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d’intention
« Histoire
de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de
l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).
Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836
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TOME 1
Abolition du jugement par jury. - Enumération des griefs. -
Amortissement du syndicat. - Taxes de la mouture et de rabattage. -
Plaintes des catholiques. - Tentatives de répandre le protestantisme dans
le pays. - Entraves mises à
l'éducation de la jeunesse belge en dehors du royaume.
(page 58) Sans énumérer une multitude de petites vexations, pour la
plupart frivoles et amplement compensées par d'autres avantages, il suffira de
tracer celles d'un caractère plus grave qui furent signalées comme ayant
graduellement préparé l'explosion. « La différence de caractère national, (dit
l'écrivain que nous venons de citer) engendra les griefs ; et ces griefs
excitèrent un mécontentement universel et l'animosité nationale. La division
entre les deux pays existait de facto ; au lieu d'opérer la fusion, tous les moyens qu'on avait
employés pour amalgamer les deux peuples n'avait servi qu'à les désunir
davantage. Le (page 59) mécontentement ne s'éveilla pas en un jour ; il datait du principe de
l'union des deux états. » (Séparation de
Cette opinion de
Hoogendorp, est d'une haute importance, non seulement par sa source, mais parce
qu'elle est une réfutation péremptoire de la doctrine de ceux qui cherchent à
prouver que les Belges n'avaient pas de griefs réels, que leur révolution fut un acte soudain et déloyal, fut le résultat
fortuit des événements de juillet. Si ces événements n'avaient pas eu lieu, si
les fatales ordonnances du prince de Polignac n'avaient pas vu le jour, il est
probable que la révolution belge n'eût pas éclaté en
1830. Mais l'opinion générale des gens impartiaux est que les deux pays ne
pouvaient continuer à marcher d'accord sans de notables réformes, sans un
changement dans le mode de gouvernement et le redressement de quelques-uns des
principaux griefs. « Quelques personnes ont prétendu, ajoute le comte de
Hoogendorp, que l'exemple de la révolution
française et les collisions sanglantes qui eurent lieu à Paris, enflammèrent
l'esprit public en Belgique de même que dans toute (page 60) l'Europe ; mais ces événements ne pouvaient pas produire
la matière inflammable ; et si elle n'avait pas préexisté dans le
mécontentement qui résultait des griefs, la révolution française
n'aurait pas atteint
Avant d'entrer dans
l'examen des griefs, il est nécessaire d'observer qu'avant l'avènement du
prince souverain, il introduisit dans l'administration de la justice plusieurs
modifications qu'il eût été plus prudent de différer ou même de ne pas établir.
Le roi de Prusse,
pour éviter dans les provinces rhénanes nouvellement réunies sous sa puissance,
les effets qui auraient pu résulter d'un brusque changement de système, avait maintenu
le jugement par jury et l'entière publicité des débats judiciaires, établis par
les Français ; moins prudent que ce monarque éclairé, le prince souverain des
Pays-Bas abolit ces institutions ; encore cette abolition impolitique ne
fut-elle pas ordonnée en vertu d'une loi votée dans les chambres, mais par un
simple arrêté donné le 16 novembre 1814. Ainsi, des le début, il éveilla les (page 64) craintes et les jalousies du
barreau et de toute la nation ; car, quoiqu'elle fût peut-être incapable d'apprécier
tous les avantages de l'inestimable institution du jury, elle en considéra la
suppression comme une atteinte à ses libertés ; et ce fut en la perdant que,
pour la première fois peut-être, elle commença à en sentir le prix. Cette
mesure fut suivie d'autres changements dans le système judiciaire, qui tous
tendaient à reproduire de plus en plus ce qui existait en Hollande, à ramener
un état de choses qui bien qu'approprié aux habitudes et aux traditions de ce
pays, était tout à fait en désaccord avec les anciennes coutumes et les usages
modernes de
Ce n'était pas
seulement les vices du système représentatif, le mode adopté pour le vote du
budget des voies et moyens et la suppression de l'intervention du jury dans
l'exercice de la justice, qui causaient les plaintes des Belges ; leurs
récriminations portaient encore sur les griefs suivants :
1° L'obligation de
parler la langue hollandaise imposée à tous les fonctionnaires civils et
militaires ;
2° Une excessive
partialité dans la distribution des places et emplois ;
3° Un système
financier injuste et désavantageux pour
4° L'établissement du siège de la haute cour de justice et de toutes les institutions publiques dans les provinces septentrionales ;
5° L'injustice
du gouvernement envers les catholiques, et son désir manifeste de protestantiser
le pays ; l'établissement d'un collège philosophique à Louvain ayant le
monopole de l'éducation ; enfin la suppression des séminaires épiscopaux, des
autres collèges nationaux et des écoles libres.
La première de ces
mesures fut ordonnée par un arrêté du 15 sept.
L'affinité entre les
idiomes hollandais et flamand (page 63)
qui ont des racines communes, pouvait faciliter cet essai (présenté comme
essai seulement) dans les Flandres et le voisinage d'Anvers. Mais imposer
aux provinces wallonnes, au Brabant méridional, et aux habitants du Hainaut,
comme condition sine qua non de l'exercice des professions libérales, la
connaissance d'une langue si complètement différente de celle que parlent les
classes moyenne et élevée, dans cette partie de
La génération
naissante devait, sans aucun doute, s'en trouver moins irritée ; car à force
d'études elle pouvait acquérir à un certain degré l'usage de la langue
hollandaise. Mais il n'est pas de philologue qui ne reconnaisse la difficulté
sinon l'impossibilité qu'il y a de jamais acquérir la connaissance assez
parfaite d'une langue étrangère pour pouvoir mettre deux hommes de pays
différents en état de discuter avec succès des questions abstraites ; à plus
forte raison, cette difficulté devient presqu'insurmontable lorsqu'il s'agit
d'analyser les subtilités et les chicanes de la loi, ou de se livrer sur des
spécialités à des discussions ardues dont le succès dépend souvent de la valeur
des mots, et par dessus tout de l'adresse que l'on met à éviter toute
expression impropre susceptible de rendre l'orateur ridicule.
Figurez-vous un
avocat russe plaidant (page 64)
devant un tribunal français ; accordez-lui la connaissance
la plus complète de la législation de la France et de la langue française, et
donnez-lui pour adversaire M. Dupin ou tout autre membre distingué du barreau
de ce pays ! Croyez-vous qu'il ait beaucoup de chances de succès ?
Si cette obligation de parler la langue hollandaise a blessé profondément la jeunesse du pays, quel n'a pas dû être son effet sur les hommes d'un âge plus avancé ; qui, ayant consacré toute leur existence à cultiver la langue parlée en Belgique, furent tout d'un coup forcés d'adopter l'idiome hollandais sous peine de perdre les fruits de 20 ou 30 années de travail ? On peut citer plusieurs praticiens distingués qui perdirent ainsi leur profession, ou qui tombèrent dans une complète obscurité. Arrêtés dans leurs projets d'ambition ou de fortune, ils virent leur avenir perdu ; dès lors, le cœur plein d'amertume, ils employèrent leur plume et leur talent contre le gouvernement, et dirigèrent tous leurs efforts vers le renversement d'institutions qu'ils regardaient comme destructives de leurs intérêts et de leurs libertés. Ces attaques avaient donc un caractère de gravité ; on peut, en effet, affirmer que la révolution fut presque exclusivement l'œuvre de cette classe de citoyens.
Pour justifier cette
mesure, on a invoqué la nécessité d'un idiome commun dans les affaires
judiciaires et administratives et même dans les (page 65) relations des particuliers ; on a tenté de défendre cette
mesure non seulement en considération de l'importance d'établir l'unité
d'idiome dans les tribunaux et les administrations, mais encore dans la plupart
des affaires. Personne ne niera que l'unité de langage ne tende à faciliter
l'expédition des affaires, et même ne soit avantageux aux fins de la justice.
Mais, en admettant cette utilité, on demandera si la majorité devait être
sacrifiée à la minorité, si 4 millions rie Belges devaient adopter le
dialecte de 2 millions de Hollandais, alors surtout, comme cela est de
notoriété publique, que les affaires pendantes devant les tribunaux étaient six
fois plus nombreuses en Belgique et par conséquent rendaient nécessaire la production
d'un grand nombre de pièces en français et en flamand. Si les Hollandais n'ont
jamais su, sous ce rapport, changer leurs habitudes et vaincre leurs
répugnances, était-il juste, était-il politique d'attendre plus de souplesse de
la population beaucoup plus nombreuse du pays qui leur était associé.
Les Romains firent,
à la vérité, un essai semblable, et y donnèrent une sanction par la peine de
mort dont ils menacèrent toute opposition à cette propagande du langage ; mais
l'emploi forcé de leur idiome classique, quelque arbitraire qu'il fût, avait
ses avantages ; c'était un moyen de répandre la civilisation, les lumières et
le christianisme ; de plus Rome avait acquis par ses (page 66) conquêtes, une dictature universelle ;
elle était la patrie des sciences et des arts, tandis que les autres nations de
l'Europe, étaient encore barbares et n'avaient d'autre idiome que quelques
patois particuliers à chaque localité. Mais qu'une petite nation comme la
nation hollandaise, tentât de bannir d'un pays une langue polie et pour ainsi
dire universelle, une langue adoptée par les comptoirs, les chancelleries et
les théâtres ; et d'y substituer un idiome inconnu à deux pas de sa frontière,
étranger à la littérature, à la jurisprudence, à la législation et à la diplomatie,
c'était d'une hardiesse et d'une présomption que l'on a peine à concevoir.
La loi fondamentale
n'admettait pas de semblables prétentions ; et les alliés, si on les avait
consultés, auraient dû bien ignorer les sentiments les plus ordinaires de la
nature humaine, pour ne pas s'opposer à une mesure impolitique et dangereuse,
et de plus contraire à tous les traités qui déclaraient « qu'aucun obstacle ou
exception quelconque ne pouvait être imposé à une province au bénéfice d'une
autre. »
(page 67) Le deuxième grief intolérable
pour tout Belge, quels que fussent son rang et sa position, c'était la
partialité que montrait le gouvernement dans la distribution des emplois civils
et militaires, partialité que personne n'essaiera de nier et qui chaque jour se
montrait de plus en plus évidente.
On a souvent avancé
que ce qui, sur ce point, justifiait en quelque sorte le gouvernement, c'était
le manque de capacité des habitants des provinces méridionales qui, sous le
rapport de l'éducation, de l'aptitude, des connaissances et de l'expérience, ne
pouvaient être placés sur la même ligne que les Hollandais. Il est sans doute
difficile d'établir, à cet égard, une échelle de comparaison entre les deux
peuples. Mais on peut demander comment les Belges auraient pu, sans la
pratique, acquérir l'expérience ou certaines connaissances, et comment ils
auraient pu acquérir cette pratique, exclus qu'ils étaient de tous les emplois.
Pour justifier cette accusation de manque d'aptitude, on s'est appuyé des
résultats de la révolution, laquelle, affirme-t-on, n'a pas produit un seul
homme d'un talent éminent, soit comme homme d'état, soit comme législateur ;
l'incapacité militaire des Belges a été si notoire, a-t-on dit, qu'ils ont été
obligés de recourir à des officiers étrangers pour mettre leur armée sur un
pied respectable.
Que la révolution n'ait pas produit de ces esprits supérieurs,
qui, dans les temps de commotions (page 68) politiques, s'élèvent, comme de brillants météores, sur
l'horizon ; c'est là un fait incontestable et fort heureux peut-être pour le
repos de l'Europe. Car si un homme supérieur était apparu, si un de ces génies
faits pour commander avait dépassé de la tête toute cette multitude agitée, il
lui eût été facile de saisir le pouvoir suprême ; et dans un moment où les
principes révolutionnaires et démocratiques se répandaient dans toute l'Europe,
qui peut dire quels malheurs, quels déchirements seraient résultés des
entreprises suggérées par son ambition. Heureusement la sagesse et la modération
d'hommes plus prudents et moins ambitieux prévint ces maux, et s'ils ne
déployèrent pas une capacité transcendante, ils eurent un genre de mérite plus
désirable, celui que leur donnait un jugement sain, une connaissance parfaite
de ce qui convenait le mieux à leur pays et au repos général de l'Europe.
Mais, quoique
Pour atténuer la
gravité de ces fautes, il ne suffit pas de prouver que la situation du
gouvernement était extrêmement embarrassante ; en admettant même qu'il y eût
pénurie de talents, et qu'il fût nécessaire d'employer des capacités
inférieures ou de commettre des actes d'une partialité apparente, en préférant
les Hollandais, en admettant toutes ces hypothèses, quel devait en être le
résultat ? Non seulement on privait la majorité de (page 70) tout emploi, de tout
avancement, et ainsi on la blessait moralement et matériellement, mais encore
on donnait à l'appui de cette conduite des motifs qui étaient une preuve de
mépris, une insulte morale des plus outrageantes envers un peuple auquel on ne
peut refuser des sentiments d'amour- propre et de fierté.
Dans des procédés de cette nature, les causes matérielles ne sont rien ; on doit considérer les effets en ce qu'ils ont de pernicieux : le mécontentement et le dégoût pénétrèrent dans les hôtels des nobles et dans les habitations des classes moyennes. Ces sentiments furent portés par les jeunes miliciens jusqu'au foyer de leur village ; et cette cause est une de celles qui, au moment de la révolution, portèrent les soldats à déserter leur drapeau et à fouler aux pieds la cocarde orange, heureux qu'ils étaient de pouvoir s'enrôler enfin sous l'étendard national. Nous ne prétendrons pas qu'aucun moyen de séduction n'ait été employé ; mais le mécontentement qui régnait depuis longtemps contribua surtout à amener ce résultat. Il nous manque un état exact, qui puisse faire connaître le nombre comparatif des emplois civils et militaires occupés par les Hollandais et les Belges ; mais il suffit de dire que sur 7 ministres du cabinet, 2 seulement étaient belges ; sur 45 conseillers privés, 27 étaient hollandais, 18 belges ; sur 39 diplomates envoyés (page 71) près des cours étrangères, 9 seulement étaient belges ; parmi les référendaires de première classe, on comptait 8 Hollandais sur 5 Belges ; sur 14 directeurs-généraux, un seulement était belge ; parmi les 9 directeurs de grands établissements militaires, pas un Belge ; sur 117 employés au département de l'intérieur, 11 Belges ; sur 59 à celui des finances, 5 Belges ; et enfin, dans le département de la guerre sur 102 employés, 99 Hollandais et 3 Belges.
Mais l'exemple le
plus frappant, c'est celui qu'offre l'annuaire militaire du royaume des Pays-Bas
pour
(page 74) Relativement au système
financier, nous ne sommes pas dans l'intention de discuter le mérite général de
ce système mais seulement les parties qui sont liées directement à la question
des griefs. Il résultait d'un rapport officiel que, nonobstant 18 années de
paix et d'un commerce florissant, aucune diminution n'avait été apportée dans
les impôts ni dans les charges publiques ; qu'au contraire, le montant total
des budgets, qui était en 1814, de 54,000,000 florins, était en 1819 de
73,200,000 florins, que de 85,076,000 florins, somme à laquelle il s'élevait en
1829, il n'avait été réduit qu'à 80,000,000 florins en 1830 ; que le déficit,
allant toujours en augmentant, exigeait une suite d'emprunts onéreux ; car quoique
les besoins de l'État s'élevassent environ à 82,000,000 florins, les revenus,
dans les années les plus favorables, n'excédaient pas 75,000,000 florins. Delà
un déficit annuel d'à peu près 7 millions (Exposé historique des finances du royaume des Pays- Bas. Bruxelles, 1829).
Il est vrai que le gouvernement des Pays-Bas
commença sa carrière sous des influences financières désavantageuses ; car d'un
côté aucun pays de l'Europe n'avait plus que
Le principal grief
financier dont se plaignait
Plusieurs écrivains
distingués ont prétendu que la reconnaissance de la première de ces dettes,
dont les deux tiers avaient été annulés par les Français, n'était pas urgente,
que le mal était passé et oublié, que le royaume n'était pas en situation de
pouvoir admettre une augmentation de charges, et que ces valeurs étaient
passées des mains des créanciers originaires dans celles d'une foule
d'agioteurs qui les avaient achetées à vil prix, et qui seuls jouissaient des
avantages de cette reconnaissance, tandis que les propriétaires originaires et
leurs héritiers n'en retiraient aucun bénéfice. Mais certainement un tel
argument ne peut être admis un seul instant ; car quelle que puisse être la
pénurie des finances, il n'est jamais trop tard pour accomplir un acte de
justice, ni trop tôt pour annuler un acte de spoliation ; et si les créanciers
originaires avaient disposé de leurs créances, ceux qui les possédaient en
avaient fourni l'équivalent, et avaient couru tous les risques ; ils en étaient
propriétaires de bonne foi, et par conséquent étaient en droit de profiter de
toute éventualité favorable. On pouvait tout aussi bien argumenter de ce que
dans l'hypothèse d'une banqueroute nationale, les acheteurs auraient eu le
droit de réclamer des créanciers primitifs le remboursement de la somme qu'ils
auraient perdue.
En outre, la
reconnaissance de la dette était (page 77) non seulement éminemment politique en ce qui concernait le
crédit du nouveau gouvernement qui de cette manière prouvait à l'Europe sa
bonne foi et son intégrité, mais encore elle était extrêmement favorable à la
nouvelle dynastie, en inspirant de la confiance dans l'équité du monarque.
Si on appliquait les arguments employés contre la reconnaissance de la dette, à d'autres transactions de même nature, il en résulterait les conséquences les plus fatales, et une foule d'actes de déloyauté et de mauvaise foi de la part du gouvernement, lesquels conduiraient au renversement du crédit public. Car il n'existe pas de différence entre le refus de payer une dette juste et le refus d'en reconnaître une qui a été mise en question non par la volonté nationale, mais par la conquête étrangère. Si le gouvernement hollandais n'eût pas agi comme il a fait, il eût sanctionné et confirmé un acte de spoliation que doit réprouver tout honnête homme et qui est assurément l'acte le plus tyrannique et le plus ruineux qui puisse atteindre une nation.
Ainsi en admettant la
politique et l'équité qui présidèrent à la reconnaissance de la dette différée,
on ne peut nier qu'il ne fût dur pour le peuple belge de se voir imposer une
taxe, dans laquelle il n'était pour rien, soit dans le passé soit dans le
présent, et dans laquelle son honneur national n'était nullement intéressé ;
car les charges (page 78) insignifiantes de la dette austro-belge n'excédaient pas un capital de S2
millions de florins ; et néanmoins les Belges furent forcés de contribuer à
supporter le poids d'une dette énorme contractée par un peuple auquel ils se
trouvaient forcément réunis. Ainsi quand la paix de 1815 vint fixer les
destinées des Pays-Bas, les Belges, au lieu de voir diminuer leur contribution,
virent les principaux impôts doublés sans le plus léger espoir d'allégement
ultérieur. Il est un point d'économie politique que comprend généralement le
peuple, c'est celui qui a rapport aux charges publiques ; car il est obligé d'y
contribuer directement et de ses propres deniers. On n'a donc pas lieu de s'étonner
du mécontentement universel qu'il éprouva en s'apercevant que les impôts
étaient deux fois plus élevés que les années précédentes, et que sa position
sous ce nouveau gouvernement était beaucoup plus désavantageuse que lorsqu'il
était uni à
Pour combler le
déficit périodique qui accompagnait chaque présentation du budget annal, il fut
nécessaire non seulement d'augmenter les droits sur la consommation et les
accises et d'entrer dans un système en tous points opposé aux principes
ordinaires d'économie politique, mais encore d'avoir recours à des taxes
extraordinaires qui amenèrent les odieux impôts de la mouture et de rabattage.
(page 79) Le premier de ces
droits se payait sur le grain et la farine introduits dans les villes. Le produit
annuel de cet impôt, un des plus pénibles qu'on puisse infliger au peuple,
puisqu'il porte sur un objet de première nécessité, le pain, s'élevait à
environ 5,500,000 fl. ; cet impôt était d'autant plus impolitique qu'il
atteignait principalement les classes inférieures, lesquelles, à cause de cette
augmentation dans le prix du pain, étaient obligées de s'imposer les plus dures
et les plus amères privations. En Hollande, où la consommation du pain est
infiniment moindre, où les pommes de terre et d'autres végétaux sont les
principaux objets qui servent à la subsistance du peuple, cet impôt était plus
tolérable ; mais il répugnait au plus haut point aux habitants des provinces
méridionales, dont il blessait les habitudes ; et il en résulta un sentiment
général de désaffection qui s'étendit à toutes les classes du peuple.
La seconde de ces
taxes, produisant environ 2,500,000 fl., se prélevait sur le poids général des
viandes de boucherie, et après que les droits d'octroi sur l'animal vivant
avaient déjà été acquittés à son entrée dans la ville. Cette charge, qui
retombait moins directement sur les classes pauvres, aurait probablement pu
être maintenue, si elle n'eût été imposée au pays en même temps que la mouture,
dont elle partagea l'impopularité.
Ces impôts
vexatoires furent admis par les (page 80) chambres, le 21 juillet 1821. On peut se former une idée
de leur impopularité en Belgique, en donnant le résultat des votes qui eurent
lieu à cette occasion : la majorité fut de 55 ; la minorité de 51. Deux Belges
seulement votèrent pour le premier, et pas un Hollandais ne vota contre. Ainsi,
sur 53 Belges on n'en trouva que deux disposés à voter contre les intérêts de
leurs commettants ; deux autres, qui se trouvaient par hasard absents,
exprimèrent ouvertement leur désapprobation. Il est impossible d'avoir une
preuve plus palpable des sentiments de la nation et de la conduite impolitique
du gouvernement, qui persista dans une mesure de cette espèce, en dépit de
l'opinion et de la voix de tout un peuple ; mais malheureusement les ministres,
satisfaits d'avoir une majorité quelconque, ne tinrent aucun compte des
conséquences désastreuses qu'une opposition si puissante pouvait amener pour
eux-mêmes et pour le pays. Fatal aveuglement politique, qu'on ne peut expliquer
que par la confiance trop exclusive qu'ils avaient dans leurs forces, et par la
conviction où ils étaient de connaître les sentiments du peuple belge, mieux
que ses propres représentants. Car ce serait une accusation trop grave que
d'assurer qu'ils n'eurent aucun égard à l'opinion publique, et qu'ils étaient
résolus de sacrifier les intérêts des provinces méridionales à ceux des
provinces septentrionales.
(page 81) Nonobstant les plaintes et les
remontrances les plus énergiques, ce ne fut qu'en 1829 que ces impôts furent
abolis ; mais, quoique leur abolition amenât une réaction momentanée, le mal
était trop profondément enraciné pour que le gouvernement pût le faire
disparaître par une concession forcée, après avoir été obligé deux fois de
retirer le projet de budget décennal de 1830 à 1840.
La suppression de
cette taxe ayant causé un déficit de plus de 8 millions dans le revenu, sans
réduction correspondante dans la dépense, il était nécessaire d'y pourvoir par
la création d'autres impôts. Le premier fut en conséquence remplacé par un
droit sur les chevaux, les bêtes à cornes et les moutons ; le second par une
augmentation dans les accises, savoir : de 50 p. c. sur les vins et les
spiritueux étrangers, et de 30 p. c. sur les vins et les spiritueux nationaux ;
de 25 p. c. sur le sel, la bière, le vinaigre, et de 10 fl. par 100 kil. de
sucre. Ainsi, quoique les taxes impopulaires fussent abolies, les charges du
pays ne furent pas pour cela allégées ; de sorte que quand le premier élan de
joie fut passé, le mécontentement public se réveilla. En outre, en transférant
par ce changement du consommateur au producteur la charge de l'impôt, on
diminua la production de la matière première ; l'augmentation de la taxe sur
les vins et les spiritueux étrangers, nuisit à la consommation, ce qui
n'aboutit qu'à encourager (page 82)
la fraude et à diminuer les revenus publics, maux qui viennent
généralement à la suite du système prohibitif, base de la politique commerciale
du gouvernement hollandais pendant l'union des deux pays.
Les embarras dans lesquels le gouvernement se trouva engagé étaient tels, que dès 1822 il fut nécessaire de recourir à un emprunt de 50,000,000 fl. Mais cette ressource fut bientôt épuisée ; chaque budget subséquent était grevé d'un déficit, jusqu'à ce qu'enfin la détresse des finances devînt telle qu'après plusieurs essais on forma le projet d'une institution depuis célèbre ; nous voulons parler du syndicat d'amortissement ; après une vive discussion, la loi portant création de cette institution passa le 30 décembre 1822.
Les opérations du
syndicat étaient si obscures et tellement inexplicables qu'elles étaient
incompréhensibles pour ceux qui n'étaient pas initiés aux secrets de son
organisation intérieure. Tel était le mystère qui couvrait ses opérations, que
quoique la commission du syndicat fût composée de 7 membres, qui tous avaient
juré d'observer la plus inviolable discrétion, ses transactions privées
n'étaient cependant connues que du président et de son secrétaire.
L'acte établissant
cette société et approuvant ses statuts, fut admis par une grande majorité ;
mais très peu en comprirent les détails, et personne (page 83) ne put obtenir
d'éclaircissements sur cette machine compliquée qui fut chaudement attaquée
dans les chambres et au dehors. On soutint qu'elle avait pour principal objet
d'éluder la vigilance des députés, de soustraire une certaine partie des
dépenses publiques au contrôle et au vote des états-généraux, pour les placer
sous la direction d'une commission secrète, sur laquelle ils ne pouvaient
exercer aucune autorité, commission qui n'avait aucune responsabilité, et dont
les comptes, selon l'art. 49 des statuts, ne devaient être livrés à la
publicité que tous les 10 ans, et pour la première fois en 1829, 7 ans après la
création du syndicat. On objectait aussi qu'elle augmentait le poids de la
dette sans diminuer les taxes anciennes ou le déficit, tandis que la vente des
domaines nationaux dont elle avait l'inspection, et sur laquelle elle faisait
d'énormes profits, pouvait être comparée à la conduite d'un prodigue vivant sur
son capital, sans égard à la diminution qui devait en résulter pour son revenu.
Elle fut enfin déclarée en opposition avec l'art. 101 de la loi fondamentale,
puisqu'elle allait jusqu'à entreprendre l'exécution d'ouvrages publics, malgré
la volonté contraire des chambres (Ceux, par exemple, qui avaient pour but la réunion au continent de l'île
de Marken, dans le Zuyderzée).
Cette
institution était donc regardée comme un mystérieux imperium in imperio, ayant
dans (page 84) ses
attributions l'administration des mines, des domaines, le monopole des
communications par terre et par mer, et d'autres sources de revenus
incompatibles avec les attributions d'une compagnie privée ; on lui reprochait
d'avoir des principes diamétralement opposés à ceux de cette publicité franche
et sans détour qui doit être la règle de tout gouvernement constitutionnel.
Quels qu'aient pu
être le mérite ou les défauts de cette institution, il est certain qu'elle fut
constamment très utile au gouvernement ; car pendant les sept premières années
de son existence, de 1823 à 1829 inclusivement, elle fournit une somme de
58,885,543 fl., qui servit à couvrir le déficit annuel.
Un autre grief
financier, qui excita des plaintes amères, fut le million porté au budget
extraordinaire, sous le titre de besoins imprévus, et communément nommé million
de l'industrie. Cette somme était votée globalement, et la dépense n'en
était soumise à aucun contrôle, contrairement à l'esprit du vote de la
législature, qui en voulait faire un fonds destiné à être distribué en prêt aux
fabricants dont les opérations étaient arrêtées par manque de capitaux, et en
avances aux spéculateurs qui se proposaient d'exploiter des mines, de créer des
manufactures ou de se livrer à d'autres entreprises commerciale.
(page 85) Mais la
répartition de cette somme restait un secret pour les chambres, et les intérêts
annuels qu'elle rapportait, ne figuraient pas plus que le capital dans les
comptes du trésor public. On conclut de cette absence de tout contrôle
législatif, que le gouvernement prélevait sur cette allocation de fortes sommes
destinées à favoriser des vues purement politiques et à rémunérer des services
secrets ; c'est ainsi que l'on vit figurer une somme de 100,000 fl. au profit
du trop célèbre et fatal éditeur du National, Libry-Bagnano.
Que ces accusations
soient ou non fondées en fait, c'est une chose difficile à établir ; quoi qu'il
en soit, il est certain que l'industrie retira les plus grands avantages de
l'existence d'un fonds spécial destiné à l'encourager. Il facilita les
spéculations qui, d'abord insignifiantes, s'élevèrent peu à peu à une haute
importance relative ; il donna l'impulsion à l'emploi des petits capitaux et
des entreprises utiles ; il mit les nouveaux fabricants à même de surmonter les
difficultés d'un premier établissement, et couvrit les embarras des anciennes
maisons de commerce qui éprouvaient des sinistres inattendus. Dans le fait, il
établit les fondements de cette prospérité qui existait en apparence en Belgique,
au moment de la révolution.
On a traité d'erreur
en économie politique, l'intervention directe du gouvernement dans les (page 86) intérêts
manufacturiers, qui, même dans les moments de la plus grande détresse, doivent
être abandonnés, dit-on, à leurs propres ressources et n'avoir de régulateurs
dans les entreprises que les besoins du marché. Cela peut être d'une haute
politique dans les anciens états comme l'Angleterre, où il existe un immense
capital flottant, et où la banqueroute d'un seul individu ne sert qu'à stimuler
les efforts des autres spéculateurs, et à les amener à de plus grands
sacrifices. Mais dans un état naissant comme les Pays-Bas, où les capitaux
étaient limités, où l'esprit de spéculation était à créer, et où une longue
exclusion des bénéfices généraux du commerce avait rendu le peuple apathique et
timide, les encouragements fournis par le gouvernement étaient très avantageux.
Sans cette assistance, sans la protection efficace de la couronne, il est
probable que la maison de M. Cockerill, établie à Seraing près de Liége, et
plusieurs autres maisons moins importantes de Garni, Tournay, Mons et Bruxelles
ne seraient jamais arrivées à ce degré de splendeur qui a rendu la première
surtout un objet d'admiration même pour les Anglais (En vertu d'un contrat, passé avec le gouvernement belge, M. Cockerill
est devenu seul propriétaire de l'établissement de Seraing, dont la moitié
appartenait auparavant à l'ex-gouvernement).
(page 87) Quelque grandes que puissent avoir
été les plaintes des Belges contre le système financier du gouvernement
hollandais, sa plus grande erreur ne fut pas d'avoir établi les droits
impolitiques de mouture et d'abattage, d'avoir détourné de son
but le million de l'industrie, d'avoir créé le syndicat, ou refusé de mettre
des droits élevés sur le café, le thé, le tabac, dans la crainte de nuire au
commerce hollandais, tandis qu'il frappait les distilleries et les autres
branches d'industrie belge de taxes qui leur étaient fatales ; mais son tort
principal fut d'avoir maintenu avec opiniâtreté, année par année, la
supériorité du chiffre total du budget des dépenses sur celui du budget des
voies et moyens, et d'avoir ainsi oublié entièrement que « quand les ressources
d'un état ne peuvent être mises au niveau de ses dépenses, il est indispensable
de réduire celles-ci au niveau des recettes. » C'est parce que l'on méconnut
ces principes si simples, que le déficit alla chaque année en augmentant ; et
en dépit des secours occultes du syndicat, la dette publique s'accrut jusqu'à
la somme de 272,000,000 fl., et exigea comme conséquence rigoureuse, un
accroissement proportionnel dans le produit des impositions ; faits d'autant
plus extraordinaires, que la nation avait joui d'une paix profonde pendant 16
ans et que le commerce, l'industrie et l'agriculture étaient, au dire du
gouvernement, dans une situation non (page
88) pas seulement apparente, mais réelle de prospérité.
Nous arrivons
maintenant au quatrième grief, et peut-être à celui qui causa le mécontentement
le plus vif, nous voulons parler de l'établissement à
Ce monopole était
surtout odieux dans les procès suscités à la presse par les poursuites du
gouvernement ; car quelles que fussent la probité et l'équité (page 89) des jurisconsultes hollandais,
il leur eût été difficile de contrebalancer l'influence de la cour et du
gouvernement, agissant sur l'esprit de juges qui pouvaient être démissionnés
par la seule volonté de la couronne, et qui d'ailleurs étaient fortement prévenus
contre les Belges. Les intérêts du barreau belge et du public n'auraient donc
pas été représentés, excepté peut-être par quelques jeunes avocats que la
nécessité aurait forcés à s'établir à
Il me reste à parler
des griefs des catholiques, que nous indiquerons aussi succinctement que
possible.
Depuis la révolution du seizième siècle,
(page 91) Les habitants protestants des provinces-unies,
depuis longtemps habitués à se soumettre aux volontés des stathouders, auraient
tout accordé au Roi, eux, qui libres et sans inquiétudes pour leurs doctrines
religieuses, étaient presque indifférents en cette matière. Mais il n'en était
pas de même en Belgique, où, en dépit des conquêtes et des mutations politiques
successives, les catholiques avaient réussi à conserver leurs droits et
immunités religieuses, et n'avaient renoncé en rien à l'individualité de leur
doctrine. Chaque nouvelle agression ne servait qu'à les rendre plus fermes,
plus unis et plus animés contre tout empiétement. Mais, par une tactique
adroite, le clergé avait aussi évité de séparer les questions religieuses des
questions nationales ; et, dans les moments de nécessité, les deux partis se
portèrent secours l'un à l'autre. La courte révolution qui
eut lieu sous le règne de Joseph II, en fournit une preuve frappante. Le roi
eût bien fait d'imiter vis-à-vis de l'église, l'exemple des souverains en
Angleterre, qui, quoique chefs constitutionnels, et défenseurs naturels de
l'église nationale, s'abstiennent de toute intervention directe dans les
matières ecclésiastiques, les abandonnant sagement à la juridiction des
évêques. Sans être investi des mêmes pouvoirs de jure, le roi Guillaume
se les arrogeait de facto ; mais par là il irritait profondément les
susceptibilités catholiques, et se plaçait en hostilité (page 92) ouverte avec les principes
fondamentaux de l'église romaine.
L'opposition se manifesta sous ce rapport, dès l'origine de l'union mal assortie des deux nations. Dès l'instant où les clauses du projet de constitution furent soumises à l'acceptation des notables, les évêques élevèrent la voix pour les combattre et stigmatisèrent les unes comme dangereuses, les autres comme directement opposées à la foi catholique. Ils déclarèrent à l'unanimité que, si la loi fondamentale passait sans modification, jamais les catholiques ne pourraient prêter le serment d'y obéir, sans violer la loi de leur conscience et sacrifier les intérêts de leur religion. Malgré ces remontrances, et le rejet absolu par une grande majorité de notables belges de la loi fondamentale, celle-ci fut promulguée. Dès lors l'opposition apparut aux Belges comme un devoir de conscience aussi sacré qu'elle a semblé l'être aux catholiques irlandais, dont les droits ont été reconnus par l'acte d'émancipation.
Les articles de la
loi fondamentale que l'on regardait comme particulièrement dangereux, étaient
ceux qui avaient rapport à la liberté de la presse, à la liberté religieuse, et
aux restrictions apportées à l'exercice du culte catholique. Les clauses
contraires à la croyance romaine étaient la soumission de l'instruction
publique et privée au contrôle direct du gouvernement, établie par la législation (page 93) française et
provisoirement maintenue par le gouvernement hollandais, enfin l'obligation de
prêter serment à la constitution (La partie du serment à laquelle on s'opposait était : « Je jure
d'observer et de maintenir la foi fondamentale du royaume, et qu'en aucune
occasion et sous aucun prétexte quelconque, je ne m'en écarterai, ni
consentirai qu'on s'en écarte. »).
La répugnance des
catholiques pour quelques-uns de ces articles était, sans aucun doute, facile à
justifier ; mais leur opposition aux dispositions qui assuraient une protection
égale à toutes les croyances décelait une jalousie, un manque de tolérance
contrastant fortement avec leurs protestations de libéralisme (Voici les articles de la loi fondamentale, concernant
la religion : Art. 190. La liberté des opinions religieuses est garantie à
tous. - Art. 191. Protection égale est accordée à toutes les communions
religieuses qui existent dans le royaume. - Art. 192. Tous les sujets du roi,
sans distinction de croyance religieuse, jouissent des mêmes droits civils et
politiques, et sont habiles à toutes dignités et emplois quelconques. - Art.
Mais les catholiques
avaient-ils le droit de réclamer pour eux-mêmes une liberté illimitée qu'ils
refusaient aux autres cultes ? Les catholiques répondaient que leurs plaintes
étaient fondées sur la partialité du gouvernement pour les protestants ; le
gouvernement, pour calmer leurs alarmes, assurait que les dispositions dont ils
se plaignaient devaient être considérées sous un point de vue civil, et comme
mesures d'ordre public, que la religion catholique n'était par conséquent
menacée d'aucun péril ; mais ces assurances ne produisirent aucun effet ; les
catholiques assuraient qu'ils avaient étudié l'histoire du gouvernement
hollandais ; que celui-ci s'était, dans tous les temps, montré en hostilité
ouverte contre leur foi, et que les stathouders et les familles privilégiées,
arrivées au pouvoir par le protestantisme, devaient nécessairement tâcher de
s'y maintenir par son ascendant.
Ici encore nous
trouvons qu'une partie des soupçons et de la jalousie des catholiques résultait
d'anciens préjugés, plutôt que d'un désir de tolérance ; toutefois leurs appréhensions (page 95)
paraissent avoir été trop souvent réalisées, car plusieurs journaux sous
l'influence du gouvernement, parlaient de leur croyance dans les termes les
plus injurieux, et traitaient de la manière la plus indigne le clergé, qui
avait encore à souffrir une persécution de la part des ministres, lorsqu'il lui
arrivait de faire entendre ses plaintes. C'est ainsi que sous les plus frivoles
prétextes, plusieurs prêtres furent cités devant des tribunaux qui n'offraient
aucune garantie d'équité ; car les juges étaient révocables par la seule
volonté du roi ; et leur sentence n'était point basée sur le verdict d'un jury
; on pouvait donc comparer ces tribunaux à des cours prévotales, ou à la
chambre étoilée. Il en résulta, par exemple, qu'un prêtre fut jugé et condamné
à l'emprisonnement, comme auteur d'un pamphlet, par un tribunal extraordinaire (L'abbé de Foere directeur, d'une communauté
religieuse» à Bruge et membre de la chambre des
représentants, l'un des hommes les plus éclairés de
A ces actes de sévérité, le gouvernement en ajoutait de non moins impolitiques, dans le choix des personnes qu'il persécutait, puisque (page 96) les accusés se trouvèrent, pour la plupart, être des hommes d'un caractère recommandable et en possession d'une grande popularité. Ainsi, quand le prince évêque de Gand tomba sous la férule des tribunaux, sa sentence fut à peine prononcée qu'elle fut annulée par l'opinion publique, aux acclamations de tout le pays. Non content de cela, le gouvernement intervint dans les relations des évêques avec le clergé inférieur ; le prince de Broglie, et ses vicaires-généraux, par exemple, furent déclarés privés de toute juridiction spirituelle ; quelques curés furent révoqués ; à d'autres on refusa l'installation, et les cures restèrent ainsi vacantes pendant plusieurs mois. Indépendamment de ces vexations, le gouvernement adopta d'autres mesures faites pour réaliser les appréhensions des catholiques : l'instruction religieuse fut entravée et en quelque sorte prohibée dans les écoles (Des 68 inspecteurs des écoles publiques en Hollande, où un tiers de la population était catholique, pas un n'était de cette religion).
Des livres de philosophie qui pouvaient être
considérés comme ayant une tendance au déisme furent spécialement recommandés, et
dans quelques cas il en fut même introduit qui contenaient des épigrammes
contre la discipline de l'église, et qui mettaient en doute l'autorité du pape.
Pendant un certain temps on plaça à la tête de l'instruction publique
un fonctionnaire protestant ; les écoles catholiques, les petits séminaires
furent supprimés ; on refusait, autant que possible, au clergé catholique
l'accès des écoles placées sous le contrôle du gouvernement ; les fêtes
religieuses et les processions furent entravées, sous prétexte de maintenir
l'ordre public (Le grand objet du
gouvernement en supprimant quelques-unes des fêtes, n'était pas de nuire à la
religion catholique, mais d'être utile au peuple en diminuant le nombre des
jours qu'il consacrait ordinairement à la paresse et à l'ivrognerie), et les
maisons d'école furent bâties d'après un plan calqué sur celui qu'on emploie
communément pour la construction des temples des réformés (Ceci
peut paraître une cause d'alarme ridicule, mais telles étaient les craintes et
les jalousies des catholiques qu'elle ajoutait pourtant à leurs griefs). Enfin
les étudiants du pays furent obligés par décret de faire leur éducation dans le
royaume, sous peine d'être déclarés inadmissibles à toute fonction publique, ce
qui était un attentat aux droits civils.
Mais ce qui mit le
sceau à l'exaspération générale et confirma le clergé dans l'opinion que
l'intention du gouvernement était de protestantiser le pays, ce fut
l'établissement d'un collège philosophique à Louvain, dont la fréquentation fut
d'abord déclarée obligatoire, mais qu'on fut (page 98) contraint dans la suite de rendre
facultative, pour faire cesser la clameur publique. Là, comme l'indique la
qualification donnée à cet établissement, le système d'éducation était
essentiellement philosophique et sous la surveillance immédiate de supérieurs
et de professeurs protestants, et quoique les cours embrassassent l'histoire
ecclésiastique, y compris le droit canon, on refusa aux évêques et vicaires, la
juridiction ou le pouvoir d'interprétation ; c'était là faire naître un énorme
grief ; car l'histoire ecclésiastique n'étant autre chose que celle du dogme,
et le droit canon étant seulement la forme sous laquelle le dogme était
publiquement professé, on en concluait que le gouvernement se rendait maître de
la forme, et s'arrogeait ainsi le pouvoir sur le dogme. Ces faits et d'autres
subtilités théologiques, furent discutés avec beaucoup d'habileté par le clergé
; tout le système du gouvernement fut déclaré être un perpétuel envahissement
des droits des catholiques, et une violation directe de la constitution,
justifiant pleinement toutes leurs appréhensions passées et leur opposition à
venir.