(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)
Présidence de M. Thibaut.)
(page 621) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Hagemans donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :
« Les membres de l'administration communale d'Otrange prient la Chambre d'accorder au sieur Pousset la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Aix-la-Chapelle. »
« Même demande des membres des administrations communales de Halle-, Boyenhoven, Sluse et Vechmael. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Roulers demandent qu'il soit pris des mesures pour empêcher le renouvellement des désordres qui ont eu lieu dans la capitale. »
« Même demande d'habitants d'Ardoye. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Beggynendyck prie la Chambre d'accorder au sieur Heinerscheidt la concession d'un chemin de fer de Malines à Wychmael par Aerschot et Beverloo. »
- Même renvoi.
« Le sieur Devos demande que le code électoral présenté à la Chambre soit envoyé gratis à toutes les administrations communales. »
- Même renvoi.
« Le sieur Devos se plaint du retard dans la distribution des Annales parlementaires. »
• - Même renvoi.
« Le sieur Allard prie la Chambre de faire donner suite à ses requêtes ayant pour objet la réparation réclamée par son père. »
- Même renvoi.
« Les membres des conseils communaux de Roy, Rendeux, Baude, Grune, Nassogne, Harsin demandent la reprise par l'Etat des deux chemins de grande communication de Rendeux à Grupont et de la barrière de Chavanne à la route de Marche à Laroche. »
- Même renvoi.
« Des instituteurs dans la province d'Anvers demandent que le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires admette pour base du calcul de la pension les cinq années des revenus les plus élevés de l'instituteur. »
M. Lelièvre. - J'appuie cette requête et je demande qu'elle soit renvoyée à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif u la matière.
Je demande aussi que la section fasse un rapport spécial sur la pétition dont il s'agit.
- Adopté.
« Des brasseurs à Bruxelles prient la Chambre de rejeter le projet de loi relatif à l'accise sur la bière. »
M. Lelièvre. - J'appuie cette requête et je demande qu'elle soit renvoyée à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi. Je recommande tout particulièrement à la section l'attention de la pétition.
- Le renvoi à la section centrale est ordonné.
« Des habitants et propriétaires de Sauvenière demandent que la station projetée sur le territoire de cette commune soit établie au lieu dit : Laid-Culot. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.
« Le sieur Wilhelm Zapp, demeurant à Anvers, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Il est fait hommage à la Chambre par l'administration communale de la ville d'Anvers d'un exemplaire de la troisième livraison du quatrième volume de l’Antwerpen archievenblad. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« Par dépêches, en date du 2 mars, le Sénat informe la Chambre :
« 1° Qu'il a donné son adhésion aux projets de lois :
« Qui ouvre, au département des affaires étrangères un crédit spécial de 615,000 francs pour la construction d'un steamer ;
‘Qui autorise le gouvernement à restituer à la ville de Bruxelles le droit d'enregistrement perçu sur l'acte passé devant Me De Doncker, le 14 décembre 1871 ;
« Qui augmente de 401,467 fr. 45 c. l'article 99 du budget du ministère de l'intérieur pour l'exercice 1871 ;
« 2° Qu'il a pris en considération les demandes de grande naturalisation des sieurs :
« Marie-Denis-François Carpentier de Changy, et Marie-François-Charles Carpentier de Changy. »
- Pris pour notification.
Les sections de mars se sont constituées comme suit.
Première section
Président : M. de Kerckhove
Vice-président : M. Delaet
Secrétaire : M. Coremans
Rapporteur de pétitions : M. Pety de Thozée
Deuxième section
Président : M. Magherman
Vice-président : M. Wouters
Secrétaire : M. Hermant
Rapporteur de pétitions : M. Vanden Steen
Troisième section
Président : M. Van Iseghem
Vice-président : M. Van Overloop
Secrétaire : M. Verbrugghen
Rapporteur de pétitions : M. de Montblanc
Quatrième section
Président : M. Lelièvre
Vice-président : M. Drubbel
Secrétaire : M. de Vrints
Rapporteur de pétitions : M. Bricoult
Cinquième section
Président : M. Kervyn de Lettenhove
Vice-président : M. Landeloos
Secrétaire : M. Reynaert
Rapporteur de pétitions : M. Visart (Léon)
Sixième section
Président : M. Lefebvre
Vice-président : M. Julliot
Secrétaire : M. de Moerman d’Harlebeke
Rapporteur de pétitions : M. de Smet
« M. Simonis demande un congé pour la séance de ce jour.’
- Ce congé est accordé.
La discussion générale est ouverte.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Je viens renouveler auprès du nouveau ministre des travaux publics une recommandation que j'avais déjà faite à ses prédécesseurs.
J'appelle son attention sur la nécessité d'établir une petite ligne télégraphique aboutissant à la commune de Grez-Doiceau dans mon arrondissement.
(page 622) Cette commune est le siège d'une grande industrie ; c'est un ancien siège de canton, et les industriels réclament depuis très longtemps de pouvoir être exonérés du prix d'un franc qu'ils payent pour le transport de chaque dépêche, outre les retards qu'exige une distance de 3 kilomètres
Il est bien vrai que la commune de Grez est à trois kilomètres de distance de la station de. Gastuche. Mais cette dernière localité n'offre pas, sauf une fabrique de papier qui s'y trouve, de très grandes ressources, tandis que la commune de Grez-Doiceau a une population de 3,000 à 4,000 habitants et est le siège de nombreuses industries et d'un commerce important.
J'appelle donc l'attention de M. le ministre sur ce point et j'espère que cette fois nous obtiendrons une solution favorable.
M. Moncheur, ministre des travaux publics. - J'examinerai avec bienveillance la demande de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, mais je dois lui faire observer qu'il existe, à l'administration des télégraphes, quelques règles générales en ce qui touche l'établissement des bureaux, et dont l'une s'applique au cas présent : c'est que les bureaux télégraphiques ne doivent s'établir, jusqu'à présent du moins, qu'à une distance d'environ 5,000 mètres. Il faut, en effet, s'arrêter à une limite, et celle-là a paru répondre aux nécessités actuelles.
Or, l'honorable préopinant dit que Grez-Doiceau désirerait posséder un bureau télégraphique, mais il déclare que Gastuche n'est qu'à 3 kilomètres de Gastuche.
Gastuche est un endroit très peu populeux, mais Gasluche est une station du chemin de fer. C'est donc là que doit se trouver le bureau télégraphique.
Grez-Doiceau est un village important ; il possède plusieurs industries florissantes et il voudrait se voir affranchi de la taxe d'un franc que l'on doit payer pour recevoir un télégramme venant de Gastuche.
Mais, je le répète, messieurs, une grande quantité de villages ou de localités se trouvent à peu près dans le même cas que Grez.
Il est possible, que, dans un temps plus ou moins éloigné, on pourra multiplier les bureaux télégraphiques, mais ce temps n'est pas encore venu. J'annonce du reste avec plaisir à la Chambre que, sous le rapport du nombre des bureaux télégraphiques, nous sommes à la tête de tous les pays de l'Europe. Il n'y en a qu'un seul où il y a plus de bureaux télégraphiques que chez nous, eu égard à la population et à l'étendue du territoire, c'est la Bavière : mais, vous ne voudriez pas acheter ce privilège au prix où il existe en ce pays ; c'est que là les chemins de fer n'ont qu'une seule voie : il était donc absolument nécessaire, dans l'intérêt de la sécurité publique, d'établir un bureau télégraphique dans toutes les stations, quelque petites qu'elles fussent. C'est là une situation tout à fait extraordinaire, anomale et que nous n'envierions point.
Au surplus, messieurs, il y a un moyen pour les destinataires de télégrammes de s'affranchir de la taxe d'un franc que coûte le transport d'une dépêche depuis le bureau jusqu'à leur domicile, le voici : l'administration admet que les personnes qui sont dans le cas de recevoir des télégrammes d'un bureau qui est à quelque distance de chez elles, s'entendent avec un commissionnaire de leur choix et résidant à portée du bureau, pour se faire apporter leurs dépêches au prix convenu entre eux.
Lors donc que l'on dit que, dans telle ou telle localité, on peut se faire apporter des télégrammes, à 2 ou 3 kilomètres, pour une somme moindre qu'un franc, et lorsqu'on se plaint de devoir payer cette somme pour ce service, on se plaint à tort.
Les particuliers peuvent indiquer une personne de leur choix qui serait commissionnée pour porter les télégrammes chez eux ; pour cela ils n'auraient qu'à donner l'adresse d'une personne de la localité où se trouve le bureau.
Les télégrammes seront remis à cette adresse et portés de là au destinataire.
Je conçois que ce destinataire ait plus de confiance dans la régularité du porteur officiel ; mais enfin il a un moyen de s'affranchir de la taxe relativement élevée d'un franc, s'il le désire.
M. Anspach. - Je me joins à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu pour appuyer la demande qu'il vient d'adresser à M. le ministre des travaux publies et qui concerne l'établissement d'un bureau télégraphique à Grez-Doiceau. Gastuche est une localité qui n'a pas d'importance ; cette localité serait parfaitement ignorée, s'il ne s'y trouvait pas une papeterie ; malgré cela, elle est tellement ignorée que la compagnie qui exploite le chemin de fer dont Gastuche est une station a été obligée de mettre sur ses coupons « Grez-Doiceau Gastuche. »
Gastuche, où se trouve un bureau télégraphique, n'est qu'à quelques kilomètres de Grez-Doiceau. Pour relier cette commune au réseau télégraphique, il ne faudrait qu'une dépense très peu considérable, et d'un autre côté, ce serait une mesure des plus utiles pour l'arrondissement que l'honorable M. Le Hardy représente dur, évite enceinte.
M. de Baets. - Messieurs, à l'occasion du projet de loi en discussion, je viens appeler l'attention de M. le ministre des travaux publies sur quelques lacunes déplorables que présente mon arrondissement au point de vue télégraphique.
Ainsi, on est étonné de ne pas voir un bureau télégraphique à Quatrecht qui est devenu un centre industriel très important, se trouvant sur le bord de l'Escaut et à l'intersection de la route de Gand à Bruxelles, et se reliant ainsi à plusieurs communes.
Je crois qu'il y a lieu ici de faire fléchir la règle qui s'oppose à la création d'un bureau télégraphique à moins d'une distance de 5 kilomètres.
Il y a une autre lacune sur laquelle je me permets d'appeler l'attention de M. le ministre, c'est l'absence de bureau télégraphique à Everghem, village de 7,000 habitants ; il possède une station de chemin de fer, un bureau postal, deux notaires et un receveur ; il est chef-lieu de canton et il se trouve à 5 kilomètres d'un bureau télégraphique.
Il a été dit dans cette Chambre que tous les chefs-lieux de canton seraient reliés au réseau télégraphique, alors même qu'ils ne se trouveraient pas sur une ligne de chemin de fer. Et cependant Everghem ne possède pas de station télégraphique.
Je me demande pourquoi l'administration supérieure s'est toujours refusée jusqu'ici à faire droit à nos réclamations à cet égard.
Remarquez, messieurs, que l'application rigoureuse du système actuellement admis conduit parfois à des conséquences absurdes ; si vous ne voulez établir des stations télégraphiques qu'à une distance de 5 kilomètres, vous ne devriez pas établir plusieurs bureaux télégraphiques dans une même ville.
On fait le même raisonnement en ce qui concerne les bureaux de poste. Voici une anomalie palpable que je veux signaler à la Chambre. A la station d'Everghem, il y a un bureau de poste et il n'y a pas de bureau télégraphique ; à cinq kilomètres plus loin, il y a un bureau télégraphique, et pas de bureau de poste, et quand on demande un bureau de poste, la réponse est toujours la même : « Vous n'expédiez pas assez de lettres. » L'objection n'est pas sérieuse ; on n'y expédie pas assez de lettres, parce qu'il n'y a pas de bureau de poste, et que le transport des lettres doit nécessairement se faire par des moyens autres que la poste.
Je termine en exprimant le vœu que M. le ministre s'empressera de faire usage du crédit que la Chambre va lui accorder, en nous accordant à nous ce que nous demandons depuis si longtemps.
M. de Clercq. - Nous avons vu, dans le rapport de la section centrale, la réponse de M. le ministre à une question qui lui avait été posée, à savoir s'il n'y aurait pas convenance à établir des bureaux télégraphiques dans toutes les stations de chemins de fer. La réponse, en substance, est celle-ci : L'établissement des bureaux télégraphiques est subordonné aux exigences du service ; généralement on n'en établit que dans les stations d'une certaine importance.
Je ne pense pas que cette réponse soit bien concluante. ; je crois que dans tous les cas, c'est-à-dire si même le service n'exigeait que rarement dans une année - par suite de retard ou d'accident au train - l'emploi du télégraphe, encore conviendrait-il de l'établir et de l'y mettre également à la disposition des particuliers. Qu'au moins l'on commence à parer aux lacunes les plus importantes.
A cette occasion, et parlant plus spécialement de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, je recommanderai instamment à M. le ministre des travaux publics l'établissement d'un bureau télégraphique dans la station d'Oostcamp, localité d'ailleurs très importante par son commerce et ses maisons de campagne.
Cette recommandation, j'ai déjà eu l'honneur de la faire dans cette Chambre, à propos de la discussion du dernier budget des travaux publics ; je la renouvelle en ce moment, avec l'espoir de la voir aboutir prochainement.
M. Van Overloop. - Je demanderai à mon tour à la Chambre la permission de recommander à M. le ministre des travaux publies l'établissement d'un bureau télégraphique à Doel.
C'est à Doel que se trouve la quarantaine ; il peut arriver fréquemment que des communications urgentes doivent être échangées entre Doel et la capitale.
Il me semble, par conséquent, que si la création d'un bureau télégraphique doit être utile quelque part, c'est à Doel.
Puisque j'ai la parole, j'appellerai également l'attention de M. le ministre des travaux publics sur l'utilité d’établir un bureau télégraphique à Wachteleke, station de la ligne de Lokeren à Selzaete.
(page 623) Dans la dernière session, l'honorable M. de Baets a déjà entretenu la Chambre de cet objet. Je crois au moins me le rappeler.
M. Moncheur, ministre des travaux publics. - J'apporterai un examen attentif à toutes les demandes qui viennent d'être exposées par les honorables préopinants. Cependant je dois vous faire observer que ce que vient de dire l'honorable M. Anspach n'est pas très concluant. Il n'en coûterait guère, dit-il, de lancer un fil de Gastuche à Grez. Cela est vrai ; niais il n'échappera pas à l'honorable membre qu'on devrait alors établir deux bureaux télégraphiques au lieu d'un ; en effet, celui de Gastuche, qui est celui de la station, devrait être maintenu et un autre devrait être créé à Grez. Chaque bureau exigerait naturellement son appareil et son personnel distincts. Il est évident que l'appareil de Gastuche ne pourrait pas servir à Grez, ni celui de Grez à Gastuche.
Or, que la distance entre les deux bureaux soit de 5 kilomètres ou plus considérable, peu importe. Comme il faut s'en tenir à une limite déterminée, on a établi, jusqu'à présent du moins, que lorsqu'il n'y a pas 5 kilomètres de distance entre un bureau et une agglomération d'habitants, cette agglomération sera desservie par ce bureau. Sans cela, on n'aurait plus aucune règle et l'on en viendrait bientôt à solliciter l'établissement d'un bureau télégraphique à une distance de deux kilomètres et peut-être de moins encore. J'avoue toutefois que s'il est un cas où il doive être fait exception à la règle, c'est peut-être en faveur de Grez.
L'honorable M. de Baets a parlé de la commune de Quatrecht. Cette commune n'est pas encore non plus dans les conditions voulues pour obtenir un bureau télégraphique ; elle n'est pas notamment pour cela à une distance insuffisante de Melle, où il y a un bureau. Cependant la question sera examinée de nouveau et je serais heureux qu'il pût être déféré au vœu de l'honorable membre et des habitants de Quatrecht et que des motifs assez puissants existent pour que l'administration puisse se départir de la règle qu'elle a adoptée.
L'honorable M. de Baets a parlé aussi de la commune d'Everghem, localité qui compterait une population de 7,000 âmes et qui, paraît-il, serait à une assez grande distance d'un bureau télégraphique. J'examinerai également avec beaucoup d'attention cette partie des réclamations de l'honorable membre ; il y serait fait droit si les motifs invoqués étaient reconnus fondés.
L'honorable M. de Clercq a parlé de la commune d'Oostcamp et, d'une manière plus générale, il a émis l'opinion qu'il y aurait lieu d'établir un bureau télégraphique dans chaque station. Jusqu'à présent, messieurs, on n'a pas pu et on n'a pas dû prendre cette dernière mesure, qui n'existe nulle part, si ce n'est, comme je l'ai dit à l'instant, en Bavière, où dans des parties de pays où les chemins de fer n'ont qu'une seule voie. On s'explique que, là, il soit absolument indispensable, dans l'intérêt de l'exploitation, d'avoir partout des bureaux télégraphiques.
L'honorable M. Van Overloop s'est occupé, à son tour, des communes de Wachtebeke et de Doel. J'examinerai avec beaucoup d'attention la situation de ces communes.
M. Anspach. - Je dois un mot de réponse à M. le ministre des travaux publics.
Je crois que le ministre est dans l'erreur : il n'y a pas à Gastuche de bureau télégraphique, du moins il n'y a pas de bureau établi par l'Etat ; il y a simplement une ligne télégraphique de service et, en vertu de la convention faite avec la compagnie qui exploite cette ligne, l'Etat a le droit de s'en servir pour sa correspondance.
Il n'est donc pas exact de dire qu'il faudrait doubler le service télégraphique de l'Etat.
M. le ministre des travaux publics devrait examiner si Grez-Doiceau et ses environs forment une agglomération assez importante pour nécessiter la création d'un bureau nouveau.
En créant ce bureau, il ne se mettra pas en opposition avec les règles dont il a parlé tout à l'heure, car il n'y a pas de bureau télégraphique de l'Etat dans un rayon de 5 kilomètres de Grez-Doiceau.
Je le répète, il n'y a pas de comparaison à établir entre Gastuche et Grez-Doiceau. Gastuche est un hameau où il n'y a que quelques maisons.
Je crois donc qu'il y a lieu d'insister pour que l'on fasse, pour l'agglomération de Grez-Doiceau, ce que l'on a fait pour d'autres agglomérations reportantes du pays.
M. Magherman. - Puisque M. le ministre est en train de prendre note des recommandations qu'on lui fait pour l'établissement de nouveaux bureaux télégraphiques, je me permets de lui faire, à mon tour, quelques recommandations en faveur de trois chefs-lieux de canton de mon arrondissement qui, jusqu'ici ne sont pas reliés au chemin de fer et qui sentent d'autant plus le besoin d'un bureau télégraphique : ce sont les communes de Cruyshautem, Nederbrakel et Hoorebeke-Sainte-Marie. Je ferai la même recommandation en faveur de la commune de Berchem-Notre-Dame. Cette dernière, quoiqu'elle ne soit point chef-lieu de canton judiciaire est cependant très importante à raison de l'industrie qui s'y exerce, ce qui fait vivement désirer par ses habitants l'avantage d'un semblable bureau. Cette commune est également éloignée de tout chemin de fer et n'a guère l'espoir d'y être reliée prochainement.
M. Bouvier. - Je demande que M. le ministre donne un bureau télégraphique à toutes les communes du pays.
M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Messieurs, j'examinerai les recommandations de l'honorable préopinant.
Je n'ai qu'un mot à répondre aux observations présentées par l'honorable M. Anspach : c'est qu'il est indifférent, selon les règles de l'administration, que le bureau télégraphique dépende d'une société ou bien de l'Etat lui-même.
Lorsqu'un village est à moins de 5 kilomètres d'un bureau télégraphique, on ne distingue pas si ce bureau appartient à l'Etat ou à une société particulière.
Tout bureau télégraphique établi pour le service du chemin de fer est mis à la disposition du public ; dès lors, il doit rendre au public tous les services qu'il est susceptible, de lui rendre.
- La discussion générale est close.
L'assemblée passe à la discussion des articles.
« Art. 1er. Un crédit spécial de trois cent mille francs (fr. 300,000) est ouvert au département des travaux publics pour l'extension des lignes et des appareils télégraphiques. »
- Adopté. »
« Art. 2. Ce crédit sera couvert au moyen des ressources ordinaires. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté à l'unanimité des 75 membres présents.
Ces membres sont :
MM. Crombez, Cruyt, Dansaert, David, de Baets, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, de Kerckhove, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Lhoneux, de Liedekerke, Demeur, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Theux, de Vrints, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Drubbel, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Guillery, Hagemans, Hayez, Jacobs, Jamar, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Magherman, Mascart, Moncheur, Muller, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Rogier, Sainctelette, Santkin, Schollaert, Snoy, Thienpont, Thonissen, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Verbrugghen, Léon Visart, Vleminckx, Wouters, Ansiau, Balisaux, Bara, Beeckman, Biebuyck, Boucquéau, Boulenger, Bouvier-Evenepoel et Thibaut.
M. Pety de Thozée (pour une motion d’ordre). - Messieurs, j'étais absent au commencement de la séance, lorsque vous avez entendu l'analyse d'une pétition par laquelle les membres des conseils communaux de Roy, de Rendeux, de Baude, de Grune, de Nassogne, de Masbourg et de Harsin, demandent la reprise par l'Etat de deux chemins de grande communication, - de Rendeux à Grupont, et de la barrière de Chavanne à la route de Marche à Laroche, - qui ont un caractère d'intérêt général, puisqu'ils relient plusieurs grandes routes et servent d'affluents à cinq stations de chemins de fer.
Cette requête a été envoyée à la commission des pétitions, mais elle a une importance qui m'engage à vous demander, messieurs, de prier la commission de faire un prompt rapport.
- Ce prompt rapport sera demandé.
La discussion générale est ouverte.
M. Bouvier. - Je me propose.de voter le budget des affaires étrangères, mais à une condition : c'est que l'honorable chef de ce département nous donne des explications claires et nettes sur la situation faite à notre ministre résidant près la cour d'Italie.
Il ne faut pas se le dissimuler : le désir, ou plutôt la volonté du clergé en Belgique, c'est que notre pays n'ait pas d'autre diplomate à Rome que celui qui exerce ses fonctions auprès du pape-roi et qu'il rappelle notre ministre accrédité près du roi d'Italie, qui pour lui n'est pas le roi (page 624) galant-homme, mais le roi que les ultramontains qualifient d'une manière que je ne veux pas rappeler dans cette enceinte.
Je sais bien que gouvernement se trouve dans une très fausse position ; d'un côté, il n'ose pas heurter le sentiment libéral, qui est celui de la majorité du pays ; de l'autre, il voudrait ménager ses amis et surtout les évêques instruments de leur pouvoir et cause de leur ascension au Capitole ; ilf a donc cru devoir colorer sa conduite en cherchant un biais, et ce biais consiste dans l'octroi d'un congé accordé à notre ministre résidant près le gouvernement du roi d'Italie, M. Solvyns. Le cabinet se trouve dans une situation très délicate, et en quelque sorte entre le marteau et l'enclume.
Sa position est d'autant plus difficile, qu'il se montre beaucoup plus modéré que la majorité qui le soutient. Il y a dans cette majorité des pointus, des ultramontains qui le débordent et finiront par l'engloutir : ce sont ceux qui ne veulent pas d'un ministre près du roi galant-homme.
La preuve de mon assertion, je la puise dans un compte rendu qu'on a eu l'obligeance de m'envoyer de Gand, car, depuis quelque temps, les libéraux reçoivent de leurs chers adversaires politiques, à la fois des catéchismes dont ils ont quelque peu besoin, à ce qu'ils prétendent, et également le compte rendu de leurs séances où l'on s'occupe de politique internationale.
Je les remercie publiquement du haut de la tribune nationale de leur acte de courtoisie, dont je veux les faire profiter.
Ce compte rendu vous dépeint parfaitement bien quel est l'esprit qui dirige ceux que je viens de qualifier.
En effet, que voyons-nous, dans l'assemblée générale, sous la date du 11 décembre 1871, assemblée présidée par Mgr l'évêque de Gand, ayant à ses côtés M. le comte d'Alcantara, président de l'œuvre du denier de Saint-Pierre, et le comte de Villermont, président général des œuvres pontificales, qui est sans doute le personnage du même nom qui a sollicité la grande naturalisation et dont la demande a disparu de notre ordre du jour je ne sais trop pourquoi.
A côté de Mgr l'évêque, siégeaient encore les vicaires généraux, la plupart des doyens du diocèse, deux sénateurs belges, etc.
Nous constatons qu'aux applaudissements de toute l'assemblée un orateur prend la parole et prononce un discours dont je ne relèverai que les passages les plus saillants.
« N'avons-nous pas assisté au baiser de Judas ? N'avons-nous pas entendu les clameurs des scribes et des pharisiens ? N'avons-nous pas vu la diplomatie jeter sur les épaules de Pie IX la pourpre d'une royauté dérisoire ? Et faut-il regarder bien loin du Vatican pour trouver le Juste captif et Barrabas libre ?... (Mouvement.)
« Faut-il vous retracer, messieurs, cette scène odieuse et ridicule par laquelle la diplomatie européenne vient de couronner ses lâchetés ? Faut-il vous montrer « le fait accompli » reconnu par le concert des puissances et introduit, au mépris de toute loi divine et humaine, dans ce code souillé et déchiré que quelques rétrogrades, possédés de la manie de l'anachronisme, appellent encore le droit des gens ?..-. (Applaudissements.)
« Il y a quelques jours, le 27 novembre, cette cité-reine à laquelle le langage humain lui-même reconnaît des destinées supérieures en l'appelant la ville Eternelle, Rome voyait se passer dans ses murs un étrange spectacle. Victor-Emmanuel de Savoie y ouvrait dans un palais, surpris de recevoir de tels hôtes, le parlement du prétendu royaume d'Italie. Entouré des élus d'un suffrage illégitime et menteur, escorté de ses généraux et de ses courtisans, en présence du corps diplomatique tout entier, le Subalpin prenait possession de la capitale du monde catholique, il la découronnait de toutes ses gloires chrétiennes, il l'abaissait au niveau de la civilisation libérale et, la ramenant a l'ignominie de ses origines païennes, il en faisait, comme il y a vingt et un siècles, un repaire de brigands. (Bravos.)
« Où étiez-vous à cette heure solennelle, messieurs, et de quel côté se tournaient vos vœux ?... Suiviez-vous au Monte Citorio l'Europe officielle ? Suiviez-vous le ministre de Belgique, humiliant devant la force victorieuse la faiblesse de notre droit et la fierté de notre honneur ? ou bien montiez-vous avec le vrai peuple chrétien l'escalier du Vatican et alliez-vous aux pieds de Pie IX reconnaître la plénitude de ses droits et, au nom des Belges, demander pardon pour la Belgique ?... (Applaudissements prolongés.)
« Poser cette question, c'est déjà vous faire injure !
« Citoyens belges par notre naissance, catholiques par la grâce de Dieu, par la volonté de nos pères et par notre volonté, nous ne courbons pas nos fronts baptisés devant l'idole du droit nouveau !... (Bravos. -Longues acclamations.)
« Il y va, d'ailleurs, de notre honneur de ne pas laisser confondre la Belgique catholique avec la Belgique officielle.
« Aime Dieu et va ton chemin. » C’était la devise des zouaves canadiens de l'armée pontificale ; c'est la nôtre aussi. Nous avons le plu profond mépris pour toutes les roueries de la diplomatie européenne, et nous ne ratifions les faits que lorsqu'ils s'accordent avec le droit. Voilà ce que signifie, en cette année d'audacieuses violences et de coupables faiblesses, le progrès marqué de l’Œuvre du Denier de Saint-Pierre... Nous le crions sur les toits et nous ne demandons pas mieux que de l'annoncer au monde... »
M. le comte d'Alcantara a enfin pris la parole pour remercier les orateurs qui venaient d'occuper la tribune, et pour témoigner aussi la reconnaissance des catholiques à Mgr l'évêque de Gand et à son zélé clergé pour leurs sympathies si efficaces en faveur de l'Œuvre du Denier de saint Pierre. M. le comte d'Alcantara a parlé ensuite de l'émotion douloureuse causée dans notre Flandre et dans le pays entier par la participation de la Belgique officielle à la reconnaissance du royaume d'Italie et, tout récemment encore, par la présence du ministre belge à l'ouverture du parlement italien.
Il est de l'honneur et du devoir des catholiques, disait-il, de dégager publiquement leur responsabilité dans cet acte révolutionnaire : ils ne reconnaissent pas les faits accomplis à Rome et ils veulent faire amende honorable an pontife-roi pour l'injure qui lui a été adressée par les complaisances de notre diplomatie à l'égard de l'usurpateur subalpin.
Nous extrayons de cette adresse les passages suivants, bien faits pour édifier les âmes libérales :
« La complaisance inique de l'Europe a permis à ses représentants de suivre à Rome, dans votre capitale, le roi de la révolution, et nous avons eu l'inexprimable douleur de voir notre Belgique figurer dans ce triste cortège... Mais les peuples, très saint-père, n'ont pas suivi leurs gouvernements : les peuples chrétiens étaient au Vatican, en ce jour de deuil et d'opprobre, et nous en particulier, nous catholiques flamands, nous avons répudié hautement l'acte qui fait peser sur le nom belge une part de solidarité dans ce nouvel attentat à vos droits souverains, à la majesté de votre triple couronne.
« Devant les débris de votre trône renversé par la révolution, nous renouvelons, très saint-père, l'hommage de notre dévouement et de notre fidélité inaltérable. Pour nous, comme pour tous les honnêtes gens, il n'y a qu'un roi à Rome, le roi Pie IX, et nous n'en reconnaîtrons jamais d'autre ! (Acclamations prolongées : Vive Pie IX !)
« En tant que la Belgique, obéissant à de prétendues nécessités de la diplomatie, s'est associée au drame sacrilège de Monte Citorio, nous, catholiques belges, nous faisons amende honorable pour notre pays, et c'est un cri de pardon que nous faisons aujourd'hui monter vers le saint-siège ! (Très bien !) »
Voilà le langage passionné des ultramontains belges qui tiennent les destinées politiques du gouvernement entre leurs mains, langage applaudi par toute une assemblée cléricale belge, parti aveugle qui n'hésite pas à sacrifier les intérêts les plus évidents du pays à leurs passions religieuses sacrifiant ainsi les intérêts industriels et commerciaux, les intérêts matériels du pays à leur haine, à leurs rancunes politiques, parti qui se dit conservateur, mais que j'appelle révolutionnaire, parti qui se heurte contre les sentiments tolérants, sages et libéraux de la majorité de la nation.
Ce que nous voulons, c'est que le ministre ait une attitude ferme et énergique et qu'il brave l'opposition menaçante de la secte ultramontaine, Comme M. de Bismarck en a donné l'exemple en Allemagne, où le parlement, sur la proposition de cet homme d'Etat, a adopté une loi ayant pour objet de fortifier les droits de l'Etat dans l'enseignement, en faisant passer sous la juridiction de l'Etat l'inspection des écoles, en consacrant ainsi le grand et fécond principe de l'indépendance du pouvoir civil.
Je demande si, en Belgique, en présence de notre Constitution, nous avons besoin d'un ministre près du souverain pontife ?
- Une voix à droite. - Ah ! ah !
M. Bouvier. - Comment ! Mais si nous rappelions notre ministre accrédité près du pape, nous ne ferions que suivre l'exemple d'un pays voisin.
Le gouvernement hollandais avait également accrédité, dans le temps, un ministre auprès de lui, lorsqu'il exerçait une souveraineté temporelle ; mais depuis que le souverain pontife, le pape, ne règne plus que sur les âmes et que son royaume n'est plus de ce monde, comme le Christ l'a voulu, la Hollande a rappelé son ministre. En présence de notre Constitution, je ne vois pas la nécessité d'avoir un ministre spécial auprès du pape.
Je comprends jusqu'à un certain point que M. Solvyns, puisqu'il doit habiter Rome, en qualité de ministre auprès du roi d'Italie, exerce également ces fonctions auprès du pape, qui finira, dans l'intérêt de la religion (page 625) catholique, j'aime à le croire, par s'entendre avec le souverain d'Italie.
Maïs, je leu dis et je le répète, en présence de notre Constitution qui proclame la séparation de l'Eglise et de l'Etat qui pose une ligne de démarcation bien définie entre le pouvoir civil et le pouvoir spirituel, alors que l'Etat ne peut intervenir dans aucune nomination ecclésiastique, que les évêques mêmes sont nommés directement par le pape, est-il nécessaire que notre budget soit encore grevé d'une somme quelconque pour maintenir notre légation près du chef de la chrétienté ? Je ne le pense pas.
Je conjure, en conséquence, M. le ministre des affaires étrangères de faire disparaître les fausses apparences ou plutôt l'expédient qui retient en Belgique, par un congé équivoque, notre ministre d'Italie.
Il y va de la dignité de notre pays. Il y va de l'intérêt de nos bonnes relations avec une nation amie, libre et indépendante comme nous.
Ce qui tient au cœur de la Belgique nationale et libérale, c'est de voir grandir et fortifier nos rapports et qu'une entente de plus en plus intime consolide nos relations avec un pays si digne de l'estime et de la considération des peuples affranchis.
M. Lelièvre. - A l'occasion du budget en discussion, je dois signaler à l'examen de M. le ministre des affaires étrangères quelques observations sur lesquelles j'appelle son attention.
Il me paraît, essentiel de faire cesser toutes les distinctions établies jusqu'aujourd'hui entre les régnicoles et les étrangers.
J'estime qu'il faut s'attacher à les faire disparaître dans tous les traités internationaux et même à les rayer de nos lois.
Je ne voudrais pas même faire dépendre les dispositions bienveillantes d'une condition de réciprocité. La Belgique doit donner l'exemple d'une législation libérale en cette matière.
C'est ainsi qu'il est équitable de ne soumettre l'étranger a la détention préventive en matière criminelle que dans le cas où le régnicole lui-même est atteint par semblable mesure.
De même, l'obligation de fournir la caution judicatum solvi et toutes autres prescriptions restrictives ne sont plus en harmonie avec nos institutions.
Nous avons supprimé la contrainte par corps vis-à-vis des étrangers, que nous avons assimilés, sous ce rapport, aux régnicoles. Les autres dispositions doivent cesser d'être inscrites dans nos lois par des motifs identiques.
Je demande donc qu'on s'efforce d'arriver au résultat de placer les étrangers dans la même position que les régnicoles. C'est le but que nous devons atteindre et ce sera un progrès notable réalisé.
Du reste, divers précédents ont eu lieu en ce sens ; il ne s'agit que de généraliser un principe dont le germe a déjà été déposé dans diverses lois spéciales.
Il y a une autre amélioration attendue depuis longtemps, c'est celle relative à l'exécution des jugements rendus et des actes passés à l'étranger.
Il y a plus de vingt ans que j'ai signalé la lacune que présente, sous ce rapport, la législation internationale existante.
Lorsque en 1862 M. Bara est arrivé dans cette enceinte, il a également appelé l'attention du gouvernement sur cet objet.
Le congrès pour les sciences sociales, tenu à Gand en 1865, a discuté longtemps cette importante question.
Les différents ministres qui se sont succédé au pouvoir ont tous promis qu'il serait mis fin aux difficultés qui s'élevaient en cette matière. Mais rien n'a été fait.
J'engage M. le ministre à faire en sorte qu'on arrive à une solution.
Depuis longtemps, un projet de loi doit être préparé dans ses bureaux.
En résolvant enfin les questions qui se présentent et en comblant les lacunes que laisse la législation actuelle, le gouvernement fera chose utile à la chose publique. Il est incontestable que l'état actuel des choses donne lieu à des inconvénients qu'il importe de faire cesser.
Les dispositions du code civil et du code de procédure civile qui contenaient des prescriptions éparses sur l'objet dont il s'agit ne sont même plus en vigueur aujourd'hui depuis la publication de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851.
Il y a donc un ordre de choses à organiser légalement en cette partie.
J'espère que M. le ministre aura l'honneur de doter notre législation d'une réforme importante qui n'a pas été abordée jusqu'à ce jour.
JI sera ainsi plus heureux que ses prédécesseurs et je ne crains pas de lui dire que s'il réalise la révision impatiemment désirée, il aura rendu un service signalé à la science et au pays.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Je désire entretenir la Chambre d'un objet qui ne se rattache, par aucun point, à ceux que viennent de traiter les deux honorables préopinants.
Je me propose de parler de la marine dans la discussion générale parce que la question que je désire traiter présente un caractère de généralité qui ne permettrait guère d'y donner place dans la discussion des articles.
La question dont je désire entretenir la Chambre a déjà fait, de ma part, l'objet d'observations antérieures ; je crois utile de m'en occuper encore, aujourd'hui que nous avons un nouveau ministre des affaires étrangères, qui ne fait point partie de cette Chambre et qui, par conséquent, n'a pas entendu les observations que j'ai présentées précédemment.
J'ai toujours considéré comme une anomalie l'existence, au département des affaires étrangères, d'une administration de la marine, c'est-à-dire d'un service qui est le prolongement naturel de nos voies ferrées jusqu'aux côtes de l'Angleterre.
A mon avis, ce service appartient naturellement au département des travaux publics. J'ajoute que le département des affaires étrangères n'est nullement organisé pour administrer une entreprise industrielle.
L'administration des travaux publics, au contraire, a été organisée dans ce but-là et si elle laisse encore, à ce point de vue, certaines lacunes, si même, à mon sens, elle est contraire aux véritables principes de l'économie politique, il' n'en est pas moins vrai que, industriellement parlant, le ministère des travaux publics est beaucoup plus compétent pour administrer les bateaux à vapeur servant au transport des marchandises et des passagers que ne l'est le département des affaires étrangères.
Messieurs, je ne suis pas bien au courant de ce qui se passe à l'intérieur de cette administration, mais je ne serais pas du tout étonné, si nous poussions nos investigations dans les détails, de rencontrer, à chaque pas, des difficultés administratives, peut-être même des conflits entre des administrations qui devraient fonctionner avec la plus grande unité.
J'appelle donc sur ce point l'attention de MM. les ministres des affaires étrangères et des travaux publics. Je désire qu'ils examinent s'il n'y aurait pas une économie notable et une action plus forte dans la remise de l'exploitation des bateaux à vapeur, qui continue le chemin de fer, entre les mains du ministre des travaux publics.
J'aborde un second point.
Il y a, en ce moment, en Angleterre, un grand mouvement dans la voie de la modification des navires à vapeur servant aux passagers.
On y construit dans ce moment un bateau à vapeur qui doit servir de modèle pour le transport des voyageurs entre Douvres et Calais et tout autre port de France qui sera jugé le plus favorable.
Ce nouveau système de bateau changera complètement les conditions de vitesse et de confort des traversées maritimes et l'on atteindra la vitesse à laquelle la mécanique moderne permet d'aspirer et qui ne peut être réalisée avec le matériel actuel ; tout cela sera changé lorsqu'on aura adopté les nouveaux modèles qui sont actuellement en construction en Angleterre.
J'ai déjà eu l'occasion d'en dire quelques mots à la Chambre, et si elle ne pense pas que j'abuse de ses moments, je désirerais ajouter quelques détails sur les changements qui sont proposés. Depuis nombre d'années, il existe en Amérique, dans des conditions de navigation maritime à peu près égales à celles qui existent sur la mer du Nord, des services de bateaux à vapeur qui ont atteint une vitesse inconnue chez nous, en France et même en Angleterre, puisque ces bateaux font jusqu'à 22 milles marins à l'heure et que, sous le rapport du confort et de la sécurité, ils offrent des moyens de transport dont nous n'avons pour ainsi dire pas d'idée chez nous.
Tandis que notre matériel est étroit, bas, écrasé, n'offrant aucun confort aux passagers, n'offrant même, pendant les gros temps, qu'une sécurité très relative, il existe depuis longtemps en Amérique des bateaux d'une puissance très grande, qui sont de vrais palais flottants, offrant tout le confort qu'on puisse désirer en voyage, tant par le mauvais que par le beau temps. Comme je le disais tout à l'heure, ils ont en outre cet avantage d'avoir une vitesse de 7 lieues à l'heure.
Eh bien, c'est sur ce modèle que les Anglais cherchent actuellement à établir leurs communications avec la France. Les détails qui vous ont été donnés sur le service des bateaux à vapeur par l'honorable ministre des affaires étrangères nous montrent quelle importance a prise, depuis deux ans surtout, le transport des marchandises et des voyageurs entre l'Angleterre et la Belgique. Je crois donc qu'il est du plus haut intérêt pour nous de conserver ce que nous avons gagné sous ce rapport et que, par conséquent, nous ne devons pas attendre que le courant du trafic se soit détourné de nos ports et de nos chemins de fer avant d'examiner s'il n'y aurait rien à faire dans le sens d'une amélioration de notre matériel flottant.
C'est pour cela que j'ai cru devoir prendre la parole pour attirer sur ce point toute l'attention de M. le ministre des travaux publics, si, comme (page 626) je l'espère, le service des bateaux à vapeur lui est transféré ; si, au contraire, le service reste dans le département des affaires étrangères, c'est à lui que je recommanderai cette étude.
M. De Fré.- Messieurs, je voulais attirer l'attention de la Chambre sur la situation de la Belgique vis-à-vis du royaume d'Italie.
L'honorable M. Bouvier vous en a déjà parlé.
D'après moi, le fait le plus grave dans la conduite du gouvernement, ce n'est pas d'accréditer deux ambassadeurs en Italie, mais de ne pas reconnaître des faits accomplis et acceptés par l'Europe tout entière.
Je vois figurer dans le budget soumis aux délibérations de la Chambre, pour l'Italie, deux ministres plénipotentiaires, un à Florence et un à Rome.
Ou bien le gouvernement ne sait pas que la capitale de l'Italie n'est plus à Florence, ou il le sait et, dans ce cas, il froisse un gouvernement allié et ami de la Belgique.
Dans le rapport de la section centrale, le mot « Florence » a disparu. Mais j'y vois qu'il y a un ministre plénipotentiaire en Italie et un ministre plénipotentiaire à Rome.
Le gouvernement belge reconnaît donc que l'Italie et Rome forment deux pays, deux souverainetés. Il méconnaît ainsi un fait capital, l'unité de l'Italie avec Rome pour capitale.
Le roi de Rome n'existe plus ; le roi de Rome, qui était pape en même temps que roi, n'a plus de souveraineté temporelle et, dès lors, vous n'avez pas à lui envoyer un ministre. Vous ne continuez pas à envoyer un ministre plénipotentiaire à Napoléon III, ni au roi de Hanovre, ni au roi de Naples ; car, si vous le faisiez, vous joueriez un rôle ridicule en Europe.
Pourquoi le faites-vous à Rome ? Parce que, comme toujours et dans toutes les questions qui nous occupent, vous êtes entraînés par vos opinions catholiques qui dominent votre politique et qui, toujours, compromettent les relations du pays avec les pays amis, au détriment de nos intérêts nationaux.
Que des particuliers aillent à Rome pour rendre hommage au pouvoir temporel du pape et pour lui porter l'argent de la Belgique ; mais ce qui est permis à des particuliers, en vertu de la liberté de conscience, en vertu de la liberté d'opinion, cela n'est pas permis au gouvernement.
Chaque ministre peut faire, comme citoyen, tout ce qu'il veut, mais le gouvernement n'a pas le droit de méconnaître, ce fait capital : l'unité de l'Italie ayant Rome pour capitale. En n'agissant pas ainsi, il froisse un peuple fier et libre qui a lutté pendant des siècles pour arriver à cette unité, chantée par des poètes et prédite par des hommes d'Etat.
M. Thonissen. - L'honorable M. Lelièvre a soulevé, il y a un instant, une question excessivement grave qui, d'après moi, eût mieux trouvé sa place dans la discussion générale du budget de la justice. Il s'agit de savoir s'il faut, en Belgique, donner purement et simplement force exécutoire aux jugements rendus par les tribunaux étrangers.
D'après le code de procédure civile du royaume d'Italie, les jugements rendus par les tribunaux des pays étrangers sont pleinement exécutoires dans la péninsule, comme s'ils avaient été rendus par des tribunaux italiens.
Dans l’avant-projet de code de procédure civile belge, que l'honorable M. Bara avait soumis à nos délibérations, se trouvait une règle analogue. Là aussi, si ma mémoire ne me trompe, il était dit que les jugements rendus par les tribunaux étrangers auraient force obligatoire en Belgique.
Eh bien, messieurs, la commission chargée de l'examen préalable de ce projet, et dans laquelle siégeaient d'honorables membres de la gauche, MM. Orts, de Rossius et Dupont, la commission, dis-je, à l'unanimité de ses membres, a repoussé ce principe comme étant à la fois irrationnel et éminemment dangereux.
La commission a déclaré qu'elle ne voyait pas d'inconvénient à ce que le gouvernement conclût des conventions avec les gouvernements étrangers, quand l'organisation judiciaire des pays étrangers offre les garanties nécessaires. Mais elle n'a pas voulu que, sans convention diplomatique, sans examen préalable des garanties que présentent les tribunaux étrangers, on déclare leurs jugements obligatoires pour nos magistrats nationaux.
Je suppose, par exemple, qu'un Belge soit condamné dans un comptoir de Canton par un mandarin chinois ; je suppose même qu'il soit condamné par défaut. Un tel jugement devra-t-il, dans tous les cas, être exécuté en Belgique ?
Evidemment, cela est impossible.
II en serait de même des jugements rendus contre des Belges en Perse, à Tunis et dans plusieurs autres pays musulmans, où l'organisation judiciaire est loin d'être à la hauteur des exigences de la civilisation moderne.
Que le gouvernement, je le répète, conclue des traités avec les puissances étrangères des pays où le pouvoir judiciaire offre les mêmes garanties qu'en Belgique ; qu'il déclare, à charge de réciprocité, que les jugements rendus dans ces pays seront exécutoires en Belgique, soit ; mais il me paraît radicalement impossible d'admettre une règle générale, absolue et sans exception.
Que feriez-vous, d'ailleurs, si le jugement rendu à l'étranger était en opposition avec les principes de notre Constitution, en opposition avec les règles du droit public belge ?
Encore une fois, serait-il possible d'exécuter un pareil jugement en Belgique, sans aucune vérification nouvelle ?
J'engage l'honorable ministre des affaires étrangères à ne pas se montrer aussi facile que le voudraient quelques jurisconsultes, dans l'application d'un tel principe. C'est une matière d'une portée incalculable, au point de vue de la pratique.
A l'heure qu'il est, les communications deviennent de plus en plus faciles ; les nations se mêlent en quelque sorte et, par conséquent, les contestations entre Belges et étrangers augmentent chaque jour en nombre et en importance. Il y aurait donc un véritable péril à proclamer que, par cela seul qu'un Belge serait condamné en pays étranger, il serait de plein droit réputé condamné chez nous.
Je reconnais, messieurs, que ce n'est pas le moment de discuter ce grand problème juridique. Seulement, comme la question a été soulevée, par M. Lelièvre et que cet honorable membre engage le gouvernement à négocier dans le sens d'une réciprocité absolue, j'ai cru devoir appeler l'attention de l'honorable ministre sur la gravité de la question.
M. Lelièvre. - Il est bien loin de ma pensée de prétendre que tous les jugements rendus en pays étranger doivent être rendus exécutoires en Belgique. En effet, il est bien évident que semblables jugements qui seraient contraires à des lois d'ordre public en vigueur chez nous ne seraient pas susceptibles d'être exécutés dans le pays ; aussi, ma proposition n'a pas la portée qu'on lui attribue. Aujourd'hui, la matière dont il s'agit n'est pas traitée par la loi. Eh bien, je demande que. la lacune soit comblée, je demande qu'une loi règle cet important objet. La loi qui sera présentée pourra porter telles prescriptions qui seront jugées convenables à l'effet de sauvegarder nos principes constitutionnels et les lois d'ordre public qui doivent être maintenues à l'égard de tous.
M. Van Iseghem. - Je demande que la Chambre réserve la discussion de la question soulevée par l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu pour le chapitre de la Marine.
- De toutes parts. - Oui !
M. le président. - Il est entendu que la question soulevée par M. Le Hardy sera discutée au chapitre de la Marine.
M. Vleminckx. - Je dois présenter en ce moment au gouvernement, une observation que je ne trouve pas moyen de placer ailleurs.
Si ce qu'ont rapporté les journaux est exact, le cabinet précédent aurait accordé un grand nombre de titres de noblesse. Je n'ai ni à approuver ni à improuver ces actes ; je ne sais pas même si je suis bien informé ; mais si effectivement des titres de noblesse ont été accordés, je demande au gouvernement s'il a des motifs pour ne pas faire insérer dans le Moniteur les arrêtés de concession. (Interruption.) Je ne sais pas si la loi de 1835 l'ordonne. (Interruption.)
Je sais bien que le Moniteur ne doit publier que des actes qui intéressent la généralité des citoyens, mais le même esprit qui a fait publier par cette voie l'octroi de décorations ou les autorisations de port de décorations commande, me semble-t-il, de rendre publiques les concessions des titres de noblesse. Il n'y a pas de honte à faire connaître au pays qu'on a nommé des comtes, des marquis ou des ducs ; pourquoi donc de pareils arrêtés ne recevraient-ils pas de la publicité ?
Il est désagréable de constater par un acte quelconque qu'un tel ou un tel porte un titre de noblesse, sans que nous en ayons été informés par un document officiel.
On accorde ces titres comme une récompense pour des services rendus ; ils ont par conséquent une valeur. Faites-nous donc connaître les motifs de ces récompenses et la nature des services rendus. L'honorable ministre de la justice nous a déclaré, dans une séance précédente, qu'il attachait une grande importance à la simple addition d'une particule nobiliaire à un nom patrimonial. Pourquoi ne ferait-on pas connaître publiquement les motifs des qualités nobiliaires qu'on juge convenable d'octroyer ? Est-ce que les lettres de noblesse ne sont pas, elles aussi, des actes importants ?
Le gouvernement n'a pas intérêt à les taire ; j'espère donc qu'il voudra bien me donner satisfaction à cet égard.
(page 627) M. Jacobs. - L'honorable membre qui vient de se rasseoir nous a dit que le cabinet précédent avait accordé plusieurs titres de noblesse.
M. Vleminckx. - J'ai dit que les journaux avaient affirmé ce fait.
M. Jacobs. - Les journaux sont dans le vrai. Le cabinet précédent, comme tous les cabinets qui l’ont précédé, a accordé un certain nombre de titres de noblesse. Sont-ils justifiés ? Sont-ils mérités ? Si l'honorable membre veut en critiquer, nous lui en fournirons la justification.
M. Vleminckx. - Je ne demande pas cela. Je me borne à réclamer la publication des arrêtés qui concèdent des titres nobiliaires.
M. Jacobs. - En ce cas, l'observation de M. Vleminckx doit être généralisée. Ce n'est pas seulement le cabinet précédent qui a conféré des titres de noblesse. Tous les cabinets l'ont fait.
Il ne peut être question d'isoler le dernier cabinet de ceux qui, depuis 1830, l'ont précédé au pouvoir.
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - L'honorable M. Bouvier a demandé au gouvernement des explications sur la situation de notre envoyé près de S. M. le roi d'Italie. Ces explications seront faciles à donner et seront très simples et très claires.
Deux périodes ont été parfaitement distinctes dans les affaires d'Italie :
Dans la première, le titre de roi d'Italie a été substitué à celui de roi de Sardaigne.
Toutes les puissance de l'Europe, à cette époque, ont jugé cette situation de telle manière que de nouvelles lettres de créance ont été délivrées à leurs représentants près du roi Victor-Emmanuel.
La seconde période est surtout marquée par le transfert à Rome du siège du gouvernement et des grands pouvoirs de l'Etat.
Aucune puissance n'a cru devoir, en présence de ce fait, donner de nouvelles lettres de créance au corps diplomatique.
Les gouvernements étrangers se sont ainsi placés devant le fait accompli ; mais aucun n'a été appelé à se prononcer sur les moyens qui l'ont amené. Toutes les puissances ont été dans la même situation que la Belgique, et la Belgique n'a fait que les suivre dans la ligne de conduite qui a été adoptée.
L'honorable M. Bouvier voudrait avoir une explication au sujet du congé accordé à M. Solvyns.
Ce fait, messieurs, n'a rien d'extraordinaire et il est très rationnel. Depuis un grand nombre d'années, notre ministre en Itali, n'est plus revenu en Belgique.
Il y a très longtemps que le gouvernement n'a plus conféré directement avec M. Solvyns ; il était tout naturel que notre envoyé revînt, après une absence de dix années, passer quelques mois dans son pays, ce qui devait en outre lui fournir l'occasion de s'entretenir avec le souverain dont il est le représentant et qu'il n'a point vu depuis l'avènement de Sa Majesté.
C'est là un fait tellement simple, que je m'étonne des fantômes qu'il fait apparaître dans l'imagination de certains membres.
M. Bouvier. - On choisit singulièrement le moment pour le faire venir en Belgique !
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - L'honorable M. Bouvier a argué de discours qui ont été prononcés à Gand.
En Belgique, chacun est libre de développer ses idées et le gouvernement ne peut être rendu responsable des opinions qui peuvent se produire.
Nous ne renions pas nos amis, mais de là à assumer la responsabilité de tout de qu'ils font et de tout ce qu'ils disent, il y a loin.
On demande, messieurs, si nous avons besoin d'un ministre près du souverain pontife.
Ma réponse sera aussi claire sur ce point que sur la position de notre ministre près de S. M. le roi d'Italie.
Oui, il convient que nous ayons un ministre près du saint-père, parce que, à côté des intérêts matériels, il y a des intérêts moraux et religieux...
M. Bouvier. - Et la Constitution ? (Interruption.)
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - Je crois que je ne suis pas en dehors de la Constitution.
La Belgique est un pays éminemment religieux. Evidemment les neuf dixièmes et demi de nos populations ont conservé un vif attachement pour les croyances catholiques, et l'on manquerait aux égards dus à ce sentiment légitime et digne de respect en rappelant notre ministre près du pape.
M. de Rossius. - Voilà un nouveau code de droit public.
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - On demande que la Belgique n'ait qu'un seul ministre près du saint-père et près de S. M. le roi d'Italie.
Tout h monde comprendra que cela n'est pas possible.
Sauf la Hollande, les pays de l'Europe, représentés près du saint siège, ont maintenu jusqu'ici près de lui leurs agences diplomatiques. Comme l'a dit M. De Fré, on a retiré les missions accréditées auprès du roi de Naples, auprès du roi de Hanovre, mais les puissances les ont laissées près du saint-siège. Il n'y a donc pas d'analogie entre ces situations. La Belgique, qui n'a jamais été appelée à prendre l'initiative en pareille matière, ne voudra sans doute pas se mettre à la tête d'un mouvement qui se produira peut-être un jour, mais qui, aujourd'hui, n'existe pas. Nous ne faisons donc que rester dans le droit commun en maintenant notre envoyé auprès du saint-père.
M. Bouvier. - Je demande la parole.
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - L'honorable M. Lelièvre a soulevé une question de droit à laquelle l'honorable M. Thonissen a répondu.
Le gouvernement tiendra compte et des observations de l'honorable M. Lelièvre et des observations de l'honorable M. Thonissen.
M. Orts. - Je demande la parole.
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu a rappelé une question qui n'est pas neuve dans cette enceinte : celle du transfert des services de la marine au département des travaux publics. Sur la demande de M. Van Iseghem, on a réservé cette question pour le moment où l'on discutera le chapitre de la Marine.
Je différerai donc jusque-là ma réponse sur ce point.
L'honorable M. Vleminckx a attiré l'attention du gouvernement sur les concessions de titres de noblesse.
Messieurs, dans les concessions des titres de noblesse, il y a deux choses : il y a la prérogative royale, que nous ne pouvons pas contester, et il y a la responsabilité des ministres qui contresignent les arrêtés.
Quant à moi, je déclare à la Chambre que ma manière de voir est celle-ci : je crois que des titres de noblesse peuvent être conférés pour de réels et sérieux services rendus au pays.
Je crois que, hors de là, le gouvernement doit être très sobre de distinctions de ce genre, et il doit toujours être à même d'indiquer les motifs qui les font accorder. C'est la ligne le conduite que je compte tenir, tant que je serai au ministère.
M. Vleminckx. - Publiera-t-on les arrêtés au Moniteur ?
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - On a demandé l'insertion des concessions au Moniteur.
Il y a des précédents. Sous l'administration de l'honorable vicomte Vilain XIIII, on était entré dans cette voie, si ma mémoire ne me fait pas défaut.
On a laissé tomber cette mesure en désuétude. Pourquoi ? Je l'ignore. Quant à moi, je ne vois aucun inconvénient à ce que ces arrêtés soient publiés soit individuellement, soit par listes.
Du moment que l'on accorde un titre de noblesse, on doit avoir des motifs assez sérieux pour le légitimer, et la personne, qui l'obtient ne doit pas craindre de voir publier son nom au Moniteur.
M. Vleminckx. - M. le ministre des affaires étrangères verrait-il quelque inconvénient à faire insérer au Moniteur les concessions de titres de noblesse accordés par le précédent cabinet...
M. Jacobs. - Je demande la parole.
M. Vleminckx. --... et celles qui, accordées précédemment, n'ont pas été publiées, mais en mettant la date à côté de chaque nom ?
M. le président. - La parole est à M. Jacobs.
M. Jacobs. - Du moment que l'on ne distingue pas entre le précédent cabinet et ceux qui l'ont précédé, je renonce à la parole.
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - Pour terminer cette discussion, je m'engage à déposer sur le bureau de la Chambre la liste des titres de noblesse qui ont été accordés.
M. Bouvier. - L'honorable ministre des affaires étrangères a distingué deux périodes dans la transformation du royaume d'Italie, celle où le roi d'Italie actuel n'était que roi de Sardaigne et celle où ce titre a été transformé en celui de roi d'Italie. L'honorable ministre vous a dit que toutes les puissances l'ont reconnu par le fait du transfert de la capitale de l'Italie à Rome. Mais il y a quelque chose de vraiment étrange dans la conduite du cabinet vis-à-vis du roi d'Italie.
Je l'ai déjà fait remarquer dans une interruption. En effet, M. Solvyns est notre ministre plénipotentiaire, successivement à Turin et à Florence, depuis de nombreuses années ; il demande et obtient son congé juste au moment du transfert du siège du gouvernement italien à Rome ! Cette (page 628) coïncidence est vraiment singulière. Mais je l'ai déjà expliquée tout à l'heure, le cabinet a des amis qui sont excessivement dangereux, qui ont tenu à Gand un langage dont l'honorable ministre ne veut pas accepter la responsabilité, mais qu'il doit cependant écouter avec docilité.
- Une voix. - Ils ont décidé d'envoyer eux-mêmes un ambassadeur à Rome.
M. Bouvier. - Je crois que c'est ce qu'ils ont de plus sage à faire. Mais, enfin, le gouvernement écoute ses amis sans assumer, il est vrai, la responsabilité de leur langage, et il les écoute si bien, qu'il donne un congé au ministre au moment où la Belgique a le plus grand intérêt, au point de vue du commerce et de l'industrie, à être représentée auprès du roi d'Italie, juste au moment où il prend possession de la ville de Rome.
Cette conduite n'implique-t-elle pas une grave responsabilité du cabinet et ne démontre-t-elle pas d'une manière bien caractéristique que ses amis ont pesé de tout leur poids sur lui pour faire accorder à notre envoyé un semblable congé dans un pareil moment ?
Croyez-vous que les Italiens soient bien flattés de l'attitude que prend vis-à-vis d'eux la Belgique ou plutôt le ministère ? Vous n'oseriez le soutenir, mais vous devez plaire à vos amis ; et je m'aperçois que vous n'osez pas rompre avec les ultramontains, parce que le jour où cette rupture éclaterait, votre pouvoir serait brisé. Et cependant, ils ne caressent que leurs passions aveugles. L'intérêt du pays, n'existe pas pour eux, ils ne voient que Rome ; c'est leur seule préoccupation.
Telle est la vérité.
C'est, en quelque sorte, par une rouerie diplomatique, s'il m'était permis de me servir de cette expression, qui n'est peut-être pas parlementaire, que ce retour a été combiné sans préoccupation aucune de la défense des intérêts matériels du pays ; l'honneur en revient aux ultramontains.
Le discours dont j'ai lu tout à l'heure quelques passages en est la preuve : ils veulent, au fond, la restauration du pouvoir temporel du pape. Ils ne peuvent pas croire que le pape se contente de sa souveraineté spirituelle sur 200 millions de catholiques. Cela ne leur suffit pas. Il leur faut la force et le pouvoir temporel.
Mais, vains efforts ! Ils ont beau vouloir faire remonter le courant des idées modernes, elles ont envahi le monde, non pour y succomber, mais pour y dominer.
J'avais demandé à l'honorable ministre des affaires étrangères de retirer notre ministre d'auprès le souverain pontife, et qu'en agissant ainsi, il ne suivrait que l'exemple de la Hollande. L'honorable ministre résiste à notre demande sous prétexte que la Belgique a des intérêts moraux à défendre à Rome. Mais l'honorable ministre oublie qu'en Belgique il n'y a pas de religion d'Etat.
L'honorable ministre ne se rappelle pas la disposition de l'article 16 de la Constitution qui porte que l'Etal n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination, ni dans l'installation d'un ministre d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes.
Notre Constitution proclame également la liberté des cultes, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, pas n'est donc besoin de maintenir un ministre auprès du souverain pontife pour y défendre les intérêts moraux, car il en résulterait qu'il faudrait en envoyer également aux chefs de toutes les communions religieuses s'ils résidaient à Rome.
Pour ma part, je ne tiens pas comme satisfaisantes les explications de l'honorable ministre des affaires étrangères ; j'aurais voulu qu'elles fussent plus claires, plus nettes, plus accentuées, dans un sens plus libéral.
J'avais une grande confiance en la loyauté de M. le ministre des affaires étrangères, mais, je dois le dire, malgré mon vif désir de lui être agréable, je me vois, en présence de ses explications ambiguës, obligé de voter contre son budget.
M. Orts. - Je n'entends pas critiquer le moins du monde le caractère loyal des explications données par M. le ministre des affaires étrangères, et ce n'est pas pour faire une critique de ce genre que j'ai demandé la parole. Je reconnais volontiers que M. le ministre des affaires étrangères s'est expliqué très nettement, et si j'avais un reproche à lui adresser, ce serait de s'être expliqué trop nettement.
Mais il est un point du discours de l'honorable ministre que je ne puis accepter, parce qu'il contient, ainsi que l'ont signalé immédiatement de vives interruptions, une doctrine que je considère comme le renversement complet de la Constitution, en tant que la Constitution règle les rapports entre l'Eglise et l'Etat.
L’honorable ministre, pour justifier le maintien d'une double représentation belge en Italie, l'une à Rome et l'autre dans une Italie qui est Rome également, est parti de ce point ; il reconnaît que ce n'est pas auprès du pape, souverain temporel, que l'agent belge est accrédité ; ce n'est pas pour y défendre des intérêts politiques ou civils belges que cet agent recevra une mission de notre gouvernement,
Mais, ajoute M. le ministre des affaires étrangères, la Belgique est un pays éminemment catholique - ce qui est vrai, - et je ne m’en plains pas ; - cette population catholique a le droit, dit-il, d’obtenir auprès du chef, du directeur suprême de ses intérêts moraux, de ses intérêts religieux, un représentant du gouvernement belge. Eh bien, je dis que cette théorie qui veut faire représenter les intérêts moraux et religieux d'une partie de la population par un agent diplomatique du pouvoir civil est le renversement complet de cette autre théorie constitutionnelle dans notre pays qui consacre la séparation radicale de l'Eglise et de l'Etat.
Et précisément cette conséquence du principe a déterminé le Congrès à l'inscrire dans notre pacte fondamental.
Je comprends que les intérêts moraux et spirituels d'une population soient défendus à Rome par un agent du gouvernement politique, lorsque ce gouvernement politique a le droit de mettre la main dans le domaine spirituel, dans le choix et dans la nomination, par exemple, des ministres du culte, lorsque ce gouvernement a le droit d'exiger que la correspondance des ministres du culte avec le saint-siège passe par son intermédiaire ou soit placée sous son contrôle.
Lorsqu'on vit dans un pays de concordats, de placet, je comprends que l'ambassadeur d'une puissance catholique soit accrédité à Rome. Mais s dans notre pays la Constitution a voulu en 1830 que l'Etat n'intervînt en aucune façon dans le choix des ministres du culte, que l'Etat ne puisse intervenir dans leur correspondance avec leur chef spirituel qui siège à Rome, cela a été parce qu'on voulait que le gouvernement belge n'eût plus rien de commun avec le régime des concordats et du placet.
On sait quel est le père de la théorie constitutionnelle sur cette question. On sait quel est l'homme qui l'a définie le mieux, qui l'a défendue le mieux et qui a le plus largement contribué à la faire inscrire dans notre charte.
Cet homme est l'honorable M. Jean-Baptiste Nothomb. M. Nothomb disant au Congrès qu'on inaugurait en Belgique un système sans précédent dans une constitution politique quelconque, la séparation complète de l'Eglise et de l'Etatl ajoutait : Le principe est connu ; la première conséquence est la suivante, plus de concordat, plus de traité possible entre le gouvernement et le chef de la religion catholique. Et M. Nothomb ajoutait : Deux pouvoirs qui n'ont rien de commun ne peuvent négocier entre eux.
Donc, jamais en Belgique, depuis 1830, sans fausser l'esprit de la Constitution, on n'a pu accréditer un ambassadeur à Rome au point de vue de la défense des intérêts religieux de nos populations.
Si nous avons eu un ambassadeur à Rome, c'est au même titre que nous en avons eu ailleurs : pour la défense de nos intérêts politiques et commerciaux, de nos intérêts matériels en un mot, comme le disait tantôt M. le ministre des affaires étrangères.
Cette situation n'a jamais été méconnue. C'est parce que, à Rome, il y avait un souverain temporel, qu'on y accréditait un ambassadeur ; ce n'est pour aucun autre motif.
Je rappellerai un fait au souvenir des membres de cette Chambre qui, comme moi, siégeaient déjà dans cette enceinte à l'époque où notre diplomatie a été réorganisée sur le pied où elle se trouve à peu près encore aujourd'hui.
En 1848, on a pour la première fois inscrit au budget des affaires étrangères ce mot unique « Italie » et l'on a supprimé l'indication des différentes souverainetés italiennes alors existantes. Dans la discussion de ce budget, il fut bien entendu que la Belgique aurait en Italie un seul agent ; que cet agent serait accrédité à la fois à Turin, à Naples, à Rome, à Florence, et le ministre d'alors, M. d'Hoffschmidt, en déclarant que le chef de la mission belge en Italie habiterait Rome, motivait le choix de cette résidence par des considérations toutes politiques, toutes d'intérêt matériel. L'agent étant accrédité à la fois à Rome, à Florence, à Turin et à Naples, siégerait à Rome parce que c'était la situation la plus centrale entre Turin et Naples, où l'appelaient entre autres des intérêts commerciaux importants.
Donc une considération d'ordre purement civil et politique a seule fait maintenir la suprématie de la résidence au profit de Rome à cette époque de réorganisation. L'idée que la Belgique aurait un représentant chargé de la défense d'intérêts religieux à Rome était si peu dans l'esprit des hommes politiques à cette époque comme dans l'esprit de ceux qui ont fait la Constitution de 1830 que la déclaration faite aujourd'hui par M. le ministre des affaires étrangères est en complète discordance avec les appréciations de la situation que faisait en 1847 l'honorable (page 629) collègue de M. le ministre des affaires étrangères, l’honorable M. Malou, ministre actuel des finances.
Voici dans quelles circonstances cette dernière appréciation s'est produite.
Nos relations politiques et diplomatiques avec le saint-siège n'ont pas toujours été parfaitement heureuses et bienveillantes.
Un incident regrettable, entre autres, a signalé l'arrivée aux affaires du ministère libéral de 1847.
La Belgique venait de choisir, comme son représentant à Rome, l'un des hommes les plus considérables et les plus estimables du pays.
Il lui fallait un homme éminent, il fallait au cabinet nouveau un ami politique capable de défendre et d'expliquer la politique du gouvernement parce qu'il la partageait.
Cet homme fut l'honorable M. Leclercq. procureur général à la cour de cassation et ancien ministre de la justice et des cultes en 1840.
Le saint-siège refusa d'accueillir M. Leclercq.
Naturellement un des premiers devoirs du gouvernement de 1847, à l'ouverture des Chambres, fut d'expliquer à Sa Majesté les raisons qui l'avaient amené à nommer M. Leclercq et les raisons ou plutôt les prétextes du refus du saint-siège.
L'honorable M. Malou se leva dans ce débat, au mois de novembre 1847 et dit, pour l'arrêter :
« Prenez garde, ne touchez pas à cette question ! L'incident entre la cour de Rome et la Belgique n'a pas lieu entre le gouvernement belge et le chef de l'Eglise catholique : il a lieu entre le gouvernement belge et le pape comme souverain temporel. »
Pour M. Malou de 1847, évidemment l'envoyé de Belgique à Rome n'est pas accrédité auprès du pape, chef de la catholicité, mais accrédité auprès du pape, chef de l'Etat politique appelé : Etat Romain.
M. Malou disait cela, si je ne me trompe, dans la séance du 17 novembre 1847. Voilà bien là une appréciation diamétralement opposée à l'appréciation que faisait tout à l'heure M. le ministre des affaires étrangères.
Mais, dit l'honorable ministre, tout le monde a compris la situation comme nous. Toutes les puissances ont conservé un agent à Rome et l'on comprend très bien que la Belgique n'ait pas pris l'initiative d'une situation nouvelle. Cela ne convient ni à son rang, ni à son rôle politique en Europe.
Je réponds ceci à l'honorable ministre : L'exemple de tout le monde ne signifie rien pour la Belgique, par cette raison qu'il n'y a pas en Europe deux positions comme celle de ta Belgique en matière de relations entre l'Eglise et l'Etat. La Belgique seule a proclamé en Europe la séparation absolue de l'Eglise et de l'Etat. Cette séparation absolue fait que le gouvernement n'a rien à voir dans les questions religieuses ; il est condamné à s'abstenir, à fermer les yeux et surtout à ne jamais toucher, même du bout du doigt, à ces matières où l'on ne peut mettre le doigt sans se le brûler.
Je comprends que les puissances catholiques, comme la France, comme l'Espagne, comme l'Autriche, conservent un ministre auprès du pape, chef de la catholicité.
Pourquoi ? Parce que ces gouvernements ont un droit d'intervention dans les nominations des évêques et des ministres du culte, parce qu'alors, il est très important pour les gouvernements ayant à se mêler politiquement des affaires religieuses, d'écarter de temps en temps du siège épiscopal certains personnages, plaisant à Rome, mais déplaisant chez eux ; de faire tomber le choix du chef de la catholicité sur des membres du clergé national plus agréables dans leurs relations que certains autres. Cela se comprend dans les pays que je viens d'indiquer, mais cela ne se comprend pas chez nous.
Il y a du reste, et l'honorable ministre des affaires étrangères l'a reconnu, pour le gouvernement des Pays-Bas, des puissances comptant des populations catholiques nombreuses, sans représentant auprès du saint-siège. Il y a les Pays-Bas, je viens de le rappeler, il y a plus : la Suisse n'a pas de représentant auprès du saint-siège et la Suisse, pour une grande partie, est une puissance catholique et très catholique, si l'on tient compte de ce qu'a de caractéristique, dans sa constitution politique, l'indépendance, l'autonomie cantonale.
De même il y a des pays où des relations diplomatiques très différentes s'établissent entre le saint-siège et le gouvernement. Il y a de grands pays à relations diplomatiques sans réciprocité, où le saint-siège envoie, par exemple, des nonces tandis qu'il ne reçoit pas d'ambassadeurs en retour.
Laissons là les exemples : comparaison n'est pas raison.
La théorie qui veut pour la Belgique un représentant de ses intérêts spirituels à est donc une théorie inconstitutionnelle, inacceptable. Vous ne persuaderez jamais au dehors, dans un pays où l'on connaît la Constitution belge et les principes qui lui servent de base, et par conséquent en Italie, vous ne persuaderez jamais qu'uniquement pour avoir un représentant d'un intérêt dont la Constitution vous, défend de vous mêler, vous maintenez deux ambassadeurs à Rome, l'un auprès le pape, l'autre auprès du roi d'Italie.
Si l'Italie ne vous comprend pas, le dédoublement de notre légation est chose dangereuse, parce que c'est un mauvais procédé envers le gouvernement et le peuple italien.
Si vous ne pouvez avoir à Rome d'ambassadeur spirituel, et je crois l'avoir démontré, chargé de défendre vos intérêts religieux à Rome, vous ne pouvez y avoir qu'un ambassadeur politique, et un ambassadeur exclusivement politique. Son établissement à Rome ne peut pas se concilier avec le maintien d'un ambassadeur auprès du roi d'Italie siégeant dans la même ville, il est une protestation contre la suppression du pouvoir temporel et pas autre chose.
Et maintenant est-ce chose prudente ? Evidemment non, puisque ce n'est pas chose juste de froisser un peuple ami en communauté de sentiments libéraux et constitutionnels avec nous, jaloux comme nous de son indépendance et de son droit de se gouverner lui-même.
Ce n'est pas chose prudente d'autre part encore, car des intérêts matériels très graves sont engagés aujourd'hui avec l'Italie, on vous l'a rappelé tout à l'heure, et si vous voulez ne pas les compromettre, ne vous faites pas représenter à Rome au point de vue d'un intérêt moral, que personne en Italie ne croira sincèrement invoqué.
Ces intérêts matériels sont d'autant plus précieux aujourd'hui qu'avec le régime de politique commerciale qui se prépare dans un grand pays voisin, où les idées de liberté commerciale paraissent devoir s'amoindrir dans la pratique, il nous sera très utile de conserver de bonnes relations avec l'Italie où l'on considère, avec nous, la liberté commerciale comme un immense bienfait.
J'aurais compris que l'on continuât ce qu'on avait fait à Rome sur le terrain diplomatique par un sentiment de courtoisie, de déférence. J'aurais compris le maintien d'un ambassadeur près du roi d'Italie avec le droit de représenter aussi la Belgique, si représentation il y avait, auprès du saint-siège, en présence d'une situation toute nouvelle et sans précédents. Ce n'est pas ce que vous voulez. Vous voulez une protestation contre l'unité italienne et nous, nation neutre et libre, nous n'avons pas le droit de protester contre la volonté nationale et de nous ingérer dans les affaires d'un pays ami.
M. de Theux, membre du conseil des ministres. - Je réponds immédiatement aux dernières paroles de l'honorable préopinant. Tout le monde comprendra que la double position qu'on voudrait donner à notre ministre à Rome auprès du saint-siège et auprès du roi d'Italie, serait absolument impossible.
Je proteste aussi contre cette maxime, que l'honorable membre a développée longuement, que parce qu'il y a liberté des cultes en Belgique, que parce que le gouvernement ne peut pas intervenir dans les affaires religieuses, la Belgique n'a accrédité autrefois un ambassadeur à Rome que parce que le pape était en même temps souverain temporel.
Moi je prétends que cette distinction n'a jamais existé. Le gouvernement a compris que, la nation étant presque entièrement catholique, il était nécessaire et honorable pour cette nation d'avoir un représentant auprès du saint-siège. Le même sentiment existe encore aujourd'hui, car je n'hésite pas à dire que rien ne froisserait plus violemment la Belgique que le retrait de son ambassadeur auprès du saint-siège. (Interruption.)
Je dis que la Belgique veut être représentée auprès du saint-siège ; qu'elle veut rendre honneur au chef de son culte ; qu'en agissant ainsi, elle fait bien ; qu'en agissant ainsi, elle ne froisse aucunement ses intérêts dans le royaume d'Italie. Le gouvernement italien n'a jamais été aussi loin que ceux qui attaquent le gouvernement belge dans ce moment.
Le gouvernement italien sait parfaitement bien que le saint-siège a des envoyés dans tous les Etats, et qu'il en reçoit de tous les Etats catholiques, sans en exclure la Belgique. (Interruption.)
Notre ministre à Rome n'est pas du tout chargé d'intervenir dans les affaires que l'article 10 de la Constitution interdit au gouvernement de traiter.
Jamais le gouvernement ne s'est écarté des dispositions de l'article 16 de la Constitution. Et cependant, il a eu toujours un ministre à Rome ; la Belgique a toujours tenu à avoir un représentant auprès du saint-siège, comme elle a tenu beaucoup à avoir un représentant du saint-siège à Bruxelles. (Interruption.)
(page 630) « Et pourquoi faire ? » me dit-on. Pour y entretenir des relations de bonne amitié, pour témoigner du respect du peuple catholique de Belgique au chef de son culte. (Interruption.)
C'est la raison essentielle ; il est possible que vous ne la compreniez pas ; mais le pays la comprend.
Je suis persuadé qu'un ministère libéral n'oserait pas retirer son envoyé d'auprès du saint-siège, de crainte de déplaire à l'immense majorité de la nation.
Il ne faut pas aller par deux voies et par deux chemins ; il faut dire franchement sa pensée dans cette enceinte. Le gouvernement a donc un ministre près du saint-siège ; ce ministre est à Rome. Il en a aussi un auprès du royaume d'Italie.
Cette mission est qualifiée non par la résidence du chef de l'Etat, mais par le saint-siège, à l'exemple de tous les autres Etats de l'Europe.
Mais le ministre belge auprès du saint-siège ne pouvait être qualifié autrement que ministre de Belgique à Rome.
Et, messieurs, supposons que le pape cesse de résider à Rome ! Mais dans cette hypothèse encore, la Belgique lui enverrait un ministre comme elle l'a fait lorsque le pape est allé résider à Gaëte ; alors c'est le prince de Ligne, je crois, qui l'a suivi.
M. Frère-Orban. - Mais alors il était souverain temporel.
M. de Theux, membre du conseil des ministres. - C'était bien comme chef de l'Eglise que le souverain pontife a été suivi par le prince de Ligne. (Interruption.)
Il n'y a pas deux termes dans la question.
Vous voulez bien faire votre cour à l'Italie et vous accréditez un ministre auprès du roi d'Italie, et vous ne voulez pas qu'un pays généralement catholique ait un délégué auprès du chef de son culte ?
M. d'Andrimont. - Nous avons donc une religion d'Etat ?
M. de Theux, membre du conseil des ministres. - Nous n'avons pas de religion d'Etat, mais le pape n'en est pas moins le chef du culte de l'immense majorité des Belges. C'est ce qui a été reconnu en France. Sous l'empire, on avait la liberté des cultes.
M. Bouvier. - En France, on a la nomination des évêques.
- Voix à gauche. - Sous l'empire, on avait le concordat.
M. de Theux, membre du conseil des ministres. - Nous devons maintenir un ministre auprès du souverain pontife, parce que cela est nécessaire, parce que ce serait une insulte au saint-père de retirer la légation que nous avons toujours eue auprès de lui.
Sous ce rapport, je ne crains aucune désapprobation du pays, je le dis franchement et loyalement.
M. Bouvier. - Quand le congé de notre ministre finira-t-il ?
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - Il n'est pas commencé.
M. Bouvier. - Il n'est pas à son poste..
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - Il est à Florence.
M. Bouvier. - Il devrait être à Rome.
M. Dumortier. - Le libéralisme belge se dessine de plus en plus ; ce qu'il lui faut aujourd'hui, c'est mettre le pape en quelque sorte hors la loi et cela par le fait de la Belgique en retirant notre ambassadeur près de lui. Voilà ce que vous demandez ; voilà ce que je viens combattre. Personne ne nous demande de retirer notre ambassadeur près du roi Victor-Emmanuel.
M. d'Andrimont. - Il ne manquerait plus que de le retirer !
M. Dumortier. - Mais ce que vous voulez, c'est que nous n'ayons plus qu'un seul ambassadeur en Italie qui nous représente à la fois près du saint-père et près de Victor-Emmanuel. Voilà votre doctrine.
Ceci posé, j'avoue que je ne comprends pas comment des hommes amis de leur pays, comment des Belges peuvent soutenir une pareille thèse. N'oubliez jamais une chose : La Belgique est un petit pays et tous les petits pays sont solidaires les uns des autres dans la situation actuelle de l'Europe plus qu'ils ne l'ont jamais été. L'atteinte portée aux droits d'un petit Etat est l'atteinte portée aux droits de tous les autres. Eh bien, cette atteinte que vous voulez sanctionner aujourd'hui peut un jour retomber sur vous, sur la Belgique. Dès lors, nous ne devons pas séparer notre cause de celle des petits Etats, sous peine de nous entendre dire un jour : Hodie mihi, cras tibi.
Quelle est la situation du pape en Italie ? Après l'envahissement d'une partie de ses Etats, le saint-père était resté souverain de ce qu'on appelait anciennement le domaine de Saint-Pierre. Une convention, celle du 21 septembre, liait le Piémont vis-à-vis du domaine de Saint-Pierre, qu'il s'était engagé de protéger contre toute atteinte.
A la faveur de la guerre entre la Prusse et la France, le roi Victor-Emmanuel envoie ses troupes et s'empare des Etats pontificaux et de Rome, sans qu'il puisse arguer le plus petit grief contre le saint-père, sans aucune déclaration de guerre, malgré la convention de septembre qui le liait.
La convention de septembre qui le liait a été foulée aux pieds ;.une armée d'Italiens est allée envahir les Etats pontificaux et s'est emparée de Rome, enlevant au saint-père le reste de ses domaines.
Voilà le fait.
Maintenant, quel est, à ce sujet, l'état du droit public européen ? Le droit public européen a-t-il sanctionné, a-t-il validé cet acte ? Je dis que non. Il ne l'a pas sanctionné, il ne l'a pas validé ; et dans le droit public européen le pape est encore aujourd'hui un souverain et un souverain temporel. (Interruption.
Et cela est tellement vrai, que les puissances n'ont pas retiré leurs ambassadeurs près le saint-père et toutes les y maintiennent encore.
Il y a eu là un fait en violation du droit des gens, un fait contraire au droit public européen.
Or, messieurs, si vous applaudissez à cet acte, si vous approuvez cette violation du droit des gens, prenez-y garde !
Tous les jours vous vantez votre indépendance nationale ; et vous semblez ne pas vous apercevoir que c'est à cette indépendance même que vous portez atteinte.
Comment ne voyez-vous pas qu'avec de pareilles doctrines un petit pays comme le nôtre serait constamment à la merci de ses puissants voisins qui ne manqueraient pas de les invoquer pour justifier un acte de violence à notre égard ?
Voilà, messieurs, la situation vraie.
Eh bien, ne fût-ce qu'au point de vue national, au point de vue belge, je demande s'il n'est pas profondément désolant de voir, dans une Chambre qui se dit l'émanation des principes d'indépendance du pays, formuler une proposition qui serait la consécration de la plus scandaleuse atteinte qui ait jamais été portée au droit public et à notre propre nationalité !
Ce fait seul suffirait, messieurs, pour faire écarter la proposition qui vous est soumise et pour vous engager à ne pas porter atteinte, en l'approuvant, à tout ce qu'il y a de plus sacré, à ce que vous chérissez le plus, malgré la passion qui vous aveugle : je veux dire l'indépendance nationale, l'indépendance de la patrie.
Et maintenant, quelle est la situation du saint-père ? Vous voulez que nous n'ayons à Rome qu'un seul représentant ! Mais pourquoi la Belgique devrait-elle alors avoir encore ici un représentant du roi Victor-Emmanuel et le nonce représentant le saint-père ! Allez dire à votre galant-homme que son ambassadeur doit à l'avenir représenter lui et le pape. Mais puisqu'il ne le fait pas, pourquoi voulez-vous que nous soyons plus Piémontais que lui ?
Vous invoquez les intérêts du pays.
Certainement, nos intérêts matériels doivent être sauvegardés, mais nous avons aussi des intérêts moraux, et ici je rappellerai ce qu'a dit mon honorable ami, M. de Theux, l'honneur de la catholique Belgique exige qu'elle conserve son représentant près du saint-père.
Et, comme il l'a fort bien dit, si une pareille proposition était faite sous un ministère libéral, celui-ci la combattrait pour ne pas s'aliéner le sentiment de la catholique Belgique.
Comment ! c'est dans un pays où l'on voit le saint-père recevoir, avec raison, tant de témoignages de sympathie et de respect, dans un pays où les jeunes gens ont couru à sa défense, où toutes les bourses s'ouvrent pour pourvoir à ses besoins, c'est ce pays qui ferait un pareil outrage au saint-père !
Je dis que c'est là une mauvaise action et vous savez fort bien que nous la combattrons.
Je conçois la protestante Hollande, mais vous, qui vous dites catholiques, je ne vous comprends pas. Le pape est-il donc mis hors la loi ? Ne vous faites pas illusion. Il est encore souverain au Vatican.
M. Bouvier. - Et prisonnier.
M. Dumortier. - Vous dites plus vrai que vous ne voulez.
Vous avez, dites-vous, supprimé vos agents diplomatiques près du grand-duc de Toscane et près du roi de Naples ; je le conçois.
Il n'y a plus de roi à Naples ni de grand-duc de Toscane à Florence, mais le pape est toujours au Vatican.
Et vous voudriez que la Belgique s'associât à un acte contraire au droit public, au droit des gens ?
(page 631) Je dis qu'en agissant comme vous demandez qu'il agisse, le gouvernement ferait une mauvaise action.
M. Frère-Orban. - Ainsi, c'est une protestation que vous faites contre les faits accomplis en Italie ?
M. Dumortier. - Je ne vais pas jusque-là.
Dans ma conviction, oui, si vous le voulez.
- Voix à gauche. - Ah ! ah !
M. Dumortier. - Comme catholique, je proteste contre cet abus de voir le droit des gens foulé aux pieds ; je n'admets pas que la force prime le droit. Je proteste contre cet abus et comme catholique et comme habitant d'un petit pays exposé à chaque instant à pareille chose. Je veux le maintien de la solidarité des petits Etals, et ceux qui ont une autre manière de voir causent un préjudice immense aux droits de leurs pays, au droit public, au droit des gens. Mais je n'ai pas mandat des puissances pour vous dire si le maintien de leurs ambassadeurs près du pape est une protestation contre la violence du fait accompli. Ce que j'y vois, c'est la non-validation de ce fait par toute l'Europe.
Remarquez-le bien, il ne s'agit pas ici d'un fait de guerre, mais d'un fait en dehors des lois de la guerre. Sans déclaration de guerre, malgré la convention du 21 septembre, les Etats du saint-père ont été envahis ; et j'ajoute que dans le droit public européen ce fait n'est pas consacré.
Oseriez-vous le contester ? Et la preuve qu'il n'est pas consacré, c'est que toutes les puissances, sauf la protestante Hollande, ont maintenu leurs ambassadeurs auprès du saint-père.
M. Frère-Orban. - Mais il n'y en a presque pas. Et la Russie ?
M. Dumortier.- Ella n'en avait pas ; elle ne pouvait pas maintenir ce qu'elle n'avait pas.
Et puis, messieurs, quel est l'homme auquel on veut faire cet outrage ? C'est à la plus grande figure de notre époque, c'est au grand Pie IX, dont tous, tant que vous êtes, vous avez admiré le courage, la fermeté dans les vicissitudes de la vie, la mansuétude, la longanimité et toutes les qualités qui le distinguent ; c'est à un des plus grands papes qui aient jamais existé dans l'histoire de l'Eglise que vous voulez que nous, catholiques, nous fassions pareil outrage !
Nous ne le pourrions pas, rien qu'à titre d'hommage, rien que par courtoisie, rien que pour l'affection que nous lui portons, maintenir près de lui le représentant de la catholique Belgique ? Oubliez-vous donc que c'est ce même Pie IX qui a, le premier, donné l'exemple de la liberté en Italie ? (Interruption.)
Quand la Sardaigne était sous le despotisme absolu, n'est-ce pas Pie IX qui, dans son motu proprio, a proclamé en Italie la liberté ? Et si ce régime de liberté n'a pas duré, c'est qu'alors encore on est venu, non pas au Vatican cette fois, mais au Quirinal, pour s'emparer de Pie IX. Son vicaire, Mgr Palma, a été tué et M. Rossi, lui-même, ministre du saint-père, a été poignardé sur les marches mêmes du parlement, puis la république proclamée à Rome sous le triumvirat de Mazzini.
Pie IX, dont les jours étaient menacés par l'ingratitude de ceux à qui il avait donné la liberté, a dû fuir à Gaëte ; il est rentré triomphant dans ses domaines, et il y est rentré aux acclamations du peuple romain et aux applaudissements de l'univers catholique.
Oh ! ne pensez pas que cette Italie, dont vous parlez tant, soit aussi affectionnée au Piémont que vous le pensez. J'ai beaucoup voyagé en Italie ; j'y ai vu les affaires de près et je dois dire que vous êtes dans la plus complète erreur. Allez à Naples, allez dans les diverses provinces de l'Italie ; faites causer non pas les grands personnages, mais le peuple, et il vous dira qu'il regrette son ancien état politique et qu'il voudrait l'avoir encore.
Voilà ce que j'ai entendu de mes propres oreilles par les hommes du peuple, par les hommes de petit Etat que j'ai interrogés dans toute l'Italie.
Ainsi donc, c'est un outrage que l’on veut faire à ce grand pontife, devant lequel nous sommes tous en admiration. Eh bien, nous ne nous associons pas à un pareil procédé et je suis convaincu que sur les bancs de la gauche on trouvera des hommes qui ne consentiront pas à faire à la Belgique elle-même l'outrage qui résulterait du retrait de son ambassadeur à Rome.
M. Guillery. - Le discours que vous venez d'entendre caractérise parfaitement la position et fait comprendre aux plus incrédules les conséquences et la signification de la présence d'un ministre belge à Rome. Il pouvait y avoir encore quelques doutes après le discours de l'honorable ministre des affaires étrangères et après le discours de l'honorable président du conseil ; mais l'honorable M. Dumortier l'a fait voir très clairement ; son discours le dit aussi nettement que possible : c'est une protestation contre l'entrée du gouvernement italien à Rome ; c'est une protestation contre un acte qui, quoi qu'on en dise, est accepté par l'Europe entière.
Le pape n'a plus aujourd'hui de pouvoir temporel. L'honorable M. Dumortier prétend que ce pouvoir temporel existe encore.
L'honorable membre interprète la présence d'un ministre belge auprès du saint-siège comme une protestation.
M. Dumortier. - Je ne suis pas allé jusque-là.
M. Guillery. - L'honorable membre a caractérisé avec beaucoup de franchise, mais d'une façon très peu diplomatique, l'entrée du roi d'Italie à Rome ; il l'a représenté comme un acte de spoliation ; eh bien, l'acte que nous critiquons est donc l'émanation d'un parti religieux et l'on veut avoir à Rome un représentant du parti catholique.
On dit que la Belgique est un pays catholique ; nous le reconnaissons et nous votons le budget des cultes ; mais depuis quarante ans la Constitution a séparé la religion de l'Etat et nous devons exécuter la loi fondamentale.
Le pape n'est plus le chef d'un Etat indépendant, il est le chef du saint siège apostolique, comme le caractérise l'almanach de Gotha, l'almanach le plus officiel qui existe. Il a la jouissance du Vatican, mais il n'a plus aucune souveraineté temporelle.
Si l'on ne considère pas la présence de notre ministre à Rome comme une protestation, je demande ce qu'il y fait ? L'honorable comte de Theux a cité la France. Mais la France a un concordat ; la France a à négocier certains points touchant le culte ; elle a à négocier souvent pour la nomination des évêques ; mais l'un des bienfaits de notre Constitution, c'est qu'elle a séparé des attributions du gouvernement tout ce qui concerne les cultes.
Ce qui m'étonne, comme j'ai eu déjà l'occasion de le dire, c'est de voir au pouvoir un ministère essentiellement religieux, le ministère d'un parti religieux, parce qu'il me semblait qu'en Belgique il n'y avait pas place pour une administration semblable, de même qu'il n'y a pas place pour des débats religieux au sein du parlement. Je ne comprends pas plus un ministère catholique qu'un ministère protestant.
Mais si, à l'exemple de tous les autres parlements, le parlement belge était initié aux correspondances diplomatiques, si le gouvernement nous faisait l'honneur de nous rendre compte de la correspondance échangée par la Belgique avec les pays étrangers, si nous avions un livre bleu, jaune ou vert - je ne tiens pas à la couleur, -, je serais curieux de connaître la correspondance de M. le ministre des affaires étrangères avec notre ministre à Rome ; je serais curieux de savoir quelles sont les instructions qu'il reçoit du gouvernement et quelles sont les matières sur lesquelles il fait rapport.
Des questions commerciales ? Il n'y en a pas. Le commerce des indulgences est une affaire terminée : nous ne sommes plus au temps de Léon X.
Des questions politiques ? Il ne peut pas y en avoir ; l'article 16 de la Constitution nous les interdit.
Notre ministre à Rome correspond-il avec les évêques belges ? reçoit-il leurs instructions ?
L'honorable M. Dumortier a assimilé notre ministre à Rome au nonce apostolique à Bruxelles et il a même prétendu que mon honorable ami, M. Orts, avait secrètement la pensée de faire remplir par le ministre de Victor-Emmanuel les fonctions de nonce apostolique.
D'après cette assimilation, nous aurions à Rome un représentant des évêques.
Je demande si cela est ? Mais si cela n'est pas, je demanderai ce que c'est que la mission belge à Rome ?
Et, encore une fois, si, comme je le pense, il n'y a pas d'inconvénient à nous faire connaître cette correspondance, je prierai M. le ministre des affaires étrangères de la déposer sur le bureau de la Chambre. Cette correspondance est sans doute rangée avec ordre dans un carton spécial ; il doit être facile de la trouver et de la produire.
C'est le 26 septembre 1870 que Victor-Emmanuel est entré à Rome ; je serais curieux de savoir ce que, depuis ce temps-là, a été la correspondance de la légation belge près du saint-siège ; nous connaîtrions alors si ce ministre représente le pays ou les évêques. C'est ce que nous avons le droit et le devoir d'examiner.
L'honorable M. Dumortier croit que nous devons imiter les petits Etats et ne pas oublier que nous sommes nous-mêmes un petit pays. Je ne demande pas mieux, je crois qu'il est dans notre rôle de nous montrer modestes et de nous souvenir que nous sommes neutres ; mais alors commençons donc par ne pas provoquer un grand Etat et par ne pas dire au sein de cette Chambre qu'un roi ami et allié de la Belgique est un usurpateur ; cela serait conforme à cette politique de prudence qui doit toujours être la nôtre.
(page 632) Mais quand je regarde autour de nous ce que font les petits Etats, je vois que la Hollande et la Suisse n'ont pas d'ambassadeurs à Rome. Pourquoi ne les imitons-nous pas ?
Remarquez-le, messieurs ; au total, il y a très peu de ministres accrédités auprès du souverain pontife ; je crois qu'il y en a dix-sept en tout et encore au nombre de ces dix-sept se trouve le représentant de la principauté de Monaco, c'est-à-dire d'une principauté qui compte au plus 3,000 âmes. En réalité, il y a très peu de représentants de nations importantes auprès du saint-siège.
L'honorable président du conseil, sans aller aussi loin que M. Dumortier et en ayant bien soin, au contraire, de se défendre d'une protestation contre le gouvernement italien, a cependant, au fond, une idée bien voisine de celle-là, car il nous a rappelé que des ambassadeurs avaient suivi le pape à Gaëte. Or, à Gaëte, c'était bien une sorte de protestation, car le pape était encore souverain légitime et reconnu par l'Europe, et dès lors, il était naturel que les ministres accrédités auprès de sa personne le suivissent partout où il résidait. Mais si vous assimilez la présence des ministres à Rome du saint-siège à ce qu'elle était à Gaëte, vous donnez à cette présence de notre ministre à Rome la portée d'une protestation.
L'honorable ministre allait tellement loin, qu'il s'est engagé à ce que notre ministre suivît le pape partout où il jugerait convenable de résider. Si le pape allait résider en France, en Espagne, nous aurions donc aussi, dans ces pays, un représentant auprès du chef de l'Eglise catholique ? À Rome, remarquez-le, la résidence du pape est d'une nature toute spéciale, puisqu'elle résulte d'une loi émanée du gouvernement italien lui-même, convention aux termes de laquelle les ministres étrangers auprès du saint-siège jouissent des mêmes prérogatives que les autres agents diplomatiques.
Mais, dans le cas où le pape, repoussant les concessions du gouvernement italien, se rendrait dans un autre pays, on n'aurait même plus à invoquer l'argument spécieux de la tradition.
Je répète ma question : Que fera un ministre près du saint-siège ? L'honorable comte de Theux nous dit qu'il témoigne de notre respect pour le chef de la religion catholique. Doit-on témoigner de ce respect en envoyant un ambassadeur au chef de la religion catholique ? Voilà donc votre correspondance diplomatique ! Mais témoigner de votre respect au chef de la religion catholique, ce n'est pas une mission. Personne ne respecte plus que moi le chef de la religion catholique et personne ne comprend mieux que moi les sentiments des fidèles qui envoient des adresses au saint-siège.
Vous dites que la Belgique est en majorité catholique ; je dirai même qu'elle est presque unanimement catholique, si vous le désirez. Il y a eu en Belgique des manifestations émanées de la libre initiative des particuliers, en faveur du chef de la religion catholique : ces particuliers ont usé de leur droit, et d'un droit infiniment respectable.
Quand les évêques se rendent à Rome pour conférer avec le pape, ils agissent comme représentants de cette religion. Ils ont qualité pour le faire ; mais quelle qualité un ministre a-t-il pour représenter une religion ? Une nomination royale lui confère-t-elle cette qualité ? Je désirerais savoir quelle qualité le Roi a pour donner à un Belge la qualité de représentant d'une religion. Il n'a aucune qualité ; la Constitution lui défend même d'avoir cette prétention.
Le pape peut seul conférer à un Belge la qualité de représentant, à un titre quelconque, de la religion catholique. Laissez le Belge libre de manifester ses opinions religieuses à Rome ou ailleurs, sans l'intervention du pouvoir ; je respecte la liberté de ceux qui se livrent à ces manifestations ; ils ont le droit et ils ont raison aussi d'agir selon leur conscience ; je demande seulement que le gouvernement ne s'en mêle pas.
Le gouvernement ne peut pas se servir d'une religion ; il ne peut pas plus lui commander que lui obéir. Je termine en répétant ma demande que le gouvernement veuille bien déposer sur le bureau la correspondance diplomatique échangée entre M. le ministre des affaires étrangères et notre envoyé près du saint-siège.
M. le président. - J'ai reçu de M. Demeur quelques amendements au code de commerce. J'ai l'honneur de proposer l'impression et la distribution de ces amendements.
- Adopté.
M. Drubbel. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission spéciale sur les amendements du gouvernement au code de commerce.
- Impression et distribution.
La séance est levée à 5 heures.