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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 16 avril 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 835) M. Reynaert fait l'appel nominal à 2 heures et un quart. Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Hagemans présente l'analyse suivante des pétitions adressées à la Chambre.

« Le sieur Guyaux, ancien commis des accises, prie la Chambre de statuer sur sa pétition tendante à être autorisé à faire valoir ses droits à la pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Dufour prie la Chambre d'accorder aux fonctionnaires qui ont pris part aux combats de 1830, le bénéfice des dix années en plus pour la pension, qui a été voté en faveur des officiers de l'armée. »

M. Lelièvre. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission, avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Des négociants et industriels à Charleroi demandent que le gouvernement mette en vigueur, pour la fixation du prix de transport des petites marchandises a effectuer par le chemin de fer de l'Etat, le tarif préconisé dans une brochure intitulée : Nouveau mode de tarification des marchandises transportées par le chemin de fer. »

« Même demande de négociants et industriels d'une commune non dénommée. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Le conseil communal de Vissenaeken demande l'exécution du tracé en ligne directe du chemin de fer à construire de Tirlemont au camp de Beverloo par Diest. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics et puis renvoi au ministre de ce département.


« Le sieur Nicolas Klepper, demeurant à Bovigny, né à Hachiville (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Des habitants de Spa demandent que le projet de loi qui interdit toute espèce de chasse après le lever du soleil fasse une exception quant à la chasse à la bécasse pendant l'époque de la migration. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la chasse.


« Le conseil communal d'Attenrode-Wever déclare appuyer la demande du conseil communal de Bunsbeek relative au chemin de fer à construire de Tirlemont au camp de Beverloo par Diest. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics et puis renvoi au ministre de ce département.


« M. Eugène Van Berchem fait hommage à la Chambre, au nom de l'Association générale des brasseurs belges, de 127 exemplaires d'un travail intitulé : Examen du projet de loi sur la brasserie. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.


« M. Hayez demande un congé d'un jour. »

« M. Drubbel demande un congé de huit jours. »

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi érigeant en commune le hameau de Saint-Amand

Dépôt

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi relatif à l'érection du hameau de Saint-Amand, actuellement dépendant de la commune d'Oostacker, en commune distincte.

M. Lelièvre. - Je demande que le projet de loi soit renvoyé a une commission spéciale à nommer par le bureau.

- Cette proposition est adoptée.

Ordre des travaux de la Chambre

M. le président. - Messieurs, aux termes de l'article 68 de son règlement, la Chambre nomme son greffier pour une période de six années. La dernière nomination a été faite en avril 1866. Le mandat du greffier actuel est donc près d'expirer. Je propose à la Chambre de placer en tête de l'ordre du jour de jeudi l'élection du grenier.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - Je propose maintenant à la Chambre de porter sur le bulletin de l'ordre du jour les différents projets de lois qui ne s'y trouvent pas et sur lesquels des rapports sont faits. La Chambre verra ainsi quelle est la quantité de travaux qui sont préparés et dont elle pourra s'occuper, si elle le trouve convenable, avant la fin de la session.

- Cette proposition est adoptée.

Proposition de loi modifiant la procédure criminelle pour les jugements par contumace

Développements et prise en considération

M. le président. - L'ordre du jour appelle les développements de la proposition de MM. Lelièvre et de Baets, ayant pour objet une modification à l'article 472 du code d'instruction criminelle relativement à l'exécution des jugements par contumace.

La parole est à M. Lelièvre.

M. Lelièvre. - Le code du 3 brumaire an IV prononçait contre certains crimes la peine du carcan, soit comme peine principale, soit comme peine accessoire.

Il en fut de même du code pénal de 1810.

On comprend que, sous l'empire de semblable législation, les condamnations par contumace aient dû être transcrites sur un tableau affiché a un poteau planté, au milieu de la place publique, par l'exécuteur des jugements criminels.

Telles étaient les prescriptions de la déclaration du 11 juillet 1749, de l'article 472 du code de brumaire an IV et de l'article 472 du Code d'instruction criminelle de 1808.

Mais le projet du code pénal révisé, soumis à la Chambre dès 1848, supprimait la peine du carcan d'une manière absolue. Cet ordre de choses fut définitivement décrété en 1867.

La peine du carcan fut considérée, à juste titre, comme contraire aux principes qui doivent servir de base à l'application des pénalités non moins qu'au régime pénitentiaire. Elle est un obstacle à l'amendement des coupables ; elle produit des résultats qu'on ne peut jamais faire disparaître.

L'abolition du carcan doit avoir pour conséquence nécessaire d'apporter des modifications au mode d'exécution des arrêts par contumace, tel qu'il (page 836) est réglé par l'article 472 du code d'instruction criminelle. En effet, l'exécution par effigie est un véritable pilori ; elle était assimilée au carcan par la déclaration du 11 juillet 1749.

D'un autre côté, on ne peut, avec justice, admettre un système de publicité aussi infamant en ce qui concerne des arrêts qui sont anéantis de plein droit par la représentation du condamné et qui, en définitive, ne sont pas destinés à recevoir exécution.

Le régime décrété par l'article 472 dont il s'agit est d'autant plus exorbitant qu'il est applicable au condamné, alors même que celui-ci ne serait frappé, par le jugement, que de simples peines correctionnelles.

D'autre part, l'arrêt par contumace laissant à l'accusé le droit de prouver son innocence dans un débat contradictoire, il n'est pas possible de maintenir un mode d'exécution laissant des traces indélébiles et propre à exercer sur l'avenir d'un citoyen l'influence la plus funeste.

L'exécution par effigie, qui peut souvent atteindre l'innocent, doit donc être supprimée. Elle est contraire à nos mœurs et à tous les principes de justice en matière criminelle. Elle est repoussée par les dispositions du code pénal de 1867 qui même, en ce qui concerne les arrêts criminels rendus contradictoirement, n'admettent pas des voies d'exécution affectant si gravement les condamnés.

Du reste, l'état de choses actuel est applicable aux individus condamnés du chef de délits politiques ou de la presse. En semblable occurrence, le prévenu qui ne comparaît pas est jugé par contumace comme en matière criminelle (article 8 du décret du 19 juillet 1835, article 9 du décret du 20 juillet même année).

Il résulte de là qu'un arrêt rendu par contumace du chef des délits ci-dessus énoncés doit être affiché par l'exécuteur des jugements criminels à un poteau planté au milieu de l'une des places publiques de la ville chef-lieu de l'arrondissement où le délit a été commis.

Nous demandons si ce système est tolérable, et une chose nous étonne, qu'on ait pu laisser maintenir pendant plus de quarante ans une législation aussi contraire à nos institutions libérales.

Nous avons donc pensé qu'il était indispensable d'apporter des modifications à cet ordre de choses.

La législation de 1867 n'autorisant le ministère public à afficher l'arrêt de condamnation que quand il s'agit des crimes énoncés à l'article 18 du code pénal, il est naturel que la même formalité ne soit remplie à l'égard du jugement de contumace que dans les mêmes hypothèses. Dans les autres cas, la signification de l'arrêt au domicile du condamné paraît suffisante. Nous rétablissons ainsi l'harmonie entre l'article 472 du code d'instruction criminelle et le nouveau code pénal révisé.

Tel est l'objet de notre proposition qui corrige ce que la législation en vigueur contient d'exorbitant en cette matière et consacre un régime plus équitable et plus libéral. En l'accueillant, la Chambre fera cesser une énormité dont depuis longtemps le sentiment public a fait justice.

- La proposition est appuyée.

La discussion est ouverte sur la prise en considération.

Personne ne demande la parole.

La proposition est prise en considération.

M. le président. - Comment la Chambre entend-elle faire examiner cette proposition ?

M. Lelièvre. - Comme il s'agit d'une question de la compétence d'hommes spéciaux, je demande que la proposition soit renvoyée à l'examen d'une commission dont les membres seront nommés par le bureau.

- Cette proposition est adoptée.


M. Vleminckx (pour une motion d’ordre). - J'ai l'honneur de prévenir M. le ministre des affaires étrangères que je compte l'interpeller demain, ou à tel autre jour qui lui conviendra, au sujet des relations du cabinet belge avec le cabinet d'Italie.

Interpellation relative à la révocation d’un instituteur à Menin

MM. Bergé. - Messieurs, il y a quelques mois, les journaux ont parlé de la situation de l'instituteur de Menin, instituteur qui aurait manqué gravement à ses devoirs, instituteur dont le conseil communal avait demandé la révocation et qui restait en fonctions, soutenu par le gouvernement.

Au mois de février dernier, mon honorable collègue, M. Bouvier, interpellait M. le ministre de l'intérieur à cette occasion. Des explications ont été données à cette époque, mais l'incident n'a pas été clos, attendu que la question était encore à l'instruction. Il y a donc eu ajournement du débat.

Depuis quelques jours, une décision ministérielle a été prise, et par conséquent il importe de demander au gouvernement des explications sur sa conduite dans cette circonstance.

Reprenons les faits.

L'instituteur de Menin se trouve être à la tête de l'école primaire des garçons depuis dix ans. L'école marcha sous sa direction pendant quelques années d'une façon assez calme et, on pourrait même ajouter, avec un certain succès.

Mais peu à peu cette situation satisfaisante vint complètement à changer et l'on vit surgir des plaintes émanant des parents qui avaient placé leurs enfants à l'école primaire. On reprochait à l'instituteur un manque complet de zèle ; on lui reprochait de ne s'occuper en aucune façon de son enseignement ; on lui reprochait même de dormir en classe, se reposant ainsi de fatigues complètement étrangères aux matières de l'enseignement. Ces griefs amenèrent le retrait d'un certain nombre d'enfants.

A ce moment même, où des plaintes sérieuses se manifestaient à charge de cet instituteur, il était nommé sous-lieutenant au corps des pompiers, et comme il est dans l'habitude des pompiers de pomper avec facilité des liquides, il s'était livré à certains abus de boisson qui lui avaient été gravement reprochés.

M. Vandenpeereboom. - Je demande la parole. (Interruption.)

M. Bergé. - On l'avait souvent rencontré venant des fêtes bachiques du corps des pompiers, dans un état bien peu digne d'inspirer le respect aux élèves.

Le nombre des élèves fréquentant l'école descendit bientôt à un chiffre bien inférieur à celui des premières années de la fondation de l'école.

Telle était la situation au 4 juillet 1871. C'est alors que l'administration communale de Menin, vivement préoccupée de ces plaintes, voulut essayer d'y porter remède, et fit une enquête pour savoir la situation exacte des faits. Ainsi, le 4 juillet, une délibération du conseil communal de Menin portait ceci :

« M. Delaroyère propose de faire demander à l'école communale des garçons tous les cahiers des élèves de la classe de M. Swaels, instituteur en chef de ladite école, afin de pouvoir vérifier si les élèves de sa classe font des progrès, ou bien si, comme on le dit en ville et comme il a, dit-il, tout lieu de le croire, il est vrai que M. Swaels ne s'occupe aucunement de la mission qui lui est confiée. »

Le 7 juillet, en conformité de l'ordre qui avait été donné par la lettre en date du 6 juillet, l'instituteur communal avait transmis au collège les cahiers des élèves de sa classe. Vérification faite de ces cahiers, le collège constata qu'il en manquait un grand nombre et que les mieux tenus ne comptaient, depuis le mois de janvier dernier, que trois ou quatre pages d'écriture.

L'inspecteur cantonal, chargé de procéder à cette enquête, fit son rapport, le 8 août 1871, dans les termes que voici :

« Messieurs, vous m'avez demandé, par votre lettre du 7 juillet dernier, un rapport sur l'état des cahiers des élèves de la division supérieure de l'école communale des garçons en cette ville, et par une autre lettre en date du 21 du même mois, faisant suite à la première, vous me demandez de vous faire connaître quelques détails sur la conduite de M. Swaels, ainsi que les causes qui peuvent avoir amené l'état de négligence et de désordre dans lequel vous avez trouvé les cahiers que vous m'aviez fait parvenir antérieurement.

« Il me peine, messieurs, de devoir convenir que ces cahiers sont loin d'être bien tenus ; ils laissent beaucoup à désirer, tant sous le rapport de l'ordre et de la propreté que sous celui de l'écriture et de l'orthographe. Je dois ici vous faire observer, messieurs, qu'au lieu de me transmettre tous les cahiers, vous ne m'avez fait parvenir que ceux de neuf élèves de la classe de M. Swaels.

« Vous trouverez ci-jointe une lettre de l'instituteur en réponse à celle que je lui avais adressée pour demander s'il avait quelques observations à présenter au sujet de la question des cahiers.

(page 837) « Quant au désordre et à l'esprit d'inactivité et de nonchalance qui règnent dans la classe de M. Swaels, vous savez comme moi, messieurs, que la cause doit en être attribuée surtout au peu de zèle que montre l'instituteur dans l'exercice de ses fonctions. Il étudie rarement, ne prépare pas ses leçons et semble attacher une minime importance à la bonne marche de son école.

« En ce qui concerne la conduite de M. Swaels, vous savez comment le public en juge. Vous n'ignorez pas que ses promenades journalières, toujours au même endroit, et l'habitude qu'il a prise de rester à l'estaminet quatre à six heures par jour lui ont fait perdre la confiance de la plupart des pères de famille et la considération générale dont l'instituteur a tant besoin pour pouvoir enseigner avec fruit et pour être en état de donner à ses élèves une éducation convenable.

« Agréez, etc.

« (Signé) Devreese.

« Inspecteur cantonal de l'enseignement primaire. »

L'inspecteur se plaint dans son rapport de n'avoir pas eu tous les cahiers, par la raison bien naturelle qu'il n'y avait qu'un certain nombre de cahiers remis par l'instituteur, mais non pas un nombre de cahiers correspondant au nombre des élèves.

A ce rapport de M. l'inspecteur cantonal, l'instituteur communal de Menin présenta, le 28 août 1871, la justification que voici :

« Je m'empresse de répondre aux suppositions malveillantes contenues dans le rapport que M. l'inspecteur s'est plu à vous adresser à ma charge, sous la date du 8 courant.

« Le zèle que je déploie dans l'exercice de mes fonctions ne peut être constaté que par ceux qui travaillent journellement avec moi. Depuis la rentrée des élèves jusqu'à leur sortie, je ne m'occupe que d'eux et ne m'absente que tout exceptionnellement.

« M. l'inspecteur suppose que j'étudie rarement. Comment peut-il le savoir ? Connaît-il mes heures de travail ? Et que je ne prépare pas mes leçons ! Mais elles sont préparées depuis plus de vingt ans et modifiées d'après les auteurs dont j'étudie les ouvrages. Il semble à M. l'inspecteur que j'attache une minime importance à la bonne marche de l'école ! Il semble tout à ceux qui veulent nuire, car vous tous, messieurs, vous connaissez les soucis que j'ai pour l'établissement que je dirige, et combien j'étais heureux de le voir prospérer. Il n'y a guère trois mois, tout était éloge, et tout à coup rien ne vaut ! C'est ainsi qu'on n'a plus la mémoire des brillants succès remportés dans deux concours triennaux. Permettez-moi, à cette occasion, de rappeler la position que quelques-uns de nos anciens élèves occupent actuellement et mettez, je vous prie, messieurs, en regard les élèves des écoles similaires...

« Tous ces jeunes gens et bien d'autres encore ont achevé leurs études chez moi et c'est sous ma direction qu'ils ont reçu cette éducation convenable qui leur a procuré l'emploi ou la position qu'ils occupent respectivement.

« Ma conduite privée, mes promenades journalières me font perdre la considération générale, ajoute M. l'inspecteur. Il ignore sans doute que nous avons ouvert l'établissement avec 14 élèves, que ce nombre a graduellement augmenté, puis diminué, s'est réduit encore à 65 élèves, et que cette année 139 élèves ont été inscrits, ce qui a provoqué la nomination d'un second sous-instituteur. La confiance doit être en raison du nombre des élèves confiés à nos soins.

« Or, ce chiffre de 139 élèves indique éloquemment qu'au lieu de voir diminuer cette confiance, elle ne fait qu'augmenter de jour en jour. Tout ce que dit à cet égard M. l'inspecteur n'est pas fondé, ses suppositions sont toutes gratuites et ne sont étayées sur rien de sérieux.

« Il me répugne de devoir protester de toute l'énergie de mon âme contre la perfide incrimination cachée sous ces paroles : « ses promenades journalières, toujours au même endroit. » L'endroit où je me rends, dans un but hygiénique afin de pouvoir me promener, est honnête et très honnête, et il faut toute la malveillance de M. l'inspecteur, pour oser en douter.

« Quand on est enfermé depuis 8 heures du matin à 5 heures et demie du soir, plus l'école d'adultes jusqu'à 9 heures du soir, pendant la période d'hiver, il doit être permis de faire la promenade, et chez moi cette promenade se fait toujours en lisant.

« Dans l'espoir que vous daignerez prendre mes observations en sérieuse considération, je vous prie, messieurs, d'agréer, etc., etc.

« L'instituteur en chef,

« (Signé) A. Swaels. »

Telle était la justification de l'instituteur communal de Menin, justification au moins étrange, puisque d'accusé qu'il était, il se faisait véritablement accusateur, particulièrement à charge de l'inspecteur cantonal.

Le 2 septembre 1871, à la suite de cette enquête, le conseil communal de Menin a suspendu l’instituteur pour le terme de trois mois et il notifie, le même jour, la décision au gouverneur de la province.

Voici dans quels termes était résolue cette suspension :

« M. le président rend compte au conseil de tous les détails relatifs à une enquête que le collège a fait faire à l'égard de M. Swaels, instituteur en chef à l'école communale des garçons de cette ville, à la suite de plaintes très sérieuses qui lui étaient parvenues contre cet instituteur et dont la principale, la question de l'enseignement, suffisait à elle seule pour provoquer une information sévère et immédiate.

« II est donné lecture de tout le dossier relatif à l'enquête en question et duquel il résulte que depuis très longtemps M. Swaels ne s'occupe plus ni de ses élèves ni de son école ; des compositions faites il y a une quinzaine de jours, sous les yeux de plusieurs membres du conseil communal et du comité de surveillance des écoles communales, par les élèves de la division supérieure dirigée par M. Swaels, constatent l'incapacité la plus complète de tous ces pauvres enfants confiés à ses soins ; toutes les branches indistinctement prouvent à toute évidence que depuis longtemps cet instituteur ne donne plus ni leçons ni devoirs ; sur dix-neuf élèves qu'il a dans sa classe, il n'y en a que neuf qui ont quelques cahiers, parmi lesquels plusieurs n'ont que deux et trois pages d'écriture depuis le 1er janvier dernier. En présence de cet état de choses si regrettable, M. le président propose de prendre des mesures à l'égard de M. Swaels.

« M. de la Royère, ayant demandé la parole, invite le conseil à prononcer la suspension de cet instituteur. Il n'y a déjà que trop longtemps, dit-il, que le conseil aurait dû prendre une résolution de cette nature à son égard ; les devoirs faits il y a quelques jours par les élèves de son cours supérieur prouvent suffisamment que tant de jeunes gens confiés à ses soins depuis une dizaine d'années ont quitté l'école ignorants comme le sont ceux qui actuellement sont depuis trois et quatre ans dans son cours et qui, sur 30 ou 35 mots de dictée française, ont a peu près une vingtaine de fautes.

« Ce n'est pas étonnant, ajoute M. de la Royère, que nous ayons vu déserter cette école par une masse d'enfants de bonnes familles, et même par ceux des employés communaux qui, tout en ayant le droit d'y envoyer leurs enfants gratuitement, ont préféré payer 5 francs par mois pour chacun d'eux dans un autre établissement d'instruction plutôt que de les confier plus longtemps à un homme qui déjà leur avait enlevé plusieurs années d'instruction qu'ils auraient pu si utilement employer pour développer leurs jeunes intelligences, restées inactives par sa faute.

« Plusieurs membres demandent le vote sur la question de la suspension, auquel il est procédé par scrutin secret.

« Huit membres prennent part au vote :

« Pour la suspension, unanimité.

« Pour la durée, 6 voix pour 5 mois, 3 voix pour 2 mois.

« Pour le traitement, 6 voix avec traitement, 2 voix sans.

« Copie en double de la présente délibération sera transmise à l'autorité supérieure, aux fins de décision. »

Ainsi, l'administration communale de Menin avait jugé les faits suffisamment graves pour prendre la décision de suspendre cet instituteur.

Notification a été faite de la résolution. Nouvelle lettre de rappel le 12 septembre de la même année.

C'est alors qu'une commission d'enquête a été instituée à raison des faits signalés ; l'inspecteur provincial devait être appelé, dans cette circonstance, à donner son avis.

Voici quel est le procès-verbal de cette réunion d'enquête faite par l'inspecteur provincial de l'enseignement primaire de la Flandre occidentale :

« Présents : MM. Vandermersch-Rousselle, échevin, faisant fonctions de bourgmestre ; Louis Maes, échevin ; Jean Delefortrie, Félix de la Royère, Jules Verraes, Pierre Leynaert, Henri Capelle, Louis Gombert, conseillers, et Louis Deweerdt, secrétaire. M. Devreese, inspecteur cantonal de l'enseignement primaire du 5ème ressort, assiste également à la réunion.

« Le collège échevinal ayant reçu avis que M. l'inspecteur provincial de l'enseignement primaire arriverait à Menin, ce jourd'hui, 25 septembre 1871, à 3 heures de relevée, à l'effet d'entendre les membres du conseil communal au sujet de la suspension, pendant trois mois, du sieur Swaels de ses fonctions d'instituteur en chef de l'école communale des garçons de cette ville, a invité MM. les membres du conseil à une réunion, afin de faire connaître les motifs qui ont décidé le conseil à prononcer cette suspension.

« M. l'inspecteur provincial déclare au conseil que, quant à la question de l'enseignement, il est suffisamment renseigné. L'incapacité et la (page 838) négligence de M. Swaels me sont connues depuis longtemps, dit-il ; mais je désire avoir quelques explications sont la conduite en général de cet instituteur, d’autant plus que la correspondance du collège échevinal, jointe au dossier, traite la question de la conduite et que la délibération du conseil communal du 2 septembre courant, prononçant la suspension, n’en dit pas un mot et notamment du rapport de M. L’inspecteur cantonal.

« M. Vandermersch, en sa qualité de bourgmestre intérimaire, répond que le collège n'a pas cru devoir parler de la conduite privée de M. Swaels, trouvant que, pour la question de l'enseignement seule, il y avait déjà plus que des raisons suffisantes pour décider le conseil à prendre une mesure extrême à son égard.

« M. de la Royère réclame contre cet oubli ; il fait remarquer que le conseil, dans sa séance du 2 septembre courant, a prononcé à l'unanimité la suspension de l'instituteur Swaels, non pas uniquement pour la question de l'enseignement, mais bien et surtout pour sa conduite privée, qu'il est inutile de cacher, puisque M. Swaels lui-même l'étaie au grand jour.

« Et d'ailleurs, ajoute M. de la Royère, il est à la connaissance de tous les habitants de Menin et de Gheluwe que ses fréquentations journalières dans cette dernière commune ne se bornent pas au simple but d'une promenade, mais dans celui d'une assiduité auprès d'une jeune personne (peut-être très honnête), telle qu'à la date de ce jour M. Swaels a perdu entièrement la confiance des pères de famille et est signalé par tout le monde comme se conduisant infiniment moins bien que ne se le permettrait aucun homme marié complètement indépendant. J'ajouterai, dit M. de la Royère, que je passerais volontiers sous silence la question des promenades journalières à Gheluwe, si, en plus, il n'était pas à notre connaissance que, déjà à plusieurs reprises, M. Swaels a été vu dans des villes étrangères avec la personne en question, et encore dernièrement, alors que l'enquête était déjà commencée contre lui, il s'est encore permis, sans y être autorisé, de se rendre à Dottignies en compagnie de la demoiselle et de son frère, celui-ci assis sur la banquette de devant de la voiture, M. Swaels et la demoiselle dans le fond.

« Et puisqu'il faut que tout soit expliqué -dit M. de la Royère, je demanderai à tous les membres du conseil s'ils se rappellent qu'avant de fréquenter toujours le même cabaret à Gheluwe, M. Swaels était tous les soirs dans un cabaret à Menin, où un jeune homme même se serait compromis. Finalement, il n'y a pas à Menin un homme marié qui se conduise aussi mal que M. Swaels, et c'est pour ce motif que cinq pères de famille qui assistent ici à la réunion, n'ayant pas la moindre confiance dans cet homme, lui ont retiré leurs enfants.

« Tous les membres du conseil déclarent être, sous tous les rapports, renseignés au sujet des détails que vient de donner M. de la Royère, sur la conduite de M. Swaels et manifestent à l'unanimité le désir de voir finir un état de choses aussi déplorable.

« M. l'inspecteur provincial, en présence des déclarations qui précèdent, prie MM. les membres du conseil de vouloir répondre aux trois questions suivantes :

« 1ère question. - Est-il à la connaissance des membres du conseil que M. Swaels fréquente beaucoup les cabarets et ces fréquentations sont-elles de nature à nuire aux devoirs de l'instituteur ?

« Réponse. - Oui, à l'unanimité, attendu que M. Swaels est tous les jours au cabaret pendant six heures au moins.

« 2ème question. - M. Swaels, par ses fréquentations dans certains cabarets, n'a-t-il pas compromis la dignité de ses fonctions au point de perdre la confiance des pères de famille ?

« Réponse. - Oui, à l'unanimité.

« 3° question. - MM. les membres du conseil ici présents, en votant à l'unanimité la suspension pendant trois mois du sieur Swaels, ont-ils entendu le faire avec l'intention de demander sa révocation ou de ne lui infliger qu'une simple punition ?

« Réponse. - A l'unanimité, avec l'intention de provoquer sa révocation, afin de voir cesser les tristes exemples qu'il donne à ses élèves. »

Cette enquête infirme les paroles de M. le ministre de l'intérieur, qui répondait, dans une séance précédente, à M. David qu'en ce qui concernait la capacité de l'instituteur, il y avait d'autres juges que M. David.

Il y en avait d'autres, en effet, ses juges naturels, le conseil communal, l'inspecteur cantonal et l'inspecteur provincial, et ces juges déclarent que l'incapacité et la négligence constituent des choses notoires chez lui.

Ne recevant pas de nouvelles, le conseil a pris, le 5 décembre 1871, une nouvelle résolution que voici :

« Le conseil : Revu sa délibération du 2 septembre 1871, portant suspension pendant trois mois, avec traitement, du sieur Swaels, Charles, de ses fonctions d'instituteur en chef à l'école communale des garçons de cette ville ;

« Revu également son rapport adressé à M. le gouverneur de la province, à la suite d’une enquête faite par l’inspecteur provincial de l’enseignement primaire, rapport par lequel le conseil à l’unanimité a demandé la révocation du sieur Swaels, pour les motifs graves y énoncés :

« Attendu que les trois mois de suspension, commencés le 3 septembre dernier, sont expirés le 3 décembre courant, et que jusqu'à ce jour aucune décision n'est intervenue de la part du gouvernement ;

« Considérant qu'il résulte dis informations prises par les membres du conseil que, pendant toute la durée de sa suspension, le sieur Swaels s'est conduit de la manière la plus blâmable et s'est trouvé à peu près constamment dans les cabarets, soit à Menin, soit à Gheluwe ;

« Considérant qu'à diverses reprises cet instituteur s'est permis de parler avec mépris des membres du conseil communal, ne tenant aucun compte de la position dans laquelle il se trouvait ;

« Considérant qu'il est à la parfaite connaissance du conseil que, dans le cas où le sieur Swaels serait réintégré dans ses fonctions, l'école communale sera aussitôt déserte, les parents n'ayant plus la moindre confiance dans un homme qui n'a pas su élever convenablement ses propres enfants ;.

« Considérant enfin que, malgré tous les avertissements qui lui ont été donnés par les membres du collège échevinal, et la peine qui lui a été infligée, le sieur Swaels a continué à se conduire comme avant ;

« Vu l'article 11 de la loi du 23 septembre 1842, qui donne aux conseils communaux le droit de suspendre les instituteurs primaires, pour un terme qui ne peut excéder trois mois, avec ou sans privation de traitement, et qu'en cas de suspension, le gouvernement doit être appelé à statuer définitivement sur le maintien ou la révocation de l'instituteur ;

« Sur la proposition de plusieurs membres, il est décidé de voter par scrutin secret sur la question de savoir si le conseil vote une nouvelle suspension pour un mois, sans traitement, et la demande de révocation de cet instituteur.

« Le résultat donne six voix pour la suspension pour un mois, sans traitement, et la demande de révocation immédiate, et une voix pour demander d'abord une décision de la part du gouvernement sur la première suspension prononcée par le conseil.

« Par ordonnance : Le secrétaire, (Signé) L. Deweerdt.

« Le président, (Signé.) Vandermersch-Rousselle. »

C'est à la suite de faits excessivement, graves que le conseil communal a maintenu sa résolution et demandé la révocation de l'instituteur.

Par sa lettre du 19 octobre 1871, le conseil communal de Menin insistait auprès du gouverneur pour demander qu'une détermination et une détermination urgente fût prise.

Le 5 décembre, le conseil communal, ne voyant absolument rien se faire, le gouvernement restant complètement inactif, lui conservant toujours l'instituteur dont il voulait se débarrasser, le 5 décembre, dis-je, le conseil communal prononce une nouvelle suspension d'un mois sans traitement ; il notifie le 6 décembre la résolution au gouvernement. Ici encore la pièce reste complètement sans réponse et c'est alors que, le 5 janvier, le conseil communal de Menin suspend l'instituteur pour 40 jours et la raison donnée s'explique trop bien.

Voici la résolution du conseil :

« Le conseil, sur la proposition de plusieurs membres de délibérer au sujet de la suspension du sieur Swaels, instituteur à l'école communale des garçons de cette ville, qui est près de finir, sans qu'aucune décision ni même de réponse soit parvenue de la part du gouvernement, l'urgence est votée à l'unanimité, en conséquence :

« Le conseil, revu la délibération du 2 septembre 1871, portant suspension pendant trois mois, avec traitement, du sieur Swaels, de ses fonctions d'instituteur en chef à l'école communale des garçons, et du 5 décembre 1871, par laquelle ledit sieur Swaels a été de nouveau suspendu pour le terme d'un mois sans aucun traitement ; décisions prises par le conseil pour les motifs graves, suffisamment énoncés dans les deux délibérations susdites ;

« Revu également le rapport dressé par le conseil, à la suite de l'enquête faite le 25 septembre 1871 par M. l'inspecteur provincial de l'enseignement primaire, lequel rapport a été adressé à l'autorité supérieure avec demande de prononcer la révocation de l'instituteur dont s'agit ;

« Considérant que par sa délibération du 5 décembre 1871 le conseil a de nouveau et clairement exprimé que, malgré la suspension pour trois mois qui avait été prononcée contre lui, le sieur Swaels avait, en défiant les membres du conseil, continué à mener la même existence qu'avant et avait constamment passé la plus grande partie des journées de sa suspension dans les cabarets à Gheluwe ;

(page 839) « « Considérant que le conseil, dans tous ses rapports avec l'autorité supérieure, a toujours observé les formes de la plus rigoureuse convenance ;

« Considérant que, malgré ses instances réitérées, le conseil, loin d avoir obtenu une décision de la part du gouvernement, n'en a pas même reçu la moindre réponse, quoique l'article 11 de la loi du 23 septembre 1842 porte qu'en cas de suspension d'un instituteur, le gouvernement doit être appelé à statuer définitivement sur son maintien ou sa révocation ;

« Le conseil, après mûre délibération, décide, à la majorité des voix, de suspendre de nouveau le sieur Swaels, pour quarante jours et sans aucun traitement, et d'informer aussitôt l'autorité supérieure, que le conseil est décidé à pourvoir à son remplacement.

« Le président, « (Signé) Vandermersch-Rousselle.

« Par ordonnance, Le secrétaire, (Signé) L. Deweerdt. »

Le 6 janvier, le gouvernement est informé de la suspension ; il fera peut-être valoir l'irrégularité de la décision.

Le conseil avait non seulement suspendu l'instituteur, ce qui est son droit, mais il ajoutait, qu'après ces quarante jours, le conseil aura à pourvoir à son remplacement.

Or, ce droit le conseil communal ne l'a pas. Il est donc sorti, strictement parlant, de la légalité. Mais après quelles circonstances ? C'est après avoir essayé vainement d'obtenir satisfaction ; c'est après avoir attendu en vain une réponse du gouvernement. Fatigué de la situation qui lui est faite, le conseil prend alors une décision.

Il est vrai que cette décision avait un certain caractère d'irrégularité, mais on comprend fort bien qu'il était impossible à l'administration communale de ne pas provoquer par une décision un peu violente la solution d'une question pendante depuis si longtemps.

Que répond à cela le gouvernement ? Il n'approuve pas la décision et il maintient parfaitement l'instituteur.

Le 31 décembre, le conseil communal ne pouvant pas réintégrer un instituteur qu'il avait suspendu plusieurs fois, qui, par sa conduite, n'avait nullement manifesté l'intention de s'amender, le conseil communal ne trouve d'autre moyen de sortir de cette situation impossible que de suspendre l'instituteur pour un terme de trois mois.

Il ne peut le révoquer, le gouvernement l'en empêche ; obligé de se renfermer strictement, il ne peut que prononcer une nouvelle suspension.

Il la motive parfaitement, du reste, par sa résolution du 31 janvier attestant que l'instituteur avait continué à se mal conduire et notamment à fréquenter une maison mal famée de la commune. Le conseil communal produit même à l'appui de sa délibération diverses pièces parmi lesquelles un rapport du commissaire de police de la ville de Menin.

Notification était donnée de la résolution dès le 1er février. Le 8 février la députation permanente, après avoir pris connaissance de la délibération du conseil communal de Menin portant une nouvelle suspension de l'instituteur pour trois mois sans traitement, déclare, quoi ? La suspension, non pas de l'instituteur, mais de la résolution du conseil communal. Et le gouverneur, à son tour, prend une décision dans le même sens.

Depuis, et à une date plus récente, le 12 avril, le ministre de l'intérieur a enfin résolu la question ; mais il l'a résolue dans les termes les plus ambigus.

Voici, du reste, la dépêche :

« Bruxelles, le 12 avril 1872.

« Monsieur le gouverneur,

« Le dernier fait imputé au sieur Swaels, instituteur communal à Menin, perd beaucoup de sa gravité, par suite des circonstances dans lesquelles il s'est produit.

« D'un autre côté, la première suspension prononcée à charge de cet instituteur ayant été illégalement prolongée de deux mois environ (du 2 décembre 1871 au 31 janvier 1872), il y a lieu, me semble-t-il, de reconnaître qu'il a déjà été suffisamment puni.

« Il devra donc être maintenu provisoirement en fonctions et son traitement lui sera payé intégralement pour toute la durée de la nouvelle suspension prononcée par le conseil communal à la date du 31 janvier dernier.

« Mais, à raison du dernier fait dont le sieur Swaels s'est rendu coupable et qui dénote de sa part au moins beaucoup de légèreté, il y a lieu d'inviter M. l'inspecteur provincial à lui adresser une admonestation sévère et à le soumettre à une surveillance spéciale.

« De plus, et afin de me mettre à même de statuer définitivement sur le maintien, le déplacement ou la révocation du sieur Swaels, M. l'inspecteur devra m'adresser, vers la fin de l'année scolaire, un rapport sur la manière dont cet instituteur se sera acquitté de ses devoirs pendant le semestre d'été.

« D'après ce qui précède, vous remarquez qu'il y a lieu de considérer comme non advenus votre arrêté du 7 février ainsi que le recours de l'administration communale contre ce même arrêté.

« Veuillez, M. le gouverneur, donner connaissance de la présente dépêche à M. l'inspecteur provincial et à l'administration locale.

« Pour copie conforme : (Signé) Vrambout

« Le ministre de l'intérieur, Delcour. »

Le ministre ne dit, en aucune façon, que les faits à charge de l'instituteur n'ont pas de gravité. Cela résulte même du premier paragraphe de sa lettre.

Il n'y a donc point là d'illégalité bien flagrante, de la part du conseil communal de Menin, puisque M. le ministre de l'intérieur, au lieu d’être affirmatif, se demande si telle n'est pas la situation des choses. On a rarement vu un ministre être aussi peu certain de ce qu'il pense utile de résoudre.

Il résulte aussi de cette pièce qu'il est impossible, aux yeux mêmes de M. le ministre de l'intérieur, de justifier la conduite de cet instituteur. Il est obligé de reconnaître que sa conduite a quelque chose de coupable, qu'il y a tout au moins légèreté ; mais il cherche à en atténuer la portée ; et s'il le réintègre dans son école, il le place sous une surveillance toute spéciale, et il attendra plus tard pour prendre une décision.

Et cependant, messieurs, nous nous trouvons ici vis-à-vis d'un mauvais instituteur communal, puisque, cela ressort à la fois des plaintes de l'administration communale et des rapports des inspecteurs cantonaux et provinciaux ; nous sommes en présence d'un instituteur non diplômé qui par sa lettre même disait, comme justification de sa conduite, qu'il y avait vingt ans que ses leçons étaient préparées ; nous sommes en présence d'un homme dont le conseil communal tout entier ne veut plus et M. le ministre de l'intérieur veut néanmoins le conserver en fonctions !

N'y a-t-il pas là une véritable atteinte à la prérogative de la commune ? Le droit de révoquer est le corollaire tout naturel du droit de nomination ; la nomination appartient au conseil communal, et il est évident que le conseil communal doit avoir aussi le droit de révocation. C'est bien là l'esprit de la loi. Si le gouvernement a le droit de révocation, c'est qu'on a voulu protéger l'instituteur contre certain mauvais vouloir de la part de l'administration communale. C'est pourquoi le gouvernement s'est réservé te droit de déplacement ou de révocation qu'il n'a pas voulu laisser aux mains des administrations communales. Mais si c'est là le fait, il est bien évident que la pensée même de la loi est que le gouvernement donnerait raison à l'administration communale dans la plupart des cas et qu'il faudrait des raisons graves pour que le gouvernement donnât tort à l'administration communale.

Il faudrait, par exemple, alors que les plaintes émanent de l'administration communale, que les rapports des inspecteurs fussent là pour démontrer que ces plaintes sont mal fondées. Mais si les agents du gouvernement, si ses inspecteurs viennent, au contraire, confirmer les griefs de l'administration communale, alors il est incontestable que, dans ce cas, le devoir du gouvernement est de donner raison à l'administration communale.

Les garanties que donne la loi de 1842 à l'instituteur, en laissant au gouvernement le soin de procéder au déplacement ou à la révocation, ont été créées surtout en vue des petites communes, des communes de peu d'importance où les administrateurs communaux peuvent se laisser influencer par une individualité. Mais, lorsqu'il s'agit d'une commune de l'importance de la ville de Menin, qui a 10,000 habitants et un conseil communal composé de 11 membres, alors que l'unanimité du conseil est constatée dans toutes les résolutions en ce qui concerne les plaintes relatives à l'instituteur, il est évident que c'est un argument de plus pour donner raison à l'administration communale, d'autant plus, je le répète, que les rapports des inspecteurs sont tout à fait d'accord avec les plaintes formulées par l'administration communale.

Dans la discussion relative à l'affaire de Cherscamp, l'honorable M. Pirmez demandait au ministre de l'intérieur de cette époque, quelle décision plus douce il aurait pu prendre en vertu de l'article 11 de la loi de 1842 que celle qu'il avait cru devoir prendre. On peut, ajoute-t-il, décider la révocation immédiate, mais on ne peut prendre de décision moins rigoureuse que celle que j'ai prise.

Eh bien, si M. le ministre de l'intérieur actuel agit autrement ; il trouve qu'il y a une mesure bien plus douce à prendre vis-à-vis de l'instituteur. Il n'agit pas comme l'honorable M. Pirmez, lorsqu'il se trouvait en présence d'un instituteur communal, lequel était en opposition avec le conseil (page 840) communal, en lui disant : Vu la situation des& choses, si vous ,e vous amendez pas, on sera obligé de vous donner votre démission, en l'engageant à la donner lui-même, en essayant un déplacement, si c'est possible.

Non, M. le ministre de l'intérieur n'a pas essayé d'intervenir entre l'administration communale de Menin et l'instituteur, il n'a pas cherché une solution donnant satisfaction à l'administration communale. Il a trouvé une solution qui donne satisfaction complète à l'instituteur. Il ne le déplacera pas ; il le maintient dans ses fonctions ; il le renvoie dans son école où il n'a plus la confiance ni de l'administration, ni des pères de famille.

Il y a, vis-à-vis des questions d'enseignement, une jurisprudence qui semble varier infiniment sous l'administrai ion qui nous régit.

Ainsi, à Gosselies, il y a un directeur d'école qui est en opposition avec une administration catholique et là il faut écouter l'administration ; il faut faire droit à ses réclamations, alors même que les rapports de l'inspecteur ne donnent nullement raison aux administrateurs de Gosselies.

A Rochefort, il fallait procéder au déplacement des professeurs de l'école moyenne, parce que les professeurs se trouvaient en opposition encore avec une administration catholique.

Mais à Cherscamp c'est différent : là nous voyons encore soutenir l'instituteur contre l'autorité communale. Pourquoi ? Parce qu'il se fait qu'à Cherscamp l'instituteur était un des amis du cabinet Kervyn, tandis que l'administration communale était libérale ; à Menin, l'administration communale est libérale, et il faut, par conséquent, soutenir l'instituteur ; il faut tout au moins tâcher de gagner du temps ; on soumettra l'instituteur à une certaine surveillance et l'on verra, à la fin de l'année, quelle aura été sa conduite. Suivant qu'il aura agi dans telle ou telle circonstance, on agira.

Je crois, messieurs, qu'il y a dans la conduite du gouvernement une pensée politique et que ces préoccupations-là nuisent considérablement aux intérêts de l'enseignement qui lui sont confiés et blessent en même temps les principes de justice.

Messieurs, nous sommes en présence d'un fait qui est de la plus haute importance. Il s'agit de savoir si les administrations communales qui, en somme, sont responsables de la bonne marche des écoles primaires, dont elles ont la direction, peuvent espérer que le gouvernement leur donnera gain de cause contre un instituteur, lorsqu'elles peuvent prouver par des rapports d'inspecteurs, qu'elles ont à articuler de véritables griefs à charge de ces instituteurs.

S'il était vrai que le gouvernement, dans des cas pareils, pût maintenir l'instituteur quand même, ce serait évidemment, au point de vue de la discipline, la chose la plus déplorable qu'on pût imaginer.

Messieurs, il m'est impossible de ne pas voir dans les résolutions prises par le gouvernement un but politique ; ce que le gouvernement semble complètement oublier, ce sont les grands principes de justice dans son administration. Ici que voyons-nous ? Nous voyons que sa conduite relativement aux questions d'enseignement est toute différente, selon qu'il a affaire à des administrations qui sont catholiques ou qui ne le sont pas ; nous voyons parfaitement l'influence du clergé pesant sur les consciences, 'exerçant ses effets sur les magistrats, essayant ainsi, dans une circonstance que tout le monde connaît, d'étouffer la vérité.

Et nous voyons le gouvernement prendre des mesures contraires au principe constitutionnel en exigeant des billets de confession de la part de candidats à certains emplois et des certificats de première communion pour l'admission dans certaines écoles, alors que de pareils certificats n'avaient jamais été exigés sous les administrations précédentes ; ce sont là des faits graves, et à l'occasion du dernier, j'aurai même l'avantage d'interpeller le gouvernement prochainement. (Interruption.)

M. Bouvier. - Mais c'est très important !

M. Bergé. - Comme ce dernier fait concerne le département de la guerre et que M. le ministre de la guerre n'est pas présent en ce moment, j'ajournerai mon interpellation. (Interruption.) Il s'agit d'un fait qui constitue une véritable violation de la Constitution.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - L'honorable M. Bergé a singulièrement simplifié ma tâche. Il a invoqué les rapports des inspecteurs de l'enseignement et particulièrement ceux de l'inspecteur provincial. Eh bien, messieurs, je n'ai pris aucune résolution relativement à l'affaire de Menin que de commun accord avec l'inspecteur provincial.

Rappelons en quelques mots les faits de cette affaire, qui ne vaut véritablement pas le bruit qu'on en fait.

Le 2 septembre 1871, le conseil communal de Menin, se basant sur la négligence que l'instituteur apportait dans l'accomplissement de ses devoirs, prononça sa suspension pour un terme de trois mois ; h la suite de cette mesure, le gouvernement fit faire une enquête ; tous les faits qui se rattachaient à l'instruction engagée furent discutés d'une manière complète par M. l'inspecteur provincial dans un long rapport.

Permettez-moi seulement de vous lire les conclusions du rapport :

« Je propose, M. le gouverneur, d'approuver la, suspension prononcée contre le sieur Swaels, mais, à l'expiration de la peine, de réintégrer cet instituteur dans ses fonctions, en lui faisant connaître que, s'il ne s'amende pas complètement, le gouvernement se verra obligé de le révoquer. »

Ainsi M. l'inspecteur provincial reconnaît qu'il y a eu de la négligence dans la conduite de l'instituteur ; il ne désapprouve pas la suspension qui a été prononcée à son égard, mais il est d'avis que l'on doit user de ménagement, puisque l'instituteur n'a été jusqu'à ce moment frappé d'aucune mesure disciplinaire et il demande qu'il soit laissé dans l'exercice de ses fonctions, sauf à examiner plus tard les résultats de l'expérience.

L'honorable préopinant a semblé vouloir reprocher au gouvernement d'avoir mis beaucoup de lenteur dans toute cette affaire. Il est vrai, messieurs, que la première suspension remonte au 2 septembre 1871 et que le 5 décembre il est intervenu une résolution du conseil communal, prononçant une nouvelle suspension de l'instituteur pour le terme d'un mois avec privation de traitement. Mais veuillez remarquer, messieurs, que ces faits se passaient lors du changement de ministère. Je ne suis entré en fonctions que quelques jours après la mesure prise par le conseil communal et un des premiers dossiers qui me furent soumis concerne précisément cette affaire.

Comme il s'agissait d'une décision importante à arrêter, je tins à me faire rendre compte de tout ce qui avait eu lieu.

C'est alors que, conformément aux conclusions de M. l'inspecteur provincial, je pris la résolution que j'ai déjà eu l'honneur de faire connaître à fa Chambre en réponse à l'interpellation du 8 février dernier.

Dans ma dépêche du 22 janvier, adressée à M. le gouverneur de la Flandre occidentale, je considérais les suspensions infligées antérieurement comme constituant une peine suffisante ; mais je n'approuvais pas la suspension prononcée pour la troisième fois le 5 janvier, et je donnais l'ordre de maintenir l'instituteur dans l'exercice de ses fonctions.

Cette décision fut notifiée au conseil communal à la fin du même mois, le 27 ou le 28, je pense ; le sieur Swaels reprit ses fonctions le 30 et le lendemain, le conseil communal de Menin prenait un nouvel arrêté de suspension qui peut être considéré comme un acte de révolte contre l'autorité gouvernementale.

Cette quatrième suspension prononcée pour un terme de trois mois avec privation de traitement me détermina à ordonner une nouvelle enquête, et j'étais bien décidé à prendre, au besoin, une mesure énergique.

Dans le débat du 8 février, un mot a été prononcé sur lequel je dois revenir.

On a dit : Mais enfin cette suspension, prononcée le 31 janvier, l'a-t-elle été pour les mêmes causes que la première ? Car, évidemment, si des griefs nouveaux à la charge de M. Svvaels s'étaient produits depuis la décision de l'autorité supérieure du 22 janvier, cette nouvelle suspension pouvait s'expliquer ou se justifier. Oui, messieurs, il existait un fait, et le conseil communal l'invoquait, mais ce fait s'était passé le 16 décembre précédent sans que le conseil l'eût mentionné dans sa délibération de suspension du 5 janvier.

Voici, messieurs, l'exposé de ce fait dans toute sa simplicité ; il est bon que l'on sache que, dans cette affaire, le conseil communal a agi avec une passion que je ne saurais approuver.

Dans la soirée du 16 décembre, il y a eu à Menin un banquet donné par la compagnie des pompiers ; l'instituteur Swaels, lieutenant de cette compagnie, s'est rendu, après le repas, dans un estaminet prétendument suspect. (Interruption.) Mais, veuillez le remarquer, le lieutenant n'était pas seul alors ; le capitaine et toute la compagnie y sont entrés avec lui. (Nouvelle interruption.) N'est-ce pas là un fait que l'on peut certes incriminer avec raison, mais qui perd beaucoup de sa gravité dans les conditions où il s'est passé ?

M. Guillery. - Voilà de la tolérance !

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Vous le voyez, messieurs, la conduite de l'instituteur est loin d'avoir toute la gravité qu'on a essayé de lui donner ; il s'agit d'un acte de grande légèreté, comme l'a dit l'inspecteur provincial.

J'ai voulu d'ailleurs être renseigné complètement à cet égard ; j'ai fait interroger l'instituteur ; j'ai demandé un rapport spécial à l'inspecteur (page 841) provincial et voici en quels fermes ce fonctionnaire apprécie la chose dans le dernier rapport qu'il a adressé à mon département sous la date du 2 avril ;

Je veux vous lire les conclusions de ce rapport, parce qu'elles sont conformes à la décision que j'ai prise le 12 avril dernier :

« En tenant compte, dans l'appréciation du fait dont il s'agit, de certaines circonstances atténuantes, je dois blâmer fortement la conduite du sieur Swaels qui a montré une incroyable légèreté. A mon avis, il mériterait de ce chef une punition sévère, même une suspension avec privation de traitement, s'il n'avait déjà subi deux suspensions illégales. En effet, si l'on veut remarquer que cet instituteur a été frappé, depuis le 2 septembre dernier, d'une première suspension de trois mois, puisque cette punition aggravée de la privation de traitement a été illégalement prolongée de deux mois, du 2 décembre 1871 au 30 janvier 1872, on doit, me paraît-il, reconnaître qu'il a été suffisamment puni, car les deux mois de suspension arbitraire avec privation de traitement, constituent au moins l'équivalent de la peine qu'il devrait encourir pour le fait récent mis à sa charge. »

M. l'inspecteur conclut ensuite, en proposant de maintenir provisoirement l'instituteur en fonctions, de lui infliger une réprimande sévère et de le prévenir que, s'il n'apporte pas dans l'accomplissement de ses devoirs tout le zèle désirable, s'il ne donne pas à la direction de son école plus de soins que par le passé, une mesure définitive sera prise à son égard à la fin de l'année scolaire.

C’est cette conclusion que j'ai adoptée par ma dernière dépêche au gouverneur en date du 12 avril dernier.

« D'un autre côté, dit cette dépêche, la première suspension prononcée à charge de cet instituteur ayant été illégalement prolongée de deux mois environ, il y a lieu, me semble-t-il, de reconnaître qu'il a déjà été suffisamment puni.

« Il devra donc être maintenu provisoirement en fonctions et son traitement lui sera payé intégralement pour toute la durée de la nouvelle suspension prononcée par le conseil communal, à la date du 31 janvier dernier.

« Mais, à raison du dernier fait dont M. Swaels s’est rendu coupable et qui dénote, de sa part, tout au moins beaucoup de légèreté, il y a lieu d'inviter M. l'inspecteur provincial à lui adresser une admonestation sévère et à le soumettre à une surveillance spéciale. De plus et afin de me mettre à même de statuer définitivement sur le maintien, le déplacement ou la révocation du sieur Swaels, M. l'inspecteur devra m'adresser, vers la fin de l'année scolaire, un rapport sur la manière dont cet instituteur se sera acquitté de ses devoirs pendant le semestre d'été. »

Messieurs, les faits sont connus à présent et je crois qu'après les explications que je viens d'avoir l'honneur de présenter, on ne pourra plus blâmer le ministre d'avoir suivi les conseils donnés par l'inspecteur provincial lui-même qui, selon l'honorable M. Bergé, aurait présenté des rapports diamétralement contraires à mes décisions.

Ce sont, je le répète, les propres conclusions formulées par l'inspecteur que le gouvernement a suivies dans les deux circonstances où j'ai été appelé à statuer.

Un mot encore, messieurs. L'honorable M. Bergé vient de vous dire une chose qui me paraît assez étrange à propos des prérogatives communales.

Sans doute, c’est un grand devoir pour le gouvernement de laisser aux conseils communaux toute la plénitude de leurs droits, mais il ne faut pas oublier que l'intervention du gouvernement dans les questions de suspension et de révocation des instituteurs est exigée par la loi dans l'intérêt même des communes, d'une part, et de l'autre, dans l'intérêt de l'instituteur qui ne peut jamais devenir la victime de passions locales.

Je le dis franchement : je vois que dans toute cette affaire de Menin, ce ne sont pas des considérations de bonne administration qui ont déterminé le conseil communal à agir avec la sévérité qu'il a déployée envers l'instituteur Swaels, tandis qu'en suivant les inspirations qui m'étaient données par l'inspecteur et par le gouverneur, j'ai la conscience d'être resté dans la vérité des principes constitutionnels et dans les règles d'une saine administration.

M. Vandenpeereboom. - Messieurs, quand j'ai demandé tantôt la parole un peu vivement, ce n'était pas pour un fait personnel. (Interruption.) La plaisanterie de M. Bergé est trop connue et peut-être un peu vraie pour que je croie nécessaire de la relever. Mais j'ai demandé la parole pour que la Chambre et le pays ne donnent pas à une affaire de peu d'importance en elle-même des proportions exagérées et pour que, à la suite de ces débats, un instituteur ne soit pas déshonoré et mis sur le pavé, privé de toutes ressources lui et ses enfants !

Si je prends donc la parole après les explications que vient de donner M. le ministre de l'intérieur, explications qui, d'après moi, sont suffisantes, complètes et satisfaisantes, c’est uniquement parce que je cède à un cri de ma conscience et je ne veux pas que l'on dénigre un homme qui a rendu des services à ma ville natale.

Messieurs, je suis complètement désintéressé dans cette question. S'il existe quelque lien entre l'instituteur de Menin et moi, ce ne peut être le lien de solidarité dont on se moque à tort, celui qui existe entre d'anciens pompiers. Ce qui m'intéresse, ce sont les services qui ont été rendus par l'homme qu'on accuse.

Dans cette affaire, il n'y a rien de clérical, il n'y a rien d'électoral. La ville de Menin est en dehors de mon arrondissement, et l'affaire dont il s'agit n'a rien de commun, je le répète, avec la lutte du clérical et du libéral.

Le conseil communal de Menin, comme l'a dit, du reste, l'honorable M. Bergé, est composé, je crois, exclusivement de libéraux. Mais malheureusement, là comme dans beaucoup d'autres localités, il existe entre les libéraux des divisions.

Il y a à Menin deux nuances de libéraux, l'une un peu plus accentuée que l'autre ; et vous savez, par expérience, que lorsque des amis politiques se brouillent, la lutte, se trouve entre eux beaucoup plus vive qu'entre d'anciens adversaires.

Eh bien, M. Swaels, l'instituteur, a eu la mémoire du cœur, il est resté fidèle au bourgmestre, à l'échevin et aux membres du conseil communal de Menin qui lui ont créé sa position, aux libéraux qui ont fondé l'école communale en opposition avec une école particulière congréganiste, si je ne me trompe. Il est resté fidèle à celui qui lui avait fait du bien et c’est là la cause de tous ses tourments. Cette fidélité à ses amis est donc la source de toutes les vexations dont cet instituteur est la victime.

Ce qu'on veut, je vais vous le dire : c’est perdre l'instituteur complètement dans l'opinion publique ; c’est le faire destituer et en faire nommer un autre à sa place avant les prochaines élections.

Voilà le but que l'on poursuit, et je remercie l'honorable ministre de l'intérieur, bien que je ne partage pas ses opinions politiques, de la fermeté qu'il a montrée et du tact dont il a donné des preuves dans celle circonstance.

Messieurs, vous avez entendu les longs discours de l'honorable M. Bergé et les pièces qu'il a lues. Je vous le demande : quand on examine de près tous les reproches qui sont faits à l'instituteur, s'il y a là matière à frapper rudement un membre du corps enseignant, en exercice de ses fonctions depuis plus de vingt ans, qui est père de famille et qui n'a guère d'autres ressources que son emploi pour vivre ?

Quels sont les griefs ? Il y en a trois.

Le premier, c’est que l'instituteur fait sa promenade habituelle dans le village de Gheluwe qui est à deux kilomètres de Menin, et qu'il entre dans un certain cabaret de cette commune. Mais, messieurs, circonstance extrêmement aggravante selon l'honorable M. Bergé, c’est qu'au comptoir de cet estaminet trône une personne pour laquelle la nature s’est montrée prodigue.

Je vous le demande, messieurs, y a-t-il là un fait qu'on puisse articuler comme un grief sérieux contre l'instituteur ?

On a cherché à insinuer que c'était là un lieu suspect. Cette allégation ne peut pas être maintenue, elle est fausse. Les rapports des inspecteurv en ont établi l'inexactitude.

Comme beaucoup d'autres personnes, l'instituteur de Menin Ya, après ses classes, faire dans l'après-dinée une promenade à l'extérieur de la ville et il va se rafraîchir dans le cabaret en question.

Cet estaminet est fréquenté par les habitants les plus notables de la ville et la commune. De plus, i1 est parfaitement, à ma connaissance personnelle que les propriétaires d'Ypres, qui ont des biens dans la commune de Gheluwe, lorsqu'ils vont les visiter, descendent dans cet établissement ; et j'ai la certitude que si c'était un lieu suspect, il n'en serait pas ainsi.

Je vous le demande, messieurs, y a-t-il dans la fréquentation de ce cabaret où se trouve, je le reconnais, une personne qu'on dit jolie, un motif suffisant pour provoquer la destitution d'un instituteur qui a de nombreuses années de services ?

Le second grief dont l'honorable M. Bergé a parlé et qu'il reproche à M. Swaels, c’est d'avoir été une fois, à Menin, dans un lieu mal famé. L'honorable ministre de l'intérieur a expliqué ce fait et de mon côté je puis dire que les membres du corps des pompiers ignoraient que le cabaret dont il s'agit était suspect..

- Une voix à gauche. - Oh !

M. Vandenpeereboom. - Comment, oh ! mais s’il n'en avait pas été (page 842) ainsi, si la maison avait été reconnue suspecte, la police locale de Menin, si vigilante, n'aurait évidemment pas permis que sur cet établissement il y eût les indications d'une maison honnête, c’est-à-dire l’enseigne et le bec de gaz traditionnels. Si la police, sachant que cette maison était suspecte, avait permis qu'elle conservât les marques extérieures de l'honnêteté, la police aurait exposé à de graves erreurs des habitants de bonne foi.

La vigilance de la police de Menin est grande ; elle aurait découvert la vérité des faits puisque ce sont des agents de police de Menin qui, jaloux des lauriers des gendarmes de Rochefort, sont chargés par le conseil communal de surveiller les membres du corps enseignant, de voir quels cabarets ils fréquentent, à quelle heure ils y entrent et à quelle heure ils en sortent.

Ce second grief n'est donc pas plus grave que le premier et je crois que si, pour un pareil oubli, on avait destitué un instituteur, de nombreuses protestations se seraient élevées dans cette enceinte.

Ceux qui aujourd'hui jettent si durement la pierre à M. Swaels devraient examiner leur conscience.

Quant à moi, je crois que s'il n'y avait que ceux-là seuls qui sont innocents de pareils faits qui pouvaient lui jeter la pierre, M. Swaels ne serait pas lapidé.

Le troisième grief qu'on articule contre cet instituteur est qu'il est incapable !

Il est plus difficile de répondre à ce grief qu'aux autres ; il s'agit ici d'une question d'appréciation et non de faits positifs ; mais je suis mieux que d'autres en position de donner à cet égard des renseignements à la Chambre.

Cet instituteur a débuté dans la carrière, sous mes ordres, à Ypres, et il est resté pendant huit à dix ans attaché à l'école communale de cette ville. Cette école est une des meilleures du pays.

Avant la création de cet établissement, le nombre des miliciens illettrés à Ypres était au moins de 30 p. c. Aujourd'hui il y a à peine cinq ou six miliciens pour cent, nés à Ypres, qui ne sachent pas lire et écrire.

Est-on donc si incapable lorsqu'on a été deuxième instituteur d'un établissement qui produit de tels résultats ? Quant à moi, j'ai toujours constaté que M. Swaels était un instituteur suffisant. Lorsqu'il a été question de le déplacer, ce n'a pas été à la demande de l'administration communale d'Ypres. Ce déplacement a été effectué à la demande de l'administration communale de Menin, qui l'a nommé à l'unanimité et qui doit dès lors le conserver et ne peut le destituer que pour des motifs graves et autres en tous cas que ceux qui sont allégués dans les pièces lues par l'honorable M. Bergé.

Je viens de dire que l'administration communale d'Ypres n'avait jamais eu à se plaindre de M. Swaels pendant dix ans. Mais on peut faillir. Errare humanum est ! Il pouvait donc se faire que, depuis le départ d'Ypres de cet instituteur, sa conduite se fût modifiée et son intelligence quelque peu oblitérée. Pour être renseigné sur ce point, j'ai cru pouvoir m'adresser à des personnes très honorables de la ville de Menin.

Je vais donner à la Chambre lecture d'un document qui sera, je pense, de nature à rassurer tous les membres de l'assemblée.

Il émane d'un homme généralement estimé, de l'ancien bourgmestre, parfaitement libéral, de Menin, décoré de l'ordre de Léopold, et. qui a été obligé de quitter sa position de bourgmestre par suite des querelles intestines qui ont surgi dans le conseil communal.

Cet homme est donc complètement désintéressé dans la question ; il ne s'occupe plus, et malheureusement pour nous, il ne s'occupera plus de politique.

La pièce qui m'a été donnée mérite donc toute confiance.

Voici ce que contient le certificat, il porte la date du 15 décembre dernier, et est signé par M. Rembry, bourgmestre démissionnaire et non encore remplacé, je pense, de la ville de MeninD

« Le soussigné Rembry-Relva, chevalier de l'ordre de Léopold, ancien bourgmestre de la ville de Menin, certifie : que M. Charles Swaels a été nommé, à l'unanimité des membres du conseil communal, instituteur en chef de l'école communale de Menin, le 4 septembre 1861 ;

« Que depuis cette époque, jusqu'au 11 mai 1871, date de sa résiliation des fonctions de bourgmestre de la ville de Menin, jamais la moindre plainte officielle ne lui est parvenue, de la part de MM. les inspecteurs provinciaux Serclaes, Tanghe, Germain, ni de la part de MM. les inspecteurs cantonaux Vuylsteke, Devreese, ni de la part de MM. les commissaires de police Willems et Baeghe concernant l'enseignement ou la conduite privée de M. Charles Swaels ;

« Qu'il a pris part à deux concours triennaux, dans le premier desquels ses élèves ont obtenu un prix, un accessit et deux mentions honorables, et dans le second, le prix unique des villes ;

« Qu'il a reçu, à l’unanimité des membres du conseil communal, sa nomination de sous-lieutenant du corps des sapeurs-pompiers de la ville de Menin, nomination sanctionnée par arrêté royal en date du 5 juin 1866 et qu'il a constamment rempli cette mission de dévouement à la satisfaction générale.

« En foi de quoi il est heureux de pouvoir lui accorder cette attestation véridique.

« Menin, le 15 décembre 1871.

« Rembry-Delva. »

Ce certificat, messieurs, n'a pas été fait en vue de la discussion actuelle ; je l'ai demandé pour m'éclairer, car avant de recommander cette affaire à M. le ministre de l'intérieur, j'ai voulu savoir ce qu'il en était. Ce certificat porte la date du 15 décembre dernier, comme je l'ai dit.

Maintenant, est-il possible de croire qu'en un jour un homme qui a rempli son devoir pendant vingt années soit devenu tout à coup malhonnête ; est-il possible d'admettre qu'un instituteur capable soit tout à coup devenu un magister ignare ? Cela est parfaitement invraisemblable ; et, d'après moi, il n'y a qu'une chose de changé à Menin, ce sont les tendances de l'administration locale. Ce qui prouve encore que l'enseignement de cet instituteur n'est pas si mauvais, c'est que le nombre des élèves s'est d'abord élevé en quelques mois de 14 à 139 et que c'est à la suite de certaines difficultés que cinq jeunes gens seulement se sont retirés de l'école. J'ignorais ces détails, je remercie M. Bergé de les avoir donnés à la Chambre.

Maintenant, messieurs, l'honorable M. Bergé nous a parlé de la liberté communale. Il a dit : Si le gouvernement n'abuse pas de son droit strict, il interprète mal la loi.

L'honorable ministre de l'intérieur lui a répondu sur ce point beaucoup mieux que je ne pourrais le faire. Quant à moi, je suis grand partisan de la liberté communale et j'en ai toujours été un ardent défenseur, je sais que c'est à cette liberté que nous devons les plus belles pages de notre histoire, mais ce que je sais aussi, c'est que les communes ont souvent abusé autrefois de leurs pouvoirs et qu'aujourd'hui elles en abusent encore parfois.

Pendant que je siégeais sur d'autres bancs, j'ai été très souvent obligé d'intervenir pour empêcher des vexations de la part des autorités locales contre de pauvres petits instituteurs que des rivalités locales ou des questions de sociétés de musique, par exemple, mettaient mal dans les papiers de l'administration communale.

Mais, messieurs, quelque grande que soit et que doive être la liberté communale, il faut pouvoir mettre un frein à ses pouvoirs lorsqu'elle s'écarte du cercle de ses attributions. C'est pour cela que la loi donne à l'autorité supérieure le droit d'intervenir dans certains cas.

Quant à moi, je trouve que M. le ministre de l'intérieur a parfaitement bien fait.

Messieurs, vous connaissez les faits qui se sont passés. Je répète ma question.

Y avait-il là des motifs suffisants pour révoquer l'instituteur ?

Il a été suspendu d'abord pendant trois mois parce que l'inspecteur cantonal a trouvé que les cahiers n'étaient pas tenus avec ordre et propreté et parce qu'il se permettait d'aller prendre un verre de bière à 2 kilomètres du centre de sa commune.

Je ne veux pas disculper complètement l'instituteur. Il peut avoir manqué de zèle dans certains cas ; il aurait peut-être pu ne pas fréquenter certains estaminets.

Mais les peines qui lui ont été infligées sont suffisantes, et si l'on destituait, pour les faits dont il s'agit, un instituteur, père de famille, qui a vingt années de bons et loyaux services, on se serait élevé pour accuser le ministre de l’intérieur d'avoir manqué de bienveillance à l'égard de ce qu'on appelle généralement un pionnier de la civilisation.

M. le président

Comme l'a parfaitement dit l'honorable M. Vandenpeereboom, il n'y a, heureusement, dans cette question, rien de clérical. Ce qui se passe à Menin, c'est une petite querelle de ménage, une petite querelle intime entre libéraux, et l'instituteur, lui, en est la première victime. En atteignant l'instituteur, ceux qui le frappent atteignent plus spécialement l'un de leurs adversaires.

M. Swaels est libéral ; il s'est toujours affiché comme tel ; tous ses actes le démontrent, toute sa conduite le prouve ; il a été nommé sous un ministère libéral et à l'unanimité des membres du conseil communal de Menin et, jusque passé quelques mois, aucun reproche n'avait été élevé contre lui.

Je n'ai pas à défendre M. Swaels, je n'ai pas davantage à justifier les actes du conseil communal de Menin.

(page 843) Le conseil communal de Menin, comme l'a dit M. Vandenpeereboom, est homogène en ce sens qu'il est exclusivement et entièrement composé d'hommes appartenant à l'opinion libérale, mais il est fractionné en trois partis : il y a le parti de l'ancien bourgmestre, le parti du notaire et le parti du médecin.

Le parti du bourgmestre est composé des anciens, le parti du médecin représente ce qu'on appelle l'élément progressif. Le parti du notaire flotte entre les deux,

L'ancien bourgmestre, de guerre lasse, fatigué, a fini par donner sa démission de bourgmestre et de conseiller communal ; le notaire a fait de même et le premier échevin a également donné.sa démission d'échevin. A la suite de la démission, le parti progressiste est devenu majorité et c'est dans ce parti que M, Swaels rencontre ses adversaires les plus décidés.

Je répète que je suis tout à fait désintéressé dans la question ; mais, comme il s'agit ici de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte, je tiens à donner mon appréciation. D'après moi, le conseil communal de Menin a excédé les bornes d'une juste sévérité ; il est allé au delà de ce qu'il devait faire.

J'admets que l'instituteur communal n'est pas un puits de science, qu'il n'est pas un instituteur modèle. J'admets aussi que l'instituteur Swaels pourrait être plus diligent, qu'il aurait pu, comme le dit le rapport de M. l'inspecteur, montrer plus de zèle. Je crois encore qu'il ferait bien de fréquenter moins les cafés et les cabarets. Mais enfin, vu les faits qu'il avait posés, à raison de sa conduite, qu'y avait-il à faire ? Il fallait l'avertir, le blâmer, le réprimander. Que fait-on ? On le suspend pour trois mois. Eh bien, la mesure me paraît excessive à l'égard d'un instituteur qui compte plus de vingt ans de services.

Quant a son enseignement, on n'allègue rien de très précis à sa charge. Quant à sa conduite, on se borne à des insinuations, et rien que des insinuations. L'inspecteur provincial dit que sa moralité ne saurait donner lieu à des reproches, seulement que sa conduite a été peut-être légère.

L'honorable M. Vandenpeereboom vous a dit ce qui en est de sa capacité ; il vous a lu un certificat de l'ancien bourgmestre de Menin, qui est parfaitement à même, je crois, de juger le sieur Swaels.

Quant aux promenades au village de Gheluwe, il s'agit d'une localité où se rendent, dans un but de distraction, fous les habitants de Menin ; le village de Gheluwe est à proximité de cette ville.

Voici un certificat émané de l'administration de cette commune, qui témoigne de la conduite du sieur Swaels à Gheluwe :

« L'administration de la commune de Gheluwe, arrondissement d'Ypres, certifie que le sieur Swaels, instituteur communal à Menin, visite cette commune depuis une huitaine d'années ; qu'il y fréquente habituellement l'estaminet ayant pour enseigne : l'Etoile, tenu par des personnes très respectables, et qu'il s'y est toujours comporté en honnête et paisible bourgeois.

« Gheluwe, le i septembre 1871,

« L'administration susdite,

« D, Tailleu. »

Quelle est l'origine des relations de l'instituteur Swaels avec les habitants de Gheluwe et avec l'administration de cette commune, c'est que M, Swaels a été chargé d'organiser un corps de pompiers dans la commune de Gheluwe.

Je ne vous parlerai plus des délibérations successives de l'administration communale de Menin, notamment de celle du 2 septembre 1871, suspendant l'instituteur pour trois mois avec traitement. Il en a été assez question. Remarquée bien que l'administration communale n'avait nullement l'intention de faire révoquer l'instituteur Swaels, car elle a suspendu d'abord en lui conservant son traitement.

Ce n'est que par la seconde délibération, celle du 5 décembre 1871, que le conseil se décide à suspendre l'instituteur avec privation de traitement.

Il est un fait assez caractéristique, et l'honorable ministre de l'intérieur l'a invoqué tout à l'heure ; c'est celui-ci : la troisième délibération, celle du 5 janvier 1872, qui suspend l'instituteur Swaels pour la troisième fois avant même qu'il soit rentré dans son école, ne l'accuse nullement d'avoir mis le pied dans un lieu mal famé de Menin.

Or, ce fait devait être connu de l'administration communale à la date du 5 janvier.

Comment se fait-il qu'il n'en soit question pour la première fois que dans la délibération du 51 janvier ?

D'après les renseignements qui me sont parvenus, les faits se sont passés tels que les a exposés l'honorable M. Vandenpeereboom. Le corps des pompiers était réuni pour son banquet annuel ; après le banquet, le corps des pompiers a reconduit son commandant ; celui-ci, chemin faisant, a invité ses hommes, le sous-lieutenant Swaels compris, à prendre le coup de l'étrier dans un estaminet récemment inauguré à Menin.

Cet établissement se trouve dans la rue la plus fréquentée de la ville ; M. Swaels comme ses camarades a pu ignorer, d'après les apparences, ce qui en était du lieu où son chef l'avait convié d'entrer,

Bref, ce qui s'est passé à Menin semble véritablement se ressentir de la passion politique. Pour ma part, j'approuve complètement la conduite de M. le ministre de l'intérieur. L'honorable ministre a tenu la balance égale ; il a maintenu la suspension ; il n'a pas voulu aller au delà. J'engage M. le ministre de l'intérieur à continuer de se montrer ferme dans cette affaire

Si l'instituteur manquait à ses devoirs, que le ministre sévisse contre lui sans pitié ; mais avant tout, qu'il soit juste et qu'il ne se laisse pas induire en erreur par des exagérations manifestes.

M. Bergé. - Il y a quelque chose de véritablement étrange dans ce débat si on le compare à celui qui avait lieu, dans cette assemblée, il y a peu de temps, relativement à l'instituteur de Gosselies. Alors tout était d'une gravité extraordinaire ; les choses les plus simples, les plus naturelles étaient représentées ici par la droite comme les fautes les plus graves.

Un directeur d'établissement menait ses élèves dans un estaminet qui paraissait plus ou moins mal noté. C'était grave. Il n'avait pas salué assez respectueusement les membres du bureau d'administration de cet établissement, c'était encore grave ; il fallait une révocation, et la droite approuvait.

M. Drion. - On n'a pas demandé la révocation, on n'a demandé que le déplacement.

M. Bergé. - Mais lorsqu'il s'agit de l'instituteur communal de Menin, les faits que j'ai présentés ici en me faisant l'écho de l'administration communale de Menin, ces faits changent de nature.

On ne peut les nier ni les mettre en doute. On cherche à les atténuer. Mais quand M. le ministre de l'intérieur vient nous dire que le fait d'être entré dans une maison suspecte n'avait pas la gravité qu'on lui attribuait parce que tout le monde y était entré, j'ai le droit de répondre que cela n'est pas sérieux et que, quoi qu'on puisse dire, la conduite de l'instituteur de Menin est blâmable, que l'administration communale de Menin n'a réellement fait que son devoir en cette circonstance, que l'instituteur avait réellement manqué vis-à-vis de l'administration communale et que son enseignement était insuffisant.

On pourrait démontrer combien cet instituteur s'est relâché dans son enseignement, car si l'honorable M. Vandenpeereboom peut invoquer en sa faveur certains succès dans des concours ouverts il y a quelques années, le dernier concours de 1870 a été pour cet instituteur la marque la plus grande de l'insuffisance de son enseignement.

Quelle attitude devait prendre M. le ministre de l'intérieur ? On a essayé de faire du sentiment en cette circonstance.

Certes les questions de sentiment sont très sympathiques, mais elles n'ont rien à faire en matière d'administration et l'on n'en a pas fait naguère dans un cas analogue à celui qui nous occupe. Il ne faut pas faire du sentiment quand il s'agit d'un instituteur en opposition avec un conseil communal appartenant au parti libéral, alors qu'hier on ne faisait pas de sentiment quand il s'est agi d'un professeur qui avait affaire à une administration cléricale.

On a blâmé l'administration communale de Menin, on lui a supposé certain but inavouable et M. le ministre de l'intérieur disait : Je ne veux pas dire quel est le mobile de l'administration communale, mais cette administration a agi non pas en vue du bien-être de l'enseignement, mais elle s'est laissé guider vers un but qui n'est pas louable.

On pourrait répondre au gouvernement, qu'en cherchant la solution qu'il a donnée à cette affaire, il s'est laissé guider par un motif de politique électorale.

C'est dans un but électoral que vous agissez, vous cherchez à vous appuyer sur cet instituteur dans les prochaines luttes qui auront lieu, sauf à le mettre de côté lorsque la lutte électorale aura passé et en attendant, l'école est sans chef, sans direction.

La question importante dans tout ce débat est de savoir si le gouvernement a fait son devoir vis-à-vis de l'administration communale de Menin et s'il n'a pas posé un précédent dangereux.

Je conclus.

Le gouvernement n'a pas agi comme il devait le faire ; il aurait dû (page 844) trouver uns solution satisfaisante, et s'il voulait absolument user d'indulgence vis-à-vis de cet instituteur, il devait au moins le déplacer.

Quelle est aujourd'hui la situation de l'administration communale de Menin ?

Elle doit subir un instituteur qu'elle ne pourra plus frapper d'aucune peine disciplinaire, car le gouvernement, après l'approbation qu'il vient de donner à cet instituteur, lui accorde une autorité réelle vis-à-vis de l'administration communale.

Le gouvernement aurait dû, vu l'impossibilité où il se trouvait d'amener l'entente entre cet instituteur et l'administration communale qui l'avait frappé, le gouvernement, dis-je, aurait dû provoquer son déplacement. Cette solution eût donné satisfaction à l'administration de Menin ; et d'autre part, elle eût permis à l'instituteur, qui semble avoir la protection du ministère, de réparer ailleurs les fautes qu'il avait commises à Menin.

- Personne ne demandant plus la parole, l'incident est clos.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics pour l’exercice 1872

Discussion générale

M. le président

« Quelles sont, dans la Flandre occidentale, les voies navigables le long desquelles, dans la pensée du gouvernement, il conviendrait de faire les travaux nécessaires en vue de rendre les chemins de halage viables pour servir à la traction des bateaux au moyen de chevaux.

« N'est-ce pas le cas de rendre, le plus tôt possible, le chemin de halage de la Lys, au moins sur l'une des rives, praticable pour chevaux ? La traction s'opère encore le long de cette rivière à bras d'hommes, ce qui rend en partie stériles les dépenses faites par le gouvernement pour la canalisation, qui est sur le point d'être complètement terminée. »

Messieurs, le halage sur les bords de la Lys s'opère encore de la manière la plus primitive ; il se fait à bras d'hommes ; c'est vraiment un spectacle navrant que de voir l'homme ainsi assimilé, disons le mot, à une bête de somme.

Il importe que cet état de choses prenne un terme et le plus tôt possible. La canalisation de la Lys est presque achevée. On a fait à cette rivière des travaux importants. Depuis quelques années, on a construit cinq ou six écluses qui ont coûté plus d'un million.

Eh bien, tous ces travaux seront en quelque sorte stériles, du moins en grande partie inutiles, si l'on n'achève pas la canalisation en consolidant les chemins de halage.

M. le ministre, dans sa réponse à la section centrale, se montre bienveillant et disposé à faciliter la navigation le long de la Lys.

Mais il finit par nous opposer une fin de non-recevoir.

Pour moi, sa réponse n'est pas satisfaisante. Elle est extrêmement vague et ne résout pas la question. Il objecte les nombreuses difficultés qui doivent résulter de l'établissement du chemin de halage le long de la Lys.

Quelles sont ces difficultés ?

« Il convient, dit l'honorable ministre, de placer en première ligne la résistance à laquelle il faut s'attendre de la part des riverains qui chercheront autant qu'ils le pourront à se soustraire à l'aggravation de servitude qui résulterait pour leurs propriétés de l'établissement de ce nouveau mode de traction. »

Or, c'est tout le contraire qui aura lieu. La transformation du chemin de halage constituera un avantage pour les propriétaires riverains.

Ils préféreront voir cheminer sur les bords de la rivière un paisible conducteur et des chevaux que de voir leurs prairies envahies par des bandes de haleurs qui ne leur sont pas du tout sympathiques.

La seconde objection que fait M. le ministre, c'est que de nombreuses rigoles qui servent d'écoulement aux eaux provenant des prairies présentent des obstacles que les chevaux ne pourraient franchir.

Au moyen de quelques tuyaux en grès, de quelques aqueducs, de quelques ponceaux, de quelques remblais et de quelques fascinages, on fera disparaître cette difficulté.

Après cela, M. le ministre se demande à qui devrait incomber la dépense à résulter de ce travail ; est-ce aux riverains ou à l'Etat ?

Mais, messieurs, cette question s'est présentée à diverses reprises ; le gouvernement doit donc savoir à quoi s'en tenir. Je n'ai pas à examiner quelle est la solution qui doit intervenir ; cependant je dirai que d'après les règles du droit civil, celui à qui une servitude est due a le droit de faire tous les ouvrages nécessaires pour pouvoir l'exercer et la conserver ; mais ces ouvrages se font à ses frais ; y a-t-il d'autres règles à suivre en matière de halage, le gouvernement doit les connaître.

Autre objection : Il faudrait indemniser les propriétaires riverains pour l'enlèvement des constructions, clôtures, plantations, etc. » Or, il se fait qu'il n'existe guère d'obstacles le long de la Lys, qu'il n'y a ni plantations, ni constructions, ni clôtures à enlever.

Enfin une dernière objection c'est que peut-être dans un avenir plus ou moins éloigné on pourra établir sur la Lys un touage ; mais, messieurs, ce système de louage n'est pas applicable sur la Lys et ne le sera probablement jamais.

J'ignore où M. le ministre a puisé ses renseignements, mais ils me semblent relatifs à un état antérieur, à un état qui n'existe plus.

Ces renseignements ont, sans doute, été recueillis dans des dossiers anciens.

Quatre canaux ont été construits en peu d'années : ceux de Bossuyt, de Deynze, de Schipdonck et de la Mandel, qui sont tous des affluents de la Lys. Partout, le long de ces canaux, un service de halage est établi ; ce n'est que le long de la Lys que ce service n'existe pas, là où il serait le plus nécessaire de le créer à cause de la violence des courants qui se produisent dans la saison d'hiver.

On pourrait, au moyen d'une dépense légère, améliorer cette situation. Je prie donc l'honorable ministre de faire procéder à une étude nouvelle, sérieuse et approfondie, de se faire produire un état des dépenses qu'exigerait le travail que je réclame.

Il pourra alors juger en connaissance de cause de ce que coûterait un chemin de halage à construire le long de la Lys. Cette construction, sur la première section entre Courtrai et Harlebeke, pourrait se faire au moyen d'une dépense de 8,000 francs et ce serait déjà rendre un grand service à la navigation, parce que cette section forme la continuation du canal de Bossuyt vers Schipdonck.

Je prie donc l'honorable ministre de ne pas considérer comme définitive la réponse qu'il a faite à la section centrale et d'ordonner un nouvel examen de la question. Je demande que d'urgence il veuille donner des ordres en ce qui concerne la première section que je viens d'indiquer et que sans retard on mette la main à l'œuvre.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Messieurs, je me propose de répondre aux différentes interpellations qui m'ont été adressées dans les dernières séances. Ces interpellations sont nombreuses. On me permettra d'être assez bref ; car le temps presse et sans cela je serais entraîné à des longueurs, à des détails préjudiciables à la célérité de nos travaux.

L'honorable M. Van Iseghem a demandé au gouvernement d'opérer des dragages dans les bassins d'Ostende et notamment dans la crique des pêcheurs.

En principe, le gouvernement pourra intervenir dans le dragage des bassins d'Ostende. Mais une question préalable est à résoudre : c'est celle de savoir comment se fera le travail ; sera-ce, ainsi que l'honorable membre paraît le désirer, au moyen d'un bateau dragueur appartenant au gouvernement, ou sera-ce ensuite d'une mise en adjudication et par voie d'entreprise, ainsi que cela se fait, par exemple, à Anvers ?

Je penche pour l'adjudication, parce qu'un bateau dragueur coûte cher, et qu'il y aurait de nombreux moments où il ne serait pas utilisé.

L'honorable membre voudrait, en second lieu, qu'un pavé fût construit entre Ostende et Blankenberghe.

Ce pavé coûterait 453,000 francs et l'Etat ne peut pas assumer cette dépense ; il faudrait que la province et les communes s'en chargeassent en grande partie. Peut-être, ainsi qu'on le prétend, des particuliers seraient-ils disposés à demander la concession de ce pavé, moyennant autorisation pour eux de placer un chemin de fer américain sur l'un des accotements de la route. Si cette prévision se réalisait, j'examinerais jusqu'à quel point le gouvernement pourrait encourager la concession.

L'honorable M. Van Iseghem demande ensuite qu'il soit établi un pavé sur la rive gauche du canal de Bruges à Ostende, entre cette dernière ville et le pont de La Chapelle ; ce pavé servirait principalement de chemin de halage.

J'ai l'honneur de faire observer à l'honorable membre que le halage se pratique sur la rive droite du canal ; que, sur la rive gauche, il existe une route pour la circulation des populations avoisinantes ; que le travail dont il réclame l'exécution coûterait 30,000 francs et que la voie de communication sollicitée devrait être rangée parmi les chemins de petite vicinalité, ce qui la soustrairait à la compétence du département des travaux publics.

Peut-être, toutefois, ce chemin pourrait-il revêtir le caractère d'intérêt général ou d'affluent au chemin de fer. Dans ce cas, j'aurais à examiner s'il y a lieu à intervention du trésor publie dans la dépense.

L'honorable membre désirerait aussi, en présence de l’extension que prend le port de Flessingue, qu’un plan général fût dressé, aux frais du gouvernement, (page 845) pour régler d'avance tout ce qui devrait être fait au point de vue commercial de la ville d'Ostende.

Messieurs, le gouvernement verra toujours avec bonheur le port d'Ostende prospérer et le concours de l'Etat n'a jamais fait et ne fera jamais défaut à ce qui peut contribuer au développement du mouvement commercial de ce port.

Mais la mission du gouvernement n'est pas de faire les plans que réclame l'honorable M. Van Iseghem dans des termes si généraux et si vagues.

Le gouvernement ne doit ni empiéter sur les droits de la ville d'Ostende ni se substituer à ses obligations.

Les travaux d'agrandissement de la station d'Ostende, qui sont dans les vœux de l'honorable membre, sont en voie d'exécution ; ils se poursuivront avec toute l'activité possible ; ce matin même, j'ai pris les mesures nécessaires pour la mise en adjudication très prochaine d'ouvrages de terrassements réclamés par l'assiette du terre-plein de la station agrandie.

L'honorable M. Van Iseghem, étendant ses désirs en dehors de la ville qu'il administre avec tant de dévouement, a demandé aussi que le gouvernement reprenne les négociations pour le rachat des chemins de fer de la Flandre occidentale ; la même demande a été faite par plusieurs autres honorables membres de cette assemblée. Je leur dirai que des pourparlers ont été engagés par mon honorable prédécesseur, pour cet objet, avec les représentants de la Société générale ; ils n'ont pu aboutir, mais jamais ils n'ont été complètement abandonnés ; dans des négociations de cette importance, il faut que tous les droits soient sauvegardés ; si l'occasion de rouvrir ces négociations se présentait encore, j'en ferais l'objet de mes préoccupations les plus sérieuses.

L'honorable M. Van Iseghem sait que j'ai l'intention d'améliorer quelque peu la situation des commis des ponts et chaussées et il voudrait savoir si mes projets s'appliquent aux commis attachés aux bureaux des ingénieurs d'arrondissement, comme ils s'appliquent aux commis placés sous les ordres immédiats des ingénieurs en chef directeurs de province. Je ne puis que lui répondre dans le sens de l'affirmative.

L'honorable M. Boucquéau a préconisé avec chaleur comme avec raison l'admission du matériel des particuliers sur les lignes du chemin de fer de l'Etat pour le transport des marchandises.

Je ne puis que répéter à l'honorable membre et à la Chambre, ce que j'ai dit lors de la discussion du crédit de 16 millions récemment voté pour le matériel du railway. J'ai déclaré dès le principe et spontanément que je considère l'admission de waggons de particuliers comme une bonne chose. L'honorable membre s'est mépris, je pense, sur le sens qu'il faut attacher à certaines paroles prononcées, dans la discussion que je viens de rappeler, par mon honorable collègue, M. le ministre des finances. L'honorable M. Malou n'a pas élevé d'objection absolue contre l'admission recommandée, il a seulement prévu des précautions à prendre.

Au fond, nous sommes d'accord sur ce principe que des waggons appartenant à des particuliers peuvent, moyennant certaines stipulations, être admis à circuler sur les lignes administrées par l'Etat. Nous croyons que, dans certaines circonstances données, ces waggons peuvent venir puissamment en aide à l'exploitation et à nos moyens de pourvoir aux nécessités du transport des marchandises pondéreuses surtout, Seulement nous sommes encore occupés à étudier le système qui sera adapté à ce nouvel usage.

Je dis « à ce nouvel usage, » et cependant l'honorable membre sait que, déjà dans l'état actuel de nos errements, il se fait des abonnements pour des expéditions à effectuer sur des waggons appartenant à des particuliers.

Nous voulons élargir le cercle de ces arrangements ; mais je dois faire observer qu'il est bon de prendre pour point de départ cette idée qu'une administration, Etat ou compagnie, doit, avant tout, posséder elle-même, autant que possible du moins, assez de matériel pour pourvoir à toutes les nécessités de son exploitation. Ce qu'elle doit, en thèse primordiale, rechercher en dehors de ses propres ressources, c'est de parer aux besoins exceptionnels reconnus dans les moments où le matériel possédé en propre est insuffisant.

L'honorable membre est revenu encore sur les questions qu'il a soulevées l'année dernière avec l'honorable M. Houtart, relativement à la tarification des pierres de taille transportées par le chemin de fer.

Il se plaint de ce que ces pierres sont rangées dans la troisième classe du tarif de la petite vitesse, tandis que les pierres brutes venant de France sont rangées dans la quatrième classe.

D'après lui, la responsabilité restreinte qui pèse sur l'Etat à la décharge des expéditeurs ou des destinataires des pierres taillées n'est pas un motif suffisant pour que la tarification actuelle soit maintenue et il prétend, à ce point de vue, que l'on pourrait permettre à l'expéditeur de renoncer, pour tous les cas possibles, à toute action en dommages et intérêts en cas d'avarie.

Je ferai remarquer à l'honorable membre que ces déclarations de non-responsabilité ne sont pas admises par tous les tribunaux. Plusieurs arrêts en ont repoussé la validité.

M. Boucquéau. - Pour certaines catégories de responsabilité.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - D'ailleurs, si les pierres de France dont parle l'honorable membre jouissent, pour leur parcours en Belgique, des tarifs internationaux, il faut remarquer que ces tarifs sont réciproques. Ainsi, si des pierres de taille belges sont transportées en France, elles jouissent également des avantages du tarif international qui est appliqué aux pierres françaises pénétrant en Belgique.

M. Muller. - Dans tous les cas, il faut payer plus pour les pierres de Belgique.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Sans doute et la différence de classification s'explique par la différence qui résulte du travail qui a été appliqué à la pierre taillée.

Mais mon observation consistait à dire que si des pierres de taille de Belgique étaient transportées en France, elles jouiraient du tarif dont profitent les pierres françaises importées en Belgique. L'avantage est réciproque.

M. Boucquéau. - Nous ne transportons pas de pierres de taille en France ; il n'y a donc pas compensation.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Les compensations s'établissent sur un ensemble et non sur un article isolé.

Quant au tarif spécial qui régit les transports de charbons faits entre le Borinage et Gand, j'ai déjà répondu à l'honorable M. Balisaux que ce tarif spécial avait été adopté à cause du parallélisme de la voie d'eau.

Partout et toujours, lorsqu'un chemin de fer, appartenant à une compagnie surtout, forme une ligne parallèle à la voie d'eau, il est impossible qu'il n'admette pas quelque tempérament à ses tarifs.

C'est ainsi, par exemple, que le Nord-Belge accorde une réduction pour le transport des minerais qu'il expédie en concurrence avec la Meuse et la Sambre.

L'Etat doit bien le suivre dans cette voie et modérer quelque peu son tarif, et c'est ainsi que l'on a été amené à accorder une modération de taxe à des transports de minerais dirigés vers le bassin de Charleroi, modération qui sera appliquée aux minerais allant aux hauts fourneaux du Centre.

L'honorable M. Magherman a, de son côté, demandé qu'on procédât et le plus tôt possible à l'agrandissement des stations d'Audenarde et de Renaix.

Pour la station d'Audenarde, le plan d'ensemble en est approuvé. On attend les propositions de détail et l'on procédera prochainement aux acquisitions de terrains.

Quant à la station de Renaix, les chefs de service sont saisis de la question, mais je dois dire que, jusqu'à présent, la nécessité de l'agrandissement n'a pas été constatée : ce sera seulement lorsque le chemin de fer d'Anvers à Tournai et à Douai se fera, qu'il y aura lieu probablement de remanier les aménagements de la station de Renaix.

En ce qui concerne la nouvelle station de Peteghem, les travaux en sont achevés et l'ouverture en aura lieu sous peu.

Celle de Rooborst est décidée en principe et le plan d'ensemble ne tardera pas à être adopté.

L'honorable membre prie le gouvernement de prendre des mesures pour la prompte construction des chemin s de fer d'Anvers à Tournai et de Braine-le-Comte à Courtrai.

Les travaux de la ligne d'Anvers à Tournai et à Douai ne doivent commencer que le 1er juillet 1872. Ceux de la ligne de Braine-le-Comte à Courtrai ne doivent être entamés que le 1er juillet 1873.

L'honorable membre recommande la mise à fruit de la concession du chemin de fer d'Audenarde à la frontière zélandaise.

Cette concession a fait l'objet d'un apport à la société anonyme des chemins de fer vicinaux créée le 16 juillet 1867. Les plans dune section ont été approuvés le 14 décembre 1871.

Depuis lors, la société est restée dans l'inaction. Je ne pourrai que tenir la main à ce que le concessionnaire satisfasse à ses obligations.

L'honorable M. Vanden Steen m'a fait aussi plusieurs recommandations, à commencer par l'agrandissement de la station de Termonde.

Ce travail est à l'étude. Des améliorations de détail peuvent être introduites immédiatement ; mais, quant à l'agrandissement proprement dit, il ne peut être arrêté encore ni, par conséquent, exécuté, avant que les plans des (page 846) chemins de fer de Bruxelles à Termonde et de Bruxelles à Saint-Nicolas soient définitivement adoptés.

La station de Zele, sur la situation de laquelle l'honorable M. Vermeire a également appelé mon attention, peut, de même que celle de Termonde, recevoir des améliorations dès à présent. D'abord, des travaux de pavage vont y être exécutés, et il est reconnu aussi qu'on doit modifier la disposition intérieure du bâtiment des recettes. Ce dernier travail sera fait lorsque son tour sera venu.

L'honorable M. Vanden Steen demande encore que je dispose de la concession du chemin de fer de Gand à Tamise, autorisée en 1866. Mais, depuis 1866, aucun de mes prédécesseurs n'a cru pouvoir donner suite au projet.

D'abord, les choses ne sont plus aujourd'hui dans le même état qu'au moment où la concession a été accordée. Plusieurs villes que ce chemin devait desservir le sont déjà par d'autres voies ferrées.

En outre, cette ligne semble faire, jusqu'à un certain point, double emploi avec d'autres lignes parallèles.

Toutefois j'examine la question et je ne me prononce pas sur la suite qu'il y a lieu d'y donner.

Un bureau de poste à Calcken est aussi réclamé par l'honorable membre. Je puis lui annoncer que ce bureau est au nombre de ceux qui pourront être établis dans un assez bref délai.

Un service de poste entre Calcken et Wetteren est également demandé. Ce service pourra être établi, mais cependant à la condition que les communes intéressées fassent une partie de la dépense d'installation.

Messieurs, l'honorable M. Lefebvre a pris la parole pour proposer et pour développer un amendement tendant à ce que le crédit porté à l'article 40 du budget soit majoré de la somme de 22,000 francs, pour faire étudier la question des canaux maritimes de Bruxelles, Malines et Louvain. Messieurs, quelque sympathie que j'aie pour ce grand travail, je ne crois pas pouvoir me rallier à l'amendement et voici pourquoi : cet amendement, selon moi, ne doit pas faire partie du budget.

C'est un crédit spécial qui a un objet déterminé ; ce n'est pas un crédit de budget.

Le crédit qui forme l'article 40 du budget est ainsi libellé : « Etudes de projets ; frais de levée de plans ; achats d'instruments, de cartes et de livres ; matériel, impressions, etc. ; frais d'adjudication. » Il est de 28,000 francs pour le royaume entier. Ainsi il serait presque doublé en vue des travaux spéciaux que l'honorable M. Lefebvre et les honorables signataires de l'amendement ont en vue. Je crois qu'il y aurait lieu de disjoindre ce crédit et de le renvoyer à une commission spéciale ou à la section centrale du budget.

Messieurs, j'ai désigné un ingénieur très distingué, non pour faire des projets complets de ces grands travaux, mais pour en rechercher la possibilité et l'utilité.

Evidemment, puisque j'ai donné à M. l'ingénieur en chef directeur Cognioul la mission défaire un travail, je dois lui procurer les fonds nécessaires à cet effet. Mais je pourrai prélever ces fonds sur le crédit de l'article 40.

Je persiste à croire, ainsi que je l'ai dit dans mon premier discours, que comme il s'agit de canaux qui appartiennent aux villes de Bruxelles et de Louvain et dont ces villes perçoivent les revenus, comme il s'agit de travaux projetés par ces villes, celles-ci devraient faire un fonds spécial pour les études, sauf à voir si le gouvernement peut coopérer à ce fonds.

L'honorable M. Léon Visart a parlé du port de Nieuport. L'administration communale et les habitants de Nieuport ont, à plusieurs reprises, formulé des requêtes à l'effet d'obtenir l'établissement d'un bassin à flot. Ces requêtes ont été soumises à l'examen des fonctionnaires de l'administration des ponts et chaussées dans la Flandre orientale. Ceux-ci ont été invités à faire de la question une étude sérieuse et prompte.

Cette affaire est d'une grande importance pour la ville de Nieuport. Mais elle peut entraîner à de grandes dépenses ; elle mérite un examen très sérieux.

L'honorable M. Visart désire savoir où en sont les travaux du chemin de fer de Bruges à Waereghem.

La concession de ce chemin de fer a été cédée, en 1868, à la compagnie du chemin de fer de Bruges à Blankenberghe.

Celle-ci a présenté le projet du tracé de la section de Lophem à Thielt qui a dû lui être renvoyé avec invitation d'en introduire un nouveau. Malgré trois rappels successifs, la société s'est abstenue jusqu'à présent de se conformer aux injonctions du département ; si elle persistait plus longtemps dans cette inaction, j'aviserais aux moyens de l'en faire sortir.

L'honorable M. de Kerckhove, député de Malines, a naturellement parlé du port de Malines. Je ne puis que lui répéter que cette navigation maritime me sourit, comme elle sourit à tous ceux qui voient dans cette voie nouvelle d'importations et d'exportations, une source de richesse.

L'honorable membre, qui porte un si vif intérêt à tous les travailleurs du chemin de fer, a parlé notamment du contrôle des billets.

Messieurs, ce contrôle est une chose qui ne peut se faire sans présenter un certain danger pour les gardes-convois qui en sont chargés, ou bien sans occasionner des désagréments aux voyageurs. Il n'y a pas ici de milieu : ou bien, il faut continuer le mode actuel du contrôle dans les voitures, ou bien il faut en revenir au récolement à la sortie des stations.

Or, ce dernier mode a été tenté ; il ne peut plus l'être : il avait soulevé un toile général, et il a dû être abandonné.

Du reste, la statistique établit que les accidents qui arrivent aux gardes-convoi sont très rares.

Messieurs, nous avons annoncé l'intention de faire participer, dans une certaine mesure, aux bénéfices de l'opération tous les fonctionnaires ou employés qui exercent une influence réelle sur les résultats financiers de l'exploitation du chemin de fer.

L'honorable membre a demandé si ce système s'appliquerait aux simples ouvriers. Nous voulons tout le bien possible, aux ouvriers ; nous voulons leur assurer un salaire convenable ; nous l'avons déjà prouvé à plusieurs reprises par des augmentations, et je le prouve de nouveau, en vous proposant une augmentation notable de crédit au budget qui vous est soumis.

Et, certainement, plus les bénéfices de l'opération seront grands, plus nous serons à même de proportionner ce salaire aux besoins de ceux qui le touchent. Mais chacun comprendra que le système, des primes ne peut être appliqué qu'aux employés qui sont rétribués à l'année.

L'honorable M. de Kerckhove a demandé aussi que des secours fussent accordés sur les fonds du budget aux veuves et aux enfants des ouvriers, comme aux ouvriers eux-mêmes quand ceux-ci sont malades ; or, c'est ce qui se pratique déjà.

L'article 87 du budget est ainsi conçu : « Secours à des employés, veuves ou familles d'employés, ainsi qu'aux agents payés sur salaires ou à leurs familles, qui ne peuvent être pensionnés. » Cet article comportait pour 1871 une somme de 15,952 francs ; j'ai proposé de le porter à 20,000 francs pour 1872 ; j'ai donc, sous ce rapport, devancé le désir de l'honorable membre.

Quant aux augmentations de salaire, elles sont accordées d'une manière paternelle. A cet égard, je dirai que le système préconisé par l'honorable membre, d'avoir recours au sort, ne me parait guère praticable. En toutes circonstances, il faut peser les titres de chacun.

L'honorable membre nous a entretenus du repos du dimanche. Certes, il n'est personne dans cette enceinte qui ne désirerait que chacun pût chômer le dimanche. A part l'idée religieuse et surtout chrétienne sur laquelle il se base, le repos du dimanche se justifie encore par la nécessité de détendre les forces physiques et morales lorsqu'on les a fatiguées six jours sans relâche.

Mais, messieurs, dans notre état social, il est une foule de travaux dont ceux qui en sont chargés ne peuvent s'affranchir, par la raison que ces travaux ne peuvent pas être suspendus, qu'ils doivent, au contraire, être continués sans interruption.

L'honorable membre a cité, comme exemple de l'observance du repos dominical, ce qui se passe en Angleterre et aux Etats-Unis. Là, en effet, une partie notable des trains chôment le dimanche ; mais la cause en est en ce que, dans ces pays, chacun reste chez soi le dimanche. Sur notre continent, au contraire, c'est souvent le dimanche, à certaines saisons surtout, que les populations se meuvent le plus, et si l'on supprimait les trains du dimanche, on ferait naître des réclamations incessantes.

Il en est de même pour les distributions de lettres ou pour le transport de télégrammes.

L'honorable membre est d'avis que le chargement et le déchargement des marchandises de la petite vitesse pourraient ne pas être effectués le dimanche. Sur ce point, je suis complètement de son avis, et, en fait, ces opérations n'ont pas lieu les jours de fête ; elles ne constituent que l'exception. Le livret réglementaire pour le transport des marchandises porte que « la marchandise doit être enlevée de la station dans les huit heures, les dimanches et jours de fête, ainsi que les heures de nuit, étant décomptés. » Il n'est donc point nécessaire d'opérer le chargement et le déchargement des marchandises le dimanche.

Au surplus, messieurs, je profiterai de cette occasion pour dire à la Chambre que mon administration recherche le moyen d'assurer au moins un jour de repos par mois aux employés du service actif du chemin de fer.

(page 847) Dans l'état actuel des choses, ils n'ont pas même ce petit soulagement. Déjà pour les facteurs de la poste, on a établi ce jour de repos par mois ; et savez-vous, messieurs, ce qu'il en a coûté à l'Etat ? Une somme de 100,000 francs par année ; et il en serait de même si l'on établissait également ce jour de repos rien que pour les employés du télégraphe. Je vous laisse à penser ce qu'il en serait s'il s'agissait d'étendre le principe à tous les employés du service actif du chemin de fer.

L'honorable M. Beeckman a rappelé que la section centrale a exprimé le vœu que le traitement des conducteurs principaux fût porté à 3,600 francs (minimum) et à 4,000 francs(maximum) et celui des conducteurs de première classe à 2,800 francs (minimum) et à 3,200 francs (maximum).

Je crois inutile de dire, messieurs, combien ces fonctionnaires me sont sympathiques, mais lorsque l'honorable M. Beeckman annonce que si je ne fais pas une déclaration formelle dans ce sens, il déposera un amendement, je suis obligé de lui dire qu'un amendement fixant les traitements organiques des conducteurs principaux et des conducteurs de première classe constituerait un véritable empiétement sur les attributions du pouvoir exécutif.

En effet, la fixation des traitements des fonctionnaires de l'ordre administratif est de la compétence du Roi et l'arrêté organique du 18 juillet 1860 porte spécialement en ce qui concerne les membres du corps des ponts et chaussées, que leurs traitements sont réglés par le Roi. La Chambre ne pourrait donc pas adopter un amendement présenté dans cette forme.

Moi, comme ministre, je ne pourrais que faire, comme l'a fait mon honorable prédécesseur, dans une position identique à la mienne, c'est-à-dire déclarer que mon devoir m'interdit de me prononcer d'une manière positive.

Je ne puis que dire que j'examinerai la question avec bienveillance et que je ferai tout ce qu'il me sera possible de faire.

Il est clair, messieurs, que si la législature fixait les traitements des employés, ces traitements ne pourraient plus être modifiés sans une autre loi, c'est-à-dire par arrêté royal.

Outre que ce serait empiéter sur les attributions du gouvernement, ce régime serait peu favorable aux fonctionnaires eux-mêmes.

L'honorable rapporteur a critiqué fortement la convention faite, le 24 avril 1867, par le gouvernement avec la maison Van Gend.

Je ne suis pas, messieurs, un admirateur quand même de cette convention. Je crois qu'elle pourrait être modifiée, mais je ne crois pas non plus qu'elle mérite toutes les critiques dont elle a été l'objet.

Ce qui est certain, c'est que, depuis l'adoption de l'arrangement dont il s'agit, les intérêts de l'Etat sont beaucoup mieux sauvegardés qu'ils ne l'étaient auparavant.

Antérieurement, la maison Van Gend avait le droit de pratiquer le groupement autant qu'elle le voulait.

Aujourd'hui elle est obligée, par son contrat, de nous donner tous ses petits paquets et le groupement lui est formellement interdit.

Si donc elle fait le groupement, elle commet une fraude à son contrat ; elle le viole et par cette violation même elle peut en perdre le bénéfice. Mais, d'après les rapports très circonstanciés qui me sont parvenus, le groupement n'a jamais été constaté. Si quelqu'un connaît l'endroit où le groupement pourrait être reconnu et établi en fait, son devoir est de me le signaler, mais jusqu'à présent le groupement a été insaisissable. Il est bien arrivé quelquefois qu'on ait trouvé, dans les expéditions des messageries Van Gend, plusieurs paquets sous un même emballage, mais les investigations minutieuses de l'administration n'ont pas permis de douter que la réunion de ces colis était le fait de l'expéditeur et non le fait de la société Van Gend qui, du reste, n'en profitait en aucune façon.

Quoi qu'il en soit, je pense que ce n'est pas le moment de discuter à fond cette question qui se trouve en ce moment transportée devant votre commission de l'industrie. En effet, l'honorable rapporteur de cette commission a demandé à mon département des renseignements sur différents points qu'il s'agit d'éclaircir, ainsi que sur l'emploi possible de timbres adhésifs pour l'affranchissement préalable des petits paquets, autre question non moins intéressante que celle dont je viens de parler.

Il serait donc, semble-t-il, prématuré de discuter, en ce moment, les avantages et les désavantages de la convention Van Gend. Du reste, je suis prêt à le faire si la Chambre le juge convenable.

- Voix nombreuses. - A demain !

M. le président. - La Chambre entend-elle remettre la suite de la discussion à demain ? (Oui ! oui !) Il en sera ainsi.


IM. le président. - Voici comment le bureau a composé les deux commissions spéciales :

La première, chargée de l'examen de la proposition de MM. Lelièvre et de Baets, de MM. Cornesse, Cruyt, Pirmez, Tesch et Thonissen.

La seconde, chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'érection du hameau de Saint-Amand en commune distincte, de MM. Biebuyck, De Lehaye, Desmedt, Houtart et Van Iseghem.

- La séance est levée à 5 heures.