Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et liens Note d’intention
« Histoire
de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de
l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).
Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836
Chapitre précédent Chapitre suivant Retour à la table des matières
TOME 2
CHAPITRE
QUATRIEME
Démoralisation de l'armée. - Reddition des forteresses. - Forces militaires des
Hollandais. - Évacuation d'Ostende. - Aspect de Bruxelles après
les journées de septembre. - La légion belge parisienne. - Le gouvernement
provisoire étend son autorité par tout le pays. - Rappel de de Potter. - Son retour triomphal et sa chute. -
Portrait de MM. Jolly et Rogier. - Conduite des députés belges à
(page
86) La démoralisation que produisit sur les troupes hollandaises l'attaque
malheureuse de Bruxelles, gagna l'armée avec une rapidité à laquelle on était
loin de s'attendre. Partout où les soldats n'abandonnaient pas leurs officiers,
la populace, après une lutte de peu de durée, avait le dessus. Les généraux se
retirèrent dans les citadelles, où (page
87) privés d'approvisionnements et de munitions, et ne
pouvant compter sur l'obéissance des garnisons, ils étaient obligés de capituler,
étaient faits prisonniers ou conduits aux avant-postes hollandais. La ville
d'Ath, où la populace s'était soulevée, fut occupée le 27 par le baron Van der Smissen au nom du gouvernement provisoire. De cette
manière, un immense approvisionnement d'artillerie, de poudre et autres
munitions, tomba entre les mains des patriotes. En peu de jours, Mons,
Charleroy, Tournay et Ostende, les citadelles de Namur, Liège, Gand, Menin et
Ypres, ainsi que Courtrai, Bruges, Philippeville, Audenarde, etc., et leurs riches
arsenaux eurent le même sort. De sorte qu'en moins de trois semaines toute la
ligne de forteresses, à l'exception d'Anvers et de Maestriclit,
tomba au pouvoir des insurgés.
La défection gagnait tous les rangs et jusqu'aux officiers des grades
élevés. Afin de l'encourager, le gouvernement provisoire rendit un décret par
lequel il déliait les officiers de leur serment de fidélité au roi, et
promettait un avancement immédiat à ceux qui embrasseraient la cause nationale.
Les généraux-majors Goethals, Wauthier
et Daine, furent les premiers qui profitèrent du bénéfice de cette disposition,
et la rapidité avec laquelle se répandit la contagion de l'exemple fut telle
qu'en moins de dix jours, les officiers hollandais qui commandaient les corps
perdirent (page 88) toute
confiance dans les Belges et même dans leurs propres concitoyens. En effet, les
premiers n'attendaient que l'occasion pour déserter ; les autres, qui étaient
en minorité, s'attendaient à tout moment à se voir abandonnés ou même attaqués
par leurs camarades. Cet état de choses n'a pas peu contribué aux succès
extraordinaires remportés par les patriotes sur le duc de Saxe-Weimar et le
général Cort-Heyligers : le
premier, après quelques escarmouches, fut forcé de se retirer sur Anvers ; le
second, avec 8,000 hommes et 24 pièces de canon, fut contraint de rejoindre le
prince Frédéric, en prenant la route détournée de Wavre et de Jodoigne, et en
passant par Tervueren et Cortenberg,
après avoir été repoussé d'Oreye, Louvain et
Tirlemont. Singulière manœuvre, lorsque tout le pays lui était ouvert du côté
de Diest et Gheel, et lui permettait de rejoindre
immédiatement le corps principal qui avait alors pris position sur la rive
gauche du Rupel et des Deux-Nèthes, et qui avait tout
intérêt à éviter que son flanc gauche ne fût tourné par les patriotes.
La désorganisation d'une armée aussi nombreuse et aussi bien organisée
que celle des Pays- Bas, est un événement assez important pour que nous
l'examinions avec attention. Mais la surprise qu'il doit naturellement causer
diminue, lorsque l'on considère combien les causes de mécontentement et
de désaffection étaient invétérées et répandues dans tous les rangs (Les
passages guillemetés sont extraits d'un article publié dans le United
service journal (n°
50 janvier 1833), par l'auteur).
« Au moment de l'attaque de Bruxelles, l'armée
néerlandaise consistait en 3 bataillons de grenadiers et 2 de chasseurs de la
garde, 18 régiments d'infanterie, 10 de cavalerie dont un (le 7e)
était à Java, 4 batteries d'artillerie de campagne, 6 d'artillerie de siége, 6 batteries d'artillerie légère, une du train, un
corps de pontonniers, 2 bataillons de sapeurs-mineurs, et enfin un escadron de
gendarmerie pour chacune des dix provinces méridionales, y compris le
grand-duché (L'emploi
de cette espèce de police armée étant contraire aux habitudes des Hollandais ne
fut pas introduit dans les provinces septentrionales). L'état-major sous les ordres du lieutenant-général Constant de Rebecque était nombreux et hors de proportion avec
l'effectif du reste de l'armée, formant un total de 77 bataillons d'infanterie,
72 escadrons de cavalerie, et 60 compagnies ou batteries d'artillerie, sans le
train, les sapeurs-mineurs et la gendarmerie, ce qui faisait en tout à peu près
90,000 hommes. »
Ces troupes, dont les deux tiers étaient constamment en congé sans
solde, étaient recrutées (page 90)
par un tirage au sort organisé d'après un mode plus analogue à celui de la landwher prussienne qu'à la conscription française. Tous
les hommes non mariés, depuis 19 ans jusqu'à 23 inclusivement, pouvaient être
appelés. Un cinquième de l'armée était renouvelé chaque année, la durée du
service étant de cinq ans. Les régiments d'infanterie étaient enrôlés par
cantons et districts, et restaient en garnison dans ces districts ou dans leur
voisinage immédiat, souvent pendant plusieurs années. La plus grande partie
n'avait en effet point changé de garnison depuis leur formation en 1816,
jusqu'à l'été de 1830. Ces mesures pouvaient être d'accord avec les principes
d'économie, en ce qui concernait les classes de miliciens appelées chaque année
pour les exercices ; car si les régiments wallons eussent été cantonnés dans
Mais ce système entraînait des inconvénients. En séjournant pendant tant
d'années dans les mêmes garnisons, les officiers et les soldats devenaient
apathiques, et n'acquéraient pas les habitudes (page 91) militaires. Ils considéraient leur garnison comme un
établissement à vie, et s'attachaient au sol ; ce qui tend toujours à affaiblir
la discipline et à détruire cette insouciance militaire, si essentielle pour la
facilité des mouvements et l'activité des troupes régulières. Les effets pernicieux
de ce système furent surtout sentis, quand la crise révolutionnaire vint mettre
l'énergie et la fidélité des troupes à l'épreuve.
« Les garnisons des différentes villes belges, étant ainsi composées
d'hommes des cantons environnants, étaient liées de parenté et d'amitié avec
les habitants. Ils avaient des amis et des parents parmi le peuple ; et les
deux tiers d'entre eux n'en étaient même séparés, chaque année, que pendant la
courte durée des exercices. Ils parlaient le dialecte de ces provinces, et il
fut ainsi plus facile de les convaincre qu'ils commettraient un crime envers
Dieu et leur pays, s'il répandaient le sang de leurs concitoyens.
Indépendamment du juste mécontentement répandu dans tous les rangs par la
partialité et l'injustice des Hollandais, on n'épargna aucun moyen, aucun
argument pour leur inculquer les doctrines de la révolte par l'intermédiaire
des prêtres ou des agents révolutionnaires ; on employait les menaces pour
ébranler les fidèles, tandis que ni cajoleries ni prières n'étaient épargnées
pour porter les dissidents à oublier leurs serments. Les fonds même (page 92) du
gouvernement et des caisses municipales servirent à soutenir ces tentatives de
séduction, un crédit ayant été accordé dans la suite aux différents
fonctionnaires pour les sommes ainsi dépensées.
« Mais quelqu'actives et bien concertées
qu'aient été ces machinations, le résultat doit être attribué plutôt à la
nature de la constitution militaire et à d'autres causes locales qu'aux efforts
du clergé et du gouvernement provisoire. La milice, dont les deux tiers
résidaient pendant onze mois dans leurs foyers, prenait part au sentiment
général d'hostilité dont la population était animée contre le gouvernement
hollandais. Quand les miliciens reçurent l'ordre de rejoindre leurs bataillons,
au moment de la révolution,
pour la combattre, leur cœur était déjà soulevé contre ceux
qu'ils étaient appelés à servir. La répugnance ordinaire qu'éprouvent les
recrues à quitter leurs foyers, s'accroissait de leur haine contre ceux qui les
appelaient aux armes. En faisant leurs adieux à leur pays, ces miliciens
sentaient que, s'ils remplissaient leur devoir, ils seraient probablement
contraints d'immoler les objets de leur affection, sur les ordres de chefs
étrangers qu'ils détestaient, et pour le triomphe d'un gouvernement qui ne leur
inspirait aucune sympathie. Espérer que de tels hommes pussent oublier tout à
coup les liens qui les unissaient au (page
93) peuple et voulussent prendre les armes pour combattre
contre les leurs, c'était trop demander à la nature humaine, c'était encourager
à la désertion. Aussi un grand nombre de miliciens trouvèrent plus simple
d'éviter cette position difficile, en ne rejoignant pas leur régiment,
préférant s'exposer aux peines infligées aux réfractaires, plutôt que de
prendre les armes contre leurs familles, ou de déserter les couleurs sous
lesquelles ils avaient été appelés à servir.
« La rapidité avec laquelle les garnisons belges disparurent,
excède toute croyance. Le récit des événements d'Ostende suffira pour donner
une idée des scènes qui eurent lieu partout. Au moment où les troupes royales
furent expulsées de Bruxelles, l'exaltation et la désaffection étaient portées
au plus haut point dans les Flandres. Mais Gand et les autres villes n'étaient
pas encore en pleine insurrection. Ostende était du nombre de celles qui
restaient encore fidèles ; sa garnison consistait en un bataillon du 6e
et quelques artilleurs. Leur vieux gouverneur, le général-major Schepern, était parvenu à réprimer deux ou trois
soulèvements partiels et à tenir les mécontents en échec, pendant trois jours ;
car jusque-là les miliciens n'avaient manifesté aucune disposition ouverte à
abandonner leurs couleurs, et avaient même, dans une occasion, fait un feu de
peloton sur les révoltés.
« Considérant que ces hommes étaient harassés par des patrouilles
et un service extraordinaires, et sentant l'importance qu'il y avait à ce
qu'Ostende tînt jusqu'au dernier moment, Schepern
demanda des renforts au général Goethals qui occupait
Bruges avec à peu près 1800 hommes, où il était aussi parvenu à comprimer les
mouvements populaires en faisant tirer en l'air. L'indifférence que montra le
gouvernement pour la conservation d'Ostende ne peut s'expliquer. La fatalité
qui s'attachait à toutes les opérations militaires ou politiques des Hollandais
peut seule avoir fait qu'ils n'aient pas envoyé des forces de Flessingue, soit
pour défendre la forteresse en cas de sédition, soit pour la reprendre après la
défection des troupes. Pendant plusieurs jours consécutifs, une poignée
d'hommes résolus pouvait la reprendre et la conserver, avec la plus grande
facilité, surtout si on les eût appuyés par deux ou trois bâtiments de guerre à
la côte et quelques canonnières dans les ports. Il est vrai qu'Ostende n'était
pas en état de soutenir un siége, la conduite
déloyale d'un ingénieur hollandais ayant rendu nécessaire d'abattre et de
rebâtir une grande partie des travaux de défense du côté de l'ouest. Mais il
était évidemment de l'intérêt du roi de faire tous les efforts possibles pour
conserver ou reprendre cette place, qui lui garantissait la possession de
« Goethals, dont la position à Bruges était extrêmement critique, abandonna cette
ville, le 1e octobre, et, arrivé aux portes d'Ostende avec à3bataillons,
il fut reçu avec joie par le trop confiant Schepern,
qui avait une foi entière dans son collègue et ses troupes. Mais à peine
eurent-elles atteint leurs casernes que des symptômes d'insubordination se
manifestèrent parmi elles, et vinrent prouver que l'esprit de mécontentement
les avait gagnées. La soirée se passa tranquillement ; mais, vers deux heures
du matin, les piquets de garde désertèrent leur poste ; tout le régiment se
révolta contre ses officiers et arracha la cocarde orange ; les uns
déchargeaient leurs fusils en l'air, les autres jetaient ou vendaient leurs
armes et couraient à travers les rues dans un état d'exaltation et d'ivresse
(car les émissaires du peuple leur avaient fourni de l'eau-de-vie) ; ils
remplissaient l'air des cris de « vivent les Belges ! mort aux Hollandais
! » Il est juste cependant d'observer que pas le moindre acte de violence
ou de désordre ne fut commis. Ils ne voulaient qu'abandonner leur régiment, et
cette volonté se fondait sur ce que le terme ordinaire de service était fini ce
jour-là ; et ce désir prit une force nouvelle par la présence fortuite dans la
rade d'un grand nombre de navires qu'on eut (page 96) l'adresse de leur faire prendre pour des bâtiments
hollandais chargés de les transporter en Hollande. Tout se passa si promptement
qu'à trois heures après-dîner, le même jour, les 4 bataillons avaient
entièrement déserté, sauf quelques officiers et sous-officiers et une
cinquantaine de vieux soldats. » Voyant qu'il était sur le point d'être
abandonné par les troupes, et averti du danger dont lui et ses compatriotes
étaient menacés par la populace, Schepern assembla
tous les Hollandais, à la nuit tombante, et leur donna des instructions secrètes
pour qu'ils se préparassent à une fuite immédiate. Un vaisseau ayant été
préparé, tous les Hollandais avec leurs familles, au nombre d'environ 120
personnes, s'embarquèrent à minuit pour Flessingue. Leur départ eut lieu à
propos ; car le jour suivant, les Belges, en dépit des capitulations et des
lois des nations, arrêtèrent les officiers hollandais à Mons, Tournay, Ypres et
ailleurs, de même que ceux qui traversèrent Bruges en retournant par l'Écluse
et Breskens en Hollande (La vigilance du peuple était telle, que ni les
voyageurs ni les courriers ne lui échappaient. Un Anglais, chargé de dépêches
de son gouvernement pour M. Carlwright à Bruxelles,
fut arrêté par la populace de Bruges et amené devant la commission de sûreté
publique qui, après s'être assuré qu'il n'était pas Hollandais, lui permit de
continuer son voyage).
(page 97) « Il serait
impossible, pour quiconque n'a pas été témoin de ces scènes, de se former une idée
de l'effet produit sur les esprits, par un spectacle si opposé à tous les
principes de devoir, de fidélité et d'obéissance qui distinguent les armées
régulières. L'explosion d'une bombe n'est ni plus soudaine ni plus irrésistible
que ne fut la dissolution de l'armée. Il est juste cependant de remarquer que
les officiers firent pour la plupart tous leurs efforts pour maintenir la
discipline dans leurs corps et versèrent littéralement des larmes de rage et de
douleur, en voyant une conduite si indigne de troupes disciplinées. Mais leurs
tentatives furent vaines. Ce ne fut pas seulement dans cette occasion que les
officiers belges obéirent aux lois de l'honneur qui doivent toujours être
sacrées et inviolables pour un soldat. Quelle que puisse avoir été leur
sympathie pour les opinions de leurs concitoyens, quelques vœux qu'ils aient pu
former pour l'indépendance de leur pays, ils restèrent pour la plus grande
partie fidèles au roi auquel ils avaient prêté serment, jusqu'à ce qu'une
proclamation du prince d'Orange leur donnât la liberté de continuer de servir
en Hollande ou de rejoindre l'étendard de leur nation.
« Il a été prouvé qu'aucun excès n'a été commis à Ostende ; et ce
qui n'est pas moins digne de remarque, c'est qu'en traversant le pays par
Bruges, Gand et Saint-Nicolas, jusqu'à
Mais
revenons-en à la capitale.
Au départ
des troupes royales, la partie supérieure de la ville offrait le plus triste
spectacle, contrastant de la manière la plus étrange avec l'aspect brillant
qu'elle présentait peu de jours auparavant. Les citoyens accouraient en foule
sur le théâtre du combat, frissonnaient et semblaient stupéfiés en voyant les
scènes que présentaient le Parc et les rues adjacentes. La transformation
soudaine de cette brillante partie de la capitale en un champ de carnage et de
désolation, leur semblait un acte incompréhensible et incomparable de barbarie.
Ceux qui naguère étaient indifférents sentaient leur cœur se soulever
d'indignation et d'animosité contre les Hollandais. Tout le poids de
l'exécration publique tombait sur le prince Frédéric et, dès ce moment, ce qui
avait été une simple opposition au système d'administration, se changea en
guerre irréconciliable contre la dynastie. La qualification d'orangiste devint,
dès ce jour, un titre de proscription.
(page 99) Dans le Parc, les statues, les arbres, les portes, les ornements étaient
renversés et détruits. Les promenades, les allées et les bas-fonds étaient
jonchés de fragments d'armes à feu, de débris d'affûts de canon, de lambeaux
d'uniformes et d'équipements militaires. Ici des chevaux tués et mutilés
obstruaient le passage, là un cadavre à demi dépouillé, gisait à côté d'une
douzaine d'autres couverts de quelques poignées de terre et de quelques
branches d'arbres. Ailleurs des traînées de sang marquaient la trace qu'avait
suivie un blessé en s'éloignant du champ de bataille, tandis que de profondes
empreintes dans le sable, et des mares de sang couvertes de myriades d'insectes
indiquaient la place où un brave avait rendu le dernier soupir.
L'hôtel Torrington (L'hôtel
Torrington, ainsi appelé parce qu'il a été la résidence de lord Torrington,
ambassadeur d'Angleterre auprès du gouverneur-général pour la maison
d'Autriche. Les bâtiments près du palais, de même que l'hôtel de M. Meeus et
les autres édifices, furent brûlés par la populace, pendant ou après le combat), les bâtiments contigus aux palais et ceux faisant face au jardin
botanique étaient convertis en une masse de cendre rouge. La magnifique maison
de M. Meeus était réduite en cendre. Son propriétaire, dénoncé comme orangiste,
fut obligé de chercher un asile (page
100) pour sa femme et sa famille à la campagne, tandis
qu'une populace, brutale et en furie, se livrait à tous les désordres, au
pillage, à la dévastation (La
perte de M. Meeus fut estimée à 1,500,000 fr. y compris 800 barils d'huile, qui
étaient dans ses celliers). L'hôtel de Bellevue et les bâtiments voisins étaient tellement
criblés de projectiles, qu'ils menaçaient ruine. Les bornes de grès et les
fortes chaînes, qui entouraient les trottoirs, étaient brisées ; les maisons
étaient traversées ou démolies par les boulets, les fenêtres brisées en mille
morceaux, les portes étaient en pièces, et l'intérieur ruiné ou entièrement
dévasté ; les murs et les parquets étaient couverts de sang. Les rues,
barricadées à toutes leurs issues, étaient pleines de volontaires armés dont
les cris discordants ne cessaient qu'en présence du cortège funèbre de quelque
camarade mort qu'on portait au lieu de sépulture des victimes, à la place des
Martyrs. Au milieu de ces scènes de désordre et d'exaltation, il est remarquable
que les palais royaux, qui offraient un appât si tentant à la vengeance
populaire, furent respectés. Il n'était pas moins curieux de voir le chef
patriote Van Halen qui, quelques jours auparavant, se contentait d'un modeste
logement dans quelque quartier éloigné, établi maintenant dans la résidence de
tout ce qu'il y avait de plus illustre et de plus élevé en (page 101) Europe ; et
là, entouré d'un nombreux état-major, distribuait ses ordres et donnait des
gouverneurs aux résidences royales. Et fort heureusement ! car il est probable
que les palais doivent leur conservation à son énergie et à sa fermeté, comme
le peuple dut la victoire à son courage et à celui de Mellinet,
Charlier et autres volontaires (Les
dépenses totales du quartier-général de Van Halen, pendant les combats et les
jours qui suivirent, n'excèdent pas 1,765 florins).
Comme l'odeur du carnage attire
les oiseaux de proie, le bruit de ces scènes sanglantes attirait en Belgique un
grand nombre d'aventuriers de toute espèce, qui y trouvaient à vivre à
discrétion, et qui, à l'occasion, imposaient aux villes de pesantes
contributions. Ces bandes étaient accoutrées de mille manières différentes ;
cependant la blouse faisait généralement le fonds de leur tenue. Elles
prenaient différents noms, tels que ceux de « légion belge parisienne, de «
légion belge anglaise. » Il y avait aussi « les Amis du peuple. » Ces bandes
audacieuses et désordonnées n'avaient du soldat que le courage ; car chez elles
point de discipline. Dans leurs rangs régnait une liberté qui allait jusqu'à la
licence.
Le gouvernement de fait établi à Bruxelles, procédant avec cette promptitude
et cette énergie qui caractérisent les époques révolutionnaires, avait pris le
titre de Gouvernement provisoire de
De Potter, qui avait été publiquement banni et (page 104) qui désirait d'être rappelé par un acte
qui annulât le jugement rendu contre lui, fut désappointé par ce rappel vague
et laconique. Néanmoins, il quitta, sans perdre de temps, Lille où il attendait
cette invitation, lorsqu'il eut connaissance du décret du gouvernement
provisoire. Il n'est pas d'exemple plus frappant de l'instabilité de la faveur
populaire que le règne de 47 jours de ce personnage célèbre. La description
suivante de son entrée à Bruxelles, extraite des notes d'un témoin oculaire,
est parfaitement exacte :
« L'immense popularité, à laquelle de Potter était arrivé, surpassait
tout ce qu'on avait vu de semblable jusqu'alors ; Vandernoot
même, en 1790, et le prince d'Orange, en 1815, avaient excité moins
d'enthousiasme. Sa marche, depuis Tournay où il fut reconnu, fut véritablement
une marche triomphale. Il parcourut les 20 lieues qui séparent cette ville de
Bruxelles, porté dans les bras des populations qui accouraient de tous côtés
pour le voir. Les bourgmestres, les différentes autorités, les sociétés
d'harmonie, se disputaient l'honneur de le recevoir et de lui servir d'escorte.
A Tournay, Leuze, Ath, Enghien, Halle, et enfin à Bruxelles, ses chevaux furent
dételés et sa voiture traînée par le peuple, malgré son (page 105) opposition réelle ou simulée. L'air
retentissait des cris de « vive la liberté ! vive de Potter ! vive le Lafayette
de
« II arriva à six heures à la porte d'Anderlecht, accompagné d'un
corps de volontaires armés, qui l'avait rejoint pendant la route, et il fut
reçu par un nombreux détachement de la garde civique, et plus de 20,000
citoyens. Il se rendit à pied à l'hôtel-de-ville, suivi d'une multitude
immense, et fut reçu par les membres du gouvernement provisoire qui
l'embrassèrent à l'étouffer, en le proclamant le principal auteur de la révolution. A
sept heures il se montra au balcon, d'où il harangua le peuple ; et un tonnerre
d'applaudissements accueillit ses paroles. » (Esquisse
de la révolution
de
Tel est le tableau exact de l'entrée de de
Potter à Bruxelles, telle fut sa popularité éphémère, popularité fondée moins
sur son mérite réel que sur les persécutions dont il avait été l'objet et les
louanges exagérées des journaux. C'est sans doute un homme d'un talent
incontestable, un jurisconsulte distingué, un écrivain élégant et caustique, et
un des apôtres les plus bruyants de la liberté et de l'égalité ; mais il était
connu comme un homme ambitieux et despote ; on savait qu'il aspirait au pouvoir
et que, bien qu'à la tête du mouvement, (page 106) il manquait du courage nécessaire pour l'exécution de
grands projets. Il se déclarait partisan de l'égalité de la propriété, et
cependant, jamais homme ne fut plus porté à augmenter sa fortune. Versé dans
l'histoire des révolutions anciennes et modernes, il aspirait à imiter Marius,
Sylla, Cromwell et même Robespierre. Mais il manquait de deux grands éléments
de succès, l'insouciance du danger et le mépris de l'argent. Il haïssait la
monarchie, et aimait la république, parce que, si grande que fût l'ivresse de
son triomphe, il ne pouvait jamais prétendre à la couronne, tandis que, dans
une république, il pouvait peut-être espérer la présidence.
Autant sa popularité fut grande et extraordinaire, son entrée triomphale
et environnée d'honneurs, autant sa chute fut rapide et son départ pitoyable.
L'homme qui, le 29 septembre, était au niveau de ce qu'il y avait de plus haut
placé en Belgique, frappé tout à coup par l'ostracisme de la nation, fut
l'objet de ces outrages dégradants qui attendent toujours les charlatans
politiques. Jamais idole du peuple ne vit succéder plus rapidement, au faux
éclat de la célébrité populaire, la nuit profonde de l'oubli. C'est à tel point
qu'on ne soupçonnerait pas son existence, s'il ne la révélait de temps à autre,
en publiant des articles dans quelque journal républicain. Celui à qui naguère
des milliers d'hommes obéissaient comme (page
107) à un Dieu, eut peine à trouver quelqu'un qui le
préservât des outrages de ce peuple qui, peu auparavant, voulait lui servir de
marchepied.
Le matin qui suivit l'arrivée de de Potter à
Bruxelles, un décret annonça à la nation qu'il faisait partie du gouvernement
provisoire. Lui-même fit connaître cet événement par une lettre adressée à ses
concitoyens, et dans laquelle se trouve la profession de foi suivante : «
Liberté pour tous ! Egalité pour tous devant le pouvoir suprême, la nation, et
devant sa volonté, la loi ! Peuple ! ce que nous sommes, nous le sommes par
vous ; ce que nous voulons, nous le voulons pour vous. »
Une circonstance digne de remarque, c'est le contraste qu'il y a entre
la prépondérance dont jouirent tout d'un coup les membres du gouvernement
provisoire, et les antécédents qu'ils avaient comme hommes publics et privés.
Déjà nous avons fait connaître le caractère et le mérite de tous ces
gouvernants, excepté MM. Jolly et Rogier. Le premier avait servi avec
distinction comme officier du génie ; il avait ensuite abandonné la carrière
des armes pour celle des arts, et vivait dans la retraite la plus absolue ;
s'il promettait de devenir un peintre distingué, il était loin de posséder
l'influence, l'habileté, l'énergie et enfin les connaissances administratives
nécessaires pour la tâche véritablement herculéenne de la réorganisation d'une
année détruite et dont il
(page 108) ne restait d'autre
vestige qu'un matériel incomplet. Aussi, quinze jours s'étaient à peine écoulés
qu'il se retira et laissa le portefeuille de la guerre à Goethals,
qui avait été promu au grade de général de division le 7 du mois d'octobre. Sa
courte administration ne fut qu'une suite de fautes.
L'autre, M. Charles
Rogier, issu d'une famille française respectable, fixée à Liége,
était à peine connu du public, avant le mouvement du mois d'août. Comme avocat
du barreau de Liége, il était estimé dans le cercle peu étendu de ses relations
; mais il ne jouissait pas d'une réputation qui s'étendît fort loin, soit comme
jurisconsulte, soit comme économiste politique ; et sans doute il eût passé sa
vie comparativement dans l'obscurité, si la révolution n'eût
pas mis son énergie en évidence et ne lui eût pas ouvert une nouvelle carrière.
C'est un de ces hommes dont on peut dire avec Cicéron : « Neque
cuiquam tam statim clarum ingenium
est, ut possit emergere ; nisi illa materia,
occasio, fautor etiam commendator que contingat. » Doué cependant d'une grande fermeté et de
beaucoup de courage personnel, possédant cette éloquence abrupte, mais
entraînante, qui est si puissante dans les temps de révolution, et
ardemment dévoué à la cause de la liberté constitutionnelle, il ne tarda pas à
se mettre en évidence. Opposé à la marche du (page 109) gouvernement,
il avait embrassé la cause populaire avec ferveur, mais non pas en aveugle. Il
voulait le redressement des griefs, mais non le renversement de la monarchie ;
il est incontestable, que lorsqu'il entra à Bruxelles à la tête de ses
volontaires, il ne demandait pas autre chose que la séparation administrative
avec la vice-royauté du prince d'Orange. L'énergie et la présence d'esprit qu'il
déploya à Liége et qui préservèrent alors cette ville du pillage dont les
dispositions de la populace la menaçaient ; le courage avec lequel il passa, à
la tête de son détachement au milieu des troupes royales, la fermeté et la
prudence de sa conduite depuis le moment de son arrivée à Bruxelles jusqu'à la
défense de cette ville, défense à laquelle il contribua personnellement, lui
avaient acquis une grande influence sur le peuple ; sa nomination causa donc
une vive satisfaction dans ses rangs et parmi les volontaires qui associaient
son nom à celui des héros de la révolution. Se
rapprochant de M. Lebeau par des sympathies publiques et privées, M. Rogier
s'unit bientôt aux vues de cet homme d'état ; et quoique, dans certaines
occasions, il se soit abandonné trop facilement peut- être à l'exaltation du
moment, sa carrière parlementaire a prouvé que la monarchie constitutionnelle
n'avait pas un défenseur plus dévoué, ni le pays un meilleur citoyen.
Par une anomalie remarquable, aucun des (page 110) citoyens
composant ce gouvernement qui s'était élu lui-même, n'avait des antécédents
bien connus. Aucun d'eux n'avait été membre des chambres législatives, et, à
l'exception de de Potter, nul n'avait un nom bien
connu dans le pays. Il est vrai qu'ils étaient tous dévoués à la cause de la
liberté, et que plusieurs d'entre eux l'avaient défendue dans les journaux ou
devant les tribunaux ; deux ou trois étaient des hommes d'un mérite réel. Mais
ils n'avaient ni une célébrité politique, ni une carrière parlementaire, ni les
services publics qui donnent droit à la prééminence : mis tout-à-coup en
évidence par la révolution, ils profitèrent
habilement de l'occasion, pour faire en peu de temps leur fortune politique.
Diverses circonstances fortuites ont aussi contribué à l'établissement
de leur pouvoir ; et peut-être ce qui y a contribué le plus fut la convocation
des états-généraux à
La conduite des députés belges, étant à cette (page 111) époque l'objet de nombreuses critiques,
les membres du gouvernement provisoire profitèrent adroitement de leur absence
pour consolider leur propre autorité ; néanmoins ils se virent obligés plus
tard de la partager avec eux. Quelle que soit l'opinion répandue à cette époque
dans
Il est vrai qu'ils pouvaient retourner dans leur pays, ou se faire
remarquer par des propositions d'une violence anti-parlementaire.
Mais leur départ eût exaspéré la fraction libérale des députés hollandais ;
d'un autre côté, employer la (page 112) violence, c'eût été s'écarter de la ligne constitutionnelle
qu'ils étaient résolus à suivre, c'eût été déterminer le rejet des graves
questions soumises à leurs délibérations. La conduite qu'ils ont tenue était la
plus politique ; dans l'éventualité de la soumission de Bruxelles, il était
extrêmement important qu'ils restassent à leur poste et dans la ligne
constitutionnelle, afin de pouvoir appuyer la séparation et la révision de la
loi fondamentale. Les mesures proposées par le message du 13 septembre avaient
été discutées pendant l'attaque de Bruxelles ; elles avaient été résolues
affirmativement dans les séances des 28 et 29 : la première à la majorité de 50
voix contre 44 ; la seconde à la majorité de 55 voix contre 43 (M.
de Stassart et deux autres députés étaient absents). L'adresse en réponse au discours du trône ayant été votée
précédemment, la session extraordinaire fut close le 2 octobre, et les députés
des provinces méridionales retournèrent aussitôt dans leurs foyers, où ils
trouvèrent l'autorité du gouvernement provisoire établie sur des bases aussi
fermes que s'il faisait depuis longtemps partie des institutions de la nation.
Le premier point important qui appela l'attention de de
Potter et de ses collègues fut l'adoption de la combinaison politique réclamée
par les circonstances et par la situation de la nation : (page 113) « Le gouvernement provisoire (dit
M. Nothomb) (Essai
historique et politique, par Nothomb), se proposa d'abord de résoudre, comme cela eut lieu à priori, trois
questions fondamentales relatives à des événements non encore entièrement
accomplis ; savoir :
Quoique les membres du gouvernement provisoire fussent unanimes quant à
la question de l'indépendance nationale, il y avait entre eux une grande
divergence d'opinions quant à la forme du gouvernement à établir. De Potter,
qui convoitait la présidence, opinait vivement pour la république ; en effet,
tout rapport avec la maison de Nassau contrariait ses projets ambitieux. M.
Gendebien, quoique partisan de la démocratie, appuyait la réunion à la France,
tandis que M. Van de Weyer et les autres membres partisans de l'indépendance
nationale, avec un système monarchique, ne repoussaient pas toute relation avec
la famille des Nassau, surtout ce qui en concernait le prince d'Orange
personnellement. Pourvu que, faisant abstraction de ses (page 114) liens de patrie et de famille, il
s'offrit franchement à être le chef du peuple belge.
Ce dernier plan, dont l'exécution était possible, n'était pas non plus
impolitique vis-à-vis de l'Europe. La révolution n'était
pas dirigée, dans le principe, contre la dynastie ; car, en premier lieu, les
chefs des insurgés avaient juré sur l'honneur de la maintenir. Puis il était à
la connaissance de tous, que le prince d'Orange s'était opposé de toutes ses
forces à l'attaque de Bruxelles, et qu'il était, en ce moment, en disgrâce
auprès de son père, pour avoir épousé la cause populaire ; en conséquence,
quelque prononcée que fût l'antipathie contre le prince Frédéric et le roi, la
majorité de la nation et de l'armée était bien disposée en faveur de l'héritier
du trône. Dans cette combinaison, le concours et l'appui des divers cabinets de
l'Europe, n'étaient pas douteux. Des bords de
La mission entreprise par M. Gendebien, dans (page 115) le but de sonder le gouvernement français et les chefs du
parti du mouvement, sur la possibilité de la réunion, n'avait pas eu les
résultats satisfaisants qu'on en attendait. Le gouvernement s'y opposait
ouvertement ; et les chefs du mouvement ne pouvaient faire que de vagues
promesses. Ensuite, en France aussi bien qu'en Belgique, les principes
monarchiques avaient infiniment plus de partisans que les principes
démocratiques ; les républicains les plus exaltés n'essayaient même pas de le
contester ; et pour
Il est
certain qu'il y avait dans le gouvernement et en dehors un parti qui voulait la
guerre. Elle offrait bien quelques chances de succès pour un moment, en raison
de l'état d'exaltation du peuple belge et de la démoralisation qui avait gagné
les rangs des Hollandais ; il était même possible que, si l'on attaquait
Maestricht, cette forteresse suivrait l'exemple de Mons et des autres places
fortes, et que les patriotes, s'avançant jusqu'aux rives du Moerdyk,
envahissent tout le Brabant septentrional. Mais à part toutes considérations
stratégiques, ces succès ne pouvaient être que bien éphémères, et pouvaient
ruiner l'indépendance de
Heureusement,
la majorité du gouvernement provisoire vit clairement le péril où le parti du
mouvement était sur le point de l'entraîner. En conséquence, il modéra l'ardeur
des troupes, et, mettant de côté le brandon qui menaçait d'incendier l'Europe,
il ne songea qu'à se mettre d'accord avec les autres puissances. Cette conduite
politique, bien qu'opposée à la théorie (page
117) populaire mais trompeuse, que « les révolutions
commencées par l'épée doivent être terminées par l'épée, » sauva
Non seulement a cette époque, mais à une époque plus récente encore, des
idées bien fausses se sont répandues en Europe sur le désir de la réunion à la
France et la presque unanimité des opinions républicaines en Belgique. La
réunion était essentiellement anti-nationale et anti-catholique et ne fît l'objet d'aucune motion sérieuse
soumise à la discussion publique. Non seulement le gouvernement déclara tout
d'abord que
Relativement au second point, c'est
une grande erreur que de croire le peuple belge généralement (page 118) imbu d'une tendance
démocratique. Ce qui suit prouve évidemment le contraire. Dès le 12 octobre,
lorsque de Potter était au faîte du pouvoir, et que le pays était encore en
proie à une vive agitation, une commission fut chargée de rédiger un projet de
constitution. Cette commission, composée de douze patriotes des plus prononcés,
proclama comme préliminaire essentiel, la nécessité de décider si le
gouvernement serait constitué sur des bases monarchiques ou républicaines. Le
principe monarchique fut adopté à l'unanimité moins une voix, celle de M. Tielemans (Cette
décision fut ratifiée par le congrès national, dans sa séance du 22 novembre
1830, à la majorité de 174 contre 13). Ce
dissident, qui partageait les doctrines et la popularité éphémère de de Potter, comme il avait partagé son exil, et qui était
dévoré d'une ambition moins ardente que celle de son ami, fut bientôt appelé à
occuper un emploi dans l'administration, emploi que son habitude des affaires
et ses occupations antérieures le rendaient jusqu'à un certain point apte à
remplir. Mais ses opinions politiques, fondées sur les théories les plus
extravagantes et les plus anti-sociales, ne
s'accordaient pas avec les vues modérées de ses collègues. Aussi, après que de
Potter eut quitté le pouvoir, il abandonna bientôt lui-même ses fonctions et
tomba (page 119) dans l'oubli le plus absolu, oubli dans lequel il est probablement destiné
à rester, à moins qu'une nouvelle commotion politique ne vienne l'en tirer et
ne réveille ses utopies républicaines, si contraires aux vues générales du
peuple belge. Assurément ses opinions ont encore moins d'adhérents en Belgique
qu'en Hollande, ce pays où les principes oligarchiques, qui ont dominé pendant
deux siècles, ne sont pas effacés par les sentiments d'attachement qu'inspire
une monarchie de vingt ans ; et si l'on voulait trouver les germes des idées
démocratiques dans le royaume des Pays-Bas, il faudrait les chercher plutôt
dans la patrie des Barneveldt et des De Witt, que
dans les provinces belges.
Cependant, la contagion
révolutionnaire faisait des progrès si rapides que, moins de trois semaines
après la défaite du prince Frédéric, les couleurs brabançonnes flottaient sur
toutes les tours et tous les clochers, et que sur les places publiques de
toutes les communes s'élevaient des arbres de la liberté. L'autorité du
gouvernement provisoire était reconnue partout et ses décrets avaient force de
loi. Les départements ministériels se formèrent (Premier
ministère belge : Intérieur MM. Tielemans ;
Finances Coghen ; Guerre Jolly ; Justice. Gendebien :
Comité diplomatique ou des affaires étrangères. MM. Van de Weyer. de Celles, d'Aerschot, Nothomb, Le Hon). Les fonctionnaires publics (page 120) suspectés d'orangisme furent remplacés. Il en fut
de même pour les officiers de l'armée. Les gardes civiques furent appelés sous
les drapeaux, et le département de la guerre commença un nouveau système d'organisation
militaire calqué sur celui de
En même temps, les Hollandais,
abandonnés par un grand nombre de soldats et d'officiers de leur infanterie,
par une partie de la cavalerie, par toute l'artillerie de siège, excepté celle
d'Anvers et de Maestricht, furent forcés d'évacuer Malines et Lierre et de se
replier sur le Ruppel et les deux Néthes
; ayant leur droite à Boom, leur avant-garde et leur centre aux ponts de Walhem et de Duffel, et leur gauche sur la chaussée qui
s'étend de Lierre à Anvers. La droite des patriotes, sous le commandement de Niellon, ayant occupé Lierre, le duc de Saxe-Weimar
l'attaqua et chercha à le déloger de ce point important, mais il fut repoussé
avec perte. Ainsi le flanc gauche des Hollandais était découvert, et les
troupes de Duffel et de Walhem pouvaient être
tournées, et avoir leurs communications coupées du côté d'Anvers. (page 122) C'est même
ce qui serait infailliblement arrivé, si les patriotes avaient eu de la
cavalerie. Le prince Frédéric ayant l'intention bien prononcée de se maintenir
dans sa position sur les deux Nèthes, il était
contraire à toutes les règles de la stratégie de laisser l'ennemi passer la
rivière, ou pénétrer dans Lierre. Jamais position ne fut plus facile à
défendre. Une poignée d'hommes pouvait aisément s'y maintenir contre de
nombreux ennemis. Mais la démoralisation de l'armée hollandaise allait au delà
de ce que l'on peut imaginer.
Toutes les forces des Belges, sous
les ordres du général Nypels qui avait remplacé Van
Halen, se préparèrent à poursuivre les Hollandais qui étaient en pleine
retraite. L'aile droite des Belges, forte d'environ 3,000 hommes d'infanterie,
une douzaine de cavaliers et 6 pièces de canon, sous les ordres du
lieutenant-colonel Niellon, après avoir chassé les
Hollandais de Campenhout et de Lierre, s'établit dans
cette dernière place. Leur centre, sous les ordres de Nypels
et de Mellinet, composé d'environ 4,000 hommes
d'infanterie, une compagnie d'artillerie, et de quelques cavaliers, traversa
Malines, et repoussa l'arrière-garde hollandaise, la força à passer le pont de Walhem et s'empara de cette position.
Ainsi, dès le 22 octobre, les
patriotes étaient maîtres de tout le pays depuis la rive gauche du Ruppel et des Nèthes et étaient
prêts à poursuivre (page 123) leurs succès jusqu'aux portes
d'Anvers. En même temps, on ne manquait pas de prendre à Bruxelles des
précautions de défense. Les portes étaient fortifiées, protégées par des
palissades et des chevaux de frise, et flanquées de redoutes garnies de canons.
Le Parc était entouré de retranchements, et une ligne d'ouvrages de défense
s'étendait des portes de Halle, de Namur et de Louvain jusqu'au canal. Les
maisons du voisinage des portes étaient crénelées. L'Observatoire était
converti en un blockhaut ; et les
boulevards intérieurs, ainsi que les rues adjacentes, étaient coupés par une
multitude de palissades et de barricades. La ville était ainsi à l'abri d'un
coup de main.
Quoique le
trésor public contînt à peine 10,000 fr. en espèces, l'argent ne manquait pas
aux exigences du moment, et les percepteurs annonçaient que les contributions
rentraient avec promptitude et régularité. Il était évident, cependant, que les
dépenses extraordinaires qu'il y avait à faire rendaient nécessaire et même
urgent un emprunt forcé (Des dons volontaires, montant à des sommes
considérables, furent souscrits et versés au trésor public ; mais ils étaient
loin de suffire aux besoins du gouvernement).