Accueil Séances
plénières Tables des
matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et liens Note d’intention
« Histoire de la révolution belge de 1830 », par Charles
White, (traduit de l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).
Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836
Chapitre précédent Chapitre
suivant Retour à la table des matières
TOME 1
La Belgique. - Son nom et sa nationalité
effacés par des conquêtes successives. - Son amour pour la liberté et
l'indépendance. - Sa prospérité
sous Marie- Thérèse. - Joseph II essaie de propager des principes de tolérance,
et d'introduire la réforme dans l'église et dans l'état. - Mécontentement du clergé et des laïques. -
Révolte excitée par le Mémoire de Vandernoot. - Les
Autrichiens chassés de la Belgique. - Proclamation de l'indépendance du Brabant. - Déchéance de Joseph II. - Sa mort. - Avènement de Léopold. - Défaite des Belges. - Convention de La Haye. - Restauration de la
domination autrichienne. - Mort
de Léopold. - Avènement de
François Ier.
- Guerre générale. - Les Français, ayant défait les troupes
alliées, entrent en Belgique et en réunissent les provinces à la république
française.
(page 1) Quoique le nom de la
Belgique soit lié aux époques les plus intéressantes de l'histoire romaine et
aux succès les plus glorieux des légions impériales,
les nombreuses mutations politiques (page 2) que ce pays a subies et qui lui
ont fait si souvent changer de maître, son état de vasselage pendant huit
siècles, des le temps de César jusqu'à la dernière révolution, non seulement lui
ravirent son indépendance comme nation, mais lui enlevèrent jusqu'à son nom,
qu'on retrouve pourtant dans la plus haute antiquité et qui se perd même dans
la nuit des temps. C'est ainsi que, depuis l'époque où elle passa sous la
domination de la maison d'Autriche jusqu'à celle où elle fut conquise par la
république française, et même tant que dura sa réunion à
(page 3) Réunie à la France, elle forme une partie
intégrante de l'empire français ; unie à
Ce système fut porté
à l'extrême par le gouvernement hollandais, qui alla jusqu'à vouloir imposer
une nouvelle langue à la Belgique, et à forcer la majorité de ses habitants à
abandonner l'antique idiome de leur pays pour adopter le dialecte d'une
minorité à laquelle on les avait forcément liés, mais qui ne leur inspira
jamais aucune sympathie. Car, malgré les efforts des différents maîtres de la
Belgique, jamais l'Espagne ne put rendre les Belges Espagnols, ni l'Autriche
les convertir en Autrichiens, pas plus que la France ne put en faire des
Français ou
Il résulta de ce
long oubli du nom belge qu'ils furent à la longue confondus avec leurs
oppresseurs ; que même, dans ces derniers temps, leur origine et leur histoire
semblèrent tout à fait oubliées ; au point que, quand la révolution
éclata, on demandait sérieusement ce que c'était que les Belges ;
quels étaient leurs titres non seulement à la nationalité et à l'indépendance
mais même à une dénomination particulière comme nation. On prétendait qu'ils
n'avaient jamais formé une puissance indépendante ; que dès lors leurs
prétentions à une existence politique ne reposaient sur rien. On voulait les
empêcher de recouvrer l'individualité dont avaient joui leurs ancêtres, et qui
ne leur avait été arrachée que par la science militaire et la discipline des
cohortes romaines. On argumentait du démembrement de ces provinces sous les
rois de France et de Lorraine, sous les ducs de Bourgogne et de Brabant, les
comtes de (page 5) Flandre, de Namur, de Louvain ; on argumentait, dis-je, de leur
asservissement à l'Autriche et à l'Espagne, de leur incorporation à l'empire
français et ensuite à
L'ancienne Belgique,
selon César, était composée de 24 nations puissantes et guerrières, occupant
toute la contrée située entre la mer du Nord,
« Horum omnium (les Gaulois) fortissimi sunt Belgae. »
La cavalerie batave
est aussi citée par Tacite comme remarquable par son courage ; elle forma,
pendant plusieurs années, la garde des empereurs romains.
Lucain et tous les
auteurs parlent honorablement des succès militaires des troupes belges en
Grèce, en Egypte, en Espagne, en Italie. Selon Florus, la victoire remportée
par César, à Pharsale, doit être en grande partie attribuée à la conduite distinguée
de six cohortes belges. Cette réputation de courage personnel fut, dans la
suite, honorablement soutenue par les gardes wallonnes au service de l'Espagne,
par la magnifique cavalerie connue, pendant le proconsulat du duc d'Albe, sous
le nom de Milice d'Ordonnance, par les Flamands à la solde des états
d'Italie, par les (page 7) conscrits belges des armées de l'empire, lesquels rivalisèrent
constamment de courage avec les soldats français.
D'un autre côté, on
lit dans les mêmes auteurs qu'ils étaient enclins aux vices qu'on retrouve
encore chez leurs descendants : sujets à l'abus des liqueurs fortes, joueurs,
turbulents, difficiles à gouverner. Leur histoire présente une série
continuelle de dissensions intestines, de révoltes, principalement dans les Flandres,
qui semblent justifier ce dernier reproche.
Toutefois, avant de
hasarder contre une nation une aussi grave accusation, il est nécessaire de
bien se pénétrer de sa position vis-à-vis de ses maîtres et de la conduite de
chacun d'eux à son égard. Or, cet examen justifie en quelque sorte cette
tendance continuelle à la révolte que l'on reproche aux Belges. Ils furent le
premier peuple qui chercha à secouer le joug et à briser les fers du vasselage
et de la dégradation féodale où le tenaient ses oppresseurs. Ils levèrent la
bannière de la liberté contre les exactions infâmes de l'oppression espagnole
et de l'inquisition ; les premiers, ils levèrent l'étendard de la révolte pour
reconquérir cette liberté qui avait pris racine sur leur sol avant leur soumission
au joug du peuple romain.
L'histoire des
Pays-Bas comprenant celle des provinces belges a été assez souvent et assez
bien (page 8)
écrite pour qu'il soit inutile de retracer cette période de leur asservissement
à l'étranger. En conséquence, nous prendrons pour point de départ le règne de
Joseph II, sous le gouvernement duquel les efforts des Belges pour recouvrer
leur indépendance et leur nationalité prirent pour la première fois le
caractère d'une révolution.
Le 28 octobre 17
Charles de
Lorraine, ayant épousé l'archiduchesse Marianne, partagea avec elle le
gouvernement des provinces belges, où ils furent inaugurés en 1744. La guerre
qui éclata bientôt appela le duc Charles au
commandement des troupes impériales, en Allemagne. Les hostilités commencèrent
en mai, et les Français étant entrés dans les Flandres avec un corps de près de
100,000 hommes, en peu de temps, Menin, Ypres, Furnes, et les autres
forteresses qui formaient la barrière contre la France, tombèrent aux mains de
Louis XV, tandis que les armées alliées, composées d'Anglais, de Hollandais et
d'Autrichiens, commandées par le maréchal
Les Français virent
bientôt le cours de leurs succès arrêté par les manœuvres savantes du duc de
Lorraine, qui, s'avançant rapidement sur le Rhin, (page 10) traversa ce fleuve, pénétra en
Alsace et obligea ainsi le maréchal de Saxe à retirer des Pays-Bas la plus
grande partie de ses forces. L'année des alliés, renforcée de 20 mille hommes,
prit l'offensive, pénétra dans
La campagne de 1745
et celle de l'année suivante furent peu favorables aux armes impériales. La
dernière fut mémorable par la bataille de Fontenoy, dont les conséquences
amenèrent l'occupation par les Français de toutes les Flandres, et de la plus
grande partie du Hainaut et du Brabant, y compris Bruxelles. Louis XV, qui
avait le commandement nominal de l'armée, poursuivit ses succès jusqu'aux
portes d'Anvers, et prit en très peu de temps cette ville ainsi que la
citadelle. Enfin, après deux campagnes successives, aussi avantageuses pour la
France que glorieuses pour le maréchal de Saxe, la paix fut signée à
Aix-la-Chapelle, le 18 octobre 1748, entre les huit puissances belligérantes,
et mit un terme à cette guerre fameuse, qui, pendant sept ans, désola la plus
grande partie du continent européen.
Les principales
dispositions du traité de Westphalie furent remises en vigueur, ainsi que tous
les autres traités importants conclus depuis 1748. Les provinces belges
retournèrent à l'empire, (page 11) mais sans qu'il y eût d'amélioration dans leur sort, et sans
qu'il fût apporté aucune modification aux conditions
onéreuses auxquelles elles étaient soumises vis-à-vis de la Hollande.
En même temps, les
puissances contractantes garantirent la Pragmatique-Sanction, et reconnurent
ainsi formellement les droits immuables de Marie-Thérèse. Dès cette époque,
jusqu'à la mort de cette princesse en 1780,
Mais cette félicité
fut troublée peu de temps après l'avènement de Joseph II, qui, cependant,
signala le commencement de son règne par les efforts qu'il fit pour obtenir de
La constitution de Charles-Quint, révisée par Philippe d'Anjou, fut encore
amendée par l'empereur Charles VI ; mais les modifications
introduites par ce dernier tendaient à un retour vers l'ancienne constitution,
sauf quelques changements que les progrès de la civilisation avaient rendus
nécessaires. Cette constitution, religieusement observée durant le règne de
Marie-Thérèse, était depuis longtemps considérée par Joseph II comme
extrêmement défectueuse, et quoique, en la jurant à
Les principes qui
dirigeaient Joseph étaient sans aucun doute philosophiques ; mais il se trompa
en faisant une guerre ouverte aux abus existants, abus trop enracinés par
l'habitude, et dont la destruction ne pouvait être opérée que graduellement, (page 13) et non
violemment par l'effet d'une volonté despotique. Tolérant lui-même, il voulait
propager la tolérance parmi ses peuples ; convaincu des abus qui résultaient du
trop grand nombre de couvents et de jours fériés, il voulut supprimer les uns
et diminuer les autres, spécialement les fêtes paroissiales nommées kermesses
ou dédicaces. En effet, ces fêtes, qui se prolongeaient pendant plusieurs
jours, offraient un aliment à la paresse, à l'ivrognerie et à la débauche, et
enlevant aux classes laborieuses le temps qu'elles auraient dû donner au
travail, les privaient ainsi d'une grande partie de leurs moyens d'existence.
Plusieurs édits
ayant ces réformes pour objet furent successivement publiés, et causèrent un
mécontentement universel, spécialement dans le clergé catholique.
L'archiduchesse
Marie-Christine et le duc Albert, investis du gouvernement général, adressèrent
alors à l'université de Louvain un rescrit ordonnant l'admission des
protestants aux fonctions civiles, et déclarant que, quoique l'empereur fût
fermement décidé à maintenir et à protéger la religion catholique, S.M.,
néanmoins, trouvait qu'il était de la charité chrétienne de se montrer
tolérants envers les protestants, envers des hommes auxquels on ne pouvait ôter
le nom et les avantages du titre de citoyens quelle que fût leur (page 14) croyance
religieuse. On leur fit cette singulière réponse : « La tolérance est une
source de dissensions, de haines et d'interminables désordres, parce que la religion
catholique considère tous les hérétiques sans distinction comme des victimes
dévouées à la perdition éternelle. Tels sont les principes que la religion
catholique grave dans le cœur de ses enfants ; c'est là un dogme essentiel, un
article invariable de leur foi. » (Dewez. Histoire générale de la Belgique).
Cette réforme et
d'autres que l'on avait projetées furent établies par deux édits émanes de
Vienne, en 1787. Il faut que ces actes aient été d'un intérêt vital pour
Les principales
innovations qui servirent de prétexte à l'insurrection étaient celles-ci :
1°. L'abolition des
trois conseils collatéraux ; leur formation en un conseil d'état, présidé par
le premier ministre (Ces conseils collatéraux, établis par Charles-Quint, furent ainsi désignés parce que les conseillers étaient ad latus principis).
(page 15) 2°. La répartition des
provinces en 9 cercles, gouvernés chacun par un intendant, et divisés en
districts ayant des commissaires chargés de l'administration civile et
politique ;
3°. L'abolition de
tous les tribunaux inférieurs, seigneuriaux et ecclésiastiques, l'établissement
de cours de justice ou d'assises dans chaque province, avec une cour d'appel
centrale à Bruxelles ;
4°. L'abolition de
la torture, la soumission des ecclésiastiques séculiers et réguliers à la
justice ordinaire ;
5°. La suppression
de quelques couvents ; la fondation d'un séminaire général, destiné
spécialement à l'éducation du clergé.
Ces propositions
étaient de nature à satisfaire un peuple éclairé, un clergé moins jaloux d'une
influence sans bornes. Cependant, elles eurent un tout autre résultat que celui
qu'on avait droit d'attendre de la raison publique et que le souverain avait
espéré.
Le célèbre Vandernoot apparut alors sur l'horizon politique, et se fit
remarquer par la publication d'un Mémoire où il se déclarait le défenseur des
droits et des privilèges du peuple belge, et dénonçait comme traîtres au
pays les intendants et tous ceux qui acceptaient une charge dans leur (page 16) administration.
Ce Mémoire fameux, approuvé par les Etats, produisit une sensation
extraordinaire dans tout le pays, et donna lieu probablement aux mouvements
séditieux qui eurent lieu à Namur et dans d'autres villes.
Le gouvernement,
marchant avec hésitation dans la mise en pratique de son système, manquant de
force et d'énergie, chercha à temporiser, et, en suspendant l'exécution de
quelques-unes des réformes, il espéra obtenir l'admission des autres. Mais son
attente fut trompée ; car, les mécontents, forts des concessions qu'ils avaient
déjà obtenues, exigèrent le rapport de tous les édits impériaux, le rétablissement
de l'ancienne forme d'administration, enfin la stricte exécution de la
constitution de 1531 et de la Joyeuse Entrée.
La gouvernante
générale, trouvant toutes les remontrances vaines, jugea plus prudent de se
soumettre pour conjurer l'orage. En conséquence, elle consentit au
rétablissement de l'ancienne constitution, et renvoya des conseils toutes les
personnes opposées à cette mesure ou même seulement suspectées par le peuple.
Cette résolution fut publiée à Bruxelles le 31 mai 1787, et fut accueillie avec
les plus extravagantes manifestations de la joie publique. Mais les germes de
désaffection avaient déjà porté leurs fruits, et ils ne purent être étouffés
même par ce triomphe populaire. Des réunions secrètes eurent lieu ; il se forma
des (page 17) associations
; la cocarde nationale fut de nouveau ouvertement portée, et des enrôlés
volontaires promenèrent dans les rues des bannières sur lesquelles étaient
inscrites les devises les plus incendiaires. Les noms de royaliste ou
d'intendant, adoptés pour indiquer les personnes attachées à l'empereur,
devinrent des motifs de proscription. Les malheureux ainsi désignés étaient en
butte aux insultes de la populace et désignés aux pillards et aux assassins. Il
devenait donc évident que, tout en professant ouvertement un inviolable
attachement à l'empereur, les états, le clergé et les autorités désiraient
intérieurement secouer le joug de l'Autriche. La fermentation générale venait
moins des infractions de l'empereur à la constitution que des rapports malveillants
et exagérés répandus dans le public par les trois corps que nous venons de
nommer.
Dans tous les pays,
la majeure partie des citoyens, surtout des classes inférieures, est
indifférente à la forme du gouvernement qui les régit. En effet, ils ne peuvent
comprendre ses actes dont ils ignorent le motif et le but. Ils ne jugent le
gouvernement que d'après le plus ou moins de liberté individuelle dont ils
jouissent, ou d'après la quotité des impôts qui pèsent sur les objets de
première nécessité. Telle était la position de la Belgique, où le peuple,
naturellement insouciant et ami du repos, demande pour se (page 18) soulever des causes de
mécontentement plus qu'ordinaires. Les chefs révolutionnaires furent donc
obligés d'avoir recours aux insinuations les plus mensongères pour stimuler les
masses et entraîner l'esprit public. Ainsi, l'empereur fut représenté comme un
tyran qui avait l'intention d'établir la conscription militaire, de charger
d'une taxe de 40 p.c. les produits du commerce, de l'industrie et de
l'agriculture, d'abolir les tribunaux ordinaires pour leur substituer la
juridiction despotique des intendants et d'introduire dans l'Eglise des
doctrines hétérodoxes, afin de saper les fondements de la vraie foi. Enfin, on
affirmait qu'une armée de 80 mille Autrichiens était prête à entrer dans le
pays pour soutenir ces odieuses mesures.
Ces sinistres
rapports, préparés avec art par les laïques, furent répandus par le clergé qui
ne se fit pas scrupule d'accuser Joseph II d'hérésie aussi bien que de despotisme.
Et telle fut l'adresse des intrigants, qu'à la fin l'Église et la religion se
confondirent dans l'esprit des hommes avec la liberté et la constitution, et
que tout essai pour réformer celles-ci fut considéré comme une attaque
sacrilège contre les premières.
Une dépêche,
adressée par l'empereur au prince de Kaunitz, qui
avait remplacé Marie-Christine et le duc Albert dans le gouvernement, donna la
dernière impulsion à la rébellion. Ce document (page 19) rappelait les concessions déjà
faites au peuple et prescrivait la prompte exécution des édits. Une révolte
sérieuse en fut le résultat immédiat, et le 22 janvier 1788, le comte d'Alton,
qui avait été nommé général en chef, ayant trouvé nécessaire de faire avancer
les troupes, les soldats furent insultés et maltraités par la populace, et
obligés de repousser la force par la force ; le sang des citoyens coula alors
pour la première fois.
Vandernoot, qui
était l'un des principaux moteurs de tous ces événements, et qui jouissait
d'une immense popularité, fut décrété d'arrestation. Mais il s'enfuit en
Angleterre, où on le berça de promesses de secours. De là il passa en Hollande
avec le titre d'agent plénipotentiaire du peuple brabançon ; il y fut
accueilli par la princesse d'Orange, qui le berça des mêmes promesses. De
(page 20) Pendant ce temps, les collègues de Vandernoot, Vonck, Vaneupen et autres, secondés par les abbés de Tongerloo, St.-Bernard, et les principaux du clergé, établirent
une société secrète sous le nom de Pro Aris et Focis.
Leur but était de fonder un comité révolutionnaire régulier, dont une
section devait se rendre en Hollande, et y organiser une armée composée
d'émigrés et de volontaires. Cette armée, dont le colonel Vandermersch
fut nommé commandant, s'assembla à la frontière dans les premiers jours
d'octobre 1789, et commença ses opérations le 24 du même mois, jour devenu
mémorable par la publication du célèbre manifeste qui déclarait Joseph II déchu
de la souveraineté du Brabant. L'armée des patriotes avait un effectif
seulement de 2,500 hommes ; elle avait 6 pièces de canon. Divisée en deux
colonnes, commandées l'une par Vandermersch et
l'autre par le colonel Lorangeois, elle entra en
Belgique par Groot, Zindert
et Hoogstraaten, et telle était la faiblesse du
gouvernement et des garnisons autrichiennes, si grands étaient le manque
d'énergie des commandants militaires et le découragement des troupes, qu'en
moins de deux mois, Gand, Bruges, Ostende et Anvers ouvrirent les portes aux
patriotes ; les autorités et les troupes impériales furent chassées de
Bruxelles, et l'indépendance du Brabant fut proclamée.
Cet exemple fut
suivi par les Flandres, le (page 21)
Hainaut,
Mais il fut bientôt
évident que cette organisation n'était qu'une utopie. Les jalousies, les
dissentiments éclatèrent entre les provinces et leurs chefs révolutionnaires.
L'ignorance politique et l'inexpérience des ministres du gouvernement n'étaient
égalés que par la maladresse de ses généraux. Les principes démocratiques
avoués par les uns, reniés par les autres, et le défaut d'unité dans les
différentes branches de l'administration, paralysaient sa marche, et
neutralisaient les succès que les patriotes obtenaient dans les combats.
L'anarchie régnait dans le pays ; la méfiance et la confusion se répandaient
dans chaque province ; les principales villes étaient le théâtre d'affreux
désordres, sans que les autorités eussent le pouvoir (page 22) ou même la volonté de les
réprimer. Tel était l'état des choses à la mort de Joseph II, le 20 février
1790.
L'avènement de
Léopold II fut suivi de tentatives infructueuses de conciliation de la part du
cabinet de Vienne. Mais les succès obtenus par les troupes autrichiennes sur le
général belge Schoenfeld, le défaut d'unité entre Vandernoot, Vaneupen et Vonck, la retraite du duc d'Ursel,
du duc d'Aremberg, du comte de Lamark,
et autres gentilshommes distingués attachés à la cause des patriotes, ainsi que
la médiation de l'Angleterre, de
Ainsi se termina une
révolution qu'on peut dire avoir
manqué de tout ce qui peut ennoblir un mouvement populaire. Car il est
incontestable qu'on ne peut l'attribuer à la violation (page 23) de la constitution ni à l'oppression
exercée par le gouvernement, mais bien à l'ambition intéressée de quelques
pseudo-patriotes, et à l'intolérance d'un clergé jaloux. Son principal objet ne
fut pas d'assurer l'indépendance nationale, le redressement des griefs et
l'extension de la liberté aux classes inférieures, mais de faire maintenir une
foule de lois d'exception, de privilèges traditionnels, d'abus établis au
profit du clergé, fruits barbares du moyen-âge.
Sous le prétexte de
s'être levés pro aris
et focis, les insurgés s'étaient opposés à tous
les principes libéraux, qui sont devenus maintenant une portion nécessaire et
inhérente de l'existence des sociétés. Le spectacle que ces événements
présentèrent fut une anomalie remarquable. D'un côté, un empereur philosophe
quoiqu'absolu, tâchant de propager la tolérance, d'introduire des réformes, de
redresser la marche du gouvernement, de simplifier l'action de la justice, de
donnera l'état cette union qui fait la force. De l'autre côté, un peuple
conduit par quelques hommes, et répandant son sang pour faire maintenir, au
profit des classes privilégiées, des abus aujourd'hui repoussés et flétris par
ses descendants plus éclairés. On peut affirmer que si on tentait de nos jours
de ramener
(page 24) On peut tirer de ces discordes cette conséquence que la
réunion à la France, qui eut lieu ensuite, fut antinationale. Car comment
admettre que les mêmes hommes, qui se soulevèrent en 1790 pour le
rétablissement des privilèges du clergé, aient pu, trois ans après, désirer un
ordre de choses qui devait détruire ce qu'ils avaient été si jaloux de
maintenir ! Si, comme on l'admet généralement, la révolution
brabançonne avait eu un caractère exclusivement religieux,
peut-on dire que la réunion à la république française était conforme aux vœux
du peuple ? Non sans doute ; l'incorporation à la France fut, aussi bien que la
réunion à la Hollande, l'œuvre de la violence.
On a cherché à
assimiler la révolution de 1789 à celle de 1830,
en les attribuant l'une et l'autre au fanatisme religieux. Sans aucun doute la
religion, ou plutôt le catholicisme eut une grande part dans l'une et dans
l'autre. Mais le but et le mode d'action furent néanmoins essentiellement
différents. En 1789, le clergé, sans égard pour les libertés populaires, poussa
le peuple à la révolte afin d'assurer le maintien de ses privilèges, tandis
que, dans la révolution de 1830 les prêtres
figurent comme les principaux soutiens des idées libérales, et ne paraissent
pas s'être occupés le moins du monde de leurs propres intérêts.
(page 25) Joseph II trouva que la religion avait si complètement envahi
l'État qu'il était plus que temps d'arrêter les empiétements des ministres du
culte. En cela il avait raison ; car, excepté dans les pays mahométans, l'état
n'est pas dans la religion, mais la religion dans l'état. Il convenait donc
qu'il mît un terme à ces envahissements. Il a pu se tromper dans les moyens
qu'il a employés, mais il était dans son droit en principe. On accusait
l'empereur de pousser les principes philosophiques jusqu'à une hétérodoxie
extrême ; mais qui lui adressa ce reproche avec le plus de violence ? Ce furent
les ministres d'une église qui déclare que la tolérance est contraire à ses
doctrines ; des ministres qui ne peuvent supporter
aucune concurrence, et qui réclament pour eux un monopole qu'ils blâment
cependant chez les autres.
Les malheurs qui
résultèrent des innovations tentées par Joseph II provinrent de ce que ce
prince éclairé et philosophe arriva trop tôt d'un demi-siècle. Si son règne eût
suivi celui de Napoléon au lieu de le précéder, il est probable que l'Autriche
serait maintenant classée au nombre des monarchies constitutionnelles.
Dans la révolution de 1830, le rôle des deux partis se trouva en quelque
sorte interverti. Car les empiétements venaient tous du pouvoir. La philosophie
du gouvernement était plutôt Gomairienne que
Voltairienne ; elle tendait au prosélytisme (page 26) plutôt qu'à la tolérance, aux mesures
restrictives plutôt qu'à l'émancipation. Ses actes étaient d'autant plus
impolitiques qu'ils émanaient d'un pouvoir professant une religion qui n'était
pas celle de la majorité. Si donc les Belges de 1830 n'avaient pas eu de
meilleures raisons pour se soulever que ceux de 1789, ils auraient été en butte
à la désapprobation générale, et les préventions que l'on a soulevées contre
leur cause n'auraient pas été dénuées de fondement.
Indépendamment d'une
amnistie générale, du rétablissement des trois conseils collatéraux et de
l'ancien système d'administration provinciale et judiciaire, les premiers actes
de Léopold furent la révocation de tous les édits de son prédécesseur qui
supprimaient les immunités de l'église. Mais le feu de la sédition et la
désaffection, joints sans doute à un sentiment inné de nationalité et
d'indépendance, subsistèrent sous les dehors de la soumission. Ces germes de
désunion se manifestèrent, pendant le peu de temps que régna Léopold, par des
remontrances et des mouvements populaires, qui souvent mirent le gouvernement
dans la nécessité de recourir à d'énergiques mesures de répression. Mais
l'orage terrible qui grondait sur toute l'Europe éclata bientôt, et fondit à
l'improviste sur cet empereur et sur le peuple belge.
A l'empereur
Léopold, mort le 1er mai 1792, (page 27) succéda son fils François II, alors dans
sa 29e année ; à peine eut-il pris les
rênes du gouvernement que la guerre éclata avec la France.
Le fameux décret de
l'assemblée nationale, du 20 avril, fut immédiatement suivi du commencement des
hostilités. Les troupes françaises débouchent sur deux colonnes, par Lille et
Valenciennes : l'une, commandée par Luckner, pénètre dans les Flandres ;
l'autre entre dans le Hainaut, sous le commandement de Dumouriez ; et, après la
victoire de Jemmapes, ce dernier s'avance sur Liége, le 28 du même mois ;
tandis qu'un détachement, sous les ordres de Miranda, traverse rapidement
Bruxelles et Malines, il investit la citadelle d'Anvers, qui capitule après
quelques heures de tranchée ouverte. En même temps, Namur ouvrait ses portes au
général Valence ; ainsi, dans l'espace de quelques jours, les Flandres, le
Brabant, le Hainaut, les provinces de Namur et le pays de Liége furent soumis
aux armes françaises.
Les troupes
autrichiennes se furent à peine retirées, que l'animosité du peuple contre
cette nation se manifesta ouvertement ; des assemblées furent convoquées dans
les principales villes, et des députations furent envoyées à la convention,
pour déclarer que les Belges avaient renoncé à toute alliance avec l'Autriche,
et supplier la république de ne traiter avec aucune des puissances de l'Europe,
jusqu'à ce qu'elles eussent (page 28)
reconnu l'indépendance de la Belgique ; or, ce
n'était pas son indépendance, mais sa conquête et sa réunion à la France, que
désirait la politique française. Toutefois, les députés furent accueillis avec
des assurances fallacieuses de fraternité et de protection, au moment même où
la convention rendait le fameux décret du 18 décembre, qui déclarait la
république française coactive et coercitive. Ce célèbre document
ne fut pas plus tôt connu, que la saine portion de la nation belge ouvrit les
yeux sur le sort qui la menaçait ; de nouveaux députés furent aussitôt renvoyés
à Paris, et furent chargés de faire des remontrances au sujet de l'application
des principes de ce décret à leur pays ; mais la convention n'entendait pas se
départir de ses vues de conquête, et sourde aux réclamations des députés, elle
divisa les provinces belges en arrondissements, dirigés par des commissaires
français auxquels on enjoignit de préparer le peuple à la réunion à la France.
La convention sembla
aux yeux du public avoir pris ces mesures sur la demande de quelques clubs
établis dans chaque grande ville sous les auspices d'agents français ; ces
clubs, agissant contre la volonté de la grande majorité de la nation, avaient
envoyé des députations à la convention pour demander la réunion. Dans la séance
du 3l janvier 1793, Danton, profitant adroitement de la présence d'une
députation de Liége, s'écria : (page 29) « Obéissant à ma raison et non à mon enthousiasme, c'est
au nom du peuple belge que je demande la réunion à
Les procès-verbaux
relatant ces résolutions furent envoyés à la convention qui décréta successivement
la réunion de chaque ville à la France, en la
déclarant conforme aux vœux ardents du peuple belge. Or il s'en fallait bien
qu'il en fût ainsi ; on peut s'en convaincre en lisant la lettre qu'écrivit
Dumouriez à la convention, le 12 mars 1793, et dans laquelle il déclare
hautement « que la masse de la nation est opposée à l'union, et qu'elle va même
jusqu'à vouloir la rompre par les armes. » Mais avant que ce projet pût être
accompli, les troupes autrichiennes, commandées par le prince de Cobourg, ayant
reçu des renforts considérables, reprirent l'offensive, gagnèrent la bataille
de Nerwinde et chassèrent les Français (page 30) de Louvain, Nanur, Anvers, Gand et Mons. Le 23 du même mois, le comte
de Metternich arriva à Bruxelles et fut réintégré dans son poste de ministre.
Le
Mais tous ces succès
furent annihilés par les campagnes désastreuses de 1793 et 1794, où la victoire
passa du côté des Français. Les fautes commises alors par quelques-uns des
alliés passent tout ce qu'on peut imaginer, et ne peuvent s'expliquer que par une
absence totale d'habileté chez quelques commandants militaires et surtout par
leur défaut d'union.
Dans l'espoir
d'enflammer le courage de ses troupes et de se concilier les Belges, l'empereur
se rendit à Bruxelles et prit le commandement en personne ; mais les armées
alliées, commandées par Clairfayt et le duc d'Yorck,
ayant éprouvé des désastres successifs et perdu la sanglante bataille de
Tournay où le prince, qui devait plus tard monter sur le trône sous le nom de
François II, se distingua et montra un courage à toute épreuve ; S. M. I.
quitta le quartier-général et retourna à Vienne.
Pleins d'ardeur et
d'enthousiasme, les Français poursuivirent rapidement leurs succès, et (page 31) ayant
concentré leurs forces remportèrent la fameuse victoire de Fleurus ; ils se
répandirent alors par tout le pays comme un torrent, chassèrent les alliés des
Pays-Bas, et plantèrent en peu de jours leur bannière nationale sur toutes les
villes de la Belgique.
Ces conquêtes
amenèrent le rétablissement des comités révolutionnaires dans toutes les
villes, sur les bases du club des jacobins de Paris, lesquels, agissant sous
l'influence immédiate de la France, se hâtèrent d'émettre solennellement le vœu
d'être réunis à la république. Des commissaires furent en conséquence immédiatement
envoyés à Paris, demandant, comme mesures préliminaires, la division des
provinces en départements, districts et cantons, l'introduction des formes
françaises d'administration municipale et judiciaire, et l'établissement du
jury. Ces mesures préparatoires furent suivies en juillet de la déclaration de
la liberté de l'Escaut, fermé depuis le traité de Munster de 1648, et rouvert
en conséquence de cette déclaration le 14 fructidor (septembre).
La Belgique reçut
cette nouvelle organisation générale, et fut divisée en neuf départements
assimilés, relativement à leur administration intérieure, aux départements
français.
Ces arrangements
conclus, le gouvernement de la république jeta entièrement le masque. La (page 32) question d'une
réunion définitive fut formellement posée devant la convention, le 8
vendémiaire (octobre) an IV, et après deux jours de discussions, dans
lesquelles la réunion chaudement combattue par Armand, Lesage et d'autres
membres, comme désavantageuse aux Belges et contraire aux sentiments de la
saine partie de la nation, fut soutenue par Carnot et Merlin de Douai, la
question fut enfin résolue affirmativement à une grande majorité, et la réunion
de
Dès ce moment jusqu'au
commencement de 1814,
Le peuple belge, qui
s'était révolté contre le pouvoir paternel d'un prince juste et tolérant, se
plongea de lui-même dans le plus intolérable état de vasselage, déguisé par les
dehors d'une apparente liberté. Ses institutions religieuses furent détruites,
ses privilèges abolis ; ses droits et ses immunités pour lesquels il avait
combattu pendant plusieurs siècles furent foulés aux pieds ; son indépendance
lui fut ravie, son commerce, son industrie, sacrifiés à la politique jalouse de
ses (page 33)
conquérants ; son clergé avili, et ses enfants soumis à la conscription, pour
aller périr par milliers dans des climats éloignés ; la misère désola ses
cités, la famine ses campagnes, et cette capitale naguère si brillante ne fut
plus qu'un chef-lieu de département, vit ses palais inoccupés et l'herbe
croître dans ses rues désertes.
Tels furent les
fruits de la réunion de la Belgique à la France, et selon toute probabilité,
malgré l'industrie de ce peuple et la richesse surprenante de son sol, tel eût
été encore son sort, si les projets des réunionistes de 1830 n'eussent été
déjoués par les efforts de la majorité plus politique et plus patriote de leurs
concitoyens. Ainsi, même en supposant que la réunion eût pu se faire sans une guerre
générale, nous eussions vu l'Angleterre,