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d’intention
(Extrait du
Moniteur belge n°145 du 24 mai 1844, paru dans la rubrique
« Variétés » du journal)
Discussion du
Congrès National de Belgique 1830-1831, mises en ordre et publiées par le
chevalier Émile HYYTTENS, greffier de la
chambre des Représentants ; précédées d’une introduction et suivies de
plusieurs actes relatifs au Gouvernement provisoire et au Congrès, des
projets de décrets, des rapports, des documents diplomatiques, imprimés par
ordre de l’assemblée, el de pièces inédites. Tome 1°, 10 novembre, 31 décembre.
Il n’y a pas encore bien longtemps de cela. Nous
touchions aux derniers jours d’une splendide automne succédant à un brûlant été
; le soleil parcourait dans sa marche majestueuse un ciel dégagé de nuages,
l’air était tiède et doux ; la ville s’était parée de sa robe de fête. Dès
le matin le roulement des tambours avait convoqué la bourgeoisie qui, revêtue
de son civique uniforme et le fusil sur l’épaule, se rendait, par groupes
nombreux, aux postes assignés ; les rues et les places se couvraient de monde,
surtout vers le haut de la cité. On était dans l’attente d’une solennité
nouvelle, imposante ,qui devait fixer les destinées
d’une nation s’ignorant encore
elle-même. Il y avait dans presque tous les esprits, sur presque tous
les visages confiance et espoir. Quelques hommes se dirigeaient vers l’édifice
où allait se passer la solennité : certains d’entr’eux
étaient connus et on se les montrait en rappelant leurs services, d’autres ne
l’étaient point encore et attiraient sur leur personne l’intérêt de la
curiosité ; tous étaient l’objet de la sympathie publique. Bientôt la
bourgeoisie armée et les détachements militaires s’avancent à travers les rues
qui offrent un étrange aspect ; sur plusieurs points, des pavés amoncelés
rompent l’ordre de la marche ; des maisons portent sur leur façade les profonds
stigmates d’un récent combat. Les troupes prennent position dans les rues et
sur la belle promenade qui avoisinent le palais. Une porte de l’édifice est
ouverte, et un flot de citoyens s’y précipite, pénètre dans les tribunes d’une
salle demi-circulaire où siègent déjà les Représentants envoyés par le pays. Il
est midi ; le bruit des tambours, les volées de cloche, les saluts de
l’artillerie annoncent à la cité que le Congrès national de
Peu d’instants après paraissent les membres du
gouvernement provisoire ; introduits au milieu des applaudissements et des
bravos réitérés, ils prennent place devant le bureau, et leur président du jour
prononce le discours d’ouverture de l’assemblée. Des applaudissements unanimes
éclatent encore à la fin de cette communication ; les membres du gouvernement
se retirent, les députés commencent leurs travaux par la vérification des
pouvoirs ; à 5 heures la séance est terminée et dans ses entretiens du
soir, Bruxelles ne s’occupe que de cette grande et belle solennité que le pays
accueillera comme un heureux présage.
Tout était à faire,
tout était à créer, avait dit
l’organe du gouvernement provisoire, en rappelant la situation où se trouvaient
les provinces, lorsque ce gouvernement osa s’établit. On avait beaucoup fait
jusqu’alors, mais la tâche du congrès allait être aussi pénible et aussi
laborieuse, Sa mission était difficile, mais elle était grande à accomplir. Le
gouvernement provisoire avait posé une pierre d’attente, c’était au congrès à
construire et a achever l’édifice. Grâces lui
soient rendues. Il n’a pas failli dans sa glorieuse entreprise. Malgré les
obstacles qu’il a rencontrés, les mécomptes incessants, les désillusionnements
cruels, l’instabilité des opinions, si promptes à repousser ce qu’elles avaient
admis d’abord avec enthousiasme ; malgré les conseils et les exigences des
intérêts toujours froissés dans les révolutions ; malgré les alarmes que l’on
jetait dans sou sein, les embarras que l’intrigue, tantôt sourde, tantôt
audacieuse et violente, lui suscitait a chaque pas et sur les points du pays ;
malgré les menaces enfin qu’on lui adressait du dehors, le congrès national,
dévoué à son œuvre, la termina sans se laisser jamais abattre, sans jamais
désespérer du pays. Grâces lui soient rendues.
Cette mémorable assemblée, réunie le 10 novembre
L’histoire du Congrès n’a pas été écrite. Le Congrès
n’avait pas pris souci d’une publicité étendue et durable de ses travaux. Chose
singulière ! cette assemblée, qui s’était donnée
pour mission de créer, d’organiser et de faire passer dans les institutions le
régime de la publicité, ne
détermina rien sous ce rapport en ce qui la concernait.
Le gouvernement provisoire y avait à peu près
pourvu. Un arrêté du 17 octobre 1830, non publié, ordonna, vu la nécessité
(disait le considérant unique et laconique) de créer un journal officiel, qu’un
journal de ce genre serait publié aux frais du gouvernement, sous le titre de l’Union
belge, et que le matériel de l’imprimerie normale servirait à son
impression. On appela de Paris un rédacteur-sténographe habile et intelligent
qui se mit bientôt au courant des affaires du pays, et qui, grâce au procédé tachigraphique, parvint à donner un compte-rendu assez
satisfaisant, comme analyse, des séances du congrès national. Mais une
reproduction complète de ces débats aurait été au-dessus des forces et de
l’activité d’un seul homme. Chaque séance était variée, d’ailleurs, par
différents sujets de discussion ; on se préoccupait plus, à cette époque, des
questions diplomatiques que de celles qui avait l’organisation du pays pour
objet. Avant de s’organiser il fallait exister et l’existence de
Ce journal ne rendait donc point les
services que l’on avait attendus de lui. Mal organisée, sans un personnel
suffisant de sténographes, souvent en retard pour les publications officielles
que d’autres journaux, dont les rédacteurs avaient accès dans les ministères,
publiaient avant elle, l’Union Belge tramait une misérable vie qu’un
arrêté du régent vint lui ravir.
Par cet arrêté, en date du 9 mars 1831, rendu sur la
proposition M. Tielemans, ministre de l’intérieur, la propriété de l’Union
belge fut cédée a son éditeur
qui s’engagea à en continuer la publication sous ce titre ou sous un autre, et
à servir les abonnés jusqu’à l’expiration de l’engagement pris envers eux.
L’éditeur devait faire insérer dans le journal les actes du gouvernement et le
compte-rendu des séances de la représentation nationale. Une indemnité de 6,000
florins était allouée au nouveau propriétaire. Le journal, portait l’article 7
de l’arrêté, pourra prendre la couleur qu’il plaira au propriétaire de lui
donner ; néanmoins un système suivi de personnalités ou une opposition
systématiquement hostile aux actes du gouvernement sera considérée comme une
raison suffisante de révoquer le présent arrêté.
Le 3 mars l’Union belge se fondit dans l’Indépendant
dont l’un des principaux propriétaires était éditeur du Journal officiel.
L’arrêté n’avait rien prescrit quant à un compte-rendu plus complet des débats
parlementaires. On suivit donc les mêmes errements. Le rédacteur tachygraphe
fut seul attache en cette qualité à l‘Indépendant.
La combinaison bizarre imaginée par le ministre de
l’intérieur, ne tint pas : mais ce n’est
pas du côté du gouvernement que vint la rupture de l’engagement. Les journaux
firent quelques insinuations qui pouvaient compromettre les intérêts de la
nouvelle entreprise dont la position devenait difficile. L’éditeur renonça donc
aux charges et aux bénéfices de l’arrête du 2 mars, le 19 du même mois.
Cependant le rédacteur tachygraphe continua de donner à l’Indépendant le
compte-rendu des discussions du congrès.
Au mois de juin suivant un contrat intervint entre
le même éditeur et M. de Sauvage, ministre de l’intérieur, pour la publication
d’un journal officiel sous le titre de Moniteur
belge. Dans les circonstances d’alors, le ministère avait juge
indispensable au succès de la grande entreprise politique qu’il poursuivait, la
création d’un journal qui expliquât ses vues et agit quotidiennement sur
l’opinion publique. Le compte-rendu des débats parlementaires entrait bien pour
une part dans la pensée qui avait présidé a l’institution de ce journal, mais
seulement au même titre et dans les mêmes conditions que par le passé ; on ne
faisait mention, au contrat, des séances du congrès que pour désigner le
caractère typographique à employer à la composition de cette partie de la feuille.
La sténographie ne devait recevoir aucune augmentation de personnel ; elle
demeurait incomplète et insuffisante comme elle l’avait été a l’Union belge et à l’Indépendant.
Les débats parlementaires n’étaient encore par l’accessoire, l’article de
fonds était le principal. Ce ne fut qu’à une époque plus éloignée que le nombre
des sténographes fut porté a deux personnes, puis a trois, puis a cinq, comme
il l’est maintenant.
Telle est l’histoire de la presse officielle en
Belgique depuis 1830, particulièrement dans ses rapports avec la publicité des
discussions parlementaires.
D’après ce qui précède, on voit que les débats du
congrès n’ont point été et n’ont pu être recueillis avec le soin et l’étendue
qu’exigeait leur haute importance, et que pour parvenir à les étudier
convenablement , il faut avoir recours, non seulement à l’Union belge, à
l’indépendant et au Moniteur, mais à beaucoup d’autres journaux de la capitale ou des
provinces, qui ont reproduit, avec plus ou moins de fidélité, certaines parties
de séances ou certaines débats souvent négligés dans les trois journaux
indiqués.
Si la constitution est la base sur laquelle repose
tout l’ordre politique, légal et administratif de
Sous le point de vue historique, il n’eût pas été
moins à désirer que les travaux de la première assemblée nationale de
Mais les trois journaux qui avaient successivement
reproduit avec le plus d’étendue les discussions du congrès, étaient restes
au-dessous de cette tâche par défaut de ressource ; sauf pour quelques séances,
ils n’avaient donné, si l’on peut s’exprimer ainsi, que le squelette des
débats. II y avait un travail à faire, travail considérable ou pouvait
s’user la patience la plus déterminée. Prendre pour base de cette laborieuse
entreprise l’Union belge,
l’indépendant et le Moniteur, mais rechercher dans les autres
journaux de l’époque, tous les faits, tous les discours omis ou négligés dans
les trois feuilles ; coordonner ces nombreux matériaux ; suivre pas à pas la
discussion, faire les intercalations, les substitutions nécessaires ; indiquer
en quelque sorte, paragraphe par paragraphe, les sources où l’on a puisé,
vérifier chaque détail nouveau, le reporter à sa place, tel était le
travail qu’il fallait s’imposer pour rendre aussi complet que possible,
l’exposé des discussions du congrès national de
Nous avons pris l’initiative de ce genre de
publication en faisant paraître l’histoire
parlementaire du traité de paix du 19 avril 1839 ; mais on ne peut
comparer ces deux ouvrages au point de vue des difficultés qu’ils présentaient.
Pour l’histoire parlementaire du traité il suffisait de réduire en un in
-octavo l’in-folio du Moniteur, de dégager du compte-rendu des
séances les discussions incidentes, et de résumer dans un exposé rapide les
faits intercurrents qui se rapportaient aux débats. Mais le travail exigé pour
la publication de l’histoire parlementaire du congrès était bien autrement
pénible et difficile Un moment nous eûmes la pensée de travailler à cette
histoire, c’était après la publication d’une notice chronologique sur les
travaux du congrès, mais nous reculâmes devant les obstacles que nous
devions rencontrer. Les matériaux nous manquaient ; il aurait fallu nous
procurer des collections de journaux publiés à l’époque de la tenue du congrès
national, et l’on sait combien ces collections sont rares. Nous dûmes
abandonner notre projet.
M. Emile Huyttens,
greffier de la chambre des Représentants, a eu plus de bonheur et de
persévérance que nous ; ce qui nous manquait il l’a trouvé, ce qu’il a commencé
il l’a achevé ; il vient de publier le 1° volume des Discussions du congrès
national de Belgique Laissons le s’expliquer lui-même au sujet de ce
livre :
« Un ouvrage qui serait destiné à
reproduire tous les discours prononcés au congrès et publiés par les journaux;
qui contiendrait les décisions de l'assemblée, rapportées dans les
procès-verbaux, et. les appels nominaux; qui offrirait
en même temps la réunion de tous les documents imprimés par ordre du congrès ;
enfin qui rétablirait, pour ainsi dire, les débats de 1830 et 1831, nous a donc
paru pouvoir être de quelque utilité pour l'histoire législative et nationale
de
« La première partie comprend les discussions; La
seconde, les pièces justificatives.
« Pour les discussions, les
journaux officiels, l'Union belge, l'Indépendant et le Moniteur belge
ont servi de base à notre travail. Nous les avons confrontés avec les
principaux journaux de l'époque, avec ceux de Bruxelles d'abord, puis avec ceux
qui, dans les provinces, s’attachaient à reproduire les discours des députés de
leur opinion ou de leur localité (Note de bas de page : Les journaux que nous avons
consultés sont: l'Union Belge, l’Indépendant, le Moniteur Belge, le Courrier
des Pays-Bas, l'Émancipation, le Belge, le Journal de
« Pour laisser le public juge de notre exactitude et
de notre impartialité, nous citons à la suite de chaque discours, comme à la
suite de tout ce que nous publions, les sources auxquelles nous avons dû
recourir.
« Nous avons enfin confronté notre travail avec les
procès-verbaux des séances du congrès.
« Ces procès-verbaux, ainsi que les archives de
l'assemblée, nous ont aidé à rétablir les analyses des pétitions qui
fréquemment ont été mal reproduites et même omises par les journaux ; à publier
des propositions et des amendements inédits ; à rectifier ceux qui ont été
tronqués par la presse ; à constater des appels nominaux; à reconnaître
l'inexactitude de quelques décisions.
« Plusieurs projets de décrets et certains rapports
n'ont jamais été publiés. Nous donnons ceux que nous avons trouvés dans les
archives du congrès. Quelques projets de décrets ont été rétablis à l'aide des
discussions. Tous les autres documents sont la reproduction textuelle des pièces imprimées par les soins du congrès ou du
gouvernement.
« Ces divers documents, dont la collection complète
est aujourd'hui aussi rare que celle des journaux de l'époque, forment la
deuxième partie de l'ouvrage, celle des pièces justificatives; elle est divisée
en quatre sections:
« PREMIÈRE SECTION: Gouvernement. - Sous ce titre se trouvent réunis les actes relatifs à
la formation et à la démission du gouvernement provisoire, à la convocation du
congrès national, à la publication des décrets de cette assemblée et à la
composition des ministères sous le régent.
« DEUXIÈME SECTION: Constitution. - Ce titre comprend tout ce qui se rapporte à la
constitution (la constitution, l'indépendance de
« TROISIÈME SECTION: Diplomatie.
- C'est le recueil des protocoles, des
notes verbales, des rapports politiques.
« QUATRIÈME SECTION: Administration. - Toutes les lois administratives et les documents qui ne peuvent être classés dans l'une des trois
autres sections, sont rangés sous cette rubrique.
« Dans chacune des sections nous avons réuni les
diverses pièces qui se rapportent à une même matière; les projets de décrets
sont annotés de manière à faire connaître les changements apportés à leur
rédaction; ils contiennent en outre l'indication des séances dans lesquelles
ils ont été discutés et adoptés, et de celles dans lesquelles les modifications
ont été introduites. En résumé nous avons essayé de donner une relation aussi
exacte que possible des débats du congrès national; nous nous sommes efforcé de
rendre les recherches faciles à ceux qui voudront bien consulter l'ouvrage.
« L’auteur
reproduit en outre : Une liste alphabétique des
députés et suppléants élus au congrès national, avec indication des députés qui
n'ont pas été appelés à siéger et de ceux qui n'ont point accepté leur mandat ;
une notice chronologique des travaux du congrès national, suivie d'un relevé
des décrets adoptés par l'assemblée ; un tableau, par ordre de province et de district, des
députés et suppléants élus au congrès national, avec indication de leur qualité
à l'époque de leur élection et des fonctions publiques auxquelles ils ont été
appelés depuis ; une notice, par ordre de présentation, des actes du
congrès. »
On voit à l’énumération qui précède que l’ouvrage de
M. E. Huyttens peut être considéré comme l’omnia quae existant du
congrès national. Cet ouvrage ne reproduit pas, il est vrai, mot à mot, tout ce
qui s’est dit dans cette enceinte ; des discours qui, nous nous en souvenons,
ont duré deux et trois heures, tiennent à peine une page dans le livre de M. Huyttens : témoin, par exemple, le discours de M.
Destriveaux, sur la forme du gouvernement, qui a eu la gloire de convertir un
républicain à la monarchie, conversion si vivement reprochée à M. Van Snick par
M. de Robaulx (séances des 19 et 20 novembre 1830) ; mais l’Union belge avait tellement
écourté cette oraison magistrale que force a été l’auteur de l’ouvrage de
prendre dans le Courrier des Pays-Bas une analyse un peu plus
développée, qui néanmoins s’arrête aux seules généralités de la question.
Quoi qu’il en soit, M Huyttens
a donné tout ce qu’il a trouvé, et il est impossible de faire un ouvrage plus
complet que le sien sur la matière. M. Huyttens a
atteint les colonnes d’Hercule : nec plus ultrà. Il est impossible d’écrire l’histoire de
Le premier volume que nous avons sous les yeux
contient les séances du 10 novembre au 31 décembre 1830) De grandes questions
furent soulevées dans celte première période ; quelques-unes des plus
importantes furent résolues. Ces séances comprennent l’installation du congrès,
la démission et la reconstitution du gouvernement provisoire, la discussion et
le vote sur l’exclusion des Nassau, sur l’indépendance de
« Le moment présent est unique « dit un
jour M. de Celles, « nous discutons librement des théories. »
Pour trouver up peuple dans une situation analogue,
il faut passer les mers et remonter jusqu’à l’année 1776. Le congrès américain
discutait aussi librement des théories, car la révolution avait fait table
rase. Nous avions ici beau jeu pour discuter les questions de métaphysique sociale, et l’on n’y manquait
guère. Nous étions, quant à la politique, dans cette positions fort nette où
Bacon demandait qu’on plaçât la philosophie : instauratio
facienda ab imis fundamentis. Le
jeu seulement était un peu plus dangereux.
La plupart des députés au congrès étaient
inexpérimentés, ceux qui avaient des antécédent parlementaires se trouvaient
eux-mêmes déroutés dans ce nouvel état de choses ; on se connaissait peu ou
point ; dans le commencement surtout la marche était embarrassée ; on ignorait les affinités d’opinions qui
pouvaient réunir certains groupes de députés et les faire concourir au même
but.
Peu à peu ces affinités parvinrent à se déterminer,
les hommes se classèrent, les partis s’organisèrent, il y eut une majorité et
une minorité. Dès ce moment le congrès prit un essor plus libre et mieux
assuré.
La première classification des partis dans le
congrès fût celle des verts et des mûrs , on donnait
aussi à ces derniers un autre nom. Ces partis se transformèrent en monarchique
et républicain, puis une nouvelle dénomination leur fût imposée : on les appela
belliqueux et pacifique (dans les conversations familières, ces derniers
étaient désignes autrement). Mais ces métamorphoses nominales ne changeaient
rien à leur nature : les belliqueux avaient été verts d’abord et plus ou moins
républicains ensuite.
La question de l’indépendance de
La question de l’indépendance, discutée dans deux
séances, fut résolue affirmativement à l’unanimité des 188 votants.
On s’occupa ensuite de la forme du gouvernement
nouveau. La discussion dura douze heures réparties en trois séances ; on
entendit 54 orateurs ; la statistique dirait qu’en mettant hors de compte le
temps pris par les communications diverses, c’était à peu près 10 minutes par
orateur.
On avait vainement voulu éloigner la discussion de
l’exclusion des Nassau. C’était une de ces questions qui, une fois posées,
ainsi que le dit M. Nothomb, ne sont pas
susceptibles d’être ajournées. On entendit 43 orateurs en deux jours. La
proposition fut adoptée par 161 voix contre 28,
La constitution admettrait-elle deux chambres ?
Cette question était vivement débattue ; les Bicaméristes comme on les
appelait, n’étaient pas d’accord sur le mode de nomination au sénat. Ces débats
durèrent six jours ; 49 orateurs furent entendus dans la discussion
générale. Pendant celle des articles, le congres
faillit se noyer dans un déluge d’amendements, de sous-amendements et de sous-sous-amendements,
ainsi qu’on disait alors. Le président en eut le vertige.
Le budget des voies et moyens occupa une séance,
l’institution de la cour des comptes, deux, la garde civique, une.
Cette première période des travaux du congrès fut
peut-être la plus remarquable par la fermeté des décisions de cette assemblée,
par l’importance des sujets de discussion, mais on ne peut dire qu’elle fut
toujours la plus brillante par l’éloquence des orateurs. On n’abordait encore
la tribune qu’avec hésitation, on lisait les discours, on apportait des volumes
au congrès pour en débiter des fragments invoqués comme autorités. Ce ne fut
que dans les périodes suivantes que les orateurs, alors aguerris, osèrent se
livrer à d’éloquences improvisations. Toutefois, dans les discussions de cette
époque de nobles et beaux discours attestèrent le talent d’un grand nombre de
membres de l’assemblée.
Il ne faudrait pas conclure de la grandeur des
débats et de l’importance de la plupart des discours que tout fut sérieux au
congrès. Le congrès aimait à se dérider quelquefois et la maligne bonhomie de
son président lui en fournissait l’occasion. On pourrait faire un recueil des
mots plaisants que le président laissait échapper du bureau et que les journaux
ont conservés ; exemples :
M. Forgeur, l’un des secrétaires de l’assemblée,
avait souvent des inquiétudes dans les jambes, et trouvait plaisir à se
promener dans la salle. « M. Forgeur, lui disait le président, je vous
prie de venir au bureau ; autrement nous avons l’air d’avoir la
peste. »
On avait vivement contesté à un fonctionnaire le
titre d’administrateur de la sûreté publique. Ce fonctionnaire devant être
entendu, le président dit au congrès : « Je demande quand l’assemblée
voudra entendre le rapport d’un individu auquel nous n’avons pas encore donné
de nom ; » et sur les murmures et les rires, il ajoute :
« Je ne puis le nommer autrement, puisque c’est pour vous un sujet de
contestation. »
On tenant quelquefois séance le soir ; mais ces
séances étaient toujours plus animées. « Il est naturel, dit le président
au milieu d’un orateur parlementaire, qu’en improvisant et surtout dans une
sénace du soir, on manifeste ses opinions avec quelque énergie ; mais vous
voyez ce que c’est que des séances du soir, messieurs ! nous
ne sommes pas assez calmes. »
Les amendements présentés étaient souvent être sur
des brimborions de papier. On désirait qu’ils fussent conservés. « Ce sera
facile, dit le président, mais alors il ne faudra pas qu’ils soient écrits
comme des ordonnancements de médecin. »
On voyait arriver au congrès d’énormes paquets de
brochures, de poésies, de chansons inspirées par les circonstances ; les
projets de constitution étaient nombreux, les projets de finances n’étaient pas
rares ; chaque jour on désignait au choix du congrès un nouveau souverain. Les
pétitions étaient quelquefois singulières. Un M. Toussaint, d’Anvers, envoya au
congrès un projet d’organisation du sénat propre à concilier, disait-il, tontes
les opinions, ce qui, dans l’état des opinions, excita beaucoup l’hilarité de
l’assemblée.
M. Gilbert Frère, pétitionnaire infatigable, demanda
que la constitution fut rédigée dans un style clair et succinct, mais poétique,
pour ne pas dire musical et de manière à ce que chaque citoyen put lire son
règlement de vie sur sa tabatière.
Un M. Duclos, pharmacien, demandait l’abrogation de
l’art. 4 de la loi du 12 mars 1818, qui permet aux médecins de vendre des
drogues ; il désirait que leur droit se bornât à en ordonner.
M. Lahourrey, honnête
chimiste de Marseille, offrait au congrès de guérir et d’arrêter la cruelle
contagion qui, selon lui, désolait nos provinces.
M. Jacques Delplace,
cordonnier, demandait en récompense du sang qu’il avait versé pendant la
révolution, d’obtenir le brevet de du congrès souverain et du gouvernement
provisoire.
J’en passe et des meilleurs.
Les discours étaient quelquefois assez drolatiques.
M. Beyts avait le monopole de ceux-ci. On n’a pas oublié sa définition des
trois espèces de mariage. Ce qui n’empêchait pas M. Beyts d’être un homme de
très bon sens et de très bon conseil, aussi bien qu’un savant distingué.
Voici un petit discours prononcé par un député du
Hainaut sur la question du sénat et qui fit beaucoup d’effet dans le
temps.
« Messieurs, je me plains des orateurs, parce qu'ils
ont déjà tout dit. Ils ont fait le tour du monde et ont étalé ses merveilles,
mais ne pourrions-nous faire comme les douaniers, qui commencent toujours par
visiter les plus petits paquets ? N'importe, mon tour est venu ; voici le mien
; tout mince qu'il est, j'en lirai le contenu. Si je le savais par cœur, il
n'en serait pas meilleur. Messieurs, de savants orateurs ne veulent que deux
pouvoirs, d'autres en demandent trois. Moi, je suis pour le nombre trois, car
j'ai vu la lumière. Je vais en prouver la nécessité par quelques suppositions.
Je suppose que le chef de l'État est jeune et superbe et nourri dans un rang où l'on puise toujours l'orgueil avec le
sang. Ce prince irritable aime la gloire des armes ; il veut faire des
conquêtes ; il lui faut de la chair à canon ; il demande cent mille hommes ! Si
vous n'avez qu'une chambre, ils seront accordés, parce qu'elle aussi sera jeune
et superbe, et, comme l'ancienne Rome, voudra conquérir l'univers. Mais, si
vous en avez deux, l'autre chambre les refusera, parce qu'elle aura l'âge de la
sagesse, et qu'elle craindra de voir trembler la terre qu'elle possède ; car
ses membres seront terriens. Ainsi, messieurs, si vous n'avez qu'une chambre, « Vous
aurez la guerre et ses horreurs; Si vous en avez deux, Vous conserverez la paix
et ses douceurs. » (Éclats de rire.) Choisissez. Encore un exemple
: Si le congrès avait renvoyé l'exclusion des Nassau à la sanction d'une
chambre supérieure, qu'aurait-elle répondu ? Elle aurait dit : « C'est
inutile. C'est s'acharner sur le corps d'un ennemi vaincu ; en couronnant l'archiduc
Charles, ou bien quelqu'un de vous, les Nassau sont exclus ; » et elle aurait
eu raison, car nous n'avons heureusement qu'une couronne à donner. Messieurs,
je pourrais avoir l'honneur de vous offrir encore quelques exemples, mais je préfère
vous donner celui d'être bref. »
Les discours de ce genre étaient rares au congrès ;
ils formaient diversion au langage digne et sérieux de tant d’éminents
orateurs qui prenaient une part si
active et si importante à toutes les discussions.
Le premier volume de l’ouvrage se termine à la
séance du 31 décembre, dans laquelle le comité diplomatique annonçait
officiellement au congrès, que les cinq puissances avaient reconnu en principe
l’indépendance de
Comme l’on finissait la lecture de la lettre du
comité diplomatique, minuit vint à sonner. Le président dit à
l’assemblée : « MM., avant de nous séparer, je vous souhaite une
bonne année (on rit et on applaudit) ; je fais des vœux, que vous partagez
tous, ajouta-t-il, pour que l’année 1831 consolide l’indépendance de notre
patrie (Bravos, vifs applaudissements). »
Les vœux du respectable président furent exaucés. Le
21 juillet 1831, le prince Léopold de Saxe-Cobourg fut inauguré Roi des Belges.
Ph. BOURSON.