'une cour, sans
s'inquiéter du prince qui monterait sur le trône. La joie du triomphe (page
345) brillait dans les yeux de M. Bresson et de son adroit collègue, qui se
rendit en toute hâte à Paris, pour y porter la nouvelle de l'heureuse
issue d'un des artifices diplomatiques les plus extraordinaires qui aient
jamais servi à tromper une nation ; cet artifice était peut-être blâmable en
lui-même, toutefois il a eu le mérite incontestable d'avoir maintenu la paix de
l'Europe. Ainsi, sous ce point de vue général, on peut l'excuser.
Dès que le congrès eut terminé la
grande œuvre de cette élection, il résolut le départ pour Paris d'une
députation de dix de ses membres, chargée de faire connaître ce choix à
Louis-Philippe, et de solliciter son acceptation ; elle n'était pas douteuse
dans l'esprit des députés qui partirent joyeusement pour remplir leur mission,
dès la matinée du 5. Ils arrivèrent le lendemain dans la capitale de la France,
où ils furent reçus avec la plus grande distinction et eurent pour résidence le
palais même du roi.
Il serait superflu de suivre les
négociations qui eurent lieu à Paris, pendant cette période. Qu'il suffise de
dire que la députation ne fut pas longtemps à s'apercevoir qu'elle s'était
bercée d'une fausse espérance, et que ni les intrigues du comte de Celles, ni
les remontrances du parti du mouvement, ni un stimulant d'ordinaire si
puissant, l'ambition, ne détermineraient Louis-Philippe à dévier (page 346) de sa politique pacifique. Cette conduite
honorable du roi des Français fut pleinement confirmée par son adhésion aux
protocoles des 1er et 7 février (n°14 et 15),
(le premier avait été signé par le prince de Talleyrand, ad referendum). Par
une coïncidence remarquable et inattendue, la presse parisienne, qui, à cette
époque, soutenait avec zèle le trône de juillet (car alors, le républicanisme
montrait à peine la tête), fut presque unanime pour approuver la résolution du
roi. Après plusieurs entrevues particulières dans lesquelles le roi et ses
ministres cherchèrent à adoucir un refus par l'expression de la plus vive sympathie
pour le peuple belge, la députation fut reçue, le 17, en audience solennelle.
Assis sur son trône, entouré de toute son intéressante famille, de ses
ministres et des officiers de sa maison, Louis-Philippe écouta avec émotion le
discours du baron Surlet de Choquier,
et ensuite prononça l'irrévocable fiat de refus, dans des termes bien
propres à émouvoir son auditoire ; il prouva ainsi qu'il savait sacrifier au
bien-être général de la France et de l'Europe, ses desseins d'agrandissement et
de gloire pour sa famille. Noble contraste avec les principes d'égoïsme qui
paraissent avoir guidé le chef de la dynastie des Nassau !
« Messieurs (dit le roi des
Français), si je (page 347) n'écoutais que le penchant de mon cœur, et ma disposition bien
sincère à déférer au vœu d'un peuple dont la paix et la prospérité sont
également chères et importantes à la France, je m'y rendrais avec empressement.
Mais quels que soient mes regrets, quelle que soit l'amertume que j'éprouve à
vous refuser mon fils, la rigidité des devoirs que j'ai à remplir m'en impose
la pénible obligation, et je dois déclarer que je n'accepte pas pour lui la
couronne que vous êtes chargés de lui offrir.
« Mon premier devoir est de consulter
avant tout les intérêts de la France, et, par conséquent, de ne point
compromettre cette paix que j'espère conserver pour son bonheur, pour celui de
Terminant ce discours par des
assurances d'amitié et de protection, Louis-Philippe descendit du trône, et,
prenant la main de Surlet de Choquier,
il s'écria : « Monsieur, c'est à la nation belge que je donne aujourd'hui la
main. Informez vos concitoyens, à votre retour, qu'ils peuvent se confier en
moi, et que je les supplie surtout de rester unis entre eux. » Conseil prudent
et paternel, trop peu suivi par la nation à laquelle il était adressé. La
députation prit congé alors, et retourna, le cœur plein de douleur, à Bruxelles
où, l'issue de leur mission étant déjà connue, une proposition avait été faite
de nommer un lieutenant-général.
Ainsi se termina ce remarquable
épisode, dans lequel les partisans du duc de Nemours contribuèrent à leur insu
au bonheur général ; les Belges étant ainsi placés dans une dangereuse
alternative, qui menaçait l'Europe des conséquences les plus désastreuses,
l'élection de leur (page 349) candidat doit certainement être considérée comme
le moindre des deux maux. Telle n'était pas l'opinion avouée de la diplomatie
anglaise dans ce moment, car elle fit tous ses efforts, elle employa tous les
arguments en sa puissance, pour faire échouer cette combinaison. Mais telle
était pourtant son intime conviction. La moindre divulgation de cette opinion
eût été très impolitique : c'eût été faire naître de fausses espérances chez
les Belges, encourager le gouvernement français à penser plus sérieusement à
l'acceptation, et fortifier ainsi l'hésitation qu'il montrait à donner son
adhésion au dernier protocole, objection qui déjà créait de grands embarras et
menaçait de conséquences désastreuses. Ce n'était donc pas tant l'élection à une
insignifiante majorité, que l'acceptation par le duc de Nemours qui était à
craindre. Les plus sûrs moyens de l'empêcher étaient de réduire la majorité aux
plus petites proportions possibles, et de convaincre l'esprit public que,
quoique l'élection de l'un des deux candidats fût chose dangereuse, celle du
duc de Leuchtemberg présentait le moins de dangers
immédiats.
La vraie position de la question a
été admirablement tracée par M. Nothomb. « Chacun (dit-il) sait quel a été le
résultat du choix du duc de Nemours. Les personnes impartiales pourront
demander quelles eussent été les conséquences de (page 350) l'élection
de son compétiteur. S'il eût accepté ou refusé, les conséquences eussent été
également désastreuses. Par son refus, le duc de Leuchtemberg
nous eût laissés dans le statu quo. Nous pouvions ainsi demeurer dans un
état de paix ; mais la nouvelle dynastie française eût eu un grief contre nous.
Cet acte d'hostilité eût été flagrant. personnel, et
peut-être les projets de partage eussent-ils rencontré moins de répugnance !
« En acceptant, en dépit de la
France et de la conférence, le duc de Leuchtemberg se
fût placé lui-même au ban de l'Europe, et fût devenu le représentant couronné
du système belligérant. Sa mission eût été noble et honorable ; car il se fût
trouvé à la tête d'un mouvement, qui peut-être eût changé le monde. Vaincu, il
fût tombé avec
Une grande leçon résulta de cet
épisode, et ne fut perdue ni pour
Les partisans du prince d'Orange
n'étaient pas oisifs. Une correspondance active était entretenue entre le
prince, encore à Londres à cette époque, et ses agents en Belgique et dans les
provinces rhénanes. Des émissaires étaient employés, du côté de Maestricht, à
Anvers et dans les Flandres, pour tâcher d'établir des relations avec les
troupes et leurs officiers supérieurs, dont quelques-uns n'étaient pas à l'abri
des séductions, et, quoiqu'ils se soient excusés d'avoir pris une part active à
ces menées, ils avaient promis solennellement le silence et la neutralité
d'abord, et une assistance active à une période plus avancée. Des tentatives
furent faites également pour séduire divers fonctionnaires civils par les
offres les plus avantageuses. Des pamphlets et des avertissements anonymes
furent distribués pendant la nuit. Les journaux orangistes affirmaient qu'il
était impossible que les princes français et bavarois acceptassent, que
l'anarchie était imminente, et proposaient hardiment leur candidat.
L'aristocratie orangiste redoublait ses intrigues, dans lesquelles elle était
soutenue par le baron de Krudner, qui était arrivé
avec une mission secrète de la cour de Russie. Enfin, aucun effort ne fut
épargné pour donner de la force et de la consistance à leurs complots.
(page 352) Indépendamment des efforts contraires de toute la puissance
des associations patriotiques, et de l'immense défaveur dans laquelle le nom
d'Orange était tombé dans le peuple, des obstacles sérieux empêchaient le
succès. L'un était le manque d'un chef de marque possédant une influence, une
énergie et un mérite qui le rendissent propre à se charger d'une tâche aussi
dangereuse et aussi difficile ; l'autre était le manque de fonds. Le premier
embarras ne fut jamais surmonté ; le second ne le fut pas assez pour les
exigences de ce moment de crise ; car les riches orangistes étaient aussi peu
disposés à sacrifier leur fortune que leur personne. Des efforts furent faits
pour amener le gouvernement britannique à avancer des subsides sur les fonds
secrets ; mais il résista fermement. Quoique le ministère anglais ne se fit pas
scrupule d'avouer sa prédilection, et quoique la grande masse du peuple anglais
fît des vœux sincères pour le succès de la cause d'Orange, chaque tentative,
pour amener le cabinet à dévier du principe de non-intervention, resta
infructueuse. Dans cette occasion comme dans toutes les autres, le nom de la
diplomatie anglaise fut impudemment cité et injurié. Ses sentiments et ses
expressions furent mal interprétés ; ses vœux passifs furent convertis en des
assurances d'assistance active. Son avis fut demandé, mais jamais suivi ; ses
avertissements furent méprisés ; elle fut (page
353) accusée d'abuser les partisans du prince, quand,
dans le fait, dès le premier moment jusqu'au dernier, elle fut elle-même
grossièrement trompée par des rapports exagérés sur leurs forces, leur
influence et leur unité. Tous les efforts possibles furent faits pour l'amener
à se compromettre par une démonstration ouverte ; mais heureusement elle vit le
danger de s'engager ainsi irrévocablement dans une entreprise impraticable.
Cependant des fonds furent fournis
et employés à gagner les classes inférieures, et à corrompre les classes
élevées. Mais le dévouement des premières finissait avec l'orgie dans laquelle
on les entraînait, et le courage des autres, quoique largement payé, ne se
montrait jamais à l'heure du danger. Quoique le caractère distinctif de la
faction des orangistes fût le manque d'union, de courage, de talent, de tout ce
qui est essentiel enfin pour entreprendre une tâche aussi hasardée que celle de
faire réussir la cause qu'elle soutenait, un homme se rencontra qui réunit à un
rare degré tout ce qu'exige le rôle de chef de parti.
Cet homme, nommé Grégoire, né
Français, depuis longtemps domicilié en Belgique, était sans fortune, d'un
caractère versatile, mais énergique, entreprenant et d'un courage indompté. Il
avait fait de bonnes études en médecine, et s'était livré successivement à la
médecine, au barreau, (page 364) au commerce et à la littérature. Mais il avait
échoué plus par sa conduite imprudente et irrégulière que par défaut de talent.
La révolution,
qui le trouva dans un extrême besoin pécuniaire, excita au plus
haut point ses espérances et son ambition ; l'anarchie lui ouvrit la voie de la
fortune. Il fut un de ceux qui, à l'approche du prince Frédéric, s'opposèrent
le plus fortement à la soumission. Pendant l'attaque, il combattit avec le
courage d'un lion, et fut récompensé par les épaulettes de lieutenant-colonel,
mais ni son ambition, ni ses besoins ne furent satisfaits. Il aspirait aux plus
grands honneurs et aux places les plus lucratives. Ses demandes furent
rejetées, et son mécontentement, éveillé par ce refus, se manifestait
hautement. Les chefs du parti orangiste en eurent connaissance et le
considérèrent bientôt comme l'instrument qui leur convenait pour arriver à leur
but. Des ouvertures lui furent faites et acceptées par lui. Ses goûts
dispendieux furent en partie satisfaits par des avances immédiates de fonds,
son ambition fut stimulée par des promesses de récompenses, et sa vanité
flattée par une correspondance directe avec le prince d'Orange, car ce dernier,
empressé d'assurer tous les auxiliaires possibles à sa cause, avait cru devoir
entrer en rapport direct avec plus d'un individu qui, dans d'autres
circonstances, n'eût pu aspirer à l'honneur de telles relations.
La lettre suivante fut trouvée sur
la personne de Grégoire, lorsqu'il fut arrêté à Eccloo,
petite ville de
« Londres, 14 janvier 1831.
« Colonel !
« J'ai reçu ce matin votre lettre par
M… Je pense que je ne puis mieux y répondre qu'en vous remerciant des
sentiments que vous m'exprimez, et du zèle que vous paraissez disposé à
déployer pour ma cause. La pièce ci-incluse contient ma profession de foi
politique (Le
document dont il est ici
question, est une copie du manifeste du prince, du 11 janvier) ; communiquez-la à mes partisans,
et prenez sur vous de tranquilliser les Belges, qui pourraient se considérer
comme trop fortement compromis, et qui pourraient craindre des réactions. Un
entier oubli du passé est garanti par l'espèce de manifeste que je vous
transmets ici. Vous savez que je n'ai jamais violé mes promesses.
« Signé, Guillaume, prince d'Orange. »
(page 356) Le moment de l'élection, ou plutôt celui de la confusion que
devait faire naître le refus présumé de Louis-Philippe, fut considéré comme
favorable pour une levée de boucliers en faveur du prince. Le commandement
séparé dont Grégoire était investi, dans les Flandres, pour tâcher de s'emparer
du territoire occupé par les Hollandais sur la rive gauche de l'Escaut, ou
protéger la frontière, lui donnait des facilités pour tenter une démonstration
à Gand, où était le grand foyer de l'orangisme.
Hardi, infatigable, intelligent,
Grégoire établissait aussi des relations avec un grand nombre de personnes
influentes dans cette ville ; il s'était en peu de temps assuré que des
mouvements simultanés auraient lieu à l'armée de
Ce partisan entreprenant ayant fait
les préparatifs, et communiqué ses plans à quelques-uns des (page 357) officiers de son corps, qui s'employèrent à
gagner les soldats et les sous-officiers, quitta Bruges, dans la soirée du 1er février, à la tête de 400 hommes.
Avançant rapidement sur Gand, il arriva le lendemain avant midi dans cette
ville, et y pénétra, sans la plus légère opposition de la part des généraux
Duvivier et Wauthier, quoiqu'ils fussent informés de
ses intentions, et eussent à leur disposition une garnison de près de 4,000
hommes. Ayant forcé la porte de Bruges, Grégoire divisa ses troupes en deux
colonnes ; en garda une sous ses ordres, et avança au pas de charge, en
poussant des cris de « Vive Orange .'» vers la maison du baron de Lamberts, gouverneur civil, tandis que l'autre, commandée
par le capitaine de Bast, se porta vers la caserne
des pompiers (Les
pompiers, dont il existe une compagnie dans toutes les principales villes de
Tout était tumulte et confusion dans
la ville, les tambours battaient la générale, le tocsin sonnait, et toutefois
les officiers commandant les (page 358) troupes ne firent pas un pas pour arrêter la
marche de cette poignée d'aventuriers, qui avaient réussi à pénétrer, les uns
jusqu'en présence du gouverneur, les autres jusqu'aux portes de la caserne des
pompiers. Mais Van de Poël, homme d'une grande
énergie, qui commandait ces derniers, parvint à rassembler une centaine de ces
hommes, saisit les chevaux de quelques chariots qui passaient, les attela à
deux pièces d'artillerie appartenant à son corps, les chargea à mitraille,
ferma les portes de la caserne, distribua des cartouches et fit tous les
préparatifs nécessaires pour repousser une attaque.
Trouvant les conspirateurs
chancelant dans leurs intentions, Van de Poël forma
ses hommes en colonne, et sortit avec ses canons. Après avoir brièvement
parlementé avec Grégoire et de Bast, qui lui
assuraient que la résistance était inutile, que Duvivier, de Lamberts, les troupes et la régence s'étaient déclarés
contre le gouvernement, et que 6,000 hommes marchaient sur Gand pour proclamer
le prince d'Orange, Van de Poël rejeta toutes les
ouvertures et ordonna le feu ; un combat sanglant mais court s'ensuivit. En
dépit des efforts des chefs, les troupes de Grégoire se rompirent. Se trouvant
attaquée en front par les pompiers, secondés par un feu de mitraille et de
mousqueterie ; exposée à être attaquée sur les derrières par la garnison, et
voyant le peuple tout (page 359) à fait passif, la plus grande
partie abandonna le champ de bataille et prit la fuite, laissant environ 80
tués ou blessés aux mains des vainqueurs. Parmi ces derniers était de Bast, qui s'était battu vaillamment. Grégoire, trouvant
toute résistance ultérieure inutile et se voyant abandonné par ses soldats,
s'élança sur son cheval et se dirigea vers Eccloo,
dans l'intention de fuir en France. Mais ayant été reconnu par le peuple, il
fut saisi, lié et reconduit à Gand, exposé aux injures et à l'exécration de la
multitude. Dans la suite, il fut, ainsi que plusieurs autres, jugé et acquitté,
non faute de preuves suffisantes de culpabilité (car, comme il avait été pris
les armes à la main, les lois des nations auraient justifié son exécution
immédiate) ; mais à cause de l'éloignement que les autorités éprouvaient à
verser le sang.
Ce mouvement n'a échoué que par
l'énergique résistance de Van de Poël et de ses
pompiers, par la fermeté de de Lamberts,
tous deux patriotes ardents, et exaltés catholiques. Car pas un homme de la
garnison ne se mit en mouvement, que quand le combat fut terminé ; et
quoiqu'une grande quantité d'argent eût été distribuée, la population demeura
neutre. Aussitôt que le gouvernement fut informé de cette affaire, il envoya
MM. Van de Weyer et J. Van der Linden, pour faire une enquête ; on découvrit
bientôt que le nombre des personnes plus ou moins (page 361) compromises était
si grand qu'on jugea plus sage de tirer un voile sur toute l'affaire, et de
feindre d'ignorer certains faits qui, s'ils fussent devenus publics, auraient
pu créer des embarras considérables au gouvernement, et montrer à l'Europe la
confusion et ce manque fatal d'unité, qui s'étaient emparés de toutes les
branches du service militaire et civil.
La régence fut cependant suspendue, et
un comité de sûreté publique fut nommé à sa place. Les officiers commandant
reçurent l'injonction d'être plus vigilants à l'avenir ; les troupes reçurent
des éloges pour leur patriotisme et pour être restées fidèles à la cause
nationale. Van de Poël et ses officiers furent
récompensés par des brevets, qui leur donnaient les mêmes droits que les
officiers de l'armée active. Grégoire, de Bast et
leurs compagnons d'infortune, qui avaient été retenus en prison, furent mis en
liberté, et purent quitter le pays. Ainsi se termina la seule démonstration
ouverte que les partisans du prince d'Orange eurent le courage de tenter
pendant toute la révolution (Grégoire
se retira en Hollande, où il lui fut permis de prendre rang dans l'armée ; et
il fut employé à former un corps de partisans) ; car, quoique la conspiration du
mois de mars suivant fût plus étendue, et quoique les noms de Van der Smissen et autres d'un rang égal, (page 361) fussent compromis, elle manqua totalement d'unité
de dévouement, de combinaison de discrétion, échoua avant d'être parvenue à
maturité, se termina par l'arrestation ou la fuite des chefs, et sans qu'il ait
été versé une goutte de sang.
Tandis que ces choses se passaient à
Bruxelles et à Gand, un événement qui eut lieu à Anvers était bien propre à
exciter l'ardeur et le patriotisme des Hollandais, et à ajouter un exemple de
plus de dévouement sublime à ceux qu'offre si souvent l'histoire de leur brave
marine. La flottille de canonnières, qui avait été obligée de se mettre à
l'abri des glaçons, en se
réfugiant dans le port, ayant repris sa station en face de la ville, un de ces
bâtiments, commandé par le lieutenant Van Speyk,
perdit ses ancres, par suite d'un violent coup de vent, dans la matinée du 5
février, et fut poussé sous les batteries du fort St.-Laurent, situé au nord
des bassins. Les efforts infructueux de l'équipage, pour éviter de se jeter à
la côte, ayant été aperçus par le peuple qui se trouvait sur le quai, et qui
devina le sort qui attendait ce bâtiment, il se fit sur ce point un immense
rassemblement, parmi lequel était une compagnie de volontaires belges, qui, au
moment où le navire toucha le rivage, se porta en avant, les uns pour en
prendre possession, les autres pour protéger l'équipage contre toute insulte.
L'officier commandant les
volontaires, ayant (page 362) adressé quelques mots au lieutenant hollandais, celui-ci les
prit à tort pour l'ordre d'amener son pavillon, et il forma à l'instant la
résolution désespérée de se sacrifier avec ses marins et son bâtiment, plutôt que
de se rendre, résolution extravagante et que rien ne justifiait. Sans
communiquer ses intentions à personne, si ce n'est à un matelot qui l'avait
suivi sous le pont, il entra dans la cabine, sous prétexte de sauver ses
papiers, ouvrit la soute aux poudres, plaça un cigare allumé sur un des sacs,
se mit à genoux comme pour prier, et attendit ainsi sa destinée. Son compagnon,
atterré, avait à peine eu le temps de remonter sur le pont et de se jeter dans
la rivière, qu'une commotion terrible ébranla toute la ville, et, en un
instant, il ne restait d'autre vestige du bâtiment que quelques fragments
épars, qui avaient été lancés à une grande distance sur le rivage ou qu'on
voyait flotter sur la rivière. De 31 hommes qui se trouvaient sur le bâtiment,
3 seulement échappèrent ; les corps mutilés des autres furent entraînés par le
courant, ou rejetés sur le rivage au dessous de la ville.
Justement fiers du dévouement, sans
doute héroïque, mais inutile de leur jeune compatriote, les Hollandais
élevèrent un monument à sa mémoire, et, pour perpétuer dans la marine le
souvenir de sa mort glorieuse, le roi ordonna qu'un vaisseau de guerre porterait son nom.
(page 363) Nonobstant la gravité des questions qui avaient occupé
l'attention du congrès belge pendant le dernier mois, il n'avait pas négligé un
autre sujet d'une importance vitale pour la nation. Après plusieurs séances
d'une discussion fatigante, il termina la révision de la constitution, et
proclama son adoption définitive et unanime, le 7 février. Cette charte, divisée
en 8 chapitres, consistant en 189 articles, consacre les principes les plus
larges de la liberté civile et religieuse. Elle garantit la liberté de la
presse et des cultes, le jugement par le jury, l'abolition de la mort civile,
l'inviolabilité du domicile, le droit d'association politique, celui de
s'assembler sans armes ; elle détermine la nature de la représentation
nationale et définit les attributions de la couronne, laquelle, en ce qui
regarde le droit de succession, est soumise à la loi salique ; elle proclame
l'inviolabilité du roi, la responsabilité des ministres, l'inamovibilité des
juges, et contient un grand nombre de dispositions assez libérales pour
satisfaire aux prétentions les plus exagérées.
Au premier coup d'œil, cette
constitution paraît conforme à tous les principes d'équité, d'accord avec les
besoins du pays, les progrès de la raison et des lumières à l'époque actuelle.
Elle garantit même largement toute espèce de liberté, et consacre pleinement
tous les principes de droit public et privé ; mais, par un examen attentif, on (page 364) peut trouver qu'elle est plus
faite pour une république que pour une monarchie, et qu'elle a été rédigée sous
l'influence d'un sentiment de défiance et de jalousie contre les prérogatives
de la couronne, de manière à rendre une extension de la puissance royale et
diverses autres modifications presqu'inévitables. L'expérience, ce grand
régulateur de toutes les conceptions humaines, a déjà fait paraître
quelques-uns de ses vices ; le temps et la consolidation de la nationalité
pourront seuls apporter les améliorations désirées.