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« Histoire
de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de
l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).
Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836
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TOME 1
Situation commerciale et
industrielle des Pays-Bas. - Le million de l'industrie. - Ses effets. - Orangistes
de Gand et d'Anvers.
(page 124) Il n'est aucun sujet qui ait donné lieu à une plus grande diversité
d'opinions que la situation de l'industrie et du commerce pendant les deux
dernières années qui ont précédé la révolution. D'un
côté, l'on a représenté la prospérité commerciale et industrielle du pays comme
marchant assez rapidement dans la voie du progrès pour exciter la jalousie de
(page 125) D'un autre côté, un grand nombre de personnes qui possèdent
des connaissances en économie politique, assurent que la prospérité
manufacturière n'était pas réelle, qu'elle était soutenue par des mesures
artificielles, que les produits excédaient de beaucoup les demandes, et qu'une
catastrophe prochaine était inévitable. On a dit encore que, par suite des
encouragements donnés par le gouvernement aux spéculations industrielles, le
besoin de bras se faisait si vivement sentir, que la plupart des classes du peuple
destinées à l'agriculture se pressaient dans les villes, où elles venaient
courir les chances des vicissitudes des affaires et aggraver encore cette
lassitude, cet affaissement commercial qui se fit sentir en Europe pendant les
deux ou trois années qui précédèrent 1830.
Tout en faisant la
part de l'exagération évidente de ces deux opinions, nous ferons observer qu'en
les supposant toutes deux également fondées, la plus plausible est évidemment
celle qui reconnaît la prospérité commerciale et industrielle du royaume des
Pays-Bas vers la fin de son existence politique ; car on ne peut mettre en
doute que l'état des affaires ne fût prospère et progressif, mais toutefois pas
assez solidement établi encore pour pouvoir se soutenir sans un appui
extraordinaire de la part du gouvernement. Les houillères du Hainaut et de
Ainsi, quoique (page 127) les
manufactures en général pussent paraître à un observateur superficiel dans une
condition de splendeur sans rivale, une partie se trouvait en fait, dans un
état voisin de la banqueroute, et eussent été obligées de renvoyer un tiers de
leurs ouvriers, et de diminuer leurs produits, si la société de commerce ne
s'était pas chargée d'acheter leurs marchandises ; et cela avec la conviction
de devoir se soumettre à des pertes certaines, mesure qui, quoique
favorable aux individus, puisqu'elle leur procurait les moyens de continuer
leurs travaux, était loin d'être avantageuse pour le pays en général.
Le grand vice du
système du million de l'industrie était d'encourager un tiers des
manufacturiers à pousser leurs produits beaucoup au delà des demandes ou même
de la possibilité d'une consommation immédiate, et comme le gouvernement
intervenait généralement et procurait l'écoulement du surplus, il en résultait
que les marchés regorgeaient de produits. Avouons cependant (page 128) que si l'extrême sollicitude
que montrait le gouvernement à forcer la fabrication de manière à entrer eu
concurrence arec celle de l'Angleterre, donnait lieu à plusieurs inconvénients,
et s'il était hautement impolitique d'imposer des droits de prohibition,
gênants pour le commerce, dans l'intention de fournir des subsides aux
manufactures, ce système avait pourtant produit quelques heureux résultats. Un
esprit d'industrie et d'émulation porté vers les spéculations, s'était emparé
de tout le pays. L'élan qu'il imprimait aux opérations de toute nature avait
remis en circulation une masse de capitaux auparavant improductifs, et l'achat
des matières premières. La construction de manufactures, ainsi que la
consommation d'une foule innombrable de produits indigènes, toutes ces dépenses
avaient produit un grand mouvement d'argent. La plus grande partie de la
population trouvait du travail ; les demandes de combustibles étaient
augmentées, et la valeur des forêts et des houillères allait chaque jour en
augmentant ; amélioration très importante pour les provinces de Liége et du
Luxembourg, dont les principales richesses proviennent de la vente des bois,
des produits des houillères et des mines.
Il est généralement admis par les hommes pratiques, que les provinces méridionales devaient être satisfaites des mesures adoptées par le roi, relativement à l'industrie générale du royaume ; (page 129) quelques-uns des effets avantageux de ce système continuent de se faire ressentir encore à présent ; car, quoique plusieurs établissements d'une faible importance et qui n'existaient que par des moyens artificiels aient cessé de travailler ou, comme les fabricants le déclarent eux-mêmes, soient maintenant dans un état languissant, l'impulsion donnée à l'industrie est telle, l'esprit de spéculation et d'activité est si grand que, nonobstant la réduction d'environ un tiers des produits généraux, le reste s'est relevé peu à peu au niveau où il se trouvait antérieurement, et parvient à s'y maintenir, quoique sans secours étranger, et abandonné à ses propres forces ; il ne manque, pour ramener ces établissements à un état de pleine vigueur, que quelques mois d'une paix assurée, de bons traités commerciaux, et une liberté de commerce sagement limitée. Mais ils devront alors se maintenir dans une condition proportionnée aux ressources et à la population du pays, et produire autant que possible des bénéfices intérieurs, sans réveiller la jalousie au dehors.
En général, le
système adopté par le roi doit être considéré moins sous le rapport politique
et commercial que sous un point de vue monarchique. Car au moyen du million de
l'industrie, c'est-à-dire soit en venant au secours des spéculateurs gênés,
soit en mettant les autres à même de commencer leurs opérations, et en devenant (page 130) comme elle le
devint réellement copropriétaire de plusieurs établissements manufacturiers et
industriels, la couronne se créait un noyau nombreux de partisans dévoués dans
la classe la plus propre à contrebalancer l'influence morale du clergé
catholique. C'est ainsi que Gand et Anvers demeurèrent fidèles à l'ancien
gouvernement jusqu'au dernier moment, et que tous les orangistes qu'il y ait
encore dans le pays semblent être concentrés dans ces deux villes.
Il est un autre motif politique qui se rattache à ce système et qui mérite notre attention (Dix jours de campagne par Charles Durand. Amsterdam, 1832). « Assujetti par ses traditions, ses coutumes et par son peu de développement intellectuel, à la double influence des nobles et des prêtres, le Belge conserve non seulement cette obéissance passive au clergé inhérente à ses habitudes morales, mais encore un profond respect pour l'aristocratie, qui fait que les paysans considèrent la noblesse et les grands propriétaires comme leurs supérieurs ; obéissant par habitude à ses seigneurs et aux prêtres, en dépit de tout ce qu'ont pu faire les lois et la civilisation pour les en détacher. Le Belge ne pouvait être arraché à ce double esclavage, que par deux moyens capables de l'élever au niveau des (page 131) classes qui l'oppriment : en répandant l'instruction, il était possible d'enlever les masses à la servitude cléricale ; au moyen du commerce et de l'industrie, il était également possible d'élever les fortunes plébéiennes au niveau de celles de l'aristocratie ; ce fut en conséquence sur l'éducation publique et l'industrie que Guillaume fonda les espérances d'émancipation matérielle et morale de son peuple, qui néanmoins ne put comprendre ses intentions bienveillantes. »
Si ses observations
sont exactes, personne ne tentera de nier que ce projet, amené à bonne fin, ne
fût de nature à produire les plus grands avantages. Mais malheureusement pour
le gouvernement du roi, les Belges, quoique appréciant le bien-être matériel
qui résulterait pour leur pays, du développement du commerce et de l'industrie,
comprirent trop clairement les vues du ministère relativement à l'instruction
publique. La noblesse et le clergé ne pouvaient pas se dissimuler que
l'intention du gouvernement ne fût non seulement de détourner l'esprit de la
jeunesse du pays des idées religieuses de leurs pères, mais encore de la
soustraire au contrôle de ceux qui avaient le droit de se considérer comme les
gardiens naturels de la génération naissante. De là les réclamations
incessantes des chambres, de la presse et du peuple contre les entraves
apportées à la liberté d'instruction qu'ils considéraient (page 132) comme des actes outrageants
d'oppression tyrannique bien opposés aux intentions bienveillantes que le
passage cité plus haut attribue au gouvernement. On doit cependant remarquer
que les clameurs élevées contre le million de l'industrie ne portaient pas tant
sur son usage, que sur l'abus que le gouvernement fit des sommes votées à ce
titre, d'autant plus que pas une fraction de sommes remboursées ou des intérêts
ne figurait au crédit public, et qu'ainsi ce million pouvait être considéré
comme une addition à la liste civile, ou aux fonds secrets.
Quant à ce qui est
du haut commerce en Belgique, il ne peut y avoir qu'une seule opinion. La
liberté de l'Escaut avait amené Anvers à un degré de splendeur qui rappelait
les jours de Charles-Quint, et ce n'était pas sans
raison que les négociants hollandais en éprouvaient une profonde jalousie ; car
il est prouvé qu'Anvers faisait plus d'affaires dans les produits coloniaux,
excepté le tabac, qu'Amsterdam et Rotterdam réunis. Aussi sur ce point ne
s'éleva-t-il pas l'ombre d'une plainte dans les provinces méridionales ; car
les droits de prohibition et les restrictions à la liberté du commerce, si
chaudement réclamées par
Possédant le sol le
plus fertile, d'immenses forêts et des mines abondantes,
D'un autre côté,
L'expérience de quinze années a prouvé que le congrès de Vienne ne songea qu'à unir ces deux peuples, sans s'inquiéter s'ils sympathisaient, si une fusion était possible entre eux, et sans tenir compte des enseignements de l'histoire. Si ces diplomates eussent moins méprisé ces utiles enseignements, s'ils eussent un peu mieux considéré les différences de caractère, d'intérêts, d'habitudes, de langage, de sentiments, de religion, qui existaient entre ces deux peuples, ils eussent vu sans aucun doute que cette fusion était impraticable et leur rupture imminente. L'historien doit avoir égard à ces circonstances et conclure que la tâche imposée au roi des Pays-Bas était presque au dessus des forces de la puissance humaine, et que quelque impolitiques que fussent les (page 135) mesures adoptées par son gouvernement, elles ne purent qu'aggraver les vices inhérents à l'union, qui sans cela devaient toujours en amener la dissolution au bout de quelques années.
On peut facilement
répondre à l'accusation élevée contre
Il tombe donc sous
les sens qu'une industrie (page 136)
nationale, qui ne pouvait exister sans de larges subsides du
gouvernement, était un fardeau ruineux et ne devait pas être une source
immédiate de bénéfices pour le royaume ; aussi les Hollandais, peuple
commerçant et non manufacturier, avaient-ils raison de se plaindre d'un système
qui ne semblait établi qu'à l'avantage de
Mais quand on
admettrait la durée de l'union et la possibilité d'une rivalité heureuse, dans
une période à venir, qu'est-ce que cela prouve ? que
les Pays-Bas étaient entrés dans la voie du progrès, mais non que le
gouvernement britannique ait agi par les motifs d'égoïsme machiavélique que lui
attribuent quelques partisans exaltés de la maison de Nassau. La conduite de
l'Angleterre fut basée sur des principes d'une politique plus élevée, d'une
politique appropriée à l'état menaçant et précaire de l'Europe, et à sa propre
position financière et morale ; car, quoique loin d'être préparé à la révolution belge, et moins encore à la conduite
impolitique de ses hommes d'état, au manque d'énergie et de tactique militaire
de ses généraux, à l'indécision de l'héritier du trône et surtout à
l'opposition que le roi mit à l'élévation de son fils, néanmoins le ministère
britannique, dont le chef était alors le duc de Wellington, sympathisait
chaudement avec ce gouvernement, et il déplora l'issue des événements, avec
d'autant plus d'amertume (page 138) que c'était en grande partie à lut qu'était due la pensée
de l'union des deux pays. Heureusement pour
Le duc de Wellington
s'aperçut que les temps étaient passés où un ministère pouvait s'aventurer à se
présenter devant la chambre des communes et lui demander les ressources du pays
pour fomenter (page
139) des guerres continentales, étrangères à l'honneur et aux intérêts de
La grandeur future
des nations peut dépendre du triomphe de leurs armes ; mais le fondement réel
de toute splendeur nationale est essentiellement basé sur le maintien de la
paix. Le duc de Wellington peut être immortel comme conquérant ; mais ses plus
beaux titres de gloire seront d'abord ses concessions en faveur des
catholiques, concessions que le roi des Pays-Bas eût bien fait d'imiter ; en
deuxième lieu, cette politique sage et adroite qui le porta à reconnaître la
France de juillet, et par là épargna à l'Europe une guerre (page 140) de l'espèce la
plus longue et la plus subversive qu'on puisse imaginer, c'est-à-dire la guerre
des opinions. Le système de non-intervention, ou plutôt la substitution des
conférences diplomatiques aux droits de l'épée, donna à la politique anglaise
un caractère nouveau, dont les résultats heureux ont été immenses, et quand les
passions des partis se seront assoupies, que les historiens pourront avec calme
et impartialité, écrire l'histoire de ces temps, le duc de Wellington méritera
plus encore l'admiration et la reconnaissance de la postérité pour avoir été le
fondateur, ou au moins le premier soutien de ce système pacifique, que pour ses
hauts faits sur les champs de bataille. La reconnaissance de Louis-Philippe, et
le refus d'intervenir par les armes dans la question belge, refus que fit
péremptoirement lord Aberdeen dès les premiers moments de la révolution, ne doivent pas être pris tant
comme une reconnaissance de ce qu'on appelle les droits sacrés du peuple à
l'insurrection, que comme l'aveu que l'Angleterre n'a pas le droit
d'intervenir dans les dissensions intestines des nations du continent européen,
et que, en supposant même qu'elle y soit autorisée comme en septembre 1830, par
un appel du gouvernement légitime, la politique et les intérêts du peuple
anglais l'empêcheraient d'employer d'autres armes que la plume de ses
diplomates. « Choisissez la forme de gouvernement
(page 141) qui vous convient (disait
le duc de Wellington à la députation belge envoyée en Angleterre par le
gouvernement provisoire), et le chef le plus propre à vous faire arriver au but
que vous ambitionnez ; pourvu que vous ne vous mettiez pas en guerre avec
l'Europe, nous n'interviendrons pas. » Tel fut le système suivi par le duc de
Wellington et ses collègues, en juillet et septembre 1830, envers la France et
envers
Ce fut la
conservation de la paix européenne, et non pas la destruction de l'industrie
néerlandaise qui donna lieu à la politique de l'Angleterre, et traça le cercle dans
lequel les efforts du gouvernement et de ses agents diplomatiques se
renfermèrent invariablement.
L'issue a pleinement
prouvé la sagesse de leur conduite et le succès de leurs efforts ; car
quoiqu'ils fussent assaillis par les intérêts les plus contraires et de
nombreux éléments de conflagration, et quoique près d'un demi-million d'hommes
en armes fussent en présence, mèche allumée, bannières déployées, et appelant
la guerre de tous leurs vœux, la paix fut maintenue, les passions
révolutionnaires calmées, l'épée rentra dans le fourreau sans avoir versé le
sang, et si quelques changements eurent lieu, ce fut dans les représentants des
monarchies et non dans le système monarchique.
(page 142) Sans aucun doute le plus grand désir des carlistes et des
orangistes était que
Mais quel était
alors l'état de l'Angleterre et de l'Europe ?
En suivant avec fermeté
la ligne d'une politique prudente et pacifique,