(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)
(Présidence de M. Thibaut.)
(page 515) M. Hagemans procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Hagemans présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :
« Les membres du conseil communal et des habitants de Roux-Miroir, Incourt, Dongelberg et Longueville demandent un projet de loi autorisant ta concession d'un chemin de fer de Hal à Macstricht. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur une pétition relative au même objet.
« Le sieur Poussart demande que le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance en faveur des instituteurs primaires prescrive que les pensions accordées sur les caisses provinciales de prévoyance seront révisées d'après les statuts de la caisse générale. »
« Même demande des sieurs Léotard et Huant. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Les instituteurs du canton d'Eeckeren demandent que le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance en faveur des instituteurs admette pour base du calcul de la pension les cinq années des revenus les plus élevés de l'instituteur. »
- Même renvoi.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre les rapports réclamés hier par l'honorable M. Vleminckx concernant les mesures d'instruction qui ont été prises par le tribunal de Bruxelles au sujet des poursuites, relatives aux affaires Langrand-Dumonceau.
- Des membres. - L'impression !
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Cette impression me paraît inutile. Les membres pourront prendre connaissance de ces documents.
M. Bara. - Il faut que M. le ministre de la justice donne son opinion sur cette affaire ou que les rapports soient imprimés. L'attaque a été publique. Lorsque l'honorable M. Vleminckx aura examiné ces pièces, il ne viendra pas faire rapport à la Chambre. Si M. le ministre de la justice veut s'expliquer sur ces documents, je n'insisterai pas sur l'impression.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Je suis prêt à donner mon opinion sur les actes posés par les honorables magistrats du tribunal de Bruxelles, soit immédiatement, soit, ce qui vaudrait mieux, je pense, lorsque les honorables membres de la Chambre qui voudraient s'occuper de cette question auront eu le temps de prendre connaissance du dossier.
- Des membres. - Parlez !
M. de Theux, membre du conseil des ministres. - J'ai le regret de faire connaître à la Chambre que l'honorable M. Dumortier est retenu chez lui pour cause de maladie. Je crois qu'il serait convenable d'agiter cette question lorsqu'il sera présent.
M. Bouvier. - C'est convenable.
- La Chambre ajourne la discussion sur les pièces déposées jusqu'à ce que M. Dumortier soit présent.
M. De Fré (pour une motion d’ordre). - J'ai l'honneur de prévenir le gouvernement que je me propose de l’interpeller demain relativement à la présence, sur le territoire belge, d'un conspirateur étranger, M. le comte de Chambord.
M. Coremans. - Je dois appeler l'attention de la Chambre et plus spécialement de l'honorable ministre de la justice sur un abus grave qui se commet journellement dans l'administration de la justice et dont nos citoyens flamands sont trop souvent les victimes.
Tous les jours, nous voyons, dans les parties flamandes du pays, les membres du parquet se servir, dans leurs réquisitoires, d'une langue qui n'est pas comprise par l'accusé ou le prévenu. Même, quand le prévenu n'est pas assisté d'un avocat et qu'il ne connaît que sa langue maternelle, le flamand, les membres du parquet poussent je dirai leur amour de l'absurde jusqu'à requérir et à soutenir l’accusation en français, rendant ainsi impossible toute défense de la part du prévenu.
J'ai vu des avocats, plaidant pour des prévenus qui ne connaissaient que le flamand, demander aux membres du parquet de se servir de la seule langue connue du prévenu, et j'ai vu les membres du parquet refuser en quelque sorte avec violence de faire droit à une demande si naturelle et si juste, alors cependant qu'ils connaissaient parfaitement la langue flamande et que l'avocat s'en servait pour la défense.
Les étrangers ne peuvent croire qu'un système aussi absurde soit pratiqué dans notre pays ; il faut les mettre en présence des faits, en présence de la réalité pour les convaincre, et alors ils s'étonnent qu'il se soit trouvé un gouvernement assez insensé pour introduire et tolérer un pareil système dans le pays et des populations assez lâches pour le subir.
Nous n'avons pas oublié que les Wallons ont fait une révolution en 1830, pour différents griefs et sous le prétexte, entre autres, que le gouvernement du roi Guillaume voulait néerlandiser les provinces wallonnes.
Cependant, tout était resté français dans ces provinces, et notamment l'administration de la justice.
Aujourd'hui, dans les provinces flamandes, tout est, au contraire, francisé par le gouvernement, et surtout l'administration de la justice.
Je me demande cependant ce que devient l'article 23 de la Constitution qui, parlant des droits des citoyens belges, déclare que l'usage des langues usitées en Belgique est facultatif.
N'est-ce pas enlever, interdire au Flamand l'usage de sa langue que de lui parler, de lui répondre, de l'accuser en français ? N'est-ce pas lui fermer la bouche ? N'est-ce pas lui interdire toute défense ? N'est-ce pas violer dans son esprit et même dans son texte l'article 23 de la Constitution ?
Je suppose un instant que les membres du parquet dans le pays wallon se mettent à requérir et à accuser en flamand dans des affaires où ne sont en cause que des individus wallons, ne connaissant que le français. Les Wallons à coup sûr se plaindraient de ce régime.
Je crois ne pas aller trop loin en disant qu'ils ne le toléreraient pas vingt-quatre heures.
Or, que les Wallons ne l'oublient point : dans notre petite bourgeoisie, dans nos classes ouvrières il n'y a pas plus de Flamands sachant le français, qu'il n'y a chez eux d'individus sachant le flamand.
Le nombre des victimes de ce régime incroyable est donc très grand.
(page 516) Depuis vingt-cinq ans, nous n'avons eu, au département de la justice, que des ministres wallons.
Or, pas plus qu'un Anglais - au dire d'un Irlandais cité par Macaulay - ne saurait défendre de la manière voulue les intérêts et les droits de l'Irlande, pas plus un Wallon ne saurait sentir comme le sent un Flamand tout ce qu'il y a d'amer, d'humiliant, d'outrageant, dans ce système de francisation forcée.
Aujourd'hui, et j'en suis heureux comme Flamand, nous avons à la tête du ministère de la justice un homme de notre race. Il sentira avec nous qu'il est plus que temps de mettre fin aux procédés des membres du parquet et d'exiger que devant les tribunaux correctionnels et les cours d'assises des localités flamandes ils se servent de la langue de l'accusé. Aucune difficulté, même légère, ne surgirait de l'application de cette règle du bon sens dans l'administration de la justice.
D'après une statistique fournie naguère par le gouvernement, nous comptons, dans les provinces flamandes, 170 magistrats de première instance ; de ces 170 magistrats il n'en est pas un seul, au dire du gouvernement, qui ne sache le flamand ; deux juges seulement, dont un suppléant, tout en comprenant le flamand, ne le savent pas parler.
Je dis donc qu'aucune difficulté, même légère, ne saurait surgir de l'application des règles du bon sens dans notre administration de la justice.
Une dernière considération que je tiens à faire valoir, c'est qu'il y a quatre ou cinq ans la minorité d'alors, composée en grande partie de Flamands, a voté, à l'unanimité de ses quarante membres, en faveur d'une proposition tendante à faire inscrire dans la loi que dorénavant il serait obligatoire, pour les magistrats à nommer dans les provinces flamandes, de posséder complètement la connaissance du flamand. Aujourd'hui que cette minorité est devenue majorité, aujourd'hui qu'il y a une majorité de Flamands dans cette Chambre, le moment est venu de donner satisfaction à cette réclamation si juste, si fondée et qui dure depuis si longtemps.
Je crois que la majorité est tenue, si elle ne veut pas perdre dans l'opinion publique et dans l'estime de la nation, de tenir aujourd'hui ce qu'elle promettait étant minorité.
Je compte donc qu'il sera pris des mesures par le gouvernement et, au besoin, par la majorité pour que dorénavant dans les provinces flamandes les membres du parquet se servent du flamand dans leurs accusations vis-à-vis d'un prévenu ou d'un accusé qui ne connaît que le flamand.
M. Van Wambeke. - Depuis plusieurs années, à l'occasion de la discussion du budget de la justice, nous avons constamment entendu quelques-uns de nos collègues se plaindre des abus qui se perpétuent dans l'administration de la justice, à l'égard de la population flamande. Il y a trois ans, à la suite d'un discours de l'honorable M. Gerrits, M. Bara, alors ministre de la justice, promettait d'examiner les griefs et nous-mêmes, messieurs, nous déclarions déjà, en 1867, que si on ne faisait point droit et justice h nos concitoyens, nous userions de notre initiative parlementaire. Nous ne l'avons pas fait, en 1870 ni en 1871, par suite du changement de ministère et parce que nous sommes convaincus que, sous le ministère précédent et actuel, nos vœux seront réalisés, puisque nous avons lu avec plaisir dans le programme ministériel de 1870 les lignes suivantes : « Ce cabinet, soucieux des intérêts des populations, ne nommera que des fonctionnaires qui comprennent leur langue, il n'oubliera pas qu'il doit à tous les Belges une égale justice. »
Nous nous proposons donc de nouveau de signaler à M. le ministre de la justice les abus dont nous nous plaignons au nom des Flamands, et déclarons que si on n'y fait droit, nous nous concerterons avec nos collègues pour déposer un projet de loi. Il faut que la population flamande obtienne une égale justice, elle lui fait défaut aujourd'hui.
Loin de notre pensée de vouloir faire de cette question soit un thème d'agitation, soit une manœuvre de parti. Nous ne demandons que l'égalité devant la loi, rien de plus ; nous sommes convaincus que nos honorables collègues des provinces de Hainaut, Liège, Namur et Luxembourg se joindront à nous pour toutes les demandes justes.
Nous faisons, messieurs, une distinction capitale entre les formes judiciaires employées devant la justice civile et la justice répressive.
Devant la justice civile, nous avons d'abord les juges de paix. Il n'y a point, pensons-nous, beaucoup de juges de paix dans les provinces flamandes qui ne parlent les deux langues. Ces magistrats s'adresseront toujours aux parties dans la langue qu'elles comprennent ; si on nommait des juges de paix dans les provinces flamandes, partie du Brabant comprise, qui ne pourraient s'adresser à leurs administrés, il y aurait là un abus criant qu'il faudrait faire cesser, car à quoi serviraient dans ce cas les instructions judiciaires, les essais de conciliation, les citations, etc.
Nous croyons donc pouvoir passer sur ce point, d'autant plus que les honorables MM. Tesch et Bara nous ont déclaré que depuis leur entrée au ministère on n'a plus nommé dans les provinces flamandes des magistrats juges de paix ne comprenant pas cette langue.
L'honorable chef du cabinet du 2 juillet 1870 disait au Sénat, le 20 avril 1869, que sur ce point tout le monde était d'accord, dans les provinces flamandes pas de juges de paix ne sachant que le français.
Devant les tribunaux civils de première instance, les parties sont obligées d'être représentées par un avoué et prennent généralement un avocat. Or, ces mandataires, choisis par elles parmi leurs compatriotes, s'adresseront et plaideront devant les juges civils dans la langue qu'ils choisiront et qui sera presque toujours la langue française ; ici, il ne peut y avoir aucun inconvénient grave. D'ailleurs, qu'on n'oublie pas que si les parties veulent plaider en langue flamande, elles le peuvent aux termes de l'article 23 de la Constitution ; et dans la plupart de nos tribunaux flamands, les magistrats comprennent la langue flamande. Cela suffit.
Il peut y avoir, à la vérité, quelques inconvénients lorsqu'il s'agit d'enquêtes, d'interrogatoires sur faits et articles, si le magistrat qui les dirige ne sait point s'exprimer en flamand ; mais pour ne pas être trop radical, nous passons, parce qu'en définitive le dominus litis est l'avocat. C'est à lui de défendre son client, et comme il est choisi par la partie, il n'y a pas à craindre que ses droits soient méconnus. Il en est de même devant les cours d'appel. C'est aux parties à choisir leurs conseils ; elles ont grandement tort de s'adresser à des avocats qui ne les comprennent point ; si des Flamands le font, ils doivent en subir les conséquences. Nous ne parlerons pas de la cour de cassation, elle n'est appelée qu'à trancher des questions de droit, elle entend les avocats dans la langue qu'ils choisissent.
Reste maintenant la justice répressive.
Ici, messieurs, nous avons à signaler de véritables abus ; il est malheureusement vrai, très vrai, qu'on voit aux tribunaux de simple police, aux tribunaux correctionnels et aux cours d'assises des provinces flamandes, des contrevenants, prévenus, accusés forcés d'entendre ce qu'ils ne comprennent point, jugés sans pouvoir répondre aux réquisitoires souvent brillamment exposés aux juges et aux jurés, et sans que les malheureux puissent ajouter un seul mot au plaidoyer de leur avocat, s'ils en ont un. Cette situation est déplorable et ne peut durer. Les prévenus, accusés ont le droit d'exiger que les questions qu'on leur pose soient adressées dans leur langue usitée. Ils doivent y répondre ; tout ce qui les regarde doit être clair et complet ; en un mot, ils doivent savoir et avoir une parfaite connaissance de tout ce qui se passe.
En simple police, on doit absolument défendre au ministère public, représenté soit par les commissaires de police, bourgmestres ou échevins, de requérir une amende ou peine quelconque et de se servir de la langue française, qui n'est pas comprise par ceux qui ont à comparaître devant ces tribunaux. S'il y a, dans les provinces flamandes, des commissaires de police qui ne peuvent point s'exprimer en langue flamande, il faut les remplacer ou déléguer des personnes qui la comprennent et la manient.
Et qu'on ne nous réponde pas que ces faits ne se présentent point. Nous avons maintes fois été témoins des abus que nous signalons. S'il est vrai que les contraventions ne peuvent donner lieu à de grandes pénalités, il ne faut point oublier que la compétence des juges de paix a été étendue depuis 1849 et qu'il est déplorable d'avoir à constater un abus criant qui existe.
Dons, pas d'instruction française, pas de réquisitoire en cette langue en matière de simple police en Flandres, Anvers, Limbourg et Brabant.
Devant les tribunaux civils jugeant en matière correctionnelle de ces mêmes provinces, pas d'instruction française ni de conclusions du ministère public en cette langue. Nous ne pouvons voir aucun inconvénient à exiger des magistrats qui exercent leurs fonctions dans ces provinces qu'ils connaissent et parlent la langue de la population qui les entoure. « Jamais, disait mon honorable ami, M. Coomans, dans la séance du 11 décembre 1866, on ne me convaincra qu'il soit non seulement juste, mais raisonnable, d'empêcher un prévenu de comprendre la prévention ou l'accusation dont il est l'objet. Le premier des devoirs naturels, c'est de se faire entendre des gens à qui l'on demande la bourse ou la vie. »
Ici, messieurs, on nous objectera peut-être le texte de l'article 23 de la Constitution, pour dire que cet article ne permet pas de forcer les magistrats à s'exprimer dans la langue flamande puisque l'emploi en est facultatif.
C'est la thèse admise par la cour d'appel de Bruxelles le 31 octobre 1863 (affaire Karsman, arrêt que M. le professeur Allard, de l'université de Gand, a critiqué et expliqué dans le n°6 de la Belgique judiciaire, année 1861. C'est aussi l'opinion émise en 1864, par un honorable et (page 517) jurisconsulte magistrat, mais ce système conduit aux conséquences les plus déplorables. D'après nous, l'article 23 de la Constitution doit être entendu en ce sens, que les prévenus ou accusés qui n'entendent pas la langue française ont le droit de se servir de celle qu'ils comprennent et par voie de conséquence d'être compris par les magistrats, mais qu'il ne peut être permis aux magistrats de se servir d'une langue que les prévenus ou accusés n'entendent point. En un mot, nous croyons que les magistrats sont de par leurs fonctions obligés de juger les prévenus dans la langue qu'ils parlent, mais nullement de leur imposer la langue que les magistrats choisissent. Au moins l’article 23 de la Constitution dit formellement que le législateur peut imposer au magistrat de se servir de la langue comprise par le prévenu ou l’accusé, lorsque cette langue est usitée dans le pays.
Est-il une réclamation plus respectable que celle d'un prévenu assis au banc de la police correctionnelle et qui demande à être jugé dans sa langue, par des magistrats capables de saisir ses explications ? Qu'on interroge les personnes qui assistent aux audiences de nos tribunaux correctionnels, et qui voient de quelle façon les prétendus interprètes s'efforcent de rendre la pensée d'un témoin, d'un prévenu, supprimant toutes les nuances, résumant grossièrement une série de phrases et d'idées dont il leur est impossible d'apprécier l'importance, dénaturant souvent des termes de la meilleure foi du monde, par suite de leur propre incapacité ou par suite des difficultés inséparable du rôle de traducteur ! Qui dira ce qui doit se passer dans l'âme du prévenu anxieux et inquiet, dans l'impossibilité où il se trouve de savoir si sa pensée est fidèlement rendue ! Quelle angoisse nouvelle à ajouter à celles qui assiègent d'ordinaire l'homme qui s'assied sur le banc des prévenus.
Comment pourrait-on admettre que les magistrats auraient le droit de forcer les prévenus ou accusés d'écouter ce qu'ils n'entendent point ; d'être jugés et condamnés sans savoir de quoi il s'agit ? La jurisprudence française et belge décide que la participation aux débats d'un juré qui ne comprend pas la langue française (lorsqu'on s'en sert) entache l'arrêt prononcé de toute nullité radicale, et on admettrait que le prévenu ou l'accusé ne doit pas comprendre la langue dont on se sert pour demander sa condamnation ! Ne serait-ce pas le renversement de toute justice ?
Triste législation que celle qui admet une différence entre le prévenu on l'accusé absent de corps et celui qui reste moralement étranger aux débats !
Il faut donc, de toute nécessité, exiger que les magistrats qui dirigent les débats en matière correctionnelle, dans les provinces flamandes, parlent et s'expriment clairement dans la langue usitée des populations avec lesquelles ils vivent et que les membres du parquet fassent leur réquisitoire dans la langue comprise par les prévenus.
On dira peut-être que les prévenus peuvent choisir un conseil, mais ils ne doivent pas le faire et souvent ils n'en ont pas les moyens. Dans ce cas, y a-t-il au monde un spectacle plus triste ? Comment ! il s'agit de l'honneur de toute une famille, de son existence, et il serait permis de requérir et de prononcer un jugement dans une langue à laquelle le principal intéressé n'entend rien ? Nous disons que c'est là un véritable scandale.
Et, dans la supposition que le prévenu soit assisté d'un avocat, de quel droit le privez-vous d'entendre ce qu'on dit contre lui, de quel droit lui enlevez-vous son droit de défendre ce qu'il a de plus sacré ? Suffit-il donc que l'avocat plaide dans une langue comprise par les magistrats ? Cette hypothèse est inconciliable avec ce principe fondamental du droit criminel, qui exige que le prévenu ou l'accusé ait une parfaite connaissance de tout ce qui se fait et se dit devant lui.
Nous voici aux abus commis et perpétués devant les cours d'assises.
Toutes les remarques que nous venons de faire s'appliquent à fortiori à la procédure devant ces cours.
Ce n'est pas d'aujourd'hui, messieurs, que nous nous occupons de ces questions ; plus d'une fois, on sortant des tribunaux correctionnels ou des cours d'assises, nous avons déploré ce que nous appelons un véritable scandale judiciaire. En 1866, un journal de Tournai, l'Economie, écrivait ce qui suit :
«, Nous reconnaissons que la question flamande est délicate et d'une solution difficile, et cependant nous faisons des vœux pour qu'on s'en occupe et qu'on cherche à la résoudre dans le sens le plus favorable possible aux populations flamandes. Nous avons assisté, il y a quelques années, au procès de deux Flamands devant la cour d'assises de Mons, et jamais ce spectacle poignant ne sortira de notre mémoire ; nous voyons encore la figure anxieuse et tourmentée des accusés, cherchant à deviner, au mouvement des lèvres, à l'attitude des jurés et des juges, ce qui se disait dans ce terrible débat où leur vie était en jeu ; nous les voyons encore inquiets, effarés, tendant l'oreille comme pour chercher à comprendre, avant la traduction de l'interprète, les dépositions des témoins et les interrogatoires du président, et aujourd'hui, qu'un doute terrible s'est élevé sur la culpabilité des deux suppliciés de Charleroi, nous nous demandons si le procès n'aurait pas eu une toute autre issue dans le cas où Coucke et Goethals auraient su parler le français et se défendre à armes égales contre leurs accusateurs. » "
Nous n'entendons pas, messieurs, nous prononcer sur l'opinion émise par ce journal, encore moins dire ce que notre collègue, M. Lelièvre, disait le 27 novembre 1867, à savoir que ces deux malheureux n'étaient pas les auteurs, mais les complices de l'assassinat pour lequel ils ont été condamnés. Nous avons lu ces lignes avec un sentiment de gratitude, et nous sommes heureux de pouvoir exprimer nos remerciements à la feuille tournaisienne pour ces paroles si sympathiques à la population flamande.
Il est urgent, messieurs, que le législateur ne permette pas que des accusés soient condamnés sans avoir compris un mot de l'accusation et des réquisitoires qu'on lance contre eux. Comment peut-on tolérer qu'un accusé doive douter entre son accusateur et son conseil ? On lui reproche un crime et il est forcé de laisser les débats s'engager à plaisir, alors qu'un mot de lui, dit à propos, peut venir changer les débats et le placer sur un terrain tout nouveau. Et dire, messieurs, qu'il s'agit de sa liberté, de sa vie et pour comble de dérision, on doit lui demander s'il n'a rien à ajouter à des attaques et à la défense qu'il n'a pu comprendre !!
Nous croyons, messieurs, que vous vous associerez pour le redressement d'une pareille iniquité et que tous, vous direz que nous avons mille fois raison de nous élever, au nom de nos chers compatriotes, contre ce déplorable abus.
En Angleterre, en Amérique, l'étranger accusé a le droit de choisir un jury, composé pour moitié de gens de sa nation, et la Belgique, ce pays libre, ne traiterait pas ses enfants comme ces pays traitent les étrangers. Le juré, dit l'arrêtiste du Journal du palais (et nous ajoutons l'accusé), qui' n'entend par la langue flamande se trouve dans la même position que le juré non présent à l'audience, à qui l'on raconte ce qui vient de s'y passer ; il ne voit pas la vraie physionomie du débat. Vainement, place-t-on le juré en face de l'accusé, il reste impassible, quand la conviction émeut tous ses collègues. Le geste, l'hésitation, la vivacité, en un mot, l'action du débat n'est déjà plus, lorsqu'on porte à sa connaissance des parole qui, pour produire leur effet, ne pouvaient pas en être séparées...
Mais, dira-t-on peut-être, vous oubliez les interprètes qui peuvent suppléer à tous les inconvénients que vous signalez.
Erreur, messieurs, erreur funeste... Nous nous bornons ici à signaler les paroles de l'éminent procureur général M. De Bavay, qu'on lit dans le discours de rentrée qu'il a prononcé, en 186S4 devant la cour de Bruxelles.
« Nous n'admettons point, disait-il, qu'au moyen d'interprètes, un magistral wallon puisse utilement interroger sur les lieux ou dans son cabinet des témoins ou des prévenus flamands. L'intervention de l'interprète empêche d'abord ces entretiens, plus ou moins intimes, qui font naître la confiance et mènent souvent à la découverte de la vérité. Elle empêche ces interpellations à brûle-pourpoint qui la font quelquefois éclater malgré le prévenu ou les témoins. Elle peut enfin empêcher le juge de s'éclairer par un mot qui leur échappe, si l'interprète néglige de traduire ce mot parce qu'il n'y a point fait attention ou parce qu'il n'en a pas saisi la portée. »
« Recourir, disait M. le baron d'Anethan, au Sénat, le 20 avril 1869, dans les provinces flamandes, à des interprètes, alors que les accusés ne savent que le flamand, et que les magistrats doivent comprendre et parler cette langue, serait un véritable abus qui pourrait compromettre la bonne administration de la justice, ce serait un abus que les Flamands et même les Wallons, par un sentiment d'équité, devraient énergiquement combattre. »
Nous n'avons, messieurs, rien à ajouter à ces raisons décisives émanant d'hommes compétents ; seulement rappelez-vous que, dans la malheureuse affaire Coucke, on a prétendu à tort ou à raison que le gendarme interprète avait mal saisi la portée d'un mot qui a donné lieu à de grandes conséquences.
Lorsque en 1866 l'honorable M. Gerrits traitait cette question, M. Bara, alors ministre de la justice, reconnaissait qu'il y avait des inconvénients réels signalés par notre honorable ami ; mais, disait-il, on pourrait traduire les réquisitoires, c'est peu de chose.
Tout ceux qui fréquentent les tribunaux pourront répondre qu'il est de toute impossibilité d'en agir ainsi, soit devant les tribunaux correctionnels, soit devant les cours d'assises. On ne peut certes pas exiger du ministère public qu’il s'arrête à chaque phrase pour donner à l'interprète le temps de traduire, on peut encore moins exiger que les interprètes (page 518) attendent la fin du réquisitoire pour en faire la traduction. Cela n'eut pas peu de chose. C'est tout simplement impossible. Nous sommes étonnés que M. Bara ait commis ce lapsus lingae.
Mais, dira-t-on encore, les accusés traduits devant la cour d'assises sont défendus. C'est vrai, messieurs, mais on doit convenir qu'l y a souvent inégalité entre le ministère public rompu à ces affaires et les avocats nommés d'office. Que voit-on d'ordinaire ? Un ministère public d'un côté, qui se lève, parle, narre le fait, appuie sur les circonstances, fait ressortir l'importance d'un détail, s'anime, s'irrite, éclate et tonne, et souvent ne termine son réquisitoire qu'en triomphant du silence de l'accusé qui n'a rien compris à cette grande indignation juridique. D'un autre côté, un avocat qui se dévoue, tâche de faire la contrepartie du réquisitoire, plaide les faits sous un jour favorable, explique toutes les circonstances et colore les détails... et un accusé sourd-muet, présent de corps, absent d'esprit, là où pourtant la loi veut impérieusement que les débats soient publies et oraux.
Et qu'on ne nous objecte pas les impossibilités de pratique si commodes à invoquer lorsqu'on veut repousser toute réforme ! Nous répondrons que s'il y a des difficultés à surmonter, il n'en est aucune qu'on puisse déclarer insurmontable lorsqu'il s'agit de l'honneur et de la vie d'un accusé.
Nous terminons, messieurs, en priant l'honorable ministre de la justice, Flamand comme nous, de vouloir prendre nos remarques en considération, d'examiner s’il ne pourrait, dans la session prochaine, nous donner satisfaction. Si nos plaintes ne sont pas écoutées, nous aviserons alors, comme nous l'avons dit en commençant, et présenterons avec nos collègues un projet de loi dans ce sens. Nous ne cessons de le répéter, notre patriotique population ne demande aucune faveur, elle demande l'égalité devant la loi, c'est son droit ; nous saurons dans tous les cas remplir notre devoir jusqu'au bout, et leur prouver que rien ne nous coûtera pour leur faire obtenir justice complète.
M. Pety de Thozée dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le budget du département des affaires étrangères pour l'exercice 1872.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Des explications m'ont été demandées sur divers points par plusieurs membres de cette assemblée. Je ltcherai de les fournir aussi courtes, aussi complètes que possible.
L'honorable M. Bara d'abord a traité la question des fondations d'honoraires de messes ; cette question, qui a déjà occupé la Chambre pendant deux séances, formerait bien mieux le texte d'une plaidoirie en cour de cassation que le sujet d'une discussion dans une assemblée législative.
Il est difficile, en effet, au milieu de cet enchevêtrement de textes, de citations, d'exposés de motifs et d'autorités, de doctrine et de jurisprudence, que ceux à qui l'étude de ces questions n'est pas familière reconnaissent de quel côté se trouve la vérité.
Sans entendre renouveler le débat, ni prétendre ajouter des arguments bien nouveaux aux arguments si décisifs que l'honorable M. Cornesse a développés avec tant d'éloquence, je ne puis me dispenser de présenter quelques observations.
Je déclare très nettement que je partage en tous points l'opinion de mon honorable prédécesseur et que j'entends appliquer la jurisprudence qu'on lui reproche d'avoir inaugurée.
L'honorable M. Bara n'a pas craint d'affirmer que l'honorable M. Cornesse n'a rencontré aucun de ses arguments.
Cette allégation suffirait à justifier mon intervention.
Le moyen âge, la mainmorte, les bénéfices, toutes ces choses qu'on n'a pas manqué, en cette circonstance comme en bien d'autres, d'évoquer devant vous, me semblent une fantasmagorie peu redoutable et fort inutile.
Je ne puis me résoudre à croire que les conquêtes de 1789 seront en péril s'il est permis au gouvernement, sous sa responsabilité, sous le contrôle des Chambres, de la presse et de l'opinion publique, d'autoriser qu'une messe soit payée plus de 2 francs.
L'honorable M. Bara ne l'a pas cru lui-même avant le 4 février 1870, Il a jusqu'à cette date appliqué la loi de la même manière que l'honorable M. Cornesse.
Il a, je le sais, cherché une excuse dans une prétendue ignorance des tarifs diocésains auxquels il croyait se conformer, alors même qu'il les violait.
La mémoire de l'honorable membre ne l'a pas fidèlement servi dans cette circonstance. Les tarifs diocésains existent depuis longtemps au ministère de la justice, lis font partie du dossier relatif à cette question. Ils n'ont donc pu échapper à l'attention de l'honorable membre.
Mais je n'insiste pas sur ce point.
il importe peu de savoir si l'honorable M. Bara a eu telle opinion avant 1870 et telle autre après 1870. Rien assurément n'obligeait l'honorable membre à persister dans une erreur qu'il aurait reconnue. Loin de le blâmer de ce revirement, il faudrait l'en féliciter.
La question est uniquement de savoir quelle est, des deux jurisprudences de l'honorable M. Bara, celle que commande la saine interprétation de la loi.
L'honorable membre, pour fonder son système actuel, a imaginé une chose qui n'existe pas, qui ne peut exister : les fondations d'oblations.
Autre chose sont les fondations, autre chose les oblations, bien que les unes et les autres aient pour objet de subvenir aux besoins des ministres du culte.
Portalis, dont on a souvent invoqué l'autorité, les distingue parfaitement et dans son rapport et dans son exposition des maximes et des règles consacrés par les articles organiques.
Le texte de loi les distingue comme Portalis lui-même.
L'oblation est un acte isolé, immédiat, passager, c'est la rétribution d'une fonction religieuse, déterminée, isolée également : le baptême, par exemple, ou le mariage.
Une fondation d'oblations ne se conçoit donc point ; c'est un non-sens, une contradiction dans les termes.
La fondation, an contraire, est de sa nature permanente, perpétuelle, tout au moins établie pour une période de temps assez considérable.
La fondation peut être faite pour l'entretien de tous les ministres du culte ; les oblations sont étrangères à ceux qui ne participent point à l'exercice des fonctions paroissiales : aux évêques, par exemple. C'est Portalis lui-même qui le déclare.
Les oblations ont toujours, sous la législation antérieure comme sous le régime actuel, été l'objet de règlements de la part des évêques, soit sous l'approbation de l'autorité civile, soit sans l'intervention de celle-ci.
Pourquoi ? La raison en est simple : L'autorité ne peut s'interposer dans chacun des actes quotidiens de la vie religieuse ni en débattre les conditions.
Or, il importe à la dignité du culte, à la dignité du prêtre et à l'intérêt des fidèles qu'aucune discussion d'argent ne puisse en une matière si délicate, s'élever entre le prêtre et le fidèle.
Une règle est nécessaire pour garantir le prêtre contre la parcimonie du fidèle et le fidèle lui-même contre les exigences du prêtre. De là, sous toutes les législations, les règlements sur les oblations. Mais ce qui est vrai des oblations cesse de l'être des fondations.
La fondation a un caractère permanent. Elle engage non seulement le présent, mais l'avenir. Elle porte non pas sur un acte unique, mais sur une succession d'actes, sur une succession d'années. Elle comporte des sommes, des intérêts plus importants que les oblations. Aussi le législateur ici ne s'en rapporte-t-il ni au ministre du culte, ni au fidèle, ni à un règlement. Il veut une surveillance plus active, une intervention continue, permanente. Il ne tolère pas qu'une seule fondation soit faite sans son intervention dans l'acte même de fondation. Là est la garantie, et cette garantie le législateur l'a jugée suffisante.
Elle ne satisfait pas cependant l'honorable M. Bara. Il veut bien admettre que je n'approuverai pas les fondations dont les honoraires présenteraient une exagération évidente. Mais qui nous assure, dit-il, qu'il n'arrivera pas un jour où le portefeuille de la justice tombera aux mains d'un religieux, à qui 1,000 francs d'honoraires pour une messe ne paraîtront pas exorbitant ?
L'honorable membre se trompe d'époque. La loi de germinal an X n'a pas été faite sous le régime parlementaire ; elle est l'œuvre de Napoléon.
Or, qui admettra que Napoléon, si jaloux de son autorité, aurait jamais consenti à en abdiquer la moindre part, et à se laisser vinculer par des règlements épiscopaux, les eût-il même approuvés ?
Les rôles sont-ils donc intervertis ? Est-ce moi qui suis devenu, contre l'honorable M. Bara, le défenseur de l'indépendance du pouvoir civil ? Je revendique, en effet, le droit pour le gouvernement de ne pas se soumettre aveuglément aux tarifs diocésains.
Mais, continue l'honorable membre, d'après votre système, le législateur de l'an X serait tombé dans une contradiction que l'on ne peut certes lui imputer : après avoir détruit l'abus des bénéfices pour le passé, il en aurait autorisé le rétablissement pour l'avenir. L'honorable membre se trompe.
(page 519) Il est évident que l'empereur, en réservant au souverain le droit d'intervenir dans tout acte de fondation, conservait à celui-ci une arme suffisante pour empêcher le retour de tous les abus.
Il n'a pu songer assurément à se mettre en suspicion lui-même contre lui-même et à inscrire, dans une loi qu'il édictait, des garanties contre sa propre autorité.
Aussi les articles organiques qui parlent de règlements lorsqu'il s'agit d'oblations n'en font-ils aucune mention lorsqu'il s'agit de fondations.
L'honorable M. Bara, pour plier le texte à la distinction, imagine deux règles différentes : l'une pour les fondations qui ont pour objet l'exercice du culte, l'autre pour celles qui ont pour objet l'entretien des ministres. Il est allé jusqu'à affirmer que l'article 73 n'a pour objet que ces dernières. Je lis en effet dans son discours :
« Dans l'article 73 de la loi organique (et c’est là la confusion de l'honorable membre), il n’est question que de la fondation pour l'entretien des ministres du culte. Mais les fondations de messes, dont il est question à l'article 69 de la loi organique, ne sont pas des fondations pour l'entretien des ministres du culte. »
Donc, d'après l'honorable membre, l'article 73 ne prévoit qu'une espèce de fondations, les fondations créées pour l'entretien des ministres ; les autres fondations sont prévues par l'article 69.
Eh bien, voyons ce que porte l'article 73 :
« Les fondations qui ont pour objet l'entretien des ministres et l'exercice du culte ne pourront consister qu'en rentes constituées sur l'Etat : elles seront acceptées par l'évêque diocésain et ne pourront être exécutées qu'avec l'autorisation du gouvernement. »
Les deux espèces de fondations sont donc prévues par l'article 73, et les unes comme les autres ne sont soumises qu'à l'autorisation du gouvernement. Le gouvernement demeure donc entier dans son droit d'appréciation ; il n’est pas astreint notamment à respecter les tarifs diocésains.
On ne peut admettre d'une part que l'autorisation du gouvernement serait toujours suffisante, lorsqu'il s'agit de fondations pour l'entretien des ministres du culte, et qu'elle ne le serait plus lorsqu'il s'agit de fondations pour l'exercice du culte, sans introduire une distinction qui est en contradiction manifeste avec le texte de l'article 73, lequel met les deux espères de fondations exactement sur la même ligne.
L'article 73 ne fait pas la distinction qu'a faite l'honorable membre, il la condamne au contraire.
La liberté entière de l'autorité publique, telle est donc la règle.
Mais cette liberté trouve un frein naturel et un frein suffisant dans l’intervention du gouvernement au moment de la fondation même et pendant toute la durée de celle-ci.
Vous le voyez donc bien, il n'y a pas péril de voir renaître les abus d'autrefois, de voir ressusciter les bénéfices. Nous n'allons pas jusqu'à dire que le gouvernement pourrait admettre des fondations dans lesquelles l'honoraire serait d'une exagération manifeste ; non, il faut que l'honoraire demeure un honoraire, c’est-à-dire la rémunération équitable justement proportionnée d'un service ecclésiastique ; si nous allions au delà, si nous voulions admettre une fondation qui consisterait à dire deux ou trois messes pour une somme de 2,000 francs, nous tomberions dans un abus, mais immédiatement cet abus serait réprimé.
Il n’est pas possible, en effet, que sous un régime constitutionnel, sous l'œil vigilant de la Chambre, sous l’œil de la presse, sous la surveillance de l'opinion, un ministère quelconque s’écarte à ce point de principes qui résultent du texte et de l’esprit de nos lois.
Mais je ne puis admettre avec l'honorable membre que par la crainte d'un abus éventuel on aille jusqu'à condamner l'exercice légitime d'un droit inscrit pour le gouvernement dans la loi elle-même.
Je disais tout à l'heure que les articles organiques ne parlent pas de règlements pour ce qui concerne les fondations.
Et cependant il est question de règlements et de fondations en même temps dans la législation postérieure, dont divers monuments ont été ici évoqués de part et d’autre.
Pour comprendre cette mention des règlements dans les décrets postérieurs, il suffit de suivre le développement historique de cette législation.
Le décret du 7 thermidor an XI a rendu à leur destination les biens des fabriques non encore aliénés : le principe de ce décret a été successivement étendu à d’autres biens et notamment par l’arrêté du 28 frimaire an XII, aux biens, rentes et fondations chargés de messes anniversaire et de services religieux faisant partie des revenus des églises.
Or, à peine le décret du 28 frimaire an XII avait-il paru qu’une difficulté surgit. Les biens, rentes et fondations faites nommément non pas au profit des fabriques, mais au profit des curés, des vicaires, des chapelains, des desservants et d'autres ecclésiastiques, étaient-ils compris dans l'arrêté de restitution ?
Cette question a été résolue affirmativement, et aussitôt et tout naturellement a surgi une deuxième question, celle de savoir par qui seraient gérés ces biens et celle de savoir d'après quelle base seraient payés les messes, les obits, les honoraires des offices que les ministres du culte étaient chargés d'exonérer.
C’est cette double question que le décret du 22 fructidor an XIII, le premier oh l'on parle de règlements en matière de fondations, a résolue. Quant à l'administration, il l'attribue aux fabriques, et quant aux honoraires, il renvoie aux règlements diocésains.
Mais l'aperçu que je viens de vous présenter démontre que cette solution ne s'appliquait qu'aux biens, rentes et fondations qui avaient fait l'objet de la restitution décrétée par l'arrêté du 2S frimaire an XII et nullement aux fondations nouvelles.
Est-ce à dire que les fondations anciennes au moins sont nécessairement soumises aux tarifs diocésains ? Je ne le pense pas.
Autre chose est le règlement. Autre chose est le tarif, l'empereur pouvait permettre l'insertion dans les règlements diocésains, de dispositions ayant un autre objet qu'une simple tarification.
C’est ce qu'il a fait, en effet, notamment pour le diocèse de Liège. Et pour quel motif ?
Ce motif, messieurs, est donné par M. Beltjens, dans l'avis qu'on vous a cité et ce motif me paraît péremptoire.
.« A mon sens, dit-il, il eut été illogique de la part du législateur, de tracer des règles fixes et invariables, devant servir de base à la confection des règlements diocésains, parce que, selon les circonstances, l'honoraire pouvait être fixé d'une manière différente.
« Au moment de la restitution, les biens des fondations étaient en partie aliénés par le domaine et l'on ne restituait que les biens non aliénés. Le salaire des services devait donc naturellement varier, selon l'importance des revenus. Si ce revenu était suffisant pour payer les services selon le taux fixé par le fondateur, les règlements pouvaient ordonner qu'il en fût ainsi. »
Telles sont, messieurs, les considérations qui me déterminent à adopter, en cette matière, la jurisprudence suivie pendant quelque temps par l'honorable M. Bara, et pratiquée après lui par l'honorable M. Cornesse, à l'appliquer non seulement aux fondations nouvelles, mais encore aux fondations anciennes.
Je m'aperçois, messieurs, que j'ai oublié de répondre à une objection de l'honorable M. Bara.
Qu'aurez-vous gagné, disait-il, en autorisant les fondations à un taux supérieur à celui fixé par les autorités ? Ces fondations seront faites pour l'entretien des ministres du culte : mais l'excédant devra, comme les revenus des biens de cures, être déduit du traitement, de telle sorte que le clergé inférieur, dont vous vous faites le défenseur, n'aura rien gagné à la mesure que vous vous vantez d'avoir prise en sa faveur.
Je crois que l'honorable membre ne s’est pas bien rendu compte des motifs en vertu desquels le revenu des biens curiaux est déduit du traitement des ministres du culte.
Au point de vue de l'Etat, les biens curiaux ne sont pas la propriété des fabriques ; ils sont demeurés la propriété du domaine ; seulement l'Etat en abandonne l'usufruit au titulaire.
Mais il ne serait pas juste assurément que l'Etal, qui prend à sa charge le traitement des ministres du culte, fût obligé de le payer deux fois : une fois en nature, en lui abandonnant une partie de son bien ; une seconde fois, en espèces, en lui payant son traitement. C’est pour cela, et sans qu'il y ait une disposition légale bien précise à cet égard, que la déduction en est faite.
Mais la situation qui se présente en cas de fondation est bien différente. Il ne s'agit pas ici d'une partie du domaine de l'Etat, mais d'un bien qui est la propriété de la fabrique.
Ce ne sera pas à la munificence de l'Etat, mais à la piété des fidèles que le ministre des cultes devra un modeste accroissement de ses ressources.
.. L'indigence des ministres des cultes, a dit Portalis, compromettrait et avilirait leur ministère. Or le législateur de l’an X n’a pas cru que les sommes inscrites au budget pussent suffire pour assurer au clergé une existence en rapport avec la dignité des fonctions sacerdotales. Il a compté sur la piété des fidèles.
Ce serait méconnaître sa volonté, rendre les offrandes des fidèles stériles, que de prétendre les faire tourner indirectement au profit du trésor public. (Interruption)
(page 520) Un deuxième point a été abordé par l'honorable M. Bara. Je veux parler de la fondation de Rochefort.
L'honorable membre disait à cet égard : « Le ministre n'a probablement pas encore eu le temps de s'occuper de cette affaire, qui est assez ancienne et très compliquée. »
J'ai jeté un coup d'œil sur cet énorme dossier et j'ai pu me convaincre que l'honorable membre n'a rien exagéré en disant que l'affaire est ancienne et très compliquée.
Je ne me permettrai donc pas de me prononcer sans avoir pu en faire l'objet d'une étude approfondie.
Cependant, parmi les divers moyens que l'honorable membre a indiqués au gouvernement pour amener la remise des revenus de la fondation Jacquet entre les mains des administrateurs belges, il en est un que je crois devoir, à priori, rejeter.
L'honorable membre a parlé d'une poursuite criminelle à diriger contre ceux qui auraient participé soit à l'administration de ces fondations, soit à la jouissance de ses revenus.
Cette poursuite, à mon sens, ne saurait aboutir. Elle manque de tout fondement. Vous le comprendrez à l'instant même.
La fondation Jacquet a fait naître un conflit entre deux souverainetés, la souveraineté belge et la souveraineté du saint-siège.
A l'esprit de qui pourra-t-il venir que la personne qui, dans ce conflit de deux souverainetés, aura reçu de l'une d'elles le mandat d'administrer quelques-uns des biens en litige, qui aura rempli ce mandat loyalement, et (l'honorable M. Bara lui-même ne le conteste point) sans détourner de leur destination finale la moindre partie des revenus, pourrait être assimilée à l'individu qui se serait rendu coupable de détournements tombant sous le coup de la loi pénale ?
Cela est évidemment impossible. L'honorable M. Bara en a jugé comme moi-même.
En effet, cette question n'est pas nouvelle, la situation était connue de l'honorable membre depuis 1866, et il n'a pas songé un seul moment à ordonner au parquet des poursuites criminelles qu'il me conseille aujourd'hui.
M. Jacobs. - 11 a des remords.
M. Bara. - Je ne connaissais pas cette situation.
M. Jacobs. - Vous étiez si jeune...
M. Bouvier. - Vous avez aussi prouvé que vous étiez bien jeune !
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Quant à l'action civile, il est possible qu'on doive en venir à cette extrémité. Mais il est incontestable qu'une action civile, surtout dans les circonstances où elle se présenterait, serait de nature à entraîner des frais, des lenteurs, des embarras auxquels on ne doit exposer une administration publique que lorsque tous les moyens de conciliation ont été épuises. Or, messieurs, n’existe-t-il plus de voie de conciliation que l'on puisse utilement tenter ?
Est-il impossible d'obtenir sinon immédiatement, du moins dans un délai rapproché, la remise des biens de la fondation Jacquet à la commission des bourses de Namur ? C'est une question que j'aurai à examiner, mais je fais dès à présent cette déclaration que si les négociations amiables que je veux essayer n'aboutissent pas, je ne reculerai devant aucun moyen pour assurer et le respect de la loi belge et le respect d'un acte posé par le gouvernement en exécution de cette loi et la remise à un établissement public belge de ce que j'ai le droit de considérer comme une propriété nationale.
- De toutes parts. - Très bien !
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - L'honorable membre s'est occupé encore de la jurisprudence qui a existé autrefois et qui aurait été, d'après lui, modifiée par l'honorable M. Cornesse, relativement aux changements de nom.
L'honorable membre ne conteste pas, et il ne pouvait pas contester, le droit qu'a le gouvernement d'accorder des changements de noms pour raisons légitimes. Seulement il conteste que l'on puisse considérer comme raison légitime le simple désir de se donner des apparences nobiliaires ou de faire croire, suivant son expression, qu'on descend des croisés.
Je pense, sur ce point, comme l'honorable membre et je ne crois pas que l'honorable M. Cornesse ait eu une autre opinion.
C'est une faiblesse d'esprit peu digne d’encouragement que cette manie de certaines gens qui, au lieu de se contenter de porter honorablement un nom honorable et de s'efforcer de l'ennoblir par leur conduite, veulent à tout prix se donner une. importance qu'ils n'ont pas en s'affublant d'un titre auquel ils n'ont aucun droit. Je m'engage à ne rien céder sous ce rapport au caprice ni à la vanité.
Il me reste à répondre à quelques points traités par l'honorable M. Defuisseaux et par les honorables MM. Coremans et Van Wambeke.
Si je devais faire droit à toutes les observations qui ont été successivement présentées, je n'en aurais qu'un moyen, ce serait de déposer immédiatement le projet de loi portant révision du code d'instruction criminelle.
Que me demandent les honorables MM. Defuisseaux et de Moerman ? Qu'il soit pris des mesures pour l'extension du droit de la défense dans la procédure préliminaire en matière criminelle ; que le droit d'appel soit interdit au ministère public en cas d'acquittement ; qu'une réparation soit assurée aux personnes indûment poursuivies.
Que demandent en effet l'honorable M. Van Wambeke et l'honorable M. Coremans ? Que des mesures soient prises pour défendre les intérêts des accusés flamands en matière criminelle.
Toutes ces questions doivent nécessairement trouver leur place dans le projet de révision du code d'instruction criminelle. Prenons un exemple : est-il possible de faire droit aux demandes de l'honorable M. Defuisseaux sans bouleverser toute la partie du code qui traite de l'instruction préliminaire ?
Et quant aux réclamations de l'honorable M. Van Wambeke et de l'honorable M. Coremans, quelle autorité ai-je qui me permette de redresser leurs griefs, si légitimes qu'ils soient ?
L'article 23 de la Constitution veut que l'emploi des langues en Belgique ne puisse être réglé que par la loi.
C'est donc cette loi que vous devez vous résigner à attendre. Ce que je puis faire, c'est de prendre les mesures nécessaires pour que l'attente ne soit pas trop longue. A cet égard, les honorables membres apprendront sans doute avec satisfaction que le travail de la commission de révision touche a sa fin et que le projet de loi pourra être présenté dans le cours de la session prochaine.
M. Bara. - Je remercie M. le ministre de la justice des explications qu'il a données.
Je n'ai pas l'intention de discuter de nouveau la question de honoraires de messes. J'ai donné mes raisons, l'honorable ministre et son prédécesseur ont donné les leurs. Je dois maintenir mon opinion. Le pays jugera.
Seulement, l'honorable ministre a produit un argument nouveau : il a dit que dans l'article 69 de la loi organique, il ne s'agissait que d'oblations et qu'il ne pouvait exister de fondations d'oblations, puisque les oblations sont des actes isolés et passagers. De plus, il a dit que j'avais négligé de parler des fondations pour l'exercice du culte, autorisées par l'article 73 de la loi organique.
L'honorable ministre n'a tenu compte que d'une partie de mon discours ; à un autre endroit, j'ai dit que le législateur avait permis de fonder d'une part pour le culte et l'entretien de ses ministres, en d'autre part pour des messes ; j'ai dit que ces deux fondations sont parfaitement distinctes : les unes concernant l'intérêt général, les antres concernant un intérêt particulier. Les unes ont rapport à tous les offices du culte nécessaires pour que le culte existe et à l'entretien de ses ministres, les autres n'ont en vue que l'intérêt du particulier qui veut, à l'aide de sacrifices pécuniaires, créer des obits, des anniversaires.
Sans doute, comme le dit M. le ministre, on ne fonde pas des oblations, mais on fonde des messes avec oblations, c'est-à-dire avec honoraires. L'oblation n'est que le prix de la messe, ce n'est pas l'honoraire qui est fondé, c'est la messe. L'article 06 ne parle que de l'oblation, mais il s'agit dans cet article de toutes les oblations, donc aussi de celles des messes fondées. Cela n'est pas douteux, M. Cornesse le reconnaissait lui-même. Il disait que quand un acte de fondation de messes est muet sur le taux de l'honoraire, il faut suivre le tarif diocésain. Donc il admettait que l'article 69 est relatif aux fondations de messes et de services religieux.
L'honorable ministre a fait une observation au sujet des biens curiaux : il reconnaît que lorsque l'Etat abandonne aux ministres du culte les revenus des biens curiaux, il est juste de déduire ces revenus du montant de leur traitement. Eh bien, s'il en est ainsi pour les revenus des biens curiaux, il doit en être de même, pour les fondations de messes si M. le ministre suivait la jurisprudence de M. Cornesse en fait de fondations d'entretien pour les ministres du culte.
Le fait que les biens curiaux appartiennent à l'Etat est indifférent ; car l'Etat ne doit au clergé que les moyens de vivre. Si la thèse de M. le ministre était fondée et s’il existait des fondations pour les ministres du culte, les revenus de ces fondations, qui appartiendraient aux fabriques et non à l'Etal, ne devraient pas être déduits du budget des cultes Cela n'est pas possible.
Je suppose qu'on crée une fondation d'entretien pour le doyen de l'église (page 521/) Sainte-Gudule, au revenu annuel de 2,000 francs : eh bien, M. le ministre de la justice fera-t-il payer au curé de Sainte-Gudule son traitement sans déduction ?
Portails dit dans son rapport que le traitement doit être le supplément des fondations. Par conséquent, vous ne devez un traitement au ministre du culte que quand le ministre du culte n'a rien en vertu des fondations.
« Mais, dit l'honorable ministre de la justice, ne nous épouvantons pas ; les bénéfices ne seront pas rétablis ; c'est de la fantasmagorie. »
Je reconnais que l'honorable ministre de la justice n'a pas été aussi loin que l'honorable M. Cornesse dans l'application des principes que je combats ; il a dit, en effet, que les honoraires de toute fondation devaient toujours conserver 1e caractère d'honoraires, c'est-à-dire qu'il n'autoriserait des honoraires supérieurs au tarif qu'en leur conservant le caractère d'honoraires, c'est-à-dire de rémunération proportionnée au service religieux acquitté.
Certes, cette jurisprudence atténuera les effets de la doctrine de M. Cornesse, mais la porte n'est pas moins ouverte en principe au rétablissement des bénéfices et il peut arriver un ministère qui en profite.
Maintenant un moi sur l'affaire de Rochefort. L'honorable ministre de la justice nous a dit qu'il ferait tous ses efforts pour faire exécuter la loi de 1864 sur les bourses d'éludé et l'arrêté royal pris en exécution de cette loi qui a conféré à la commission de la province de Namur la fondation Jacquet. Je l'en remercie vivement.
L'honorable ministre repousse l'idée qu'il soit possible d'intenter des poursuites contre les personnes qui détiennent indûment les fonds de cette fondation. Je dois faire remarquer à l'honorable ministre que les faits sont très graves. Ces personnes savent qu'elles sont en rébellion contre la loi belge. Elles doivent obéissance à la loi belge, à la souveraineté belge avant d'obéir à uneautorité étrangère ; or, la loi belge dit que les biens de la fondation Jacquet appartiennent à la commission de la province de Namur.
On prétend même qu'une personne qui perçoit les revenus de la fondation était, en 1866, membre de la commission provinciale des bourses d'études ; ainsi donc c'est un des membres chargés ne poursuivre l'exécution de la loi qui la viole. Les personnes en cause ne pourraient pas même exciper de leur bonne foi, car elles sont averties par les débats des Chambres et par tout le bruit qui s'est fait au sujet de cette question.
L'honorable ministre dit qu'il examinera quels sont les moyens à employer ; le plus prompt, c'est de réclamer auprès du gouvernement italien, et j'ai confiance que le gouvernement italien ne refusera pas de nous laisser percevoir les revenus des biens de la fondation Jacquet.
Je regrette que l'honorable ministre n'ai pas encore pu prendre de résolution à cet égard, mais j'espère qu'il agira avec énergie et le plus promptement possible. Je l'engage aussi à laisser poursuivre l'action civile.
Depuis longtemps l'école communale de Rochefort manque des fonds nécessaires, et à cet égard je dois dire que M. Kervyn a autorisé une mesure détestable en haine de l’enseignement primaire de Rochefort. (Interruption.)
Ecoutez ce qui s'est passé ; le fait est réellement odieux.
Il y avait une concurrence entre l'école des petits frères de Rochefort et l'école communale.
Les biens de la fondation Jacquet qui appartiennent à l'école communale sont distribués secrètement à l'école des petits frères.
Le conseil communal de Rochefort, hostile à l'école de la commune, exigeait des enfants une rétribution de 10 francs alors que les enfants étaient admis gratuitement à l'école des petits frères. Aussi l'école communale était-elle écrasée ; on ne pouvait sans sacrifice y envoyer ses enfants.
D'un côté, il fallait donner 10 francs pour être admis à l'école communale, de l'autre on n'exigeait aucune rétribution des enfants admis à l'école des petits frères. On prenait les revenus de la fondation appartenant à l'école communale pour les donner à l'école des petits frères.
Voilà un fait des plus regrettables, des plus condamnables et que je ne saurais trop signalera l'attention publique.
M. Drubbel. - Mes honorables collègues MM. Coremans et Van Wambeke ont signalé à la Chambre quelques-uns de nos griefs flamands. Je n'entends pas traiter cette question ; je ne me dissimule pas que la question de l'emploi de la langue flamande ne soit une question très compliquée ; je sais combien il est difficile de concilier tous les intérêts en présence. Je conçois que l'honorable ministre de la justice veuille renvoyer la solution de ces difficultés à la révision du code d'instruction criminelle.
Mais au milieu des griefs qui ont été produits, il en est un dont la réalité et le fondement ne sont pas discutables : il en est ainsi lorsqu'un prévenu est traduit devant un tribunal correctionnel et qu'il y paraît sans avocat, dans la partie flamande du pays, le magistrat du parquet requiert contre lui dans une langue que le prévenu ne connaît et ne comprend pas. Cela est révoltant.
M. Vau Wambeke.- Cela est scandaleux.
M. Drubbel. - Il arrive souvent, je le reconnais, que le magistrat, n'écoutant que l'impulsion d'un cœur équitable, requière en flamand, mais tous les magistrats ne suivent pas ce bon exemple.
Eh bien, il est possible de remédier immédiatement à ce grief qui est vraiment déplorable.
Il suffira que l'honorable ministre de la justice fasse une circulaire dans laquelle il adresse l'invitation à tous les magistrats du parquet et aux ministères publics près les tribunaux de simple police d'user de la langue flamande vis-à-vis des prévenus qui ne sont pas assistés d'un avocat et qui ne comprennent pas la langue flamande, pour que cet appel soit entendu et que ce grief disparaisse.
M. Gerrits. - J'ai été fort heureux d'entendre tout à l'heure la gauche applaudir M. le ministre de la justice. Je regrette de ne pouvoir en faire autant à propos d'une question qui m'intéresse plus spécialement, la question flamande.
En effet, l'honorable ministre ne nous a donné aucune satisfaction ; il nous a renvoyé aux calendes grecques : on examinera la question lorsqu'on s'occupera de la révision du code d'instruction criminelle.
Depuis quarante ans, messieurs, on demande la révision des codes et jusqu'ici on n'y est pas parvenu.
Je crois donc que nous sommes condamnés à attendre longtemps encore si la solution de la question est renvoyée à la révision du code d'instruction criminelle.
Je constate en même temps que l'honorable ministre ne nous a pas même fait connaître son opinion. Il ne nous a pas dit quelle était sa manière de voir sur une matière qui a été si clairement exposée par les honorables MM. Coremans et Van Wambeke. Il me semble cependant que tout ministre de la justice doit avoir son opinion formée sur une question de cette importance.
Je tiens à déclarer qu'il ne vous suffit pas d'obtenir satisfaction pour le seul cas où il n'y aurait pas d'avocat assistant le prévenu au tribunal correctionnel.
Les abus sont tout aussi révoltants devant les cours d'assises et peut-être plus révoltants encore, parce que là l'intérêt de l'accusé est beaucoup plus grand.
Nous prétendons que, quand il s'agit de l'honneur, de la liberté, peut-être même la vie de l'homme, il doit avoir le droit de se défendre comme il l'entend et de comprendre ce qu'on lui dit.
Que M. le ministre de la justice essaye d'adresser une circulaire aux membres du parquet et s'il obtient par là le redressement de nos griefs, j'en serai enchanté ; mais je crains fort que cela n'aboutisse encore à une perte de temps.
Je crains que les membres du parquet ne prétendent qu'ils ont le droit de ne pas obéir, de ne requérir que dans la langue qui leur plaît.
Je pense qu'il est du devoir du gouvernement, sinon du devoir de la majorité, de présenter une loi spéciale qui règle l'emploi des langues devant la justice répressive.
C'est le seul moyen de donner une satisfaction sérieuse aux populations flamandes.
M. Van Overloop. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour faire à l'honorable M. Dara une observation relative à l'interprétation qu'il a donnée à l'article 69 de la loi du 18 germinal an X.
Cet article porte : « Les évêques réviseront les projets de règlements relatifs aux ablations que les ministres des cultes sont autorisés à recevoir pour l'administration des sacrements. »
Qu'est-ce qu'administrer un sacrement ? C'est le conférer à quelqu'un, d'après le dictionnaire. Il faut donc dans l'administration des sacrements deux personnes : l'une qui le confère, l'autre qui le reçoit.
Or, il n'y a que sept sacrements. Je ne pense pas que l'honorable M. Bara l'ait oublié ; mais s'il pouvait en être ainsi, comme il a reçu un catéchisme en cadeau, il pourrait immédiatement vérifier l'exactitude de ce que je dis.
Eh bien, messieurs, parmi les sacrements ne se trouve pas la messe : la sainte messe n'est pas un sacrement, mais le sacrifice de la loi nouvelle.
Donc l'article 69 de la loi du 18 germinal an X ne peut être appliqué aux fondations de messes et, par suite, il me semble que toute l'argumentation de l'honorable M. Bara croule par sa base.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, l'honorable M. Van Overloop (page 522) semble fort enchanté de l'argument qu'il vient de jeter dans le débat. Je crois cependant qu'il n'en a pas pesé tous les conséquences.
Je vais lui en signaler une qui le fera probablement renoncer à son raisonnement.
On a perdu de vue, dans tout ce débat relatif aux honoraires de messes fixés par tarif ou fixés par actes de fondation, un principe fondamental de la loi du 18 germinal an X. Ce principe est formulé par l'article 5 de la loi : « Toutes les fonctions ecclésiastiques seront gratuites, sauf les oblations, qui seront autorisées et fixées par les règlements. » Le principe est donc la gratuité ; l'exception, la seule exception admise par la loi organique, c'est l'oblation. II est donc de l'intérêt des membres qui siègent à droite et qui veulent défendre les intérêts du clergé, il est de leur intérêt d'interpréter ce mot « oblation » de la façon la plus large et d'y comprendre non seulement les honoraires de messes fixés par tarif, mais aussi les honoraires fixés par actes de fondation. Sinon, en s'écartant de l'exception qui est strictement limitée, on retombe dans la règle générale, qui est la gratuité.
Par la même raison, on doit comprendre les honoraires pour célébration de messes dans ces termes de l'article 69 : Oblations autorisées pour l’administration des sacrements. Peut-être l'interprétation restreinte que vient de leur donner l'honorable M. Van Overloop est-elle plus conforme au langage ecclésiastique ; mais, comme conséquence, elle nous fait retomber dans la règle générale, tout à fait générale, de l'article 5, c'est-à-dire que les messes devraient être gratuites ; que, pour les messes, aucun honoraire ne pourrait être fixé, ni par les règlements, ni par les actes de fondation ; que de telles fondations ne pourraient être approuvées, puisqu'elles ne seraient compatibles ni avec la règle générale, ni avec l'exception permise par la loi.
Je crois donc que le sens donné au mot « oblation » par l'honorable M. Bara est le seul qui soit compatible avec l'esprit de la loi du 18 germinal an X, et surtout avec le texte de l'article 5 qui formule une règle générale et n'y reconnaît qu'une seule exception.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Messieurs, je ne puis rester sous le coup du reproche qu'a cru devoir m'adresser M. Gerrits. Un Flamand, et je me fais honneur d'être Flamand et de parler ma langue maternelle, un Flamand ne peut s'entendre reprocher, sans impatience, de n'avoir qu'un médiocre souci des intérêts de ses compatriotes flamands.
Pour ma part, lorsque, dans l'exercice de ma profession d'avocat, il m'est arrivé d'être témoin de l'un de ces spectacles affligeants dont on vous a entretenus tout à l'heure, j'ai cru que ce n'était pas assez de quitter l'audience, le cœur plus ou moins navré, mais je me suis fait un devoir de venir au secours du malheureux prévenu flamand et d'assumer sa défense. Plus de cent fois j'ai plaidé en flamand devant les juridictions inférieures.
Mais est-il juste de dire, comme le fait l'honorable M. Gerrits, que j'ai refusé de répondre, que j'ai renvoyé les réclamations des Flamands aux calendes grecques ? L'honorable membre ne m'a donc pas fait l'honneur de m'écouter !
J'ai dit à l'honorable M. Van Wambeke, j'ai dit à l'honorable M. Coremans que je ne puis résoudre de mon autorité privée la question qu'ils agitent. Je ne puis me mettre au-dessus de la Constitution, et l'article 23 exige que la matière soit réglée par la loi. J'ai ajouté que cette loi s'élabore activement et que j'espère la déposer dans le cours de la session prochaine.
Il me semble que cela pouvait suffire et rassurer l'honorable membre.
M. Gerrits. - Messieurs, l'honorable ministre de la justice s'étonne de ce que je ne me suis pas montré satisfait des déclarations qu'il avait faites tout à l'heure.
J'ai constaté que l'honorable ministre de la justice nous a renvoyés à l'examen du code d'instruction criminelle. Eh bien, y a-t-il un seul membre de cette Chambre qui ne sache que ce code ne sera voté que d'ici à de longues années ?
J'ai donc eu le droit de dire que M. le ministre nous avait renvoyés aux calendes grecques, et je le maintiens.
J'ai dit que M. le ministre de la justice n'avait pas même exprimé son opinion. Il vient de le faire maintenant. Mais il ne l'avait pas fait tout à l'heure. Ce n'est qu'à l'instant qu'il vient de déclarer qu'il a été révolté de l'abus qui se commet en ce qui concerne l'emploi des langues dans les tribunaux.
Je le remercie de l'opinion qu'il vient d'exprimer ; mais j'ai le droit de lui demander que, comme ministre, il agisse comme il a agi en qualité d'avocat.
Il ne suffit pas qu'un particulier accomplisse son devoir, il faut que, quand il est au pouvoir, il se montre logique.
M. le ministre n'a qu'un seul moyen de se montrer conséquent, c'est de déposer le projet de loi que nous réclamons.
Je ne reconnais pas comme exacte l'assertion qu'il serait impossible de faire droit à nos réclamations avant la discussion du code d'instruction criminelle. Je crois, moi, qu'on peut faire à cet égard une loi spéciale et si M. le ministre n'est pas encore de cet avis, nous tâcherons de le convaincre, en présentant la loi nous-mêmes.
M. Thonissen. - Messieurs, j'ai à parler d'une question beaucoup moins importante, et je le ferai en peu de mots.
Dans l'une de nos dernières séances, M. le ministre de la justice a promis de s'occuper des intérêts des huissiers.
Je viens lui recommander une autre catégorie de fonctionnaires, qui ne méritent pas moins de sympathie et qui ont tout autant raison de se plaindre ; je veux parler des secrétaires du parquet qui, depuis plusieurs années, demandent que leur traitement soit porté au taux de celui des greffiers-adjoints.
Celle réclamation est incontestablement fondée.
D'après quelles bases faut-il déterminer la quotité des appointements ? A ce sujet, aucun doute n'est possible. Il faut voir, d'une part, le degré d'intelligence et d'instruction que requiert l'emploi et, d'autre part, la quantité de travail que nécessite cet emploi.
Eh bien, messieurs, tous ceux qui connaissent la pratique judiciaire savent que l'emploi de secrétaire du parquet exige plus de connaissances et plus de travail que les fonctions de greffier-adjoint.
Cet emploi demande plus de connaissances, parce qu'il embrasse toute la pratique administrative de la justice ; il exige pour la même raison, plus de travail, surtout depuis que le département de la justice demande de plus en plus d'importants travaux de statistique
Or, comme, d'un coté, il faut des connaissances plus étendues, tandis que, de l'autre, il y a un travail plus considérable, je voudrais savoir pourquoi le traitement des secrétaires des parquets doit être inférieur de plusieurs centaines de francs à celui des greffiers-adjoints.
Il y a quelques années, l'honorable M. Dupont et moi, nous avions proposé un amendement à l'article du budget qui concerne les traitements de l'ordre judiciaire ; nous voulions majorer cet article, afin de fournir au gouvernement le moyen de porter le traitement des secrétaires des par-quels au niveau de celui des greffiers-adjoints.
Mais il est arrivé alors ce qui arrive toujours lorsqu'un membre de la Chambre propose une augmentation de dépense qui n'est pas appuyée par le gouvernement, c'est-à-dire que notre proposition n'a pas été adoptée.
Je ne veux pas présenter un nouvel amendement aujourd'hui ; mais je prie l'honorable ministre de la justice de vouloir bien proposer lui-même cette augmentation de quelques milliers de francs. Il n'en faut pas davantage pour mettre un terme à ce que, en toute conscience et en toute vérité, je considère comme un incontestable déni de justice.
Je recommande donc instamment cet objet à la bienveillante sollicitude de M. le ministre de la justice.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Messieurs, il a été fait droit, dans une certaine mesure, aux réclamations qui se sont produites dans cette enceinte en faveur des secrétaires des parquets. Dans un budget précédent, il a été alloué une augmentation de 19,600 francs qui, à concurrence de 15,200 francs, a profite aux secrétaires et employés des parquets.
Leur position n'est pas encore égale à celle des greffiers-adjoints.
Mais remarquez, messieurs, que les secrétaires des parquets doivent être avant tout à la disposition du procureur du roi ou du procureur général ; je ne pense pas qu'il convienne, dans cette situation, de leur assurer un traitement invariable.
Mieux vaut se réserver une certaine latitude, pour fixer un minimum et un maximum, de manière à assurer à leurs chefs une certaine action sur eux, sans qu'ils doivent recourir à la mesure extrême de la destitution.
Maintenant, pour améliorer encore cette position dans les limites que je viens d'indiquer, j'ai proposé, au projet de budget pour 1873, une nouvelle augmentation de crédit. Je pense satisfaire par là à la réclamation de l'honorable préopinant.
M. Drubbel. - Je prie M. le ministre de la justice de vouloir bien nous faire connaître s'il a l'intention d'inviter les membres des parquets dans les provinces flamandes à faire leurs réquisitions en langue flamande, lorsque le prévenu ne connaît que le flamand et qu'il n'est pas assisté d'un avocat devant un tribunal correctionnel.
(page 523) M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Je consens très volontiers à faire droit à la demande de M. Drubbel. Cependant je ferai observer à l'honorable membre que, comme l'objectait tout à l'heure M. Gerrits, les magistrats à qui je me serais adressé pourraient objecter qu'il appartient à la loi seule de leur dicter la langue qu'ils doivent employer.
Je ne puis qu'adresser aux membres de certains parquets l'invitation de vouloir faire une chose qui est si naturelle, si convenable que j'espère qu'ils s'y prêteront avec empressement.
M. De Lehaye. - Je ne saurais admettre l'opinion que vient d'émettre M. le ministre de la justice.
Je crois que l'article 23 de la Constitution, qui déclare que l'emploi des langues est facultatif, s'applique aux administrés et non aux administrateurs, et à mon avis si l'emploi des langues est facultatif pour le simple citoyen, il ne l'est pas pour le ministère public ; le ministère public est obligé de conclure dans la langue du prévenu.
Savez-vous, messieurs, ce qui vient de se passer devant la cour d'assises de l'une de nos provinces ? Après les plaidoyers et réquisitoire qui avaient eu lieu en français, le président demandait à l'accusé s'il n'avait rien à ajouter pour sa défense, et l'accusé, qui était un homme d'esprit, a répondu au président : Comment voulez-vous que j'aie quelque chose à ajouter ? Je n'ai compris ni le ministère public, ni les avocats, ni les témoins.
Ce fait n'est-il pas scandaleux ? Et je le demande, s'il s'était passé dans les provinces wallonnes, aurait-il été toléré par les populations ? J'ai assez de confiance dans le patriotisme de ces populations pour croire qu'elle ne l'aurait pas toléré, et je dis que c'est, de notre part, une lâcheté de le tolérer.
Vous, savez qu'en Suisse il y a plusieurs langues usitées, l'allemand et le français.
Eh bien, qu'arrive-t-il dans ce pays ? En Suisse, où l'emploi des langues est facultatif, les particuliers peuvent se servir de la langue qu'ils veulent ; mais quant aux membres des parquets, quant aux magistrats, ils sont obligés de se servir de la langue de celui qui plaide devant eux ; ils ne peuvent se servir d'une autre langue. Imitons cet exemple et mettons un terme à cet abus .qui est criant, à cet abus contre lequel nous voulons nous révolter et que nous ne permettrons pas qu'il se prolonge.
M. Dansaert. - Messieurs, je crois devoir à mon tour appeler l'attention de M. le ministre de la justice sur une lacune qui existe dans notre législation ; je veux parler de l'absence du Pro Deo en matière de faillites.
Le 5 octobre 1852, cette date a son importance, car elle prouve avec quelle lenteur on procède en Belgique à la révision des lois, un arrêté royal a assimilé, pour la procédure gratuite, les sociétés de secours mutuels aux institutions de bienfaisance.
On lit dans cet arrêté :
« Considérant qu'en attendant que la législation sur la procédure gratuite puisse être révisée, rien n'empêche de s'y référer à l'égard des sociétés de secours mutuels... »
Le gouvernement reconnaît donc dès 1852 la nécessité de réviser la législation sur la procédure gratuite, et depuis près de vingt ans que cette nécessité est hautement proclamée, aucune tentative n'a été faite pour arriver à mettre cette partie importante de la législation en harmonie avec les besoins de l'époque et les intérêts du commerce.
Pour convaincre la Chambre du caractère d'urgence que revêt cette question, quelques explications sont nécessaires.
Aujourd'hui, les tribunaux de commerce ne sont pas autorisés à accorder la remise des droits d'enregistrement, de timbre et de greffe, lorsqu'ils déclarent ouverte la faillite d'un commerçant dont l'actif est insuffisant pour couvrir les frais de liquidation.
Il arrive donc, à Bruxelles par exemple, où le chiffre annuel de cette catégorie de faillites s'élève à cinquante environ, que les personnes désignées par le tribunal pour les liquider, non seulement accomplissent les formalités légales sans rémunération aucune, mais se voient en outre obligées de supporter personnellement 1,200 à 1,500 francs de frais de justice que personne ne peut leur restituer.
Cet état de choses n'est pas équitable ; il est, en outre, de nature à compromettre les intérêts des justiciables et la dignité de la justice.
Un conflit a même surgi à ce propos entre le parquet et le tribunal de commerce d'Anvers, qui hésitait, avec raison, à déclarer les faillites lorsqu'il était certain que l'actif était insuffisant pour couvrir les frais de liquidation.
En France, la procédure gratuite a été établie par l'article 461 de la loi du 28 mai 1838 sur les faillites.
Les inconvénients très graves qui résultent de l'absence d'une stipulation analogue dans la loi belge du 18 mai 1851 ont été développés dans mon dernier rapport sur les travaux du tribunal de commerce de Bruxelles.
Afin d'épargner les moments précieux de la Chambre, je m'abstiendrai de donner lecture de ces développements, qui ont été reproduits par le Moniteur du 25 octobre dernier. Je me bornerai simplement à les mentionner, en priant le gouvernement de présenter, dans un bref délai, à la législature un projet de loi décrétant le Pro Deo en matière de faillites.
Je me plais à croire que l'honorable ministre de la justice appréciera, comme moi, l'urgence et la convenance de la mesure que je crois devoir proposer, et je lui saurais gré de vouloir bien dire à la Chambre quelles sont ses intentions à cet égard.
M. Van Humbeeck. - Mon honorable collègue de la députation de Bruxelles vient de signaler à M. le ministre de la justice les imperfections de nos lois sur l'assistance judiciaire en matière de faillites. Ce n'est pas seulement dans la matière spéciale signalée par l'honorable membre que ces lois sont imparfaites ; leur ensemble appelle une réforme dont la nécessité a été démontrée dans cette Chambre, il y a plusieurs années déjà.
L'honorable M. Bara nous a même annoncé un jour qu'un projet de loi était préparé au département de la justice.
M. Bara. - Je l'ai fait.
M. Van Humbeeck. - Je crois donc que je puis engager M. le ministre de la justice à étudier le plus tôt possible cette question sur laquelle des projets ont été préparés par les administrations précédentes et à la soumettre dans un bref délai aux délibérations de la Chambre.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Un projet de loi sur cette matière existe en effet depuis 1857 ; il se trouve actuellement soumis à la commission de révision du code de procédure civile. Cette commission m'a annoncé dernièrement qu'elle s'occupe de l'élaboration du dernier livre de ce code, livre qui a précisément pour objet les procédures spéciales, au nombre desquelles figurent les matières de pro Deo.
L'affaire est-elle si urgente qu'il faille la détacher de ce projet ? C'est un point à examiner. Les honorables membres pourront, s'ils le jugent convenable, user à cet égard de leur droit d'initiative.
M. Kervyn de Lettenhove (pour un fait personnel. - Je suis étonné, en vérité, de la légèreté - je pourrais employer une autre expression - des attaques dont je suis chaque jour l’objet dans cette enceinte. Tout à l’heure, l’honorable M. Bara s’est élevé de la manière la plus sévère, la plus énergique, je dirai même la plus violente…
- Un membre. - La plus injuste.
M. Kervyn de Lettenhove. - Oui, la plus injuste, contre la conduite que j'aurais tenue dans l'affaire de Rochefort, afin d'entraver le développement de l'école primaire et d'assurer le succès de l'école des petits frères.
Eh bien, je viens de m'assurer, dans les bureaux du ministère de l'intérieur, que jamais je n'ai eu à intervenir dans cette affaire.
Vous savez, messieurs, quelles sont les dispositions de la loi de 1842. L'instruction n'est gratuite que pour les indigents. En ce qui concerne les enfants appartenant à des familles solvables, la rétribution scolaire est arrêtée par la députation permanente et le gouvernement n'a à s'en occuper que lorsqu'il existe un recours au Roi.
Or, dans l'espèce, aucun recours de ce genre n'a été formé et, par conséquent, le gouvernement n'a pas eu à statuer.
Savez-vous, messieurs, quelle a été mon intervention dans cette affaire de Rochefort ? Le conseil communal voulait supprimer l'école primaire, il voulait adopter l'école des frères : qu'ai-je fait ? Par une dépêche du 22 août 1871, j'ai fait connaître au gouverneur de la province de Namur que je ne pouvais pas permettre la suppression de l'école primaire.
Voici textuellement tes expressions dont je me suis servi :
«"J'ai l'honneur de vous infirmer qu'il n'y pas lieu d'autoriser le conseil communal à supprimer l'école primaire des garçons. »
J'ai donc maintenu l'école primaire malgré le conseil communal et c'est cette conduite que l'honorable M. Bara vient défigurer et dénaturer d'une manière que j'ai le droit de lui reprocher.
M. Bara. - Il faut réellement avoir bien peu le sentiment de ce que l'ancien ministère a fait dans l'affaire de Rochefort pour oser se servir du langage dont l'honorable membre vient d'user. M, Kervyn veut nous (page 524) persuader qu'il a été une providence pour l'enseignement public et laïque de Rochefort. C'est par trop fort !
Vous connaissez, messieurs, les faits. Eh bien, malgré toutes les réclamations parties de Rochefort, malgré les articles de journaux qui signalaient ces faits scandaleux pendant dix-huit mois, le ministère d'Anethan est resté dans l'inaction, et ce que l'honorable m. De Lantsheere a dit tout à l'heure est un blâme de la conduite de m. Kervyn.
Ce ministère a laissé les fonds de la fondation Jacquet aller à l'école des petits frères, et en même temps le conseil communal de Rochefort votait que la rétribution de l'école communale et de l'école moyenne serait de 8 francs pour l'école communale et de 10 francs pour l'école moyenne. Vous connaissiez ces faits et vous n'êtes pas intervenu.
C'était le moment d'agir, de dire au conseil communal de Rochefort : Vous allez plaider contre la commission provinciale, comme je le lui avais conseillé pour avoir l’argent qui revient à la caisse communale.
Vous aviez des moyens puissants d'intervention et vous n'en avez pas usé.
L'honorable M. Kervyn viendra après cela se vanter de sa sollicitude pour l'enseignement primaire de Rochefort.
Il a déplacé les professeurs de l'école moyenne qui déplaisaient au conseil communal ; il les a frappés sur un rapport de la gendarmerie. (Interruption.)
M. le président. - Messieurs, nous ne discutons pas les questions relatives au budget de l'intérieur. Nous nous occupons du budget de la justice.
M. Bara. - Quand un fait est invoqué au milieu d'un débat, il faut bien le discuter.
L'honorable M. Kervyn de Lettenhove m'accuse de l'avoir calomnié dans ses intentions et fait son propre éloge. Il prétend qu'il a tout fait pour l'enseignement à Rochefort ; il faut bien lui répondre.
Eh bien, je dis que vous avez frappé ces professeurs sur un rapport de la gendarmerie et tout le monde se rappelle la scène qui s'est passée dans cette enceinte. Vous étiez a bout d'arguments, vous ne saviez plus que dire, lorsque tout a coup vous vous levez et vous dites :
Eh bien, messieurs, dans mon bon cœur de ministre de l'intérieur, je ne voulais rien révéler, mais puisque l'on m'y force, je vais tout dénoncer.
Nous croyons que les professeurs avaient commis les faits les plus graves. Pas du tout. M. Kervyn tire de sa poche un rapport du brigadier de gendarmerie prétendant que ces professeurs restent trop tard au café. (Interruption.)
C'est bien là, messieurs, la scène du haut comique dont vous avez été témoins. Et c'est après ces faits que M. Kervyn viendra se poser en défenseur du personnel de l'enseignement primaire ! Mais vous et vos amis vous avez fait tout ce qui était humainement possible pour tuer les établissements publics de Rochefort. Vous n'avez pas voulu, dites-vous, de la transformation de l'école communale de Rochefort en une école de petits frères ; nous voudrions bien voir le dossier.
Vos amis vous ont probablement proposé l'adoption de l'école des petits frères, mais il est très possible aussi que, légalement, vous ne pouviez pas le faire. Ne venez donc pas nous dire que c'est de vous que nous avons à obtenir une résistance à la transformation des écoles communales laïques en écoles adoptées de petits frères.
Nous n'avons rien à attendre de vous, qui avez laissé détourner les fonds de la fondation Jacquet et qui les avez laissé distribuer clandestinement à des personnes qui n'y avaient pas droit ; vous avez laissé subsister cet abus alors que vous pouviez le faire disparaître. Vous êtes parti du pouvoir laissant à vos successeurs le soin de chercher à arranger cette affaire. Et lorsque j'ai soulevé cette question, quelle est la réponse qui m'a été faite ? On a dit qu'on ne pouvait rien faire, que c'était une affaire entre le gouvernement et l'honorable M. Wasseige. En 1869, il s'exprimait ainsi :
« Après la loi de 1864 sur les bourses d'étude, le gouvernement romain a pu croire que la fondation Jacquet ne serait plus administrée selon les intentions du fondateur et il a fait application de la condition qu'il avait imposée pour la mise en mainmorte d'une portion de son territoire ; il a décidé qu'il ne permettrait plus que les revenus fussent remis aux nouveaux administrateurs, craignant probablement de les voir distribuer d'une manière peu conforme à la volonté du fondateur. Cette crainte était-elle fondée ? Ici les appréciations peuvent différer. Si l'on me demandait la mienne, je le déclare, j'aurais été de l'avis du saint-père. »
Ainsi donc, d'après vous, il n'y avait pas lieu de faire des réclamations à Rome ?
M. Wasseige. - Ni d'après vous non plus.
M. Bara. - Ni d'après vous non plus, dites-vous. Seulement, l'honorable M. Wasseige parle de choses qu'il ne connaît pas, attendu que j'ai ici un document imprimé de la Chambre où mes réclamations se trouvent tout au long. J'ai réclamé, constamment réclamé et protesté ; M. le ministre des affaires étrangères a protesté contre le rescrit de 1866 qui confisque en quelque sorte la fondation Jacquet. Nous n'avions plus rien à faire ; nous ne pouvions déclarer la guerre au saint-siège.
Mais nous vous avons demandé si vous aviez fait quelque chose, et quand le pouvoir pontifical a disparu, pourquoi n'avez-vous pas réclamé auprès du gouvernement italien ?
Et au surplus, c'est à vous à vous expliquer avec M. le ministre de la justice, il dit, lui, qu'il y a quelque chose à faire, qu'il fera exécuter l'arrêté que j'ai pris. 1Il ne dit pas que le saint-père a eu raison.
Il dit qu'il fera son possible pour que force reste à la loi, qu'il fera exécuter l'arrêté qui a été pris en exécution de la loi. Eh bien, je dis que cette conduite, que M. le ministre se propose de tenir, est la condamnation de celle que vous avez tenue pendant les dix-huit mois que vous avez été au pouvoir, et qu'après de pareils faits, vous êtes bien mal venu à vous plaindre de ce que j'aurais dit que vous aviez approuvé l'augmentation du droit d'entrée à l'école primaire de Rochefort. Et quand vous teniez cette conduite, vous connaissiez les faits ; ils étaient dans les journaux. C'était le moment d'exercer une pression pour faire revenir en Belgique les biens de la fondation Jacquet, et vous ne l'avez pas fait.
Un honorable membre me fait remarquer que l'article 18 de la loi sur l'enseignement dit : « Le minerval est proposé par le bureau administratif et approuvé par le gouvernement. » Or, il en est de même de l'école moyenne, le droit de fréquentation a été fixé par vous à 10 francs.
- Un membre. - Il s'agit de l'école primaire.
M. Bara. - Oui, mais on a augmenté on même temps la rétribution pour l'école primaire et pour l'école moyenne, et quand vous avez porté le minerval à 10 francs, vous l'avez fait pour rendre la concurrence impossible aux établissements laïques.
M. Jacobs. - A la fin de son discours, M. Bara est revenu enfin au seul point en litige aujourd'hui et dont il a cherché constamment à détourner l'attention de la Chambre.
Qu'avait-il affirmé ? Se servant d'une expression qui devrait être bannie de nos débats, ii a prétendu que l'honorable M. Kervyn avait posé un acte odieux en permettant que la rétribution des élèves de l'école communale de Rochefort fût élevée à huit francs alors que les élèves de l'école rivale des petits frères ne payent rien et jouissent des bourses de la fondation Jacquet. (Interruption.)
Vous avez parlé de l'école primaire de Rochefort, l'école concurrente des petits frères.
Eh bien, il est certain, il est avéré que le gouvernement n'a pas eu à intervenir dans la fixation de cette rétribution en l'absence de recours contre l'arrêté de la députation permanente. La loyauté vous faisait un devoir de le reconnaître.
Nos débats gagneraient en dignité si, lorsqu'on s'est servi à tort d'expressions aussi fortes, on reconnaissait au moins franchement son erreur.
M. Bara. - J'ai dit que la conduite du gouvernement dont faisait partie M. Kervyn avait été odieuse et je le maintiens. Il était certainement odieux de priver l'école de Rochefort des revenus de la fondation Jacquet et de laisser en même temps augmenter les rétributions pour l'école primaire et pour l'école moyenne sans agir auprès de l'autorité communale.
J'ai dit à la Chambre : Voici ce qui se passe à Rochefort et c'est réellement odieux : d'un côté vous privez l'école de Rochefort de revenus qui lui appartiennent et de l'autre côté on augmente la rétribution scolaire de manière à rendre toute concurrence impossible entre l'école communale et l'école des petits frères, qui recevait les revenus. Je dis que c'est là un acte odieux. Et ici vous jetez par-dessus bord le conseil communal de Rochefort ; si vous prétendez que vous êtes étrangers à cet acte, vous blâmez, donc vos amis de Rochefort. (Interruption.)
Dans les renseignements que j'ai sous la main, il est dit que l'école primaire a été augmentée de 8 francs et l'école moyenne de 10 francs ; j'ai donc confondu l'école moyenne avec l'école primaire, mais qu'est-ce cela fait ? L'odieux est tout entier pour votre parti. Vous, ministère, voici votre part : Vous ne faisiez rien pour faire rentrer les fonds de la fondation Jacquet et vous augmentiez la rétribution scolaire pour l'école moyenne, et les cléricaux de Rochefort, pour aider les petits frères, fixaient à 8 francs le droit de fréquenter l'école communale.
Eh bien, ces actes sont odieux. Je le répète : la conduite de l'ancien (page 525) cabinet est condamnable ; elle a empêché des fonds appartenant à l'école primaire de Rochefort d'arriver à leur destination et elle a laissé passer ces fonds à l'école des petits frères.
M. le président. - La parole est à M. Kervyn de Lettenhove.
M. Kervyn de Lettenhove. - J'y renonce, M. le président.
M. Wasseige. - Messieurs, l'honorable M. Bara vient de me citer personnellement pour chercher à se donner le malin plaisir de mettre en contradiction la conduite de l'ancien cabinet, dont je faisais partie, avec les déclarations de l'honorable ministre de la justice relativement à l'affaire de Rochefort. Eh bien, il m'est impossible de lui laisser cette jouissance.
L'honorable membre confond deux situations complètement différentes, la situation de 1869, année où j'ai parlé ici de cette affaire, non pas comme ministre, mais comme député, et la situation de 1871 ; celle de 1871 n'a pas la moindre analogie avec celle de 1869.
Qu'ai-je dit, en 1869, en répondant à l'honorable M. Bara, alors ministre de la justice ?
« L'honorable ministre aura beau dire, il ne changera pas la nature des faits. Il est question, il est vrai, d'une fondation au profit d'habitants de la Belgique, mais il s'agit bien d'une fondation romaine, ayant été approuvée à Rome, là où seulement elle pouvait l'être, et composée d'immeubles situés à Rome.
« Les fonds destinés à cette fondation ne se composaient pas d'abord d'immeubles, c'étaient des bons sur une banque romaine. L'autorisation nécessaire pour pouvoir convertir ces bons en immeubles fut demandée au gouvernement romain par un parent de Mgr Jacquet et le gouvernement romain seul a eu le droit d'autoriser cette conversion. Il a donc permis que ces bons fussent convertis en immeubles, mais en accordant cette autorisation, il y a mis la condition que, si la fondation ne recevait pas la destination que la volonté du fondateur lui attribuait, il conserverait toujours le droit de reprendre l'administration de cette fondation et de la remettre a la congrégation des évêques et réguliers qui est instituée à Rome pour faire ce que les administrations de fondations pieuses ne font pas. Cette condition est d'ailleurs de droit dans la législation romaine.
« Voila la vérité des faits. »
La loi de 1864 a-t-elle pu faire craindre que l'argent de la fondation de Mgr Jacquet ne fût plus employé selon les intentions du fondateur, intention éminemment pieuse, puisqu'il voulait même que son école fût administrée et dirigée par un prêtre ? J'ai dit en 1869 que le gouvernement pontifical avait eu cette crainte et qu'il avait, selon la condition mise à son autorisation, substitué à votre commission provinciale la congrégation des évêques et réguliers, et que je trouvais qu'il avait agi prudemment. Cette appréciation, je la maintiens.
La situation est-elle encore la même aujourd'hui ? Nullement ; l'honorable M. Bara l'a déclaré lui-même.
En fait, le gouvernement à Rome a changé, et dans cette situation nouvelle, peut-être y a-t-il lieu d'ouvrir de nouvelles négociations ; je laisse ce soin à nos successeurs, c'est probablement ce que nous aurions fait nous-mêmes, si l'on nous en avait laissé le temps, mais dans la situation de 1869, M. Bara a déclaré lui-même qu'il n'y avait rien a faire. Voici les paroles qu'il a prononcées à cette époque :
« Quant au gouvernement, il ne peut pas faire plus que d'envoyer la commission provinciale des bourses en possession. C'est à elle de faire le nécessaire pour tâcher d'obtenir les fonds, mais il est évident que, dans l'état des choses, la commission provinciale des bourses n'aboutira à rien. Nous avons protesté, nous continuons à protester, c'est tout ce que nous pouvons faire. »
Il reconnaissait donc à cette époque qu'il était impossible de faire restituer à la commission provinciale les biens de la fondation Jacquet.
M. Bara. - Mais après la chute du gouvernement papal ?
M. Wasseige. - La question reste à examiner, c'est ce que je viens de dire d'accord avec l'honorable M. De Lantsheere.
Deux mots encore à propos de la menace adressée par M. Bara aux personnes qui ont, dit-il, reçu les fonds pour en faire un usage déterminé, mais toujours en faveur des jeunes gens de Rochefort et des écoles catholiques de la localité ; je. suis convaincu qu'il n'était pas possible aux personnes qui recevaient de la cour de Rome des fonds de la fondation Jacquet, d'en faire un autre usage que celui indiqué par la cour de Rome elle-même ; qu'elles ne pouvaient pas remettre ces fonds à la commission provinciale, qu'elles n'en avaient pas le droit et que, bien loin d'être exposées pour ces faits à des poursuites devant les tribunaux, toute autre conduite de leur part eût été un abus de confiance qui les aurait rendues justiciables de la juridiction correctionnelle ; qu'elles devaient, enfin, faire des fonds l'usage indiqué par la cour de Rome ou les lui remettre.
Ces honorables citoyens fussent-ils membres de la commission provinciale de Namur, ce que j'ignore, doivent s'inquiéter fort peu des menaces en l'air de l'honorable M. Bara. Si, par esprit de parti, on s'était montré trop tracassier dans cette affaire, que serait-il arrivé ? C'est qu'on aurait privé les jeunes gens de Rochefort des avantages de la fondation Jacquet, dont, paraît-il, ils ont joui jusqu'à présent.
La situation a changé aujourd'hui et de nouvelles négociations peuvent être utiles, indispensables même, car il n'est pas à espérer que le gouvernement italien fasse de l'argent de la fondation Jacquet le même usage qu'en faisait le gouvernement pontifical. Je le répète, en 1869, j'étais dans le vrai et je maintiens ce que j'ai dit alors.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Je dois réclamer contre une exagération que M. Bara a commise dans la chaleur d'une de ses improvisations.
Je maintiens les déclarations que j'ai faites au sujet de la fondation Jacquet ; mais M. Bara m'a attribué des paroles qui auraient été la condamnation des actes du gouvernement pontifical.
Une semblable condamnation est aussi éloignée de mon esprit que de mes sentiments. J'ai dit que je n'avais pas eu le temps d'étudier cette affaire très compliquée, de l'aveu de l'honorable M. Bara lui-même.
Je n'ai ni approuvé, ni improuvé ; je me suis borné à déclarer quelle est la conduite que je me propose de tenir si, contre mon attente, cette affaire ne pouvait recevoir une solution amiable.
- La discussion générale est close.
- Des membres. - A demain !
M. le président. - La Chambre a décidé de mettre en tête de l'ordre du jour de notre séance de demain la demande de grande naturalisation de MM. Carpentier de Changy ; viendraient ensuite l'interpellation de M. De Fré, les prompts rapports et les feuilletons de pétitions ordinaires.
- Adopté.
La séance est levée à 5 heures.