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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 1 mai 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 971) M. Wouters fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Borchgrave lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des négociants et industriels à Châelet demandent que le gouvernement mette en vigueur, pour la fixation du prix de transport des petites marchandises à effectuer par le chemin de fer de l'Etat, le tarif préconisé dans une brochure intitulée : Nouveau système de tarification des marchandises transportées par chemin de fer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Cruybeke prie la Chambre d'accorder au sieur Dincq la concession d'un chemin de fer de Sottegem à Anvers par la vallée de l'Escaut et le pays de Waes. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Gérouville demande un service de voiture entre Virton et Bouillon par Gérouville et la création d'un bureau de postes dans cette dernière commune. »

- Même renvoi.


« Le sieur Laevens demande un congé de trois mois pour le sieur Joseph Reynaert, soldat au 2ème régiment de ligne. »

- Même renvoi.


« Le bourgmestre de Florenville prie la Chambre de statuer sur la pétition de la dame Caré, veuve d'un ancien capitaine, tendante à obtenir une pension ou du moins un secours annuel. »

- Même renvoi.


« M. Royer de Behr, retenu par indisposition, demande un congé d'un jour. »

- Accordé.


M. le président procède au tirage au sort des sections de mai.

Projet d loi autorisant des raccordements de chemins de fer

Dépôt

MtpM, présente un projet de loi autorisant deux raccordements de chemin de fer, l'un de Comines vers Lille, l'autre de Menin vers Tourcoing.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoie à l'examen de la section centrale du budget des travaux publics.

Projet de loi accordant un subside pour l’endiguement du Zwyn

Rapport de la section centrale

M. Beeckman dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi accordant un subside de 220,000 francs pour l'endiguement du Zwyn.

M. le président. - M. le ministre des finances a déposé sur le bureau la liste des personnes qui composent les comptoirs de la Banque Nationale.

Projet de loi prorogeant la durée de la Banque Nationale

Discussion générale

(page 982) M. Pirmez, rapporteur. - Messieurs, les observations que j'ai présentées hier à la Chambre avaient trait au rôle économique de la Banque, à la détermination des moyens qu'elle doit employer pour produire les meilleurs résultats.

J'ai traité des questions qui ont été souvent débattues et dont la plupart peuvent se présenter dans tous les pays.

J'aborde maintenant l'examen des rapports qui doivent exister entre la Banque et l'Etat et spécialement la question de savoir quelle doit être la part de l'Etat dans les bénéfices réalisés par la Banque ?

J'ai donc à discuter les conditions d'un véritable contrat.

Je ne dirai rien des avantages administratifs que l'Etat retire de la Banque ; j'ai indiqué ces avantages dans le rapport de la section centrale et personne jusqu'à maintenant n'a contesté les grands résultats qui ont été obtenus par l'organisation financière dont la Banque est le pivot.

Je me borne donc à l'examen de la question de savoir quelle somme l'Etat doit recevoir pour le concours qu'il prête à la Banque.

Je dois dire que cette question est d'une nature très délicate. Nous sommes chargés de veiller aux intérêts du trésor et en même temps appelés à statuer sur les intérêts des tiers en rapport avec le trésor. Nous sommes donc ainsi juge et partie. Notre devoir est d'apporter dans cette matière toute la sollicitude que réclament de notre part les ressources de l'Etat et des sentiments de scrupuleux respect pour tout ce que commandent le droit et l'équité.

La question est compliquée, parce que l'Etat perçoit de la Banque des bénéfices sous des formes très variées ; je vais chercher à la rendre aussi claire que possible.

D'abord, je crois qu'il faut déblayer le terrain de deux idées contraires qui ne me paraissent pas justes.

Les uns considèrent le taux auquel se négocient aujourd'hui les actions de la Banque Nationale comme donnant, sinon un droit, du moins un titre d'équité aux porteurs ; les autres, au contraire, se reportant à la fondation de la Banque, veulent mesurer les droits en raison de la somme versée d'abord.

Je crois qu'il y a des deux côtés exagération.

Les droits des actionnaires de la Banque sont fixés, non pas par le prix de la Bourse, mais par les règles établies, dès le principe, par le contrat qui a servi de base à la constitution de la Banque. Que, dans l'opinion de certaines personnes, ces droits aient une plus ou moins grande valeur, c'est ce que nous pouvons laisser de côté pour nous attacher à ce que ces droits renferment réellement. La position de l'Etat ne peut être ni améliorée ni amoindrie parce que l'on aurait donné aux actions une valeur plus ou moins grande.

Je crois également qu'il est impossible de voir une cause de réduction dans les bénéfices réalisés jusqu'ici par les actionnaires de la Banque.

Il y aurait, selon moi, une véritable injustice à vouloir revenir sur un contrat fait il y a une vingtaine d'années et qui a été loyalement exécuté, pour rogner dans l'avenir quelque chose du bénéfice alloué aux porteurs par le contrat.

Les actionnaires de la Banque ont fait certainement une très brillante affaire : je parle de ceux qui ayant acheté leurs actions dès le principe au pair ou à 1,200 francs, lors des premières ventes, les ont gardées jusqu'à ce jour.

Mais y a-t-il lieu de leur en faire un reproche et de leur retirer de ce chef quelque chose ? Est-ce même une considération pour les traiter avec moins de bienveillance ? Je ne le pense pas.

La vérité est que la Banque Nationale a dépassé toutes les espérances ; elle les a dépassées non seulement au point de vue des bénéfices acquis aux actionnaires, mais elle les a dépassées encore sous tous les autres rapports. Elle les a dépassées par la quantité de valeurs qu'elle a mises en circulation ; elle les a dépassées par l'abaissement du taux de l'escompte ; elle les a dépassées par les bénéfices qu'elle a procurés au trésor public.

J'ai indiqué hier combien le chiffre des capitaux confiés par la Banque au commerce s'est accru et combien le taux de l'escompte a été réduit. Si l'on voulait constater de ce que le trésor public a obtenu, il suffirait de montrer l'accroissement de sa part des bénéfices, qui a progressé bien plus que celle des actionnaires ; et ce ne serait pas tout : il faudrait y ajouter les réductions faites sur la rémunération du service du caissier de l'Etat, malgré l'extension que ce service a reçue. Ainsi, dans le principe, la Banque recevait 200,000 francs ; à l'heure qu'il est elle paye 175,000 francs à l'Etat.

Il y a donc eu là un bonheur commun, une opération qui a non seulement réalisé, mais encore, au grand profit de tous les intérêts engagés, a dépassé toutes les prévisions.

On ne doit pas se plaindre d'un pareil résultat. Il serait d'un mauvais sentiment de vouloir retirer quelque chose d'une affaire qui a si bien réussi parce que quelques-uns en ont profité d'une manière spéciale. Jamais le droit ne s'amoindrit ni ne diminue par les avantages qu'il produit.

Si l'on voulait rechercher tout ce qui depuis vingt ans, dans notre pays, prospéré, a augmenté de valeur, on aurait une longue liste à dresser.

Que l'on se demande ce que certains terrains de Bruxelles ont acquis de valeur en ce laps de temps ; que l'on se demande ce que certains charbonnages ont rapporté à leurs actionnaires et la valeur qu'ils ont acquise ; que l'on se demande ce que certaines actions valaient il y a vingt ans et ce qu'elles valent aujourd'hui, on constatera des plus-values souvent égales à celle des actions de la Banque Nationale.

Et pour ne citer qu'un exemple, les actions de la Société Générale n'ont-elles pas suivi le cours ascendant des actions de la Banque Nationale ?

Ceux qui ont profité de cette prospérité générale ont-ils moins de droits que si leurs capitaux n'avaient pas augmenté de valeur ? Je ne le pense pas ; personne, parmi nous, ne le pensera sans doute.

Nous ne considérons pas comme un titre de défaveur pour les (page 983) actionnaires de la Banque de s'être associés à l'œuvre qu'if s'agit de continuer aujourd'hui, et d'avoir profité de ses heureux résultats ; il est impossible de faire aux actionnaires une position moins bonne aujourd'hui parce qu'elle a été meilleure autrefois.

Qu'il me soit permis d'ajouter deux observations que j'allais oublier.

Il ne faut pas omettre que les actionnaires de la Banque Nationale ont laissé en réserve une partie de leurs bénéfices et que la réserve considérable qui existe aujourd'hui a été formée non seulement des retenues sur les bénéfices, mais encore par l'accumulation des intérêts de ces retenues.

Il faut encore tenir compte d'un point que l'honorable M. Balisaux a signalé : de la renonciation des actionnaires aux sommes qu'ils auraient obtenues pendant les trois années du privilège de la Banque restant à courir ; il faut porter ces sommes à leur crédit.

L'honorable M. Balisaux a estimé à 100 francs par action la somme dont je parle, mais je pense que si l'on tenait compte de la somme totale des bénéfices, on arriverait à un chiffre un peu plus élevé.

M. Balisaux. - J'ai compté 20 millions distribués aux 25,000 actionnaires, ce qui fait 800 francs, et avec le capital 1,800 francs.

M. Pirmez, rapporteur. - C'est le montant de ce que la réserve devait être, mais il faudrait ajouter l'excédant des dividendes probables sur l'intérêt normal de l'argent ; mais, évidemment, c'est un détail.

M. Boucquéau. - C'est ce que j'ai dit également.

M. Pirmez, rapporteur. - Voilà donc la situation ; nous aurons à voir tantôt s'il n'y a pas lieu de tenir compte d'autres éléments que du capital appartenant aux actionnaires.

On m'a reproché à plusieurs reprises d'avoir dit, dans le rapport de la section centrale, que, selon moi, la société actuelle a une cause légitime de préférence.

Je le maintiens cependant, mais j'ajoute immédiatement que c'est dans les limites de ce que commandent et l'intérêt public et les droits de l'Etat.

La continuation du contrat après son terme n'a certes pas été concédée comme un droit ; mais elle a été inscrite dans la loi comme une prévision. La loi porte en effet que le terme pourra être prorogé par une loi sur la demande de la majorité des actionnaires. Cette disposition n'est certes pas sans valeur, elle me paraît avoir cette portée de donner la continuation de la société comme devant se produire si des raisons sérieuses ne s'y opposent.

Mais, bien loin d'en rencontrer, nous trouvons que l'organisation existante de la Banque est un grave motif de n'y pas substituer une nouvelle société.

Il ne suffit pas de conférer une concession, un privilège, une faveur quelconque pour qu'on obtienne tout ce qu'on attendait de son exploitation ; il faut que la société chargée de ce service emploie les meilleurs moyens pour faire réussir l'institution.

Or, on ne conteste pas que la Banque Nationale n'ait répondu à tous les désirs, à toutes les espérances.

Son administration, quels qu'aient été les hommes qui la composaient, a répondu à ce qu'on en attendait.

Ses services sont largement organisés, et j'admire qu'au milieu des froissements et des irritations qu'une institution qui touche à tant d'intérêts doit nécessairement produire, on ait, pour une période de vingt ans, si peu de griefs contre elle.

Je crois qu'il y aurait souveraine imprudence de la part de la législature à rompre avec une organisation existante, pour se lancer dans une nouvelle combinaison. Il faut une raison sérieuse pour retirer une concession à ceux qui l'ont fait fructifier et qui ont étendu ses effets au delà des prévisions primitives.

Voilà, messieurs, dans quels termes j'ai constaté l'existence d'une cause légitime de préférence et je dis qu'il est difficile de contredire cette appréciation.

Je pense qu'on trouvera une analogie exacte de la situation dans laquelle nous nous trouvons si l'on veut supposer un propriétaire remettant à bail partiaire sa propriété à un fermier qui pendant de longues années emploie tous ses soins à l'améliorer, à y établir une installation modèle et qui, tout en réalisant lui-même de grands bénéfices, en procure à son bailleur, et à l'expiration du bail, peut lui remettre une propriété parfaitement entretenue et notablement améliorée. L'intérêt du propriétaire est-il de se jeter dans de nouvelles expériences ? N'est-il pas de son intérêt, en cela d'accord avec une bienveillante équité, de chercher les conditions raisonnables d'un nouveau bail ?

Ici comme dans beaucoup d'autres matières, nous devons, du reste, nous garder d'extrêmes opposés ; et j'applique cette idée au cours futur des actions de la Banque Nationale.

Ce serait, à mon sens, un grand mal, ce serait porter un grand préjudice au crédit que de réduire à l'excès la valeur des actions de la Banque Nationale.

Si vous parveniez par une combinaison quelconque, par une adjudication, par exemple, comme on l'a proposé, à trouver des concessionnaires à des conditions telles, que les actions vaudraient tout au plus le pair, vous auriez une mauvaise situation. Un établissement de crédit comme la Banque Nationale doit, non seulement être solide, mais il faut encore que cette solidité apparaisse à tous les yeux. Si vous faisiez descendre les actions en dessous du pair, vous auriez affaibli sa force.

Il est avantageux que le cours des actions de la Banque soit bien tenu et qu'elles constituent de bonnes valeurs.

Mais je le dis aussi : ce serait une faute d'accorder à la Banque Nationale des avantages trop considérables. Je ne crois pas qu'à l'heure qu'il est le cours élevé des actions de la Banque soit une bonne situation pour la Banque elle-même.

Si on allait au fond des oppositions qui s'élèvent aujourd'hui, on y trouverait que bien souvent elles naissent des dividendes et surtout des cours très élevés des actions.

La grande prospérité offusque, on croit volontiers que les grands bénéfices sont pris aux dépens d'autrui, et ceux qui contractent avec la Banque s'imaginent facilement qu'ils gagneraient plus si elle gagnait moins.

M. Balisaux.- C'est pour cela que j'ai fait une proposition de vente des actions.

M. Pirmez, rapporteur. - Je démontrerai à mon honorable collègue que sa proposition ne diminuera, dans l'avenir, ni la valeur, ni les dividendes des actions ; elle les maintient dans la même situation ; sa proposition de prendre sur l'escompte aurait seule ce résultat. J'indiquerai tantôt comment on arriverait à un autre résultat plus admissible.

C'est avec ces idées, ennemies d'exagération dans un sens ou dans un autre, que j'estime que nous devons examiner comment il faut fixer les parts respectives de l'Etat et de la société pour continuer, en commun, l'œuvre prospère entreprise en commun.

Rendons-nous d'abord un compte exact de ce qui est apporté par chaque partie.

L'honorable M. Demeur a donné au commencement de son discours un tableau dans lequel il a indiqué la part contributive des actionnaires et de l'Etat dans les fonds qui servent au mouvement des affaires de la Banque. Je ne crois pas que l'honorable membre ait donné ce tableau dans le but de déterminer quelles doivent être la part des actionnaires et celle de l'Etat.

Je dois cependant montrer qu'il ne peut, en aucune manière, arriver à cette détermination. Voici le tableau :

Capital : 22.1 millions de francs (10 1/2 p. c.)

Billets : 124.3 millions de francs (60 p. c.)

Comptes courants des particuliers : 12.1 millions de francs (5 1/2 p. c.)

Comptes courants de l’Etat : 49.8 millions de francs (24 p. c.)

Ce tableau renferme des erreurs.

L'honorable membre compte la circulation et les comptes courants comme ayant été employés au service de la Banque Nationale, pour leur montant total et il met ce chiffre en rapport avec le capital social.

Il est clair que le capital tout entier sert aux opérations de la Banque, mais il est certain que le montant de la circulation et des comptes courants ne sert pas entièrement aux affaires, puisqu'il faut qu'un tiers reste dans les caisses de la Banque.

Si vous avez 300 millions de comptes courants et de circulation, vous ne pouvez pas compter plus de 200 millions comme servant aux affaires de la Banque, puisqu'il faut déduire un tiers qui doit rester en réserve métallique.

Mais c'est à un autre point de vue surtout que je veux relever cette comparaison.

Il est absolument impossible de comparer des fonds qui sont confiés momentanément, à des fonds qui sont immobilisés pour vingt ou trente ans. Il est impossible, dis-je, de comparer, sous le rapport de la rémunération, des fonds ainsi aliénés pour une époque de temps très longue avec des fonds que l'on peut retirer à chaque instant. Il est évident qu'il n'y a aucune espèce de comparaison entre ces deux placements.

(page 984) Je citerai un exemple qui fera saisir immédiatement ma pensée.

Les actions de la Société Générale, à l'heure qu'il est, sont capitalisées à 6 1/2 ou 7 p. c. En même temps, la Société Générale ne donne à ceux qui déposent des fonds dans ses caisses que 2 1/2 p. c. Et l'on comprend la différence qui existe. Le long terme du placement d'un capital est une circonstance aggravante de l'aliénation qui demande une rémunération plus élevée.

A la Banque Nationale, les particuliers déposent leurs capitaux sans recevoir aucun intérêt ; c'est ce que ne fera jamais un actionnaire.

Il ne faut pas comparer des choses aussi dissemblables, et lorsque l'on étudie l'origine des bénéfices de la Banque Nationale pour déterminer la part contributive de l'Etat et des actionnaires, il ne faut pas mettre sur la même ligne les actions et les créances exigibles à vue.

Cet aperçu inexact écarté, voyons de plus près les apports respectifs.

Que donne l'Etat à la Banque ?

On peut dire d'abord que l'Etat n'apporte plus à la Banque de capitaux qui doivent lui donner une part de bénéfices pécuniaires.

En effet, d'abord l'encaisse disponible est placé en valeurs commerciales et n'entre plus dans les affaires que la Banque traite à son propre profit. Il ne peut donc plus en être question. La Banque aurait plutôt droit a une légère commission pour sa garantie.

L'Etat confie à la Banque Nationale son encaisse exigible ou une somme quelque peu supérieure ou quelque peu inférieure. Il en retire, non pas en argent, mais en services rendus par la Banque Nationale, une rémunération convenable.

Il est certain que le service de caisse de l'Etat qui se fait, non seulement à l'établissement central, mais encore dans des agences qui sont au nombre de quarante, et qui seront augmentées, service très compliqué et qui s'est étendu au Crédit communal, à la Caisse d'épargne et à la garde de tous les titres du trésor, mériterait une rémunération élevée en argent, s'il n'était rétribué par la possession de certains capitaux. La Société Générale recevait plus de 250,000 francs, outre la possession de l'encaisse total.

En attribuant à l'Etat la gratuité de ce vaste service, nous avons certainement tout ce que l'on peut exiger de la possession de son encaisse exigible.

Ainsi, écartant ce qui concerne l'encaisse, nous trouvons qu'il ne reste, pour ce que l'Etat accorde à la Banque Nationale, que les avantages résultant de l'émission.

Quels sont ces avantages ? Il importe de bien les déterminer pour ne pas s'égarer.

On a paru croire, et l'honorable M. Dansaert notamment a paru croire que l'Etat confère à la Banque un véritable droit exclusif à l'émission, et c'est pour cela qu'il voulait permettre à l'Etat de se délier, moyennant une indemnité, des concessions accordées à la Banque.

M. Dansaert. - Pas une indemnité.

M. Pirmez, rapporteur. - Peu importe ; je veux seulement dire que l'absence d’engagement de la part de l'Etat rend cette clause inutile, et que son insertion dans la loi tendrait à faire croire que la Banque a un droit qu'elle ne possède pas.

Précisons bien les droits que l'Etat conserve.

La Banque Nationale obtient-elle un monopole ? Non ; la loi permet de créer a côté d'elle d'autres institutions qui émettraient des billets.

L'Etat est-il obligé de recevoir dans ses caisses les billets de la Banque ? Nullement ; il peut les refuser quand il lui convient.

Est-il obligé de confier à la Banque Nationale le service de caissier de l'Etat ? Non ! Il ne s'engage que pour cinq ans ; il est loisible ensuite au gouvernement de conférer le service de caissier de l'Etat à une autre banque.

Est-il obligé de charger la Banque Nationale d'acheter son papier sur l'étranger ? Non encore, c'est une charge qu'on lui impose et qui peut être donnée à d'autres.

Voilà la situation. (Interruption.)

L'honorable. M. Dansaert me dit qu'en fait le monopole existe, puisqu'il serait impossible de créer une autre banque d'émission. C'est inexact ; on peut constituer une société pour émettre des billets de banque, à la condition que la société soit en nom collectif.

M. Dansaert paraît croire qu'il est impossible de trouver une société collective pour créer des billets de banque ; mais il n'y en a pas d'autres en Angleterre ou en Ecosse. (Interruption de M. Demeur.)

Je vais démontrer à M. Demeur qu'il se trompe et je vais le lui démontrer par un argument chronologique. Il me concède déjà qu'en Ecosse on a fait des sociétés en nom collectif, et cela suffirait pour démontrer qu'elles ne sont pas une impossibilité. Mais en Angleterre, de quand datent les sociétés à responsabilité limitée, forme qu'il suppose être celle des banques d'émission ? Je crois que c'est de 1861.

Or, antérieurement il existait des banques de circulation ; il en existait en 1844, et il n'a même pu en être créé depuis ; donc les banques d'émission ont été constituées en Angleterre, comme en Ecosse, au moyen des sociétés en nom collectif.

Vous voyez donc, messieurs, que ce que je disais n'est pas une utopie ; les choses dont je parle se réalisent non loin de chez nous.

L'unité d'émission n'existe donc pas aujourd'hui dans la loi, elle n'existe qu'en fait ; eh bien, croyez-vous que si la loi créait une autre banque qui aurait le service de caisse du trésor, dont les billets seraient seuls acceptés par l'Etat, la Banque Nationale continuerait longtemps à émettre des billets ? Si vous n'admettiez plus ses billets dans les caisses de l'Etat, on ne les accepterait plus, on prendrait les billets de la banque nouvelle qui seraient admis partout au chemin de fer, par les receveurs du fisc ; les banquiers eux-mêmes ne prendraient plus que les billets de la banque nouvelle chez qui ils escompteraient.

A quoi se réduit donc l'apport de l'Etat ?

Dans l'octroi de la faculté d'émettre des billets à une société par actions, mais sans engagement de n'en pas constituer d'autres.

Voilà le privilège, le seul qui constitue un droit acquis.

Il faut y ajouter, comme faculté révocable, l'admission des billets dans les caisses de l'Etat.

Qu'apportent les actionnaires ? Ils apportent, d'après le système du gouvernement, un capital de 57,500,000 francs. Remarquez bien que le capital nominal est de 50,000,000 de francs, mais grave à la réserve d'abord qui n'est pas appliquée entièrement à payer les actions et, ensuite, à une prime de 100 francs, le capital réel est de 57 1/2 millions.

La Banque apporte quelque chose de plus : son existence même avec son organisation, sa clientèle, ses relations et c'est quelque chose ; n'avait-elle pas, à la fin de l'année dernière, 35 millions de dépôts particuliers ?

Sans doute, si l'on voulait lui substituer une autre banque, celle-ci reprendrait tous les avantages que s'est créés celle-ci par ses opérations de vingt ans. Mais il serait injuste de méconnaître qu'il y aurait là dépouillement de ce qui a été constitué par son travail propre.

Voilà donc les deux apports. Nous avons à apprécier ce qu'il est juste, légitime que la Banque paye à l'Etat pour les facilités qu'il lui donne quant à l'émission.

Je tiens à faire remarquer - quoique je n'aie pas l'intention de tirer une conclusion quelconque de cette observation - que l'Etat accorde gratuitement en général les concessions qu'il donne. Ainsi, l'Etat accorde les concessions de chemins de fer en se bornant à reprendre la concession après un terme de 99 ans.

L'Etat concède gratuitement aussi les mines et ne retire nul avantage de ces concessions.

Mais il a été admis que l'Etat pouvait reprendre le privilège de la Banque Nationale. Je crois que l'on a bien fait de formuler cette restriction ; car s'il y a des avantages, il est juste que la généralité en profite plutôt qu'une catégorie de personnes.

Mais il n'en est pas moins vrai que ce mode d'agir est exceptionnel, ce qui ne m'empêche pas de l'approuver pleinement.

Quoi qu'il en soit, attachons-nous à apprécier ce que l'apport de l'Etat, quant à l'émission, vaut pour la Banque.

Je crois que l'on se fait généralement une idée assez inexacte des bénéfices de l'émission.

Si la Chambre le permet, je lui donnerai quelques indications sur ces bénéfices.

Je prends pour base du calcul les chiffres de l'an dernier quant au mouvement d'affaires de la Banque. En 1771, la Banque a disposé en moyenne des ressources suivantes :

Emission, 200 millions.

Comptes courants des particuliers, 35 millions.

Compte courant du trésor, 57 millions.

Total : 292 millions.

Réserve métallique à déduire, 92 millions.

Reste : 200 millions.

Capital, 25 millions.

Total : 225 millions.

Le bénéfice a été de 6,000,000 de francs, mais il est à remarquer que l'escompte moyen de l'année a été de 4,29 p. c, tandis qu'il n'est que de (page 985) 3.74 pour la moyenne de l'existence de la Banque. Or, le produit de l'escompte brut ayant dépassé 8,000,000 de francs, il y a au moins 4,000,000 de francs à déduire pour l'élévation anomale de l'escompte. Il reste donc 5,000,000 de francs.

Or, ce bénéfice correspond à 2 1/4 des fonds employés ; tel est donc le revenu des capitaux employés par la Banque à ses affaires. Appliquons ce résultat à la situation que crée le projet de loi :

Emission, 200 millions.

Comptes courants des particuliers, 35 millions.

Compte courant du trésor, 17 millions.

Total : 252 millions.

Réserve métallique à déduire, 84 millions.

Reste : 168 millions.

Capital, 28 millions.

Total : 223 millions.

La somme des capitaux employés est donc la même ; nous pouvons donc fixer le bénéfice au même chiffre de 5 millions, d'après la moyenne du taux d'escompte.

Quelle est la part de l'émission dans ce bénéfice ?

Evidemment, nous l'avons démontré tantôt, la part du capital est tout autre que celle des fonds remis à la Banque momentanément.

Il est juste d'attribuer au capital une rémunération normale, que nous portons à moins de 5 1/8 pour coïncider avec les 6 p. c. sur le capital nominal, soit 3,000,000.

Cela fait, il reste 2,000,000 de francs, provenant tant des comptes courants que de l'émission.

Or, l'émission est de 200 millions, les comptes courants de 52 millions ; c'est donc notablement moins de 1 p. c. qu'il faut attribuer à l'émission.

Mais comme certaines sommes sont d'abord prélevées sur les frais généraux, et notamment les frais du service du caissier, on peut porter ce produit à environ 1 p. c. Il est aisé de voir qu'il augmentera notablement si l'émission s'accroît, le capital restant le même ; comme on peut aussi constater que l'augmentation du capital réduit le bénéfice proportionnel de l'émission.

L'honorable M. Dansaert nous disait : Pourquoi l'Etat ne donnerait-il pas 4 1/2 p. c. aux actionnaires en se réservant la moitié du surplus ?

Je crois que cette proposition, serait moins avantageuse à l'Etat que celle qui nous est faite, en faisant, bien entendu, entrer dans les affaires de la Banque l'encaisse de l'Etat.

En effet, si nous prenons 4 1/2 p. c. sur les 58 millions versés par les actionnaires, nous avons un peu plus de 2,600,000 francs.

Nous en tenant à ce chiffre, la part de l'Etat sur un bénéfice de 5,000,000, de 6,000,000, de 7,000,000, serait respectivement de 1,200,000, de 1,700,000 et de 2,200,000 francs.

Or, ce que l'Etat doit toucher, d'après le projet, s'élève, d'après les calculs contenus au rapport de la section centrale, à 1,355,000 francs, à 1,883,000 francs et à 2,245,000 francs.

Et encore à ces sommes faudrait-il ajouter 175,000 francs que l'Etat touche pour ses agents du trésor et tous les frais du service de caisse.

On voit que la proposition de M. Dansaert constituerait le trésor en perte considérable.

Cette observation suffit pour montrer que la situation proposée n'a rien d'excessif.

Je parle ici, messieurs, du présent, je n'empiète pas sur l'avenir ; tout à l'heure j'y viendrai.

Ainsi, on peut considérer que d'après le système qui nous est proposé, après une rémunération modérée au capital-actions, les produits de l'émission se partagent à peu près également entre l'Etat et les actionnaires.

Certainement les bénéfices qu'on retire dans une Banque ou dans une autre société industrie ne sont toujours supérieurs aux bénéfices qu'on retire de la terre ou de la rente pure et simple. Je crois que si l'on voulait prendre ce que les banques constituées dans le pays ont rapporté l'année dernière, on trouverait souvent un taux de l'intérêt beaucoup supérieur à celui que le projet assure à la Banque Nationale.

Je dis, messieurs, que le projet, si l'on considère seulement la situation actuelle, me paraît avoir fait équitablement la répartition des bénéfices qui doivent être attribués à l’Etat et à la Banque ; M. le ministre des finances l'a fait avec habileté et avec justice.

J'ai beaucoup examiné la question, lors du travail de la section centrale et depuis, et il est de mon devoir de dire qu'il est un point sur lequel il me paraît que l'attention n'a pas été assez éveillée, sur lequel j'appelle l'attention du gouvernement.

On s'est surtout occupé de la situation présente ou d'une situation plus ou moins semblable.

Or, nous ne savons absolument pas ce que l'avenir réserve aux actionnaires de la Banque.

Nous ne savons pas si l'accroissement énorme des affaires qui s'est produit depuis 1850 s'arrêtera ou continuera et nous ignorons dans quelles proportions l'augmentation des opérations peut agir sur les bénéfices de la Banque.

Je crois, messieurs, que le cours élevé des actions à la Bourse est amené non par la perspective de gros dividendes immédiats, mais par la prévision des bénéfices futurs.

Je me demande s'il ne serait pas sage de prévoir que, dans certaines éventualités données, l'Etat devrait avoir une plus large part de bénéfices ; par exemple, si une extension considérable de l'émission procurait à la Banque des revenus très élevés.

Je pense que la pensée de M. le ministre des finances est que la Banque est tellement à la merci du gouvernement qu'il pourra toujours lui imposer les conditions qu'il jugera nécessaires. Mais si cette prévision doit se réaliser, je préfèrerais beaucoup prendre des mesures dès a présent que de devoir recourir plus tard à des moyens minatoires qui, employés pour arriver à modifier un contrat, auraient un caractère regrettable.

Messieurs, on a émis plusieurs idées sur le partage des bénéfices de la Banque ; on a propose de réaliser dès maintenant un grand bénéfice par la mise en vente des actions ; on a proposé de prendre un tantième plus fort sur les revenus annuels de la Banque.

Il y a donc, deux systèmes : agir sur le capital ou agir sur le revenu ; prendre dès maintenant une grosse somme ou prendre de petites sommes successivement..

Je vais examiner ces deux modes ; mais je dois faire observer qu'on ne peut pas les cumuler et que mon collègue de Charleroi a versé dans une erreur lorsqu'il a prétendu tout à la fois prendre le revenu aux actionnaires et vendre les actions au prix qu'elles atteignent en raison de ce revenu.

L'honorable M. Balisaux nous a dit, et il y a du vrai dans ce qu'il nous a dit, que nous pouvions réaliser aujourd'hui, en vendant la moitié des actions, 14,000,000 de francs ; je crois qu'il serait plus juste de dire 12,500,000 francs, mais c'est un détail ; 12,500,000 francs représentent une rente de 500,000 à 600,000 francs. De combien veut-il réduire le revenu des actionnaires dans la proposition qu'il fait de prendre successivement le montant de l'escompte dépassant 4 1/2 p. c, 4 p. c, 3 1/2 p. c. ?

M. Balisaux. - Je réduis l'escompte à 4 1/2 p. c. et je donne à la loi le droit de le réduire encore à l'expiration de chaque période quinquennale jusqu'à 3 1/2 comme minimum.

M. Pirmez, rapporteur. - J'ai essayé de chiffrer jusqu'où irait la proposition de l'honorable membre ; je n'affirme pas que mes calculs soient exacts ; j'ai été obligé de prendre des moyennes ; je ne sais si l'honorable membre a recherché le résultat de sa proposition.

M. Balisaux. - Non, j'ai dit qu'il n'y avait eu que 2 années 2 mois, 51 jours sur 21 années pendant lesquelles l'escompte avait été au-dessus de 4 1/2 p. c.

M. Pirmez, rapporteur. - Il est toujours bon de savoir où l'on va ; dans ce but, j'ai essayé de calculer toutes les réductions indiquées.

M. le ministre des finances pourrait peut-être faire faire ce calcul plus exactement.

Je suis arrivé à ce résultat que si on allait à 3 1 2 p. c., en supposant une moyenne d'effets escomptés de 240 millions, l'Etat recevrait plus d'un million.

Il est bien clair que si vous allez prendre ce million de revenu, vous diminuez le capital d'une vingtaine de millions. Vous ne trouverez donc plus la valeur en capital.

Il y a là une contradiction, il faut opter entre un système et l'autre.

M. Balisaux. - Transigeons. Nous vous donnerons 5 p. c, mais donnez-nous les 14 millions.

M. Pirmez, rapporteur. - Permettez. Je n'ai rien à recevoir ni à donner.

M. Balisaux. - Il est bien entendu que je parlé à la Banque.

(page 986) M. Pirmez, rapporteur. - Eh bien, je vais examiner la proposition de vendre.

Entre le système de la réalisation du bénéfice sur le capital et celui du prélèvement sur le revenu, il n'y a pas un seul instant à hésiter. Il faut rejeter le système de prendre un capital ; il faut prendre sur le revenu. Pour l'Etat, cela revient au même ; qu'on lui donne les douze ou quatorze millions ou une rente correspondante en intérêts, c'est exactement la même chose et je crois que mon honorable collègue, qui n'a en vue que l'intérêt du trésor, ne tient pas plus à un moyen qu'à l'autre.

Il y a un très grand intérêt à ne pas choisir la part en capital.

L'idée de vendre des actions de la Banque au profit de l'Etat a été émise d'abord par l'honorable M. Dansaert, qui nous a dit : Pourquoi ne faisons-nous pas comme en Hollande ? On y a vendu des actions de la Banque au profit de l'Etat.

Si la Banque Nationale avait pu le prendre au mot, elle n'eût pas demandé mieux ; et le système suivi en Hollande lui eût été fort bien.

En effet, le capital de la Banque des Pays-Bas était de 15 millions de florins, on l'a porté à 16 millions de florins et l'Etat a vendu à son profit mille actions.

Je ne sais quels bénéfices il a faits sur cette opération ?

M. Malou, ministre des finances. - Il a gagné 730,000 florins !...

M. Pirmez, rapporteur. -... et il a abandonné tout le reste aux actionnaires, de sorte que l'Etat n'a pas touché, en capital, ce que nous toucherons en revenus.

Vous voyez qu'on ne peut prendre ce point insignifiant de l'organisation néerlandaise pour le faire servir de base à toute l'organisation de la Banque Nationale.

Il me paraît impossible de procéder par ventes d'actions sur une grande échelle. La raison qui me fait repousser ce système, c'est qu'il aurait encore pour conséquence de nous lier, sinon juridiquement, au moins moralement.

N'est-ce pas, en effet, établir un lien moral pour l'Etat que de lui faire encaisser une grosse somme pour prix d'avantages révocables ?

Pensez-vous que l'Etat pourrait encore dire après cela aux actionnaires, même si l'intérêt public l'exigeait : Je refuse de recevoir vos billets dans mes caisses ; je vais créer une autre banque ?

Evidemment, vous ne pourrez pas vous soustraire aux conséquences d'un pareil marché. Vous aurez encaissé 12 à 14 millions, c'est vrai, mais ce sera au prix de votre liberté et de votre droit souverain que l'intérêt public vous commande de conserver intacts.

Voilà, messieurs, pourquoi le système actuel est infiniment supérieur, Il vous conserve tous vos droits, toute votre liberté. Le jour où l'Etat use de ses droits et affaiblit ainsi les revenus de la Banque, il perd sa part dans ces revenus ; il n'en jouit, ce qui est juste, qu'autant que dure la position privilégiée qu'il a faite ; rien ne le lie.

Il y a encore une autre raison pour ne pas changer le mode de perception au profit du trésor : par le système de la vente d'actions à haut prix on rendra les actionnaires infiniment plus exigeants que par le système d'un prélèvement sur les revenus ; en effet, ce prélèvement sur les revenus ne s'exerce qu'après qu'il a déjà été satisfait d'une manière normale à l'intérêt des capitaux.

Je vous disais tantôt qu'il était bon que les bénéfices des actionnaires ne fussent pas trop forts ; c'est en prélevant sur les revenus qu'on réduit les dividendes. La vente à prime ne change absolument rien à cet égard ; les dividendes resteront les mêmes que si la vente s'était faite au pair.

Il faut donc abandonner l'idée de capitaliser les bénéfices que l'Etat peut tirer de la Banque.

Examinons maintenant les divers modes de percevoir une quotité de bénéfices.

Je ne pense pas que l'extension trop grande du système introduit en 1865 soit bonne, et voici pourquoi : je comprends parfaitement ce système dans les termes où il nous est proposé par le gouvernement. Il est avantageux que lorsque la Banque doit élever son escompte à un taux exceptionnel, elle ne soit pas soupçonnée d'établir des cours par esprit de lucre ; qu'elle verse au trésor l'excédant du taux déjà élevé, et cela au moment où les plaintes doivent se produire, je l'admets, parce qu'il ne peut s'agir d'une somme bien importante pour l'Etat : on calcule sur 180,000 francs annuellement, et certes, on ne considérera pas cette somme comme pouvant préoccuper le gouvernement.

Mais si cette intervention de l'Etat devenait la règle, si sur chaque bordereau d'escompte l'Etat prélevait un tantième, si ce prélèvement, au lieu de se produire tous les 3 ou 4 ans, était permanent, croyez-vous que ce serait encore une bonne mesure ?

Non, messieurs, dans ces conditions, vous ne ferez pas comprendre que l'Etat n'intervient que pour recevoir d'une manière accidentelle un excès d'intérêt, vous aurez créé une ressource fiscale ; rien ne sera plus difficilement admis que cette intervention constante de l'Etat ; le commerce y verra un impôt sur ses opérations.

Cette mesure n'est donc pas avantageuse ; si l'on veut augmenter la perception de l'Etat sur les bénéfices de la Banque Nationale, il y a deux autres systèmes beaucoup plus admissibles.

Le premier est d'élever la part de bénéfice que le projet réserve à l'Etat.

Ainsi, j'ai dit tantôt que l'Etat perçoit, aux termes de la loi, un quart au delà de 6 p. c. sur le capital nominal, qui revient à 5 p. c. sur le capital effectif. J'ai ajouté qu'en réalité, par les autres prélèvements, il reçoit à peu près la moitié.

Il est certain que si les bénéfices atteignaient 10 p. c. par exemple, ces prélèvements ne croissant pas avec les bénéfices, l'Etat n'aurait plus cette moitié, et il semble, à première vue, que l'on pourrait augmenter la quotité de l'Etat.

Mais il faut se demander d'où proviendront les bénéfices plus considérables ?

Ils proviendront ou bien de l'augmentation des dépôts en comptes courants ou bien de l'augmentation de la circulation fiduciaire. Je laisse de côté l'élévation de l'escompte qui est atteinte autrement.

S'ils proviennent de l'augmentation des dépôts et des comptes courants, l'intervention de l'Etat dans les bénéfices ne serait pas justifiée, car c'est là un genre d'affaires purement privé, pour lequel il n'y a pas de privilège.

S'ils proviennent d'une augmentation dans la circulation fiduciaire, si nous arrivions dans dix ou vingt ans à avoir une circulation de 500 millions par exemple, je crois qu'il serait légitime que l'Etat prît un tantième.

Mais comme l'augmentation de la quotité des bénéfices de l'Etat ne distinguerait pas, je considère ce mode comme laissant beaucoup à désirer.

Il me paraît que, pour celle éventualité d'une grande circulation fiduciaire, il pourrait être ajouté quelque chose au projet.

La circulation des billets est aujourd'hui d'environ 250 millions ; elle peut, dans un certain temps, dépasser 300 millions. C'est là une éventualité que M. le ministre des finances ne me paraît pas avoir suffisamment prévue et que je n'ai pas assez prise en considération dans les calculs que contient mon rapport.

J'ai dit tantôt que l'émission ne donnait pas un bénéfice supérieur à 1 p. c, dans les conditions actuelles, mais il est certain que si l'émission était beaucoup plus considérable relativement au même capital de la Banque, le bénéfice serait beaucoup plus élevé. Le capital restant le même, la rémunération de 5 à 6 p. c., que nous lui avons attribuée, ne s'élèverait pas ; il n'y aurait donc rien à retirer du placement des fonds de l'émission nouvelle pour le rémunérer. Le bénéfice de l'excédant d'émission s'élèverait ainsi à 1 1/2 p. c. environ.

Je crois que si l'on fixait un tantième de 1/2 p. c. au profit de l'Etat pour les émissions excédant 300 millions, ce serait parfaitement légitime. J'engage donc M. le ministre des finances à réfléchir sur cette question, à examiner si, pour l'éventualité que je viens de signaler, il n'y aurait pas à prendre certaines mesures, et je crois que celles que j'indique seraient les plus sages.

Telles sont, messieurs, les observations que j'avais à présenter ; je crois avoir rencontré les principales objections qui ont été soulevées et je pense que si la Chambre adopte le projet de loi avec ou sans la modification dont je viens de parler, elle aura résolu d'une manière satisfaisante une question extrêmement importante.

(page 972) M. Malou, ministre des finances. - Je demande que la Chambre décide qu'il y aura encore séance ce soir et, pour ne pas devoir faire chaque jour la même proposition, je demande que la Chambre décide qu'il y aura séance tous les soirs jusqu'au vote du projet de loi sur la Banque Nationale.

- Des membres. - Oui ! oui !

M. De Lehaye. - Sous réserve qu'il n'y aura pas de vote dans les séances du soir. (Adhésion.)

M. Malou, ministre des finances. - Oui !

M. le président. - Il y aura donc séance tous les soirs, à 8 heures, jusqu'au vote sur le projet de loi qui est en discussion.

M. Muller. - Excepté le samedi !

M. le président. - Bien entendu.

M. Julliot. - Messieurs, je ne m'arrêterai pas aux aspirations risquées de l'honorable M. Boucquéau, qui tendent à la gratuité du crédit et plus ou moins au droit au travail : non.

C'est une école à laquelle je ne crois pas, et déjà l'honorable M. Pirmez en a fait justice avec humour.

Puis nous avons le remarquable discours de l'honorable M. Balisaux, qu'on accuse d'exagération dans les chiffres ; mais si seulement la moitié en est vraie, c'est encore beaucoup trop.

Je ne sais pourquoi on accumulerait tant de faveurs sur la tête de messieurs les actionnaires de la Banque Nationale.

Je pense qu'on devra détruire l'effet produit par le discours de M. Balisaux pour en arriver à un vote favorable au projet de loi. L'honorable M. Pirmez a déjà beaucoup fait, mais ce n'est pas assez.

Je suis d'avis que dans cette question le ministère devrait céder quelque chose à l'opinion publique.

Je me demande pourquoi le maintien de ce ne varietur, cette formule lugubre d'un testament, alors que ministère et majorité se portent à merveille ?

Messieurs, en politique, je suis un soldat discipliné ; mais dans les questions économiques, nous avons la liberté dans nos allures, et ce qui le prouve, c'est que dans cette question les chefs de la droite marchent la main dans la main avec les chefs de la gauche, et je dis que cela fait honneur aux uns et aux autres.

Je désire que le ministère donne la préférence aux questions sociales sur la politique, qu'il modère cette dernière en se mettant au-dessus des exigences d'une politique attardée ; alors je lui promets une vie longue et fructueuse et je n'attends pas moins d'un esprit sage et élevé.

Messieurs, le point culminant de ce projet est sans contredit l'abandon de 12,000,000 de francs d'actions nouvelles aux actionnaires actuels de la Banque,

On dira que cela se résume en 400,000 francs de rente, soit ; mais toujours est-il que l'Etat peut se procurer légitimement quelques millions qu'il ne devrait pas donner de la main à la main aux actionnaires de la Banque.

Dans cette hypothèse, le taux marchand des obligations subirait une perte assez considérable, mais pour adoucir la transition, on pourrait tarder deux ans, par exemple, avant de faire agir la loi nouvelle.

Messieurs, j'ai examiné ce projet de loi à un autre point de vue et, adoptant le principe de la loi, j'ai cependant quelques observations à présenter.

(page 972) Selon moi, dans le nouveau contrat qu'on nous propose comme dans la création de la Banque Nationale, on n'a pas assez tenu compte de la progression incessante dans la circulation.

J'admets que, quand on a constitué la Banque Nationale, on n'a pu escompter tout l'avenir de cette Banque, parce que, à cette époque, les billets de banque n'étaient en faveur que dans les grandes villes et que le reste du pays n'en voulait pas.

Aujourd'hui que les billets de la Banque Nationale commencent à circuler partout, il est acquis qu'il y aura progrès proportionnel pendant les trente ans qui vont suivre, et selon moi, ce contrat a le défaut de n'être fait qu'au point de vue du présent.

Or, la part de l'Etat est trop maigre dans l'éventualité de l'avenir. Le gouvernement a été trop large dans ses concessions, car quel que soit le chiffre des bénéfices dépassant 6 p. c, le gouvernement n'en recevra que le quart, alors qu'en Prusse l'Etat perçoit la moitié de tous les bénéfices.

Puis, quel que soit le chiffre des billets en circulation, l'Etat renonce à toute recette de ce chef.

Ainsi, que les bénéfices montent à 10, 15 ou 20 p. c, l'Etat se contente du quart dépassant les 6 p. c.

Et que la circulation, de 240 millions qu'elle est, arrive à 400 ou 500 millions, l'Etat de ce chef n'obtiendra rien, tous les bénéfices sont acquis aux actionnaires ; cela n'est pas admissible, l'honorable M. Pirmez vient de le reconnaître lui-même. Eh bien, je rédigerai deux amendements dans ce sens, que je déposerai tout à l'heure, et qui auront pour objet d'augmenter la part de l'Etat dans les bénéfices et de percevoir quelque chose sur l'émission qui dépasse 250 millions.

Messieurs, quand j'examine cette question de près, je n'y vois qu'une question de porte-monnaie entre les actionnaires de la Banque Nationale et le nombreux public qui n'en est pas.

Si la Banque Nationale, tout en faisant d'énormes bénéfices, comme par le passé, lâchait une couple de millions en plus de son trop-plein à l'Etat, ce dernier pourrait supprimer deux millions d'impôts prélevés sur cette classe de nombreux travailleurs qui, tout en travaillant beaucoup plus que les actionnaires de la Banque, ont de la peine à nouer les deux bouts de l'année.

Ces observations me paraissent assez rassurantes par ce qui précède, car, de deux choses l'une, ou la Banque ne recevra pas le développement que je prévois et alors tout reste à l'état où le gouvernement le propose, ou bien la prospérité que j'entrevois se réalisera et alors il est juste que des actionnaires seuls ne s'attribuent pas pour trente ans ces énormes bénéfices.

Ces amendements sont si anodins que ce n'est que de parti pris qu'on pourrait les repousser.

Je sais ce qu'on m'objectera. On dira : Plus vous favorisez les bénéfices de la Banque, plus elle pourra baisser son escompte au profit du commerce.

Mais si cela était pratiqué à la lettre, le gouvernement ne devrait rien demander à la Banque, même pas le quart des bénéfices. Mais ce n'est pas tout à fait cela.

Messieurs, dans ma longue carrière, j'ai toujours rencontré des hommes qui prétendaient ne pas avoir assez reçu, je n'en ai jamais rencontré un seul déclarant qu'il recevait trop.

L'humanité est faite ainsi et surtout par le temps qui court.

Les administrateurs de la Banque Nationale se connaissent en finances, ce sont eux qui fixent le taux de l'escompte et, rassurez-vous, ils ne feront pas de trous à leur poche. On n'a donc rien à craindre de ces amendements, car, à moins d'une prospérité considérable de la Banque, ces amendements seront inopérants et ne gêneront personne.

Si, au contraire, mes prévisions se réalisent, les actionnaires auront encore une position financière unique dans le pays.

Mes propositions conservent tous les avantages auxquels la Banque actuelle peut aspirer ; car, si on adjugeai publiquement cet établissement financier, l'Etat recevrait des propositions bien plus avantageuses, et je proposerai mes amendements, convaincu que beaucoup de nos collègues voudraient bien ronger un peu ce projet de loi et je leur en fournis la matière.

(page 986) M. Frère-Orban. - Messieurs, il a été écrit qu'il faut un volume de vérités pour réfuter une ligne d'erreurs.

S'il fallait faire à la discussion actuelle l'application de cet axiome, on serait exposé à entretenir la Chambre pendant bien longtemps.

J'espère cependant pouvoir concentrer suffisamment les observations que j'ai à soumettre à la Chambre, de manière à ne pas trop fatiguer son attention.

J'avais pensé, messieurs, après les dispositions qui s'étaient manifestées au début de cette discussion, que l'on allait nous exposer des doctrines nouvelles en matière de banque, nous faire connaître les principes du progrès en cette matière et nous proposer les mesures propres à leur réalisation. Notre attente a été déçue. On n'a eu absolument rien de nouveau à communiquer à l'assemblée.

Tout au contraire, ce sont des doctrines extrêmement rétrogrades qui ont été préconisées.

On admet, dit-on, le principe de la loi de 1850 ; on est favorable à l'unité (page 987) d'émission ; on ne veut trailer ni la question de la liberté d'émission ni la question de la pluralité des banques ; on s'en référé à ce qui existe ; on veut simplement introduire certaines modifications, apporter à la loi actuelle des améliorations pratiques.

Je crains fort, messieurs, que, sous prétexte de modifications et sous prétexte d'améliorations, on ne veuille, au contraire, détruire le principe essentiel de la loi de 1850.

Il importe donc avant tout, messieurs, de rappeler et de préciser ce que le législateur a voulu en 1850.

On avait fait, dans ce pays, l'expérience d'un système admettant plusieurs banques d'émission ; c'était, à tout prendre, l'application du principe de la liberté de l'émission. Cette expérience n'avait pas été heureuse ; elle avait produit peu de résultats. Nous avions un certain nombre d'établissements ayant la faculté d'émettre des billets de banque et usant de cette faculté ; mais, non seulement cette émission était extrêmement restreinte, elle était en outre tellement mal garantie, que, deux fois en dix ans, l'Etat avait été obligé d'intervenir pour sauvegarder un des instruments de la circulation.

Après avoir constaté tout ce qu'un pareil régime avait de précaire et même d'inquiétant pour les temps de crise, nous avons pensé que l'on pouvait remplacer ce qui existait par une institution nouvelle, destinée uniquement à fabriquer et à émettre de la monnaie de banque et à recevoir, en échange de cette monnaie de banque, des valeurs commerciales présentant toute espèce de sûreté.

A cet établissement, on interdisait toute espèce d'opérations habituellement faites par les banques ordinaires.

On ne lui permettait qu'un seul commerce : celui des matières d'or et d'argent, parce que ce commerce rentre dans le cadre et dans l'objet de l'institution, qui est de fabriquer et d'émettre de la monnaie de banque.

Pour que ce papier de banque présente pour le public toutes les conditions désirables de sécurité, il faut qu'il soit immédiatement convertible, il faut que le public soit assuré de pouvoir, quand il le veut, échanger le papier dont il est porteur contre des espèces métalliques, contre des écus sonnants.

Les profits de cette institution étaient destinés à se diviser en trois parts : une pour les capitalistes qui s'engageaient dans l'affaire ; une deuxième pour le trésor de l'Etat ; une troisième pour le public.

Cette troisième part était double. La première fraction en était destinée à procurer au commerce et à l'industrie un escompte facile et à aussi bon marché que possible. La deuxième fraction avait pour but de permettre au public en général de retirer de la circulation et de l'appliquer d'une manière productive, une certaine quantité de monnaie qui, lorsqu'elle fonctionne comme monnaie, ne rapporte rien, mais qui, transformée en capital, vient aider à la production et est elle-même productive.

Voila, messieurs, l'objet principal de l'institution, l'un de ses côtés les plus importants et sur lequel il y a nécessité de fixer votre attention.

On ne voit en général qu'une chose dans l'institution : l'émission faite au profit de la Banque. On s'y attache, parce que c'est le fait le plus apparent pour le vulgaire.

Mais on ne voit pas ce qui se cache derrière émission fiduciaire ; on ne se rend pas compte du profit qui en résulte pour le public, pour la communauté ; c'est la communauté qui retire les plus grands avantages de ce que, à une circulation qui devait être d'or et d'argent, on substitue une circulation qui ne coûte presque rien. Voilà l'intérêt essentiel pour la communauté ; et cet intérêt est tellement considérable, que si vous supposez une circulation de 500 millions, un tiers étant conservé dans les caisses pour servir à assurer la convertibilité des billets, les deux tiers, environ 200 millions, pourront être appliqués par la communauté belge et ainsi donner un revenu qui serait l'équivalent de la moitié de l'impôt foncier.

Divers moyens existaient pour réaliser le plan que nous avions conçu : on pouvait constituer un monopole, conférer à un établissement déterminé un privilège exclusif, interdire à tous les particuliers, à toutes les sociétés d'émettre des billets payables à vue et au porteur ; on pouvait le faire pour un temps plus ou moins long, et donner une concession pour 20 ans, 30 ans, 40 ans ; on pouvait aussi, sans conférer de privilège exclusif, donner, pour un temps déterminé, un droit d’émission garanti ; quels que fussent les événements, quelles que fussent les découvertes nouvelles que la science viendrait apporter, on aurait pu, pendant cet intervalle, introduire les modifications, même les plus essentielles, qui auraient été reconnues nécessaires dans l'intérêt de la communauté.

Eh bien, messieurs, nous n'avons voulu ni de l'un ni de l'autre de ces systèmes. Nous n'avons pas voulu constituer un monopole ; nous n'avons pas voulu donner un privilège exclusif ; nous n'avons voulu ravir à personne en Belgique le droit d'émettre des billets payables à vue et au porteur.

En Belgique, tous les particuliers, toutes les sociétés en nom collectif, ont le droit d'émettre des billets de banque, c'est-à-dire des billets payables à vue et au porteur.

M. Boucquéau. - Recevables dans les caisses de l'Etat ?

M. Frère-Orban. - Nous verrons tout à l'heure, M. Boucquéau. Vous comprenez parfaitement que si tout le monde avait le droit de fabriquer et d'émettre des billets de banque, et que l'Etat fût tenu de. recevoir tous ces billets dans ses caisses, il y aurait énormément de fabricants de papier de ce genre dans le pays (Interruption.) Ce serait un assez bon moyen de dévorer l'impôt. (Interruption.) J'entends bien : vous voulez prétendre que les billets circulent parce que l'Etat les reçoit dans ses caisses. Mais il y a des billets de banque que l'Etat n'est pas autorisé à admettre dans ses caisses, et qui circulent cependant ici comme en Angleterre. Mais, incontestablement, c'est un avantage. C'est pourquoi il est grevé de charges, et nous verrons tantôt à quoi se réduit le profit pour la Banque. Pour le moment, c'est une autre question que nous examinons.

On a dénaturé complètement le principe et la portée de la loi de 1850 ; la base de tous les raisonnements qui se font au sujet des modifications qui sont soumises par le gouvernement, repose sur la supposition la plus erronée, la plus fausse, et contre laquelle je ne puis trop protester : c'est qu'il y aurait un privilège, un monopole quelconque existant aujourd'hui au profit de la Banque Nationale. Il n'en est absolument rien.

Une exception a été faite, une seule ; et encore elle n'a pas été consentie dans l'intérêt de la Banque, mais uniquement dans l'intérêt général : c'est que les sociétés par actions, c'est-à-dire les sociétés à responsabilité limitée, ne pourraient pas fabriquer de la monnaie de banque, à moins qu'elles n'y fussent autorisées par la loi. Il n'y a pas d'autre réserve dans la loi de 1850. Ainsi, voilà bien la situation : liberté pour tous, pour tous les particuliers, pour toutes les sociétés en nom collectif ; avenir libre, absolument libre pour la législature.

Le principe de l'unité, restreint dans ces limites, ne réalise-t-il par les espérances qu'on a conçues ? Tous les jours, à toute heure, le législateur pourra dire : 1Il y aura plusieurs banques ; la pluralité des banques sera établie ; une seule ne peut suffire, elle ne pourvoit pas suffisamment aux besoins de la société.

Le législateur veut-il proclamer la liberté de l'émission, même au profit des sociétés particulières, il pourra, à toute heure, leur conférer cette faculté par une loi. Ce serait, suivant nos idées, un acte dangereux, nuisible à l'intérêt social ; il n'en reste pas moins dans le pouvoir du législateur.

Le législateur est-il favorable au système que consacre la loi de 1850, mais l'institution a-t-elle cessé de répondre aux exigences de l'intérêt public ? Est-elle sourde aux avertissements de l'expérience, aux réclamations du gouvernement, des Chambres, du pays ? On peut, à toute heure, lui ravir les avantages précaires et révocables dont elle jouit et les transférer, sans la moindre perturbation, à une institution nouvelle fondée à ses côtés.

C'est ce qui constitue l'originalité du système belge ; ce système est unique dans le monde, ou du moins il l'était jusqu'au moment où il a été adopté par notre voisin, le royaume des Pays-Bas. En défendant la loi de 1863, l'honorable ministre des finances de ce pays a dit : « Si j'avais à caractériser le système que nous soumettons aujourd'hui à la Chambre, je ne dirais pas : c'est le système français, ni anglais, je dirais : c'est le système belge. » Il faut être en Belgique, dans cette Chambre, en l'an de grâce 1872, pour y entendre dire par l'honorable M. Demeur que « cette loi de 1850 a été copiée dans celle de germinal an XI et dans les lois subséquentes qui ont créé la Banque de France. »

Voyons donc si nous avons fait quelque chose d'analogue à ce qui se trouve dans la loi de germinal an XI. Cette loi dispose, article premier, que l'association formée à Paris, sous le nom de Banque de France, aura le privilège exclusif d'émettre des billets de banque. Notre loi ne donne aucun privilège exclusif ; le mot de « privilège » ne s'y trouve même pas ; il en a été retranché ; notre loi est précisément, sous ce rapport, l'antipode de la loi française.

L'article 3 de la loi française proscrit les actions au porteur ; notre loi les autorise. L'article 4 dispose que la moindre coupure des billets sera de 500 francs ; il a fallu des efforts inouïs en France pour abaisser plus tard les coupures de billets de la Banque de France à un chiffre encore élevé ; notre loi, au contraire, fait descendre les coupures jusqu'à 20 francs.

Je pourrais énumérer ainsi une série de dispositions tout à fait (page 988) discordantes de la loi française avec celles de la loi de 1850, mais je ne veux pas abuser des moments de la Chambre. Il doit nous suffire de constater que ce prétendu modèle consacrait, en termes formels, un privilège exclusif, et que c'est précisément le contraire de ce que nous avons fait. Elle avait été d'abord créée pour quinze ans. On a énoncé devant vous que c'est en 1857 qu'elle a été prorogée de trente ans par ce gouvernement impérial qui, a-t-on dit, faisait marché de tout, ce qui était un puissant argument, à ce qu'il paraît, pour ne pas donner une durée de trente années à la prorogation de notre Banque Nationale.

Eh bien, le privilège de la Banque de France a été porté à quarante années à partir du 24 septembre 1805, par un décret de 1806, et en 1843 il a été prorogé jusqu'en 1857 avec faculté de modifications à partir du 31 décembre 1855. Or, c'est en vertu de. cette clause qu'est venue la dernière prorogation de trente ans. Mais on voit que le premier empire lui avait assuré d'emblée quarante années de privilège exclusif.

Si ce n'est pas la loi française que nous avons imitée en 1850, serait-ce par hasard la loi anglaise ?

Messieurs, lorsque tout à l'heure mon honorable ami, M. Pirmez, disait qu'il était bien possible qu'à une heure donnée, à un moment quelconque, dans les années qui vont suivre, des particuliers ou des sociétés en nom collectif viendraient émettre des billets de banque, un honorable membre l'interrompait à ses côtés en s'écriant : C'est impossible !

Mais c'est le système qui régissait l'Angleterre jusqu'à l'acte de Robert Peel en 1844. Jusque-là, tous les banquiers avaient le droit d'émettre des billets de banque, à la condition seulement de prendre une patente à un taux déterminé chez le receveur des contributions.

Les particuliers pouvaient, nonobstant le privilège de la Banque d'Angleterre, mais dans un certain rayon, constituer des sociétés émettant également des billets de banque.

N'a-t-on pas usé de cette liberté, par hasard ?

Mais il y avait une multitude de banques d'émission antérieurement à 1844, et, à l'heure qu'il est, il en existe encore, en Angleterre. L'acte de 1844 a eu justement pour but d'interdire ces émissions dans l'avenir et de donner les moyens de racheter celles qui étaient alors concédées pour les transférer à la Banque d'Angleterre. Celle-ci était privilégiée et incorporée ; elle faisait le service de caisse de l'Etat ; ses billets étaient reçus dans les caisses publiques, et néanmoins de nombreuses émissions se faisaient en concurrence avec elle en Angleterre.

Et voici ce que fait l'acte de 1844, l'acte de Robert Peel, qui a été introduit parce qu'on avait compris les abus et les périls de l'émission admise au profit de tous.

Voici ce qui est inscrit dans cet acte.

« Art. 10. A partir du jour de l'adoption du présent acte, nul individu autre qu'un banquier qui, le 6 mai 1844, émettait légalement ses propres billets de banque, ne pourra fabriquer ou émettre des billets de banque sur un point quelconque du Royaume-Uni. »

Y a-t-il quelque chose de pareil dans notre loi ?

« Art. 11. A partir du jour de l'adoption du présent acte, nul banquier ne pourra tirer, accepter, fabriquer ou émettre, en Angleterre ou dans le pays de Galles, aucune lettre de change, aucun billet à ordre, aucune promesse en payement d'argent payable à vue et au porteur ; nul banquier ne pourra emprunter, devoir ou accepter, en Angleterre ou dans le pays de Galles, aucune somme d'argent sur des billets de banque payables à vue au porteur émis par ledit banquier. »

Voilà quelles sont les prohibitions de la loi anglaise, et après avoir ainsi stipulé, l'acte ajoute, article 27 :

« Le gouverneur et la compagnie de la Banque d'Angleterre jouiront du privilège exclusif du commerce de banque que leur accorde le présent acte aux termes et conditions d'existence, de durée et d'abolition facultative, établis et spécifiés par le présent acte. »

Est-il étonnant qu'en présence de pareilles dispositions législatives constituant un monopole aussi exclusif, après avoir interdit à tous les particuliers, à tous les banquiers de créer des lettres de change, des billets à ordre, des promesses quelconques payables à vue et au porteur, on ait inséré dans la charte de la Banque d'Angleterre qu'après douze années le gouvernement pouvait racheter la concession qui lui était accordée, et comprenez-vous que ce qui n'était qu'un acte de sage prévoyance en constituant la Banque d'Angleterre sur de pareilles bases, serait tout à fait inutile et même absurde dans la loi belge ?

Comment ! vous avez, par l'article 25, le pouvoir de créer quand bon vous semble de nouvelles banques d'émission, pouvant faire concurrence à la Banque Nationale et même absorber son action, et vous trouvez insuffisante une pareille garantie ! Cela n'est pas sérieux.

Il est donc d'une évidence palpable que sur cette question immense, et je dirai redoutable, du privilège et du monopole, la loi de 1850 diffère essentiellement, radicalement, d'une manière absolue, de toutes les autres lois qui régissent les grandes banques.

Or, messieurs, chose inouïe, que l'on ne pouvait croire un seul instant possible, ne voilà-t-il pas qu'on vient soutenir ici, dans cette assemblée, qu'il y a monopole, qu'il y a privilège exclusif ! L'honorable M. Dansaert l'a dit et répété dans tout son discours.

M. Dansaert. - Un monopole de fait.

M. Frère-Orban. - Il ne s'agit pas de monopole de fait. Voilà vos propres paroles : « Le projet de loi a pour objet, avez-vous dit, de conférer le monopole, le privilège exclusif de l'émission des billets pour une nouvelle période de trente ans. »

Voilà, messieurs, qui est clair. Tous les orateurs qui ont parlé avec vous pour réclamer un court terme sont tous partis de la même idée.

Et pourquoi cette idée étrange a-t-elle été soutenue ? Chose singulière ! c'est pour prétendre qu'on ne doit pas proroger de 30 années l'existence de la Banque Nationale. Ainsi, pour ce bénéfice de la ramener à 20 ans, à 15 ans, à 10 ans, on vient dire à la Chambre belge : Il y a privilège, il y a monopole exclusif, ne prorogez que pour 15 ans, que pour 10 ans. Voilà la mesure tutélaire que l'on conseille à l'Etat belge de prendre ! Voilà à quelle fantaisie inexplicable on voudrait sacrifier l'intérêt public !

Messieurs, je demande au contraire que la Chambre n'abdique pas son droit qu'elle le réserve tout entier. Je proteste contre toute idée de monopole, contre toute idée de privilège.

Je demande que la Chambre continue à garder ce qu'elle possède, en vertu de la loi de 1850, et que, ni pour une année, ni pour une semaine, ni pour un jour, elle n'abdique le droit qu'elle s'est réservé dans l'intérêt public Et alors, peu importe la durée de la concession. Vous sentirez tout à l'heure l'utilité pratique d'une prorogation assez longue.

Mais, dit-on, il y a tout au moins monopole de fait.

J'admets, messieurs, que, dans le langage usuel, à défaut d'expression plus satisfaisante pour rendre un état de choses sans sanction légale, on parle d'un monopole de fait. Mais si l'on veut attacher des conséquences juridiques à une telle expression, je me permets de le dire, c'est un non-sens. Il y a des monopoles naturels et des monopoles de droit, il n'y en a pas d'autres.

Un monopole naturel, c'est celui de la terre, par exemple. Avoir un monopole, c'est avoir un droit privatif puisé, soit dans la loi, soit dans un contrat, qui donne un moyen de se défendre vis-à-vis d'un particulier contre la concurrence qu'il voudrait faire et qui arrête même la puissance souveraine qui a concédé ce droit exclusif. Eh bien, ce monopole n'existe pas ; ce privilège, il n'y en a pas de trace. Le pouvoir, loin d'être désarmé, trouve dans la loi même, dans le contrat, les plus puissants moyens de faciliter et d'organiser la concurrence, si l'intérêt public l'exige.

C'est au fait que vous vous en prenez maintenant : c'est derrière un état de fait que vous vous retranchez pour soutenir votre grief tiré de l'existence d'un prétendu monopole.

Mais de ce que, à certain moment, il n'y a dans un pays qu'un seul fabricant d'un genre de produit quelconque, vous pourriez de même prétendre que ce fabricant se trouve dans une position privilégiée, puisqu'il jouit d'un monopole de fait.

Il est seul en effet, il n'a pas de concurrence. Mais que, demain, une fabrique de même nature surgisse à côté de la sienne, que devient ce monopole de fait ? Je sais bien que vous dites, à propos de la Banque : Il ne s'établira pas de fabriques concurrentes. Qu'en savez-vous ? C'est le secret de l'avenir.

Je pourrais citer l'exemple de l'Angleterre. On y a vu surgir des établissements faisant concurrence à la Banque. Mais il ne s'agit pas de savoir si les particuliers ou les sociétés en nom collectif useront ou n'useront pas du droit qui leur appartient ; il ne s'agit pas de savoir si l'Etat usera ou n'usera pas de son pouvoir ; il s'agit de savoir si la Banque trouverait dans la loi ou dans son contrat un moyen quelconque d'empêcher d'agir. Ce qui peut être considéré, à l'heure actuelle, comme impossible de la part de simples particuliers ou de sociétés, peut devenir une réalité par le progrès de l'intelligence des affaires.

D'ailleurs, ce que l'on considère comme impossible existe. Nous avons en Belgique un établissement qui émet des billets de banque : la Banque liégeoise continue à émettre des billets ; elle en a pour plusieurs millions en circulation.

M. Boucquéau. - Ils ne circulent pas au delà de la province.

(page 989) M. Frère-Orban. - Qu'est-ce que cela fait ? Est-ce que Ia Banque liégeoise n'a pas ainsi plusieurs millions à si disposition ?

Tous ceux qui parlent de la liberté d'émission, qui considèrent la liberté d'émission comme étant le desideratum dans la matière qui nous occupent ont pour grand cheval de bataille les banques d'Ecosse. Voyez les banques d'Ecosse ! s'écrient-ils. Avec les banques d'Ecosse, on a la liberté, la sécurité et tous les principes économiques sont sauvegardés !

En bien, j'ai l'honneur de vous apprendre que vous pouvez tous, ici, créer des banques d'Ecosse, sous le bénéfice de la législation actuelle, tandis que depuis certain acte de 1845, la faculté d'émission est soumise en Ecosse aux mêmes restrictions qu'en Angleterre. (Interruption.)

Les anciennes banques d'Ecosse, sont des banques dans lesquelles les associés sont indéfiniment responsables, et présentent ainsi suffisamment de confiance et de garantie ; elles émettent des billets de banque qui sont acceptés par le public.

Ainsi vous n'avez, ni de fait, ni de droit, un monopole au profit de la Banque Nationale.

Mais, nous dit-on, il y a tout au moins un engagement moral au profit de la Banque Nationale. C'est une chambre de commerce qui essaye de nous faire craindre qu'il n'en soit ainsi.

Y a-t-il donc un engagement moral qui détruit la loi ? Car que dit l'article 25 ? «. La législature a le droit et le pouvoir de créer des banques de circulation. » Qui donc a pris cet engagement moral en faveur de la Banque ? Je proteste contre une pareille idée. Je nie complètement l'existence d'un pareil engagement, et je demande le respect de la loi, je demande que l'intérêt public soit toujours et avant tout sauvegardé.

Cette situation bien établie aura servi, je pense, à dissiper quelques erreurs, et il doit être évident pour tous que la question de la durée de la Banque n'a pas l'importance que l'on a essayé de lui donner : nous ne constituons ni monopole, ni privilège.

Quelles sont donc les raisons de la prorogation de trente ans proposés par le gouvernement ? On a fixé cette durée parce que la compagnie avec laquelle le gouvernement a traité a accepté des conditions spéciales. La loi limite rigoureusement l'emploi des capitaux de la Banque. La loi ne permet pas aux propriétaires de ces capitaux d'en disposer comme ils l'entendent ; elle les enchaîne, au contraire, et leur dit : Vous n'appliquerez vos capitaux qu'à tel objet déterminé ; c'est-à-dire à escompter des valeurs commerciales et à faire le commerce des matières d'or et d'argent, afin d'assurer, dans l'intérêt public, la circulation fiduciaire et métallique.

Donc l'Etat interdit à la Banque de disposer de ses capitaux pour les jeter sur le marché et en tirer le plus grand profit pour elle-même. C'est quelque chose, messieurs ; des gens qui possèdent des capitaux s'élevant à 50 millions pourraient bien vouloir en disposer librement.

La Banque accepte cette condition, et en retour qu'accorde-t -on à la Banque ? On lui accorde deux choses qui lui sont évidemment avantageuses : on lui confie les fonctions de caissier de l'Etat, et on déclare que ses billets pourront être admis dans les caisses du trésor public.

Je remarque en passant que la loi dit : La Banque fera le service de caissier de l'Etat.

Mais la convention relative au service du caissier de l'Etat doit être révisée tous les cinq ans, et n'y eût-il que les objections que peut soulever la révision de cette convention, vous voyez que l'avantage est très précaire. (Interruption.)

Ne discutons pas le point de savoir si, on disant que la Banque fera le service de caissier, on lui a donné un droit ou imposé une charge. Je vais concéder, pour aller plus vite, que tous les cinq ans on peut rompre ce contrat.

Les droits sont ce qu'ils sont ; si ultérieurement on veut les discuter, on le fera ; je prends les termes les plus favorables à la thèse de mes adversaires.

On peut donc, tous les cinq ans, rompre ce contrat, enlever la caisse à la Banque ; et quant à l'admission de ses billets dans la caisse de l'Etat, il suffit d'un simple ordre du ministre des finances pour que demain matin on ne les reçoive plus nulle part. Voilà ce qui est accordé à la Banque.

Or, messieurs, - sans parler du service de caissier, et en supposant que la Banque continue à garder ce qui serait alors un service onéreux pour elle, - si le gouvernement voulait user du droit que lui confère l'article 25 et créer une ou plusieurs nouvelles banques, rien ne lui serait plus facile que de réduire d'une manière bien notable la situation de la Banque Nationale.

Que lui aurait-on accordé si elle n'avait pas même la faculté de vivre, ainsi réduite, pendant un temps assez long ?

Dans ces conditions, le terme est indifférent pour la garantie de l'intérêt public. Cette garantie se trouve dans l'obligation pour la Banque de toujours accomplir de la manière la plus rigoureuse tout ce qu'exige légitimement l'intérêt public.

Ce n'est qu'à cette condition qu'elle sera préservée ; si elle ne répond pas aux besoins du public, si elle ne satisfait pas complètement à l'intérêt général, elle est toujours sous le coup d'une action menaçante pour elle. De là résulte clairement que les inconvénients qu'on peut justement craindre d'un monopole ne sont pas à redouter ici.

Quand un monopole existe, le zèle de celui qui en jouit peut se refroidir ; le possesseur s'endormira, s'il n'est pas excité par quelque concurrence., par quelque moyen qui suscite son attention, son activité ; celui-là cherchera à tirer le meilleur profit possible de son monopole avec le moins d'efforts possible.

Aujourd'hui la Banque placée sous l'œil du public, sous le contrôle du gouvernement et des Chambres, a toujours à répondre à cette question : Avez-vous satisfait à l'intérêt public ? Dans la négative, nous avons le droit de créer une autre Banque à la place de la vôtre.

La Banque, est donc tenue d'accomplir tous les progrès, toutes les améliorations qui sont dans l'ordre de son institution. La Banque sera, sans doute, comme toutes les institutions de ce genre, soumise à certaines heures aux attaques les plus vives, aux critiques les plus violentes.

On lui imputera la plupart des maux qui se révéleront au milieu d'une crise politique, financière, commerciale ou industrielle. Mais, le calme revenu, elle aura pour elle la protection de la législature, qui jugera sagement, impartialement si elle a rempli convenablement toutes ses obligations.

Pour que la Banque puisse accomplir sa mission, il lui faut une condition essentielle, importante : il lui faut la garantie d'une existence assez longue. Celle qui lui a été assurée, nécessaire pour elle-même, ne l'a pas été inutilement pour les intérêts généraux du pays.

La Banque a contribué grandement au développement industriel et commercial du pays. La Banque a fait, si je puis ainsi parler, l'éducation commerciale du pays en fait de circulation fiduciaire. Mais elle doit rendre de nouveaux services encore ; elle n'a pas fait assez ; elle fera plus.

Il faut que ses divers services soient plus étendus qu'ils ne le sont actuellement ; il faut que ses agences fassent dans l'avenir ce que toutes ne font pas aujourd'hui ; que, dans l'intérêt du commerce, le système des comptes courants soit établi dans ces agences ; que la Banque fasse les encaissements le plus loin possible, non pas dans toutes les communes du pays, comme le demandait l'honorable M. Dansaert, mais dès à présent, dans le rayon des grands centres industriels ; qu'elle ne se borne pas à opérer les encaissements dans les localités où sont établies ses agences, mais dans toutes les localités importantes où des industriels, des négociants pourraient sans cela être exposés à subir des pertes.

Eh bien, pour établir ces agences, pour développer le système des comptes courants qui procurent de nombreux avantages à ceux qui en jouissent, la Banque a des dépenses à faire ; si vous voulez qu'elle rende tous ces services, il faut au moins lui permettre d'amortir ce qu'elle aura employé à ces améliorations.

La Banque Nationale aura aussi à contribuer, dans la plus large mesure, à l'établissement du crédit agricole, si, comme je l'espère, d'après les idées que je développerai dans cette discussion, la Banque Nationale peut servir à établir cet important moyen d'aider à la production de la plus grande industrie du pays. Pourquoi propose-t-on de donner à la Banque une nouvelle durée de trente années ? Vous le voyez par les raisons que je viens d'indiquer. Mais il en est une autre encore : c'est que ce terme de trente années va être le droit commun en Belgique ; dans l'état actuel de la législation, les sociétés anonymes peuvent se constituer pour un temps indéterminé ; le projet de loi sur ces sociétés, qui est soumis à vos délibérations, porte qu'elles ne pourront se constituer dorénavant que pour un terme de trente années.

Eh bien, on fait à la Banque Nationale l'immense faveur de lui accorder ce que désormais toutes les sociétés anonymes pourront stipuler librement sans l'intervention de l'Etat, une existence de trente ans !

Ainsi il n'y a aucun privilège ; il n'y a d'autre sécurité garantie à la Banque que celle qui est la conséquence naturelle des services qu'elle est appelée à rendre à la communauté, et dont personne ne peut méconnaître l'importance.

(page 990) Si la Chambre y consent, je continuerai ce soir.

M. le président. - L'honorable M. Julliot vient de faire parvenir au bureau deux amendements ainsi conçus :

« Ajouter au n° 2 de l'article premier la disposition suivante :

« Quand la circulation des billets dépassera 250,000,000 de francs, il sera perçu par l'Etat 1/2 p. c. sur le surplus à émettre. »

« Ajouter au n°4 de l'article premier la disposition suivante :

« Ce tantième sera de la moitié sur les bénéfices dépassant 10 p.c. »

- La séance est suspendue à 5 heures et reprise à 8 heures.

M. Frère-Orban. - J'ai maintenant, messieurs, a examiner les modifications qui sont proposées par le gouvernement à la loi de 1850.

A ce sujet, on me dit, d'un air un peu malicieux, qu'il y a un accord inattendu entre M. le ministre des finances et moi.

On supposait probablement que j'allais me mettre a la tête d'une croisade contre la Banque. En cela on s'est trompé. Si, comme d'autres le font encore, on suppose qu'il s'agit ici d'une affaire arrangée entre l'honorable M. Malou et moi, on se trompe tout autant. J'ai su quelles étaient les intentions de M. le ministre des finances ; j'ai su qu'il était en négociation avec la Banque ; j'ai su quels étaient ses projets à cet égard ; mais qu'il y ait eu un arrangement quelconque entre l'honorable ministre et moi, c'est assurément ce qui n'est pas.

M. Muller. - Il n'y aurait pas de mal à cela.

M. Frère-Orban. - Assurément ; mais il faut dire la vérité. Que je sois d'accord avec l'honorable ministre sur des choses qui sont conformes à mes idées, il me semble que cela doit paraître assez naturel, mais que précisément mes idées aient passé dans les propositions du gouvernement, c'est en quoi l'on se trompe.

Si j'avais eu à traiter cette affaire, je n'aurais pas proposé l'augmentation du capital de la Banque. J'aurais supprimé la faculté de faire des prêts sur fonds publics qui appartient aujourd'hui à la Banque, et j'aurais beaucoup hésité avant de constituer la Banque garante du placement des valeurs du trésor public.

Mais il ne résulte pas de ces différences d'opinion, sur les questions que je viens d'indiquer, entre l'honorable ministre des finances et moi, que cela puisse me constituer à l'état d'opposant sur l'ensemble de ses propositions, que je crois conformes aux vrais principes sur la matière et favorables aux intérêts du pays.

Sur la question du capital, l'accord est d'autant plus facile qu'au fond la dissidence ne pouvait pas être grande.

Il y a aujourd'hui un capital de 25 millions.

Mais avec la réserve qu'on ajoute à ce capital, on a déjà 57,500,000 fr. La différence n'est donc qu'entre le complément pour arriver à 50 millions et ce qui existe déjà aujourd'hui à la Banque.

Quant à ceux des honorables membres qui ne sont pas même satisfaits du capital porté à 50 millions et qui voudraient qu'on réservât encore à l'Etat la faculté d'imposer à la Banque, dans un temps donné, l'obligation d'augmenter encore son capital, je suis obligé de les combattre ; je ne puis partager leur opinion.

Je fais remarquer, d'ailleurs, que le capital s'accroît naturellement ; il s'accroît consomment, chaque année, à moins qu'il n'y ait des pertes qui seraient de nature à entamer la réserve, ce qui est fort peu probable. Mais on avait constitué en 1850 une réserve qui était telle, qu'on serait arrivé, à l'expiration du terme de la concession, à doubler pour ainsi dire le capital, à peu de chose près.

La quotité à mettre à la réserve va être diminuée ; je crois que le gouvernement a bien fait ; il était inutile d'avoir une aussi forte réserve. Mais cette réserve constituera un accroissement constant du capital pendant tout le temps que durera la concession de la Banque.

Examinons encore une fois cette question de l'accroissement du capital, qui constitue une très grosse erreur, dans laquelle versent beaucoup de personnes.

On ne se fait pas une juste idée de l'établissement qui a été fondé en 1850. Je ne puis trop le répéter : il a été créé pour fabriquer et émettre de la monnaie de banque, pour réunir et faire fructifier la réserve métallique du pays, et pour atteindre ce but, qui est celui de son institution. Il ne peut faire que des choses très restreintes, très limitées ; non pas toutes opérations de banque, non pas toutes opérations que peuvent faire les banquiers, mais exclusivement l'escompte des valeurs commerciales et le commerce des matières d'or et d'argent. La Banque ne peut pas recevoir des dépôts en compte courant, elle ne peut pas faire des avances au commerce et à l'industrie ; elle ne peut faire aucune espèce d'opération pour le placement d'obligations des compagnies, etc.

Ses opérations sont donc extrêmement limitées.

Eh bien, une institution organisée dans de pareilles conditions est d'autant plus parfaite qu'elle a un moindre capital. C'est la perfection du genre d'avoir un capital restreint. Il en faut un assurément ; mais il ne doit qu'être proportionné aux risques éventuels. L'institution est faite précisément pour se passer de capital, pour qu'elle opère avec son crédit. C'est la raison d'être de la Banque. Voilà pourquoi il ne lui faut qu'un capital destiné à servir de garantie à ses opérations.

C'est, messieurs, une vérité économique, aujourd'hui la plus incontestée de toutes, qu'une banque d'émission doit opérer dans de telles conditions.

Je sais parfaitement bien qu'on a opposé l'opinion émise dans les enquêtes françaises par un certain nombre de personnes, qui ont prétendu que le capital de la Banque française était insuffisant.

Il se trouvera toujours des personnes pour réclamer dans ce sens ; mais je demande s'il est un seul économiste français, un seul homme de science, un seul homme pratique et dont l'opinion ait quelque autorité dans de pareilles questions, qui sanctionne la thèse que j'ai entendu défendre ici quant au capital nécessaire d'une banque d'émission. (Interruption.)

L'écrivain dont on cite le nom a émis beaucoup d'idées, très contestables et très contestées. Il n'est pas assurément l'un des maîtres de la science.

Or, je parle de personnes qui aient de l'autorité. Je sais parfaitement que dans la Cité de Londres, il ne manquera pas d'épiciers pour soutenir qu'il faut un gros capital et surtout pour avoir une forte encaisse métallique ; mais ni les Peel, ni les Gladstone, ni Newmarch, ni Rooke, ni lord Overstone, ni Wilson, ni tant d'autres, ne se font les défenseurs de cette opinion. (Interruption.)

Je vous parle de personnes réellement compétentes dans la question.

Lorsque Robert Peel a reconstitué la Banque d'Angleterre en 1844, est-ce qu'il a songé un seul instant au capital de cette Banque, bien que son but fût entre autres d'assurer une encaisse métallique ? Non. Et pourtant le capital de cette Banque est complètement aliéné.

C'est une question qui, si mes souvenirs sont exacts, n'a pas même été agitée. A cette époque, on n'a pas cru qu'il fût nécessaire d'exiger un capital plus considérable de la Banque d'Angleterre.

Messieurs, la thèse que je soutiens pourrait être contestée, si c'était une simple théorie ; mais cela existe dans la pratique la plus régulière. Les banques les plus considérables fonctionnent sans capital, c'est-à-dire sans capital destiné aux affaires ; il y a un capital de garantie, mais il est aliéné en fonds publics. La Banque d'Angleterre n'a pas un seul penny de son capital dans les affaires. Elle a un capital de 11 millions de livres sterling, mais, il est placé en fonds publics et le capital total aliéné s'élève à 14 millions de livres sterling.

La Banque de France n'a pas non plus un sou dans les affaires. En 1806 on a augmenté son capital de 100 millions ; cette augmentation a été immédiatement convertie en fonds publics, et le capital augmenté a été employé ainsi à un emprunt fait par l'Etat ; quant au capital antérieur à 1867, il était entièrement engagé dans les fonds publics et dans un crédit permanent que la Banque de France faisait à l'Etat, et qui s'élève à 60 millions de francs.

Tout est donc absorbé et la Banque fonctionne sans capital. Si elle venait à faire des pertes, il y aurait évidemment à aliéner ses rentes ; mais, quant à un capital engagé dans les affaires de la Banque, il n'y en a pas.

Nous savons que, par suife de la même erreur économique, le capital de la Banque Nationale a été élevé, en 1854, à 25 millions. La responsabilité de l'erreur revient à mon successeur au département des finances ; la Banque avait alors un capital de 15 millions, on a voulu le porter à 25 millions.

La Banque Nationale établissait que cela n'était pas nécessaire, qu'il n'y avait aucune utilité à le faire, et que l'augmentation du capital devait être prélevée au préjudice des affaires dans lesquelles les fonds étaient engagés. En les plaçant à la Banque, où ils n'étaient pas nécessaires, on les faisait nécessairement manquer là où ils se trouvaient utilement employés.

Une seule question est à poser, quand il s'agit de la fixation du capital : Quelles sont les pertes que peut faire la Banque ? Il y en a pas d'autres. Tout ce qui excède le montant des pertes éventuelles est complètement inutile.

Voilà le principe théorique ; dans son application, on excède toujours et de beaucoup la mesure parce qu'un capital élevé impose au public peu éclairé et inspire d'ailleurs confiance.

(page 991) A ce point de vue, ii y a des préventions avec lesquelles il est difficile de ne pas compter. Mais le rôle d'un gros capital dans les affaires d'une banque d'émission et surtout son action sur la composition de l'encaisse métallique, comme le veulent la plupart des orateurs qui ont été entendus, ne sont supposés qu'à cause d'inexplicables erreurs économiques ou d'étranges confusions d'idées.

Je puis en donner une preuve plus péremptoire que toutes les autres. Si les idées des hommes de progrès avaient pénétré dans la Chambre en 1850, au lieu de n'y pénétrer qu'à présent, bien certainement les hommes de progrès auraient demandé mon interdiction pour cause d'insanité d'esprit, lorsque je suis venu présenter la loi de 1850. Cela est incontestable. Jugez-en :

Je vins dire à la Chambre : Voici deux établissements de crédit que nous avons dans le pays ; ils sont en état de suspension de payement ; on a dû décréter le cours forcé de leurs billets ; eh bien, ces deux établissements en état de suspension de payement vont à eux deux constituer une banque au capital de 25 millions, et ils vont verser effectivement 15 millions de francs dans l'opération.

Ils versèrent ces 15 millions ; mais pour les amateurs du capital métallique, je dirai qu'ils versèrent ces 15 millions en valeurs de portefeuille, en grande partie au moins.

Et que fait-elle, cette banque ainsi constituée ? D'abord et en exécution des conventions qui ont préparé la formation de la Banque, elle ouvre à l'un des établissements constituants un crédit qui peut aller jusqu'à 20 millions de francs et dont on use, en effet, à concurrence de 9 millions. Puis le gouvernement dit à cette Banque : Si vous m'achetiez un peu de fonds publics, cela me conviendrait très fort en ce moment. Et elle acheta des fonds publics pour 5,837,300 francs ; neuf millions de crédit d'un côté, 5,837,300 francs de fonds publics de l'autre : il ne lui restait plus rien de son capital !

Le voilà disparu. Le capital n'est plus à la Banque ; il est aliéné ! Et voici bien plus fort : dans le cours de l'année, le gouvernement fait un emprunt de 20 millions, et à cette même Banque, qui a ouvert un crédit de 9 millions, qui a acheté des fonds publics pour 5,800,000 francs, le gouvernement vient proposer de prendre une partie de l'emprunt qu'il avait l'intention d'émettre.

Et la Banque en prend pour 8 millions. Mais elle ne s'arrête pas là. Elle continue ses extravagances ; elle achète des fonds publics pour 5,600,000 francs.

Puis enfin elle s'avise d'opérer des escomptes pour 168,311,000 francs, c'est-à-dire, à raison de 14 millions par mois ; elle a des comptes courants pour 23 millions.

Eh bien, dans ces conditions, la Banque a fait parfaitement face à tous ses engagements ; elle a satisfait à toutes ses obligations ; elle a eu à toute époque une encaisse métallique largement suffisante pour répondre de ses engagements ; elle a eu une circulation de 50 millions de francs. Voilà toute l'histoire. C'est précisément ce qui constitue la merveille du crédit ; c'est une circulation portée à 50 millions de francs, avec des comptes courants de 25 millions qui lui ont permis de faire les opérations que je viens d'indiquer. C'est la première année d'exercice de la Banque Nationale ; elle a eu son encaisse métallique, comme cela devait naturellement arriver, par le seul mouvement de ses affaires. Et voilà ce que ne peuvent comprendre les honorables MM. Demeur et Balisaux.

Ainsi que l'honorable M. Pirmez l'a déjà dit à la Chambre, la Banque ne s'amuse pas à semer ses billets pour que les plus pressés les ramassent. Elle les donne contre quelque chose, contre des valeurs, contre des effets que l'on vient lui présenter à l'escompte, ou bien contre des écus qu'on lui apporte. On ne pense jamais à cela. On s'imagine qu'il n'y a pas d'amateurs de billets qui viennent les prendre pour des écus ; il y en a et beaucoup. L'encaisse métallique se forme ainsi naturellement ; c'est à la Banque de veiller à ce que son encaisse ne descende pas au-dessous d'un certain chiffre. Elle le fait par des moyens qui sont connus. Le meilleur de tous, c'est la hausse de l'escompte.

Mais, dit-on, la combinaison nouvelle restreint le disponible de la Banque. Pourquoi ? Parce que l'encaisse de l'Etat, que la Banque faisait fructifier jusqu'à présent à son profit, devra fructifier désormais au profit de l'Etat.

Mais, messieurs, le simple exposé que je viens de faire montre que rien n'est changé à la situation au point de vue des affaires.

M. Boucquéau. - L'encaisse sera appliquée à l'escompte des valeurs étrangères.

M. Frère-Orban. - Sans doute, c'est ce que devra faire l'Etat, parce qu'il ne doit pas précisément aller faire concurrence à la Banque, lorsque l'état du marché ne le commandera pas. Mais la Banque ne plaçait-elle pas aussi ses fonds en valeurs étrangères ? Son portefeuille en ces valeurs ne s'est-il pas élevé à 71 millions de francs ? Ce sera incontestablement aux valeurs étrangères que l'encaisse sera généralement appliquée et cela par deux raisons : parce que l'Etat ne doit pas aller prendre des valeurs que la Banque prend elle-même ; et aussi parce que ces valeurs permettent une réalisation facile et exempte d'embarras en certains moments de crise.

L'Etat, dans certaines circonstances, peut encaisser ainsi son portefeuille de valeurs étrangères, en empruntant des capitaux à l'étranger, au lieu d'aller les récolter dans le pays. Mais, hors les cas de guerre ou de crise politique, qui exigeraient la disponibilité de l'encaisse appartenant à l'Etat, le portefeuille de l'Etat peut être mis au service de la Banque, sans aucune difficulté.

Je suppose que, dans un moment donné, il y ait une demande plus vive d'escompte à l'intérieur ; l'Etat a un portefeuille de valeurs étrangères, il le remet à la Banque, qui lui donne en échange des valeurs sur l'intérieur ; la Banque réalise les valeurs étrangères et en applique le produit à l'escompte, au plus grand profit du commerce et de l'industrie.

C'est donc pour la Banque elle-même une véritable réserve, dont elle peut disposer dans l'intérêt du pays.

Messieurs, on suppose, et de là naissent les préoccupations relatives au capital, que les ressources manquent à la Banque. C'est une grave erreur. Elles n'ont jamais manqué. Si la Banque était sévère quant au papier qu'on lui présente, son portefeuille diminuerait beaucoup. Mais elle va au delà de ses engagements, d'abord parce que beaucoup d'opérations ne se présentent pas dans leur réalité et qu'on n'arrive pas à distinguer facilement si les effets présentés couvrent une opération véritable ou cachent un emprunt déguisé ; ensuite parce qu'il lui arrive de fermer les yeux et de prendre des effets de circulation. Je ne la loue pas de ces actes ; je les constate. Ils sont engendrés par l'abondance des moyens d'escompte. Enfin, la Banque trouve dans son crédit des ressources infinies, car il est susceptible d'une extension dont on ne peut fixer les limites.

Mais par l'accroissement du capital, ce que l'on veut à tout prix, c'est l'honorable M. Dansaert qui le dit, « c'est un remède pour mettre la Banque à l'abri des crises qu'elle engendre elle-même par l'insuffisance de son encaisse, crises qu'elle a pour mission de conjurer, d'empêcher de naître et qui viennent fatalement surprendre le travail national en temps de pleine prospérité des transactions les plus sérieuses, les mieux justifiées. »

L'honorable membre le reconnaît : En tant que destiné à servir de garantie, le capital porté de 25 à 50 millions est surabondant ; mais, à ses yeux, ces 50 millions « sont complètement insuffisants pour faire face aux besoins métalliques qui doivent accompagner la progression successive d'émission de billets pendant trente ans. »

Voilà pourquoi, aux yeux de l'honorable membre, un capital plus considérable est nécessaire.

Celui qui trouvera le moyen de mettre les banques de circulation à l'abri des crises aura droit à un brevet d'invention et à une récompense nationale.

Mais quel que soit son génie, il ne saura les mettre à l'abri des crises politiques et financières, ni d'une disette, qui bouleverse singulièrement le marché des capitaux et fait naître des perturbations considérables.

Et quant à l'expédient d'un gros capital, il est certain d'avance qu'il ne changera rien à la situation de l'encaisse métallique. On peut avoir une forte encaisse métallique et un petit capital, ou même être sans capital ; ou peut avoir un très grand capital et une encaisse très faible. Il n'y a pas de corrélation nécessaire entre les deux termes.

Quand la Banque aura un gros capital, le mettra-t-elle en cave ? Evidemment non ; elle l'appliquera, elle l'emploiera, elle le fera fructifier, et il n'y aura pas de réserve métallique pour les moments de crises. Ce capital sera engagé dans les affaires, et à moins que vous ne le fassiez mettre en cave ou au grenier, il ne pourra pas être utile dans les circonstances que vous indiquez : c'est absolument impossible.

L'idéal de certains honorables membres et particulièrement de l'honorable M. Dansaert me paraît être la situation de Hambourg. C'est à Hambourg qu'il a fait allusion en parlant d'énormes virements qui s'y opéraient en banque (interruption), faisant entendre que l'on n'y est point troublé par les mouvements de la circulation fiduciaire, les affaires reposant sur une circulation exclusivement métallique.

Eh bien, croyez-vous que cela mette une place de commerce à l'abri des crises ? Voilà la question. Beaucoup l'ont cru, beaucoup l'ont pensé, parce que c'est ce qui apparaît dans une crise : tout le monde se précipitant vers la Banque, la Banque doit se défendre, elle doit prendre des mesures page 992) pour préserver son encaisse. On dit alors : C'est la Banque qui a commis le crime ; elle devait pourvoir à tous nos besoins.

Dans la grande crise de 1857 on a dit en Angleterre : Le mal est là, c'est la Banque qui a fait le mal ; si nous avions eu une autre circulation, nous aurions beaucoup moins souffert de la crise.

La chambre des communes a ordonné une enquête : c'est la dernière de ces remarquables enquêtes anglaises qui ait été faite. Elles ne comprennent pas moins d'une dizaine de volume.

M. Couvreur. - Ne pourrait-on en faire une aussi en Belgique ?

M. Frère-Orban. - Oh ! c'est parfaitement inutile. Une enquête ici ne vous apprendrait assurément rien. Qu'on prenne parement, simplement les enquêtes anglaises et qu'on les complète par l'enquête française qui vient d'être faite. Il y a là tous les éléments nécessaires pour l'appréciation de la question. On ne fait plus d'enquête en Angleterre sur cet objet et l'on n'en fera probablement plus ; la question des banques de circulation est jugée.

On a donc fait, en 1856, une enquête. Eh bien, voici ce que je lis dans le rapport du comité de la chambre des communes et vous allez voir si les banques de dépôt et de circulation, non fiduciaires mais métalliques, mettent à l'abri des crises.

« Ce sera maintenant, dit le comité, une étude instructive que d'examiner le nord de l'Europe, de considérer d'un œil attentif les pays où la circulation est exclusivement métallique, Hambourg, par exemple, et de comparer l'état des affaires dans ces contrées avec celui qui s'est produit en Angleterre.

« A Hambourg, le 23 novembre 1857, le discrédit était tel que les billets de trois ou quatre des meilleures maisons étaient seuls négociables ; encore fallait-il payer un taux fort élevé. Quelques-unes des principales banques imaginèrent un plan pour combattre ce mal : c'était de souscrire un million de livres et de nommer une commission pour appliquer ce capital, par voie d'endossement, aux billets en circulation. D'abord la confiance parut être ranimée, mais, au bout de deux jours, cet espoir s'évanouit, et le 25, les affaires avaient repris un aspect tout aussi menaçant. Le 27 eut lieu une assemblée de la Burgerschaft, et le sénat proposa d'émettre des bons du gouvernement sur dépôt de marchandises, effets publics et actions jusqu'à concurrence de 1,125,000 livres. Le lendemain, l'état de la Bourse s'était amélioré par suite de cette mesure et de l'arrivée d'une quantité considérable d'argent. Pourtant le 1er décembre, notre consul écrivait : « Les embarras du commerce sont toujours les mêmes. » Et à la date du 3 : « L'argent ne manque pas dans la Banque de Hambourg ; elle en possède dans ses caves beaucoup plus qu'elle n'en a jamais eu, mais un manque absolu de confiance empêche les détenteurs de s'en dessaisir. » Les bons du gouvernement ne pouvaient être escomptés ; enfin, on put contracter un emprunt à Vienne, mais l'arrivée des espèces ne produisit pas l'effet attendu avant que le sénat eût proposé d'investir un comité secret du pouvoir de les prêter sur garanties solides. Le 12 décembre, on sut que, grâce à l'aide du gouvernement, les maisons les plus importantes pourraient remplir leurs engagements, et la panique cessa aussitôt. L'argent reparut en abondance, et peu de jours après, le taux de l'escompte était retombé à 2 et 3 p. c.

« Les renseignements sur ce sujet dans les différents pays du nord de l'Europe sont très significatifs ; ils témoignent de la violence de la crise qui se fit alors sentir et montrent qu'il faut en attribuer la cause à l'extension exagérée du crédit ; ils prouvent avec évidence qu'il n'est pas de système monétaire qui puisse mettre le commerce à l'abri de sa propre imprévoyance. »

Durant cette crise de 1857, l'escompte s'éleva à New-York jusqu'à 36 p. c. Il fut, pendant toute la crise, à Londres et à Paris, de 10 p. c. Eh bien, par événement - remarquez que je n'attribue pas cela à l'institution de la Banque Nationale - pendant toute cette crise l'escompte de la Banque fut maintenu à 6 p. c., soit un écart de 4 p. c. avec Londres et Paris.

Mais si, parmi les orateurs qui ont parlé, tous ne vont pas jusqu'à vouloir d'une circulation exclusivement métallique, ils s'accordent à déclarer tout au moins que les réserves sont insuffisantes.

L'honorable M. Demeur a réuni une quantité énorme de chiffres ; il a dépouillé des comptes de la Banque d'Angleterre, de France, des Pays-Bas, et il a trouvé qu'à un jour donné, l'encaisse de ces banques était supérieure à celle de la Banque Nationale.

Mais je me demande ce que l'honorable membre a prouvé et ce qu'il a voulu prouver.

Nous allons lui montrer qu'un autre jour l'encaisse de la Banque Nationale était supérieure aux encaisses des banques d'Angleterre et de France.

Qu’est-ce que nous aurons prouvé de notre côté ? Nous n'aurons prouvé que ce fait-là.

Mais aurions-nous trouvé un principe ? Aurions-nous trouvé la règle qu'il faut appliquer ? Evidemment non.

Je ne parviens pas à découvrir ce que l'honorable membre veut démontrer. Il n'en sait rien lui-même. Ses idées ne sont pas nettes ; il flotte indécis entre des solutions diverses. Après avoir aligné tous ses chiffres, il se tourne vers les banques où il trouve dans le moment de fortes encaisses et dit : Je ne prétends pas que ce n'est pas trop ; puis, se tournant vers la Banque Nationale, il dit : Je n'oserais pas affirmer que ce soit assez.

Expliquez-vous. Voulez-vous prétendre que la règle qui exige que l'encaisse soit du tiers au moins, avec faculté de descendre au quart dans certaines circonstances et sous certaines conditions, est une règle vicieuse et qu'elle doit être changée ? Voulez-vous faire décider que l'encaisse sera de 50 p. c, de 75 p. c. des engagements immédiatement exigibles ? Voulez-vous transformer la banque de circulation en banque de dépôt ? Ce serait, en vérité, un singulier progrès.

L'expérience prouve que l'on peut descendre au tiers, même au quart des engagements exigibles, sans compromettre la sécurité d'une banque.

Ce n'est pas là un principe absolu. Selon les temps, selon les lieux, il peut être utile de se maintenir au-dessus de la limite du tiers, comme il peut être sans danger de descendre au-dessous. Les circonstances diverses peuvent influer à cet égard sur l'administration des Banques. Si la circulation est d'or, les encaisses doivent être plus fortes que si la circulation est d'argent.

L'encaisse peut varier ; elle peut être inférieure à un tiers ou à un quart, selon l'éducation économique du pays. Il y a des circonstances où, au milieu d'une crise et pour la conjurer, on peut s'affranchir des règles de prudence ordinaire quant à l'encaisse métallique.

En Angleterre, qu'est-il arrivé lors des crises de 1847 et de 1857 ?

On a dû violer l'acte de 1844, œuvre de sir Robert Peel, qui prescrit de n'émettre des billets au delà de 14 millions sterling, que contre un dépôt métallique équivalent. Ce n'était donc pas l'insuffisance de l'encaisse métallique qui arrêtait en ce moment l'action de la banque, c'était l'obstacle à l'émission des billets, c'était la prescription relative à la réserve métallique qui accroissait l'intensité de la crise.

Le gouvernement prit alors la résolution « d'informer la Banque d'Angleterre que si elle se trouvait incapable de faire face aux demandes d'escomptes et d'avances sur bonnes valeurs, sans dépasser les limites imposées à la circulation par l'acte de 1814, le gouvernement serait prêt à proposer au parlement, lorsqu'il sera réuni, un bill d'indemnité pour le surplus des émissions qui pourraient avoir eu lieu. »

Cette résolution, prise le 12 novembre 1857, était signée par lord Palmerston et sir Cornwall Lewis. Elle eut pour effet de calmer l'esprit public et d'atténuer ainsi la violence de la crise ; mais elle ne fit pas diminuer immédiatement les demandes d'escomptes et d'avances. Les demandes continuèrent de s'accroître jusqu'au 21 novembre ; à cette date, et en s'affranchissant de toutes les règles du temps ordinaire quant à la réserve métallique, la Banque avait avancé en escomptes 21,600,000 liv. st., somme supérieure à celle des dépôts tant publics que privés, presque triple du chiffre de ses avances en juillet, et au moins double de ce qu'elle avait avancé au 27 octobre, quand la première banque fit faillite. La moitié des prêts fut faite à des courtiers de change et en partie sur des valeurs qu'en d'autres circonstances la Banque n'aurait pas voulu accepter. On le fit dans le but de soutenir le crédit commercial à une époque de crise violente. Tous ces faits sont constatés par l'enquête de 1858, et ils montrent bien l'erreur de ceux qui supposent que toujours l'insuffisance de l'encaisse métallique est ce qui paralyse l'action d'une banque d'émission.

Mais la règle, comme principe général, n'en est pas moins salutaire. Le bill d'indemnité fut accordé ; mais le principe du bill de 1844 fut maintenu. Les émissions avaient excédé de 2,000,000 de livres le chiffre fixé par la loi.

En d'autres temps, c'est la réserve métallique qui est attaquée par le public, il est clair que si nous composions seul le public, nous, qui sommes ici, il n'y aurait aucune espèce de danger pour la Banque. Irions-nous nous précipiter à la Banque pour demander le remboursement de nos billets en temps de crise ? Evidemment non ! Nous avons tous la certitude qu'il est absolument impossible que personne vienne à perdre un centime. Nous savons qu'à supposer les crises les plus intenses et les plus prolongées, il n'y a pas à craindre que le porteur d'un billet de la Banque soit exposé à perdre un centime.

- Un membre. - Et les communeux ?

M. Frère-Orban. - Si les communeux mettaient la main sur le (page 993) portefeuille, les souscripteurs des effets ne payeraient pas en leurs mains. Mais tout le public n'est pas éclairé ; il y a d'ailleurs nécessité de pouvoir disposer en certaine mesure d'espèces métalliques. De la l'obligation pour une banque d'émission d'assurer tout à la fois la circulation fiduciaire et la circulation métallique. Elle doit être attentive et prudente ; elle doit se déterminer d'après les circonstances et la nature de la crise qu'elle doit affronter. Mais, à cause de ces éventualités, vouloir l'astreindre à conserver, d'une manière permanente, de fortes encaisses métalliques, c'est le progrès à rebours, c'est retourner tout simplement aux banques de dépôts et renoncer aux moyens de perfectionnement de circulation qui résultent des banques d'émission.

Ou nous dit : Mais nous avons les Unions de crédit. L'avenir est peut-être de ce côté. Si les Unions de crédit avaient le droit d'émission, la perfection en fait de banque serait réalisée. Ce sont, dit l'honorable M. Dansaert, des établissements de toute première solidité ; c'est sur cette base, dit l'honorable M. Demeur, qu'il faudra sans doute édifier les banques d'émission, mais dans un temps si éloigné apparemment qu'il ose à peine l'entrevoir par la pensée. Cette perspective doit néanmoins flatter les Unions de crédit. Si on ne leur donne aujourd'hui que de l'eau bénite de cour, ce qui fait bien par la main des hommes du progrès, on ne leur enlève pas du moins toute espérance d'être un jour les régulatrices de l'émission fiduciaire. Chose étrange, ce sont cependant ceux-là mêmes qui font aujourd'hui reposer toutes leurs objections sur le capital et l'encaisse métallique qui font ces révérences aux Unions de crédit.

Je ne suis pas hostile aux Unions de crédit ; elles le savent, je les ai aidées en toutes circonstances et leur ai donné plus d'une fois des conseils ; je crois qu'on doit contribuer à les aider autant que possible à continuer l'expérience d'une organisation de crédit qui est née chez nous en 1848.

Mais il faut bien reconnaître que ce sont des institutions extrêmement dangereuses, et surtout si elles sortent des règles mêmes de leur institution. Qu'est-ce qu'une Union de crédit ? Des particuliers, des commerçants qui se réunissent et qui déclarent entre eux que chacun d'eux a droit à un crédit dont ils fixent eux-mêmes le chiffre et, à titre de capital réalisé, ils versent dans la caisse commune 5 p. c. de ce crédit.

Les choses ainsi faites, l'Union de crédit établit les règles sous lesquelles elle place la société et nomme un comité d'admission. La vie de la société peut dépendre de la prudence et des connaissances de ce comité. Il ne manque pas de gens qui aspirent à jouir d'un crédit étendu.

Mais dans quelle mesure est-il mérité ? C'est toujours une question d'appréciation difficile. Ces sociétés sont mobiles : on y entre par le comité et l'on en sort quand on veut. Leur garantie est variable, peu aisée à suivre dans ses mouvements, d'un contrôle incertain pour les tiers. La garantie résulte de ce que les solvables ont intérêt à surveiller ceux qui le sont moins ; mais les associés ne sont tenus que dans la limite du crédit que leur fait la société.

Maintenant comment peut opérer une institution de ce genre ? Elle n'a pas le premier sou, et évidemment si on lui accordait le droit d'émission d'une circulation fiduciaire, comme quelques-uns l'ont imaginé, ce n'est ni vous ni moi qui prendrions ses billets. Mais ces institutions si solides, si admirables, que quelques-uns même croient pouvoir substituer à la Banque Nationale, sont impossibles sans une institution quelconque au-dessus d'elles qui réescompte leur papier. (Interruption.) Il leur faut nécessairement une institution au-dessus d'elles ; sans cela elles ne pourraient pas vivre : sans la Banque Nationale, les Unions de crédit ne subsisteraient pas.

Sans doute, elles peuvent bien, dans certains moments, escompter ailleurs qu'à la Banque Nationale ; lorsque des dépôts leur sont faits, elles peuvent escompter à l'aide de ces dépôts. Mais ces dépôts faits, les crédits accordés, ces sociétés sont en danger dans les moments de crise. Ainsi, ne parlons pas des Unions de crédit dans le sens que vous indiquez là. Ne mettons pas devant leurs yeux des mirages trompeurs. Disons tous aux Unions de crédit : Restreignez-vous strictement dans le but de votre institution, qui est de vous prêter mutuellement le crédit. Ne vous engagez pas dans des affaires étrangères à cet objet, qui doit être votre unique mobile. Evitez de vous charger de dépôts qui sont en péril dans les moments de crise. Attendez du temps la constitution d'un actif réalisé qui vous permette d'agir avec plus de sécurité, et à ces conditions, vous trouverez le secours et le concours de la Banque Nationale.

Au milieu des confusions d'idées que j'ai essayé de faire disparaître, et des objections que j'ai combattues, ce que l'on démêle parfaitement, c'est l'écho des plaintes qui se font jour, principalement aux moments de crise, contre l'élévation du taux de l'escompte ; en un mot contre les mesures restrictives que prend alors la Banque Nationale. Voilà ce qui est au fond de la pensée des honorables membres qui ont pris la parole ; ils croient que l'on peut faire que cette situation ne se présente pas à certaines heures. Eh bien, messieurs, je crois qu'il vaudrait mieux éclairer le public ; lui dire que l'élévation de l'escompte est une chose nécessaire, utile, bonne et salutaire dans son intérêt même.

Et c'est ce que nous avons voulu démontrer au public, lorsque nous avons pris en 1865 la résolution de déclarer qu'au-dessus de tel taux d'escompte, le bénéfice appartiendrait à l'Etat.

C'est un moyen qui nous a paru propre à convaincre le public (et j'approuve l'honorable ministre des finances d'avoir abaissé ce taux à 5 p. c.) que ce n'est pas pour bénéficier davantage que la Banque peut être amenée à élever le taux de l'escompte au delà d'un certain chiffre. Non, l'élévation du taux de l'escompte, dans des circonstances données, n'a pas ce but : c'est un moyen de salut pour le commerce et l'industrie.

Et d'ailleurs, messieurs, l'élévation du taux de l'escompte n'impose que des charges véritablement insignifiantes au commerce et à l'industrie, quand, bien entendu (et il en a toujours été ainsi) cette élévation n'a qu'une durée fort limitée.

Il est clair que si l'escompte était maintenu pendant un temps assez long à 6, 7 p. c. et plus, il en résulterait un préjudice réel pour le commerce et l'industrie.

Mais si, pour traverser une crise, l'escompte est élevé au-dessus de son taux normal pendant quelques jours ou même pendant quelques semaines, demandez-vous ce qu'il en a coûté à chaque négociant, et vous reconnaîtrez que c'est tout à fait insignifiant.

Et voilà pourquoi il vaut beaucoup mieux agir par voie d'augmentation du taux de l’escompte que par d'autres restrictions. Ce que demandent le commerce et l'industrie, c'est qu'on leur prenne leur papier ; quant à l'augmentation momentanée du taux de l'escompte, ils s'en préoccupent peu ; je le répète, c'est tout à fait insignifiant.

On suppose, messieurs, que, dans une crise, grâce aux mesures que prend la banque, l'élévation de son escompte et d'autres restrictions qui peuvent être opportunes et se justifier à l'égard de certaines valeurs, on suppose, dis-je, que la Banque escompte moins. C'est encore là une erreur : la vérité est qu'au contraire la Banque escompte beaucoup plus. Dans la crise de 1870, dont nous avons parlé, qui a si profondément ému, la Banque a escompte beaucoup plus qu'aux époques correspondantes. Un document parlementaire, annexé au n°17 de la session de 1870-1871 nous le dit en indiquant les causes qui font agir dans ces circonstances.

D'après le tableau des escomptes du 1er juillet au er août 1870, mis en regard des escomptes faits par la Banque pendant la même période, en 1868 et 1869, ainsi que pendant les six semaines qui ont précédé la crise, on a la preuve que les escomptes qui, du 1er juin au 15 août, ont été, à Bruxelles, en 1868, de 30,800,000 francs, et en 1869, de 28,000,000 de francs, se sont élevés, en 1870, à plus de 66,000,000 de francs ; à Anvers, dans le même temps,

En 1868, fr. 25,100,000

En 1869, fr. 18,800,000

En 1870, fr. 33,800,000

Dans les comptoirs, si on escomptait aux époques que je viens d'indiquer, en 1868, 77,700,000 francs, en 1869, 81,000,000, les escomptes étaient portés à plus de 95,000,000 pendant la crise intense des mêmes mois de 1870.

Et dans ce même temps, que faisait-on quant à la réserve métallique et dans quelle mesure était-il satisfait aux exigences du public ? Du 15 juillet au 27 août, la Banque a livré au public 62,744,000 francs pour faire face et bien au delà à toutes les nécessités qui pouvaient se révéler. Cette somme se divisait en 18 millions de francs d'or et 44,744,000 francs d'argent.

Vous voyez donc qu'elle a rempli ses devoirs. Elle est venue en aide à l'industrie et au commerce dans un moment de crise comme on avait annoncé qu'elle le ferait en l'instituant.

Pouvait-elle satisfaire tout le monde ? Ne devait-elle repousser personne ?

Indubitablement elle devait le faire. Qu'arrive-t-il dans des crises de ce genre ?

Dans les demandes qu'on lui adresse, on excède les besoins légitimes ; il n'y a pas de banquier qui ne cherche à vider son portefeuille dans celui de la Banque pour avoir chez lui des valeurs métalliques. Chacun veut se prémunir ; quelques-uns spéculent sur l'encaisse métallique.

Evidemment, dans cette situation, la Banque, pour préserver les intérêts de la généralité, du plus grand nombre d'industriels et de (page 994) commerçants, dit tantôt à l'un, tantôt à l'autre : J'ai fait assez pour vous tirer d'embarras. Je dois me réserver pour pouvoir rendre à d'autres le même service. Et alors ceux-là vont se répandant par la ville, l'emplissant de plaintes et de clameurs, accusant la Banque de manquer à ses devoirs et cherchant à soulever contre elle toutes les hostilités. Ne nous hâtons jamais de juger ; attendons que le calme soit revenu et l'on trouvera le plus souvent que la Banque a fait des efforts héroïques pour remplir ses devoirs.

On s'imagine encore, messieurs, qu'avec des capitaux plus considérables la Banque ferait des choses qu'elle ne peut pas faire aujourd'hui, et qu'on désire qu'elle fasse. Ainsi, il est arrivé à la Chambre des pétitions dans lesquelles on dit : Pourquoi les propriétaires ne peuvent-ils pas aller escompter leurs effets à la Banque Nationale ? Si elle avait des capitaux suffisants, elle pourrait escompter ces effets ; elle pourrait également escompter des warrants.

La Banque aurait 100 millions de capital, qu'il lui serait encore interdit de prêter une somme quelconque à un propriétaire.

La Banque, messieurs, ne doit pas escompter les warrants, parce que ce ne sont pas des valeurs immédiatement réalisables. L'opération des warrants peut être faite et doit être faite, mais par d'autres institutions que la Banque Nationale. Ces opérations seraient de nature, à un moment donné, à compromettre la circulation, à compromettre la convertibilité des billets, car les warrants ne sont pas des valeurs immédiatement et facilement réalisables.

D'autres, messieurs, et ce sont des chambres de commerce, se plaignent aussi de la Banque Nationale, parce qu'elle fait des difficultés, à certains moments, pour admettre des traites tirées de l'étranger sur la Belgique ; parce qu'elle exige parfois que ces traites aient séjourné pendant un certain temps dans un portefeuille belge afin de s'assurer qu'il s'agit bien d'une opération réelle. Ce sont surtout des chambres de commerce qui réclament de ce chef contre la Banque Nationale. Ces plaintes sont-elles fondées ?

Les traites de l'étranger sur la Belgique sont parfaitement acceptées par la Banque Nationale. Mais ces traites sont, dans certaines circonstances, extrêmement suspectes. Elles peuvent cacher, et le plus souvent elles cachent purement et simplement une spéculation contre l'encaisse métallique de la Banque. C'est pour aller à cette réserve puiser des espèces métalliques et les exporter, que ces traites sont tirées, et c'est le devoir de la Banque, dans l'intérêt du commerce et de l'industrie du pays, et pour éviter les élévations de l'escompte, d'être très sévère, dans certaines éventualités, pour accepter ce papier.

On s'imagine qu'avec des capitaux plus considérables, la Banque ferait meilleur accueil à ce papier. Je le répète, elle aurait cent millions qu'elle serait obligée de refuser ces opérations.

D'autres encore pensent que certaines valeurs qui sont repoussées, uniquement parce qu'elles cachent de simples spéculations, devraient également être accueillies ; que leur refus par la Banque provient de l'embarras où se trouve celle-ci, faute de capitaux pour les escompter.

Il n'en est rien. Mais il y a une manière d'opérer qui est plus dangereuse, et sur laquelle je crois devoir appeler tout particulièrement l'attention de M. le ministre des finances et l'attention de la Banque Nationale : c'est l'opération qui consiste à disposer à la suite d'ouvertures de crédit en banque. Il n'y a pas là d'opération réelle ; c'est en fait un véritable emprunt qui s'opère de la sorte. Ces valeurs sont destinées, non à être acquittées, mais à être renouvelées ; c'est presque toujours le cas.

Eh bien, dans la grande crise de 1857, l'une des causes qui ont agi le plus énergiquement a été précisément l'ouverture de ces crédits en banque, à Hambourg et à Londres.

Voici ce que porte, à cet égard, le rapport du comité de la chambre des communes dont j'ai déjà parlé :

« Outre les faillites qui furent causées par la suspension des remises de l'Amérique, nous en avons observé d'un genre tout différent. Elles résultèrent de l'habitude d'ouvrir des crédits, c'est-à-dire que l'on accordait la faculté de tirer sur une maison anglaise, jusqu'à concurrence d'une somme convenue ; les traites étaient négociées et l'on ne doutait pas qu'elles fussent payées à l'échéance. On faisait face à ces obligations, non pas avec des marchandises, mais au moyen de nouveaux billets. La transaction n'avait aucune base réelle, c'était seulement un moyen de se procurer temporairement des capitaux ; la commission d'un banquier était tout ce que la maison gagnait, à l'exception parfois des consignations de marchandises, ce qui amenait une nouvelle commission ; mais tout cela était fort peu de chose en comparaison du crédit accordé. »

Eh bien, il y a nécessité pour la Banque, dans l'intérêt du commerce et de l'industrie, de se montrer à cet égard d'une grande sévérité. La Banque ne doit jamais oublier l'objet de son institution. Ce qu'elle doit escompter, ce sont des valeurs commerciales ayant une cause réelle. La Banque n'est point faite pour favoriser des spéculations ni des abus de crédit.

La Banque est instituée uniquement pour assurer au pays une bonne circulation fiduciaire et métallique. Elle a comme moyen l'escompte de bonnes valeurs commerciales. C'est là le point fondamental en cette matière, qu'il ne faut jamais oublier.

Messieurs, les idées erronées que je m'efforce de combattre dérivent presque toutes du prétendu inconvénient de l'absence de capitaux, et des moyens que l'on préconise pour en procurer davantage à la Banque, qui n'en a pas besoin, comme je crois vous l'avoir démontré.

De la est né ce remède radical et social, comme on l'a nommé, et que l'on vous a présenté sous le nom de réescompte.

L'honorable M. Pirmez a, je crois, démontré au dernier degré d'évidence que ce n'était pas autre chose qu'un compte courant portant intérêt, ce qui serait éminemment périlleux pour une banque d'émission.

Je sais que l'honorable M. Boucquéau ne veut pas l'admettre. L'honorable membre croit avoir inventé une véritable panacée. Mais pour chercher à le ramener à des idées que je crois beaucoup meilleures et au risque de lui déplaire un peu, je dirai qu'il n'a rien inventé du tout, absolument rien.

Cette idée de M. Boucquéau est très vieille. Un écrivain, Paul Cock, l'énonçait déjà en 1857, huit ans avant que l'honorable M. Boucquéau l'eût inventée, et il la préconisait par les mêmes raisons que celles qui ont été invoquées par M. Boucquéau. Seulement il ne l'appelle pas le réescompte ; il admet tout ce qu'a dit M. Boucquéau dans la discussion d'hier ; mais il remplace l'expression « l'escompte » par « le billet portant intérêts », « billet à terme », ce qu'il appelle aussi « billet à cent jours » ou « billet à rente. »

Vous allez voir que les explications et les raisons sont les mêmes que celles qu'a indiquées hier l'honorable M. Boucquéau :

On croirait entendre parler M. Boucquéau :

« Autant le compte courant, avec ou sans intérêts, disions-nous vers la fin de 1857, jetant alors un regard sur l’avenir du crédit en France, présente de dangers à certaines heures, autant le billet à rente, payable à époque fixe, offre une pleine sécurité. » (C'est bien là le billet que M. Boucquéau a accepté comme l'équivalent du réescompte ; il en est l'exacte représentation.) « Dans le premier cas, continue notre auteur, il arrive un jour que la sortie, par suite d'un brusque et général retrait de numéraire, domine l’entrée. » (C'est l'argument de l'honorable M. Boucquéau.) « Ici, rien de pareil, non seulement le billet jouant avec le portefeuille auquel il s'ajuste, les réalisations se trouvent faire journellement face aux remboursements chaque jour exigibles, puisque l'émission est à l'encaissement ce que l'effet est à la cause ; mais comme il est d'autre part certain que le chiffre des dépôts l'emporte incessamment sur les retraits, l'entrée commande de tous points la sortie. » (N'est-ce pas le langage même de l'honorable M. Boucquéau ?)

« C'est ainsi, continue notre écrivain, qu'on peut véritablement soulager le monnayage en banque. Ce que le billet payable à vue et au porteur ne peut faire, le bon à cent jours productif d'intérêt, et qui répond à une réelle épargne, le fait sans risque aucun. » (Ainsi di| également M. Boucquéau, quand il accepte le bon en remplacement de l'effet escompté.)

« L'on entre ainsi, ajoute notre écrivain - j'allais dire M. Boucquéau - encore mieux que par les dépôts en compte productifs d'intérêt, dans l'immense et sûre voie de l'escompte universalisé, car l'escompte bien constitué, savamment géré, c'est-à-dire utilisant les ressources qu'il rencontre en quelque sorte à pied d'œuvre, c'est l'axe du commerce et de l'industrie aux appareils multiformes. »

Il est donc clairement prouvé que dès 1857 on préconisait, en termes identiques, l'invention que l'honorable M. Boucquéau croit avoir faite et, - cela s'est vu,- qu'il a peut-être faite en 1865. Le premier inventeur n'a pas plus été écouté que le second.

Vous le voyez, messieurs, c'est identiquement ce que l'honorable membre appelle le réescompte.

M. Boucquéau. - Pas précisément.

M. Frère-Orban. - Pas précisément ? Oh ! ce sont même vos expressions.

Mais ce qui légitime un accroissement de capital aux yeux de certaines personnes, ou tout au moins des mesures pour assurer un escompte à bon marché, c'est que la Banque Nationale a tué tous les banquiers. (Interruption.) La Banque Nationale a tué tous les banquiers ! Ainsi dit M. Demeur, et cela est si extraordinaire que l'on croirait que j'exagère si je ne citais ses paroles :

« Les banquiers qui escomptaient autrefois avec leurs propres ressources (page 995) ou avec les ressources de leur clientèle ont disparu et il n'y a plus d'autres banquiers que ceux qui réescomptent à la Banque Nationale et ne peuvent lui faire concurrence. »

Je ne sais dans quel pays l'honorable membre a découvert ces choses-la, mais assurément ce n'est pas en Belgique. Il n'y a jamais eu plus de banquiers en Belgique que depuis l'existence de la Banque Nationale ; je n'en connais pas qui aient été supprimés, mais j'en connais beaucoup qui se sont établis. Et il y en a un bon nombre qui ne réescomptent pas à la Banque Nationale ou qui ne réescomptent que d'une manière limitée, selon les circonstances ; il y en a certes qui escomptent avec leurs propres valeurs, avec les dépôts qui leur sont confiés et qui font même une concurrence sérieuse a la Banque Nationale.

Je ne parle pas seulement de la place d'Anvers, où cela est presque constant, où il y a des capitaux flottants qui doivent servir à des opérations et qui, en attendant, se placent en escomptes et pour lesquels un escompte, même minime, est le meilleur placement.

Messieurs, je suis un peu fatigué, je demande à la Chambre de pouvoir continuer demain. Le sujet que j'aurai à traiter maintenant s'éloigne d'ailleurs de la question du capital, qui peut être considérée comme suffisamment élucidée.

- La séance est levée à 9 heures et demie.