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(Extrait du Moniteur belge n°145 du 24 mai 1844, paru dans la rubrique « Variétés » du journal)

Discussion du Congrès National de Belgique 1830-1831, mises en ordre et publiées par le chevalier Émile HYYTTENS, greffier de la  chambre des Représentants ; précédées d’une introduction et suivies de plusieurs actes relatifs au Gouvernement provisoire et au Congrès, des projets de décrets, des rapports, des documents diplomatiques, imprimés par ordre de l’assemblée, el de pièces inédites. Tome 1°, 10 novembre, 31 décembre. 

Il n’y a pas encore bien longtemps de cela. Nous touchions aux derniers jours d’une splendide automne succédant à un brûlant été ; le soleil parcourait dans sa marche majestueuse un ciel dégagé de nuages, l’air était tiède et doux ; la ville s’était parée de sa robe de fête. Dès le matin le roulement des tambours avait convoqué la bourgeoisie qui, revêtue de son civique uniforme et le fusil sur l’épaule, se rendait, par groupes nombreux, aux postes assignés ; les rues et les places se couvraient de monde, surtout vers le haut de la cité. On était dans l’attente d’une solennité nouvelle, imposante ,qui devait fixer les destinées d’une nation s’ignorant encore elle-même. Il y avait dans presque tous les esprits, sur presque tous les visages confiance et espoir. Quelques hommes se dirigeaient vers l’édifice où allait se passer la solennité : certains d’entr’eux étaient connus et on se les montrait en rappelant leurs services, d’autres ne l’étaient point encore et attiraient sur leur personne l’intérêt de la curiosité ; tous étaient l’objet de la sympathie publique. Bientôt la bourgeoisie armée et les détachements militaires s’avancent à travers les rues qui offrent un étrange aspect ; sur plusieurs points, des pavés amoncelés rompent l’ordre de la marche ; des maisons portent sur leur façade les profonds stigmates d’un récent combat. Les troupes prennent position dans les rues et sur la belle promenade qui avoisinent le palais. Une porte de l’édifice est ouverte, et un flot de citoyens s’y précipite, pénètre dans les tribunes d’une salle demi-circulaire où siègent déjà les Représentants envoyés par le pays. Il est midi ; le bruit des tambours, les volées de cloche, les saluts de l’artillerie annoncent à la cité que le Congrès national de la Belgique est réuni et va commencer ses nobles et glorieux travaux. Un homme dont la tète couronnée de cheveux blancs a vu passer bien des révolutions, M. Gendebien père, doyen d’âge, député du Hainaut, est assis au fauteuil de la présidence, sous un faisceau des couleurs qu’il vit briller quarante années plus tôt, dans une semblable enceinte ; entouré des quatre puis jeunes membres de l’assemblée, MM. Nothomb, députe de Luxembourg, l’abbé De Haerne, député de la Flandre occidentale, Charles Vilain XIIII, député du Limbourg et Liedts, député de la Flandre orientale, le vénérable doyen déclare au nom du Peuple Belge, que le Congrès national est installé.

Peu d’instants après paraissent les membres du gouvernement provisoire ; introduits au milieu des applaudissements et des bravos réitérés, ils prennent place devant le bureau, et leur président du jour prononce le discours d’ouverture de l’assemblée. Des applaudissements unanimes éclatent encore à la fin de cette communication ; les membres du gouvernement se retirent, les députés commencent leurs travaux par la vérification des pouvoirs ; à 5 heures la séance est terminée et dans ses entretiens du soir, Bruxelles ne s’occupe que de cette grande et belle solennité que le pays accueillera comme un heureux présage.

Tout était à faire, tout était à créer, avait dit l’organe du gouvernement provisoire, en rappelant la situation où se trouvaient les provinces, lorsque ce gouvernement osa s’établit. On avait beaucoup fait jusqu’alors, mais la tâche du congrès allait être aussi pénible et aussi laborieuse, Sa mission était difficile, mais elle était grande à accomplir. Le gouvernement provisoire avait posé une pierre d’attente, c’était au congrès à construire et a achever l’édifice. Grâces lui soient rendues. Il n’a pas failli dans sa glorieuse entreprise. Malgré les obstacles qu’il a rencontrés, les mécomptes incessants, les désillusionnements cruels, l’instabilité des opinions, si promptes à repousser ce qu’elles avaient admis d’abord avec enthousiasme ; malgré les conseils et les exigences des intérêts toujours froissés dans les révolutions ; malgré les alarmes que l’on jetait dans sou sein, les embarras que l’intrigue, tantôt sourde, tantôt audacieuse et violente, lui suscitait a chaque pas et sur les points du pays ; malgré les menaces enfin qu’on lui adressait du dehors, le congrès national, dévoué à son œuvre, la termina sans se laisser jamais abattre, sans jamais désespérer du pays. Grâces lui soient rendues.

Cette mémorable assemblée, réunie le 10 novembre 1830, a terminé son existence le 21 juillet 1831, après avoir donné à la Belgique une Constitution et une Dynastie. Dans les deux cent cinquante-quatre jours qu’elle a vécu, elle a décrété 7 lois constituantes, 11 lois d’organisation générale, 24 lois administratives, réglementaires et transitoires, 19 lois de finance et 4 lois dites rémunatoires, ensemble 65 lois ou décrets. Elle a tenu 156 séances et s’est prorogée deux fois du 6 au 29 mars et du 14 avril au 18 mai. A part ces interruptions, commandées par les circonstances, elle se livra à un travail constant et assidu de huit heures chaque jour dans des réunions spéciales ou des séances publiques qui quelquefois se renouvelaient le soir.

L’histoire du Congrès n’a pas été écrite. Le Congrès n’avait pas pris souci d’une publicité étendue et durable de ses travaux. Chose singulière ! cette assemblée, qui s’était donnée pour mission de créer, d’organiser et de faire passer dans les institutions le régime de la publicité, ne détermina rien sous ce rapport en ce qui la concernait. 

Le gouvernement provisoire y avait à peu près pourvu. Un arrêté du 17 octobre 1830, non publié, ordonna, vu la nécessité (disait le considérant unique et laconique) de créer un journal officiel, qu’un journal de ce genre serait publié aux frais du gouvernement, sous le titre de l’Union belge, et que le matériel de l’imprimerie normale servirait à son impression. On appela de Paris un rédacteur-sténographe habile et intelligent qui se mit bientôt au courant des affaires du pays, et qui, grâce au procédé tachigraphique, parvint à donner un compte-rendu assez satisfaisant, comme analyse, des séances du congrès national. Mais une reproduction complète de ces débats aurait été au-dessus des forces et de l’activité d’un seul homme. Chaque séance était variée, d’ailleurs, par différents sujets de discussion ; on se préoccupait plus, à cette époque, des questions diplomatiques que de celles qui avait l’organisation du pays pour objet. Avant de s’organiser il fallait exister et l’existence de la Belgique dépendait autant de l’assentiment de l’Europe que de la Belgique elle-même. La question extérieure dominait tout, c’est elle qui amenait les orages dans l’assemblée, qui passionnait les esprits, qui produisait la création et la lutte des partis c’est elle aussi qui était traitée avec le plus d’étendue dans le compte-rendu des débats. Le rédacteur se réservait pour elle. S’il s’était astreint à tout reproduire, il n’aurait pu y parvenir ; les longues séances qui s’ouvraient à dix heures et ne se terminaient qu’à cinq, ne lui eussent pas permis à fournir de la copie au journal pour le moment fixé à la publication. Le rédacteur trouvait peu de secours dans les membres du congrès Quelques-uns, encore imbus des idées qu’ils s’étaient faites de la presse gouvernementale sous le régime déchu auraient considéré comme une atteinte au principe de liberté, comme une faiblesse indigne de l’opposition, d’envoyer au journal patronné par le gouvernement, le manuscrit des discours qu’ils avaient prononcés ; ils refusaient même l’exemplaire du journal qui leur était destiné, pour ne pas autoriser, par leur complicité, l’existence d’un journal du pouvoir, bien qu’eux-mêmes fissent partie du pouvoir. D’autres membres de l’assemblée avaient pris l’engagement vis à-vis des journaux de leur localité de leur faire parvenir le manuscrit de leurs discours après les débats ; ils leur en réservaient la primeur ; soit à cause de cet engagement, soit parce qu’ils étaient sûrs que ces discours seraient lus par leurs commettants, leurs amis, leurs voisins qui recevaient ces journaux et connaissaient à peine de nom l’Union.

Ce journal ne rendait donc point les services que l’on avait attendus de lui. Mal organisée, sans un personnel suffisant de sténographes, souvent en retard pour les publications officielles que d’autres journaux, dont les rédacteurs avaient accès dans les ministères, publiaient avant elle, l’Union Belge tramait une misérable vie qu’un arrêté du régent vint lui ravir. 

Par cet arrêté, en date du 9 mars 1831, rendu sur la proposition M. Tielemans, ministre de l’intérieur, la propriété de l’Union belge fut cédée a son éditeur qui s’engagea à en continuer la publication sous ce titre ou sous un autre, et à servir les abonnés jusqu’à l’expiration de l’engagement pris envers eux. L’éditeur devait faire insérer dans le journal les actes du gouvernement et le compte-rendu des séances de la représentation nationale. Une indemnité de 6,000 florins était allouée au nouveau propriétaire. Le journal, portait l’article 7 de l’arrêté, pourra prendre la couleur qu’il plaira au propriétaire de lui donner ; néanmoins un système suivi de personnalités ou une opposition systématiquement hostile aux actes du gouvernement sera considérée comme une raison suffisante de révoquer le présent arrêté. 

Le 3 mars l’Union belge se fondit dans l’Indépendant dont l’un des principaux propriétaires était éditeur du Journal officiel. L’arrêté n’avait rien prescrit quant à un compte-rendu plus complet des débats parlementaires. On suivit donc les mêmes errements. Le rédacteur tachygraphe fut seul attache en cette qualité à l‘Indépendant. 

La combinaison bizarre imaginée par le ministre de l’intérieur,  ne tint pas : mais ce n’est pas du côté du gouvernement que vint la rupture de l’engagement. Les journaux firent quelques insinuations qui pouvaient compromettre les intérêts de la nouvelle entreprise dont la position devenait difficile. L’éditeur renonça donc aux charges et aux bénéfices de l’arrête du 2 mars, le 19 du même mois. Cependant le rédacteur tachygraphe continua de donner à l’Indépendant le compte-rendu des discussions du congrès.

Au mois de juin suivant un contrat intervint entre le même éditeur et M. de Sauvage, ministre de l’intérieur, pour la publication d’un journal officiel sous le titre de Moniteur belge. Dans les circonstances d’alors, le ministère avait juge indispensable au succès de la grande entreprise politique qu’il poursuivait, la création d’un journal qui expliquât ses vues et agit quotidiennement sur l’opinion publique. Le compte-rendu des débats parlementaires entrait bien pour une part dans la pensée qui avait présidé a l’institution de ce journal, mais seulement au même titre et dans les mêmes conditions que par le passé ; on ne faisait mention, au contrat, des séances du congrès que pour désigner le caractère typographique à employer à la composition de cette partie de la feuille. La sténographie ne devait recevoir aucune augmentation de personnel ; elle demeurait incomplète et insuffisante comme elle l’avait été a l’Union belge et à l’Indépendant. Les débats parlementaires n’étaient encore par l’accessoire, l’article de fonds était le principal. Ce ne fut qu’à une époque plus éloignée que le nombre des sténographes fut porté a deux personnes, puis a trois, puis a cinq, comme il l’est maintenant.

Telle est l’histoire de la presse officielle en Belgique depuis 1830, particulièrement dans ses rapports avec la publicité des discussions parlementaires.

D’après ce qui précède, on voit que les débats du congrès n’ont point été et n’ont pu être recueillis avec le soin et l’étendue qu’exigeait leur haute importance, et que pour parvenir à les étudier convenablement , il faut avoir recours, non seulement à l’Union belge, à l’indépendant et au Moniteur, mais à beaucoup d’autres journaux de la capitale ou des provinces, qui ont reproduit, avec plus ou moins de fidélité, certaines parties de séances ou certaines débats souvent négligés dans les trois journaux indiqués.

Si la constitution est la base sur laquelle repose tout l’ordre politique, légal et administratif de la Belgique, ne serait-il pas d’un grand intérêt de connaître dans leur plus complète exactitude tous les faits parlementaires que se rattachent à cette œuvre fondamentale ? La loi, surtout la loi suprême, doit être précise, nette, intelligible et porter en soi son sens réel et son interprétation. Notre constitution satisfait à ces conditions nécessaires ; mats il est évident qu’un exposé bien fidèle des débats préalables dont chaque article de la constitution a été l’objet, ajouterait encore à la certitude du sens assigné par l’expression à chaque article. Dans maintes circonstances les lois à formuler et qui doivent être la conséquence ou l’évolution même de la constitution, pourraient recevoir de cet expose un caractère constitutionnel moins sujet à éveiller des doutes. Plusieurs fois on a eu à regretter le laconisme de l’Union belge dans des débats importants. En 1836, lors de la discussion du projet de loi communale l’on dût demander au Courrier des Pays-Bas et au Journal des Flandres du temps du congrès, l’interprétation de cet article 108 que le silence de l’Union belge ne permettait pas de lui emprunter. 

Sous le point de vue historique, il n’eût pas été moins à désirer que les travaux de la première assemblée nationale de la Belgique eussent été exposés dans tous leurs détails, même avec cette forme dramatique qui donnait un attrait de plus à de nombreuses séances. Il n’eût pas été moins intéressant de voir, par une relation fidele, l’attitude d’abord embarrassée des députés, l’hésitation avec laquelle ils essayaient ce langage parlementaire si nouveau pour la plupart d’entre eux ; puis de les voir s’aguerrissant dans la lutte, et atteignant à une éloquence qu’eussent pu envier de plus anciennes tribunes ; il n’eût pas été moins curieux de suivre le mouvement des esprits qui, se livrant d’abord aux seules inspirations de la théorie pure et du système, les sacrifiaient peu à peu, jusqu’à ne plus admettre que la politique pratique et positive. 

Mais les trois journaux qui avaient successivement reproduit avec le plus d’étendue les discussions du congrès, étaient restes au-dessous de cette tâche par défaut de ressource ; sauf pour quelques séances, ils n’avaient donné, si l’on peut s’exprimer ainsi, que le squelette des débats. II y avait un travail à faire, travail considérable ou pouvait s’user la patience la plus déterminée. Prendre pour base de cette laborieuse entreprise l’Union belge, l’indépendant et le Moniteur, mais rechercher dans les autres journaux de l’époque, tous les faits, tous les discours omis ou négligés dans les trois feuilles ; coordonner ces nombreux matériaux ; suivre pas à pas la discussion, faire les intercalations, les substitutions nécessaires ; indiquer en quelque sorte, paragraphe par paragraphe, les sources où l’on a puisé, vérifier chaque détail nouveau, le reporter à sa place, tel était le travail qu’il fallait s’imposer pour rendre aussi complet que possible, l’exposé des discussions du congrès national de la Belgique. 

Nous avons pris l’initiative de ce genre de publication en faisant paraître l’histoire parlementaire du traité de paix du 19 avril 1839 ; mais on ne peut comparer ces deux ouvrages au point de vue des difficultés qu’ils présentaient. Pour l’histoire parlementaire du traité il suffisait de réduire en un in -octavo l’in-folio du Moniteur, de dégager du compte-rendu des séances les discussions incidentes, et de résumer dans un exposé rapide les faits intercurrents qui se rapportaient aux débats. Mais le travail exigé pour la publication de l’histoire parlementaire du congrès était bien autrement pénible et difficile Un moment nous eûmes la pensée de travailler à cette histoire, c’était après la publication d’une notice chronologique sur les travaux du congrès, mais nous reculâmes devant les obstacles que nous devions rencontrer. Les matériaux nous manquaient ; il aurait fallu nous procurer des collections de journaux publiés à l’époque de la tenue du congrès national, et l’on sait combien ces collections sont rares. Nous dûmes abandonner notre projet.

M. Emile Huyttens, greffier de la chambre des Représentants, a eu plus de bonheur et de persévérance que nous ; ce qui nous manquait il l’a trouvé, ce qu’il a commencé il l’a achevé ; il vient de publier le 1° volume des Discussions du congrès national de Belgique Laissons le s’expliquer lui-même au sujet de ce livre :

« Un ouvrage qui serait destiné à reproduire tous les discours prononcés au congrès et publiés par les journaux; qui contiendrait les décisions de l'assemblée, rapportées dans les procès-verbaux, et. les appels nominaux; qui offrirait en même temps la réunion de tous les documents imprimés par ordre du congrès ; enfin qui rétablirait, pour ainsi dire, les débats de 1830 et 1831, nous a donc paru pouvoir être de quelque utilité pour l'histoire législative et nationale de la Belgique. Nous l'avons entrepris ; nous avons divisé ce recueil en deux parties:

« La première partie comprend les discussions; La seconde, les pièces justificatives.

« Pour les discussions, les journaux officiels, l'Union belge, l'Indépendant et le Moniteur belge ont servi de base à notre travail. Nous les avons confrontés avec les principaux journaux de l'époque, avec ceux de Bruxelles d'abord, puis avec ceux qui, dans les provinces, s’attachaient à reproduire les discours des députés de leur opinion ou de leur localité (Note de bas de page : Les journaux que nous avons consultés sont: l'Union Belge, l’Indépendant, le Moniteur Belge, le Courrier des Pays-Bas, l'Émancipation, le Belge, le Journal de la Belgique, le Vrai Patriote, le Journal d'Anvers, le Journal des Flandres, le Messager de Gand, le Politique, et le Courrier de la Meuse). Parfois nous avons dû puiser en même temps dans les uns et dans les autres ; nous avons substitué la relation du journal non officiel à celle du journal dit officiel toutes les fois que celle-ci était moins complète ou moins en rapport avec l’ensemble des discours.        .

« Pour laisser le public juge de notre exactitude et de notre impartialité, nous citons à la suite de chaque discours, comme à la suite de tout ce que nous publions, les sources auxquelles nous avons dû recourir.

« Nous avons enfin confronté notre travail avec les procès-verbaux des séances du congrès.

« Ces procès-verbaux, ainsi que les archives de l'assemblée, nous ont aidé à rétablir les analyses des pétitions qui fréquemment ont été mal reproduites et même omises par les journaux ; à publier des propositions et des amendements inédits ; à rectifier ceux qui ont été tronqués par la presse ; à constater des appels nominaux; à reconnaître l'inexactitude de quelques décisions.

« Plusieurs projets de décrets et certains rapports n'ont jamais été publiés. Nous donnons ceux que nous avons trouvés dans les archives du congrès. Quelques projets de décrets ont été rétablis à l'aide des discussions. Tous les autres documents sont la reproduction textuelle des pièces imprimées par les soins du congrès ou du gouvernement.

« Ces divers documents, dont la collection complète est aujourd'hui aussi rare que celle des journaux de l'époque, forment la deuxième partie de l'ouvrage, celle des pièces justificatives; elle est divisée en quatre sections:

« PREMIÈRE SECTION: Gouvernement. - Sous ce titre se trouvent réunis les actes relatifs à la formation et à la démission du gouvernement provisoire, à la convocation du congrès national, à la publication des décrets de cette assemblée et à la composition des ministères sous le régent.

« DEUXIÈME SECTION: Constitution. - Ce titre comprend tout ce qui se rapporte à la constitution (la constitution, l'indépendance de la Belgique et l'exclusion des Nassau, la forme du gouvernement, le choix du chef de l'État, la nomination du régent).

« TROISIÈME SECTION: Diplomatie. - C'est le recueil des protocoles, des notes verbales, des rapports politiques.

« QUATRIÈME SECTION: Administration. - Toutes les lois administratives et les documents qui ne peuvent être classés dans l'une des trois autres sections, sont rangés sous cette rubrique.

« Dans chacune des sections nous avons réuni les diverses pièces qui se rapportent à une même matière; les projets de décrets sont annotés de manière à faire connaître les changements apportés à leur rédaction; ils contiennent en outre l'indication des séances dans lesquelles ils ont été discutés et adoptés, et de celles dans lesquelles les modifications ont été introduites. En résumé nous avons essayé de donner une relation aussi exacte que possible des débats du congrès national; nous nous sommes efforcé de rendre les recherches faciles à ceux qui voudront bien consulter l'ouvrage.

« L’auteur reproduit en outre : Une liste alphabétique des députés et suppléants élus au congrès national, avec indication des députés qui n'ont pas été appelés à siéger et de ceux qui n'ont point accepté leur mandat ; une notice chronologique des travaux du congrès national, suivie d'un relevé des décrets adoptés par l'assemblée ;        un tableau, par ordre de province et de district, des députés et suppléants élus au congrès national, avec indication de leur qualité à l'époque de leur élection et des fonctions publiques auxquelles ils ont été appelés depuis ; une notice, par ordre de présentation, des actes du congrès. »

On voit à l’énumération qui précède que l’ouvrage de M. E. Huyttens peut être considéré comme l’omnia quae existant du congrès national. Cet ouvrage ne reproduit pas, il est vrai, mot à mot, tout ce qui s’est dit dans cette enceinte ; des discours qui, nous nous en souvenons, ont duré deux et trois heures, tiennent à peine une page dans le livre de M. Huyttens : témoin, par exemple, le discours de M. Destriveaux, sur la forme du gouvernement, qui a eu la gloire de convertir un républicain à la monarchie, conversion si vivement reprochée à M. Van Snick par M. de Robaulx (séances des 19 et 20 novembre 1830) ; mais l’Union belge avait tellement écourté cette oraison magistrale que force a été l’auteur de l’ouvrage de prendre dans le Courrier des Pays-Bas une analyse un peu plus développée, qui néanmoins s’arrête aux seules généralités de la question. 

Quoi qu’il en soit, M Huyttens a donné tout ce qu’il a trouvé, et il est impossible de faire un ouvrage plus complet que le sien sur la matière. M. Huyttens a atteint les colonnes d’Hercule : nec plus ultrà.  Il est impossible d’écrire l’histoire de la Belgique pendant cette mémorable époque, sans avoir devant soi le livre de M. Huyttens. 

Le premier volume que nous avons sous les yeux contient les séances du 10 novembre au 31 décembre 1830) De grandes questions furent soulevées dans celte première période ; quelques-unes des plus importantes furent résolues. Ces séances comprennent l’installation du congrès, la démission et la reconstitution du gouvernement provisoire, la discussion et le vote sur l’exclusion des Nassau, sur l’indépendance de la Belgique, sur la forme du gouvernement, sur le sénat,  sur le Litre Il de la constitution, le vote du premier budget des voies et moyens, l’institution de la cour des comptes, de la garde civique ; et quant aux questions diplomatiques, la discussion sur la suspension d’armes, la navigation de l’Escaut, la mission de MM. Van le Weyer  et Gendebien à Paris, etc., etc. 

« Le moment présent est unique «  dit un jour M. de Celles, «  nous discutons librement des théories. »

Pour trouver up peuple dans une situation analogue, il faut passer les mers et remonter jusqu’à l’année 1776. Le congrès américain discutait aussi librement des théories, car la révolution avait fait table rase. Nous avions ici beau jeu pour discuter les questions de  métaphysique sociale, et l’on n’y manquait guère. Nous étions, quant à la politique, dans cette positions fort nette où Bacon demandait qu’on plaçât la philosophie : instauratio facienda ab imis fundamentis. Le jeu seulement était un peu plus dangereux. 

La plupart des députés au congrès étaient inexpérimentés, ceux qui avaient des antécédent parlementaires se trouvaient eux-mêmes déroutés dans ce nouvel état de choses ; on se connaissait peu ou point ; dans le commencement surtout la marche était embarrassée ;  on ignorait les affinités d’opinions qui pouvaient réunir certains groupes de députés et les faire concourir au même but. 

Peu à peu ces affinités parvinrent à se déterminer, les hommes se classèrent, les partis s’organisèrent, il y eut une majorité et une minorité. Dès ce moment le congrès prit un essor plus libre et mieux assuré. 

La première classification des partis dans le congrès fût celle des verts et des mûrs , on donnait aussi à ces derniers un autre nom. Ces partis se transformèrent en monarchique et républicain, puis une nouvelle dénomination leur fût imposée : on les appela belliqueux et pacifique (dans les conversations familières, ces derniers étaient désignes autrement). Mais ces métamorphoses nominales ne changeaient rien à leur nature : les belliqueux avaient été verts d’abord et plus ou moins républicains ensuite. 

La question de l’indépendance de la Belgique fut soumise au congrès ; elle obtint la priorité sur celle de l’exclusion des Nassau Cette priorité fût acquise par une majorité de 98 voix contre 77. Dans la situation des esprits, un pareil résultat devait exciter la surprise et le mécontentement : mais ce vote était dû aux craintes que pouvait faire concevoir la présence de l’ennemi dans la citadelle d’Anvers et dans Maestricht. On avait toujours devant les yeux le bombardement de la première de ces villes ; l’exclusion des Nassau, solennellement décrétée par le congrès, n’allait-elle pas attirer sur elles de terribles exécutions ?

La question de l’indépendance, discutée dans deux séances, fut résolue affirmativement à l’unanimité des 188 votants. 

On s’occupa ensuite de la forme du gouvernement nouveau. La discussion dura douze heures réparties en trois séances ; on entendit 54 orateurs ; la statistique dirait qu’en mettant hors de compte le temps pris par les communications diverses, c’était à peu près 10 minutes par orateur. 

On avait vainement voulu éloigner la discussion de l’exclusion des Nassau. C’était une de ces questions qui, une fois posées, ainsi que le  dit M. Nothomb, ne sont pas susceptibles d’être ajournées. On entendit 43 orateurs en deux jours. La proposition fut adoptée par 161 voix contre 28, 

La constitution admettrait-elle deux chambres ? Cette question était vivement débattue ; les Bicaméristes comme on les appelait, n’étaient pas d’accord sur le mode de nomination au sénat. Ces débats durèrent six jours ; 49 orateurs furent entendus dans la discussion générale. Pendant celle des articles, le congres faillit se noyer dans un déluge d’amendements, de sous-amendements et de sous-sous-amendements, ainsi qu’on disait alors. Le président en eut le vertige.

Le budget des voies et moyens occupa une séance, l’institution de la cour des comptes, deux, la garde civique, une.

Cette première période des travaux du congrès fut peut-être la plus remarquable par la fermeté des décisions de cette assemblée, par l’importance des sujets de discussion, mais on ne peut dire qu’elle fut toujours la plus brillante par l’éloquence des orateurs. On n’abordait encore la tribune qu’avec hésitation, on lisait les discours, on apportait des volumes au congrès pour en débiter des fragments invoqués comme autorités. Ce ne fut que dans les périodes suivantes que les orateurs, alors aguerris, osèrent se livrer à d’éloquences improvisations. Toutefois, dans les discussions de cette époque de nobles et beaux discours attestèrent le talent d’un grand nombre de membres de l’assemblée.

Il ne faudrait pas conclure de la grandeur des débats et de l’importance de la plupart des discours que tout fut sérieux au congrès. Le congrès aimait à se dérider quelquefois et la maligne bonhomie de son président lui en fournissait l’occasion. On pourrait faire un recueil des mots plaisants que le président laissait échapper du bureau et que les journaux ont conservés ; exemples :

M. Forgeur, l’un des secrétaires de l’assemblée, avait souvent des inquiétudes dans les jambes, et trouvait plaisir à se promener dans la salle. « M. Forgeur, lui disait le président, je vous prie de venir au bureau ; autrement nous avons l’air d’avoir la peste. »

On avait vivement contesté à un fonctionnaire le titre d’administrateur de la sûreté publique. Ce fonctionnaire devant être entendu, le président dit au congrès : « Je demande quand l’assemblée voudra entendre le rapport d’un individu auquel nous n’avons pas encore donné de nom ; » et sur les murmures et les rires, il ajoute : « Je ne puis le nommer autrement, puisque c’est pour vous un sujet de contestation. »

On tenant quelquefois séance le soir ; mais ces séances étaient toujours plus animées. « Il est naturel, dit le président au milieu d’un orateur parlementaire, qu’en improvisant et surtout dans une sénace du soir, on manifeste ses opinions avec quelque énergie ; mais vous voyez ce que c’est que des séances du soir, messieurs ! nous ne sommes pas assez calmes. »

Les amendements présentés étaient souvent être sur des brimborions de papier. On désirait qu’ils fussent conservés. « Ce sera facile, dit le président, mais alors il ne faudra pas qu’ils soient écrits comme des ordonnancements de médecin. »

On voyait arriver au congrès d’énormes paquets de brochures, de poésies, de chansons inspirées par les circonstances ; les projets de constitution étaient nombreux, les projets de finances n’étaient pas rares ; chaque jour on désignait au choix du congrès un nouveau souverain. Les pétitions étaient quelquefois singulières. Un M. Toussaint, d’Anvers, envoya au congrès un projet d’organisation du sénat propre à concilier, disait-il, tontes les opinions, ce qui, dans l’état des opinions, excita beaucoup l’hilarité de l’assemblée.

M. Gilbert Frère, pétitionnaire infatigable, demanda que la constitution fut rédigée dans un style clair et succinct, mais poétique, pour ne pas dire musical et de manière à ce que chaque citoyen put lire son règlement de vie sur sa tabatière. 

Un M. Duclos, pharmacien, demandait l’abrogation de l’art. 4 de la loi du 12 mars 1818, qui permet aux médecins de vendre des drogues ; il désirait que leur droit se bornât à en ordonner. 

M. Lahourrey, honnête chimiste de Marseille, offrait au congrès de guérir et d’arrêter la cruelle contagion qui, selon lui, désolait nos provinces. 

M. Jacques Delplace, cordonnier, demandait en récompense du sang qu’il avait versé pendant la révolution, d’obtenir le brevet de du congrès souverain et du gouvernement provisoire. 

J’en passe et des meilleurs. 

Les discours étaient quelquefois assez drolatiques. M. Beyts avait le monopole de ceux-ci. On n’a pas oublié sa définition des trois espèces de mariage. Ce qui n’empêchait pas M. Beyts d’être un homme de très bon sens et de très bon conseil, aussi bien qu’un savant distingué.

Voici un petit discours prononcé par un député du Hainaut sur la question du sénat et qui fit beaucoup d’effet dans le temps. 

« Messieurs, je me plains des orateurs, parce qu'ils ont déjà tout dit. Ils ont fait le tour du monde et ont étalé ses merveilles, mais ne pourrions-nous faire comme les douaniers, qui commencent toujours par visiter les plus petits paquets ? N'importe, mon tour est venu ; voici le mien ; tout mince qu'il est, j'en lirai le contenu. Si je le savais par cœur, il n'en serait pas meilleur. Messieurs, de savants orateurs ne veulent que deux pouvoirs, d'autres en demandent trois. Moi, je suis pour le nombre trois, car j'ai vu la lumière. Je vais en prouver la nécessité par quelques suppositions. Je suppose que le chef de l'État est jeune et superbe et nourri dans un rang où l'on puise toujours l'orgueil avec le sang. Ce prince irritable aime la gloire des armes ; il veut faire des conquêtes ; il lui faut de la chair à canon ; il demande cent mille hommes ! Si vous n'avez qu'une chambre, ils seront accordés, parce qu'elle aussi sera jeune et superbe, et, comme l'ancienne Rome, voudra conquérir l'univers. Mais, si vous en avez deux, l'autre chambre les refusera, parce qu'elle aura l'âge de la sagesse, et qu'elle craindra de voir trembler la terre qu'elle possède ; car ses membres seront terriens. Ainsi, messieurs, si vous n'avez qu'une chambre, « Vous aurez la guerre et ses horreurs; Si vous en avez deux, Vous conserverez la paix et ses douceurs. » (Éclats de rire.) Choisissez. Encore un exemple : Si le congrès avait renvoyé l'exclusion des Nassau à la sanction d'une chambre supérieure, qu'aurait-elle répondu ? Elle aurait dit : « C'est inutile. C'est s'acharner sur le corps d'un ennemi vaincu ; en couronnant l'archiduc Charles, ou bien quelqu'un de vous, les Nassau sont exclus ; » et elle aurait eu raison, car nous n'avons heureusement qu'une couronne à donner. Messieurs, je pourrais avoir l'honneur de vous offrir encore quelques exemples, mais je préfère vous donner celui d'être bref. »

Les discours de ce genre étaient rares au congrès ; ils formaient diversion au langage digne et sérieux de tant d’éminents orateurs  qui prenaient une part si active et si importante à toutes les discussions. 

Le premier volume de l’ouvrage se termine à la séance du 31 décembre, dans laquelle le comité diplomatique annonçait officiellement au congrès, que les cinq puissances avaient reconnu en principe l’indépendance de la Belgique. En ce moment le fameux protocole du 20 décembre n’était pas encore notifié au gouvernement provisoire ; il ne le fut que quelques heures après. 

Comme l’on finissait la lecture de la lettre du comité diplomatique, minuit vint à sonner. Le président dit à l’assemblée : « MM., avant de nous séparer, je vous souhaite une bonne année (on rit et on applaudit) ; je fais des vœux, que vous partagez tous, ajouta-t-il, pour que l’année 1831 consolide l’indépendance de notre patrie (Bravos, vifs applaudissements). »

Les vœux du respectable président furent exaucés. Le 21 juillet 1831, le prince Léopold de Saxe-Cobourg fut inauguré Roi des Belges.

Ph. BOURSON.