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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 26 novembre 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1872-1873)

(Présidence de M. Thibautµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 65

M. Pety de Thozéeµ fait l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Hagemansµ présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre :

« Le sieur Fizenne, membre de la députation permanente du conseil provincial du Brabant, demande l'une des places qui deviendront vacantes à la cour des comptes. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Le sieur Sleipens, chef de division à la cour des comptes, demande la place de greffier à cette cour, si elle devenait vacante par suite de la nomination du titulaire actuel en qualité de conseiller, »

- Même décision.


« Le sieur Léonard Marquet, demeurant à Cheneux, né à Malmedy (Prusse), demande la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Bronislas-Jules-Edmond Lasocki, demeurant à Ixelles lez-Bruxelles, né à Varsovie, demande la naturalisation. »

- Même renvoi.


« Le sieur Wynants, docteur en médecine à Hoogstraeten, né à Noorbeek (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« Des gardes civiques de la légion d'Ixelles-Etterbeek demandent la réorganisation de la garde civique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Gaussoin, ancien employé à l'administration des chemins de fer, demande la révision de sa pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Boussel demande que les administrations de chemins de fer ne puissent se soustraire, même par contrat, à la responsabilité qui leur incombe en vertu de l'article 103 du code de commerce. »

M. Eliasµ. - Je demande le renvoi à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport. L'objet de cette pétition est extrêmement important.

- Adopté.


« Les membres du conseil communal de Clabbeek - Suerbempde demandent que le chemin de fer à construire de Tirlemont à Diest passe par la vallée de la Velpe. »

- Même renvoi.


« Le sieur Pisson réclame l'intervention de la Chambre pour que des poursuites soient dirigées contre deux agents de la police de Courtrai, du chef d'arrestation arbitraire. »

- Même renvoi.


« Les instituteurs du canton de Fosses prient la Chambre d'adopter, le plus tôt possible, le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs. »

M. Lelièvreµ. - J'appuie la requête et je demande qu'elle soit déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant l'objet mentionné en la pétition.

- Adopté.


« Le sieur Reybroeck, instituteur communal à Lingenen, propose des modifications au projet de loi concernant une caisse de prévoyance en faveur des instituteurs primaires.

« Même pétition d'instituteurs à Nederzwalm, Baeleghem, Meerbeke, Peteghem lez-Audenarde, Destelbergen-Beirvelde, Hamme-Sainte-Anne, Schoorisse, Etichove, Machelen, Meirelbeke, Leupeghem, Baesrode, Landscauter, Calcken et Melden. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Les membres d'une société flamande d'Iseghem prie la Chambre de convertir en loi le projet de la section centrale relatif à l'usage de la langue flamande dans les tribunaux des parties flamandes du pays. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'administration de la justice en flamand dans les parties flamandes du pays.


« Les membres de l'administration communale de Limerlé demandent une modification à l'article 3 du projet de loi concernant un crédit pour maisons d'école. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.


« Les membres du conseil communal de Sart-Saint-Eustache demandent la construction par l'Etat d'un chemin de fer direct d'Athus à Charleroi, avec embranchement sur la Sambre, en passant par Fosses. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif au chemin de fer d'Athus vers Charleroi.


« La cour des comptes transmet à la Chambre son cahier d'observations relatif au compte définitif de l'exercice 1869 et à la situation provisoire de l'exercice 1870. »

- Ce document, qui est imprimé, sera distribué aux membres de la Chambre.


« M. de Zerezo de Tejada et M. Gerrits, indisposé, demandent un congé. »

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi approuvant la convention internationale relative aux travaux d’endiguement du Zwyn

Dépôt

MaeALµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi portant approbation de la convention du 24 mai 1872, entre la Belgique et les Pays-Bas, pour les travaux d'endiguement du Zwyn.

Je demanderai à la Chambre s'il n'entrerait pas dans ses convenances, les sections étant très chargées de travail, de renvoyer ce projet à la section centrale du budget des affaires étrangères, vu que le traité doit être ratifié pour le 31 décembre.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé et distribué. La Chambre le renvoie à l'examen de la section centrale du budget des affaires étrangères.

Projets de loi allouant des crédits aux budgets des ministères de l’intérieur, de la guerre et des finances ainsi qu’à ceux de la dette publique et des non-valeurs et remboursements

Dépôt

MfMµ. - J'ai l'honneur de déposer, d'après les ordres du Roi, trois projets de lois allouant des crédits supplémentaires ;

Le premier tend à allouer un crédit supplémentaire de 320,609 francs, à rattacher au budget de l'intérieur pour l'exercice 1872 ;

(page 66) Le second alloue un crédit spécial de 10,000 francs au département de la guerre, pour le payement d'une créance arriérée ;

Le troisième contient des demandes diverses de crédits s'élevant ensemble à 254,362 francs pour le budget de la dette publique, le budget du ministère des finances et le budget des non-valeurs et remboursements, pour l'exercice 1872.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces projets et les renvoie, les deux premiers aux sections centrales chargées d'examiner les budgets qu'ils concernent, le troisième à la section centrale du budget des finances.

Projets de loi portant le budget des voies et moyens ainsi que celui des non-valeurs et remboursements pour l’exercice 1874

Rapports des sections centrales

M. Jacobsµ dépose le rapport de la section centrale du budget des voies et moyens.

M. Meeusµ dépose le rapport de la section centrale du budget des non-valeurs et remboursements.

La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi révisant le code de commerce (livre I. Titre IX : Des Sociétés)

Discussion des articles

Première section. Dispositions générales

La Chambre décide qu'elle s'occupera d'abord des articles qui ont été renvoyés à la commission et sur lesquels la commission a fait rapport.

Article 157bis (nouveau)

MpTµ. - La commission propose de maintenir l'article 156bis et d'introduire un article nouveau ainsi conçu :

« Art. 157bis. Les sociétés agissent par leurs gérants ou administrateurs dont les pouvoirs s'établissent par l'acte constitutif ou par les actes postérieurs faits en exécution de l'acte constitutif. »

- Cet article est adopté.

Section II. Des sociétés en nom collectif

Article 160

La commission propose la suppression de la deuxième partie de l'article 160.

- Cette proposition est adoptée.

Section IV. Des sociétés anonymes

Paragraphe 6. Des inventaires et des bilans

Article 204

« Art. 204. S'il n'y a réserve contraire, et si le bilan ne contient ni omission, ni indication fausse, dissimulant la situation réelle de la société, l'adoption du bilan vaut décharge pour les administrateurs et les commissaires, de la part de la société et des actionnaires qui ne s'y sont pas opposés. Toutefois, cette décharge n'est pas opposable aux actionnaires absents quant aux actes faits en dehors des statuts, s'ils ne sont indiqués dans la convocation. »

M. Demeurµ. - Messieurs, la rédaction nouvelle proposée par la commission ne me paraît pas donner satisfaction à ceux qui ont demandé le renvoi de l'article 204 à la commission.

D'après la rédaction nouvelle, l'assemblée générale des actionnaires pourra approuver des actes accomplis par les administrateurs contrairement aux statuts.

Cette approbation liera même les absents, quant aux actes qui auront été indiqués dans la convocation de l'assemblée.

.Je ne puis admettre cette disposition. La première règle de toutes, en matière de convention, c'est le respect des conventions. Cette règle est assurément applicable aux administrateurs des sociétés comme à toutes les autres personnes.

Les. statuts sont la loi fondamentale de la société. Ils peuvent être modifiés. D'ordinaire, ils prévoient eux-mêmes les formes suivant lesquels les modifications devront être adoptées.

Qu'on puisse modifier les statuts, en suivant ces formes, c'est déjà une dérogation au droit commun, puisque, dans le droit commun, un contrat, un acte de société ne peut pas être modifié sans le consentement unanime des contractants.

La plupart des statuts et le projet de loi admettent que, dans les sociétés anonymes et dans les sociétés en commandite par actions, la convention peut être modifiée pour l'avenir et sous certaines conditions, dans l'intérêt de tous.

On veut aller plus loin, on nous propose une innovation, une chose qui n'existe dans aucune législation ; on nous propose d'autoriser l'assemblée générale à approuver des actes accomplis par le conseil d'administration en violation des statuts et d'écarter, par cette résolution, toute action judiciaire de la part des actionnaires individuellement, si ce n'est de la part de ceux présents à l'assemblée qui se sont opposés. Ainsi, les actionnaires qui n'assisteront pas à l'assemblée, soit parce qu'ils ne réunissent pas le nombre d'actions voulu, soit parce qu'ils sont absents, soit pour une raison quelconque, les incapables, les interdits, les mineurs verront leurs droits atteints par la décision de l'assemblée générale.

Si le conseil d'administration dispose de la majorité des voix, il pourra tout faire, l'assemblée approuvera tous ses actes ; il n'y aura de réclamations admissibles que de la part des membres présents à la séance et qui se seront opposés à la résolution.

Or, vous le savez, bien des personnes ne saisissent pas la portée d'une décision de ce genre et quand les actionnaires présents n'auront pas fait d'opposition, tous les actionnaires seront non recevables à faire des réclamations.

Je ne puis m'incliner devant une pareille disposition. Je le répète, la loi ne peut autoriser la violation des conventions ; les majorités ne peuvent, au préjudice des minorités, approuver cette violation.

M. Pirmez, rapporteurµ. - L'honorable membre me paraît tout à fait en dehors de la réalité des principes et tout à fait en dehors de la véritable question en discussion.

D'abord, faisons un peu disparaître toute l'exagération que l'on met à nous parler des violations des statuts, des pertes subies par les actionnaires, d'omnipotence du conseil d'administration, de l'asservissement des actionnaires ! Il ne s'agit de rien de cela. Que se passe-t-il la plupart du temps ?

L'administration aura fait quelque opération qu'elle aura crue utile à la société et qui souvent le sera ; mais bonne ou mauvaise, l'opération existe, le fait est consommé.

De quoi s'agit-il ? De savoir si la société intentera une action en réparation, en dommages et intérêts. Il ne s'agit pas d'autoriser le renouvellement des faits, mais de statuer sur une action tendante à obtenir une somme d'argent.

La société ou l'assemblée générale doit-elle pouvoir décider qu'on intentera ou qu'on n'intentera pas l'action possible quant au fait de violation des statuts ? Voilà la première question.

Mais nous avons décidé, et l'honorable M. Demeur doit l'admettre avec nous, qu'il faut dans une société anonyme comme dans toute société, un pouvoir qui puisse statuer sur tous les intérêts de la société. Ce pouvoir souverain est nécessairement l'assemblée générale.

Pourquoi l'action en dommages-intérêts qui résulterait d'une violation des statuts serait-elle mise dans une catégorie à part, et pourquoi l'assemblée générale qui peut prendre les résolutions les plus grandes, décréter l'aliénation des biens les plus importants de la société, renoncer aux droits les plus précieux, ne pourrait-elle pas statuer sur l'action possible contre l'administrateur ? Il n'y a pas ici d'intérêt pécuniaire supérieur à celui qui existe dans les autres affaires. L'assemblée générale doit donc pouvoir statuer.

Maintenant quelle doit être l'influence des décisions de l'assemblée générale sur les particuliers ? Voilà la deuxième question. Si nous prenions le droit commun rigoureux, nous devrions décider que quant la société a renoncé à son action, les actionnaires n'ont plus de droit, parce que les administrateurs sont les représentants non pas des actionnaires, mais de la société elle-même ; ils sont les représentants non pas des individus, mais de l'être moral. C'est ce que la cour de cassation de Belgique a décidé en 1864.

Mais le projet ne se tient pas à cette rigueur de principes. Il admet, en y dérogeant, une action individuelle pour les actionnaires qui ne disparaît pas nécessairement avec l'action de la société. Il l'admet pour les actionnaires qui s'opposent à la décision de l'assemblée, il l'admet pour les absents, mais à quelles conditions ?

Voilà tout ce qui nous divise.

L'amendement que nous proposons veut, pour lier les absents, que la convocation mentionne l'acte qui doit être approuvé.

Tous les actionnaires ont donc été convoqués, mais certains d'entre eux s'abstiennent de se rendre à l'assemblée. Cette abstention doit-elle prolonger leurs droits ?

Parce qu'il aura convenu à quelques actionnaires de ne pas se rendre à l'assemblée générale, faut-il tenir indéfiniment les administrateurs sous le coup d'une action judiciaire ?

On dirait vraiment, messieurs, que l'honorable membre considère tous les actionnaires comme des victimes et les administrateurs comme des coupables !

Mais est-ce que l'honorable M. Demeur ignore donc que le chantage est bien souvent pratiqué dans les sociétés ?

Croit-il que jamais un administrateur ne peut honnêtement se tromper sur la portée des statuts ?

Pense-t.-on qu'il est bien de l'intérêt de la société que l'incertitude continue sur le maintien d'un acte ? Est-ce avec des procès que l'on fait des affaires ?

Je dis que ceux qui ne se rendent pas à l'assemblée générale, qui refusent de s'y rendre, alors qu'ils savent sur quoi il va être statué, ne (page) doivent pas pouvoir récuser ce que fait la majorité. Il n'est pas moral favoriser ces abstentions de se prononcer, qui n'ont généralement rien de loyal.

Je crois donc que s'il faut maintenir entier le droit des actionnaires de réclamer contre les actes qui peuvent leur porter préjudice, il faut aussi éviter de donner à des actionnaires malhonnêtes le moyen de se procurer des bénéfices illicites.

M. Baraµ. - Il est bien entendu, je pense, que, par ces mots « s'ils ne sont indiqués dans la convocation », il s'agit d’une indication spéciale, il faut que l'acte illégal soit formellement désigné dans la convocation.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Pour préciser notre pensée, je prendrai l'exemple de l'affaire jugée par la cour de cassation.

Je suppose que l'assemblée générale ait été convoquée pour approuver certains contrats, destinés à changer la ligne de navigation indiquée aux statuts, et à effectuer des transports non plus d'Anvers à New-York, mais de Londres à Calcutta.

Il est évident que, dans ce cas, la convocation indiquera suffisamment le fait sur lequel il s'agit de statuer.

M. Baraµ. - Je proposerai de dire « s'ils ne sont spécialement indiqués dans la convocation. »

M. Demeurµ. - Messieurs, la question qui est soulevée a une importance capitale.

Il s'agit de déroger à un principe qui sauvegarde les intérêts des actionnaires.

Le droit individuel d'attaquer les actes de l'administration, alors que ces actes sont en contradiction avec les statuts, est la première sauvegarde des intérêts de l'actionnaire.

L'administration, dans la plupart des sociétés, dispose de la majorité qui l'a nommée.

Dès lors, dire que l'approbation, par la majorité, d'actes accomplis en violation des statuts éteindra le droit de la minorité qui n'assistera pas à l'assemblée pour une cause quelconque, c'est consacrer l'omnipotence du conseil d'administration.

Remarquez-le, messieurs, désormais chacun pourra, sans intervention du gouvernement, constituer une société anonyme.

Les fondateurs pourront, dans l'acte de société, s'intituler administrateurs et commissaires et, dans ces positions, après avoir accompli des actes contraires aux statuts qu'ils ont eux-mêmes rédigés, ils pourront dire à l'assemblée générale : Donnez-nous une approbation qui écartera, désormais, toutes les réclamations.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Le texte dit le contraire. Vous êtes maître d'aller à l'assemblée.

M. Demeurµ. - Je sais que ceux qui vont à l'assemblée conservent leurs droits, pourvu qu'ils aient protesté. Mais je parle d'abord de ceux qui ne peuvent y aller.

- Une voix. - Ils peuvent se faire représenter.

M. Demeurµ. - Tous les actionnaires n'ont pas le droit d'assister à l'assemblée générale.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Nous avons dit que nous introduirions ce droit.

M. Demeurµ. - Je parle d'après le projet tel qu'il est rédigé et non d'après les dispositions à introduire.

Il m'est bien permis de raisonner d'après votre projet, d'après des dispositions qui déjà sont votées par la Chambre. Mais, soit ; ceux qui ne peuvent pas, dans l'état actuel des choses, assister à l'assemblée générale et qui devront subir les décisions de la majorité, les décisions des administrateurs et de leurs amis, je les laisse de côté. Je prends les absents, je prends les personnes qui sont en voyage ou qui sont malades. Celles-là ne sont pas des personnes qui cherchent quand même des difficultés à l'administration : ce sont des personnes qui, pour des raisons légitimes, ne se trouvent pas à l'assemblée et n'ont pas pu protester.

Eh bien, d'après votre projet, elles perdront tous leurs droits ; tous les actes des administrateurs, alors même qu'ils sont contraires aux statuts, seront légitimes vis-à-vis d'elles. Ceux des actionnaires qui ont assisté à l'assemblée et qui ont protesté conserveront leurs droits ; et moi, qui me suis trouvé dans l'impossibilité d'assister à l'assemblée, je devrai subir la loi de la majorité.

Voilà, messieurs, la décision qu'on veut faire voter par la Chambre. Eh bien, je dis que d'abord cela est contraire à la loi existante. D'après la jurisprudence appliquée constamment par les tribunaux, les actionnaires, qu'ils aient assisté ou qu'ils n'aient pas assisté à l'assemblée générale, conservent le droit de réclamation pour les actes des administrateurs accomplis en violation des statuts, à moins qu'ils n'aient renoncé à ce droit. On ne pourrait pas me citer une décision des tribunaux contraire à ce que je viens de dire et je pourrais citer, s'il en était besoin, dix, vingt décisions où sont appliqués les principes que j'énonce.

Je le répète, c'est la principale sauvegarde des actionnaires, c'est le droit d'agir individuellement contre les administrateurs, c'est la meilleure garantie du respect des statuts par les administrateurs, c'est ce droit, messieurs, que l'on propose de supprimer. Cela est contraire, non seulement à la jurisprudence existante, en l'absence de tout texte spécial de loi, mais, je ne crains pas de le dire, cela est contraire à la moralité ; il est immoral de permettre aux administrateurs, parce qu'ils ont fait décider par la majorité l'approbation d'un acte contraire aux statuts, il est immoral de leur permettre de trouver dans cette décision une fin de non-recevoir contre les réclamations d'actionnaires qui ont été lésés.

Je le répète, lorsque les administrateurs disposeront de la majorité dans l'assemblée générale, ils n'y aura aucune limite à leur droit. Ils convoqueront l'assemblée, ils diront : Nous avons fait telle chose et nous demandons votre approbation.

La majorité approuvera l'acte par lequel l'administration a violé la convention qui était obligatoire pour tous, et ceux qui n'auront pu assister à l'assemblée, pour une raison quelconque, perdront leurs droits ; vous aurez ainsi des abus constants, des abus de la nature la plus grave.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Cela n'est jamais arrivé.

M. Demeurµ. - Cela n'est jamais arrivé, parce que le principe proposé n'existe pas dans la loi actuelle. Lorsque des administrateurs ont fait des actes contraires aux statuts, j'ai vu les actionnaires individuellement les poursuivre devant les tribunaux et jamais je n'ai vu les tribunaux écarter leur action. Rarement les assemblées d'actionnaires refusent de ratifier les actes du conseil d'administration. Et cela se comprend. Les administrateurs, en assemblée générale, disposent le plus souvent de la majorité. Mais ce que j'ai vu maintes fois, ce sont des actionnaires, c'est un seul homme, fort de son droit, porter la question devant les tribunaux. Désormais, si cet homme est absent parce qu'il est malade, ou pour une raison quelconque, votre article lui enlève son droit.

Eh bien, je proteste contre une pareille décision.

M. Saincteletteµ. - Je demande la parole pour ramener le débat à des propositions beaucoup plus modestes et plus simples. Il ne s'agit pas d'entasser hypothèses sur hypothèses, fictions sur fictions, pour arriver à signaler en termes généraux et sans rien préciser, les abus les plus constants et les plus graves. Il faut voir simplement comment, dans la pratique, les choses se passent.

Jamais un conseil d'administration ne viendra demander à une assemblée générale la ratification d'une violation des statuts. Mais il pourra se présenter très souvent qu'il y ait lieu de suppléer au silence des statuts.

Ainsi j'ai été récemment consulté sur la question que voici.

Une société charbonnière constituée pour exploiter un charbonnage, et par conséquent non pas pour le vendre, désire céder à sa voisine une partie de concession qu'elle ne peut plus exploiter elle-même. Elle ne peut faire les travaux nécessaires pour aller rechercher les couches abandonnées qu'au prix d'une dépense hors de proportion avec le profit à réaliser.

L'autre société peut, au contraire, exploiter cette tranche ou partie de couches à très peu de frais. Rien de plus naturel que de faire une cession ; mais les statuts n'autorisent pas une semblable aliénation. Que faire, si ce n'est de demander aux assemblées générales des deux sociétés de ratifier une opération qui est dans leur intérêt à toutes les deux.

Voulez-vous que quelques personnes qui, quoique convoquées, ne se donnent pas la peine d'assister à l'assemblée générale, puissent venir inquiéter ceux qui, après tout, auront rendu un vrai service aux actionnaires des deux sociétés ? Voilà un exemple. Mais c'est en foule que se présentent les circonstances dans lesquelles il y a lieu de recourir à l'assemblée générale pour légitimer des actes, non pas contraires aux statuts, mais en dehors des statuts, ce qui est bien différent.

Dans les observations présentées contre le principe de la disposition, il n'en est qu'une seule qui ait du fondement. Evidemment, on ne peut pas préjuger du consentement des associés qui n'ont pas pu assister aux assemblées générales. Accordez aux associés le droit de se faire représenter dans toutes les assemblées générales par tel fondé de pouvoir que bon leur semblera et la difficulté sera levée.

Cela est conforme au droit commun, cela est juste, cela est équitable et cela est pratique.

Je persiste donc à demander le vole de l'article tel qu'il a été proposé.

(page 68) M. Pirmez, rapporteurµ. - Voici l'article du projet que j'avais présenté au nom de la commission et auquel il vient d'être fait allusion :

« Tous les propriétaires d'actions ont le droit de voter par eux-mêmes ou par procuration. »

J'ai indiqué, dans une précédente séance, que cet article me semblait devoir être rétabli.

Ne pourrait-on pas discuter en tenant compte de ce qui doit être et ne pas isoler un article, sans tenir compte de ce qui doit l'accompagner ?

On paraît toujours supposer que la loi n'est faite que pour donner des facilités aux administrateurs ; mais l'article que nous discutons, s'il établit une limite à l'action, est infiniment plus sévère que la législation actuelle.

Je trouve que les fautes ont exactement la même gravité ; et, pour ma part, j'aime mieux un administrateur qui aura fait un acte utile à la société en sortant des statuts qu'un malhonnête homme qui aura posé un acte nuisible à la société, en ne sortant pas des statuts.

Pour l'honorable M. Demeur, celui qui reste dans les statuts est irréprochable ; celui qui en sort, toujours coupable.

Ce sont là des appréciations tout à fait erronées. Beaucoup de sociétés ont péri par les fautes d'une gestion statutaire ; je n'en connais pas qui aient fait naufrage par suite de violation de statuts.

M. Baraµ. - Messieurs, je n'admets l'article qu'autant qu'il est entendu que les actionnaires ont le droit de se faire représenter à l'assemblée par procuration. Cela est nécessaire, puisque, contrairement à ce qui a été voté, on déroge dans cet article au droit commun. (Interruption.) Il faut s'entendre avant de voter. (Interruption.) Le texte voté ne donne par ce droit de vote. Il y aurait donc un amendement à proposer.

Je crois aussi que dans les cas de convocation pour statuer sur des actes illégaux posés par les administrateurs, il devrait y avoir un délai plus long que d'ordinaire.

Moyennant ces observations, je voterai l'article parce que les observations de M. Demeur tombent.

En effet, chacun doit conserver ses droits, mais les actionnaires sont prévenus qu'ils peuvent être appelés à statuer sur des actes illégaux et ils doivent agir en conséquence, assister à l'assemblée s'ils le peuvent ou se faire représenter s'ils ne peuvent y assister individuellement ; si les actionnaires sont des interdits ou des mineurs, le tuteur a pour devoir de sauvegarder leurs droits.

MpTµ. - Présentez-vous un amendement, M. Bara ?

M. Baraµ. - Non, M. le président, j'en présenterai un au second vote.

M. Lelièvreµ. - Je pense que l'article en discussion ne doit subir aucun changement.

En effet, quand on parle des actionnaires absents, on entend évidemment les actionnaires qui peuvent assister à l’assemblée. On ne peut évidemment considérer comme absents ceux qui n'ont pas le droit d'être présents. Sous ce rapport, la disposition, telle qu'elle est énoncée, me paraît satisfaire à toutes les exigences légitimes.

- L'article, tel qu'il a été amendé, est mis aux voix et adopté.

Article 204bis (nouveau)

MpTµ. - La commission propose de reporter l'amendement

présenté par M. Ellis comme devant former l'article 204bis dans la section des prescriptions, qui prendra le titre : Des actions et des prescriptions.

M. Elias se rallie-t-il à cette proposition ?

M. Eliasµ. - Oui, M. le président.

MpTµ. - Il en sera ainsi.

Paragraphe 7. De certaines indications à faire dans les actes

Article 207

« Art. 207. Toute personne qui interviendra pour une société anonyme dans un acte où la prescription de l'article précédent ne sera pas remplie, pourra, suivant les circonstances, être déclarée personnellement responsable des engagements qui y sont pris par la société ; elle sera, en cas d'exagération du chiffre du capital, tenue, à l'égard des tiers avec qui il a été traité, de compenser la différence entre le capital énoncé et le capital réel. »

MpTµ. - La commission propose de modifier la partie finale de cet article et de dire .'

«... En cas d'exagération du capital, le tiers aura le droit de réclamer de cette personne, à défaut de la société, une somme suffisante pour qu'il soit dans la même situation que si le capital énoncé avait été le capital réel. »

L'article 207 est donc conçu dans les termes suivants :

« Toute personne qui interviendra pour une société anonyme dans un acte où la prescription de l'article précédent ne sera pas remplie, pourra, suivant les circonstances, être déclarée personnellement responsable des engagements qui y sont pris par la société, En cas d'exagération du capital, le tiers aura le droit de réclamer de cette personne, à défaut de la société, une somme suffisante pour qu'il soit dans la même situation que si le capital énoncé avait été le capital réel. »

- L'article, ainsi rédigé, est adopté.

Paragraphe 8. De l'émission des obligations

Article 209

« Art. 209. En cas de liquidation, ces obligations ne seront admises au passif que pour une somme totale égale au capital qu'on obtiendra, en ramenant à leur valeur actuelle, au taux de 5 p. c, les annuités d'intérêts et d'amortissement qui restent à échoir. Chaque obligation sera admise pour une somme égale au quotient de ce capital, divisé par le nombre des obligations non encore éteintes. »

MpTµ. - M. Demeur a proposé à cet article un amendement que la commission n'adopte pas. Je mets aux voix l'amendement de M. Demeur, qui consiste à remplacer les mots : « en cas de liquidation » par ceux-ci : « en cas de faillite. »

- L'amendement de M. Demeur est mis aux voix et n'est pas adopté.

L'article 209, tel qu'il est rédigé, est ensuite adopté.

Section V. Des sociétés coopératives

Paragraphe premier. De la nature et de la constitution des sociétés coopératives

Articles 214 et 215

« Art. 214. La société coopérative est celle qui se compose d'associés engagés solidairement ou divisément sur tout leur patrimoine ou jusqu'à concurrence d'une mise déterminée, ne pouvant céder leur intérêt social, mais dont le nombre ou les mises peuvent varier sous certaines conditions, soit par admission ou retraite d'associés, soit par augmentation ou diminution des engagements ou des valeurs fournies. »

« Art. 215. La société coopérative n'existe pas sous raison sociale ; elle est qualifiée par une dénomination particulière.

« La société doit être composée de sept personnes au moins.

« Elle est administrée par un ou par plusieurs mandataires, associés ou non associés, qui ne sont responsables que du mandat qu'ils ont reçu. »

M. Jottrandµ. - Je crois que dans l'article, tel qu'il est proposé, une phrase a dépassé la pensée du rédacteur. C'est celle-ci : « Ne pouvant céder leur droit social. » Si l’on constate ainsi dans l’article 214 la prohibition pour tout associé d’une société coopérative de céder son capital social, et si, plus loin, comme on nous le propose, on supprime le paragraphe premier de l’article 227, la conséquence de ces deux opérations sera que la part d’intérêt dans la société coopérative sera absolument incessible. Or, je crois qu'on ne veut pas aller aussi loin.

Je comprends qu'on la déclare incessible à des tiers, étrangers à la société ; mais je ne comprends pas qu'on la déclare incessible même à un ou plusieurs coassociés.

Il me paraît qu'il n'y a aucune raison plausible pour une pareille prohibition.

Il peut y avoir un grand intérêt pour un membre d'une société coopérative à pouvoir céder tout ou partie de son avoir dans l'avoir que la société a réalisé, à l'un de ses coassociés ; et je me demande pourquoi l’on voudrait interdire cette opération si simple, si juste, qui est dans le droit commun et qui n'est pas de nature à nuire en quoi que ce soit à l’existence ou au fonctionnement des sociétés coopératives.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Il faut bien nous entendre Nous considérons que toute cession est interdite dans les sociétés coopératives. C’est ce que portait le projet de la commission.

Mais rien n'empêche qu'il y ait retraite d'un ancien associé et admission d'un nouvel associé convenues entre eux. L'associé ne doit pas pouvoir céder son droit sans l'intervention de la société ; mais s'il veut convenir soit avec un associé, soit avec un tiers, qu'il se retirera pour lui céder sa place, la société pourra admettre la retraite de l'un et l'entrée de l'autre, et consacrer la substitution de l'un à l'autre.

C'est ce qui se passe tous les jours dans des sociétés d'agrément. Il n'est pas permis, dans ces sociétés, de céder son droit, mais des membres, se retirent, d'autres entrent, et le personnel se modifie sans qu'il y ait cession.

Je crois qu'il faut maintenir cette disposition comme essentielle surtout dans les sociétés coopératives.

Si l'on peut faire des sociétés coopératives à parts cessibles, vous déchirez tout ce que nous avons laborieusement examiné et voté depuis quelques jours, en matière de sociétés anonymes. Vous aurez, dans ces cas, des sociétés de spéculation.

Je crois donc qu'il faut maintenir strictement le principe qu'il n'y a pas de cession possible. Mais je crois aussi qu'on peut autoriser des cessions sans s'exposer au danger que l'honorable M. Jottrand redoute.

Seulement, au lieu de la cession directe, il faut, ce qui est de l'essence de la société coopérative, l'autorisation pour le retrait et l'admission. Je reconnais toutefois que si l’on n’admettait que les cessions à des associés, on n’aurait pas détruit le principe.

(page 69) M. Jottrandµ. - Les raisons que vient de donner l'honorable rapporteur s'appliquent à une cession d'une part d'intérêt dans la société coopérative à un tiers qui ne fait pas partie de la société.

Il est évident que si cela pouvait se faire, la société coopérative dégénérerait aisément en société anonyme. Il dépendrait d'un associé d'introduire dans la société un intéressé dont les autres associés ne voudraient pas.

Le lien qui unit les personnes des coassociés ferait place à un lien n'unissant que des capitaux.

Mais en quoi ce danger, que l'on veut éviter et que je veux éviter aussi, existerait-il si l'associé pouvait céder à un membre de la société coopérative, un de ses camarades, de ses amis vivant et travaillant avec lui au sein de cette société, dans des conditions fraternelles, tout ou partie de son intérêt ?

Je suppose un sociétaire dont la part dans l'avoir social monte à 1,000 ou 1,500 francs.

Il a des charges de famille plus lourdes que celles d'un de ses coopérateurs ; celui-ci a des économies réalisables, lui n'en a pas.

Un moment de gêne survient pour lui, pourquoi l'empêcher de pouvoir s'alléger, en échangeant une partie de son avoir social contre l'argent comptant dont dispose son compagnon ?

Pourquoi exiger pour cela l'approbation des administrateurs de la société ou de l'assemblée ?

M. Pirmez veut qu'au moins les statuts prévoient et stipulent cette cessibilité.

Soit, je ne m'y oppose pas.

Mais je persiste à croire que c'est aller trop loin que de dire absolument : « ne pouvant céder » et qu'il serait plus conforme aux principes et plus sage de dire : « ne pouvant céder leur intérêt qu'à un associé » ou ne pouvant céder leur intérêt qu'à un tiers. »

Je propose donc l'amendement suivant : « Ne pouvant céder leur intérêt social qu'à un associé. »

M. Baraµ. - Je ne vois pas dans le rapport de la commission qu'on ait supprimé l'article 83.

N'a-t-on pas maintenu cet article qui dispose qu'un associé, dans une société coopérative, ne peut céder sa part que pour autant que le cédant remplisse les formalités prescrites pour pouvoir se retirer de la société et que le cessionnaire se soit fait admettre dans la société ?

La suppression de cette disposition a-t-elle été votée ? Ce serait alors tout à la fin de la dernière séance.

M. Demeurµ. - On l'a votée sur la demande de M. le ministre.

MjdLµ. - On a voté la suppression de la dernière partie du paragraphe premier.

M. Baraµ. - Je crois, messieurs, qu'il faudrait maintenir ce qui a été voté en 1870.

L'honorable M. Pirmez dit que les parts sont incessibles ; mais, au fond, elles sont cessibles.

Il suffit que le cessionnaire se fasse admettre dans la société. C'est au fond une cession sous la condition de se faire admettre dans la société.

Pour le cas de M. Jottrand, il n'y a pas de difficulté, puisque là le cessionnaire est déjà dans la société ; par conséquent, on peut lui céder sa part.

Il faut reconnaître, messieurs, qu'on ne doit pas pouvoir admettre le premier venu dans une société coopérative.

Il faut qu'il y ait des rapports spéciaux, des rapports de fraternité entre les ouvriers qui feront ces sortes de sociétés. Mais je crois qu'il est satisfait complètement aux observations de l'honorable M. Pirmez, et dès lors je ne vois pas pourquoi cet honorable membre conserverait, dans la définition de la coopérative, les mots : « ne pouvant céder leur intérêt social. » Je sais bien que l'honorable membre a cherché les caractères de la coopérative.

C'en serait un, s'il était véritable, mais il n'est pas sincère. Vous pouvez céder d'une manière absolue, c'est incontestable, seulement vous pouvez céder sous des conditions déterminées stipulées dans l'article 83.

Il faut remplir une condition de plus : Vous pouvez céder à condition que le cessionnaire se fasse admettre dans la société. Mais il en est ainsi des transferts dans un certain nombre de sociétés. On n'admet pas toujours dans les sociétés les transferts d'action à autrui ; on exige l'assentiment de la société représentée par ses administrateurs.

Je crois donc que mon honorable ami, M. Pirmez, n'a pas donné les véritables caractères de la société coopérative, et je crois que ces caractères seront toujours difficiles à bien déterminer. Ainsi, si nous prenons la définition que donne l'honorable M. Pirmez, nous trouvons que les sociétés coopératives sont « celles qui se composent d'associés engagés solidairement ou divisément. »

On ne peut s'engager autrement : on ne dit donc rien.

« Ne pouvant céder leur intérêt social. »

C'est très contestable. Je crois même que c'est, au fond, inexact :

« Dont le nombre où les mises peuvent varier sous certaines conditions, soit par admission ou retrait d'associés, soit par augmentation ou diminution des engagements ou des valeurs fournies. »

Je reconnais que c'est ce qu'il y a de mieux. Cette définition est vraie ; la société coopérative est une société à capital et à personnel variables. On n'a pas été satisfait de cette définition, mais je crois qu'elle est la plus exacte. Ce sont les caractères les plus certains de la société coopérative. Quant aux autres éléments, ils existent dans presque toutes les sociétés ; car vous pouvez composer toute société d'associés engagés solidairement ou divisément. Vous pouvez, dans une commandite simple, stipuler qu'on ne pourra céder son intérêt social.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Je ne vois pas d'objection fondamentale (sauf à examiner, car il est dangereux de se prononcer à l'improviste), à l'admission des mots « à des tiers », dans le texte de l'article.

Mais précisons bien la disposition.

L'incessibilité, quoi qu'en dise mon honorable ami, M. Bara, est essentielle aux sociétés coopératives. Les sociétés coopératives ne sont pas des sociétés de capitaux, mais des sociétés de personnes.

Ainsi on ne peut pas constituer une société coopérative dans laquelle il serait stipulé qu'il y aurait des actions.

Il est très important de les bien séparer des sociétés anonymes.

La loi prend des mesures très sévères pour les sociétés anonymes ; nous devons empêcher qu'on puisse éluder ces mesures en prenant la forme d'une société coopérative.

Conservons donc le caractère de l'incessibilité.

Quant à l'addition des mots : « à des tiers, » je ne m'y oppose pas ; mais entendons-nous bien.

Je considère, sauf nouvel examen, que la cession à un associé ne sera pas nécessairement proscrite ; elle n'est pas contraire à l'essence de la société ; mais elle ne sera admise que s'il y a disposition formelle dans les statuts ; elle reste contraire à la nature de la société.

M. Demeurµ. - Je proposerai la rédaction suivante :

« La société coopérative se compose d'associés. »

En France, on a reculé devant la définition des sociétés coopératives. La rédaction de cet article proposée par M. Pirmez est une définition.

Il serait préférable, selon moi, de se borner à constater que les sociétés coopératives se composent d'associés dont le personnel et les mises sont variables. C'est là un des caractères de la société coopérative.

L'article resterait le même au fond ; on écarterait seulement la prétention de donner une définition, ce qui, dans une matière aussi nouvelle et aussi difficile, me semble bien téméraire.

M. Pirmez, rapporteurµ. - De deux choses l'une : ou le changement indiqué par l'honorable M. Demeur a une signification ou il n'est qu'affaire de forme.

S'il signifie quelque chose, il détruit la définition et la remplace par une pure énonciation. Il est cependant nécessaire de déterminer ce que sont les sociétés coopératives auxquelles on donne de très grandes facilités. On ne peut, selon moi, régler ce qui concerne ces sociétés sans savoir clairement en quoi elles consistent. La définition doit donc être maintenue.

Sa forme peut-elle être modifiée ?

Je ne le pense pas. Nous en avons calqué la rédaction sur les autres définitions qui se trouvent dans la loi, pour les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite et les sociétés anonymes.

Il faut donc maintenir le texte proposé.

- La discussion est close sur l'article 214.

M. Demeurµ. - Je n'insiste pas sur mon amendement, mais par la seule raison que la Chambre ne me paraît pas disposée à l'adopter.

MpTµ. - M. Pirmez a proposé d'intercaler les mots : « à des tiers », entre les mots ; « ne pouvant céder », et ceux-ci : « leur intérêt social ».

M. Jottrandµ. - Je me rallie à cet amendement.

- L'article 214, ainsi modifié, est adopté.


« Art. 215. La société coopérative n'existe pas sous raison sociale ; elle est qualifiée par une dénomination particulière,

« La société doit être composée de sept personnes au moins.

(page 70) « Elle est administrée par un ou par plusieurs mandataires, associés ou non associés qui ne sont responsables que du mandat qu'ils ont reçu.»

- Adopté.

Articles 216 à 216ter

MpTµ. - La commission propose la division de l'article 216 en trois articles ainsi conçus :

« Art. 216. L'acte constitutif de la société doit déterminer, à peine de nullité, les points suivants :

« 1° La dénomination de la société, son siège ;

« 2° L'objet de la société ;

« 3° La désignation précise des associés ;

« 4° La manière dont le fonds social est ou sera ultérieurement formé, et son minimum. »

- Adopté.


« Art. 216bis. L'acte indiquera, en outre :

« 1° La durée de la société, qui ne peut excéder trente ans ;

« 2° Les conditions d'admission, de démission et d'exclusion des associés et les conditions de retrait de versements ;

« 3° Comment et par qui les affaires sociales seront administrées et contrôlées, et, s'il y a lieu, le mode de nomination et de révocation du gérant, des administrateurs et des commissaires, l'étendue de leur pouvoir et la durée de leur mandai ;

« 4° Les droits des associés, le mode de convocation, la majorité requise pour la validité des délibérations, le mode de votation ;

« 5° La répartition des bénéfices et des pertes ;

« 6° L'étendue de la responsabilité des associés, s'ils sont tenus des engagements de la société, solidairement ou divisément, sur tout leur patrimoine ou jusqu'à concurrence d'une somme déterminée seulement. »

- Adopté.


« Art. 216bis. A défaut de dispositions sur les points indiqués en l'article précédent, ils seront réglés comme suit :

« 1° La société dure dix ans ;

« 2° Les associés peuvent se retirer de la société ; ils ne peuvent en être exclus que pour inexécution du contrat ; l'assemblée générale prononce les exclusions et les admissions et autorise les retraits de versements ;

« 3° La société est gérée par un administrateur et surveillée par trois commissaires, nommés de la même manière que dans les sociétés anonymes ;

« 4° Tous les associés peuvent voter dans l'assemblée générale ; ils ont voix égale ; les convocations se font par lettre chargée, signée de l'administration ; les résolutions sont prises en suivant les règles indiquées pour les sociétés anonymes ;

« 5° Les bénéfices et les pertes se partagent chaque année, par moitié par parts égales entre les associés, et par moitié à raison de leur mise ;

« 6° Les associés sont tous solidaires. »

Paragraphe 2. Des changements dans le personnel et du fonds social

Article 227

« Art. 227. Les droits d'un associé dans l'actif d'une société coopérative ne peuvent être cédés que pour autant que le cédant remplisse les formalités prescrites pour pouvoir se retirer de la société et que le cessionnaire se soit fait admettre dans la société.

« Ses créanciers personnels ne peuvent saisir que les intérêts et dividendes lui revenant et la part qui lui sera attribuée à la dissolution de la société. »

MpTµ. - La commission propose de supprimer le premier paragraphe de cet article et de rédiger le second paragraphe comme suit i

« Les créanciers personnels de l'associé ne peuvent saisir que les intérêts et dividendes lui revenant, et la part qui lui sera attribuée à la dissolution de la société. »

- L'article 227, ainsi rédigé, est adopté.

Paragraphe 3. Des mesures dans l’intérêt des tiers

Articles 228 à 231

MpTµ. - Nous reprenons maintenant la suite des articles du projet de loi. Nous en étions restés, dans la dernière séance, au paragraphe 3, des mesures dans l'intérêt des tiers.

« Art. 228. Chaque année, à l'époque fixée par les statuts, l'administration dresse un inventaire dans la forme prescrite par l'article 202.

« Un fonds de réservé sera formé de la manière déterminée par ledit article. »

- Adopté.


« Art. 229. Dans tous les actes, factures, annonces, publications et autres pièces émanées des sociétés coopératives, on doit trouver la dénomination sociale précédée ou suivie immédiatement de ces mots, écrits lisiblement et en toutes lettres : Société coopérative. »

- Adopté.


« Art. 230. Toute personne qui interviendra pour une société coopérative dans un acte où la prescription de l'article précédent ne sera pas remplie, pourra, suivant les circonstances, être déclarée personnellement responsable des engagements qui y sont pris par la société. »

- Adopté.


« Art. 231. Le bilan sera déposé, dans la quinzaine après son approbation, au greffe du tribunal de commerce du siège de la société. »

- Adopté.

Article 232

« Art. 232. Celui ou ceux qui gèrent la société devront déposer tous les six mois, au même greffe, une liste indiquant par ordre alphabétique les noms, professions et demeures de tous les associés, datée et certifiée véritable par les signataires.

« Ceux-ci seront responsables de toute fausse énonciation dans lesdites listes. »

M. Jottrandµ. - Je crois cette formalité excessive. A quoi bon obliger une société coopérative à déposer tous les six mois à nouveau, au tribunal de commerce, la liste complète de tous les associés ? Je comprends que l'on exige ce dépôt à l'origine de la société, lorsque la société s'établit, lorsqu'elle accomplit les formalités nécessaires pour sa constitution régulière.

Mais il me semble qu'à partir de ce moment il doit suffire d'exiger le dépôt, tous les six mois, au greffe du tribunal, des modifications que la liste primitive a pu subir ou une déclaration que cette liste n'a pas subi de changement.

Remarquez, messieurs, que les sociétés coopératives sont de leur nature appelées à réunir un très grand nombre d'associés. Dans le cercle que la nouvelle loi va leur tracer rentreront des sociétés qui, aujourd'hui, existent sous la forme anonyme.

Les Unions de crédit, par exemple, sont, de leur nature, des sociétés coopératives. Elles sont à personnel et à capital essentiellement variables.

Aujourd'hui, il leur faut un octroi spécial du gouvernement pour exister sous la forme anonyme. Mais, lorsque le privilège administratif aura disparu, lorsque le droit commun régira toutes les formes de sociétés possibles, les Unions de crédit ne pourront s'établir que sous la forme de sociétés coopératives. Or, l'Union du Crédit de Bruxelles, par exemple, compte plus de 3,000 membres ; il n'y a pas de raison pour que, dans nos grands centres industriels ou commerciaux, d'autres Unions de crédit ne puissent attendre à la même puissance.

Voyez-vous toutes ces sociétés obligées de déposer tous les six mois, sans utilité appréciable, la liste complète de leurs associés au greffe du tribunal.

Mais, messieurs, les greffes de nos tribunaux finiront par être encombrés de nombreux volumes qui, la plupart du temps, ne seront que la répétition les uns des autres.

Je crois donc qu'il suffit d'exiger une liste complète des associés à l'origine de la société, et de permettre de se borner à produire tous les six mois une liste des modifications que la première a subies.

- L'amendement est appuyé ; il fait partie de la discussion.

MjdLµ. - Je ne puis admettre ni que la mesure de précaution édictée par cet article soit excessive, ni qu'elle présente dans l'exécution les difficultés que prévoit l'honorable membre.

En effet, il a été entendu, dès la première discussion, que les listes à déposer pourraient être imprimées. Rien ne sera dès lors plus aisé que de faire successivement les modifications que les changements du personnel nécessiteront en retranchant les noms des membres qui auraient cessé de faire partie de la société et en ajoutant les noms des membres nouvellement admis.

Si l'on admet le système de l'honorable membre, il sera impossible, au bout de quelque temps, de parvenir à reconstituer exactement la liste et à se rendre compte de la composition de la société.

Cette formalité n'est véritablement difficile qu'en apparence, mais elle peut seule faire atteindre le but qu'on se propose.

M. Jottrandµ. - Messieurs, on peut parer à l'inconvénient prévu par l'honorable ministre de la justice, en exigeant que périodiquement il soit fait un dépôt de la liste complète révisée et remise en ordre.

Je pense qu'il suffirait de dire : Tous les cinq ans, la liste des membres sera révisée intégralement et déposée, à nouveau, au greffe du tribunal de commerce.

Si l'on exige un dépôt de la liste complète tous les six mois, on créera, dans les greffes, de véritables bibliothèques que personne ne consultera jamais et qui tiendront une place que l'on pourrait réserver à d'autres documents beaucoup plus utiles.

(page 71) MpTµ. - M. Jottrand propose la suppression des mots « tous les six mois. »

M. Baraµ. - Messieurs, je crois qu'il faut maintenir l'article pour les excellentes raisons que vient de donner l'honorable ministre de la justice.

Il faut que les membres des sociétés coopératives se connaissent. Or, il est certain que presque tous les ans ces sociétés feront imprimer les listes de leurs membres, pour leur propre convenance.

Il leur suffira d'en conserver un certain nombre et d'y faire les modifications survenues.

Si l'on suivait le système de l'honorable M. Jottrand, il faudrait prendre toutes les listes jusqu'à l'origine pour savoir le nom des sociétaires.

C'est un travail impossible pour les particuliers et qu'il est de l'intérêt de la société de faire elle-même.

Si la société n'est pas nombreuse, ce sera fort peu de chose, il faut le reconnaître ; si elle est nombreuse, elle aura des fonds suffisants pour avoir une administration et pour occuper un employé pendant deux ou trois jours tous les six mois pour faire ces listes.

C'est donc peu de chose et je crois que, dans l'intérêt de la société, il faut toujours qu'on ait des listes exactes et complètes des associés.

- La discussion est close.

MpTµ. - Maintenez-vous votre amendement, M. Jottrand ?

M. Jottrandµ. - Oui, M. le président.

MpTµ. - Je mets donc aux voix la suppression des mots ; « tous les six mois », qui se trouvent au paragraphe premier de l'article du projet.

- Cette suppression n'est pas adoptée.

MpTµ. - La seconde partie de l'amendement tombe ; y a-t-il opposition à l'article 232, tel qu'il est rédigé dans le projet ?

- L'article 232 est adopté.

Article 233

« Art. 233. Dans les huit jours de leur nomination, les gérants doivent déposer au greffe du tribunal de commerce un extrait de l'acte constatant leur pouvoir.

« Ils doivent donner leur signature en présence du greffier, ou la faire parvenir au greffe dans la forme authentique. »

- Adopté.

Article 234

« Art. 234. Le public est admis à prendre gratuitement connaissance des actes de société coopérative, des listes des membres et des bilans. Chacun peut en demander copie, sur papier libre, moyennant payement des frais de greffe. »

M. Pirmez, rapporteurµ. - Messieurs, cet article porte que le public est admis à prendre gratuitement connaissance des actes de société coopérative ; ce qu'il est absolument inutile de dire : un des premiers articles de la loi porte que les actes de sociétés doivent être publiés au Moniteur, et qu'un exemplaire est à la disposition du public dans chaque greffe.

Par contre, on ne mentionne pas que les actes conférant la gérance dont il est question dans l'article 233 peuvent être consultés. Je propose donc de rédiger l'article comme suit :

« Le public est admis à prendre gratuitement connaissance des listes des membres, des actes conférant la gérance et des bilans. »

MpTµ. - Proposez-vous, en même temps, de supprimer le second paragraphe, M. le rapporteur ?

M. Jacobsµ. - Non, le second paragraphe ne doit pas être modifié.

M. Demeurµ. - Je demanderai à M. le ministre de la justice s'il croit qu'il n'y a rien à faire, quant aux frais de timbre et d'enregistrement des divers actes qui sont imposés aux sociétés coopératives. Si tous ces actes doivent être soumis aux dispositions fiscales en vigueur, vous n'aurez pas de sociétés coopératives profitant du bénéfice de la loi actuelle. Il y a de nombreux actes qui doivent être déposés au tribunal de commerce, et si la loi est appliquée dans toute sa rigueur à ces sociétés, si l'on ne fait pas une exception, comme j'en vois une à l'article 234, la loi sera sans effet.

MjdLµ. - J'ai déjà, dans une précédente séance, fait remarquer à l'honorable membre que ces frais ne sont pas aussi considérables qu'il se l'imagine. J'ai cependant promis d'examiner la question d'ici au second vote. Je prie l'honorable membre de me laisser ce délai.

- L'article, modifié comme le propose M. Pirmez, est adopté.

Section VI. Des associations momentanées et des associations en participation

Articles 235

« Art. 235. L'association momentanée est celle qui a pour objet de traiter, sans raison sociale, une ou plusieurs opérations de commerce déterminées.

« Les associés sont tenus solidairement envers les tiers avec qui ils ont traité. »

- Adopté.


« Art. 236. L'association en participation est celle par laquelle une ou plusieurs personnes s'intéressent dans des opérations qu'une ou plusieurs autres gèrent en leur propre nom.

« Le participant qui s'est tenu dans les termes de cette participation n'a, ni activement ni passivement, d'action directe avec les tiers. »

MpTµ. - La commission propose, dans son dernier rapport, de reporter le second paragraphe de cet article au titre des actions et prescriptions. L'article 236 se composerait donc du premier paragraphe de l'article actuel.

- Cette proposition est adoptée. L'article est adopté.


« Art. 237. Les associations momentanées et les associations en participation ont lieu entre les associés, pour les objets, dans les formes, avec les proportions d'intérêt et aux conditions convenues entre eux. »

- Adopté.

Section VII. De la liquidation des sociétés

Article 238

« Art. 238. Les sociétés commerciales sont, après leur dissolution, réputées exister pour leur liquidation.

« Toutes les pièces émanées d'une société dissoute mentionnent qu'elle est en liquidation. »

- Adopté.

Article 239

« Art. 239. A défaut de convention contraire, le mode de liquidation est déterminé et les liquidateurs sont nommés par l'assemblée générale des associés, Les décisions ne sont valablement prises que par l'assentiment de la moitié des associés possédant les trois quarts de l'avoir social ; à défaut de cette majorité, il est statué par les tribunaux. »

M. Demeurµ. - Cet article porte que, dans toutes les sociétés, les décisions ne sont valablement prises pour la nomination des liquidateurs, que par l'assentiment de la moitié des associés possédant les trois quarts de l'avoir social ; mais quand il y a des actions au porteur, il est impossible de savoir si la moitié des associés est réunie.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Le gouvernement a proposé la suppression des mots : « dans les sociétés en nom collectif et dans les sociétés en commandite. »

La commission n'a rien objecté parce que la disposition n'a d'effet que dans le silence des statuts.

MjdLµ. - Effectivement. De nombreuses modifications ont été introduites depuis le jour où l'amendement du gouvernement a été adopté par la commission. La matière des commandites notamment, a été complètement remaniée. Il peut donc fort bien se faire que des amendements, parfaitement justifiés à l'origine, aient perdu leur raison d'être. J'examinerai ce point d'ici au second vote.

M. Pirmez, rapporteurµ. - On pourrait reprendre et voter provisoirement la rédaction ancienne.

MjdLµ. - Oui, en ajoutant au texte ancien le mot « simple » après ceux-ci : « les sociétés en commandité. »

- L'article 239 primitif, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.

Article 240

« Art. 240. A défaut de nomination de liquidateurs, les associés gérants dans les sociétés en nom collectif ou en commandite et dans les sociétés coopératives, et les administrateurs dans les sociétés anonymes, seront, à l'égard des tiers, considérés comme liquidateurs. »

- Adopté.

Article 241

« Art. 241. A défaut de disposition contraire dans les statuts ou dans l'acte de nomination, les liquidateurs peuvent intenter et soutenir toutes actions pour la société, recevoir tous payements, donner mainlevée avec ou sans quittance, réaliser toutes les valeurs mobilières de la société, endosser tous effets de commerce, transiger ou compromettre sur toutes contestations. Ils peuvent aliéner les immeubles de la société par adjudication publique, s'ils jugent la vente nécessaire pour payer les dettes sociales ou si le nombre des associés est de sept ou plus. »

M. Lelièvreµ. - Je pense qu'il est bien entendu que les liquidateurs pourront, dans les contestations, déférer tous serments décisoires. On agirait prudemment en ajoutant ces expressions avant les mots « transiger ou compromettre sur toutes contestations. »

La délation du serment décisoire est un acte exceptionnel qui sort des bornes de simple administration. Elle constitue une transaction en conséquence, à moins qu'il ne soit bien entendu que le mot « transiger » renferme aussi le droit de déférer le serment, Je propose d'ajouter les mots « déférer tout serment décisoires. »

(page 72) Cette énonciation a une utilité réelle pour prévenir tout doute. Sans cela, on pourrait révoquer en doute le droit des liquidateurs en ce qui concerne le serment.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Je crois qu'il n'y a pas d'inconvénient à ajouter ces mots ; cependant je voudrais examiner si, en les insérant on n'exclut pas d'autres actes. Mais le fait de déférer le serment est assimilé à une transaction par cela seul qu'en autorisant une partie à transiger on l'autorise à déférer le serment.

M. Lelièvreµ. - Je propose d'ajouter avant les mots « transiger, etc. », les mots : « Déférer tous serments décisoires. »

- L'amendement de M. Lelièvre est appuyé ; il fait partie de la discussion.

MjdLµ. - Il est généralement admis que le serment décisoire participe de la nature de la transaction. Rien n'empêche donc d'interpréter le mot « transiger » en ce sens qu'il comprend les pouvoirs nécessaires pour la délation du serment.

Si l'honorable membre n'était pas de cet avis, il conviendrait qu'il complétât sa proposition par l'addition des mots : « déférer tous serments décisoires, les accepter ou les déférer. »

M. Lelièvreµ.—S'il est bien entendu que le mot « transiger » a la signification la plus étendue, de manière qu'il comprend même la délation de serment, je n'insiste pas sur mon amendement, parce que le but que j'avais en vue est atteint.

- L'article est adopté.

Article 242

« Art. 242. Ils peuvent, mais seulement avec l'autorisation de l'assemblée générale des associés, donnée conformément à l'article 239, continuer, jusqu'à réalisation, l'industrie ou le commerce de la société, emprunter pour payer les dettes sociales, créer des effets de commerce, hypothéquer les biens de la société, les donner en gage, aliéner ses immeubles, même de gré à gré, et faire apport de l'avoir social dans d'autres sociétés. »

M. Lelièvreµ. - Aux termes de la loi du 10 décembre 1851, on ne peut hypothéquer des immeubles qu'en vertu d’une procuration authentique. Il doit être entendu que notre disposition déroge à ce principe en ce concerne l'autorisation de l’assemblée générale des associés. Cette autorisation ne devra pas être donnée dans la forme authentique, la délibération de l'assemblée ne devant pas être. faite avec pareille solennité.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Nous avons voté au commencement de la séance un article qui a pour objet de déterminer que les agents naturels de la société peuvent faire tous les actes, lorsqu'ils justifient de leurs pouvoirs par les moyens indiqués dans les statuts.

- L'article est adopté.

Article 243

« Art. 243. Les liquidateurs peuvent exiger des associés le payement des sommes qu'ils se sont engagés à verser dans la société et qui paraissent nécessaires au payement des dettes et des frais de liquidation, en tenant compte, s'il y a lieu, des éventualités de non-paiement.

« La disposition du paragraphe 2 de l'article 164 est applicable, aux actionnaires, aux administrateurs, aux membres des conseils de surveillance, aux gérants des sociétés anonymes et des sociétés coopératives. »

MpTµ. - Le gouvernement et la commission proposent de supprimer la partie finale du paragraphe premier : « En tenant compte, s'il y a lieu, des éventualités de non-paiement » et de supprimer également le paragraphe 2.

- L'article, ainsi modifié, est adopté.

Articles 244 à 248

« Art. 244. Les liquidateurs, sans préjudice aux droits des créanciers privilégiés, payeront toutes les dettes de la société, proportionnellement et sans distinction entre les dettes exigibles et les dettes non exigibles, sous déduction de l'escompte pour celles-ci.

« Ils pourront cependant, sous leur garantie personnelle, payer d'abord les créances exigibles, si l'actif dépasse notablement le passif ou si les créances à terme ont une garantie suffisante et sauf le droit des créanciers de recourir aux tribunaux. »

- Adopté.


« Art. 245. Après le payement ou la consignation des sommes nécessaires au payement des dettes, les liquidateurs distribueront aux sociétaires les sommes ou valeurs qui peuvent former des répartitions égales ; ils leur remettront les biens qui auraient dû être conservés pour être partagés.

« Ils peuvent, moyennant l'autorisation indiquée en l'article 242, racheter les actions de la société soit à la Bourse, soit par souscription ou soumission auxquelles tous les sociétaires seraient admis à participer. »

- Adopté.


« Art. 246. Les liquidateurs sont responsables, tant envers les tiers qu'envers les associés, de l'exécution de leur mandat et des fautes commises dans leur gestion. »

- Adopté.


« Art. 247. Chaque année, les résultats de la liquidation sont soumis à l'assemblée générale de la société, avec l'indication des causes qui ont empêché la liquidation d'être terminée. Dans les sociétés anonymes, le bilan est, en outre, publié. »

- Adopté.


« Art. 248. Lorsque la liquidation sera terminée, les liquidateurs feront un rapport à l'assemblée générale sur l'emploi des valeurs sociales et soumettront les comptes et pièces à l'appui. L'assemblée nommera des commissaires pour examiner ces documents et fixera une nouvelle réunion dans laquelle il sera statué, après le rapport des commissaires, sur la gestion des liquidateurs.

« La clôture de la liquidation sera publiée conformément à l'article 154. »

- Adopté.

Section VIII. - De la prescription

MpTµ. - La rubrique doit porter : « Des actions et des prescriptions. »

Articles nouveaux

MpTµ. Nous avons ici une série de nouveaux articles indiqués dans le dernier rapport de la commission.

« I. (Cet article vient après l'article 248.) Aucun jugement à raison d'engagements de la société, portant condamnation personnelle des associés en nom collectif ou en commandite simple et des gérants de commandite par actions ne peut être rendu avant qu'il y ait condamnation contre la société. »

- Adopté.


« II. Les créanciers peuvent dans toutes les sociétés faire décréter par justice les versements stipulés aux statuts et qui sont nécessaires à la conservation de leurs droits ; la société peut écarter l'action en remboursant leur créance, à sa valeur après déduction de l'escompte.

« Les gérants ou administrateurs sont personnellement obligés d'exécuter les jugements rendus à cette fin.

« Les créanciers peuvent exercer, conformément à l'article 1106 du code civil, contre les associés ou actionnaires, les droits de la société quant aux versements à faire et qui sont exigibles en vertu des statuts, de décision sociale, ou de jugements. »

M. Demeurµ. - Voilà plusieurs fois que le mot « escompte » est employé dans diverses dispositions. Mais je ne connais aucune loi qui fixe le taux de l'escompte. Comment donc calculera-t-on l'escompte ?

M. Pirmez, rapporteurµ. - A 5 pour cent.

M. Demeurµ. - Cela n'est pas dans la loi ; et puis je ne comprendrais pas qu'on fixât l'escompte à 5 pour cent alors que le taux légal de l'intérêt en matière commerciale (et nous sommes bien ici dans la matière commerciale) est de 6 pour cent.

AI. Pirmez, rapporteurµ. - L'honorable membre a raison si l'on s'en tient strictement à l'article en discussion. Mais l'article 209 porte que le taux sera de 5 p. c. Je crois qu'il faut maintenir ce taux ; voici pourquoi. Il est nécessaire d'admettre un taux uniforme à l'égard de tous les créanciers.

Toutes les créances d'une société de commerce ne sont pas des créances commerciales ; il y a des créances civiles.

Le taux de 5 p. c. me paraît devoir être admis dans tous les cas prévus par la loi.

- L'article est adopté.


« III. Le tribunal de commerce peut, dans des circonstances exceptionnelles, sur requête d'actionnaires ou de coopérants possédant le cinquième des intérêts sociaux, signifiée avec assignation à la société, nommer un ou plusieurs commissaires ayant pour mission de vérifier les livres et comptes de la société.

« Il entend les parties en chambre du conseil et statue en audience publique.

« Le jugement précisera les points sur lesquels portera l'investigation et fixera la consignation préalable à effectuer pour le payement des frais ; ces frais pourront être compris dans ceux de l'instance auxquels donneraient lieu les faits constatés.

« Le rapport sera déposé au greffe. »

- Adopté.


« IV. Les associés momentanés seront assignés directement et individuellement.

« Il n'y a entre les tiers et le participant qui s'est tenu dans les termes d'une simple participation aucune action directe. »

- Adopté.


« V. Les actions contre les sociétés se prescrivent dans le même temps que les actions contre les particuliers, »

- Adopté.

Article 249

(page 73) MpTµ. - Nous arrivons à l'article 249 ; cet article a été fondu avec l'article 2M) ; les deux articles n'en forment plus qu'un, qui est ainsi rédigé par la commission, d'accord avec le gouvernement :

« Sont prescrites par cinq ans :

« Toutes actions contre les associés ou actionnaires, à partir de la publication de leur retraite de la société, d'un acte de dissolution de la société, et de son terme contractuel.

« Toutes actions de tiers en répétition de dividendes indûment distribués, à partir de la distribution.

« Toutes actions contre les liquidateurs, en cette qualité, à partir de la publication faite conformément à l'article loi.

« Toutes actions contre les gérants, administrateurs, commissaires, liquidateurs pour faits de leur mandat, à partir de ces faits. Toutefois, l'action individuelle des actionnaires, dans le cas où l'assemblée générale a approuvé la gestion sociale, devra être intentée, dans le délai de trois mois, à partir de cette approbation. »

MjdLµ. - Je proposerai un changement de rédaction au paragraphe premier et au paragraphe 3 de cet article.

Le premier paragraphe est ainsi conçu : » Toutes actions contre les associés ou actionnaires, à partir de la publication de leur retraite de la société, d'un acte de dissolution de la société et de son terme contractuel. »

Je crois qu'il vaudrait mieux dire : « à partir de la publication soit de leur retraite de la société, soit d'un acte de dissolution, ou à partir de son terme contractuel. »

L'idée demeure la même, mais elle est plus nettement exprimée.

Quant au §paragraphe 3, il porte :

« Toutes actions contre les liquidateurs en cette qualité, à partir de la publication faite conformément à l'article 154. »

Or, la publication que l'on vise est celle de la clôture de la liquidation qui est prescrite non pas par l'article 154, mais par l'article 248 : c'est donc ce dernier article qui devrait être mentionné.

MpTµ. - M. le ministre propose par amendement un changement de rédaction au paragraphe premier et au paragraphe 3. Quelqu'un demande-t-il la parole sur cet article ?

M. Demeurµ. - Je demande la parole à propos du dernier alinéa de cet article portant :

« Toutes actions contre les gérants, administrateurs, commissaires, liquidateurs pour faits de leur mandat, à partir de ces faits. Toutefois l'action individuelle des actionnaires dans le cas où l'assemblée générale a approuvé la gestion sociale devra être intentée dans le délai de trois mois à partir de cette approbation. »

Cette disposition a un lien intense avec l'observation que j'ai présentée tout à l'heure à la Chambre et que la Chambre n'a pas admise, en votant l'article 204.

La disposition nouvelle que l'on introduit dans l'article 249 me paraît mettre le comble à ce que je considère comme une iniquité en ce qui concerne le droit individuel des actionnaires.

Tout à l'heure la Chambre a décidé que quand l'assemblée générale des actionnaires a approuvé les actes des administrateurs, les actionnaires individuellement n'ont plus de réclamations à faire, même lorsqu'il s'agit d'actes contraires aux statuts, lorsque la convocation de l'assemblée a mentionné l'objet de la décision à prendre et sauf lorsque les actionnaires sont présents et ont protesté.

D'après la proposition que l'on nous fait en ce moment, les actionnaires présents qui ont protesté contre la violation des statuts, contre la décision de l'assemblée générale, devront, à peine de voir leurs droits prescrits, agir dans les trois mois. Voici une prescription véritablement inouïe ! Trois mois pour une action qui peut demander un examen très long et très laborieux ! J'ai assisté à une assemblée générale. On a posé des actes contraires aux statuts ; j'ai protesté ; et l'on m'oblige, pour intenter mon action, d'agir dans les trois mois ! Si j'ai à étudier ou à faire étudier l'affaire par des jurisconsultes, si j'ai à me concerter avec d'autres actionnaires, qui sont dans la même position que moi, on ne m'en laissera pas le temps : je dois prendre une résolution dans les trois mois.

Voilà la résolution que l'on nous propose de prendre, et je me demande pourquoi ce nouveau privilège pour les administrateurs ?

Dans tous les autres cas, la prescription est de cinq ans.

M. Pirmez, rapporteurµ. - C'est une erreur encore de croire que le projet impose des restrictions à ce qui existe aujourd'hui.

Sous notre législation actuelle, le vote de l'assemblée générale a pour effet d'éteindre l'action individuelle, sauf dans le cas de violation des statuts ; or, cette exception est supprimée par le projet ; l'action individuelle peut être réservée ; nous attendons donc cette action.

En fait, les appréciations de M. Demeur sont aussi inexactes ; pour lui une violation des statuts, c'est l'abomination de la désolation.

Presque toujours cependant, quand il y a violation des statuts, il n'y a que des actes honnêtes.

L'administrateur qui veut faire un acte déloyal se gardera bien de se mettre en opposition avec les statuts. Plus il sera coupable, plus il cherchera à donner à sa conduite les apparences de la régularité.

Une société peut changer ses statuts, autoriser pour l'avenir une longue série d'actes antérieurement prohibés. Et parce que, devançant pareille décision, l'administration aurait fait un acte irrégulier, on trouve monstrueux non pas que l'assemblée puisse donner un bill d'indemnité, mais qu'après cette décision, les actionnaires doivent se prononcer dans un délai assez court.

L'honorable M. Demeur prend donc la question à rebours ; il suppose qu'aujourd'hui il y a toujours une action durant cinq ans, tandis que dans la plus grande partie des cas, il n'y a pas d'action du tout.

Il est très difficile d'apprécier si les administrateurs ont commis des fautes ; les plus mauvaises opérations ont souvent été longuement étudiées et celles qui paraissaient devoir donner les meilleurs résultats deviennent désastreuses.

Par contre, il arrive que des actes d'une grande légèreté donnent des résultats magnifiques.

Pour apprécier la responsabilité des pertes, il faut juger, dans un temps rapproché, la conduite de l'administrateur et l'acte qu'il a posé. Si les idées et les circonstances ont changé, on risque de s'égarer ; on ne comprend plus les mobiles des actions et l'on est trop disposé à juger d'après l'événement.

Si vous voulez qu'on juge bien, faites juger sans retard. La justice n'a rien à gagner à être différée et, sauf les spéculateurs en procès, tout le monde y perdra.

M. Baraµ. - Messieurs, je crois que l'article 250, dans l'origine, ne s'appliquait pas aux actes illégaux.

Il ne s'agissait dans ces articles que des actes légaux, que de l'administration régulière.

Mais on a modifié l'article 204 et permis de donner décharge pour les actes illégaux.

Quand il s'agit d'actes illégaux, le délai de trois mois est évidemment trop court. J'admets qu'on ne donne que trois mois lorsqu'il s'agit d'une gestion régulière et qu'un associé produit une réclamation contre les administrateurs ; mais, lorsqu'il s'agit d'une violation des statuts, il faut un terme plus long. Quand un particulier enfreint une convention, est-ce qu'au bout de trois mois l'action de la personne avec qui il a traité se trouve éteinte ? Pourquoi ce privilège pour les administrateurs de sociétés anonymes ?

M. Pirmez nous dit toujours que les administrateurs de sociétés anonymes sont la fine fleur de la probité et que même, lorsqu'ils commettent des actes illégaux, ils se sacrifient. C'est de l'exagération. Nous admettons bien volontiers qu'ils sont très honnêtes, mais il peut y en avoir de malhonnêtes.

M. Pirmez me paraît confondre toujours les actes illégaux avec les actes urgents ; mais ce n'est pas ce qui se produit ; quand un administrateur se croit obligé de poser un acte illégal, son devoir est d'appeler l'assemblée générale à se prononcer, sinon on tombe dans l'arbitraire.

Je comprends que l'on admette un acte illégal lorsqu'il y a une nécessité absolue, mais le code civil prévoit ce cas ; et si les associés ne voulaient pas approuver les actes posés par les administrateurs en cas de force majeure, la justice les approuverait.

Quand un administrateur aura agi sagement, il ne sera pas responsable. Supposons un accident dans une mine ; il peut y avoir des mesures urgentes à prendre. Dira-t-on que l'administrateur ne peut les ordonner de lui-même, si elles doivent être approuvées par l'assemblée générale ?

Mais ce que je ne puis admettre, c'est que l'administrateur puisse faire tout ce qu'il veut et que, quand il a posé des actes illégaux, on l'approuve. Le premier devoir de l'administrateur est de convoquer une assemblée générale lorsqu'il croit devoir ordonner des actes contraires aux statuts.

Qu'il ne vienne pas dire : Moi j'ai trouvé cet acte bon. Mais les autres pouvoirs constitués à côté de lui peuvent trouver cet acte très mauvais. Quand l'administrateur sort des statuts, il doit être responsable comme un (<b<page 74) autre citoyen. Je ne vois pas pourquoi vous n'établiriez pas la prescription ordinaire de cinq ans. L'administrateur est sorti des statuts ; tant pis pour lui. S'il y a urgence et force majeure, ce n'est pas le cas actuel, il y a d'autres règles dans le code civil pour la force majeure. S'il a sciemment violé les statuts alors qu'il pouvait appeler les pouvoirs institués à côté de lui à délibérer sur les actes illégaux, nécessaires selon lui, il ne faut pas être indulgent, il ne faut pas dire : Au bout de trois mois l'action ne pourra plus être intentée. On sait ce qui se passe dans les sociétés ; il est d'ordinaire impossible à un actionnaire d'actionner un administrateur dans un délai de trois mois ; c'est à peine souvent s'il sait, au bout de trois mois, exactement ce qu'a fait l'assemblée générale.

On a mille difficultés pour obtenir le procès-verbal des assemblées ; on doit parfois s'adresser à la justice pour les avoir et vous voulez qu'au bout de trois mois un actionnaire soit en état d'intenter un procès aux administrateurs. L'actionnaire sera forcé de faire un exploit en l'air.

Personne n'est obligé d'être administrateur. Mon honorable ami semble croire que c'est une charge, un devoir, comme celui d'être juré, garde civique ou soldat. On n'est pas obligé d'être administrateur d'une société anonyme ; ceux qui le deviennent ont accepté cette mission de leur plein gré ; il faut dès lors leur imposer une certaine responsabilité ; ils doivent savoir qu'ils ont certaines obligations. Pourquoi maintenir une prescription de trois mois ? Le délai de cette prescription pourrait être considérablement allongé. J'appelle sur ce point l'attention de mon honorable ami.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Je suis loin de vouloir rendre illusoire la responsabilité des administrateurs de sociétés anonymes. Ce reproche me paraît d'autant plus étrange dans la bouche de l'honorable M. Bara que je ne fais que défendre les articles du projet qu'il a fait voter comme ministre de la justice.

Nous n'avons modifié dans ce projet que l'interdiction de délibérer frappant le conseil tout entier, quand un administrateur est intéressé personnellement dans une opération.

Voila le seul changement qui a été apporté à la loi.

Quant à la matière que nous discutons, loin d'avoir adouci ses dispositions, nous avons introduit un amendement précisément pour faire droit à la proposition de l'honorable M. Demeur. Nous avons donc introduit une sévérité nouvelle contre le conseil d'administration, rigueur qui ne se trouvait pas dans le projet qu'avait défendu mon honorable ami.

Il me paraît que si je suis coupable, je ne suis que son complice.

Je suis d'avis qu'il faut qu'il y ait responsabilité sérieuse pour les administrateurs et le projet leur impose cette responsabilité dans une série de dispositions nouvelles.

Aussi, lorsque le projet a paru, personne n'a songé à réclamer et à trouver qu'on eût été trop indulgent envers les administrateurs.

Depuis, on s'est souvent placé à un point de vue fort peu propre à faire faire une bonne loi. On s'est mis à juger la matière comme s'il n'y avait jamais eu en Belgique qu'un établissement financier qu'il est inutile de désigner.

Ce n'est pas à un point de vue aussi étroit qu'on doit se placer ; on n'est sage que lorsqu'on envisage dans leur ensemble tout ce que les sociétés ont produit, le bien comme le mal.

Il y a, me paraît-il, une considération qu'il ne faut point perdre de vue pour apprécier la durée des prescriptions.

Le mandataire, en général, représente des personnes auxquelles il peut s'adresser pour obtenir décharge de sa gestion ; il peut, quand il le veut, forcer son mandant à se présenter.

Telle n'est pas la situation d'un administrateur de société anonyme. Il a pour adversaires éventuels des actionnaires au porteur qu'il ne connaît pas, qui, par la transmission des actions, peuvent varier ; il ne peut donc obtenir décharge ou contestation. En général, on peut forcer la partie avec qui on a traité à se prononcer et c'est un droit précieux qui enlève l'incertitude ; on a ainsi la faculté de faire discuter ses actes et de les justifier.

Par la nature des choses, cette faculté fera défaut à l'administrateur vis-à-vis des actionnaires absents que nous avons admis à réclamer contre des violations des statuts.

Il me paraît qu'il y a là une raison décisive pour mettre, par une prescription assez courte, un terme aux incertitudes.

Maintenant, qu'on mette six mois au lieu de trois mois, je n'y vois pas d'inconvénient.

M. Demeurµ. - Je propose le droit commun,

M. Pirmez, rapporteurµ. - Non, vous proposez de faire durer cinq ans une action exceptionnelle, que celui à qui elle est accordée est libre d’intenter immédiatement et qu'il n'a aucun motif avouable de différer.

L'action de droit commun, dans le cas qui nous occupe, est éteinte par le vote de l'assemblée ; il s'agit de l'action individuelle des associés, c'est-à-dire d'un nombre indéfini de personnes. Si l'on accordait à tous les habitants d'une commune le droit de réclamer contre ses mandataires, même après une décharge du conseil, trouverait-on étrange que la prescription fût limitée ?

La proposition de l'honorable membre repose donc sur une erreur juridique.

M. Demeurµ. - Messieurs, je veux citer un exemple qui me paraît éminemment propre à élucider la question.

Depuis quatre ans se trouve à l'étude une question de responsabilité d'administrateurs. Il s'agit de la Compagnie de matériel des chemins de fer, qui est en faillite. Il y a des curateurs nommés et des comptables chargés d'examiner les livres.

A l'heure qu'il est, les curateurs ne savent pas encore s'ils intenteront l'action.

D'après les bruits qui courent au palais de justice, il est plus que probable qu'elle sera intentée.

Et vous voulez qu'un simple actionnaire se décide en trois mois ?

Je le répète, il n'y a aucune espèce de motif de déroger au droit commun.

On me dit que l'on introduit une action nouvelle, une action qui n'existe pas sous l'empire de la législation actuelle.

A l'heure qu'il est, l'actionnaire n'a pas le droit d'attaquer les actes des administrateurs, lorsque ces actes sont conformes aux statuts et ont reçu l'approbation de l'assemblée générale des actionnaires. Le projet de loi modifie en ce point la jurisprudence établie et réserve, dans une certaine mesure, le droit individuel de l'actionnaire, nonobstant l'approbation de l'assemblée générale. Je le sais. Mais il n'en est pas moins vrai que vous limitez à trois mois l'exercice du droit de l'actionnaire, qu'il s'agisse d'attaquer des actes accomplis dans les limites des statuts ou des actes qui en sont la violation.

Je persiste donc dans l'amendement que j'ai présenté et qui consiste dans la suppression des mots : « Toutefois, l'action individuelle des actionnaires, dans le cas où l'assemblée générale a approuvé la gestion sociale, devra être intentée dans le délai de trois mois à partir de cette approbation. »

MpTµ. - La discussion est close. M. le ministre a proposé des amendements au paragraphe 2 et au paragraphe 4. S'il n'y a pas d'opposition aux quatre premiers paragraphes de l'article nouveau, je les déclare adoptés.

Il n'y a pas d'opposition à la première partie du dernier paragraphe ? Elle est également adoptée.

Il s'agit maintenant de voter sur la proposition de M. Demeur, qui est de supprimer la dernière phrase du dernier paragraphe. Je la mets aux voix.

- L'amendement n'est pas adopté.

M. Baraµ. - Je propose deux ans.

M. Jottrandµ. - Et moi un an.

MpTµ. - La discussion est close, messieurs ; vous pourrez présenter vos amendements lors du second vote.

- Des membres . - Laissez-les se produire. Cela s'est fait plusieurs fois.

M. Jottrandµ. - Je propose un an, et je propose, en outre, d'ajouter après les mots : « l'assemblée générale a approuvé » le mot « valablement » parce qu'il y a deux approbations possibles, et l'approbation qui serait nulle par suite d'omission ou de dissimulation dans le bilan, et l'approbation valable.

II ne faut pas de doute sur ce que la Chambre veut. Elle n'entend évidemment établir la prescription que pour autant que l'approbation soit valable.

M. Jacobsµ. - Cela va de soi.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Il n'y a pas l'ombre d'un doute. Le texte auquel se réfère notre article porte qu'il n'y a pas décharge, s'il y a omission ou indication mensongère. Ici, il ne s'agit que du cas où la décharge existe. Cela est clair comme le jour.

M. Jottrandµ. - Après l'explication donnée par M. le rapporteur, je renonce à cette partie de mon amendement.

MpTµ. - M. Jottrand propose de remplacer le délai de trois mois par le délai d'un an.

M. Bara a proposé le délai de deux ans. Je mets d'abord son amendement aux voix.

- Cet amendement n'est pas adopté.

L'amendement de M. Jottrand est adopté.

(page 75) MpTµ. - La dernière partie du paragraphe sera donc ainsi conçue :

« Toutefois l'action individuelle des actionnaires, dans le cas où l'assemblée générale a approuvé le gestion sociale, devra être intentée dans l'année à partir de cette approbation. »

- Le paragraphe, ainsi modifié, est adopté.

Section IX. Des sociétés constituées en pays étranger

Articles 251 à 253

« Art. 251. Les sociétés anonymes et les autres associations commerciales, industrielles ou financières, constituées et ayant leur siège en pays étranger, pourront faire leurs opérations et ester en justice en Belgique. »

- Adopté.


« Art. 252. Toute société dont le principal établissement est en Belgique est soumise a la loi belge, bien que l'acte constitutif ait été passé en pays étranger. »

- Adopté.


« Art. 253. Les articles relatifs à la publication des actes et des bilans, et l'article 206 sont applicables aux sociétés étrangères qui fonderont en Belgique une succursale, ou un siège quelconque d'opération.

« Les personnes préposées à la gestion de l'établissement belge sont soumises à la même responsabilité envers les tiers que si elles géraient une société belge. »

- Adopté.

Section X. Dispositions pénales

Article 254

« Art. 254. Seront punis d'une amende de 50 francs à 10,000 francs :

« Ceux qui, en se présentant comme propriétaires d'actions qui ne leur appartiennent pas, ont, dans une société constituée sous l'empire de la présente loi, pris part au vote dans une assemblée générale d'actionnaires ;

« Ceux qui ont remis les actions pour en faire l'usage ci-dessus prévu. »

M. Lelièvreµ. - Je pense qu'il est bien entendu que dans les cas prévus par les dispositions de notre section, s'il existe des circonstances atténuantes, les pénalités pourront être modifiées conformément au code pénal en pareille occurrence. Cela est d'autant plus incontestable que l'article 255 se réfère aux peines portées par le code pénal en matière d'escroquerie. Ce dernier code régira donc les dispositions énoncées en la section si l'existence de circonstances atténuantes est reconnue par les tribunaux.

MjdLµ. - Messieurs, l'observation de l'honorable membre est conforme aux principes généraux. Seulement, il faut reconnaître que le pouvoir du juge s'exerce ici dans des limites si larges, qu'il n'y aura lieu de recourir aux circonstances atténuantes que fort rarement.

La pénalité, en effet, varie de 50 francs à 10,000 francs.

M. Baraµ. - L'observation de M. Lelièvre est exacte en droit. C'est une loi spéciale et, à défaut de dispositions particulières, le titre premier du code pénal est applicable.

- L'article est adopté.

Articles 255 à 258

« Art. 255. Seront considérés comme coupables d'escroquerie et punis des peines portées par le code pénal :

« 1° Ceux qui, par simulation de souscriptions ou de versements à une société, ou par la publication faite de mauvaise foi de souscriptions ou de versements qui n'existent pas ou de tous autres faits faux, ont obtenu ou tenté d'obtenir des souscriptions ou des versements ;

« 2° Ceux qui, pour provoquer des souscriptions ou des versements ont, de mauvaise foi, publié les noms de personnes désignées, contrairement à la vérité, comme étant ou devant être attachées à la société à un titre quelconque »

- Adopté.


« Art. 256. Seront punis d'une amende de 50 francs à 10,000 francs, et pourront en outre être punis d'un emprisonnement d'un mois à un an, les gérants ou administrateurs qui, en l'absence d'inventaires, malgré les inventaires ou au moyen d'inventaires frauduleux, ont opéré la répartition aux actionnaires de dividendes ou d'intérêts non prélevés sur les bénéfices réels. »

- Adopté.


« Art. 257. Seront punis des mêmes peines les gérants ou administrateurs qui rachèteront les actions de la société autrement qu'au moyen de prélèvement sur les bénéfices réalisés, qui feront des prêts aux actionnaires sur leurs actions, ou qui feront les versements appelés sur les actions non libérées en ouvrant aux actionnaires un compte courant débité de la valeur de ces versements. »

MpTµ. - M. le ministre de la justice a proposé de remplacer cet article par la disposition suivante :

« Art. 257. Seront punis des mêmes peines, tous ceux qui, comme administrateurs, commissaires, gérants ou membres des comités de surveillance, auront sciemment :

« Racheté des actions ou parts sociales, si ce n'est au moyen d'un prélèvement net sur les bénéfices réels, opérés conformément aux statuts ou aux délibérations de l'assemblée générale ;

« Fait des prêts ou avances au moyen des fonds sociaux sur les actions ou parts d'intérêts de la société ;

« Fait, par un moyen quelconque, aux frais de la société, des versements sur les actions, ou admis comme faits des versements qui ne sont pas effectués réellement de la manière et aux époques prescrites. »

La commission a admis cette rédaction.

- Elle est mise aux voix et adoptée.


« Art. 258. La preuve des imputations dirigées, à raison de faits relatifs à leur gestion ou à la surveillance, contre les gérants, administrateurs et commissaires des sociétés en commandite par actions au porteur, des sociétés anonymes et des sociétés coopératives, sera admise par toutes les voies ordinaires, sauf la preuve contraire par les mêmes voies, conformément aux articles 5, 6, 7 et 8 du décret du 20 juillet 1831 sur la presse. »

M. le ministre de la justice, d'accord avec la commission, propose de supprimer à la troisième ligne les mots « au porteur. »

- L'article, ainsi modifié, est adopté.

Article 258bis

MpTµ. - M. le ministre de la justice a proposé un article 258bis ainsi conçu :

« Art. 258bis. Les sociétés dont l'objet est l'exploitation des mines peuvent, sans perdre leur caractère civil, emprunter les formes des sociétés commerciales en se soumettant aux dispositions du présent titre. »

- La commission a admis cet article.

M. Eliasµ. - Je demande la remise de la discussion de cet article à demain. Il est extrêmement important. Il me semble que la Chambre ne peut discuter utilement cette disposition à la fin d'une séance.

MpTµ. - Le premier objet à l'ordre du jour de demain sera donc la suite de la discussion du titre des Sociétés, à partir de la disposition additionnelle ; ensuite les amendements du Sénat au livre Ier, titres I à IV et, en troisième lieu, les servitudes militaires.

M. Demeurµ. - Je demande à la Chambre la permission de faire imprimer un amendement qui viendra à la suite de l'article 258bis. (Adhésion.)

- La séance est levée à 5 heures.