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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 27 novembre 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1872-1873)

(Présidence de M. Thibautµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 77) M. de Borchgraveµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Hagemansµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Borchgraveµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Van Vlieberge, instituteur à Maeter, propose des modifications au projet de loi concernant une caisse de prévoyance en faveur des instituteurs primaires. »

« Même pétition d'instituteurs à Bereitem, Denderhautem, Nivelé, Herzele, Jemeppe-sur-Sambre, Blankenberghe, Maercke-Kerkhem. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Les sieurs Vandonckt, président, et Van Overmate, secrétaire de la société dite : Burgersbond, à Gand, prient la Chambre de discuter la proposition de loi relative à la traduction flamande des Annales parlementaires. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.


Het Kersouwken

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Villers-Potterie prie la Chambre de décréter la construction par l'Etat du chemin de fer direct d'Athus à Charleroi sans emprunter la ligne du Grand-Central. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif au chemin de fer d'Athus vers Charleroi.


« II est fait hommage à la Chambre par le capitaine Docx, de 126 exemplaires d'une brochure ayant pour titre : Quelques mots sur la gymnastique scolaire. »

- Distribution aux membres de l'assemblée et dépôt à la bibliothèque.


« M. Vanden Steen demande un congé de quelques jours. »

- Accordé

Projet de loi révisant le code de commerce (livre I. Titre IX : Des Sociétés)

Discussion des articles

Dispositions additionnels et transitoires

Article 258bis

MpTµ. - Nous sommes arrivés à la disposition additionnelle, à l'article 258bis.

La parole est à M. Elias.

M. Eliasµ. - Messieurs, il me semble fort difficile d'introduire cette disposition,, avec sa forme actuelle et ses effets actuels, dans le code de commerce. En effet, une société de ce genre n'a plus rien de commercial ; elle n'emprunte au code de commerce qu'une forme qui ne produit pas d'effets : ni les relations des membres de cette société entre eux, ni les relations de cette société avec des tiers, ne seront considérées comme actes de commerce, ni régies par les dispositions de ce code.

Dès lors, il serait plus logique de formuler un projet spécial et d'insérer cette disposition à la suite de la loi de 1810 sur les mines. Il y a plus, cette introduction, dans le code de commerce, d'une disposition qui règle la forme d'une société civile produira, quoi qu'on en dise, certains effets qui donneront à cette société des apparences assez étranges.

Ainsi, l'acte de naissance de cette société, l'acte constitutif devra être déposé au greffe du tribunal de commerce, les principaux actes de son existence, ses comptes et bilans devront, chaque année, être déposés au même greffe.

Quoi qu'on fasse pour la soustraire à la juridiction des juges consulaires, elle y sera soumise, malgré tout, en certains points.

En effet, la Chambre, sur un amendement présenté par moi et modifié par la commission, a adopté une disposition en vertu de laquelle la minorité des actionnaires a le droit de demander au tribunal de commerce la nomination de commissaires ayant pour mission de vérifier les comptes.

Voilà donc que, dans une société dont tous les actes sont soumis à la juridiction civile, que le premier acte d'hostilité qui s'élèvera entre les membres et le conseil d'administration sera soumis au tribunal de commerce.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Non ! au tribunal civil.

M. Eliasµ. - Alors il faudrait le dire. La disposition adoptée, dit le contraire, et je ne sais en vertu de quelle disposition civile on pourrait s'adresser au tribunal civil. On ne peut s'adresser qu'au tribunal de commerce. Cela est de la dernière évidence.

Je vous signale cette disposition, parce que je l'aperçois immédiatement. Mais il en est certainement d'autres dans le code de commerce qui produiront la même anomalie.

Quoi que vous fassiez donc, cette société civile à forme commerciale sera toujours une société hybride et, pour me servir d'une expression très heureuse de l'honorable M. Jacobs, ressemblera toujours à un pommier qui produirait des poires.

Aussi, lorsque l'amendement de l'honorable M. Jacobs revint à la Chambre, le gouvernement, par l'organe de l'honorable M. Bara, déclara-t-il qu'il ne pouvait persister à en demander le maintien ; qu'il pouvait résulter de son adoption des inconvénients graves. Il déclara qu'il examinerait la question, et qu'il déposerait, s'il y avait lieu, un projet de loi spécial. L'honorable M. Cornesse, représentant à la Chambre le projet de loi sur les sociétés anonymes, se garda bien d'y introduire la disposition proposée par la commission à la suite de l'amendement de l'honorable M, Jacobs.

Il me semble donc impossible de voter immédiatement cette disposition sans aucune explication sur les inconvénients qui peuvent en résulter.

Il n'est pas difficile de signaler quelques-uns de ces inconvénients. Le principal caractère de ces sociétés à forme commerciale sera de faire reposer la propriété de la mine non pas sur la tête des actionnaires, sur la tête des propriétaires eux-mêmes, mais sur la tête de la société, de constituer un être moral.

Les porteurs d'actions de ces sociétés étant complètement inconnus, ne pourront jamais être poursuivis pour des faits, des dommages causés par la société dans l'exploitation de la mine. Le tiers lésé n'aura d'action que contre la société. (Interruption.)

Je suppose qu'un dommage ait été causé à la surface par l'exploitation d'une mine ; eh bien, je demande si le propriétaire de la surface aurait action non seulement sur la mine, mais encore sur les propriétés personnelles des actionnaires ? Il est évident que non.

L'avoir social ou plutôt la mise seule sera la garantie tant des propriétaires de la surface que des propriétaires des mines voisines.

Ce grand changement dans les droits des tiers sera opéré par la seule transformation de la société civile en société anonyme. Ils pouvaient poursuivre même sur les biens personnels des associés civils la réparation (page 78) du dommage causé ; ils ne pourront plus obtenir payement de ces dommages que sur la réalisation de l'avoir social, qui se composera principalement du prix de la mine.

Les droits des tiers sont diminués malgré eux. C'est là une conséquence grave et qui me porte à voter contre la disposition proposée.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Messieurs, l'honorable M. Elias est dans l'erreur lorsqu'il croit que les sociétés de mines n'ont pas le caractère de personnes civiles ; l'article 529 du code civil, en disposant que les intérêts ou actions dans les compagnies d'industrie sont meubles, et la loi de 1810, en appliquant spécialement ce principe aux sociétés minières, établissent invinciblement que les associés ne sont pas propriétaires de la mine, dont, par suite, la propriété doit reposer sur le chef de la personnalité juridique de la société.

L'honorable membre paraît croire que les sociétés de mines, aujourd'hui, existent toutes sous la forme de sociétés civiles ; il y a quantité de sociétés qui existent sous la forme de sociétés anonymes. Je pourrais en dresser une longue liste, mais il suffit de jeter les yeux sur une cote de la bourse pour être de suite renseigné à cet égard. (Interruption.)

Nous sommes donc en présence d'une situation de fait très caractérisée. (Interruption.)

Je sais bien que, pour accorder l'anonymat dans certains cas, on a eu recours à un prétexte ; on a fait insérer dans les statuts de certaines sociétés charbonnières qu'elles feraient le commerce de charbons.

Le moyen est regrettable. Il est évident que l'addition d'un objet commercial accessoire à l'objet principal de la société ne peut déterminer son caractère.

Mais à côté du prétexte dont il ne faut pas se payer, il y a une raison sérieuse et décisive. Ce qui empêche les sociétés civiles ordinaires de se constituer sous la forme anonyme, c'est qu'elles ne constituent pas de personnalités juridiques ; elles sont essentiellement des agrégations de personnes tenues directement à l'égard des tiers. Or, les dispositions du code civil et de la loi sur les mines que nous venons de discuter érigent les sociétés charbonnières en êtres moraux ; elles y reconnaissent des actions ; il est dès lors incontestable que ces êtres moraux peuvent recevoir les formes que la loi admet et notamment l'anonymat, la forme naturelle des sociétés par actions, que supposent ces dispositions.

Pourquoi introduisons-nous dans le projet de loi le texte qui nous occupe en ce moment ? Par la raison bien simple que le gouvernement peut aujourd'hui accorder l'anonymat aux sociétés charbonnières. (Interruption.)

Il me paraît que lorsque nous sommes en présence de nombreuses sociétés charbonnières qui existent depuis trente ou quarante ans sous la forme anonyme, sans qu'aucune contradiction se soit élevée, il me paraît qu'il y a là une situation qui m'autorise à dire qu'aujourd'hui les sociétés charbonnières peuvent recevoir cette forme.

C'est cet état de choses qui est la cause de l'article. Si vous ne l'admettez pas, comme l'article premier de la loi limite l'application de l'anonymat aux sociétés commerciales, vous décidez que dorénavant on ne pourra plus créer de sociétés anonymes charbonnières que par une loi spéciale.

L'honorable M. Elias a soulevé diverses objections.

La première, c'est que, d'après le projet, c'est le tribunal de commerce qui doit statuer sur les demandes de vérification des livres faites par les actionnaires.

Cette objection n'a pas échappé à votre commission, mais il lui a paru incontestable que lorsque cette demande serait faite contre des sociétés civiles, ce ne serait pas le tribunal de commerce qui aurait compétence, mais ce serait le tribunal civil.

Toutes les questions de sociétés commerciales sont jugées par les tribunaux de commerce, et ce n'est qu'à cause de cela que les tribunaux de commerce interviennent dans la procédure préparatoire créée par l'amendement de M. Elias ; mais si l'on admet que, dans les procédures civiles, le tribunal civil statue sur le fond, il faut admettre qu'il statue également sur les procédures préparatoires.

La seconde objection que soulève M. Elias consiste à dire qu'il y a danger à ce que les propriétaires de mines ne soient pas personnellement responsables des dommages causés aux constructions de la surface.

Pourquoi les droits des propriétaires de la surface devraient-ils être garantis par la responsabilité personnelle des membres des sociétés de mines plus que toutes autres personnes ?

Les sociétés anonymes commerciales peuvent causer des dommages de toute espèce ; les sociétés pour les transports maritimes ont des vaisseaux qui peuvent aborder des navires en mer et, par des fautes graves, leur causer le plus grave préjudice, les perdre corps et biens ; est-ce que vont voulez pour cela interdire à ces sociétés l'anonymat ?

Les sociétés anonymes de chemins de fer peuvent être déclarées responsables d'accident occasionnant la mort d'un grand nombre de personnes ; allez-vous les forcer à se constituer en nom collectif ?

Si vous voulez à ce point protéger les bâtiments de la surface contre les dommages que pourrait leur occasionner l'exploitation des mines, si vous voulez pour ces cas introduire la responsabilité personnelle, introduisez-la également pour les actionnaires de sociétés qui peuvent occasionner la mort, car la vie des gens doit être plus sacrée que les propriétés. (Interruption de M. Elias.)

Vous êtes logique avec votre principe, mais votre logique vous conduit à des conséquences inadmissibles. (Interruption.)

Vous admettez qu'on supprime l'anonymat pour les sociétés de chemin de fer, parce qu'elles peuvent, par de coupables négligences, causer de graves désastres ; mais que de sociétés peuvent produire de ces accidents ! Les machines à vapeur n'ont-elles pas parfois amené de terribles malheurs ? Supprimez donc l'anonymat pour toutes les sociétés.

Il y a dans les observations de M. Elias des déductions qui font honneur à la logique de son esprit, mais qui condamnent son point de départ et rendent sa thèse inadmissible.

Il n'y a aucune espèce de raison de refuser l'anonymat aux sociétés charbonnières ; elles ont le caractère de spéculation qui les a fait assimiler par le code civil aux sociétés commerciales ; la nature de leurs opérations réclame les mêmes facilités que celles qu'on accorde aux sociétés commerciales.

Si elles sont encore des sociétés civiles, c'est que notre législation ne voit dans l'exploitation d'une mine que la défructuation d'un immeuble. Ce point de vue était sans doute plus juste autrefois qu'aujourd'hui. Il faut reconnaître que cette exploitation est une affaire industrielle bien plus qu'un acte de jouissance immobilière ; si l'on prend la véritable nature des choses, on y trouve une opération se rapprochant bien plus des actes de l'industrie commerciale que de la culture d'un champ.

Je pense donc que la Chambre, si elle ne veut pas laisser une lacune regrettable dans la législation, fera bien d'admettre l'amendement de M. le ministre de la justice.

M. Baraµ. - Je viens combattre l'amendement qui est présenté, non pas pour refuser aux sociétés charbonnières la faculté de prendre la forma anonyme, mais pour faire ranger ces sociétés parmi les sociétés commerciales dans le cas où elles prendraient la forme anonyme. Il est impossible, en effet, d'admettre la dérogation que l'on veut faire consacrer, dérogation qui, j'en suis convaincu, est sans exemple dans aucune législation. Peut-on permettre à une société d'avoir la vie commerciale, l'apparence, la forme, les organes, les modes de gestion commerciaux et lui faire produire des actes civils ? Peut-on lui donner tous les avantages de la société commerciale et enlever aux tiers toutes les garanties qui existent pour eux dans la forme commerciale ?

Je comprends parfaitement que, se plaçant au point de vue de la loi da 1810, l'honorable membre dise qu'il veut conserver aux exploitations minières et charbonnières la forme civile. Je ne m'y oppose pas, quoique le contraire puisse très raisonnablement être décidé, si l'on révisait la loi de 1810.

Mais si ces sociétés veulent avoir des formes plus faciles, si elles veulent avoir la forme commerciale et l'irresponsabilité au delà de la mise, je demande à l'honorable rapporteur de la commission pourquoi dire qu'il conserve le caractère civil ? Pourquoi ne pas proclamer ce qui est logique, nécessaire, qu'un être commercial doit poser des actes commerciaux ? C'est comme si vous disiez dans le code de commerce : Sont commerçants ceux qui font des actes civils.

Si l'on veut que la question soit réservée, soit ; je ne m'y oppose pas ; mais je voterai formellement contre la proposition présentée par le gouvernement.

Notez, messieurs, que j'admets que la société charbonnière puisse prendre la forme anonyme ou n'importe quelle autre forme. Mais je dis que si vous prenez la forme commerciale, vous devez être traité et agir comme commerçant.

Et, messieurs, voyez quels inconvénients peuvent résulter de votre amendement.

Si, aujourd'hui, nous accordons pour les mines et les carrières le droit de constituer des sociétés commerciales et de faire des actes civils, tout à l'heure l'honorable M. Demeur se lèvera et viendra demander pour les ouvriers le droit de faire des sociétés coopératives commerciales, bien qu'elles ne doivent faire aucun acte commercial.

(page 79) C'est bien, en effet, ce que dit son amendement.

H demande le droit d'emprunter la forme commerciale pour des sociétés qui cependant ne feront pas d'actes commerciaux ; « quand bien même, dit-il, ces actes ne seraient pus des actes de commerce. »

Eh bien, si l'on accorde ce droit pour les mines, je demande comment on pourra le refuser tout à l'heure pour les actes dont s'occupe l'honorable M. Demeur ?

Mais, il y a plus, messieurs, des propriétaires viendront demain demander le droit de former des sociétés anonymes avec l'intention de ne faire que des actes civils, pour des unions de propriétaires, par exemple, pour l'achat et la revente de propriétés,

Vous aurez ainsi transporté la forme anonyme dans toutes les sociétés civiles.

Eh bien, messieurs, je dis que cela n'est pas possible. M. le ministre de la justice s'élevait avec beaucoup de raison contre la mainmorte.

Or, nous allons y tomber de la manière la plus complète.

Actuellement, il est vrai, on ne parle encore que de sociétés charbonnières ; mais ce qu'on nous demande, en réalité, c'est de leur donner la personnification civile, qu'elles ne peuvent pas avoir. (Interruption.) Quoi que vous disiez, je voudrais bien voir l'arrêt de justice décidant qu'une société dans laquelle ne se trouvent pas les éléments que vous avez indiqués tout à l'heure et qui, donnant à ces sociétés un caractère commercial, ait déclaré valables les statuts de ces sociétés en ce qu'ils contrarient les règles fondamentales de la société civile.

Je comprends qu'on n'ait pas querellé de pareilles sociétés ; mais c'est autre chose. Selon moi, les sociétés charbonnières ont le plus grand intérêt à prendre la forme et à revêtir le caractère commercial. Je suis convaincu que, si on les consultait, la plupart d'entre elles exprimeraient le désir d'avoir ce caractère.

Si vous adoptez l'amendement du gouvernement, aucun charbonnage ne pourra être déclaré en faillite, alors que toutes les sociétés commerciales, quelque importantes qu'elles soient, peuvent l'être. Si une société fait un contrat pour un marché de charbons, on ne pourra pas user contre elle de la preuve testimoniale au delà de 150 francs. Est-ce juste ?

Vous voyez donc bien que vous enlevez aux particuliers et aux tiers les garanties nécessaires, le contre-poids de la personnalité juridique que vous accordez aux sociétés commerciales.

Je demande donc en vertu de quel principe on va consacrer dans nos lois un privilège spécial en faveur des sociétés minières et charbonnières ?

Je propose donc un amendement que je dépose sur le bureau.

MpTµ. - Voici l'amendement de l'honorable M. Bara : « Ajouter à l'article premier :

« Seront encore réputées telles les sociétés dont l'objet est l'exploitation des mines, minières et carrières, si elles sont établies dans les formes et avec les formes prescrites pour les sociétés commerciales. »

M. Saincteletteµ. - Messieurs, je viens demander à la Chambre l'adoption de la disposition nouvelle présentée par M. le ministre de la justice. Elle ne fait que consacrer la législation et la jurisprudence existantes en cette matière. Je supplie la Chambre de repousser l'amendement de l'honorable M. Bara. Il jetterait la perturbation la plus complète dans le régime légal de la propriété et de l'exploitation des mines.

Ce n'est pas seulement depuis la mise en vigueur du code civil et de son article 529 que les sociétés pour l'exploitation de mines sont réputées constituées des individualités civiles.

Il a été jugé plusieurs fois, par la cour de Bruxelles, que sous l'ancien régime déjà et avant même la loi de 1791, les sociétés charbonnières sont, d'après les usages de notre pays, des individualités juridiques parfaitement indépendantes des associés. Ce n'est pas seulement le code civil, c'est aussi la loi de 1810 qui a confirmé cet état de choses. La loi de 1810 dans son article 8 dit : que « sont meubles les actions dans les sociétés et les intérêts dans les entreprises de mines. »

La personnalité juridique des sociétés de mines n'est donc pas un seul instant contestable et elle date de beaucoup plus haut que le code.

Pourquoi les sociétés de mines sont-elles, sous l'empire de la loi de 1810, déclarées être des sociétés civiles ? Parce qu'elles ont pour objet des actes essentiellement civils. De même que le code de commerce a déclaré que restaient civils tous les actes dans lesquels il n'y avait pas spéculation caractérisée, achat pour revendre, de même l'exploitation des mines a été déclarée par la loi de 1810 un acte purement civil.

Le fait de l'exploitant qui vend le charbon extrait par lui-même dans sa propre concession a été assimilé au fait du vigneron qui vend le vin fabriqué avec le raisin récolté dans sa vigne, du betteravier qui vend le sucre fabriqué avec ses propres betteraves, du distillateur qui fabrique des esprits avec des betteraves récoltées dans son champ.

Ce n'est pas une dérogation à la loi, c'est l'application d'un principe général. Là où il n'y a pas eu d'achat, là où l'on ne fait qu'écouler ses propres produits, il n'y a pas de commerce. S'il y avait commerce de la part de l'exploitant qui vend ses propres produits, je demanderais où l'on pourrait s'arrêter, s'il n'y aurait pas acte de commerce de la part du médecin ou de l'avocat qui donne ses soins moyennant honoraires ?

Il est évident, qu'à moins de bouleverser tout le système de notre législation, il faut continuer à considérer comme des actes purement civils les actes de ceux qui vendent les produits de leur fonds.

Or, c'est un principe élémentaire en droit, c'est une maxime d'école, qu'il faut juger du caractère des actes par leur nature et non pas par la forme qu'on leur a donnée. Il faut juger de la nature d'un agissement entre parties non point par ce qu'elles ont dit, mais par ce qu'elles ont fait. II faut faire prévaloir l'esprit et la nature même de la convention sur les termes dont les parties ont pu se servir. Par conséquent, lorsqu'on veut rechercher quel est le caractère d'une société, il faut s'en tenir à la nature même de l'acte posé par elle. Voulez-vous savoir si une société est civile ou commerciale ? Il faut rechercher si l'objet de cette société est civil ou commercial.

Si elle a pour but de poser des actes de commerce, incontestablement elle est commerciale ; mais si elle a pour objet de poser l'un ou l'autre des actes que la loi refuse de qualifier d'actes de commerce, elle restera société civile ; et la jurisprudence a toujours décidé que, malgré la forme adoptée par une société, comme malgré la qualification que les parties eut donnée à leur acte, malgré les termes dont les parties ont pu se servir, il faut juger du caractère de la société par la nature de son objet et non point par l'habit dont on a pu la revêtir. Cela est élémentaire en droit, Quand on recherche, par exemple, le vrai caractère d'une convention simulée, à quoi prend-on garde ? A ce qu'ont fait les parties et non à ce qu'elles ont dit.

Vous ne pouvez donc, à péril de méconnaître les principes les plus élémentaires du droit, admettre qu'une société, civile par son objet, qu'une société qui ne peut poser que des actes civils, devienne commerciale par cela seul qu'il lui a plu de se revêtir d'une forme commerciale.

Mon honorable ami me dit : Un être commercial ne peut poser que des actes commerciaux. Je répondrai à cela que des êtres civils ne peuvent poser que des actes civils.

Vous jugez de la nature d'une société par sa forme, j'en juge par son but. Je vois ce qu'elle fait plutôt que ce qu'elle dit.

Mais, dit-on, la société anonyme est une forme exceptionnelle. Cet argument est revenu constamment dans la discussion. Mon honorable ami, cet excellent juriste, a été appelé à s'occuper des sociétés du point de vue répressif et il a gardé l'habitude de ne les considérer que sous cet aspect.

L'honorable M. Pirmez et moi, nous pensons qu'il faut se placer à un point de vue plus général.

Lorsque le législateur examine une question, il doit l'envisager sous toutes ses faces ; s'il s'agit de sociétés, il ne doit pas perdre de vue que, dans nos sociétés modernes, l'anonymat, c'est-à-dire l'association des capitaux, doit être considéré comme un élément important de l'organisation du travail.

De deux choses l'une, ou bien la société anonyme est reconnue constituer, depuis d es siècles, un instrument extrêmement utile de la production et alors il faut non seulement la conserver, mais encore en faciliter la fonction ; ou bien la société anonyme n'a pas sur la production cette influence que nous lui croyons, et alors, mieux vaudrait la supprimer franchement.

Mais ce que je ne comprends pas, c'est que l'on veuille entraver l'action de la société anonyme sous le prétexte qu'elle constitue un privilège, alors qu'on est bien forcé d'en reconnaître l'heureuse influence sur le développement économique de la société.

On nous objecte l'amendement de l'honorable M. Demeur et on dit : Si vous reconnaissez que les mines peuvent prendre la forme de la société anonyme sans cesser de garder le caractère de sociétés civiles, on viendra demander, pour les ouvriers, la faculté de constituer des sociétés coopératives, sans cependant faire des actes de commerce.

Voilà l'objection. Voici la réponse.

C'est que les sociétés de mines ont par elles-mêmes, et indépendamment de leur forme, la personnalité juridique ; tandis que les sociétés coopératives doivent avoir un but commercial pour pouvoir prétendre à la personnalité juridique. L'être moral existe, en matière de (page 80) mines, que la société soit civile ou commerciale. L'être moral n'existe, en matière de coopération, que si la société est commerciale.

Enfin, nous dit-on, pourquoi ne pas prendre le caractère commercial ?

Mais puisque la pratique s'en est introduite dans le pays depuis un grand nombre d'années, puisque des sociétés de mines se sont constituées sous la forme de l'anonymat, puisque, chaque année, on voit disparaître d'anciennes sociétés minières pour être remplacées par des sociétés anonymes, il faut bien y avoir égard, il faut bien reconnaître que là s'accuse une vraie nécessité industrielle, que là se sont produites et se produisent des exigences naturelles.

Et, en effet, les sociétés civiles, dans le silence des contrats, ne se gouvernent que par l'unanimité des actionnaires ; or, dans la plupart des anciennes sociétés, les contrats remontent à des dates très éloignées. Ils sont très incomplets, très insuffisants. Il est on ne peut pas plus difficile de satisfaire, à l'aide de ce moyen imparfait, aux exigences continuelles des affaires. Voilà pourquoi les mines cherchent à se placer sous le régime de l'anonymat. C'est parce que l'anonymat seul leur donne le gouvernement régulier dont elles ont besoin qu'elles le recherchent.

Et il est hors de doute que la substitution de la forme anonyme à la forme civile a produit les effets les plus salutaires sur le développement de l'industrie houillère.

Et s'il n'y a aucun inconvénient à maintenir l'état actuel de la législation, il y a, au contraire, de grands inconvénients à placer sous le régime des lois commerciales des sociétés qui sont civiles.

Ainsi, si vous faites des sociétés minières, des sociétés de commerce, elles deviendront justiciables des tribunaux de commerce.

Or, à mon avis, des juges qui changent d'année en année ne peuvent pas arriver à connaître les questions si délicates qui s'élèvent entre les sociétés minières.

La loi de 1810 a si bien reconnu toute la difficulté de ces questions spéciales que, dans toutes les contestations qui concernent les sociétés des mines et s'il y a rapport d'experts, ce qui arrive le plus souvent, le ministère public doit être entendu.

On a donc voulu donner aux exploitants une garantie que les justiciables ordinaires n'ont pas et cela à raison des difficultés spéciales que présente la solution des questions de mines,

Cette garantie, non seulement on veut l'enlever, mais on veut substituer à une juridiction habituée à connaître de ces questions et qui a toute une longue jurisprudence, une juridiction nouvelle et tout cela pour satisfaire aux prescriptions de la logique.

Je respecte beaucoup la logique, c'est un très puissant instrument, mais ce n'est qu'un instrument et quand on part d'un point de départ faux, étranger aux nécessités de la situation qu'il s'agit de régler, vous avez beau avoir toute la logique du monde, et précisément parce que vous êtes logique, vous arrivez à des résultats absurdes. Que voulez-vous faire ici ? Placer les sociétés de mines sous le régime de la loi commerciale uniquement parce qu'elles ont pris la forme anonyme. Vous devez avouer cependant que. depuis 30 ans, ces sociétés existent en Belgique sous cette forme et sans inconvénients aucuns. C'est donc par pur amour de la logique ! Or, je crois avoir démontré que votre point de départ est faux, que c'est la nature et non la forme d'un agissement qui en détermine le caractère civil ou commerçai.

M. Baraµ. - Cet article est trop important pour que nous le laissions introduire dans la législation sans protestation.

On n'a jamais vu dans aucune législation une société empruntant la forme commerciale, prenant tous les dehors de la société commerciale et ayant néanmoins le caractère civil. Voilà une première objection à laquelle mon honorable ami n'a pas répondu. Il vous dit : Aux termes de la loi sur les mines, les sociétés minières posent des actes civils, et dès lors il est impossible de prétendre que les actes des sociétés charbonnières sont des actes commerciaux. Je répondrai que c'est là une erreur complète, que la loi de 1810, d'après les meilleurs esprits, s'est complètement trompée sur le caractère des opérations charbonnières telles surtout qu'elles existent aujourd'hui, et vous allez le comprendre.

Le code de commerce a défini ce qu'était l'acte de commerce : c'est acheter pour revendre. Prenons une mine. Quand on a acheté une mine, ira-t-on la revendre par morceaux ? Non, il faut une grande exploitation, il faut des achats de toute espèce, de bois, etc., il faut des opérations de banque importantes, à tel point qu'on peut dire qu'on achète pour revendre et que c'est là une opération industrielle et commerciale dans toute la force du terme. N'est-ce pas vrai ?

La vérité est qu'on a voulu faire un privilège pour les exploitations de mines, mais si on descendait au fond de l'examen des opérations des sociétés charbonnières, on reconnaîtrait qu’elles font des actes de commerce absolument comme tous les autres industriels.

Mon honorable ami dit : Il faut juger les actes par leur nature. Nous avons le droit de les définir ici.

Eh bien, il est évident que dans cet acte mixte consistant dans le fait de vendre une partie du fonds à l'aide d'un grand travail, à l'aide d'emploi de machines et d'un grand nombre d'ouvriers, avec un mouvement considérable de fonds, on doit voir des opérations commerciales que nous aurions parfaitement le droit de définir telles.

Toute la discussion soulevée par l'honorable M. Sainctelette est donc parfaitement inutile.

Je ne vous demande pas de revenir sur la loi de 1810 ; je dis : Laissons aux sociétés charbonnières le droit de rester des sociétés civiles. Quand les sociétés anonymes empruntent la forme commerciale, elles sont des sociétés commerciales.

Je vous demande de ne pas créer un nouveau monstre dans notre code, un être qui a une forme déterminée et qui fait le contraire de ce qu'il est, un commerçant qui pose des actes civils. Cela n'est ni sérieux, ni possible.

L'honorable M. Sainctelette dit : Peut-on dire que les médecins posent des actes de commerce et les avocats aussi ? Je lui réponds : Est-ce que les médecins pourraient se constituer en société anonyme pour soigner les malades ? (Interruption.)

C'est ce que vous voulez.

Vous voulez que les charbonniers puissent se constituer en société anonyme pour ne faire que des actes civils, Donc l'exemple des médecins et des avocats est mal cité.

Les médecins pas plus que les avocats ne pourraient emprunter la forme commerciale pour exercer leur profession.

Notez l'importance de la disposition qui est introduite aujourd'hui. Si les sociétés charbonnières sont des sociétés civiles, si les actes que posent ces sociétés sont des actes civils, qu'en résulte-t-il ?

C'est qu'elles tombent sous le coup de l'article 1863 du code civil qui dit que : « Les associés sont tenus envers le créancier avec lequel ils ont contracté pour une somme et parts égales. »

Or, vous allez supprimer cette garantie ; les associés ne seront plus responsables. Ils ne le seront que pour leurs mises.

Donc, messieurs, l'article 1863 du code civil ne leur serait pas applicable ; on ne pourrait plus s'attaquer à un des associés pour obtenir au delà de sa mise.

Je demande si vous allez consacrer un pareil privilège ? On a l'air de dire qu'il ne s'agit ici que d'une affaire de forme. C'est une erreur, messieurs. Il s'agit ici du fond et exclusivement du fond ; et ce qu'on représente comme une simple consécration du passé n'est, en définitive, qu'un privilège accordé aux sociétés de charbonnage.

Je dois aussi, messieurs, combattre les principes que vient d'invoquer l'honorable membre. Il nous dit que les sociétés anonymes ont produit d'excellents résultats et qu'il faut les étendre plutôt que les restreindre. Quant à moi, je ne veux pas les étendre au delà des limites commerciales.

Si vous voulez aller plus loin, vous en viendrez à rétablir la mainmorte pour toutes les affaires.

Désormais, on pourra procéder par personnalités juridiques pour toute espèce d'affaires.

Il n'est pas une opération de la vie civile que vous ne puissiez couvrir à l'aide de la personnification civile.

Si vous allez consacrer aujourd'hui un pareil principe, même en le restreignant aux mines, que les sociétés civiles peuvent avoir la forme anonyme, demain on viendra vous demander la même chose pour des unions de propriétaires ; et déjà on a demandé, pour des sociétés constituées pour la vente d'immeubles, la personnification civile. On viendra vous la demander pour les opérations dont a parlé l'honorable M, Demeur, pour des associations formées pour l'achat de telles ou telles choses. Vous arriverez ainsi à n'avoir plus que des corporations, des sociétés ; il n'y aura plus que des affaires anonymes. Voilà où conduit votre système.

Il faut à tout prix, selon moi, que la société anonyme se restreigne aux opérations exclusivement commerciales. Si vous vous écartez de ce grand principe, je dis que vous mettez la société en péril ; vous créez dans l'ordre civil une quantité de corporations qui ne peuvent être que nuisibles à l'activité sociale.

Je demande à la Chambre d'être logique. Que tout au moins elle réserve la question pour en faire l'objet d'un nouvel examen quand on jugera utile de réviser la loi sur les mines.

(page 81) Mais qu'on ne vienne pas jeter au milieu de tout un système une disposition semblable à celle que nous discutons, car non seulement cela présente les difficultés que l'honorable M. Elias a signalées, mais je dis que cela présentera des difficultés à chaque article.

Dire d'une manière générale : Vous prendrez la forme commerciale et vous conserverez le caractère civil, c'est faire naître des conflits chaque fois qu'il s'agira d'une disposition du code de commerce.

On ne peut ainsi, par un simple article, résoudre toutes les difficultés résultant de l'anomalie d'autoriser des sociétés ayant la forme commerciale et le caractère civil. On n'a pas entrevu toutes les conséquences d'un pareil système.

Mon honorable, ami, M. Sainctelette, a dit : M. Bara n'a examiné les sociétés qu'au point de vue répressif.

J'ai beaucoup étudié les sociétés au point de vue civil et je ne m'en suis nullement occupé au point de vue répressif. J'ai laissé ce soin à la justice qui a pris l'initiative de la poursuite sur la plainte des victimes.

L'opinion que j'ai émise ne m'est du reste pas personnelle. Elle est celle de personnes très compétentes en droit commercial.

La question a été soumise à l'honorable M. Namur, auteur d'un remarquable traité de Droit commercial. Ce jurisconsulte éminent m'a dit qu'il fallait écarter cette disposition, parce qu'elle est contraire à tout notre système juridique. Voilà certes une autorité qui n'a rien de commun avec le droit pénal.

MjdLµ. - Messieurs, aucune attaque n'aura manqué, de la part de l'honorable membre, à la disposition que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre.

L'honorable membre revendiquait, dans une précédente séance, pour la Chambre, le droit de créer des monstres juridiques.

Il nous reproche, aujourd'hui, d'en créer un qui lui inspire une telle horreur qu'il a employé, pour le perdre sans merci, le mot des grandes circonstances : « la mainmorte ! »

Il peut n'être pas indifférent de faire remarquer que ce n'est pas moi qui ai imaginé cette disposition. Elle a été, après une longue discussion, approuvée par l'unanimité de la commission en 1870. Elle a successivement obtenu l'appui de MM. Dupont, Pirmez et Sainctelette et la commission actuelle continue à vous en recommander l'adoption.

L'honorable membre nous reproche, messieurs, de créer un monstre, quelque chose qui n'existe dans aucune législation du monde. Pourquoi ? Parce que nous admettons qu'une société pourra prendre la forme commerciale et ne poser cependant que des actes civils.

On a déjà répondu à l'honorable membre et je lui réponds encore qu'il est infiniment plus monstrueux en droit d'imposer à une société, dont l'objet est purement civil, le caractère de société commerciale. Or, il n'est pas contestable que l'exploitation des mines est, dans l'état de notre législation qui a, depuis 1810, subi l'épreuve de l'expérience, un acte purement civil.

Il n'est pas possible aujourd'hui de bouleverser une situation que la force même des choses a fait naître, et qui existe à bon droit, sans effacer l'article premier du projet de loi que vous venez de voter.

D'après cet article premier, en effet, ce qui imprime à la société son caractère, c'est la nature des actes en vue desquels elle a été constituée. Une société qui ne pose que des actes civils ne peut être qu'une société civile.

Or, l'honorable membre veut qu'une société évidemment civile, d'après la définition même que vous en avez donnée, devienne société commerciale et soit traitée comme telle par cela seul qu'il lui sera permis de s'approprier comme elle le fait depuis soixante ans, la forme d'une société commerciale.

A cette première et réelle monstruosité l'honorable membre en ajoute une autre.

Il permet à des particuliers de bouleverser à leur gré l'ordre des juridictions.

L'honorable M. Thonissen, dans la discussion de 1870, a fort justement relevé cette conséquence de la proposition qui vous est encore soumise aujourd'hui par l'honorable membre. Les lois de compétence sont d'ordre public. La compétence des tribunaux est déterminée d'après la nature des actions qui leur sont soumises.

Or, dans le système de l'honorable membre, il suffira à une société civile d'avoir emprunté la forme commerciale pour que l'ordre des juridictions soit interverti et pour que les tribunaux consulaires soient appelés à statuer sur des différends qui, de leur nature, sont purement civils. Les inconséquences donc, les illogismes qu'on nous reproche, sont tout entiers dans le système de l'honorable membre.

Mais venons au fond, Est-il vrai de dire que nous accordions aux sociétés minières un privilège exorbitant ? Veuillez remarquer que pour le point essentiel, la création d'un être juridique, d'une individualité distincte des membres qui composent la société, nous n'innovons point. Ce n'est pas seulement la loi de 1810 qui confère aux sociétés minières l'individualité juridique. Elles la possédaient déjà, en vertu de la disposition de l'article 529 du code civil, au même titre que toutes les sociétés de commerce, de finance ou d'industrie.

L'être moral existe donc. N'est-il pas nécessaire de donner à cet être une organisation régulière ? L'intérêt même des tiers ne le commande-t-il pas ? Cette nécessité est évidente à mes yeux. Elle s'impose par la nature de ces sociétés, par leur objet. La propriété des mines est, de sa nature, indivisible. La durée de leur exploitation est indéfinie.

D'autre part, la pratique a démontré que les forces individuelles sont impuissantes à donner à cette source de richesses l'extension, le développement qu'elle comporte. C'est à l'association que l'industrie minière doit ses plus notables progrès ; c'est l'association qui la soutient et la vivifie. Il est donc nécessaire de donner aux associations qui ont l'exploitation des mines pour objet ce caractère d'unité que ne comportent point les sociétés civiles, qui laissent chaque associé copropriétaire du fonds. Il est nécessaire encore d'assurer à leur existence, sinon la perpétuité, du moins cette existence à durée indéfinie comme leur objet.

Les principes du droit donc, non moins que l'expérience et la nature même des sociétés de mines, commandent l'adoption de la proposition du gouvernement.

Si la Chambre n'a pas, dès 1870, voté la disposition qui nous occupe, c'est uniquement par cette considération, que l'honorable M. Van Humbeeck a relevée et dont il a pris acte, que le gouvernement, sans méconnaître la nécessité de régler par une mesure législative la situation des sociétés minières, avait promis d'en faire l'objet immédiat de ses études et de proposer, dans un bref délai, une loi spéciale. (Interruption de M. Bara.)

Vous avez votre système. Vous souteniez alors le système que vous défendez aujourd'hui ; vous n'avez pas varié, je le reconnais, mais il n'en est pas moins vrai que la Chambre tout entière, avec l'unanimité de la commission, était disposée à adopter la proposition malgré votre résistance et que le seul motif qui fait empêché de le faire, c'est votre promesse d'examiner de nouveau la question et de faire de la solution à laquelle vous vous seriez arrêtés, l'objet d'une loi spéciale.

Mais la nécessité de résoudre la question était évidente pour tout le monde.

Or, cette promesse de présenter une loi nouvelle, je ne crois pas pouvoir la faire, en ce qui me concerne.

Il n'existe donc plus aucun motif pour retarder la solution de la question.

On objecte que la place de cet article n'est pas dans le code de commerce. Mais qu'importe ? Sa place est du moins dans une loi particulière qui a pour objet la matière des sociétés. Je ne sais quand nous aurons terminé la discussion du code de commerce. J'ose à peine espérer que ce sera dans le cours de cette session. Je me propose de soumettre la loi des sociétés à la sanction royale aussitôt que le Sénat l'aura adoptée.

De graves intérêts ne permettent pas que dans l'intervalle qui séparera la promulgation de cette loi de la promulgation, peut-être éloignée, du code de commerce, il soit interdit aux sociétés minières de se constituer sous la forme de sociétés commerciales, anonymes ou autres.

Or, c'est là le résultat auquel on arriverait. Le gouvernement, en effet, ne pourrait plus accorder l'anonymat aux sociétés minières, et il leur serait impossible de prendre elles-mêmes une forme commerciale quelconque.

M. Eliasµ. - Messieurs, avant de répondre quelques mots seulement aux honorables MM. Pirmez et Sainctelette, je ferai remarquer à l'honorable ministre de la justice que, dans la première discussion qui a eu lieu dans cette Chambre, des opinions bien divergentes se sont fait jour sur la manière d'interpréter la disposition proposée et sur ce qu'il convenait de faire.

L'honorable M. Thonissen, notamment, en demandant la suppression de la disposition, disait que, du moment que ces sociétés étaient commerciales, tous leurs actes devraient être déférés aux tribunaux de commerce. Il montrait toutes les difficultés qui naîtraient de la distinction à établir entre ces actes. Il terminait en demandant la suppression de la disposition.

L'honorable M. Pirmez la maintenait en disant que les rapports entre associés, les difficultés naissant du contrat seraient considérées comme commerciales, que les autres actes resteraient civils.

L'honorable M. Jacobs fit remarquer l'anomalie de ce système et (page 82) formula un amendement qui, renvoyé à la commission, est devenu l'article qui vous est soumis en ce moment. L'honorable M. Bara soutint, comme en ce moment, que les sociétés charbonnières, par cela seul qu'elles adoptaient la forme anonyme, donnaient à toutes leurs opérations le caractère commercial.

Il est ainsi resté conséquent avec lui-même. Il demanda le renvoi du tout à la commission.

C'est à la suite de cette discussion que, dans le rapport de la commission, l'honorable M. Dupont présenta la rédaction qui a été présentée à la Chambre par le gouvernement.

Cela dit, revenons aux honorables MM. Sainctelette et Pirmez.

D'après eux il semblerait que lorsqu'une une société civile, même ayant une personnalité juridique, se transforme en société anonyme, il ne s'opère aucun changement ; que les droits des parties et des tiers restent entiers. C'est là une erreur grave ; il s'opère dans les droits des associés, mais surtout dans les droits des tiers vis-à-vis de la société, un changement très important. La personne des actionnaires devient inconnue, il est impossible de les atteindre et les tiers n'ont plus d'action que sur les biens de la société elle-même, sur la mine. (Interruption.)

On me dit que ce n'est pas là un danger, que la propriété de la mine répond amplement de tous les dommages causés à la surface ; je déclare que c'est là une illusion et je pourrais le prouver par des exemples.

Les dommages se produiront surtout lorsque la mine sera épuisée ; que devient, dans ces conditions, l'action des parties lésées ?

En effet, messieurs, c'est à ce moment que l'on pousse l'exploitation jusqu'en ses plus extrêmes limites et que l'on craint moins de se compromettre.

Alors aussi on peut ne tenir qu'un moindre compte du danger que l'on peut faire courir aux mines voisines, et ici je ferai remarquer ce que ne font pas mes honorables contradicteurs, qu'il faut grandement tenir compte des sommes énormes qui peuvent être dues de ce chef.

Remarquez, en outre, que, lorsque la vente de la mine a lieu par suite de la déconfiture ou de la liquidation d'une société, cette mine e.t tout à fait dépréciée et par suite de la situation que j'indique et par suite même des poursuites des propriétaires.

Il en résulte que la vente ne produira que bien rarement la somme nécessaire au payement des indemnités.

J'ajouterai que, si d'autres sociétés se trouvaient dans le même cas, je voudrais qu'elles ne pussent adopter l'anonymat.

En présence de ces faits, il ne m'est pas possible de voter la disposition qui nous est soumise.

- La discussion est close.

MpTµ. - Je mets d'abord aux voix l'amendement de M. Bara.

M. Baraµ. - Je demande l'appel nominal.

- Il est procédé au vote par appel nominal.

69 membres prennent part au vote.

18 répondent oui.

50 répondent non.

1 (M. Elias) s'abstient.

Ont répondu oui :

MM. Rogier, Santkin, Tack, Van Cromphaut, Allard, Bara, Bergé, Boucquéau, Dansaert, De Fré, de Rossius, Funck, Hagemans, Jamar, Le Hardy de Beaulieu, Mineur, Mouton et Orts.

Ont répondu non :

MM. Sainctelette, Simonis, Thonissen, T'Serstevens, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Overloop, Van Wambeke, Verwilghen, A. Visart, Wasseige, Wouters, Beeckman, Berten, Biebuyck, Boulenger, Coomans, Cornesse, Cruyt, d'Andrimont, de Baets, de Borchgrave, de Briey, de Clercq, de Haerne, Delaet, De Lantsheere, Delcour, De Lehaye, Demeur, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Smet, d'Hane-Steenhuyse, Drubbel, Dumortier, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Magherman, Meeus, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Pety de Thozée, Pirmez et Thibaut.

En conséquence, l'amendement de M. Bara n'est pas adopté.

MpTµ. - J'invite M. Elias à faire connaître les motifs de son abstention.

M. Eliasµ.- Je n'ai pas voté l'amendement de l'honorable M. Bara parce qu'il n'apporte pas un remède complet, efficace aux inconvénients que présente la disposition du gouvernement. Je n'ai pas voté contre, parce qu'il contient une amélioration à cette disposition.

MpTµ. - Je mets maintenant aux vois l'article 258bis tel qu'il est proposé par le gouvernement.

- L'article 258bis est adopté.

Article 238ter

MpTµ. - Vient à présent l'amendement de M. Demeur, portant le n°238ter et ainsi conçu :

« Pourront se constituer dans les formes et sous les conditions prescrites par la section V du présent titre, les sociétés qui ont pour objet, soit d'acheter des matières premières, des denrées ou des instruments de travail destinés à l'usage ou à la consommation de leurs membres, soit de procurer à ceux-ci les avantages du crédit, alors même que leurs opérations ne seraient pas réputées commerciales aux termes des articles 2 et 3 du présent code. »

M. Demeurµ. - L'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer a pour but d'écarter tout doute sur la portée du projet de loi, en ce qui concerne les sociétés coopératives.

Dans une séance précédente, à l'occasion de la discussion de l'article 116 du projet, j'ai émis l'opinion que si les sociétés coopératives ne peuvent s'établir dans les formes prévues qu'autant qu'elles aient pour objet des opérations commerciales, elles ne pourront profiter de la loi nouvelle, parce que, de leur nature, les sociétés coopératives n'ont pas pour objet des actes de commerce.

Je prends comme exemple une société coopérative ayant pour objet l'achat de denrées à repartir en nature entre ses membres. Ici, pas de doute : personne ne prétendra qu'une pareille société a un caractère commercial. Dès lors, si vous décidez qu'une société coopérative ne peut s'établir sous la forme prévue que pour autant qu'elle fasse des actes de commerce, il est certain que vous enlevez à ces sociétés le bénéfice des dispositions que vous avez votées.

Voici un autre genre de société coopérative : c'est celle qui achète des marchandises pour la consommation de ses membres et qui les leur revend au prix de revient, c'est-à-dire au prix coûtant, augmenté seulement des frais généraux, en d'autres termes sans aucun bénéfice.

Cette société, de l'avis de tout le monde, a pour objet des actes civils. Dès lors, elle ne pourra pas s'établir dans la forme et sous les conditions prévues par le projet de loi.

J'ai exprimé l'opinion que même la société coopérative qui achète des marchandises, des objets de consommation pour les revendre à ses membres à un prix supérieur au prix de revient, qui réalise un bénéfice sur ses opérations, ne fait cependant pas un acte de commerce.

J'ai trouvé pour contradicteurs sur cette question l'honorable ministre de la justice et les honorables MM. Bara, Pirmez et Cornesse. D'un autre côté, j'ai cité à l'appui de mon opinion un arrêt formel de la cour de Bourges, le seul rendu en France sur la question, à ma connaissance du moins. Je pourrais citer, dans le même sens, deux arrêts en langue allemande que je n'ai pas lus, mais qui sont rappelés dans une brochure que j'ai sous la main, l'un de la cour de Cologne, en date du 19 novembre 1865, l'autre de la cour suprême de Dresde, du 16 juin de la même année, et qui sont mentionnés dans le commentaire de George Lohr, sur le code de commerce allemand (article 85, note 2).

Ces arrêts décident que les sociétés coopératives qui vendent à leurs membres, même en prélevant un bénéfice sur la vente, restent sociétés civiles.

Le principe a été si bien admis en Prusse qu'une décision du directeur général des contributions, de 1861, a formellement admis que les banques populaires ne sont pas sujettes à la patente.

Quoi qu'il en soit, une chose est certaine, c'est qu'on ne peut assimiler les sociétés commerciales, qui achètent des marchandises pour les revendre à des tiers, aux sociétés qui revendent à leurs associés les marchandises qu'elles achètent pour eux.

Ceux qui achètent pour vendre à des tiers achètent au meilleur marché possible pour revendre le plus cher possible. Le but qu'ils poursuivent, c'est la différence entre le prix de revient et le prix de vente.

Ils trafiquent, ils spéculent, ifs sont commerçants ; leur société est une société commerciale.

Mais en est-il de même lorsque des pères de famille, des artisans, des personnes quelconques se disent : Nous allons acheter des marchandises en gros, par l'intermédiaire d'un gérant, qui les revendra à chacun de nous en détail ?

La société revend à chacun de ses membres plus cher qu'elle n'achète : pourquoi ?

Est-ce que le but de la société consiste dans le bénéfice à retirer de la revente ? Est-ce en vue de ce bénéfice que la société se constitue ?

Non, messieurs, car ce bénéfice est destiné à être restitué aux membres eux-mêmes. Le but que poursuivent les associés, quel est-il donc ? Ce (page 83) n'est pas le gain à résulter de la revente. C'est, pour chacun d'eux, l'achat, aux meilleures conditions possibles, des choses dont ils ont besoin. Bien loin de se livrer au commerce, les associés se substituent en quelque sorte au commerce: ils font, par eux-mêmes et pour eux-mêmes, l'opération que fait le détaillant ; ils suppriment l'intermédiaire ; ils suppriment l'opération commerciale, c'est-à-dire la poursuite du gain à résulter de la revente.

Et que l'on ne dise pas que la société, considérée comme personne distincte de la personne des associés, poursuit, elle, un but mercantile. Non ! Le but de la société n'est pas différent de celui de chacun de ses membres. Si elle leur vend à un prix supérieur au prix de revient, ce n'est pas pour bénéficier sur eux ; c'est ou bien pour éviter des mécomptes dans ses calculs du prix de revient, ou bien pour augmenter le capital servant aux opérations auxquelles elle se livre, capital qui est d'ailleurs destiné à revenir aux associés eux-mêmes.

Je ne veux pas insister sur cette question : c'est une question de droit qui, assurément, mérite examen ; elle peut soulever des difficultés, puisque j'ai trouvé des contradicteurs sérieux dans cette Chambre. Je demande qu'on lève le doute, je demande que la loi dise expressément que les sociétés du genre de celles dont je parle et qui ne vendent qu'à leurs membres, pourront profiter du bénéfice du projet de loi. Si vous ne décidez pas cela par une disposition formelle, ne croyez pas que les tribunaux s'inspireront, pour décider la question, de l'opinion de tel ou tel membre de cette Chambre ou même de l'opinion de l'honorable ministre de la justice.

Les tribunaux sont guidés avant tout par la loi ; il est arrivé fréquemment que les tribunaux ne se sont pas arrêtés à des déclarations formelles de la section centrale et du ministre de la justice, alors que ces déclarations ne leur paraissaient pas conformes à la loi ; les tribunaux ont dit : Il y a la loi, c'est la loi que nous appliquons. Eh bien, je le répète, si vous êtes d'avis que la société qui opère ainsi que je viens de le dire fait acte de commerce, je demande qu'on écarte, par une disposition formelle de la loi, tout doute sur la question.

Je reconnais que ma proposition va plus loin que ce que je viens d'indiquer ; ma proposition tend à ceci : c'est que la société qui a pour objet d'acheter des matières premières, des denrées ou des instruments de travail destinés à l'usage ou à la consommation de ses membres, soit de procurer à ceux-ci les avantages du crédit, puisse profiter des formes, des dispositions prescrites pour la société coopérative, alors même que ces opérations ne seraient pas réputées commerciales aux termes des articles 2 et 3 du présent code.

Pourquoi pareille disposition ne serait-elle pas acceptée ? L'honorable M. Bara vous en a donné une raison. Il vous a dit : Mais ces sociétés ont pour objet des actes civils ; dès lors vous ne pouvez leur donner une forme commerciale. Mais est-ce que la forme que vous établissez pour les sociétés coopératives est une forme commerciale ?,

- Un membre. - Oui.

M. Demeurµ. - Depuis quand ? Depuis que cela se trouve dans le projet.

Vous avez mis dans le projet que c'était une forme de société commerciale.

Je demande précisément que le projet ne limite pas cette forme aux seules sociétés qui font des actes de commerce. La question n'est donc pas résolue : elle est à résoudre.

M. Baraµ. - La responsabilité des membres, voilà ce qui établit la distinction.

M. Demeurµ. - D'après l'honorable M. Bara, ce que l'on ne peut pas admettre, c'est l'irresponsabilité des membres au delà de leur mise, du moment qu'il ne s'agit pas d'une opération commerciale proprement dite. Voilà bien votre thèse.

En d'autres termes, on ne peut pas établir une société sous la forme anonyme ou coopérative, du moment qu'il ne s'agit pas d'une opération faite dans un but mercantile, d'une opération qualifiée commerciale par la loi. Voilà bien votre opinion.

Eh bien, cette opinion, vous l'avez vous-même repoussée, lorsque vous avez présenté à la Chambre un projet de loi dans les termes suivants :

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à homologuer, conformément à l'article 37 du code de commerce, les statuts des sociétés ayant pour objet la construction, l'achat, la vente ou la location d'habitations destinées aux classes ouvrières.

« L'homologation aura pour effet de conférer aux sociétés tous les caractères de la société anonyme suivant la législation en vigueur. »

C'est la loi du 20 juin 1867 qui s'exprime ainsi.

Dans l'état actuel de notre législation, l'achat d'immeubles pour les revendre, les spéculations sur les immeubles sont des opérations civiles. On peut critiquer la loi en ce point ; on peut soutenir que les spéculations sur les immeubles ne diffèrent pas des spéculations sur les valeurs mobilières, au point de vue de la commercialité de l'acte. Je suis même d'avis que cette distinction n'a pas de fondement ; mais enfin, d'après la législation actuelle, les opérations sur les immeubles n'ont pas le caractère commercial.

Eh bien, en 1867, le ministère dont l'honorable M. Bara faisait partie a proposé une loi qui autorise la constitution en la forme anonyme, en une forme commerciale de sociétés dont le but est purement civil.

La proposition que je fais a de l'analogie avec celle que faisait en 1867 l'honorable M. Bara.

A la vérité, il ne s'agit plus d'autoriser le gouvernement à homologuer les statuts de sociétés anonymes ayant pour objet des opérations civiles, puisque désormais nous écartons l'intervention du gouvernement dans la création des sociétés anonymes.

Il s'agit d'appliquer à certaines opérations de nature civile la forme de société que nous adoptons sous le nom de sociétés coopératives.

Contrairement à ce qu'on a prétendu, nous avons de nombreuses sociétés anonymes, qui sont des sociétés purement civiles. Ainsi, faire des prêts hypothécaires, voilà bien une opération civile ; eh bien, nous avons des sociétés qui ont pour objet les prêts hypothécaires et qui sont constituées avec l'anonymat ; nous avons la Caisse des propriétaires ; nous avons la Caisse hypothécaire ; nous avons eu la Banque foncière.

Voilà bien des sociétés ayant pour objet des actes civils et dont les actionnaires ne sont tenus que dans la limite de leurs mises.

Je citerai encore la société des Galeries Saint-Hubert, Elle a construit des maisons qu'elle loue… (Interruption.)

C'est autre chose ! me dit-on : mais n'est-il pas vrai que cette société a été établie dans le but de construire des maisons et de les louer ? C'est là un acte civil.

Quelle différence y a-t-il entre la société des Galeries Saint-Hubert qui a construit des maisons pour les louer et un propriétaire qui construit une maison pour la louer ? Il n'y en a aucune ; seulement au lieu d'une personne physique, vous avez une personne morale qui construit un bâtiment et qui le loue.

Eh bien, puisque vous admettez que la construction et la location des maisons sont des actes civils, comment a-t-on pu accorder l'anonymat à la société des Galeries Saint-Hubert, s'il est vrai que les sociétés commerciales seules peuvent s'établir sous cette forme ?

Cette prétendue règle a été constamment méconnue depuis qu'on a institué des sociétés anonymes. N'avez-vous pas la Société du Jardin Zoologique qui, elle aussi, existe comme société anonyme ? Allez-vous prétendre qu'elle a pour objet des actes de commerce ?

M. Ortsµ. - Elle achète et elle vend.

M. Demeurµ. - Oui ; pour donner prétexte à l'anonymat, on est allé jusqu'à introduire dans les statuts une disposition portant que la société a pour but l'achat d'animaux pour les revendre ! Mais c'est là une plaisanterie. L'achat d'animaux n'est qu'un but accessoire qui ne dénature pas le caractère essentiellement civil de la société.

Il y a bon nombre de sociétés de ce genre ; la société du Vauxhall à Mons, par exemple. Il y en a à peu près dans toutes les villes de la Belgique.

M. Baraµ. - Et les couvents ?

M. Demeurµ. - Je suis aussi ennemi de la mainmorte que M. Bara ; nous sommes d'accord au fond sur le but et il n'y a pas lieu de parler ici de couvents ou de mainmorte. Ce que veut M. Bara, c'est favoriser autant que possible l'établissement des sociétés coopératives. Ce but nous est commun ; dès lors il n'est pas nécessaire de nous quereller pour arriver à une solution ; je ne tiens pas à la rédaction de l'amendement que j'ai proposé. Je vous convie à en chercher une autre. Tout ce que je vous demande, c'est de chercher à réaliser notre but commun, de faire ce qui est possible pour l'atteindre, de décider à cette fin ce qui a été admis en Allemagne, en Angleterre et en France.

On m'a dit : La loi en discussion est aussi libérale, aussi large que celle de ces pays. Et, cependant d'après les explications qu'on a données, il n'en serait pas ainsi.

En Angleterre, les sociétés qui poursuivent les objets que j'indique dans mon amendement peuvent se faire enregistrer ; elles peuvent agir en justice et, cependant, elles ont si peu le caractère commercial qu'elles sont rangées parmi les sociétés amicales.

La loi allemande se produit dans les mêmes conditions ; elle donne une espèce de définition des sociétés coopératives.

(page 84) Voici ce qu'elle porte :

« § 1er. Des sociétés formées d'un nombre indéterminé de membres, et qui ont pour but de pourvoir, par des affaires menées en commun au crédit, à l'industrie ou à la subsistance de leurs membres (associations), notamment :

« 1° Les sociétés d'avance et de crédit ;

« 2° Les sociétés de matière première et de magasinage ;

« 3° Les sociétés pour la fabrication et la vente à frais communs des produits fabriqués (sociétés de production) ;

« 4° Les sociétés pour l'achat en commun et en gros des objets nécessaires à la vie et leur revente en détail aux membres de la société (sociétés de consommation) ;

« 5° Les sociétés pour construire des logements à leurs membres, acquerrait les droits, conférés par la présente loi aux associations enregistrées, sous les conditions ci-après exprimées. »

Ainsi on va même jusqu'à comprendre là les sociétés qui ont pour but de construire des logements à leurs membres.

On y comprend toutes les sociétés qui sont indiquées dans mon amendement.

En Allemagne, ainsi que vous avez pu le voir dans le rapport de M. Waelbroeck sur les sociétés coopératives allemandes, qui a été distribué aux membres de la Chambre, en Allemagne, la plupart des sociétés de consommation ne font pas d'opérations avec les tiers ; elles vendent à leurs membres ; elles sont considérées comme des sociétés civiles par les tribunaux allemands.

Elles peuvent néanmoins s'établir dans les conditions prévues par la loi dont je viens de lire l'article premier. Cette loi ne distingue pas entre le caractère civil et le caractère commercial des sociétés.

La loi française du 24 juillet 1867 porte expressément que toute société peut s'établir dans les conditions qui sont imposées par le projet aux sociétés coopératives. C'est l'article 48 de cette loi qui renferme cette disposition, et l'article 53, parlant des sociétés à capital variable, porte : « La société, quelle que soit sa forme, sera valablement représentée en justice par ses administrateurs, »

Je demande où est le danger ? Je prends le taureau par les cornes. On dit : A l'aide de cette forme de société, on pourra instituer des établissements ayant un tout autre objet, ayant un objet que nous ne voulons pas favoriser, les couvents, les corporations religieuses, etc. Voilà bien l'objection.

Je crois que vous vous trompez. En accordant la personnalité civile à une société, vous ne la lui accordez que pour l'objet en vue duquel elle est autorisée à s'établir et pour les opérations qui sont nécessaires à son objet. Ainsi, lorsque vous dites : « J'autorise la société à s'établir pour acheter des matières premières, des denrées, destinées à l'usage ou à la consommation de ses membres, » si une pareille société fait des opérations en dehors de l'objet prévu, autorisé par la loi, ces opérations seront nulles de plein droit ; elles n'auront aucune valeur légale, puisque la société n'existe pas pour ces opérations. Sa personnalité civile est limitée ; son existence est restreinte aux termes mêmes de la loi d'abord, et des statuts dressés en exécution de la loi ensuite. Si elle faisait des actes autres que ceux que nous autorisons, les tribunaux diraient : Vous n'avez pas été instituée pour cela.

Aussi, messieurs, je ne sais vraiment pas où mes contradicteurs, l'honorable M. Bara notamment, ont pu découvrir les conséquences terribles qu'ils ont aperçues dans mon amendement et je ne m'attendais pas, je l'avoue, à être combattu par de tels arguments.

M. Baraµ. - J'ai combattu l'amendement relatif aux sociétés charbonnières et je dois, pour être logique, combattre aussi l'amendement présenté par l'honorable M. Demeur.

L'honorable membre a commencé par dire que le principe qu'il voulait faire voter aujourd'hui, nous l'avions admis déjà et qu'en 1867, notamment, le gouvernement, dont j'avais l'honneur de faire partie, avait fait voter un projet sur les sociétés d'habitations ouvrières qui consacre ce principe.

Je ferai remarquer à l'honorable membre que cet argument tourne précisément contre lui. Le pouvoir législatif dans cette matière est souverain, il peut créer des êtres moraux comme il le veut.

Or, le législateur a trouvé, en 1867, qu'il y avait lieu, dans un intérêt d'utilité publique, de favoriser d'une manière spéciale les sociétés établies pour la construction d'habitations ouvrières ; et il a, dans ce but, établi un privilège spécial.

Mais précisément la nécessité de cette loi prouve que ce n'était pas le droit commun, mais une exception, exception qui se justifiait par le but charitable et généreux de mettre à la disposition des ouvriers des habitations convenables.

Et, messieurs, ce n'est pas le seul cas où le législateur a dérogé au principe pour créer des êtres moraux, spéciaux, répondant à des besoins d'utilité publique. Ainsi, nous avons une loi sur les secours mutuels accordant à la société la personnalité civile en vue d'un certain but.

De même en 1857, on a compris très bien que les principes connus ne permettaient pas de pareilles applications aux congrégations religieuses.

Pour accorder des droits aux congrégations religieuses et aux ordres charitables et enseignants, on a proposé une loi qui n'a pas été votée. Mais aujourd'hui nous faisons une loi organique des sociétés, une loi générale, et non d'exception.

L'honorable M. Demeur s'imagine que les sociétés coopératives sont uniquement instituées pour les ouvriers.

Il est possible que, dans les législations étrangères qu'il cite, il en soit ainsi.

Nous n'avons pas voulu cela. Nous n'avons pas voulu de distinction entre ouvriers, bourgeois, patrons ou nobles, de telle sorte que la coopération est à la disposition de tout le monde.

C'est ce côté de la question qu'a perdu de vue l'honorable M. Demeur.

Vous ne pouvez admettre dès lors par un texte de loi des abus que l'on a toujours condamnés.

Que veut l'honorable membre ?

Il dit : Nous sommes d'accord au fond. Nous voulons la propagation des sociétés coopératives d'ouvriers. Mais, ici, naît un dissentiment.

L'honorable membre s'appuie sur un arrêt de la cour de Bourges et sur deux arrêts allemands qui disent que les opérations des sociétés coopératives d'alimentation ne sont pas des actes de commerce puisqu'elles achètent des denrées pour les vendre à leurs membres.

Nous avons dit, nous, que ce que font ces sociétés, ce sont des actes de commerce, parce que la société est complètement distincte de l'acheteur, bien que celui-ci doive être associé.

D'un autre côté, nous avons ajouté que si la jurisprudence décidait qu'il ne s'agit pas là d'actes de commerce aux termes du code, ces sociétés ne seraient pas permises.

Nous n'avons pas voulu que la forme coopérative pût servir à des opérations civiles.

Si cela se pouvait, je démontrerais à l'honorable M. Demeur qu'il pourrait servir à des sociétés ayant pour but la mainmorte.

Je suppose que des religieux s'assemblent pour se fournir la nourriture, des livres, etc., pour diriger un établissement d'enseignement.

Eh bien, ils vont prendre la forme coopérative et ils se fourniront tout ce qui leur est indispensable. Il n'y aura pas là d'actes de commerce et, dès lors, vous aurez une personnalité anonyme, une société civile dans un couvent.

C'est là, l'honorable membre le sent lui-même, l'inconvénient de sa disposition. Aussi que dit-il ? Ce sera uniquement pour les ouvriers, Il faudra qu'ils achètent des marchandises pour les vendre l'un à l'autre.

Eh bien, la directrice d'un établissement religieux achètera des marchandises qu'elle débitera à toutes les sœurs et vous aurez la forme coopérative.

La forme coopérative, comme vous l'entendez, peut donc s'appliquer à tous les cas, et ce n'est pas pour favoriser la naissance ou le maintien de quelques sociétés mutuelles d'alimentation pour les ouvriers, sociétés que je crois mauvaises, que nous devons ouvrir la porte à des abus que tout le monde condamne. Je crois donc qu'il y a intérêt à ne pas admettre la disposition qu'on propose.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Messieurs, je crois qu'il est important de n'accorder les formes spéciales admises par le projet pour les sociétés commerciales, qu'aux sociétés qui ont un but de spéculation.

En accordant la personnalité civile aux sociétés de commerce, en leur donnant ces formes douées d'avantages exceptionnels, on a voulu accorder des moyens d'utiliser toutes les forces de l'association pour les opérations actives de la production de la richesse par l'industrie et le commerce.

On ne conçoit pas l'emploi de ces formes sans qu'il y ait un but de spéculation ; et permettez-moi à cet égard de vous faire observer que si nous avons admis tantôt leur extension à des sociétés civiles, ce n'était qu'à cause de la nature spécialement industrielle de ces sociétés, et l'on vient de nous rappeler que la loi de 1867 avait admis une extension semblable pour d'autres sociétés ayant pour but d'élever des habitations ouvrières.

(page 85) Si l'on accordait l'usage des formes des sociétés commerciales aux sociétés dont M. Demeur a parlé, non seulement on n'exigerait plus ce caractère de spéculation, mais on ferait l'extension à des associations qu'on pourrait soutenir n'être pas de véritables sociétés, dans le sens du droit civil.

Une loi du Digeste décide que, lorsque plusieurs personnes s'unissent pour acquérir une chose à meilleur marché, elles ne font pas une société. Or, les associations dont parle l'honorable M. Demeur n'auraient pas d'autre but que d'acheter certaines denrées ou certaines matières de consommation pour les répartir entre leurs membres sans aucun bénéfice.

Il me paraît absolument impossible d'appliquer les dispositions du projet à ces sociétés qui n'ont rien de l'activité industrielle ou commerciale qui est le caractère nécessaire des sociétés pour lesquelles la loi est présentée.

Je crois, du reste, que les dernières observations de l'honorable M. Bara sont absolument décisives.

L'honorable M. Demeur ne s'est certainement pas rendu compte des conséquences de son amendement au point de vue de la constitution des mainmortes. Je suis parfaitement convaincu qu'il n'a pas voulu faire une loi donnant à toutes les corporations religieuses du pays la personnification civile, et il me sera très aisé de démontrer que la proposition, si elle était adoptée, crée réellement ce privilège, et à un degré que jamais aucune loi, ni la fameuse proposition Brabant-Dubus, ni la loi de la charité, ni les principes de l'affaire de Merchtem, ni rien de pareil n'ont jamais réalisé.

Messieurs, analysons les choses.

En quoi consiste une corporation religieuse ? Quels sont ses caractères essentiels ?

Mais elle se distingue précisément par les deux caractères de la société coopérative.

Le premier est l'admission de nouveaux membres remplaçant ou s'adjoignant aux anciens qui disparaissent par retraite, exclusion ou décès ; c'est, en un mot, la personnalité sociale se maintenant malgré le renouvellement des associés.

Le second, c'est l'incessibilité des parts.

Les caractères de la corporation religieuse se confondent ainsi avec ceux de la société coopérative.

Où est le caractère distinctif ? Uniquement dans l'objet différent de cette corporation et de cette société.

L'objet de la corporation n'est pas une spéculation, une affaire industrielle, un commerce.

L'objet de la société coopérative est nécessairement commercial.

Si vous voulez supprimer cette différence objective, vous aurez fait disparaître toute espèce de séparation ; votre loi s'appliquera indifféremment aux corporations et aux sociétés coopératives ; les premières ne seront plus qu'une espèce des secondes.

Or, c'est ce que fait l'amendement de M. Demeur, en permettant des sociétés coopératives n'ayant aucun caractère commercial, et ayant pour objet l'achat en commun d'objets de consommation ou d'instruments de travail.

J'ai, messieurs, formulé, comme expérience, un projet de société religieuse sous le régime de l'amendement de l'honorable M. Demeur et je crois qu'il est impossible de trouver, dans la corporation que je crée, rien qui laisse à désirer.

Si vous le permettez, je donnerai lecture de mon projet :

« Entre les sept dames dont les noms suivent (je n'ai pas mis les noms, on en trouvera facilement quand besoin sera),

« Il a été fait, en autant d'originaux que de parties, le contrat suivant :

« Art. 1er. Les dames susnommées fondent une société coopérative qui aura pour nom : Congrégation de Merchtem. »

(Je mets Merchtem parce que c'est un nom d'actualité.)

« Art. 2. Cette société, dont le siège est à Merchtem, aura une durée de trente ans. Elle pourra dans la vingt-neuvième année être prolongée pour un nouveau terme de trente ans, à partir de la prorogation, par décision de l'assemblée générale. »

Vous voyez que c'est mieux que ce qui existe d'après l'arrêté dont on a parlé dans ces derniers temps :

« Art. 3. L'objet de la société est de procurer aux associées, à bas prix, tous les objets nécessaires à la vie : nourriture, vêtements, literies, etc., et tous instruments et matières premières nécessaires à leur travail, tels que machines à coudre, métiers à dentelles, objets scolaires, étoles.

« Art. 4. Les associées peuvent, à la majorité, admettre de nouvelles associés. Celles-ci, par leur admission, auront les mêmes droits que les associées actuelles.

. « Elles peuvent exclure, à la majorité, celles d'entre elles qui seraient jugées nuisibles à la communauté.

« Elles peuvent se retirer et n'auront droit, dans ce cas, qu'au solde actif représentant leur part.

« Art. 5. travailleront pour la société et recevront pour salaire tout ce qui est nécessaire à la vie sur les choses achetées en commun.

« Le fonds social est formé par la somme de ... apportée en commun ; ce fonds s'accroîtra de tout ce dont les recettes excéderont les dépenses.

« Art. 6. En cas de retraite, exclusion ou décès, l'associée ou ses héritiers ont droit à toucher en argent sa part dans l'association, d'après le dernier bilan.

« Art. 7. La société est gérée par l'une des associées, élue tous les trois ans.

« Art. 8. La société acquerra le local nécessaire pour qu'elle réalise le mieux son objet.

« Fait à..,, le... »

N'est-ce pas complet ?

Constatons bien la différence qui existe entre la société telle que nous la constituons par le projet de loi, et la société telle qu'elle peut exister d'après l'amendement.

Dans la société coopérative du projet de loi, il faut nécessairement que la société achète pour revendre ; qu'il y ait des personnes travaillant pour leur compte, gagnant personnellement et avec leurs ressources personnelles achetant à la société.

Il n'en est pas ainsi dans l'amendement de l'honorable M. Demeur.

Cette opération caractéristique de l'achat et de la revente disparait ; la société n'achète plus pour elle-même, et ne revend plus à des tiers (les associés mêmes quand ils achètent sont des tiers) ; elle se confond avec ses associés, elle achète non plus pour elle, mais pour eux. La société ne fait plus le commerce, ne spécule plus, n'a plus nécessairement d'intérêts distincts de ceux de ses associés, et par extension, on peut arriver à leur faire absorber les individualités de ceux-ci.

Voilà où l'on en arriverait avec l'amendement de l'honorable M. Demeur.

Je suis bien convaincu qu'il n'a pas prévu que telles en seraient les conséquences ; j'ai cru devoir les signaler à la Chambre.

M. Demeurµ. - Je demanderai à l'honorable membre de vouloir bien me passer le projet dont il vient de donner lecture. Je ne veux insister que sur un point. Mon intention n'est pas de relire ce document, bien qu'il vaille certainement une seconde lecture et qu'il m'ait beaucoup intéressé mais je dois dire qu'il ne contient qu'un seul article qui se rattache à mon amendement, tous les autres sont empruntés au projet du gouvernement, que M. Pirmez approuve et dont il vous propose l'adoption. L'article qui se rattache à mon amendement est celui-ci :

« L'objet de la société est de procurer aux associés, à bas prix, tous les objets nécessaires à la vie : nourriture, vêtements, literies, etc., et tous instruments et matières premières nécessaires à leur travail, tels que machines à coudre, métiers à dentelles, objets scolaires, étoffes. »

Voilà l'article qui fait de ce projet de statuts et, par suite, de mon amendement l'abomination de la désolation. Le surplus se concilie avec le projet de loi soumis à la Chambre. Nous sommes d'accord sur ce point. vous en convenez.

Or, je suppose qu'à l'article que je viens de lire, on substitue celui-ci : « L'objet de la société est de fabriquer des dentelles et de les vendre pour le bénéfice acquis être réparti entre les associées. » La société sera commerciale. Dès ce moment, le projet de statuts qui est trouvé épouvantable par M. Pirmez devient parfaitement rationnel, parfaitement légitime à ses yeux. Ainsi la société de l'honorable M. Pirmez aura pour objet la fabrication de dentelles, dans le but de les vendre au profit de ses membres ; tandis que la société que je veux former a pour objet l'acquisition de choses nécessaires soit à l'usage, soit à la consommation de ses membres.

Eh bien, je me demande quelle différence essentielle il y a entre ces deux objets ? On me dit : la vie commune ; mais la vie commune ne résulte pas de la nature des opérations autorisées par mon amendement.

(page 86) Si la société a pour objet la fabrication, le commerce, rien ne s'oppose à ce que les associés habitent ensemble la même maison. Ce sera aussi la vie commune. Si cela n'est pas illégitime dans votre cas, cela ne l'est pas dans le mien.

Mon amendement précise et limite l'objet en vue duquel la société peut être fondée.

On verra aisément si la société a le caractère que je veux autoriser.

Je sais que la forme de société coopérative peut être employée par d'autres que les ouvriers ; que tout le monde peut être membre d'une société coopérative ; que tout le monde a intérêt à acheter ses denrées à bon marché, à les obtenir non falsifiées, etc. En 1868, comme vous avez pu le voir dans le rapport adressé par M. .Waelbroeck à M. Bara, il existait déjà en Allemagne 555 Consumverein, une des espèces de sociétés coopératives que je demande à la loi d'autoriser en Belgique.

Peut-on dire qu'en Allemagne les graves inconvénients que vous signalez se sont produits ?

M. Ortsµ. - Le gouvernement a le droit en Allemagne de supprimer les associations.

M. Demeurµ. - Je ne sache pas qu'il ait supprimé une seule société coopérative.

M. Ortsµ. - Il peut supprimer les couvents et il a supprimé les jésuites.

M. Demeurµ. - Il s'agit de savoir si le projet donne satisfaction aux partisans des sociétés coopératives. Vous ne pouvez pas résoudre cette question affirmativement, si vous admettez comme sociétés coopératives celles-là seulement qui sont commerciales.

Vous ne permettrez pas de donner en Belgique aux sociétés coopératives l'impulsion qu'elles ont reçue en France, en Allemagne et en Angleterre.

Si vous rejetez mon amendement, on ne pourra pas créer en Belgique des associations telles que celles qui existent dans ces pays.

Je constate le fait ; le rapport de M. Waelbroeck mentionne que la plupart des sociétés de consommation allemandes vendent à leurs associés seulement.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Nous admettons ces sociétés.

M. Demeurµ. - Dites-le alors.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Mais nous le disons.

M. Demeurµ. - Je demande que la loi le dise.

Je ne veux pas, messieurs, insister davantage ; mais comme la Chambre n'entend pas, je suppose, finir aujourd'hui la discussion du code de commerce...

M. Jacobsµ. - Il n'y a plus que deux dispositions transitoires à voter.

M. Demeurµ. - Soit, mais ces dispositions ne manquent pas d'importance. Il s'agit notamment de savoir quel sera le sort des sociétés anonymes existantes.

L'heure est assez avancée déjà, et je ne pense pas que la Chambre puisse vider aujourd'hui les questions qui restent encore à résoudre. Comme il peut y avoir du doute sur la portée de la loi... (Interruption.) Je vous demande pardon, il y a des difficultés. Je vous ai apporté ici des décisions judiciaires disant que les sociétés coopératives ont le caractère civil.

Il importe, ce me semble, que ce point soit résolu avant de voter la loi. N'attendez pas que les sociétés se fondent et ne laissez pas aux tribunaux le soin d'interpréter votre loi. Votre devoir est de faire une loi claire, précise et ne laissant aucun doute. Je demande donc le renvoi de mon amendement à la commission.

MjdLµ. - Il est tout à fait inutile de renvoyer à la commission l'amendement de l'honorable membre.

La plupart des questions qu'il soulève aujourd'hui ont été déjà l'objet d'une première discussion ; et il a été démontré, je pense, qu'une société coopérative constituée dans le but de revendre des produits à ses membres, non pas au prix de revient mais avec bénéfice, a le caractère de société commerciale.

Je ne connaissais pas, lors de la première discussion, l'arrêt de Bourges que l'honorable membre a invoqué et qu'il agite encore devant vous comme une menace. Mais, examen fait, il se trouve que cet arrêt ne s'applique pas du tout aux sociétés coopératives, que notre projet autorise parfaitement.

Il s'agissait, en effet, d'une société coopérative où l'on n'avait vendu qu'exceptionnellement à des tiers, et la cour a jugé que l'habitude, qui est essentielle pour donner aux actes le caractère commercial, n'existait pas.

Les sociétés ayant pour objet de revendre à un prix supérieur au prix de revient sont autorisées par le projet actuel, mais nous n'autorisons que celles-là. Nous n'autorisons pas celles qui ont simplement pour objet de répartir des denrées en nature et cette limitation n'entrave en rien le mouvement coopératif. Il n'est pas même nécessaire de constituer une société pour faire des opérations de ce genre.

Il y a un inconvénient sérieux dans un autre sens à admettre l'amendement de l'honorable M. Demeur. Il est parfaitement vrai que sa proposition donne à toutes les mainmortes imaginables le droit de se constituer.

Je sais que ce ne sont jamais les questions de forme qui ont embarrassé les sociétés d'agrément ou religieuses qui ont voulu s'assurer les avantages de la personnification civile.

Je ne pense pas que l'on puisse trouver des actes plus réguliers que ceux de ces sociétés. Lorsqu'on se propose de faire une chose que la loi défend, on prend naturellement plus de précautions pour dissimuler ses intentions.

Mais là où elles ont toutes échoué, c'est dans la dissimulation du but de l'institution.

Sous le régime de la loi française, elles ont tenté de se constituer sous la forme de société coopérative.

Je pourrais citer tel auteur qui a, bien avant l'honorable M. Pirmez, donné la formule d'un acte d'association religieuse en cette forme.

Or, si la proposition du gouvernement n'a pas pour effet d'empêcher toutes les tentatives de cette nature, elle aura du moins le mérite de rendre ces tentatives plus faciles à déjouer.

En exigeant que toute société coopérative ait un but de lucre, un but mercantile, elle leur impose une condition dont on feindra difficilement l'existence et dont l'absence sera toujours aisément démontrée.

- La discussion est close.

Il est procédé au vote sur l'amendement de M. Demeur.

L'amendement n'est pas adopté.

Article 258ter

M. le présidentµ. - Nous passons aux dispositions transitoires.

M. le ministre de la justice propose un article 258ter ainsi conçu :

« Le titre III du livre Ier du code de commerce est abrogé à partir du jour de la mise en vigueur de la présente loi. »

MjdLµ. - Messieurs, un mot suffira pour justifier cet amendement. Il a uniquement pour objet de rétablir dans la loi nouvelle une disposition qui avait déjà été votée antérieurement et qui n'a été supprimée que parce que la loi a été fondue dans un projet de code. Comme je me propose de publier ce titre du code de commerce sous forme de loi spéciale, il convient de mentionner que le titre III du livre Ier du code de commerce est abrogé.

Je sais qu'il est de principe qu'une loi nouvelle réglant une matière régie par une loi antérieure abroge celle-ci ; mais comme les sociétés anciennes actuellement existantes doivent demeurer sous l'empire du code de commerce, il m'a paru qu'il y avait une raison particulière de consacrer par une disposition spéciale l'application du principe général.

M. Demeurµ. - Messieurs, cette disposition a déjà été votée deux fois par la Chambre, en 1870. Par conséquent, son adoption ne peut pas faire l'ombre d'un doute ; mais je désirerais que le gouvernement s'expliquât sur les conséquences de l'abrogation des dispositions actuelles du titre des sociétés commerciales.

Ainsi, j'ai parlé tout à l'heure de la loi de 1867 qui a autorisé le gouvernement à homologuer, conformément à l'article 37 du code de commerce, les statuts des sociétés ayant pour objet la construction, l'achat et la location d'habitations destinées aux classes ouvrières.

Aujourd'hui nous abrogeons l'article 37, qui est compris dans le titre des Sociétés du code de commerce.

La conséquence naturelle, c'est que la loi du 20 juin 1867 disparaît. En est-il ainsi ?

L'honorable M. Pirmez admettra qu'il y a là une question qui mérite d'être résolue, qui doit être résolue. Je pose la question. L'article 37 étant abrogé purement et simplement, il me semble que la conséquence naturelle est l'abrogation de la loi du 20 juin 1867. S'il n'en est pas ainsi, il faut qu'on le dise.

Voici une seconde question.

Quelle sera la position des sociétés existantes ? On l'a dit tout à l'heure, et cela va de soi, le code de commerce étant abrogé, le gouvernement ne pourra plus autoriser la constitution de sociétés sous la forme anonyme, sauf en vertu de lois spéciales. Mais quelle sera la situation du (page 87) gouvernement vis-à-vis des sociétés existantes, et qui demanderont à modifier leurs statuts ?

Est-ce que le gouvernement aura encore le droit d'autoriser des modifications aux statuts des sociétés existantes ? Il me paraît impossible de dire que le gouvernement aura encore ce droit.

Du moment que le gouvernement est privé du droit d'autoriser les sociétés anonymes, du moment que les articles qui l'autorisent à modifier les statuts de ces sociétés sont abrogés, il me semble que, par une conséquence nécessaire, le gouvernement ne pourra plus approuver des modifications aux statuts ; qu'en conséquence les sociétés qui ne seront pas satisfaites de leurs statuts actuels, devront se placer sous le régime de la loi que nous allons voter.

Je désire que le gouvernement s'explique sur ces points qui, dans la pratique, peuvent avoir une grande importance.

M. Pirmez, rapporteurµ. - La première question que l'honorable M. Demeur a posée est celle-ci : La loi de 1867, qui renvoie au code de commerce que nous abrogeons, est-elle, malgré cette abrogation, néanmoins maintenue ?

Je crois l'affirmative certaine.

Le projet actuel, abroge la loi générale, qui est le code de commerce ; mais il n'abroge pas les lois spéciales ; la loi de 1867, qui est spéciale, demeure donc en vigueur.

Si cette loi se réfère à des articles abrogés, ces articles seront maintenus quant a cette loi, rien que par la mention qui en est faite. Car la loi spéciale a la même portée que si elle avait reproduit tous les articles du code auxquels elle renvoie ; en abrogeant les articles du code, nous ne les abrogeons donc pas en tant qu'ils sont rappelés dans la loi spéciale.

Il est évident que s'il y a d'autres lois spéciales, il en sera absolument de même.

La deuxième question posée par l'honorable M. Demeur, c'est de savoir si le gouvernement pourra encore approuver les modifications aux statuts. Il y a un texte formel ; le dernier article de la loi porte :

« Les sociétés existantes pourront apporter des modifications à leurs statuts, aux mêmes conditions (adoption des dispositions de la loi nouvelle), sans que, dans ce cas, l'autorisation du gouvernement soit nécessaire. »

Evidemment, dans les autres cas, l'autorisation du gouvernement sera nécessaire et, par conséquent, le gouvernement pourra autoriser les modifications aux statuts.

M. Demeurµ. - Quant à la première question, je crois que l'observation de l'honorable membre est satisfaisante ; mais, en ce qui concerne la seconde question, la situation qui va être créée est bien singulière. Le principe du projet que nous discutons est celui-ci : il n'y a plus d'intervention du gouvernement dans les sociétés anonymes ; la loi elle-même établit des garanties pour les actionnaires et pour les tiers.

Le gouvernement ne pourra plus autoriser la constitution de nouvelles sociétés anonymes, mais il pourra, nous dit-on, approuver les changements aux statuts des sociétés qui existent actuellement.

Il me semble qu'il y a là quelque chose de contraire à la loi elle-même.

Nous disons aux intéressés dans les sociétés anonymes : L'incompétence du gouvernement en matière de sociétés est démontrée ; désormais c'est à vous-mêmes à surveiller vos intérêts. Voilà l'idée qui domine tout le projet de loi.

Et cependant nous aurons deux législations ; nous aurons le code de commerce, qui est abrogé, qui continuera néanmoins à recevoir son application...

- Un membre. - Il n'est abrogé que pour l'avenir.

M. Demeurµ. - Il s'agit d'actes par lesquels le gouvernement autoriserait dans l'avenir des changements aux statuts en vigueur. Est-ce que le gouvernement pourra étendre l'objet de la société, par exemple, en autorisant la société à construire un chemin de fer et à proroger ainsi la durée de son existence ?

M. Pirmez, rapporteurµ. - Lisez l'article 260 : il prévoit le cas.

M. Demeurµ lit l'article 260 et ajoute. - M. Pirmez a raison en ce qui concerne la durée de la société. L'article 260 en interdit la prorogation.

Il n'en est pas moins vrai que toutes les sociétés existantes et particulièrement les sociétés minières qui sont fondées pour toute la durée de la mine, pourront être maintenues en quelque sorte indéfiniment dans leurs conditions actuelles, et soustraites à l'application de la loi que nous votons.

Nous aurons ainsi deux législations différentes. J'admets que la loi ne doit pas rétroagir. Elle respecte les autorisations accordées par le gouvernement en vertu du code de commerce ; mais puisqu'elle abroge la loi ancienne, le gouvernement ne doit plus pouvoir homologuer, en vertu de cette loi, des modifications aux statuts en vigueur. Ce serait autoriser, pour les sociétés actuelles, l'ajournement indéfini de la loi que vous jugez nécessaire.

Je signale à la Chambre les inconvénients de cette situation, (Interruption.)

On me dit : « Proposez une solution. » Vous ne pouvez pas m'imposer, à moi, membre de la Chambre, le devoir d'apporter une solution, par cela seul que je signale à la Chambre les inconvénients, que me paraît présenter une disposition de la loi. C'est au gouvernement et à la commission à examiner, avant le second vote, s'il y a lieu de nous soumettre un amendement qui obvierait à ces inconvénients.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Messieurs, ce que l'on constate arrive toujours, lorsqu'on change de législation.

Le principe est que la loi nouvelle ne rétroagit pas ; par conséquent, tous les actes faits sous la législation antérieure doivent continuer à produire leurs effets sous la législation nouvelle, et l'on a nécessairement pendant une période plus ou moins longue, des actes régis par des législations différentes.

Quand on a mis en vigueur le code civil, les droits des époux mariés sous l'ancien régime ont continué à être déterminés par la législation coutumière ; il y a peu d'années, il existait encore des mariages régis par nos diverses coutumes. Personne ne s'est jamais imaginé alors d'imposer des changements aux contrats de mariage existants.

Nous nous trouvons, quant aux sociétés commerciales, exactement dans la situation où l'on s'est trouvé quant aux sociétés conjugales. Nous sommes en présence de sociétés existantes, qui ont le droit de continuer à être gouvernées par l'ancienne législation. Nous commettrions une monstruosité si nous allions modifier les droits acquis.

M. Demeurµ. - Nous sommes d'accord là-dessus.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Ainsi l'inconvénient de la dualité de législation que signale M. Demeur ne peut être évité sans léser les droits acquis.

Je passe maintenant à l'intervention du gouvernement quant aux changements qui peuvent être faits aux statuts existants. C'est encore là une conséquence de la non-rétroactivité de la législation nouvelle.

Les sociétés actuelles existent avec un mécanisme déterminé qui doit fonctionner dans les cas de modifications aux statuts ; ce mécanisme se compose de deux rouages : les décisions de l'assemblée générale et l'approbation du gouvernement.

Si nous voulons continuer à faire exister ces sociétés d'après leurs conditions primitives, comme c'est leur droit, nous devons maintenir ce mécanisme tout entier avec son double rouage.

Je ne crois pas que le contrôle du gouvernement soit une chose excellente ; et la preuve, c'est que nous proposons de la supprimer ; mais en le faisant disparaître, nous le remplaçons : nous établissons une série de dispositions contenant des garanties pour les tiers, des garanties pour les actionnaires.

Nous ne pouvons donc, pour les changements aux statuts, écarter le contrôle, du gouvernement, sans que ce qui y est substitué soit accepté.

Dans cette situation, nous offrons aux sociétés une option.

Nous disons aux associés : Choisissez. Vous avez le droit de continuer à exister comme vous existez aujourd'hui avec votre organisation statutaire, dont fait partie l'autorisation du gouvernement. Voulez-vous changer vos statuts d'après ce régime ? Vous le pouvez, mais acceptez-le tout entier et demandez l'approbation du gouvernement. Préférez-vous vous passer de cette autorisation en invoquant la loi nouvelle ? Vous le pouvez encore ; mais à la condition d'accepter pour l'avenir toutes les dispositions de cette loi. Vous aves donc le choix entre le régime ancien et le régime nouveau, mais vous ne pouvez les diviser.

Je pense qu'en pratique le gouvernement devra se montrer très sévère, et refuser les autorisations chaque fois que l'on pourra se conformer à la loi nouvelle sans inconvénients ; mais il est des cas où il serait inique d'exiger qu'une société, pour des changements minimes, remaniât son acte constitutif.

Le gouvernement appréciera les circonstances, et il pourra toujours réclamer, comme condition de son autorisation, certaines mesures utiles, comme la publication des bilans, quand il serait trop rigoureux d'imposer toutes les dispositions de la loi.

En résumé donc, nous avons respecté les droits acquis et nous avons (page 88) permis aux sociétés de continuer à exister comme elles existent aujourd'hui, tout en leur donnant la faculté de se soumettre a la loi nouvelle. Voilà notre système. Je crois qu'il est inattaquable.

- L'article 258ter est adopté.

Article 259

« Art. 259. La prescription de cinq ans, établie par l'article 219, est applicable même aux faits passés sous l'empire de la loi antérieure et pour lesquels il faudrait encore plus de cinq ans pour que la prescription fût accomplie aux termes de cette loi. »

- Adopté.


« Art. 260. Les sociétés anonymes existantes avant la mise en vigueur du présent titre ne pourront être continuées au delà du terme fixé pour leur durée, qu'en supprimant toutes claires des statuts qui y seraient contraires et en se soumettant à toutes ses dispositions.

« Elles pourront apporter des modifications à leurs statuts aux mêmes conditions, sans que, dans ce cas, l'autorisation du gouvernement soit nécessaire. »

MpTµ. - M. le ministre de la justice propose d'ajouter à cet article un paragraphe final ainsi conçue

« Toutefois, les sociétés concessionnaires de chemins de fer ou d'autres travaux d'utilité publique resteront soumises, en ce cas, aux mesures de contrôle ou de surveillance établies par leurs statuts actuels. »

MjdLµ. - Un mot seulement pour développer cet amendement.

L'article 260 accorde aux sociétés anonymes actuellement existantes le droit de se soustraire à toute intervention gouvernementale, pourvu qu'elles se soumettent aux conditions prescrites par la loi nouvelle. Ces dispositions sauvegardent parfaitement l'intérêt des sociétés et des tirs, mais elles ne stipulent rien quant au gouvernement. Il faut donc éviter que des sociétés de chemin de fer ou de travaux publics ne trouvent dans des modifications à leurs statuts le moyen de se soustraire à un contrôle auquel elles sont soumises par des raisons d'intérêt public. C'est pourquoi je propose à l'article 260 la disposition additionnelle dont il vient d'être donné lecture.

- L'article ainsi amendé est mis aux voix et adopté.

MpTµ. - A quel jour la Chambre veut-elle fixer le second vote ?

- Plusieurs membres. - A mardi !

MjdLµ. - Je propose aussi mardi. Beaucoup d'amendements ont été introduits ; la révision de la loi sera assez laborieuse et je prierai même la commission de s'associer à moi pour revoir et coordonner avec les dispositions primitives toutes les dispositions nouvelles qui ont été adoptées.

MpTµ. - Il s'agit maintenant de fixer l'ordre du jour de demain.

Je vous proposerai de mettre en premier lieu les amendements du Sénat aux titres I à IV du code de commerce, sur lesquels il a été fait rapport par M. Van Humbeeck ; et en second lieu le projet relatif aux servitudes militaires.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget des recettes et des dépense pour ordre pour l’exercice 1873

Rapport de la section centrale

M. Notelteirsµ, au nom de la section centrale, dépose un rapport sur le budget des recettes et dépenses pour ordre de 1873.

Projet de loi relatif à la cession à la ville de Bruxelles de terrains de l’ancienne gare du Midi

Rapport de la commission

M. Dansaertµ dépose le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi relatif à la cession à la ville de Bruxelles des terrains de l'ancienne gare du Midi.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

La séance est levée à 5 heures.