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« Histoire de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).

Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836

 

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TOME 1

 

CHAPITRE PREMIER

 

La Belgique. - Son nom et sa nationalité effacés par des conquêtes successives. - Son amour pour la liberté et l'indépendance. - Sa prospérité sous Marie- Thérèse. - Joseph II essaie de propager des principes de tolérance, et d'introduire la réforme dans l'église et dans l'état. - Mécontentement du clergé et des laïques. - Révolte excitée par le Mémoire de Vandernoot. - Les Autrichiens chassés de la Belgique. - Proclamation de l'indépendance du Brabant. - Déchéance de Joseph II. - Sa mort. - Avènement de Léopold. - Défaite des Belges. - Convention de La Haye. - Restauration de la domination autrichienne. - Mort de Léopold. - Avènement de François Ier. - Guerre générale. - Les Français, ayant défait les troupes alliées, entrent en Belgique et en réunissent les provinces à la république française.

 

(page 1) Quoique le nom de la Belgique soit lié aux époques les plus intéressantes de l'histoire romaine et aux succès les plus glorieux des légions impériales, les nombreuses mutations politiques (page 2) que ce pays a subies et qui lui ont fait si souvent changer de maître, son état de vasselage pendant huit siècles, des le temps de César jusqu'à la dernière révolution, non seulement lui ravirent son indépendance comme nation, mais lui enlevèrent jusqu'à son nom, qu'on retrouve pourtant dans la plus haute antiquité et qui se perd même dans la nuit des temps. C'est ainsi que, depuis l'époque où elle passa sous la domination de la maison d'Autriche jusqu'à celle où elle fut conquise par la république française, et même tant que dura sa réunion à la Hollande, les puissances qui la possédèrent successivement parurent avoir eu pour but constant, avoir pris à tâche, de faire disparaître les derniers vestiges de sa nationalité et de détruire jusqu'au souvenir de son nom. En effet, quand on compulse les divers traités conclus sous le régime autrichien ou espagnol, même ceux qui portaient le titre de Joyeuse Entrée (La Joyeuse Entrée consistait en une collection de 59 articles, quelques-uns datant du commencement du 13ème siècle, et garantissant certains privilèges qu'à leur inauguration les monarques autrichiens juraient de maintenir. Ces articles furent renouvelés par Marie-Thérèse, aux États du Brabant et du Limbourg, et sanctionnes, le 20 avril 1744, par le serment que prêta le duc Charles de Lorraine, alors gouverneur des Pays-Bas), on la retrouve continuellement désignée par le nom de Pays-Bas espagnols ou autrichiens.

(page 3) Réunie à la France, elle forme une partie intégrante de l'empire français ; unie à la Hollande, elle se trouve confondue avec les anciens Pays-Bas, et désignée, soit dans la loi fondamentale, soit dans les divers actes publics, sous la dénomination de Provinces Méridionales. Ses maîtres successifs semblent donc s'être fait une étude, non seulement d'affaiblir cette unité d'esprit, cette homogénéité de caractère, qui sont les germes du patriotisme, mais encore de détruire l'attachement des citoyens au sol natal, sentiment si puissant, que fait naître et qu'entretient le nom de la patrie.

Ce système fut porté à l'extrême par le gouvernement hollandais, qui alla jusqu'à vouloir imposer une nouvelle langue à la Belgique, et à forcer la majorité de ses habitants à abandonner l'antique idiome de leur pays pour adopter le dialecte d'une minorité à laquelle on les avait forcément liés, mais qui ne leur inspira jamais aucune sympathie. Car, malgré les efforts des différents maîtres de la Belgique, jamais l'Espagne ne put rendre les Belges Espagnols, ni l'Autriche les convertir en Autrichiens, pas plus que la France ne put en faire des Français ou la Hollande des Hollandais (Nothomb. Essai historique et politique sur la révolution belge : Bruxelles, 1833). L'histoire les montre sans cesse (page 4) en révolte ouverte contre l'Espagne, plus loin soulevés contre l'Autriche, plus tard joyeux de ne plus sentir peser sur eux le sceptre de fer de Napoléon, et secouant enfin par eux-mêmes le joug de la Hollande. II est certain que, depuis leur passage sous la domination de la maison de Lorraine jusqu'à leur réunion à la Hollande, chaque changement qui survint dans leur situation politique ne fit qu'augmenter leur antipathie pour toute domination étrangère.

Il résulta de ce long oubli du nom belge qu'ils furent à la longue confondus avec leurs oppresseurs ; que même, dans ces derniers temps, leur origine et leur histoire semblèrent tout à fait oubliées ; au point que, quand la révolution éclata, on demandait sérieusement ce que c'était que les Belges ; quels étaient leurs titres non seulement à la nationalité et à l'indépendance mais même à une dénomination particulière comme nation. On prétendait qu'ils n'avaient jamais formé une puissance indépendante ; que dès lors leurs prétentions à une existence politique ne reposaient sur rien. On voulait les empêcher de recouvrer l'individualité dont avaient joui leurs ancêtres, et qui ne leur avait été arrachée que par la science militaire et la discipline des cohortes romaines. On argumentait du démembrement de ces provinces sous les rois de France et de Lorraine, sous les ducs de Bourgogne et de Brabant, les comtes de (page 5) Flandre, de Namur, de Louvain ; on argumentait, dis-je, de leur asservissement à l'Autriche et à l'Espagne, de leur incorporation à l'empire français et ensuite à la Hollande, pour prétendre qu'ils avaient perdu toute espèce de titres à une existence indépendante, dont la force des choses aussi bien que la position méditerranée que leur pays occupe sur la carte de l'Europe empêchaient à jamais le rétablissement ou le maintien. Les annales de la Belgique présentaient donc cette étrange particularité que les premières notions historiques que l'on aurait eues sur ce peuple ne dateraient que de sa déchéance comme nation, et que ce serait de ses conquérants qu'il aurait reçu une existence politique (Schiller).

L'ancienne Belgique, selon César, était composée de 24 nations puissantes et guerrières, occupant toute la contrée située entre la mer du Nord, la Seine et la Marne, et formant le tiers des Gaules (César, de Bello Gallico. Lib. I). Sa surface était couverte de vastes et épaisses forêts, dont les forêts de Soignes, des Ardennes, et différentes parties boisées de la Flandre, ne sont que les derniers vestiges. Les populations composant ces différentes tribus ou nations étaient, en général, originaires des provinces transrhénanes, et provenaient des restes de ces hordes (page 6) qui firent, à différentes époques, irruption sur l'occident de l'Europe, où elles transportèrent leurs langues, leurs constitutions et leurs coutumes (Tacite, de Moribus Germanorum. Lib. IV). Elles étaient remarquables, selon les anciens historiens, par les qualités qui caractérisent la race teutonique ; chastes, hospitalières, vaillantes ; aussi se distinguaient-elles par leur courage, comme le prouve l'éloge suivant qu'en fait César :

« Horum omnium (les Gaulois) fortissimi sunt Belgae. »

La cavalerie batave est aussi citée par Tacite comme remarquable par son courage ; elle forma, pendant plusieurs années, la garde des empereurs romains.

Lucain et tous les auteurs parlent honorablement des succès militaires des troupes belges en Grèce, en Egypte, en Espagne, en Italie. Selon Florus, la victoire remportée par César, à Pharsale, doit être en grande partie attribuée à la conduite distinguée de six cohortes belges. Cette réputation de courage personnel fut, dans la suite, honorablement soutenue par les gardes wallonnes au service de l'Espagne, par la magnifique cavalerie connue, pendant le proconsulat du duc d'Albe, sous le nom de Milice d'Ordonnance, par les Flamands à la solde des états d'Italie, par les (page 7) conscrits belges des armées de l'empire, lesquels rivalisèrent constamment de courage avec les soldats français.

D'un autre côté, on lit dans les mêmes auteurs qu'ils étaient enclins aux vices qu'on retrouve encore chez leurs descendants : sujets à l'abus des liqueurs fortes, joueurs, turbulents, difficiles à gouverner. Leur histoire présente une série continuelle de dissensions intestines, de révoltes, principalement dans les Flandres, qui semblent justifier ce dernier reproche.

Toutefois, avant de hasarder contre une nation une aussi grave accusation, il est nécessaire de bien se pénétrer de sa position vis-à-vis de ses maîtres et de la conduite de chacun d'eux à son égard. Or, cet examen justifie en quelque sorte cette tendance continuelle à la révolte que l'on reproche aux Belges. Ils furent le premier peuple qui chercha à secouer le joug et à briser les fers du vasselage et de la dégradation féodale où le tenaient ses oppresseurs. Ils levèrent la bannière de la liberté contre les exactions infâmes de l'oppression espagnole et de l'inquisition ; les premiers, ils levèrent l'étendard de la révolte pour reconquérir cette liberté qui avait pris racine sur leur sol avant leur soumission au joug du peuple romain.

L'histoire des Pays-Bas comprenant celle des provinces belges a été assez souvent et assez bien (page 8) écrite pour qu'il soit inutile de retracer cette période de leur asservissement à l'étranger. En conséquence, nous prendrons pour point de départ le règne de Joseph II, sous le gouvernement duquel les efforts des Belges pour recouvrer leur indépendance et leur nationalité prirent pour la première fois le caractère d'une révolution.

Le 28 octobre 1740, l'empereur Charles VI, dernier héritier mâle de la maison d'Autriche, mourut à Vienne, laissant la couronne à l'archiduchesse Marie-Thérèse, sa fille aînée, qui monta sur le trône en vertu de la fameuse Pragmatique Sanction de 1713 (La Pragmatique-Sanction était la célèbre convention promulguée par Charles VI, à Vienne, le 19 avril 1713. Par cette convention, il fut stipulé qu'à défaut de descendants mâles, la succession de la maison d'Autriche pouvait être recueillie par les femmes et leurs descendants, selon l'ordre de primogéniture. Cette convention fut ratifiée et garantie par les différentes puissances de l'Europe. (Mémoires historiques et politiques des Pays-Bas.)) Mais l'électeur de Bavière ayant rallié à ses vues la Prusse et la France, réclama le diadème impérial, en sa qualité de plus proche héritier mâle, et fut élu empereur, en 1742, sous le nom de Charles VII. A peine la jeune impératrice avait-elle pris les rênes du gouvernement qu'elle fut assaillie par une multitude d'ennemis, qui, sous le prétexte de soutenir les droits de l'électeur de Bavière, attaquèrent sur (page 9) tous les points les possessions autrichiennes. Ce prince, chassé de ses états héréditaires, n'était plus empereur que de nom, lorsqu'en 17-5 il succomba sous le poids des chagrins causés par ses revers. Après sa mort, son fils Maximilien renonça à toute prétention à la succession impériale, et Marie-Thérèse mit le sceptre aux mains de son mari, qui fut élu empereur sous le nom de François Ier.

Charles de Lorraine, ayant épousé l'archiduchesse Marianne, partagea avec elle le gouvernement des provinces belges, où ils furent inaugurés en 1744. La guerre qui éclata bientôt appela le duc Charles au commandement des troupes impériales, en Allemagne. Les hostilités commencèrent en mai, et les Français étant entrés dans les Flandres avec un corps de près de 100,000 hommes, en peu de temps, Menin, Ypres, Furnes, et les autres forteresses qui formaient la barrière contre la France, tombèrent aux mains de Louis XV, tandis que les armées alliées, composées d'Anglais, de Hollandais et d'Autrichiens, commandées par le maréchal La Feuillade, le duc d'Aremberg et le comte de Nassau, battirent en retraite sur tous les points et prirent position entre Gand et Audenarde.

Les Français virent bientôt le cours de leurs succès arrêté par les manœuvres savantes du duc de Lorraine, qui, s'avançant rapidement sur le Rhin, (page 10) traversa ce fleuve, pénétra en Alsace et obligea ainsi le maréchal de Saxe à retirer des Pays-Bas la plus grande partie de ses forces. L'année des alliés, renforcée de 20 mille hommes, prit l'offensive, pénétra dans la Flandre française et menaça Lille ; mais le manque d'union et les fautes de tactique que commirent les généraux alliés réduisirent ces mouvements à de simples démonstrations.

La campagne de 1745 et celle de l'année suivante furent peu favorables aux armes impériales. La dernière fut mémorable par la bataille de Fontenoy, dont les conséquences amenèrent l'occupation par les Français de toutes les Flandres, et de la plus grande partie du Hainaut et du Brabant, y compris Bruxelles. Louis XV, qui avait le commandement nominal de l'armée, poursuivit ses succès jusqu'aux portes d'Anvers, et prit en très peu de temps cette ville ainsi que la citadelle. Enfin, après deux campagnes successives, aussi avantageuses pour la France que glorieuses pour le maréchal de Saxe, la paix fut signée à Aix-la-Chapelle, le 18 octobre 1748, entre les huit puissances belligérantes, et mit un terme à cette guerre fameuse, qui, pendant sept ans, désola la plus grande partie du continent européen.

Les principales dispositions du traité de Westphalie furent remises en vigueur, ainsi que tous les autres traités importants conclus depuis 1748. Les provinces belges retournèrent à l'empire, (page 11) mais sans qu'il y eût d'amélioration dans leur sort, et sans qu'il fût apporté aucune modification aux conditions onéreuses auxquelles elles étaient soumises vis-à-vis de la Hollande.

En même temps, les puissances contractantes garantirent la Pragmatique-Sanction, et reconnurent ainsi formellement les droits immuables de Marie-Thérèse. Dès cette époque, jusqu'à la mort de cette princesse en 1780, la Belgique jouit d'une parfaite tranquillité ; l'agriculture renaît et prospère ; le commerce se ranime quoiqu'entravé par les traités de Munster et celui des Limites ; l'industrie est protégée, les arts et les sciences encouragés ; les ressources du pays et l'esprit d'économie de ses habitants viennent compléter ce tableau d'une prospérité réelle. Enfin, pour adopter le langage d'un historien, la condition des Belges, à cette époque, peut être résumée en ce peu de mots : « Ils furent heureux et contents. »

Mais cette félicité fut troublée peu de temps après l'avènement de Joseph II, qui, cependant, signala le commencement de son règne par les efforts qu'il fit pour obtenir de la Hollande la suppression des barrières dans toutes les villes qui y étaient soumises, et l'ouverture de l'Escaut. Ce prince, qui avait fait une étude approfondie des théories gouvernementales, était depuis longtemps convaincu que les abus et les obstacles qui s'opposaient à cette unité, à cette vigueur d'action si essentielles pour le bien-être d'un Etat et (page 12) la bonne exécution des lois, prenaient leur source dans l'intolérance du clergé, dans l'absence d'unité, dans le défaut d'ensemble des rouages administratifs, dans la multiplicité des monastères et des jours fériés, dans le défaut d'homogénéité que présentait la législation des différentes provinces, et enfin dans les privilèges dont jouissaient les diverses localités.

La constitution de Charles-Quint, révisée par Philippe d'Anjou, fut encore amendée par l'empereur Charles VI ; mais les modifications introduites par ce dernier tendaient à un retour vers l'ancienne constitution, sauf quelques changements que les progrès de la civilisation avaient rendus nécessaires. Cette constitution, religieusement observée durant le règne de Marie-Thérèse, était depuis longtemps considérée par Joseph II comme extrêmement défectueuse, et quoique, en la jurant à la Joyeuse Entrée, lors de son avènement au trône, il se fût engagé à maintenir les anciennes formes d'administration, il songeait secrètement à introduire dans l'état diverses réformes, et à établir sur des bases uniformes l'économie intérieure du gouvernement.

Les principes qui dirigeaient Joseph étaient sans aucun doute philosophiques ; mais il se trompa en faisant une guerre ouverte aux abus existants, abus trop enracinés par l'habitude, et dont la destruction ne pouvait être opérée que graduellement, (page 13) et non violemment par l'effet d'une volonté despotique. Tolérant lui-même, il voulait propager la tolérance parmi ses peuples ; convaincu des abus qui résultaient du trop grand nombre de couvents et de jours fériés, il voulut supprimer les uns et diminuer les autres, spécialement les fêtes paroissiales nommées kermesses ou dédicaces. En effet, ces fêtes, qui se prolongeaient pendant plusieurs jours, offraient un aliment à la paresse, à l'ivrognerie et à la débauche, et enlevant aux classes laborieuses le temps qu'elles auraient dû donner au travail, les privaient ainsi d'une grande partie de leurs moyens d'existence.

Plusieurs édits ayant ces réformes pour objet furent successivement publiés, et causèrent un mécontentement universel, spécialement dans le clergé catholique.

L'archiduchesse Marie-Christine et le duc Albert, investis du gouvernement général, adressèrent alors à l'université de Louvain un rescrit ordonnant l'admission des protestants aux fonctions civiles, et déclarant que, quoique l'empereur fût fermement décidé à maintenir et à protéger la religion catholique, S.M., néanmoins, trouvait qu'il était de la charité chrétienne de se montrer tolérants envers les protestants, envers des hommes auxquels on ne pouvait ôter le nom et les avantages du titre de citoyens quelle que fût leur (page 14) croyance religieuse. On leur fit cette singulière réponse : « La tolérance est une source de dissensions, de haines et d'interminables désordres, parce que la religion catholique considère tous les hérétiques sans distinction comme des victimes dévouées à la perdition éternelle. Tels sont les principes que la religion catholique grave dans le cœur de ses enfants ; c'est là un dogme essentiel, un article invariable de leur foi. » (Dewez. Histoire générale de la Belgique).

Cette réforme et d'autres que l'on avait projetées furent établies par deux édits émanes de Vienne, en 1787. Il faut que ces actes aient été d'un intérêt vital pour la Belgique, puisqu'ils causèrent un mécontentement général, dont l'explosion se manifesta par une révolte ouverte, et qui, après avoir parcouru toutes les phases d'une révolution, amena la chute de la dynastie autrichienne. Cependant, après quelques mois d'une rébellion inutile, souillée par les plus violents et les plus honteux excès, cette insurrection se termina par la soumission des insurgés et la restauration de la maison d'Autriche.

Les principales innovations qui servirent de prétexte à l'insurrection étaient celles-ci :

1°. L'abolition des trois conseils collatéraux ; leur formation en un conseil d'état, présidé par le premier ministre (Ces conseils collatéraux, établis par Charles-Quint, furent ainsi désignés parce que les conseillers étaient ad latus principis).

(page 15) 2°. La répartition des provinces en 9 cercles, gouvernés chacun par un intendant, et divisés en districts ayant des commissaires chargés de l'administration civile et politique ;

3°. L'abolition de tous les tribunaux inférieurs, seigneuriaux et ecclésiastiques, l'établissement de cours de justice ou d'assises dans chaque province, avec une cour d'appel centrale à Bruxelles ;

4°. L'abolition de la torture, la soumission des ecclésiastiques séculiers et réguliers à la justice ordinaire ;

5°. La suppression de quelques couvents ; la fondation d'un séminaire général, destiné spécialement à l'éducation du clergé.

Ces propositions étaient de nature à satisfaire un peuple éclairé, un clergé moins jaloux d'une influence sans bornes. Cependant, elles eurent un tout autre résultat que celui qu'on avait droit d'attendre de la raison publique et que le souverain avait espéré.

Le célèbre Vandernoot apparut alors sur l'horizon politique, et se fit remarquer par la publication d'un Mémoire où il se déclarait le défenseur des droits et des privilèges du peuple belge, et dénonçait comme traîtres au pays les intendants et tous ceux qui acceptaient une charge dans leur (page 16) administration. Ce Mémoire fameux, approuvé par les Etats, produisit une sensation extraordinaire dans tout le pays, et donna lieu probablement aux mouvements séditieux qui eurent lieu à Namur et dans d'autres villes.

Le gouvernement, marchant avec hésitation dans la mise en pratique de son système, manquant de force et d'énergie, chercha à temporiser, et, en suspendant l'exécution de quelques-unes des réformes, il espéra obtenir l'admission des autres. Mais son attente fut trompée ; car, les mécontents, forts des concessions qu'ils avaient déjà obtenues, exigèrent le rapport de tous les édits impériaux, le rétablissement de l'ancienne forme d'administration, enfin la stricte exécution de la constitution de 1531 et de la Joyeuse Entrée.

La gouvernante générale, trouvant toutes les remontrances vaines, jugea plus prudent de se soumettre pour conjurer l'orage. En conséquence, elle consentit au rétablissement de l'ancienne constitution, et renvoya des conseils toutes les personnes opposées à cette mesure ou même seulement suspectées par le peuple. Cette résolution fut publiée à Bruxelles le 31 mai 1787, et fut accueillie avec les plus extravagantes manifestations de la joie publique. Mais les germes de désaffection avaient déjà porté leurs fruits, et ils ne purent être étouffés même par ce triomphe populaire. Des réunions secrètes eurent lieu ; il se forma des (page 17) associations ; la cocarde nationale fut de nouveau ouvertement portée, et des enrôlés volontaires promenèrent dans les rues des bannières sur lesquelles étaient inscrites les devises les plus incendiaires. Les noms de royaliste ou d'intendant, adoptés pour indiquer les personnes attachées à l'empereur, devinrent des motifs de proscription. Les malheureux ainsi désignés étaient en butte aux insultes de la populace et désignés aux pillards et aux assassins. Il devenait donc évident que, tout en professant ouvertement un inviolable attachement à l'empereur, les états, le clergé et les autorités désiraient intérieurement secouer le joug de l'Autriche. La fermentation générale venait moins des infractions de l'empereur à la constitution que des rapports malveillants et exagérés répandus dans le public par les trois corps que nous venons de nommer.

Dans tous les pays, la majeure partie des citoyens, surtout des classes inférieures, est indifférente à la forme du gouvernement qui les régit. En effet, ils ne peuvent comprendre ses actes dont ils ignorent le motif et le but. Ils ne jugent le gouvernement que d'après le plus ou moins de liberté individuelle dont ils jouissent, ou d'après la quotité des impôts qui pèsent sur les objets de première nécessité. Telle était la position de la Belgique, où le peuple, naturellement insouciant et ami du repos, demande pour se (page 18) soulever des causes de mécontentement plus qu'ordinaires. Les chefs révolutionnaires furent donc obligés d'avoir recours aux insinuations les plus mensongères pour stimuler les masses et entraîner l'esprit public. Ainsi, l'empereur fut représenté comme un tyran qui avait l'intention d'établir la conscription militaire, de charger d'une taxe de 40 p.c. les produits du commerce, de l'industrie et de l'agriculture, d'abolir les tribunaux ordinaires pour leur substituer la juridiction despotique des intendants et d'introduire dans l'Eglise des doctrines hétérodoxes, afin de saper les fondements de la vraie foi. Enfin, on affirmait qu'une armée de 80 mille Autrichiens était prête à entrer dans le pays pour soutenir ces odieuses mesures.

Ces sinistres rapports, préparés avec art par les laïques, furent répandus par le clergé qui ne se fit pas scrupule d'accuser Joseph II d'hérésie aussi bien que de despotisme. Et telle fut l'adresse des intrigants, qu'à la fin l'Église et la religion se confondirent dans l'esprit des hommes avec la liberté et la constitution, et que tout essai pour réformer celles-ci fut considéré comme une attaque sacrilège contre les premières.

Une dépêche, adressée par l'empereur au prince de Kaunitz, qui avait remplacé Marie-Christine et le duc Albert dans le gouvernement, donna la dernière impulsion à la rébellion. Ce document (page 19) rappelait les concessions déjà faites au peuple et prescrivait la prompte exécution des édits. Une révolte sérieuse en fut le résultat immédiat, et le 22 janvier 1788, le comte d'Alton, qui avait été nommé général en chef, ayant trouvé nécessaire de faire avancer les troupes, les soldats furent insultés et maltraités par la populace, et obligés de repousser la force par la force ; le sang des citoyens coula alors pour la première fois.

Vandernoot, qui était l'un des principaux moteurs de tous ces événements, et qui jouissait d'une immense popularité, fut décrété d'arrestation. Mais il s'enfuit en Angleterre, où on le berça de promesses de secours. De là il passa en Hollande avec le titre d'agent plénipotentiaire du peuple brabançon ; il y fut accueilli par la princesse d'Orange, qui le berça des mêmes promesses. De La Haye Vandernoot alla à Berlin, et obtint, à la recommandation de la princesse d'Orange, une audience du premier ministre, lequel exprima sur le compte de Vandernoot une opinion encore applicable, à l'heure qu'il est, à plusieurs des personnes qui ont joué un rôle marquant dans la dernière révolution. « Vandernoot, dit le ministre, est un homme évidemment plutôt poussé par un esprit de vengeance que par l'amour du bien. Son principal mobile est l'ambition et non le patriotisme ; et il est beaucoup plus versé dans l'étude des lois que dans les mystères de la politique.»

(page 20) Pendant ce temps, les collègues de Vandernoot, Vonck, Vaneupen et autres, secondés par les abbés de Tongerloo, St.-Bernard, et les principaux du clergé, établirent une société secrète sous le nom de Pro Aris et Focis. Leur but était de fonder un comité révolutionnaire régulier, dont une section devait se rendre en Hollande, et y organiser une armée composée d'émigrés et de volontaires. Cette armée, dont le colonel Vandermersch fut nommé commandant, s'assembla à la frontière dans les premiers jours d'octobre 1789, et commença ses opérations le 24 du même mois, jour devenu mémorable par la publication du célèbre manifeste qui déclarait Joseph II déchu de la souveraineté du Brabant. L'armée des patriotes avait un effectif seulement de 2,500 hommes ; elle avait 6 pièces de canon. Divisée en deux colonnes, commandées l'une par Vandermersch et l'autre par le colonel Lorangeois, elle entra en Belgique par Groot, Zindert et Hoogstraaten, et telle était la faiblesse du gouvernement et des garnisons autrichiennes, si grands étaient le manque d'énergie des commandants militaires et le découragement des troupes, qu'en moins de deux mois, Gand, Bruges, Ostende et Anvers ouvrirent les portes aux patriotes ; les autorités et les troupes impériales furent chassées de Bruxelles, et l'indépendance du Brabant fut proclamée.

Cet exemple fut suivi par les Flandres, le (page 21) Hainaut, la Gueldre et le Limbourg. Le 7 janvier 1790, les députés des états de ces provinces s'assemblèrent à Bruxelles, et signèrent un traité fédéral consistant en 12 articles, et déclarant : 1° la formation d'une confédération sous le nom de Provinces Belges Unies ; 2° l'établissement d'un congrès national fédéral, ayant le pouvoir de nommer les ministres, de faire la paix ou la guerre, de battre monnaie, enfin réunissant tous les pouvoirs d'un gouvernement constitutionnel. Chaque province conservait son administration locale, ses droits, ses privilèges et son indépendance, dans toutes les matières qui n'avaient pas un caractère d'intérêt général.

Mais il fut bientôt évident que cette organisation n'était qu'une utopie. Les jalousies, les dissentiments éclatèrent entre les provinces et leurs chefs révolutionnaires. L'ignorance politique et l'inexpérience des ministres du gouvernement n'étaient égalés que par la maladresse de ses généraux. Les principes démocratiques avoués par les uns, reniés par les autres, et le défaut d'unité dans les différentes branches de l'administration, paralysaient sa marche, et neutralisaient les succès que les patriotes obtenaient dans les combats. L'anarchie régnait dans le pays ; la méfiance et la confusion se répandaient dans chaque province ; les principales villes étaient le théâtre d'affreux désordres, sans que les autorités eussent le pouvoir (page 22) ou même la volonté de les réprimer. Tel était l'état des choses à la mort de Joseph II, le 20 février 1790.

L'avènement de Léopold II fut suivi de tentatives infructueuses de conciliation de la part du cabinet de Vienne. Mais les succès obtenus par les troupes autrichiennes sur le général belge Schoenfeld, le défaut d'unité entre Vandernoot, Vaneupen et Vonck, la retraite du duc d'Ursel, du duc d'Aremberg, du comte de Lamark, et autres gentilshommes distingués attachés à la cause des patriotes, ainsi que la médiation de l'Angleterre, de la Hollande et de la Prusse, amenèrent enfin les Etats à admettre des termes d'accommodement. La négociation marcha d'abord lentement ; mais les trois puissances médiatrices ayant adressé au gouvernement révolutionnaire une note accompagnant un manifeste impérial, et le maréchal Binder ayant soumis Louvain, Bruxelles, Malines et Anvers, les États envoyèrent des députés à La Haye, et le 1er décembre, il fut signé une convention par laquelle les Belges obtinrent la restauration de leur constitution et de la Joyeuse Entrée, et se soumirent à la domination de la maison d'Autriche.

Ainsi se termina une révolution qu'on peut dire avoir manqué de tout ce qui peut ennoblir un mouvement populaire. Car il est incontestable qu'on ne peut l'attribuer à la violation (page 23) de la constitution ni à l'oppression exercée par le gouvernement, mais bien à l'ambition intéressée de quelques pseudo-patriotes, et à l'intolérance d'un clergé jaloux. Son principal objet ne fut pas d'assurer l'indépendance nationale, le redressement des griefs et l'extension de la liberté aux classes inférieures, mais de faire maintenir une foule de lois d'exception, de privilèges traditionnels, d'abus établis au profit du clergé, fruits barbares du moyen-âge.

Sous le prétexte de s'être levés pro aris et focis, les insurgés s'étaient opposés à tous les principes libéraux, qui sont devenus maintenant une portion nécessaire et inhérente de l'existence des sociétés. Le spectacle que ces événements présentèrent fut une anomalie remarquable. D'un côté, un empereur philosophe quoiqu'absolu, tâchant de propager la tolérance, d'introduire des réformes, de redresser la marche du gouvernement, de simplifier l'action de la justice, de donnera l'état cette union qui fait la force. De l'autre côté, un peuple conduit par quelques hommes, et répandant son sang pour faire maintenir, au profit des classes privilégiées, des abus aujourd'hui repoussés et flétris par ses descendants plus éclairés. On peut affirmer que si on tentait de nos jours de ramener la Belgique à l'état où elle se trouvait sous Marie-Thérèse, le pays tout entier, et même les prêtres, prendraient les armes pour s'y opposer.

(page 24) On peut tirer de ces discordes cette conséquence que la réunion à la France, qui eut lieu ensuite, fut antinationale. Car comment admettre que les mêmes hommes, qui se soulevèrent en 1790 pour le rétablissement des privilèges du clergé, aient pu, trois ans après, désirer un ordre de choses qui devait détruire ce qu'ils avaient été si jaloux de maintenir ! Si, comme on l'admet généralement, la révolution brabançonne avait eu un caractère exclusivement religieux, peut-on dire que la réunion à la république française était conforme aux vœux du peuple ? Non sans doute ; l'incorporation à la France fut, aussi bien que la réunion à la Hollande, l'œuvre de la violence.

On a cherché à assimiler la révolution de 1789 à celle de 1830, en les attribuant l'une et l'autre au fanatisme religieux. Sans aucun doute la religion, ou plutôt le catholicisme eut une grande part dans l'une et dans l'autre. Mais le but et le mode d'action furent néanmoins essentiellement différents. En 1789, le clergé, sans égard pour les libertés populaires, poussa le peuple à la révolte afin d'assurer le maintien de ses privilèges, tandis que, dans la révolution de 1830 les prêtres figurent comme les principaux soutiens des idées libérales, et ne paraissent pas s'être occupés le moins du monde de leurs propres intérêts.

(page 25) Joseph II trouva que la religion avait si complètement envahi l'État qu'il était plus que temps d'arrêter les empiétements des ministres du culte. En cela il avait raison ; car, excepté dans les pays mahométans, l'état n'est pas dans la religion, mais la religion dans l'état. Il convenait donc qu'il mît un terme à ces envahissements. Il a pu se tromper dans les moyens qu'il a employés, mais il était dans son droit en principe. On accusait l'empereur de pousser les principes philosophiques jusqu'à une hétérodoxie extrême ; mais qui lui adressa ce reproche avec le plus de violence ? Ce furent les ministres d'une église qui déclare que la tolérance est contraire à ses doctrines ; des ministres qui ne peuvent supporter aucune concurrence, et qui réclament pour eux un monopole qu'ils blâment cependant chez les autres.

Les malheurs qui résultèrent des innovations tentées par Joseph II provinrent de ce que ce prince éclairé et philosophe arriva trop tôt d'un demi-siècle. Si son règne eût suivi celui de Napoléon au lieu de le précéder, il est probable que l'Autriche serait maintenant classée au nombre des monarchies constitutionnelles.

Dans la révolution de 1830, le rôle des deux partis se trouva en quelque sorte interverti. Car les empiétements venaient tous du pouvoir. La philosophie du gouvernement était plutôt Gomairienne que Voltairienne ; elle tendait au prosélytisme (page 26) plutôt qu'à la tolérance, aux mesures restrictives plutôt qu'à l'émancipation. Ses actes étaient d'autant plus impolitiques qu'ils émanaient d'un pouvoir professant une religion qui n'était pas celle de la majorité. Si donc les Belges de 1830 n'avaient pas eu de meilleures raisons pour se soulever que ceux de 1789, ils auraient été en butte à la désapprobation générale, et les préventions que l'on a soulevées contre leur cause n'auraient pas été dénuées de fondement.

Indépendamment d'une amnistie générale, du rétablissement des trois conseils collatéraux et de l'ancien système d'administration provinciale et judiciaire, les premiers actes de Léopold furent la révocation de tous les édits de son prédécesseur qui supprimaient les immunités de l'église. Mais le feu de la sédition et la désaffection, joints sans doute à un sentiment inné de nationalité et d'indépendance, subsistèrent sous les dehors de la soumission. Ces germes de désunion se manifestèrent, pendant le peu de temps que régna Léopold, par des remontrances et des mouvements populaires, qui souvent mirent le gouvernement dans la nécessité de recourir à d'énergiques mesures de répression. Mais l'orage terrible qui grondait sur toute l'Europe éclata bientôt, et fondit à l'improviste sur cet empereur et sur le peuple belge.

A l'empereur Léopold, mort le 1er mai 1792, (page 27) succéda son fils François II, alors dans sa 29e année ; à peine eut-il pris les rênes du gouvernement que la guerre éclata avec la France.

Le fameux décret de l'assemblée nationale, du 20 avril, fut immédiatement suivi du commencement des hostilités. Les troupes françaises débouchent sur deux colonnes, par Lille et Valenciennes : l'une, commandée par Luckner, pénètre dans les Flandres ; l'autre entre dans le Hainaut, sous le commandement de Dumouriez ; et, après la victoire de Jemmapes, ce dernier s'avance sur Liége, le 28 du même mois ; tandis qu'un détachement, sous les ordres de Miranda, traverse rapidement Bruxelles et Malines, il investit la citadelle d'Anvers, qui capitule après quelques heures de tranchée ouverte. En même temps, Namur ouvrait ses portes au général Valence ; ainsi, dans l'espace de quelques jours, les Flandres, le Brabant, le Hainaut, les provinces de Namur et le pays de Liége furent soumis aux armes françaises.

Les troupes autrichiennes se furent à peine retirées, que l'animosité du peuple contre cette nation se manifesta ouvertement ; des assemblées furent convoquées dans les principales villes, et des députations furent envoyées à la convention, pour déclarer que les Belges avaient renoncé à toute alliance avec l'Autriche, et supplier la république de ne traiter avec aucune des puissances de l'Europe, jusqu'à ce qu'elles eussent (page 28) reconnu l'indépendance de la Belgique ; or, ce n'était pas son indépendance, mais sa conquête et sa réunion à la France, que désirait la politique française. Toutefois, les députés furent accueillis avec des assurances fallacieuses de fraternité et de protection, au moment même où la convention rendait le fameux décret du 18 décembre, qui déclarait la république française coactive et coercitive. Ce célèbre document ne fut pas plus tôt connu, que la saine portion de la nation belge ouvrit les yeux sur le sort qui la menaçait ; de nouveaux députés furent aussitôt renvoyés à Paris, et furent chargés de faire des remontrances au sujet de l'application des principes de ce décret à leur pays ; mais la convention n'entendait pas se départir de ses vues de conquête, et sourde aux réclamations des députés, elle divisa les provinces belges en arrondissements, dirigés par des commissaires français auxquels on enjoignit de préparer le peuple à la réunion à la France.

La convention sembla aux yeux du public avoir pris ces mesures sur la demande de quelques clubs établis dans chaque grande ville sous les auspices d'agents français ; ces clubs, agissant contre la volonté de la grande majorité de la nation, avaient envoyé des députations à la convention pour demander la réunion. Dans la séance du 3l janvier 1793, Danton, profitant adroitement de la présence d'une députation de Liége, s'écria : (page 29) « Obéissant à ma raison et non à mon enthousiasme, c'est au nom du peuple belge que je demande la réunion à la France. » Dans le but de captiver l'amour des classes inférieures, on décréta dans la même séance que partout où pénétreraient les armées françaises, le peuple serait libre de s'assembler et de décréter la forme de gouvernement qui lui conviendrait. Cette comédie atteignit le but que la convention s'était proposé ; car les habitants des différentes villes s'assemblèrent, soit dans les églises, soit dans les hôtels-de-ville, et votèrent la réunion sous la terreur des bandes de jacobins qui menaçaient ouvertement tous ceux qui auraient tenté de s'y opposer.

Les procès-verbaux relatant ces résolutions furent envoyés à la convention qui décréta successivement la réunion de chaque ville à la France, en la déclarant conforme aux vœux ardents du peuple belge. Or il s'en fallait bien qu'il en fût ainsi ; on peut s'en convaincre en lisant la lettre qu'écrivit Dumouriez à la convention, le 12 mars 1793, et dans laquelle il déclare hautement « que la masse de la nation est opposée à l'union, et qu'elle va même jusqu'à vouloir la rompre par les armes. » Mais avant que ce projet pût être accompli, les troupes autrichiennes, commandées par le prince de Cobourg, ayant reçu des renforts considérables, reprirent l'offensive, gagnèrent la bataille de Nerwinde et chassèrent les Français (page 30) de Louvain, Nanur, Anvers, Gand et Mons. Le 23 du même mois, le comte de Metternich arriva à Bruxelles et fut réintégré dans son poste de ministre. Le 28, l'archiduc Charles fit son entrée solennelle dans cette ville, comme gouverneur-général, tandis que les armées françaises, battues sur tous les points, évacuaient le territoire belge qui rentra sous l'autorité de l'Autriche.

Mais tous ces succès furent annihilés par les campagnes désastreuses de 1793 et 1794, où la victoire passa du côté des Français. Les fautes commises alors par quelques-uns des alliés passent tout ce qu'on peut imaginer, et ne peuvent s'expliquer que par une absence totale d'habileté chez quelques commandants militaires et surtout par leur défaut d'union.

Dans l'espoir d'enflammer le courage de ses troupes et de se concilier les Belges, l'empereur se rendit à Bruxelles et prit le commandement en personne ; mais les armées alliées, commandées par Clairfayt et le duc d'Yorck, ayant éprouvé des désastres successifs et perdu la sanglante bataille de Tournay où le prince, qui devait plus tard monter sur le trône sous le nom de François II, se distingua et montra un courage à toute épreuve ; S. M. I. quitta le quartier-général et retourna à Vienne.

Pleins d'ardeur et d'enthousiasme, les Français poursuivirent rapidement leurs succès, et (page 31) ayant concentré leurs forces remportèrent la fameuse victoire de Fleurus ; ils se répandirent alors par tout le pays comme un torrent, chassèrent les alliés des Pays-Bas, et plantèrent en peu de jours leur bannière nationale sur toutes les villes de la Belgique.

Ces conquêtes amenèrent le rétablissement des comités révolutionnaires dans toutes les villes, sur les bases du club des jacobins de Paris, lesquels, agissant sous l'influence immédiate de la France, se hâtèrent d'émettre solennellement le vœu d'être réunis à la république. Des commissaires furent en conséquence immédiatement envoyés à Paris, demandant, comme mesures préliminaires, la division des provinces en départements, districts et cantons, l'introduction des formes françaises d'administration municipale et judiciaire, et l'établissement du jury. Ces mesures préparatoires furent suivies en juillet de la déclaration de la liberté de l'Escaut, fermé depuis le traité de Munster de 1648, et rouvert en conséquence de cette déclaration le 14 fructidor (septembre).

La Belgique reçut cette nouvelle organisation générale, et fut divisée en neuf départements assimilés, relativement à leur administration intérieure, aux départements français.

Ces arrangements conclus, le gouvernement de la république jeta entièrement le masque. La (page 32) question d'une réunion définitive fut formellement posée devant la convention, le 8 vendémiaire (octobre) an IV, et après deux jours de discussions, dans lesquelles la réunion chaudement combattue par Armand, Lesage et d'autres membres, comme désavantageuse aux Belges et contraire aux sentiments de la saine partie de la nation, fut soutenue par Carnot et Merlin de Douai, la question fut enfin résolue affirmativement à une grande majorité, et la réunion de la Belgique à la France déclarée par un décret du 30 septembre 1793.

Dès ce moment jusqu'au commencement de 1814, la Belgique a continué de former une partie intégrante de l'empire français. La maison d'Autriche perdit dès lors irrévocablement ce brillant fleuron de sa couronne, pour la conservation duquel elle avait pendant plus de huit ans dépensé tant d'or et tant de sang.

Le peuple belge, qui s'était révolté contre le pouvoir paternel d'un prince juste et tolérant, se plongea de lui-même dans le plus intolérable état de vasselage, déguisé par les dehors d'une apparente liberté. Ses institutions religieuses furent détruites, ses privilèges abolis ; ses droits et ses immunités pour lesquels il avait combattu pendant plusieurs siècles furent foulés aux pieds ; son indépendance lui fut ravie, son commerce, son industrie, sacrifiés à la politique jalouse de ses (page 33) conquérants ; son clergé avili, et ses enfants soumis à la conscription, pour aller périr par milliers dans des climats éloignés ; la misère désola ses cités, la famine ses campagnes, et cette capitale naguère si brillante ne fut plus qu'un chef-lieu de département, vit ses palais inoccupés et l'herbe croître dans ses rues désertes.

Tels furent les fruits de la réunion de la Belgique à la France, et selon toute probabilité, malgré l'industrie de ce peuple et la richesse surprenante de son sol, tel eût été encore son sort, si les projets des réunionistes de 1830 n'eussent été déjoués par les efforts de la majorité plus politique et plus patriote de leurs concitoyens. Ainsi, même en supposant que la réunion eût pu se faire sans une guerre générale, nous eussions vu l'Angleterre, la Hollande et toutes les puissances de l'Europe, demander la fermeture de l'Escaut, et le renouvellement du système des barrières que la conférence de Londres et spécialement le cabinet anglais voulaient prévenir.

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