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« Histoire de la révolution belge de 1830 », par Charles
White, (traduit de l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).
Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836
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TOME 1
(page 34) Depuis la paix de
Campo-Formio jusqu'au printemps de 1814, les départements belges restèrent
enchaînés aux destinées de l'empire français. A cette époque, la vieille
Néerlande avait déjà secoué le joug de la France, et encore pleine du souvenir
qu'un gouvernement oligarchique avait laissé dans les esprits, elle rappela de
l'exil les descendants de ses stathouders pour les élever à la dignité de
princes souverains (Le baron Fagel et
Perponcher, députés en Angleterre pour cet objet, étaient dans un tel état de
dénuement que le gouvernement britannique fut obligé d'avancer au prince
souverain une somme de
Le premier soin des
alliés, après qu'ils eurent conquis
Il n'est pas
nécessaire d'observer que si les assurances contenues dans les traités et (page 36) proclamations
des alliés avaient été prises à la lettre,
La renonciation de
l'empereur François à ses droits de souveraineté sur les provinces belges fut
aisément obtenue et compensée par des accroissements de territoire en Italie.
Le monarque autrichien dut abandonner sans trop de répugnance des possessions
qui avaient coûté à ses prédécesseurs tant d'argent et tant de soldats, et qui,
en le plaçant de nouveau en contact immédiat avec la France, exposaient
l'Autriche à être entraînée dans de nouvelles guerres, dès qu'une cause
quelconque amènerait la désunion entre elle et la France, et même seulement entre
la France et toute autre puissance européenne. C'est à cette (page 37) renonciation de
l'empereur d'Autriche qu'il faut attribuer en partie le maintien de la paix en
Europe, lors de la conflagration de 1830 ; car si
Eu l'unissant à
Un partage de
L'Europe, au
surplus, voulait élever une barrière contre les empiétements de cette puissance
; et si on avait rattaché
Il ne restait donc
qu'à ériger
La théorie sur
laquelle cette résolution fut basée était éminemment politique et en harmonie
avec (page 39) la
tranquillité et les intérêts de l'Europe ; mais l'exécution de cette
combinaison était hérissée de difficultés et féconde en dangers pour l'avenir.
Aussi ce ne fut pas sans avoir hésité longtemps que le prince à qui le trône
des Pays-Bas fut offert se décida à accepter cette tâche herculéenne, comme
s'il avait eu le pressentiment de ses malheurs futurs. En réponse aux
ouvertures des commissaires envoyés pour lui faire part du projet des
puissances alliées, il présenta un contre-projet tendant à faire de
Cette proposition
consistait dans la cession à
Ce projet ne donna
pas lieu à un examen sérieux ; car les alliés, tout en déviant de la promesse
qu'ils avaient faite « de rétablir toutes les (page 40) nations dans leur condition première », n'avaient
pas en vue des accroissements de territoire au profit de
Le but réel des
grandes puissances a été trop longtemps perdu de vue dans la polémique qui a eu
lieu depuis, spécialement par ceux qui considèrent le traité des 24 articles,
dont nous parlerons plus loin, comme une spoliation directe de
En premier lieu,
En second lieu, il
est notoire que le prince souverain n'a pas été choisi dans son intérêt
personnel et comme membre de la famille des Nassau, mais parce qu'il se
trouvait être le chef d'un pays auquel les alliés avaient résolu de réunir
C'est donc bien à
tort que l'on a mis en avant une prétendue spoliation au préjudice des
Hollandais, une violation des droits de leur souverain ; car ce prince n'avait
aucun droit ni héréditaire ni légitime, si ce n'est ceux résultant des (page 43) traités qui
relevèrent à la royauté. Et que sont ces traités, si ce n'est un contrat
obligatoire, aussi longtemps qu'il n'est pas en désaccord avec le bien-être
général ? Il n'était certes pas irrévocable, eu égard à des droits personnels
ou à des droits de propriété ; il fut dicté par la nécessité et imposé par la
force ; il était soumis aux circonstances et susceptible d'être modifié par la
volonté de ceux qui l'avaient établi. L'épée trace les traités que la plume ne
fait que ratifier ensuite. L'histoire de la diplomatie fournit mille preuves de
changements et de remaniements de traités, et il n'en est pas de plus frappants
que ceux qui concernent particulièrement les affaires des Pays-Bas.
Les droits ou plutôt les avantages qui résultèrent pour le roi et sa dynastie de la volonté des alliés lui furent acquis par la force des événements ; et c'est par l'impulsion contraire de ces mêmes événements qu'il en a perdu une partie. Les fondements du royaume des Pays-Bas reposaient malheureusement sur le sable, les matériaux qui avaient servi à l'élever étaient aussi hétérogènes que ceux de la statue de Nabuchodonosor ; et les architectes qui l'avaient construit furent contraints d'approuver la démolition après en avoir reconnu les vices. Ainsi le roi Guillaume, élevé seulement en faveur des intérêts européens, a dû être sacrifié à la même loi de la nécessité.
(page 44) Tout cela n'a pas eu lieu sans de profonds
regrets, ce n'est pas par leur propre impulsion et sans avoir la main forcée que
les puissances appelées à maintenir la paix de l'Europe ont sanctionné les
malheurs d'un monarque bienveillant, chéri et respecté à juste titre, par ses
concitoyens, d'un roi, modèle des vertus domestiques et privées, qui s'était
fait par son équité et sa connaissance profonde des lois internationales, une
réputation telle que des peuples éloignés le choisirent pour arbitre de leurs
différends, d'un prince qui, quels qu'aient été les vices de son système de
gouvernement avait élevé incontestablement
Cette rigueur a été
néanmoins beaucoup exagérée ; on ne peut la comparer à la destinée (page 45) fatale qui a
accablé d'autres maisons royales. Qu'on jette les yeux sur la branche aînée des
Bourbons, qu'on jette surtout les yeux sur l'ex-roi de Suède. Peut-on trouver
un plus triste exemple des vicissitudes humaines et de l'instabilité des
grandeurs royales ? Dans ce dernier monarque, nous voyons le descendant d'une
longue lignée de rois, parcourant le monde comme un malheureux banni ; tandis
qu'un soldat de fortune, né dans les rangs du peuple, et qui n'a rendu que des
services équivoques aux alliés qui confirmèrent son élévation, un homme qui fut
ostensiblement traître à sa patrie, possède en paix ce sceptre qui fut la
terreur de l'Europe, alors qu'il était porté par le grand Gustave-Adolphe et
l'indomptable Charles XII (La conduite équivoque du prince royal de Suède,
(depuis la bataille de Leipsick jusqu'au moment de l'entrée des alliés à Paris
en 1814, quand il espérait être appelé au trône de France), est
connue de tous les hommes publics). Le roi des Pays-Bas ne fut-il
pas lui-même forcé de refuser la main de sa fille au fils du prince détrôné,
pour ne pas donner ombrage à
Pour en revenir à
l'union mal assortie de
Indépendamment de la
dédaigneuse indifférence avec laquelle les alliés oublièrent de demander
l'assentiment du peuple belge à leur combinaison, ils parurent avoir perdu de
vue l'histoire morale des Pays-Bas, et avoir oublié les semences de haines, de
jalousies et de dissentiments religieux et politiques qui avaient pris racine
dans le pays depuis le règne de Philippe II. Dans leur empressement à consommer
leur ouvrage, ils perdirent de vue tous ces germes de discorde et proclamaient la
fusion, comme si une fusion nationale pouvait être obtenue par le transfert
diplomatique d'un peuple sous la domination d'un autre.
« Ce
n'est qu’à la divinité (dit un auteur
hollandais) qu'il appartient de dire : que la lumière soit faite ! Mais
quand les hommes osent prendre ce langage ils s'exposent à répandre les
ténèbres là où ils espéraient faire briller la lumière. »
Cette fusion
désirable ne pouvait être obtenue que par un des deux moyens suivants : il
fallait que l'une des deux nations renonçât à ses principes et à ses préjugés
pour se soumettre à ceux de l'autre ; or, pouvaient-elles oublier leur rivalité
continuelle de religion, d'habitudes, d'intérêts, de traditions, de langage,
qui tendait à les maintenir dans une antipathie absolue ! Pouvaient-elles se
faire de mutuelles concessions, oublier toute individualité, et réunir leurs
efforts pour le bien-être général !
De telles
concessions ne devaient pas être attendues de
Nous ne craignons
pas d'affirmer que les alliés établirent leur combinaison sur une base fausse ;
que préoccupés du désir de rétablir l'équilibre européen, et d'ériger une
barrière contre les empiétements de la France, ils eurent trop de confiance
dans la sagesse et l'influence du roi de Hollande, dans la stabilité de la
dynastie au profit de laquelle la restauration venait d'avoir lieu en France,
dans la malléabilité réciproque des peuples qu'ils avaient résolu d'unir ; ils
eurent (page 49)
tort, aveuglés qu'ils étaient par leur désir du bien, d'espérer que le temps,
de mutuelles concessions, et un gouvernement prudent, affaibliraient à la
longue les antipathies qui séparaient ces deux nations, éteindraient les animosités
et garantiraient la durée d'une œuvre que ses auteurs regardaient comme un
modèle de sagesse diplomatique. La base même de l'édifice contenait des
éléments de dissolution nationale. L'union ne pouvait exister que par une
similitude complète d'intérêts, de droits, de privilèges, par la plus stricte
impartialité dans la répartition des impôts, l'égalité de la représentation
nationale ; mais il était impossible d'obtenir tous ces points essentiels. Les
principes de la loi fondamentale, dont l'acceptation ne se fit pas sans
résistance, n'étaient pas calculés de manière à assurer à chacun des deux pays
une existence durable ; cette constitution était entachée de deux ou trois
vices capitaux, dont l'un consistait dans l'omission du principe de la responsabilité
ministérielle, l'autre dans la lacune que laissait l'absence de la prérogative
constitutionnelle que le roi aurait dû avoir de dissoudre les chambres. Ces
vices du pacte fondamental eurent, comme nous le verrons plus loin, les plus
graves conséquences (La loi
fondamentale ayant pour titre : « Groudwet voor het Konnigryk der Nederlanden »
fut rédigée par une commission de 24 membres et composée
moitié de Belges, moitié de Hollandais ; elle ne fut en fait qu'une
modification de la loi fondamentale des Provinces-Unies ; elle fut présentée à
la sanction royale le 13 juillet 1815 et promulguée le 24 août suivant. Les
notables hollandais qui s'assemblèrent pour discuter le projet original
votèrent son acceptation à l'unanimité ; mais en Belgique, sur 1323 votants il
y eut 796 votes négatifs et 527 votes affirmatifs. Or, comme 126 des premiers
déclarèrent que leur vote négatif n'avait rapport qu'aux articles qui
concernaient les matières religieuses, leur vote fut supposé affirmatif en ce
qui concernait les autres dispositions ; puis, comme environ un sixième des
notables belges n'avait pas voté, leur absence fut aussi considérée comme une
adhésion ; et la loi passa, de cette manière, non sans exciter la clameur
générale.) (page 50) Cette constitution était plus
favorable à
« Le nombre des
députés que chaque province envoie aux états-généraux n'a pu être réglé d'une
voix unanime. Plusieurs membres croyaient que la base à la fois la plus juste
et la plus simple était la population de chacune d'elles ; des raisons
plausibles et des exemples nombreux ne manquaient pas à l'appui de cette
opinion ; on a combattu ces raisons, on a contesté la justesse des applications
que l'on faisait de ces exemples à la réunion de nos provinces, et l'on a dit
que les colonies qui reconnaissaient les provinces septentrionales pour leur
mère-patrie, l'importance de (page 52)
leur commerce et plusieurs millions d'habitants soumis aux
lois de la métropole, ne permettaient pas d'adopter cette base ; que le seul
moyen d'établir parfaitement et pour toujours une union intime et sincère entre
les deux pays était de donner à l'un et à l'autre une représentation égale. La
majorité s'est rangée à cet avis. »
Il est juste cependant d'observer que les difficultés de cette distribution étaient tout à fait indépendantes de la volonté du roi et de ses conseillers, et devaient être attribuées à des causes statistiques qui empêchaient tout autre mode d'arrangement. Le mal qui devait en résulter fut encore aggravé par l'égoïsme des députés hollandais et par l'inconciliable diversité d'intérêts politiques et de croyances religieuses qui existait dans les chambres. Une moitié des états-généraux était protestante et l'autre catholique ; la langue d'une moitié de l'assemblée était à peine comprise par l'autre. C'étaient là des faits qui devaient suffire pour amener un schisme éternel (La seconde chambre des états-généraux était composée de 110 députés, dont une moitié était nommée par les Hollandais et l'autre par les Belges. La proportion était d'un député par 37 mille habitants pour les premiers, et d'un par 61 mille pour les seconds. Pour les pays réunis, le terme moyen était d'un représentant par 50 mille habitants ; le maximum de la représentation nationale était d'un par 34 mille habitants (province de Groningue) ; le minimum d'un par 82 mille habitants (province de Namur)).
(page 53) Les conséquences funestes de ce système se révélèrent bientôt
dans les discussions et les votes de la 2ème chambre des états-généraux. Chaque
projet législatif ou financier nuisible aux intérêts de
(page 54) Indépendamment des vices de ce mode de représentation
nationale, la loi fondamentale consacrait un abus financier incompatible de
tous points avec les usages et les privilèges de toutes institutions
constitutionnelles ; c'était le vote approximatif du budget pour 10 ans ; les
députés étaient ainsi privés de toute possibilité de scruter les dépenses ou de
demander le plus léger amendement ou économie durant un laps de temps qui
nécessairement devait amener des nécessités de révision ou au moins d'examen.
Il est vrai que le budget était divisé en deux parties ; savoir : un budget
décennal ou ordinaire et un budget annal ou extraordinaire. Mais les points les
plus importants, ceux qui demandaient l'attention la plus scrupuleuse et qui
donnent, tous les ans, lieu aux plus vives discussions, dans les autres corps
législatifs, tels que : la liste civile, la guerre, la marine, les colonies,
les affaires étrangères, l'intérieur et le département des finances, étaient
compris dans le (page 55)
premier, et se trouvaient ainsi à l'abri de tout examen ultérieur pendant 10
années ;la seconde section du budget, formant à peu près un quart de la
totalité, comprenait les dépenses extraordinaires, c'est-à-dire celles qui
tenaient à des circonstances fortuites ;elle renfermait néanmoins presque
toutes les dépenses du département de la justice.
Les vices de ce système décennal étaient si flagrants qu'il est difficile de concevoir comment on a pu trouver en Belgique et en Hollande 24 hommes capables de proposer cette partie de la loi fondamentale, et comment les états-généraux ne repoussèrent pas à l'unanimité le 229ème article de cette constitution, comment ils accueillirent un système si fécond en abus, un système tel qu'on ne pourrait tenter de l'introduire ou de le défendre dans la chambre des communes d'Angleterre sans produire une conflagration générale dans toute la (page 56) Grande-Bretagne. Joignez à cela un autre vice capital que présentait le mode adopté pour le vote des budgets par le règlement de la chambre qui interdisant tout amendement obligeait l'assemblée à les adopter ou à les rejeter en masse.
Nous avons fait voir
quelques-uns des vices inhérents à l'union des deux peuples et à la loi
fondamentale, vices qui étaient de nature à rendre toute fusion impossible. Il
nous reste à déterminer quelques-uns des griefs qui minèrent graduellement le
trône et qui finirent par amener des résultats que tout le monde excepté
l'autorité publique paraît avoir prévus. « Quand une mine est chargée, dit le
comte Charles de Hoogendorp dans une de ses
remarquables publications, une étincelle suffit pour causer l'explosion. Telle
était la situation des affaires en Belgique où cette explosion était prévue
plusieurs années avant la révolution. » On a peine à comprendre
l'aveuglement du cabinet néerlandais, la nonchalance des autorités et
l'indifférence de ceux qui devaient être avertis que le volcan grondait sous
leurs pieds, fautes d'autant plus inexcusables que la révolution de
juillet était pour eux un enseignement dont ils auraient dû profiter.
On a souvent
demandé, non sans raison, comment alors que le gouvernement s'opposait si
imprudemment à toute concession, les ambassadeurs étrangers demeurèrent si
indifférents à tout (page 57)
ce qui se passait. On dit que quelques-uns furent avertis et demandèrent la
médiation de leur cour pour amener le gouvernement des Pays-Bas à adopter des
mesures qui pussent conjurer l'orage. Les résultats prouvent que, si ces avis
ont réellement été donnés, le gouvernement commit une grande faute en ne les
suivant pas ; et c'est là une preuve de plus de la fatale opiniâtreté et du
manque de prévoyance de ceux qui dirigeaient le vaisseau de l'état ; car il est
incontestable que l'on pouvait accorder le redressement de presque tous les
griefs que demandait le peuple belge, et quoique cette concession n'eût jamais
pu amener une fusion complète, au moins aurait-elle détruit tout prétexte
plausible de désunion, en donnant à toute tentative de révolution le caractère d'une inexcusable révolte. Sans
appliquer absolument au gouvernement des Pays-Bas l'aphorisme connu : « Quos
Deus vult perdere prius dementat », il est certain qu'un voile semblait couvrir
ses yeux, et qu'il s'abandonnait à une sécurité tout à fait contraire à ce
qu'on devait attendre du caractère politique du monarque.