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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 19 novembre 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1872-1873)

(Présidence de M. Thibautµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 19) M. Wouters, secrétaireµ, fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Hagemans, secrétaireµ, donné lecture du procès-verbal de la séance du 14 novembre.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressés à la Chambre

M. Wouters, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pétitions adressées à la Chambre.

« Les sieurs Dubus et De Becker-Fircy demandent que le droit d'entrée de 1 fr. 20 c. par 100 kilogrammes sur les farines soit maintenu, à titre provisoire, jusqu'à l'abolition de la prime de sortie dont jouissent les meuniers français. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur les denrées alimentaires.


« Des secrétaires communaux dans la Flandre occidentale proposent des mesures pour améliorer la position des secrétaires communaux. »

« Même pétition des sieurs Loquet, Demoulin et autres membres du comité directeur de l'association générale des secrétaires communaux. »

M. Lelièvreµ. - J'appuie les pétitions et je demande qu'elles soient renvoyées à l'examen de la commission avec prière dé faire un prompt rapport.

J'espère que le gouvernement proposera sous peu un projet de loi pour régler la matière dont il s'agit.

- Adopté.


« Les membres du conseil communal de Hoeleden demandent que le chemin de fer à construire de Tirlemont à Diest passe par la vallée de la Verle.

« Même demande des membres des conseils communaux de Kerckom, Cappellen, Bunsbeek et Attenrode-Wever. »

- Renvoi à la commission dès pétitions.


« Le sieur Van Meenen demande une augmentation de traitement pour les employés inférieurs du département des finances. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget du ministère des finances.


« Des habitants d'Emelghem prient la Chambre de convertir le plus tôt possible en loi le projet de la section centrale relatif à l'usage de la langue flamande dans les tribunaux des provinces flamandes. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'administration de la justice en flamand dans les parties flamandes du pays.


« Des habitants de Fontaine-1'Evêque demandent la suppression de la pêche au filet et des engins dormants dans les petites rivières. »

« Même demande d'habitants de Biersée et de Thuin. »

- Renvoi à la commission pour le projet de loi sur la pêche.


« Par lettres en date du 13 novembre, M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, onze demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Les membres du conseil communal de Graux demandent la construction par l'Etat d'un chemin de fer direct d'Athus à Charleroi, avec embranchement sur la Sambre, en passant par Fosses. »

« Même demande des membres des conseils communaux de Sosoye et de Denée. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif au chemin de fer d'Athus vers Charleroi.


« Le sieur Hamarde, blessé de 1830 et garde champêtre auxiliaire de la commune de Genval, demande la pension qui est accordée aux décorés de la croix de Fer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La députation permanente du conseil provincial de la Flandre orientale demande une augmentation du crédit ordinaire ouvert au département de l'intérieur pour l'amélioration de la voirie vicinale et un crédit spécial extraordinaire pour solder les arriérés. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Le sieur Everhaerts demande la décoration créée par l'arrêté royal du 19 juillet 1867, pour récompenser les actes de courage, de dévouement et d'humanité. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Delesalle se plaint que le procureur général ne restitue pas à la section bruxelloise de l'association internationale des travailleurs les papiers saisis par son ordre. »

- Même renvoi.


« Le sieur Guyaux, ancien commis des accises, prie la Chambre de statuer sur sa pétition tendante à obtenir une pension et une indemnité pour les pertes qu'il a essuyées depuis qu'il a été révoqué de ses fonctions. »

- Même renvoi.


« Des membres de l'administration communale, des industriels, commerçants et agriculteurs à Biesmes présentent des observations sur le tracé à donner au chemin de fer projeté d'Athus vers Charleroi et demandent que le chemin de fer prenne naissance soit à Charleroi, soit à Châtelineau pour se diriger en ligne directe vers Athus. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif au chemin de fer d'Athus vers Charleroi.


« Les sieurs Cavenaile, président, et Francotte, faisant fonctions de secrétaire de l'Association charbonnière de la province de Namur, demandent que le chemin de fer à construire d'Athus par Givet se dirige sur Hastière, l'Entre-Sambre-et-Meuse et aboutisse au chemin de fer de l'Etat, à Tamines. »

- Même renvoi.


« Le sieur Raingo demande qu'à l'occasion du titre du code de commerce relatif aux Sociétés il soit apporté une modification à l'article 67 de ce code relatif au contrat de mariage entre époux dont l'un est commerçant. » '

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du titre du code de commerce relatif aux Sociétés.


« Le sieur Willems demande que les billets d'écrou ou autres documents de ce genre soient communiqués, en présence de témoins, aux personnes renfermées dans des établissements de santé et que leurs protestations soient consignées dans un livre spécial qui serait immédiatement transmis au juge de paix et au procureur du roi ; il prie en outre la Chambre d'ordonner que les accouchements auront lieu exclusivement par les soins de sage-femmes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs de Kroe, Van Hoeberge et autres propriétaires et habitants de Kiel demandent que le régime du polygone exceptionnel soit appliqué à leurs propriétés dans la mesure du possible et qu'une juste et équitable indemnité leur soit accordée pour leurs terres grevées de servitude. »

(page 20) M. Delaetµ. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux servitudes militaires.

- Adopté.


« Il est fait hommage à la Chambre :

« Par M. le ministre des finances, de 135 exemplaires du tableau général du commerce de la Belgique avec les pays étrangers pendant l'année 1871, publié par le département des finances ;

« Par le comité du congrès international des sciences géographiques, cosmographiques et commerciales à Anvers, d'un exemplaire du compte rendu du congrès ;

« Par M. le gouverneur de la province de Hainaut, de 124 exemplaires de la brochure et du tableau qui complètent le rapport annuel de la députation permanente sur la situation administrative de la province pendant l'année 1871. »

- Distribution aux membres de l'assemblée et dépôt à la bibliothèque.


« M. Ansiau, retenu par indisposition, et MM. de Briey, de Borchgrave et Vandensteen, pour affaires, demandent un congé. »

- Accordé.


« M. Léon Visart, dont les pouvoirs ont été validés dans une précédente séance, prête serment. »

Accueil de la députation chargée de complimenter le Roi et le comte de France

MpTµ. - Messieurs, la députation que vous aviez chargée de complimenter S. M. le Roi et S. A. R. Mgr le Comte de Flandre à l'occasion de la naissance des princesses Clémentine et Joséphine a rempli sa mission.

Elle a été reçue au palais samedi dernier. S. M. a daigné accueillir avec bienveillance et une satisfaction marquée les félicitations que nous lui avons adressées en votre nom. Elle nous a chargés de vous en remercier,


M. Descampsµ (pour une motion d’ordre). - Dans sa dernière séance, la Chambre a renvoyé à la commission des pétitions une requête de la chambre de commerce d'Arlon demandant que le gouvernement mette en vigueur un nouveau système de tarification pour le transport des petites marchandises par le chemin de fer de l'Etat.

Or, à la fin de la dernière session, la Chambre a renvoyé à la commission permanente de l'industrie une pétition semblable de la chambre de commerce de Bruxelles.

Je demande que la Chambre, revenant sur la décision qu'elle a prise dans sa dernière séance, veuille bien renvoyer également la pétition de la chambre de commerce d'Arlon à la commission permanente de l'industrie.

- Cette proposition est adoptée.


MpTµ. - Messieurs, vous aurez remarqué que le bulletin de convocation renferme une erreur.

L'ordre du jour a été fixé dans la séance du 14 novembre comme suit : En première ligne le code de commerce et en seconde ligne les servitudes militaires.

L'ordre du jour appelle donc la discussion du titre IX du code de commerce.

Projet de loi révisant le code de commerce (livre I. Titre IX : Des Sociétés)

Discussion générale

La discussion générale est ouverte.

M. Demeurµ. - Nous avons été convoqués pour discuter aujourd'hui en premier lieu le projet de loi relatif aux servitudes militaires et je pense que la plupart des membres de la Chambre ne se sont pas attendus, en présence de la convocation qu'ils avaient reçue, à discuter aujourd'hui le code de commerce.

J'ajouterai que les nombreux amendements qui ont été présentés par le gouvernement au titre des Sociétés, et qui devaient nous être communiqués à la fin de la dernière session, ne nous ont été distribués que la semaine dernière. Le rapport sur ces amendements ne nous a été distribué qu'hier soir. Or, hier soir, nous avons reçu, en même temps, la convocation annonçant que nous ne discuterions pas le code de commerce aujourd'hui.

Je ne veux pas m'opposer à cette discussion ; mais je dois dire qu'une discussion sur une matière aussi importante, dans de telles circonstances, me paraît ne devoir produire que peu de fruit.

MpTµ. - La Chambre a décidé positivement, sur la proposition de M. le ministre de la justice, que le code de commerce figurerait comme premier objet a l'ordre du jour de mardi. C'est par erreur, comme je l'ai dit tout à l'heure, que les bulletins de convocation ont porté en première ligne les servitudes militaires. M. Demeur fait-il une proposition d'ajournement ?

M. Demeurµ. - Non ! je ne m'oppose pas à la discussion.

MjdLµ. - Je demande à ajouter une observation à celle que vient de faire M. le président, relativement au règlement de l'ordre du jour.

L'honorable M. Demeur faisait remarquer tout à l'heure que le gouvernement avait déposé, au début de la session, seulement des amendements promis depuis longtemps. Cela est vrai, messieurs, mais ce n'est pas là un motif d'ajournement. Il était évident, dans le courant de la session dernière, que la Chambre ne pouvait pas songer à s'occuper de la discussion de nouveaux titres du code de commerce : son ordre du jour était trop chargé pour cela.

Le temps que le gouvernement a pris pendant les vacances pour compléter les amendements qu'il avait déposés antérieurement n'a pas été perdu ; et quant à cette circonstance que les amendements et le rapport auraient été déposés tardivement, je rappellerai que le même fait s'est déjà présenté. En 1868, au mois de novembre, les amendements du gouvernement, bien plus nombreux que ceux que j'ai déposés aujourd'hui, amendements qui s'appliquaient au code de commerce entier, ont été déposés à l'ouverture même de la séance dans laquelle la discussion a été commencée.

Cependant la Chambre n'a pas cru devoir s'arrêter devant ce fait, et la discussion a été entamée immédiatement.

J'ai cru devoir faire cette observation, pour qu'on ne fasse pas peser sur le gouvernement la responsabilité d'un ajournement dont il ne serait pas la cause.

- La discussion générale est close.

Projet de loi, amendé par le Sénat, révisant le code de commerce (livre I. Titres I à IV)

Rapport de la section centrale

M. Van Humbeeckµ. - Messieurs, les quatre premiers titres du code de commerce votés dans la session dernière et transmis au Sénat ont été votés par cette assemblée.

J'ai l'honneur de déposer le rapport sur les amendements introduits par le Sénat et de proposer à la Chambre de mettre cet objet à l'ordre du jour immédiatement après le titre des Sociétés, ces modifications ne pouvant donner lieu à de longues discussions et ne devant peut-être donner lieu à aucun débat.

- Le rapport sera imprimé et distribué et l'objet qu'il concerne mis à l'ordre du jour après le titre des Sociétés.

Projet de loi révisant le code de commerce (livre I. Titre IX : Des Sociétés)

Discussion des articles

Première section. Dispositions générales

Article 145

« Art. 145. Les sociétés commerciales sont celles qui ont pour objet des actes de commerce.

« Elles se règlent par les conventions des parties, par les lois particulières au commerce et par le droit civil. »

- Adopté.

Article 146

« Art. 146. La loi reconnaît quatre espèces de sociétés commerciales :

« La société en nom collectif ;

« La société en commandite ;

« La société anonyme ;

« La société coopérative.

« Chacune d'elles constitue une individualité juridique distincte de celle des associés. »

MpTµ. - La commission propose de rédiger cet article comme suit :

« La loi reconnaît cinq espèces de sociétés commerciales ;

« La société en nom collectif ;

« La société en commandite simple ;

« La société anonyme ;

« La société en commandite par actions ;

« La société coopérative.

« Chacune d'elles constitue une individualité juridique distincte de celle des associés. »

M. Demeurµ. - Messieurs, cet article renferme une innovation au code de commerce actuel. Il porte que les sociétés coopératives sont reconnues comme sociétés commerciales.

La section V du projet de loi détermine les règles qui seront applicables aux sociétés coopératives. Je demanderai à M. le ministre de la justice, je (page 21) demanderai aux membres de la commission chargée de l'examen de ce projet quelle est la portée de la disposition que nous allons voter, en ce qui concerne les sociétés coopératives.

On peut attribuer à cette disposition un double sens.

En reconnaissant les sociétés coopératives comme sociétés commerciales, elle peut vouloir dire que toute société constituée dans la forme prescrite par le projet de loi pour les sociétés coopératives sera commerciale. S'il en était ainsi, il faudrait effacer de nos lois la distinction entre les sociétés civiles et les sociétés commerciales.

En effet, ainsi que vous pouvez le voir dans l'article 214 du projet qui détermine dans quelles conditions les sociétés coopératives pourront être formées, il n'y a pas de sociétés, il n'y a pas d'entreprises qui ne puissent être constituées dans ces conditions.

Voici, en effet, ce que porte l'article 214 :

« Il peut être créé, sous le nom de sociétés coopératives, des sociétés dans lesquelles on aura la faculté de stipuler :

« 1° Que le nombre des associés et le capital social peuvent augmenter et diminuer dans les conditions prescrites au paragraphe 2 de la présente section ;

« 2° Que tout associé peut être exclu de la société dans les cas prévus par les statuts ;

« 3° Que les associés s'engagent solidairement ou divisément sur tout leur patrimoine ou jusqu'à concurrence d'une somme déterminée seulement ;

« 4° Que les gérants ou administrateurs ne s'engagent pas au delà de leur mise, quelle que soit l'étendue de la responsabilité des associés ;

« 5° Que la société sera constituée et pourra commencer ses opérations sans que les associés aient personnellement versé tout ou partie du capital. »

Ces dispositions, messieurs, peuvent être employées par les sociétés qui ont pour objet des actes de commerce, de même que par les sociétés de nature purement civile. L'article, d'ailleurs, indique les stipulations qui pourront être contenues dans l'acte constitutif de la société coopérative ; il n'impose pas l'obligation d'accepter telle ou telle stipulation.

Je le répète donc, s'il est vrai qu'une société, quel qu'en soit l'objet, sera réputée commerciale par cela seul que les associés auront adopté la forme de société coopérative, il n'y a plus de distinction dans nos lois entre la société civile et la société commerciale. (Interruption.) Aussi, me dit l'honorable M. Pirmez, telle n'est pas l'interprétation qui doit être donnée à l'article en discussion.

C'est précisément pour m'éclairer que je pose la question.

Voici la seconde interprétation possible : L'article veut-il dire qu’ne société ne sera coopérative, qu'une société coopérative ne pourra s'établir dans la forme prévue par le projet que pour autant qu'elle a pour objet des actes de commerce ? Veut-on dire : Nous autorisons les sociétés coopératives, nous les autorisons à se constituer dans certaines formes déterminées, mais pour autant que ces sociétés aient pour objet des actes de commerce ?

Si telle était l'interprétation à donner à l'article 146, je pense que les intentions des auteurs du projet ne seraient pas remplies ; je pense que la satisfaction que l'on a voulu donner à ceux qui se proposent de constituer des sociétés coopératives serait illusoire. En effet, messieurs, la société coopérative, de sa nature, a-t-elle pour objet des actes de commerce ?

Je ne prétends pas donner ici une définition de la société coopérative ; je préfère prendre un exemple ; voilà des personnes qui se réunissent pour acheter ensemble, ou par un mandataire, un gérant, des objets de consommation qu'elles se distribueront entre elles ; elles profiteront ainsi de l'achat fait en grand. C'est ce qu'on appelle la société coopérative de consommation.

Vous pouvez prendre aussi comme exemple les sociétés coopératives de crédit, très fréquentes surtout en Allemagne, où elles ont eu pour principal promoteur M. Schultze-Delitsch. Là vous avez des associés qui versent une certaine somme afin de se procurer un crédit mutuel.

Ces sociétés sont-elles des sociétés commerciales ? Je pense que non.

Il me semble impossible de dire qu'il y a là un acte de commerce. C'est même l'antipode d'un acte de commerce.

Ce sont des personnes qui se rendent des services mutuels.

Je sais que fréquemment et avec raison les sociétés coopératives font des opérations avec des tiers ; qu'à côté des ventes qu'elles font à leurs associés, elles en font à des tiers, avec intention de bénéficier ; qu'elles ouvrent des crédits à des tiers. Ce sont là des opérations accessoires qui par elles-mêmes sont commerciales, mais qui n'ont pas nécessairement pour résultat de rendre commerciale à tous égards la société qui s'y livre. Ce qui est certain, c'est que, tant que les sociétés coopératives restent dans les limites de la coopération, elles ne sont pas des sociétés commerciales.

On n'atteindra donc pas le but qu'on a eu en vue, en proposant les dispositions relatives aux sociétés coopératives, si on n'accorde à ces sociétés le bénéfice du projet de loi que pour autant qu'elles se rangent parmi les sociétés commerciales.

J'entendrai volontiers sur ce point les observations de M. le ministre de la justice ou celles d'un membre de la commission.

MjdLµ. - Messieurs, je pense que la combinaison des articles 145 et 146 renferme la réponse à la question qu'a posée l'honorable M. Demeur.

L'article 145 dit :

« Les sociétés commerciales sont celles qui ont pour objet des actes de commerce.

Et l'article 146 dit :

« La loi reconnaît quatre espèces de sociétés commerciales :

« La société en nom collectif ;

« La société en commandite ;

« La société anonyme ;

« « La société coopérative. »

C'est-à-dire, en d'autres termes, que la société coopérative est une société qui a pour objet des actes de commerce.

Au surplus, permettre la constitution de sociétés coopératives avec les facilités, les privilèges que la loi nouvelle accorde à ces associations sans exiger en même temps que leur objet soit limité aux actes de commerce, serait s'exposer à des inconvénients considérables, sans aucune utilité.

L'honorable membre vous a dit que certaines formes de sociétés coopératives seraient impossibles si les sociétés coopératives devaient nécessairement avoir pour objet des actes de commerce ; il vous a cité les sociétés de consommation, les sociétés de crédit.

Je pense que l'honorable membre ne s'est pas exactement rendu compte du fonctionnement de ces sociétés ; en effet, dans les sociétés coopératives de consommation, les associés font acquisition de marchandises en gros, mais ces acquisitions de marchandises, ils les font pour les revendre, soit aux associés seulement, soit aux associés et à des tiers. Mais quand bien même la revente ne pourrait être faite qu'aux associés, il y a toujours là une spéculation dont le bénéfice doit être ultérieurement réparti entre les associés.

Il n'en est pas autrement dans les sociétés de crédit, alors même qu'elles limitent leur action aux membres de la société, parce que là, encore une fois, le bénéfice des opérations de crédit, bien que celles-ci soient, limitées aux membres de la société, retourne aux associés et que l'opération en elle-même est une opération commerciale.

Il y a, du reste, indépendamment de l'obstacle qui résulte de la nature même des opérations auxquelles se livrent les associations coopératives, il y a dans les dispositions qui régissent ces sociétés un certain nombre de règles qui sont inconciliables avec les principes du code civil relativement aux sociétés. En effet, ce qui distingue les sociétés coopératives, c'est la mobilité du personnel, c'est la mobilité du capital ; or, cette double mobilité ne se concilie pas avec la disposition du code civil : la mobilité du personnel ; en effet, aux termes du code civil, les sociétés sont dissoutes par la mort de l'associé ; elles sont dissoutes également par la retraite de l'associé.

Quant à la mobilité du capital, on peut incontestablement subir des pertes dans une société civile, mais la retraite des mises ne serait pas possible sans modifier profondément la société elle-même, sans substituer à la société primitive une société nouvelle.

Je crois donc pouvoir dire, et je pense qu'à cet égard je serai d'accord avec l'honorable rapporteur de la commission, que les sociétés coopératives que le code autorise sont uniquement celles qui ont pour objet des actes de commerce.

Il faudrait craindre, en effet, si l'on allait plus loin, de voir des sociétés qui n'ont aucun but de spéculation, des sociétés civiles telles que les sociétés d'agrément, même les sociétés religieuses, prendre la forme de sociétés coopératives pour se soustraire aux règles ordinaires du droit. Or, ce que nous avons uniquement voulu favoriser, c'est ce mouvement coopératif qui se manifeste dans la classe ouvrière et qui a pour objet le développement de son bien-être en facilitant aux ouvriers certaines opérations commerciales auxquelles ne pourraient suffire les faibles ressources des individus.

(page 22) M. Pirmez, rapporteurµ. - L'honorable ministre de la justice vient de présenter exactement les observations que je comptais soumettre à la Chambre.

M. Demeurµ. - La solution que l'on vient de donner à la question n'est pas celle qui y a été donnée dans les pays que nous prenons comme modèles, lorsque nous adoptons les dispositions proposées en matière de sociétés coopératives. Ni en Angleterre, ni en Allemagne, ni en France on n'a formulé la réponse que viennent de donner M. le ministre de la justice et l'honorable rapporteur de la commission. En Angleterre, la loi spéciale qui autorise les sociétés coopératives n'exige pas que ces sociétés, pour acquérir des droits, pour se constituer sous une forme légale, soient des sociétés commerciales.

De même, la loi adoptée en Allemagne, en 1868, n'exige pas cette condition ; elle détermine, au contraire, l'objet précis de ces sociétés, et cet objet, comme je le démontrerai tout à l'heure, c'est par erreur que M. le ministre de la justice le considère comme étant de sa nature un acte de commerce.

De même encore, la loi française de 1867, en édictant les dispositions sur les sociétés qu'elle a qualifiées de sociétés à capital variable, n'a pas exigé qu'elles aient un caractère commercial. La loi de 1867 n'est pas intitulée : « Loi sur les sociétés commerciales. » Elle est intitulée : « Loi sur les sociétés. »

Je dois dire que je n'aurais rien à objecter aux observations de M. le ministre de la justice, si son point de départ était fondé. Il nous a dit : L'article 145 du projet ne reconnaît comme sociétés commerciales que les sociétés qui ont pour objet des actes de commerce. II suffit de lire l'article pour le constater. Mais M. le ministre a ajouté : Les sociétés coopératives, les sociétés de consommation, les sociétés de crédit, les sociétés de production établies sous la forme coopérative, font des actes de commerce. Elles font des actes de commerce en achetant des marchandises pour les revendre à leurs membres ; elles font des actes de commerce en recevant des sommes de leurs sociétaires pour les prêter à d'autres sociétaires.

Eh bien, il y a là une erreur évidente, du moins dans l'état actuel de notre législation relative aux actes de commerce.

Les dispositions qui devront définir les actes de commerce et qui font l'objet des articles 2 et 3 du projet de code, ne sont pas encore passées à l'état de loi.

Je dois donc, pour savoir ce qu'est un acte de commercé, me placer en face de la législation actuelle ; je puis aussi tenir compte du projet de code qui ne diffère guère, à ce point de vue, du code de commerce en vigueur ; et, je le demande, d'après nos lois, lorsqu'une société achète des objets destinés à la consommation de ses membres, reçoit, à cet effet, dé ses membres, une certaine somme, achète des marchandises en gros et les leur débite en détail, y a-t-il là une opération de commerce ? Non, messieurs.

Il n'y a pas là l'esprit de spéculation qui préside à tout acte commercial ; c'est une combinaison pour réaliser une économie sur des achats.

La question, messieurs, s'est présentée devant les tribunaux. Elle a été l'objet d'une décision récente, à propos d'une société coopérative, en France.

Je signalerai à M. le ministre de la justice un arrêt rendu par la cour de Bourges, le 19 janvier 1869.

Voici le sommaire de l'arrêt de la cour de Bourges :

« Ne peuvent être assimilées à des achats pour revendre ayant un caractère commercial, les opérations d'une association coopérative de consommation qui se borne à livrer à ses sociétaires les objets qu'elle a achetés pour eux, et qu'elle leur remet à des conditions convenues à l'avance dans l'intérêt exclusif des associés.

« En conséquence, les demandes en payement de marchandises, formées contre le gérant de pareilles associations, ne peuvent être portées devant la juridiction commerciale.

« ... Et il en est ainsi alors même que les statuts auraient prévu, pour en réglementer l'emploi, l'éventualité de certains bénéfices ; la fixation d'un prix de livraison supérieur au prix d'achat ne peut, en effet, retirer aux opérations de la société le caractère non commercial qui résulte de ce que cette société consomme elle-même les denrées qu'elle a achetées. » (Dalloz, année 1869, 2e partie, p. 133.)

Cette décision n'est que l'application des principes généraux du droit en matière d'actes de commerce. Je le répète donc, dans l'état actuel de la législation, les opérations normales des sociétés coopératives ne sont pas des opérations commerciales.

Cela n'a pas empêché, en France, en Allemagne, en Angleterre, de leur donner l'autorisation de se constituer sous une forme légale.

Il faut bien le reconnaître, dans l'état actuel des choses, il y a impossibilité légale pour ces sociétés de fonctionner, et c'est précisément parce qu'on a reconnu cette impossibilité que le projet de loi a été présenté.

J'ai relu le discours qui a été prononcé ici, en 1868, par l'honorable M. Couvreur. Que disait-il lorsqu'il a demandé l'introduction dans le projet de loi de dispositions permettant aux sociétés coopératives d'exister ? Il s'appuyait précisément sur ce que, dans l'état actuel de la législation en Belgique, les sociétés coopératives ne peuvent pas exister légalement.

En effet, il est évident que les artisans qui veulent s'associer pour acheter des matières qui doivent servir à leur industrie, les bottiers, par exemple, qui achètent du cuir, les tailleurs, qui achètent du drap et qui le confectionnent et qui vendent le produit de leur propre travail, ne font pas un acte de commerce.

Il en est ainsi et lorsqu'ils agissent isolément et lorsque, pour atteindre leur but, ils se réunissent en société.

Mais, messieurs, comment de pareilles sociétés pourraient-elles exister, fonctionner légalement et acquérir une certaine importance ? On vous l'a dit tout à l'heure ; elles n'ont pas d'individualité juridique, elles ne peuvent pas agir en justice si ce n'est au nom de tous leurs membres et on ne peut les poursuivre en justice qu'en agissant contre tous leurs membres,

De sorte que si une société coopérative compte deux ou trois cents associés, le jour où il s'agira, par exemple, d'exiger l'exécution du contrat social de la part d'un des associés, il faudra que les trois cents associés interviennent dans le procès ! Cela est-il possible ?

Et si vous voulez prendre la législation commerciale, aucune des formes de société qu'elle institue n'est applicable à la société coopérative. Ce ne sera pas la société en nom collectif, dans laquelle tous les associés sont nécessairement solidaires et pour laquelle la loi exige le dépôt au greffe d'un extrait de l'acte de société, qu'il faut renouveler chaque fois qu'il arrive un changement dans la société. Ainsi, si un membre sort de la société, il faut réunir tous les associés, constater par acte ce changement à l'acte primitif et déposer au greffe du tribunal de commerce un. extrait de l'acte modificatif, Il est évident qu'on ne peut penser à l'application d'une disposition de ce genre aux sociétés coopératives.

Les sociétés en commandite se présentent dans les mêmes conditions. Ces conditions sont peut-être moins onéreuses ici, parce qu'on peut émettre des actions au porteur. Mais l'émission d'actions au porteur ne se concilie pas avec la société coopérative, qui exige des relations personnelles entre les membres.

Bref, c'est précisément parce que la législation ne permettait pas à ces sociétés de fonctionner qu'en Allemagne, en France, en Angleterre, on a formulé des dispositions de loi spéciales ; et c'est là aussi, si je ne me trompe, la pensée qui a dicté le projet de loi.

Je sais que je touche ici à des questions brûlantes ; je sais qu'il y a là un problème difficile à résoudre. Mais je le dis à M. le ministre de la justice, s'il croit que son interprétation du projet de loi satisfera les promoteurs des sociétés coopératives, il se trompe complètement. Je le répète, la réponse qu'il m'a faite repose sur une erreur de droit flagrante ; elle consiste à dire que les sociétés coopératives de leur nature font des actes de commerce. S'il en était ainsi, je n'aurais rien à objecter, mais c'est là une erreur certaine.

M. Pirmez, rapporteurµ. - L'honorable M. Demeur fait la critique du projet ; mais son discours manque de conclusion. Je désirerais savoir ce que l'honorable membre propose d'y substituer. Il me paraît impossible d'apprécier une disposition autrement qu'en la comparant à un système contraire.

Je demanderai donc à l'honorable membre de préciser en formulant un amendement qui nous fasse connaître ce qu'il veut.

M. Demeurµ. - Je me suis remis à l'étude du projet depuis que le gouvernement a proposé ses amendements. On ne peut pas improviser en pareille matière ; je me réserve, dans le cours de la discussion, de faire une proposition sur ce point.

MjdLµ. - Messieurs, je ne crois pas avoir commis l'erreur de droit capitale que me reproche l'honorable M. Demeur. L'honorable membre veut bien admettre que si le principe d'où je pars est exact, les dispositions du projet peuvent être considérées comme efficaces et échappent à l'objection qu'il soulève.

Or, je persiste à penser et j’espère démontrer, malgré l'autorité de l'arrêt de Bourges, que les opérations que font et les sociétés coopératives de consommation, et les sociétés coopératives de crédit, et les sociétés coopératives de production, sont des opérations commerciales rentrant (page 23) dans la définition que donne l'article 2 du projet du code nouveau, comme déjà elles rentraient dans la définition que donne l'article 632 du code de commerce actuel.

L'un et l'autre réputent acte de commerce l'achat de marchandises ou denrées pour les revendre.

Prenons une société de consommation. La société achète des marchandises. Est-ce pour les consommer ou les partager ? Nullement. Elle acheté pour revendre. L'honorable membre ne le conteste pas dans le cas ou la société vend à des tiers. Il n'en est pas différemment lorsqu'elle vend à ses membres. Deux personnes sont en jeu ; d'une part la société qui achète, d'autre part les individus à qui elle vend.

Les acheteurs, pour être membres de société, n'en conservent pas moins leur individualité distincte. Ils ne s'identifient pas à la société elle-même, il y a donc véritablement achat pour revendre et partant acte de commerce dans cette opération qui, en même temps qu'elle assure aux associés la fidélité du débit et la pureté des marchandises, procure à l'être moral, à la société dont ils sont membres un bénéfice résultant de la différence entre le prix d'achat et le prix de vente.

Ce bénéfice, sans doute, sera ultérieurement partagé entre ces mêmes acheteurs ; mais ils y prendront leur part en une qualité juridique complètement différente. Les individus achètent, les associés partagent les bénéfices réalisés sur leurs achats.

il en est de même des sociétés de crédit, lorsque de l'argent a été mis en commun pour être prêté par la société, être moral, à des associés considérés, abstraction faite de cette qualité, comme personnes tierces, et qui ne viendront partager le bénéfice des opérations qu'en qualité d'associés.

Il est inutile de parler des sociétés de production. Là le doute ne peut même se présenter.

Le principe que j'avais posé demeure donc debout.

Le projet de loi, en exigeant que la société coopérative ait pour objet des actes de commerce, n'apporte d'entraves à aucune des manifestations de ce que l'on a appelé le mouvement coopératif,

M. Baraµ. - Messieurs, je reconnais avec l'honorable ministre de la justice que les observations présentées par l'honorable M. Demeur ne sont pas fondées.

L'honorable membre dit que le projet, tel qu'il est formulé aujourd'hui, ne répondra pas au désir de ceux qui ont voulu une loi sur les sociétés coopératives.

Messieurs, toutes les personnes qui se sont occupées de cette matière se sont demandé s'il fallait définir l'objet des sociétés coopératives, c'est-à-dire s'il fallait indiquer d'une manière limitative les affaires pour lesquelles on pourrait en former,

Eh bien, on a été unanimement d'avis qu'il ne fallait pas formuler de pareilles définitions, parce qu'on est exposé à oublier d'y comprendre des objets très importants.

On a vu en d'autres pays les conséquences fâcheuses d'une définition, on le sait, toujours périlleuse. On a empêché par là la naissance de sociétés coopératives ayant des objets utiles, mais non prévus par la loi,

On est donc convenu de ne pas définir l'objet des sociétés coopératives ; mais il est clair, d'un autre côté, que, dès qu'on créait la forme de la société coopérative, on ne pouvait en permettre l'application qu'à un objet commercial.

Telle a été la pensée du législateur ; il n'a pu permettre une forme aussi exceptionnelle qui expose à tant de dangers qu'à la condition de déclarer qu'on n'en ferait usage que dans un but commercial et que cette forme ne pouvait servir à couvrir, comme le disait M. le ministre de la justice des opérations de sociétés d'agrément, d'associations religieuses ou de sociétés de propriétaires,

Le législateur a voulu qu'il y eût un but commercial ; en un mot, il disait : « Nous offrons à tous les commerçants, quels qu'ils soient, la société en nom collectif, la société en commandite, la société anonyme, la société coopérative ; c'est un vêtement dont ils peuvent habiller leur commerce, mais il faut que l'objet de la société soit commercial.

Ce point établi, est-il vrai que nous avons placé les ouvriers belges dans l'impossibilité de former les sociétés coopératives qui leur sont utiles ? Je dois protester contre cette assertion.

M. Demeur nous dit : Vous allez exclure les sociétés de consommation, les unions de crédit mutuel parce que ces sociétés ne font pas le commerce. A cet effet, il a cité un arrêt de la cour de Bourges ; il faudrait voir l'espèce, mais, pour ma part, je crois que les sociétés de consommation et d'union de crédit, telles qu'elles sont organisées actuellement et qu'elles doivent. Être organisées dans l'intérêt des ouvriers, font des actes de commerce.

Quelles sont les différentes sociétés qui emprunteront la forma coopérative ? Les sociétés de consommation, de crédit et les sociétés de production. Voilà les principales.

Pour les sociétés de production, il n'y a pas l'ombre d'un doute. Si des ouvriers s'associent pour faire de la bâtisse, de la serrurerie, de la cordonnerie, il est évident qu'ils feront des opérations commerciales, et dès lors, ils constitueront une société commerciale. Mais M. Demeur s'arrête à deux genres de sociétés : les sociétés de consommation et les unions de crédit mutuel.

Eh bien, messieurs, vous allez voir qu'il y a dans ces sociétés acte de commerce. Je ferai d'abord remarquer à l'honorable membre que l'expérience a démontré que la plupart des sociétés de consommation, pour réussir, doivent vendre non pas seulement à leurs associés, mais encore à d'autres que leurs associés. C'est presque le seul moyen pour elles de vivre.

Les sociétés de consommation qui n'achètent que pour les associés n'ont qu'une existence précaire. En France, elles ont été obligées de vendre à des tiers, d'admettre tout le monde aux achats. C'est un grand avantage.

Mais supposons que le cas prévu par l'honorable M. Demeur se présente : qu'il y ait des sociétés de consommation où l'on ne puisse vendre qu'aux associés. Vous allez voir qu'il y a encore là acte de commerce. En effet est-ce que l'associé qui n'achète rien, ne vend pas ?

Vous faites partie, à 100 personnes, d'une société de consommation qui achète 1,000 kilogrammes de blé. Tous les associés ne sont pas obligés d'acheter.

L'associé qui n'a rien racheté des 1,000 kilogrammes dé blé ne vend-il pas ? Indubitablement oui.

Si tous les associés étaient obligés d'acheter une certaine quotité de blé, s'ils devaient procéder au partage de la marchandise achetée, ils en seraient copropriétaires, ils achèteraient pour leur consommation ; mais ils ne font pas cela ; ils s'associent pour faire un achat ensemble ; ils le revendent à quelques-uns d'entre eux.

L'associé qui achète est un tiers. La qualité d'associé ne change pas sa qualité de tiers acheteur, à telles enseignes que s'il ne payait pas, la société aurait une action contre lui, non comme associé, mais comme tiers, pour le forcer à payer.

Aussi, je présume que si là cour de Bourges avait eu à traiter le cas d'une société constituée par des associés non obligés d'acheter, mais vendant aux associés qui se présentent pour acheter, elle aurait décidé qu'il y a là acte de commerce.

Le code de commerce dit au surplus nettement que l'acte de commerce est le fait d'acheter pour vendre. Celui qui a acheté et qui vend ensuite, même à ses coassociés, fait donc acte de commerce.

Il en est de même dans les unions de crédit mutuel. Si je déposé de l'argent avec telles ou telles personnes dans une union de crédit, et si les autres escomptent, sans que j'escompte moi-même, je suis banquier. Je fais acte de commerce. Il est évident que mon argent va servir à l'escompte de mes coassociés sans me servir ; et que ces personnes font le commerce avec mon argent.

Nous avons donc démontré qu'à part les sociétés de consommation et les sociétés d'union de crédit mutuel où les sociétaires seraient obligés de prendre en nature et en escompte une part équivalente à leur intérêt social, toutes les autres sociétés font des actes de commerce.

Je reste convaincu qu'en matière de société coopérative, nous avons été aussi loin qu'aucun autre pays.

Nous n'avons gêné en rien la constitution de sociétés coopératives en limitant aux opérations commerciales les légitimes aspirations de l'ouvrier à se constituer en société pour satisfaire leurs intérêts.

Je crois, dès lors, messieurs, avoir démontré que le reproche adressé par l'honorable M. Demeur, en termes fort bienveillants d'ailleurs, à la législation actuelle, n'est pas fondé et je suis convaincu qu'il sera heureux comme moi de voir consacrer les principes que je viens de défendre.

M. Guilleryµ. - Il n'y aurait aucun avantage à prouver que la loi que nous avons déjà votée et qui est de nouveau soumise à vos délibérations est moins large que les lois étrangères.

Je prends la parole pour bien constater l'accord complet qu'il y a sur l'interprétation de la loi entre M. le ministre de la justice actuel, son honorable prédécesseur M. Bara et la commission à laquelle le projet a été soumis.

Nous avons tellement peu pensé à écarter les sociétés dont on a parlé qu'elles sont spécialement mentionnées dans le rapport de la commission comme la forme principale de la société coopérative, comme celles dont l'action paraît devoir se produire le plus moins immédiatement. Loin d'être (page 24) étendue que les législations étrangères, la loi actuelle, dit le rapport, est la plus libérale, la plus large de toutes.

Il n'est entré dans l'intention ni du gouvernement, ni de la commission, ni de la Chambre, d'apporter aucune restriction aux aspirations légitimes des sociétés ouvrières et le rapport s'en expliquait dans ce sens.

Il mentionne la loi fédérale du 4 juillet 1868 et la loi anglaise, qui toutes deux font l’énumération de ce que peut faire une société coopérative et il ajoute : Nous n'avons pas voulu d'énumération parce qu'elle est toujours restrictive.

Nous avons voulu donner les bases les plus larges à la société coopérative.

C'est dans ces termes, messieurs, que la loi a été votée.

Je suis convaincu que les personnes intéressées trouveront, à l'abri de cette loi, les moyens de constituer toutes les sociétés coopératives utiles.

M. Cornesseµ. - Messieurs, les observations de l'honorable M. Demeur me paraissent reposer sur une véritable confusion entre les personnes qui font partie de la société coopérative et la société elle-même.

La réponse aux observations de l'honorable membre se trouve dans le texte de l'article 146 qui dit que chacune des sociétés commerciales constitue une individualité juridique distincte de celle des associés.

M. Demeurµ. - La société, c'est l'être moral.

M. Cornesseµ. - La cour de Bourges dans l'arrêt cité par l'honorable M. Demeur, me paraît être tombée dans la même erreur, en refusant le caractère commercial aux sociétés coopératives de consommation, par la raison que c'est la société elle-même qui consommerait les denrées achetées. Ce n'est pas la société, être moral, qui consomme, mais bien les membres individuellement, de sorte que, même dans le cas où l'être moral achète pour revendre aux seuls associés, il peut parfaitement y avoir là un acte de commerce.

C'est pour confirmer les observations présentées par l'honorable ministre de la justice que je me suis permis de signaler l'erreur dans laquelle me paraît avoir versé l'honorable M. Demeur, dont les observations ne tendraient qu'à restreindre l'application des dispositions favorables de la loi aux sociétés coopératives.

M. Demeurµ. - Je suis charmé du résultat produit par mes observations.

Je désire que les sociétés coopératives de toute espèce, qui ont pour objet le crédit, l'achat de matières premières ou d'objets de consommation, etc., puissent se constituer légalement, alors même qu'elles ne font pas des actes de commerce dans le sens strict du mot.

Aussi je n'aurais rien à ajouter si l'opinion exprimée par certains membres pouvait prévaloir sur la loi elle-même et sur la jurisprudence.

Or, c'est la loi qui dit ce qu'est un acte de commerce ; c'est la loi qui dit ce qu'est une société commerciale. Jusqu'à présent, on n'a pas changé le code de commerce en ce qui touche les actes de commerce.

Je me réserve de faire en sorte que l'opinion qui vient d'être exprimée et qui est la mienne, soit consacrée par la loi, au moyen d'une extension aux dispositions relatives aux actes de commerce, ou au moyen d'une disposition analogue à celle relative aux sociétés minières. Les sociétés minières ne sont pas par elles-mêmes des sociétés commerciales : la loi sur les mines le dit expressément. Or, nous aurons à discuter une disposition spéciale qui les autorise à emprunter les formes des sociétés commerciales.

En présence des divergences d'opinion qui se produisent sur la nature civile ou commerciale des sociétés coopératives, il y aura à examiner s'il ne convient pas d'introduire, en ce qui concerne ces sociétés, une disposition analogue à celle qui est proposée relativement aux sociétés minières.

- L'article est adopté.

Article 147

« Art. 147. Il y a, en outre, des associations commerciales momentanées et des associations commerciales en participation, auxquelles la loi ne reconnaît aucune individualité juridique. »

- Adopté.

Article 148

« Art. 148. Les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite et les sociétés coopératives sont, à peine de nullité, formées par des actes spéciaux, publics ou sous signature privée en se conformant, dans ce dernier cas, à l'article 1325 du code civil. Il suffira de deux originaux pour les sociétés coopératives.

« Les sociétés anonymes sont, à peine, de nullité, formées par des actes publics.

« Toutefois, ces nullités ne peuvent être opposées aux tiers par les associés. »

MpTµ.- Le gouvernement propose la rédaction suivante :

« Les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple et les sociétés coopératives sont, à peine de nullité, formées par des actes spéciaux, publics ou sous signature privée, en se conformant, dans ce dernier cas, à l'article 1325 du code civil. Il suffira de deux originaux pour les sociétés coopératives.

« Les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions sont, à peine de nullité, formées par des actes publics.

« Toutefois, cette nullité ne peut être opposée aux tiers par les associés. »

M. Lelièvreµ. - Je désire obtenir une explication qui est de nature à prévenir toute difficulté.

Les sociétés dont nous nous occupons peuvent être formées par des actes sous seing privé, en se conformant à l'article 1325 du code civil.

Je demande si l'acte de société sous seing privé ayant été fait en double, mais sans que mention de cette circonstance soit énoncée dans l'acte, la nullité résultant du défaut d'énonciation sera couverte par l'exécution, comme il est édicté par l'article 1325 ci-dessus mentionné. Il s'agit de savoir si l'on doit aussi se référer à cette dernière disposition en ce qui concerne le mode de couvrir la nullité par l'exécution.

MjdLµ. - Messieurs, je pense que la question posée par l'honorable membre ne peut pas faire de doute, L'article 148 du code nouveau renvoie à l'article 1325 du code civil et non pas à tel ou tel paragraphe de cet article.

L'article 1325 paraît donc devoir être appliqué dans son entier. Cependant cette question mérite d'être examinée de plus près.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Il est excessivement difficile de répondre pour ainsi dire à brûle-pourpoint à une question très délicate.

Il ne faut pas perdre, de vue que la prescription de l'article qui nous occupe est d'une nature très différente de la prescription de l'article 1325 du code civil auquel il renvoie.

L'article 1325 ne concerne que la preuve, tandis qu'il s'agit ici d'une formalité substantielle.

Les mêmes formes sont donc prescrites d'un côté comme preuve de conventions qui existent indépendamment de tout acte et de l'autre comme une condition essentielle de leur existence.

La jurisprudence tirera les conséquences de ces principes.

- L'article, tel qu'il a été modifié par le gouvernement, est adopté.

Articles 149 et 150

« Art. 149. Les associations momentanées et les associations en participation peuvent être constatées par la représentation des livres, de la correspondance ou par la preuve testimoniale, si le tribunal juge qu'elle peut être admise. »

- Adopté.


« Art. 150. Les actes de société, en nom collectif et de société en commandite sont publiés, par extrait, aux frais des intéressés. »

Le gouvernement propose de rédiger l'article comme suit :

« Les actes de société en nom collectif et de société en commandite simple sont publiés, par extrait, aux frais des intéressés. »

- L'article, rédigé comme le propose le gouvernement, est adopté.

Article 151

« Art. 151. L'extrait contient :

« La désignation précise des associés solidaires ;

« La raison de commerce de la société ;

« La désignation des associés ayant la gestion et la signature sociale ;

« L'indication des apports faits et le montant des valeurs fournies ou à fournir en commandite ;

« La désignation précise des commanditaires qui doivent fournir des valeurs, avec l'indication des obligations de chacun ;

« L'époque où la société doit commencer et celle où elle doit finir. »

M. Demeurµ. - Je propose une légère modification à la rédaction du paragraphe 5 de cet article.

Ce paragraphe indique une des mentions que doit contenir l'extrait de l'acte social. Il porte : « L'indication des apports faits et le montant des valeurs fournies ou à fournir en commandite. » Je crois qu'il suffit de dire : « L'indication des valeurs fournies ou à fournir en commandite. »

Je me suis demandé quelle était la portée du changement apporté en ce point par le projet à l'article 43 du code actuel. Je n'ai pas bien compris pourquoi l'on distingue les valeurs fournies des apports.

Il est évident qu'il ne s'agit ici que des apports faits par les commanditaires ; il ne peut pas être question des apports faits par les associés en nom collectif, puisque tous les biens indistinctement de ces associés répondent des dettes sociales. Cependant, il semble, d'après la rédaction proposée, qu'il faille indiquer dans l'extrait tous les apports faits.

MjdLµ. - Je prierai la Chambre de réserver le vote de cet article jusqu'à la séance de demain. Il m'est (page 25) impossible de me rendre compte, à première vue, de l'effet que peut avoir cette modification.

M. Pirmez, rapporteurµ. - On pourrait voter l'article avec l'amendement, sauf à y revenir au second vote.

MjdLµ. - C'est cela.

- L'article est adopté avec l'amendement de M. Demeur.

Articles 152 et 153

« Art.152. L'extrait des actes de société est signé : pour les actes publics, par les notaires, et pour les actes sous seing privé, par tous les associés solidaires. »

- Adopté.


« Art. 153. Les actes de société anonyme et de société coopérative sont publiés en entier, aux frais des intéressés. »

MpTµ. - Le gouvernement, d'accord avec la commission, propose de rédiger l'article ainsi qu'il suit :

« Les actes de société anonyme, de société en commandite par actions et de société coopérative sont publiés en entier aux frais des intéressés. »

- Adopté.

Article 154

« Art. 154. Les actes ou extraits d'actes dont les articles précédents prescrivent la publication seront, dans la quinzaine de la date des actes définitifs, déposés en mains des fonctionnaires préposés à cet effet ; ils en donneront récépissé. La publication devra être faite dans les dix jours du dépôt, à peine de dommages-intérêts contre les fonctionnaires auxquels l'omission ou le retard serait imputable.

« La publication sera faite par la voie du Moniteur, sous forme d'annexes, qui seront adressées aux greffes des cours et tribunaux, où chacun pourra en prendre connaissance gratuitement et qui seront réunies dans un recueil spécial.

« Un arrêté royal indiquera les fonctionnaires qui recevront les actes ou extraits d'actes et déterminera la forme et les conditions du dépôt et de la publication. »

La commission propose d'ajouter à l'article 154 la disposition suivante :

« La publication ne sera censée faite que le cinquième jour après la date de l'insertion au Moniteur. »

MjdLµ. - Je me rallie en principe à l'amendement de la commission ; toutefois, je proposerai de le rédiger de la manière suivante :

« La publication n'aura d'effet que le cinquième jour après la date de l'insertion au Moniteur. »

M. Pirmez, rapporteurµ. - Messieurs, le texte proposé par la commission déclare que la publication est censée faite cinq jours après l'insertion au Moniteur.

En créant cette fiction, on a voulu bien préciser que la publication n'existe pas avant l'expiration du délai et qu'ainsi, lorsque d'autres articles parlent de faits antérieurs à la publication, ils se réfèrent au jour de l'expiration du délai.

Il doit être bien entendu, en adoptant l'amendement de M. le ministre de la justice, que l'article conserve cette portée et que si l'on parle, par exemple, des engagements existants avant la publication, il s'agira des engagements existants avant le cinquième jour après la publication.

Cela bien précisé, je me rallie à l'amendement de M. le ministre de la justice.

MjdLµ. - C'est ainsi que je l'entends.

- L'article 154, avec le paragraphe proposé par la commission et l'amendement de M. le ministre de la justice, est adopté.

Article 155

« Art. 155. Si le dépôt n'est pas fait dans le délai prescrit par l'article précédent, la publication des actes ou extraits d'actes sera soumise à un droit spécial d'enregistrement, qui sera d'un pour mille du capital social, mais sans qu'il puisse être moindre de 200 francs, ni supérieur à 8,000 francs.

« Ce droit sera exigible sur l'enregistrement de la publication tardive, qui sera opéré d'office ; il sera dû solidairement par les notaires, quant aux actes publics, et par les associés solidaires, quant aux actes sous seing privé.

« Toute action intentée par une société dont l'acte constitutif n'aura pas été publié conformément aux articles précédents sera non recevable. Les associés ne pourront se prévaloir des actes de société à l'égard des tiers qui auront traité avant la publication ; mais le défaut de publication ne pourra être opposé aux tiers par les associés. »

- Adopté.

Article 156

« Art. 156. Toute continuation de société après son terme, toute dissolution volontaire avant le terme convenu, tout changement ou retrait d'associés dans les sociétés en nom collectif et dans les sociétés en commandite, toute modification aux dispositions dont la loi prescrit la publicité et enfin la détermination du mode de liquidation sont constatés par des actes de même nature que les actes requis pour la constitution de la société.

« Ces actes doivent recevoir la publicité indiquée par les articles précédents, à peine de ne pouvoir être opposés aux tiers, qui néanmoins pourront s'en prévaloir.»

MpTµ. - Le gouvernement propose de rédiger cet article de la manière suivante :

« Toute continuation de société après son terme, toute dissolution volontaire avant le terme convenu, tout changement ou retraite d'associés dans les sociétés en nom collectif et dans les sociétés en commandite, à moins qu'il ne s'agisse de commanditaires dont les actions sont complètement libérées, toute modification aux dispositions dont la loi prescrit la publicité, et enfin, la détermination du mode de liquidation, sont constatés par des actes de même nature que les actes requis pour la constitution de la société.

« Ces actes doivent recevoir la publicité indiquée par les articles précédents, à peine de ne pouvoir être opposés aux tiers, qui néanmoins pourront s'en prévaloir. »

De son côté, la commission propose de dire :

« Toute continuation de société après son terme, toute dissolution volontaire avant le terme convenu, dans les sociétés en nom collectif et dans les sociétés en commandite simple ou par actions, tout changement ou retraite d'associés autres que les commanditaires complètement libérés ou les actionnaires ; toute modification aux dispositions dont la loi prescrit la publicité, et, enfin, la détermination du mode de liquidation, sont constatés par des actes de même nature que les actes requis pour la constitution de la société.

« Ces actes doivent recevoir la publicité indiquée par les articles précédents, à peine de ne pouvoir être opposés aux tiers, qui néanmoins pourront s'en prévaloir. »

M. Demeurµ. - L'amendement que j'ai l'honneur de présenter doit singulièrement simplifier la rédaction qui vous est proposée.

L'article 156 porte : « Toute continuation de société après son terme, » c'est là un changement à une disposition de l'acte de société dont la loi prescrit la publicité. « Toute dissolution volontaire avant le terme convenu. » C'est encore là un changement de même nature à l'acte de société. « Tout changement ou retraite d'associés, » c'est encore là un changement à l'acte de société, dans une des dispositions rendues publiques.

Enfin, l'article porte que toute modification aux dispositions dont la loi prescrit la publicité doit être publiée, etc. Puisque la rédaction qui précède ne mentionne que des changements dont la loi prescrit la publicité, il est plus simple de dire :

« Toute modification aux dispositions dont la loi prescrit la publicité et le mode de liquidation seront constatés et publiés dans la forme prescrite par les articles précédents, à peine de ne pouvoir être opposée aux tiers qui néanmoins pourront s'en prévaloir. »

M. Pirmez, rapporteurµ. - Je crois que l'amendement de l'honorable M. Demeur peut être adopté.

Je l'avais moi-même indiqué au sein de la commission, Si l'on a maintenu le texte actuel, c'est par respect pour ce qui se trouve dans le code de 1810.

Il est incontestable que l'énumération qui vient au commencement de l'article est tout à fait inutile puisque à la fin de l'article on a une règle générale qui comprend tous les cas.

Il est toutefois absolument nécessaire de maintenir les mots : « ainsi que le mode de liquidation des sociétés », car l'organisation de la liquidation n'est pas une modification au contrat de société : c'est un complément destiné à régir ce qui reste de l'être social après sa mort.

Je dois faire remarquer qu'une disposition postérieure du projet, celle de l'article 183, si je ne me trompe, permet de publier par un autre mode les changements d'actionnaires qui se font dans la commandite par actions et dans les sociétés anonymes. Mais il est évident qu'en rapprochant les deux articles, on comprend parfaitement que l'article 183 déroge, en ce qui concerne ces actionnaires, à ce qui se trouve dans l'article 156.

Mon observation n'a d'autre objet que de préciser en les rapprochant, la portée de dispositions qui me semblent parfaitement claires par elles-mêmes.

M. Lelièvreµ. - Il doit être bien entendu que le paragraphe premier de l'article 156, prescrivant que toute continuation de société et les autres actes qu'il (page 26) spécifie soient constatés par des documents de même nature que les actes requis pour la constitution de la société, c'est évidemment sous la peine édictée par l'article 148. En conséquence, il y aurait nullité entre associés, mais cette nullité ne peut être opposée aux tiers par les mêmes associés.

Il me semble qu'il y a corrélation entre les articles 148 et 150 et qu'en exigeant des actes de même nature, l'on se réfère aux mêmes conséquences en cas d'inobservation des formalités et par conséquent aux mêmes pénalités.

MjdLµ. - La sanction de l'article se trouve dans l'article même. Les actes doivent être publiée à peine de ne pouvoir être opposés aux tiers qui, néanmoins, pourront s'en prévaloir. Il n'y a pas d'autre peine pour le défaut de publication, bien entendu ; la nullité dont parle l'honorable M. Lelièvre n'est pas inscrite dans cet article ; elle ne concerne que la publication ordinaire.

M. Pirmez, rapporteurµ. - Il est certain qu'à première vue, il semble qu'il faille conclure de ce que la loi oblige aux mêmes actes à l'identité de sanction pour l'omission de ces actes.

Cependant, avant de me prononcer, je voudrais pouvoir réfléchir à cette question.

Mon doute vient de ceci : la loi veut qu'il y ait un contrat régulier de société et cela à peine de nullité par une raison spéciale.

Cette raison est que pour qu’une société marche sans trop de difficultés, il est important qu’elle ait une charte régulière d'établissement et qu'il ne faut pas que l'on s'engage dans des rapports aussi multiples que les liens sociaux par quelques mots de correspondance.

Il est certain qu'il n'y a pas absolument identité de motif pour exiger un acte spécial, quand il s'agit d'une simple modification de contrat, de la retraite d'un associé ou d'une dissolution de société.

On peut donc concevoir certains doutes sur le point de savoir si la loi, en exigeant qu'il y ait un contrat de même nature pour la modification que pour le contrat même, prononce la nullité entre les associés, ou si toute la sanction consiste dans la non-opposabilité au tiers d'un contrat qui ne pourrait être régulièrement publié, faute d'exister en la forme légale.

On pourrait examiner ce point de manière à le résoudre mieux que par une réponse improvisée.

M. Baraµ. - Je fais mes réserves à cet égard. La loi dit que ces modifications sont constatées par des actes de même nature.

S'il ne s'agissait pas des mêmes actes prescrits pour la constitution de la société, cet article serait inutile.

Je crois que tout ce qui touche au contrat de société doit être fait par acte authentique où par acte sous seing privé et non par une simple correspondance qui serait sans valeur même pour les associés.

MpTµ. - Voici la rédaction de l'article 156, telle qu'elle est proposée par M. Demeur :

« Toute modification aux dispositions dont là loi prescrit la publicité, et la détermination du mode de liquidation, seront constatées et publiées dans la forme prescrite par les articles précédents, à peine de ne pouvoir être opposées aux tiers, qui néanmoins pourront s'en prévaloir. »

- L'amendement est appuyé. Il fait partie de la discussion,

M. Baraµ. - Que nous ne soyons pas d'accord, cela importe peu. Nous n'avons pas l'intention de dicter la jurisprudence du code dé commerce.

Nous ne sommes pas un bureau de consultation.

Une question a été soulevée par l'honorable M. Lelièvre. L'honorable M. Pirmez a émis un doute, j'ai émis l'opinion formelle qu'il fallait un acte pour faire à un contrat de société les modifications prévues par l'article en discussion. Je crois que la jurisprudence est conforme à mon opinion.

Mais si mon honorable ami, M. Pirmez, veut de nouveau l'examiner en commission, il pourra, lors du second vote, nous faire part de ses recherches.

- L'amendement de M. Demeur est adopté ; il formera l'article 156.

Article 157

« Art. 157. Les associations commerciales momentanées et les associations commerciales en participation ne sont pas sujettes aux formalités prescrites pour les autres sociétés. »

- Adopté.

Section II. Des sociétés en nom collectif

Article 158

« Art. 158. La société en nom collectif est celle que contractent deux personnes ou un plus grand nombre et qui a pour objet le commerce sous une raison sociale. »

MjdL.-- Il y a une erreur d’impression dans le projet.

L'article dit : « La société en nom collectif est celle que contractent deux personnes ou un plus grand nombre et qui à pour objet le commerce sous une raison sociale » ; il faut lire : « et qui a pour objet de faire le commerce sous une raison sociale. »

C'est l'article du code de commerce actuel dont on a repris simplement la rédaction.

- L'article est adopté.

Article 159

« Art. 159, Les noms des associés peuvent seuls faire partie de la raison sociale. »

- Adopté.

Article 160

« Art. 160. Les associés en nom collectif sont solidaires pour tous les engagements de la société, encore qu'un seul des associés ait signé, pourvu que ce soit sous la raison sociale ; néanmoins, les jugements rendus contre les associés ne pourront être exécutés que par les créanciers qui auront obtenu une condamnation contre la société. »

M. Demeurµ. - Messieurs, je ne puis pas comprendre la signification du dernier membre de phrase de cet article qui a été ajouté à l'article 22 du code de commerce en vigueur.

L'article 160 porte que « les sociétés en nom collectif sont solidaires pour tous les engagements de la société, encore qu'un seul des associés ait signé, pourvu que ce soit sous la raison sociale. »

Voilà le texte du code. Ici on ajoute : « Néanmoins les jugements rendus contre les associés ne pourront être exécutés que par les créanciers qui auront obtenu une condamnation contre la société. »

Je demande quel est le sens de cette disposition : « les jugements rendus ne pourront être exécutés que par les créanciers qui auront obtenu une condamnation contre la société » ?

Ne pourront être exécutés, contre qui ? Est-ce contre les associés qui étaient parties dans l'instance jugée et qui ont été condamnés ? Cela n'est pas possible.

Si un jugement a été rendu contre des associés, on ne peut pas exiger, pour l'exécution de ce jugement contre ces associés, que celui qui a obtenu le jugement aille ensuite, et avant de l'exécuter, faire un procès à la société.

Il y a un jugement rendu contre des associés ; il est exécutoire contre eux. Avant le jugement, ces associés auraient pu dire : Il s'agit d'une obligation sociale ; adressez-vous d'abord à la société. Je comprendrais qu'on les autorisât à tenir ce langage, ce ne serait là que la confirmation de la jurisprudence. En effet, d'après la jurisprudence, l'associé en nom collectif ne peut pas être poursuivi par le créancier de la société, avant que celui-ci ait obtenu un jugement contre la société. Si c'est là ce que l'on veut, il faut le dire ; mais ce n'est pas là ce que porte l'article.

L'article veut-il dire que le jugement ne pourra pas être exécuté contre l'associé qui n'était pas en cause, contre lequel il n'a pas été rendu ? Mais cela va de soi ; il n'est pas nécessaire de le dire.

L'article veut-il dire que les jugements rendus contre la société ne pourront être exécutés contre la société avant que celle-ci ne soit elle-même condamnée ?

Cela est trop évident pour qu'on le dise dans la loi.

Voilà trois sens que je donne à la disposition et aucun d'eux ne me paraît admissible.

M. Baraµ. - Les associés en nom collectif sont solidairement et indéfiniment responsables. Les lois peuvent attaquer non seulement la société, mais aussi les associés. On pouvait dire au créancier et ce que dit le code actuel : Vous actionnerez d'abord la société et ce n'est qu'après avoir obtenu un jugement contre la société ou que vous l'aurez mis en cause que vous pourrez actionner les associés.

On ne l'a pas fait, on a dit : Vous pouvez prendre jugement contre les associés, mais pour pouvoir exécuter vôtre jugement contre l'associé, il faut que vous ayez obtenu une condamnation contre la société ; tant que vous n'aurez pas pris ce jugement, votre titre ne sera pas exécutoire.

C'est une garantie très grande pour l'associé : l'associé né sera pas tourmenté avant qu'il ne soit bien constaté que la société est responsable au même titre que lui.

C'est une garantie pour les associés. (Interruption.) La loi vous permet de faire condamner personnellement en nom collectif ; les associés sont personnellement responsables.

M. Boulengerµ. - A mon avis, le texte de l'article 160 est insuffisant ; il devrait être ainsi rédigé : Néanmoins, les jugement rendus contre (page 27) les associés ne pourront être exécutés que par les créanciers qui auront obtenu la même condamnation contre la société.

Le jugement qui condamnera la société peut être différent du jugement (qui a condamné les associés, la raison en est fort simple ; les associés individuellement peuvent avoir omis ou négligé de faire valoir des exceptions que fera valoir la société avec plein succès, et dans ce cas qu'arrivera-t-il ? Le premier jugement sera-t-il énervé ipso facto par ce second jugement, ou bien continuera-t-il à valoir, et quoique le second jugement diffère de la condamnation prononcée par le premier jugement, sera-t-il ou ne sera-t-il plus exécutoire ?

A mon avis, la modification de rédaction que je propose éviterait toute discussion à ce sujet.

M. Baraµ. - L'observation de l'honorable M. Boulenger ne me paraît pas fondée ; car de quel jugement s'agit-il dans l'article que nous discutons ? Du jugement prononcé contre les associés, à raison d'actes posés en leur qualité d'associés.

S'ils sont sortis de leurs droits, il ne faut pas de jugement contre la société. Ce sont des actes personnels aux associés.

Dans la société en nom collectif, l'associé est obligé au même titre que la société. Dès lors, dans l'article en discussion il ne peut s'agir que des jugements pris pour des actes qui obligent la société tout entière.

Si maintenant la société n'est pas obligée, c'est un acte personnel à l'associé.

Je crois donc qu'il est inutile qu'on ajoute le mot même parce que cela ressort de l'essence de la société en nom collectif.

M. Demeurµ. - Je demande le renvoi de l’article à la commission.

Il me paraît impossible de dire qu'une personne qui s'est laissée condamner personnellement puisse exiger qu'avant d'exécuter le jugement obtenu contre elle, on obtienne un jugement contre la société dont elle fait partie. Je comprends qu'au début de l'instance l'associé poursuivi réponde : Il s'agit d'une dette sociale, assignez la société.

C'est avec raison que la jurisprudence même, en l'absence d'une disposition de loi spéciale, décide que l'associé solidaire ne peut être poursuivi en payement d'une dette sociale avant que la société elle-même ait été condamnée. Mais autoriser l'associé à prétendre que, le jugement rendu, le créancier ne pourra pas l'exécuter avant d'avoir obtenu un jugement contre la société, cela me paraît inadmissible.

J'insiste donc pour le renvoi de l'article à la commission.

M. Baraµ. - Je demande la parole.

M. Lelièvreµ. - En ce qui me concerne, je pense également qu'il faut renvoyer l'examen de l'article à la commission. En effet, à mon avis, si le créancier a obtenu un jugement contre les associés, il est impossible de subordonner l'exécution de ce jugement à une nouvelle action à exercer contre la société. En effet, l'associé condamné ne figurera pas dans cette deuxième instance. Il est donc impossible qu'on lui oppose le second jugement qui lui sera étranger, encore moins qu'on subordonne un premier jugement au résultat d'une action nouvelle contre la société. Quant à moi, je pense que celui qui a obtenu un jugement contre les associés doit avoir le droit de le mettre à exécution et que la condition qu'on veut lui imposer par notre article est inadmissible.

En tous cas, si l'on veut maintenir cette condition, il est préférable d'énoncer que le créancier devra non seulement assigner les associés, mais mettre en cause la société elle-même, afin que la contestation soit terminée vis-à-vis de tous par un seul et même jugement. Mais subordonner l'exécution d'une décision obtenue irrévocablement au résultat d'une action contre la société, action à laquelle l'associé restera étranger, c'est méconnaître les principes du droit et confondre toutes les règles de la matière.

M. Baraµ. - Je ne m'oppose pas au renvoi de l'article, mais je tiens à exposer les principes qui ont présidé à la rédaction de l'article et que méconnaissent les honorables membres pour faciliter le travail de la commission.

Les honorables membres s'imaginent qu'on doit pouvoir toujours actionner de suite l'associé. C'est inexact ; le législateur pouvait, et c'est ce qui existe aujourd'hui, empêcher d'actionner immédiatement l'associé et forcer à actionner d'abord la société, mais le législateur ne l'a pas voulu. Il a dit : Vous pourrez actionner en même temps la société et les associés, mais vous n'exécuterez pas l'associé avant d'avoir obtenu un jugement contre la société.

Nous pouvons dire dans la loi : Attaquez-vous d'abord à l'être moral, puis aux membres de cet être moral. Mais le projet voté permet d'actionner l'associé sans mettre en cause la société, mais le jugement ainsi obtenu ne sera exécutoire que lorsqu'on aura pris jugement contre la société. L'honorable M. Demeur dit : On a laissé prendre un jugement contre l'associé et quand on a eut l'exécuter il ne peut plus l'exécuter, cela ne doit pas être.

Pourquoi cela ne serait-il pas si c'est en vertu d'une décision formelle inscrite dans la loi pour sauvegarder l'intérêt de l'associé ?

Cela peut avoir pratiquement une grande importance.

Je suppose une société insolvable et un seul associé solvable. Je n'irai pas attaquer la société ; je m'en prendrai à l'associé qui est solvable. Cet associé me dira : « Ne faites pas de procès à la société ; nous allons discuter ensemble. Nous ferons le procès, et si je le perds, je payerai. » Je ne suis plus obligé alors d'actionner la société ?

- Le renvoi à la commission est ordonné.

Section III. Des sociétés en commandite

MpTµ. - La commission propose d'ajouter le mot « simple » au mot « commandite ».

- Adopté.

Articles 161 à 164

« Art. 161. La société en commandite est celle que contractent un ou plusieurs associés responsables et solidaires que l'on nomme commandités, et un ou plusieurs associés simples bailleurs de fonds, que l'on nomme commanditaires. »

MpTµ. - La commission propose également d'ajouter ici le mot « simple ».

- L'article ainsi rédigé est adopté.


« Art. 162. La raison sociale comprend nécessairement le nom d'un ou de plusieurs associés commandités.

« Le nom d'un associé commanditaire ne peut faire partie de la raison sociale. »

- Adopté.


« Art. 163. Lorsqu'il y a plusieurs associés indéfiniment responsables, la société est en nom collectif à leur égard, et en commandite à l'égard des simples bailleurs de fonds. »

- Adopté.


« Art. 164. L'associé commanditaire n'est passible des dettes et pertes de la société que jusqu'à concurrence des fonds qu'il a promis d'y apporter.

« Il peut être contraint par les tiers à rapporter les intérêts et les dividendes qu'il a reçus, s'ils n'ont pas été prélevés sur les bénéfices réels de la société, et, dans ce cas, s'il y fraude, mauvaise foi ou négligence grave de la part du gérant ou des membres du conseil de surveillance, le commanditaire pourra les poursuivre en payement de ce qu'il aura dû restituer. »

- Adopté.

Article 165

« Art. 165. L'associé commanditaire ne peut, même en vertu de procuration, faire aucun acte de gestion, c'est-à-dire représenter la société dans ses rapports avec les tiers. »

(Amendement du gouvernement.)

« L'associé commanditaire ne peut, même en vertu de procuration, faire aucun acte de gestion.

« Les actes de contrôle et de surveillance, ainsi que les avis et conseils n'engagent pas l'associé commanditaire. »

(Amendement de la commission.)

« L'associé commanditaire ne peut, même en vertu de procuration, faire aucun acte de gestion.

« Les avis et les conseils, les actes de contrôle et de surveillance et les autorisations données aux gérants, les actes qui sortent de leurs pouvoirs, n'engagent pas l'associé commanditaire. »

MjdLµ. - Je me rallie à cet amendement.

- La rédaction proposée par la commission est adoptée.

Article 166

(page 28) « Art. 166. L'associé commanditaire est solidairement tenu, a l'égard des tiers, de tous les engagements de la société auxquels il aurait participé en contravention à la prohibition de l'article précédent.

« Il est tenu solidairement à l'égard des tiers, même des engagements auxquels il n'aurait pas participé, s'il a habituellement géré les affaires de la société, ou si son nom fait partie de la raison sociale. »

- Adopté.

Article 167

« Art. 167. Lorsque le capital est divisé en actions nominatives, la propriété de l'action s'établit et la cession s'opère conformément à l'article 179.

« Lorsque le capital est divisé en actions au porteur, la société est soumise aux règles prescrites pour les sociétés anonymes, quant à la constitution de la société, aux actions, au conseil de surveillance, aux inventaires et aux bilans, aux assemblées générales tenues pour l'approbation des bilans et aux publications qui les suivent. »

MpTµ. - Le gouvernement propose la rédaction suivante :

« Lorsque le capital est divisé en actions, la société est soumise aux règles prescrites par les sociétés anonymes, quant à la constitution de la société et à sa durée, aux actions et à leur transmission, au conseil de surveillance, aux inventaires et aux bilans, aux indications à faire dans les actes, à l'émission des obligations, aux assemblées générales tenues pour l'approbation des bilans et aux publications qui les suivent. »

La commission propose de dire :

« La cession des parts ou intérêts que le contrat autorise ne peut être faite que d'après les formes du droit civil ; elle ne peut avoir d'effet quant aux engagements de la société antérieurs à sa publication. »

M. Pirmez, rapporteurµ. - D'après la proposition de la commission, l'article 107 se compose uniquement du texte contenu dans le rapport et dont M. le président vient de faire la lecture.

Tout ce qui concerne les sociétés en commandite par actions est rejeté dans un titre spécial qui vient après les sociétés anonymes.

MpTµ. - M. le ministre se rallie-t-il à la proposition de la commission ?

MjdLµ. - Oui, M. le président.

- L'article 167, tel qu'il est proposé par la commission, est adopté.

Section IV. Des sociétés anonymes

Paragraphe premier. De la nature et de la qualification des sociétés anonymes

Articles 168 à 170

« Art. 168. La société anonyme est celle dans laquelle les associés n'engagent qu'une mise déterminée. »

- Adopté.


« Art. 169. Elle n'existe point sous une raison sociale ; elle n'est désignée par le nom d'aucun des associés. »

- Adopté.


« Art. 170. La société anonyme est qualifiée par une dénomination particulière ou par la désignation de l'objet de son entreprise.

« Cette dénomination ou désignation doit être différente de celle de toute autre société.

« Si elle est identique, ou si sa ressemblance peut induire en erreur, tout intéressé peut la faire modifier et réclamer des dommages-intérêts, s'il y a lieu. »

- Adopté.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.