(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)
(Présidence de M. Thibaut, président.)
(page 502) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Hagemans donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le conseil communal de Veerle prie la Chambre de réviser la loi du 18 février 1815 sur le domicile de secours et spécialement de réduire à une année consécutive le temps nécessaire pour acquérir un nouveau domicile de secours. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Vanden Borre demande l'enseignement complet et obligatoire du flamand à l'école militaire et une mesure statuant que, dans les promotions d'officier au choix, la préférence sera donnée à ceux qui possèdent les deux langues. »
- Même renvoi.
« Le sieur de Croote prie la Chambre de statuer sur sa demande ayant pour objet la réparation d'une erreur judiciaire, et de lui faire restituer l'amende qu'il a dû payer en 1871. »
- Même renvoi.
« Les secrétaires et commis des parquets des cours d'appel demandent une augmentation de traitement. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.
« Des habitants de Bruxelles demandent que la loi consacre le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.
« Des habitants de la province de Hainaut proposent un projet modifiant les dispositions de la loi sur la chasse. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la chasse.
« Le sieur Coppin demande la traduction en flamand des Annales parlementaires, l'envoi gratuit de l'édition française ou flamande et la distribution des lois et des arrêtés royaux d'un intérêt général, ainsi que des projets de lois, à tous les électeurs qui en manifesteraient le désir, ou du moins qu'il leur soit distribué un compte rendu analytique des débats parlementaires en français et en flamand. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner la proposition de loi relative à la traduction flamande des Annales parlementaires.
« M. Lamot adresse à la Chambre 120 exemplaires d'une notice contenant des observations sur le nouveau projet de loi concernant la brasserie. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. de Lantsheere, ministre de la justice, présente un projet de loi portant augmentation du personnel des tribunaux de Bruxelles et de Nivelles.
- La Chambre ordonné, l'impression et la distribution de ce projet et le renvoie à l'examen des sections.
M. Bouvier. - Messieurs, les professeurs de l'enseignement moyen de l'Etat à Dinant ont adressé une requête à la Chambre dans laquelle ils se plaignent que, pendant près d'une année, ils n'ont pas reçu le traitement qui leur est dû par l'Etat. Je désirerais savoir quels sont les motifs pour lesquels le gouvernement laisse ces fonctionnaires dans la triste situation qu'ils dépeignent dans leur pétition.
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Messieurs, les membres du corps professoral de l'école moyenne de Dinant se plaignent de n'avoir touché jusqu'ici qu'une partie de leur traitement pour le 2ème trimestre de 1871 et de n'avoir rien reçu pour les 3ème et 4ème trimestres de la même année. Le fait est vrai, messieurs : il est donc incontestable que ces professeurs se plaignent avec raison.
La question est de savoir à qui incombe la responsabilité de cette situation déplorable. Je puis déclarer à la Chambre qu'aucun reproche ne peut être adressé de ce chef au gouvernement, et il me sera facile de le prouver immédiatement.
Le budget des recettes de l'école moyenne de Dinant comprend :
1° Le subside ordinaire de l'Etat : fr. 4,000.
2° Le subside extraordinaire de l'Etat, pour suppléments de traitements, etc. : fr. 3,350.
3° Le subside communal : fr. 3,100.
4° Le produit des rétributions scolaires : fr. 2,380.
Total : fr. 12,830.
Les 4,000 francs de subside ordinaire de l'Etat ont été liquidés dans le courant du mois de mars 1871. Quant au subside extraordinaire de 3,350 francs, la première moitié en a été liquidée au mois de juin 1871, et la deuxième moitié, au mois de juillet suivant.
Le gouvernement a donc transmis en temps utile, et même anticipativement, au bureau administratif de l'école moyenne de Dinant, tous les subsides qu'il était tenu de lui fournir; ainsi le département de l'intérieur, loin d'être en faute ou en retard de fournir sa subvention, a, au contraire, voulu en accélérer la liquidation dans l'intérêt du corps professoral.
Mais, messieurs, il n'en a pas été de même de la part de la ville de Dinant, comme vous allez le voir, et de son côté, le bureau administratif de l'école a fait preuve aussi de la plus inexplicable négligence dans cette affaire.
Au mois de septembre 1870, le secrétaire-trésorier de l'école vient à mourir ; le bureau administratif n'informe pas l'administration centrale de ce décès, et celle-ci n'en reçoit connaissance que par les demandes des personnes qui sollicitaient la place devenue vacante.
Pourquoi ce silence ?
Ce n'est que le 21 janvier Î87i que le ministre est saisi directement d'une lettre émanant du directeur de l'école moyenne ; el voici ce qu'on lit dans la lettre du directeur :
« Depuis mon arrivée à Dinant, en octobre 1860, j'ai toujours constaté que les membres du corps enseignant de l'école moyenne éprouvaient beaucoup de difficulté à se faire payer le montant de leur traitement... »
Voilà donc ce que le gouvernement apprend par le directeur même de l'école moyenne le 21 janvier 1871 et il apprend en même temps que les traitements du quatrième trimestre 1870 n'ont pas été payés intégralement.
Eh bien, messieurs, dès ce moment, plus un instant ne fut perdu par l'administration, pas une mesure ne fut négligée en vue d'obtenir du bureau administratif des éclaircissements sur la situation financière de l'établissement, telle que l'avait laissée le secrétaire-trésorier défunt. Ces éclaircissements furent en vain réclamés, il faut bien le dire, et, à (page 503) l'heure où je vous parle, il ne sont pas encore fournis ni d'une manière complète, ni d'une manière précise.
Et pour que la Chambre puisse bien se rendre compte de tout ce qui s'est passé dans cette affaire, je me permettrai de lui rappeler les diverses pièces qui émanent de mon prédécesseur et ensuite ce que j'ai fait moi-même depuis mon entrée au département de l'intérieur.
Le 27 janvier 1871, le ministre demande des explications à l'occasion de la lettre du 21 janvier 1871 dont j'ai eu l'honneur de parler tantôt.
Le 17 février suivant, M. le gouverneur de Namur transmet une réponse de laquelle il résulte que le retard dans le payement des professeurs provient d'un déficit laissé dans la caisse de l'ancien trésorier, décédé en septembre 1870.
Ici, messieurs, permettez-moi une parenthèse : il existe donc un déficit, tout le monde le reconnaît ; mais quel est le montant de ce déficit ? Eh bien, chose extraordinaire, nous n'avons pas pu le savoir encore jusqu'à présent.
Au mois d'avril 1871, une dépêche ministérielle invite M. le président du bureau administratif de l'école à envoyer au département un compte de clerc-à-maître établissant la situation entre le nouveau secrétaire-trésorier et les héritiers de l'ancien ; des rappels réitérés sont adressés, et malgré toutes les instances, on n'obtient aucun renseignement positif.
Le 2 juin, de nouvelles et vives instances sont faites encore par l'intermédiaire de M. le gouverneur; on demande compte de l'emploi qui a été fait des subsides alloués par l'Etat pour l'exercice 1871 et émis payables depuis le mois de mars, ainsi qu'une situation exacte avec toutes les pièces probantes à l'appui.
Eh bien, à cette demande d'explications rien encore de précis.
Le 2 septembre, mon honorable prédécesseur établit dans une nouvelle lettre que si la ville de Dinant avait versé le montant des subsides qu'elle devait, les professeurs auraient pu être payés intégralement. Il indique même plusieurs moyens auxquels il sera obligé de recourir si la ville ne s'exécute pas.
Parmi ces moyens figure celui que fournit l'article 117 de la loi communale. Mais pour que la députation permanente du conseil provincial puisse faire mandater d'office, en vertu de cette disposition, il faut que le conseil communal ait été entendu, car la loi le veut ainsi.
Or, ce n'est que le 1er février de cette année que, pour la première fois, le conseil communal s'occupe de l'affaire de l'école moyenne.
Enfin, le 7 décembre, mon honorable prédécesseur insiste une dernière fois auprès de M. le gouverneur pour que la ville soit mise en demeure de verser le montant de sa subvention pour 1871 et pour une partie de 1870. il signale aussi quelques erreurs et omissions qui se sont trouvées dans les explications fournies jusqu'à ce moment au département de l'intérieur par la ville.
Voilà, messieurs, ce qui existait au moment où je suis arrivé au département de l'intérieur. Vous voyez que mon honorable prédécesseur avait pris des mesures importantes, en exigeant que le nouveau trésorier rédigeât un compte de clerc-à-maître et en chargeant M. le gouverneur de recourir à l'application de l'article 117 de la loi communale, c'est-à-dire à un ordonnancement d'office de la dépense.
Une des premières affaires qui me furent soumises fut la réclamation des professeurs de l'école moyenne de Dinant. J'eus connaissance de la réclamation par la pétition que ces honorables fonctionnaires avaient adressée à la Chambre. Je renvoyai la pétition à l'examen des bureaux du département de l'intérieur, le 10 décembre 1871, et le 20 du même mois je rappelai à M. le gouverneur de Namur la dépêche de mon prédécesseur du 7 décembre.
Ma lettre fut transmise, par M. le gouverneur, le 27 décembre, au bureau administratif, avec une demande de réponse par retour du courrier. Cette réponse se fit attendre ; et, en présence du silence que gardait l'administration communale de Dinant, je fus obligé de faire une lettre de rappel, de me plaindre du retard qu'éprouvait cette affaire et d'insister de nouveau sur la nécessité de mettre à exécution les mesures prescrites par la dépêche du 7 décembre.
Le 22 janvier, M. le gouverneur fait remarquer au département de l'intérieur qu'avant d'appliquer l'article 117 de la loi communale, il faut entendre le conseil communal et il m'informe que M. le bourgmestre est invité à convoquer d'urgence le conseil et à lui transmettre immédiatement la résolution du conseil communal.
Une lettre du 26 janvier établit la situation de la ville vis-à-vis de l'école moyenne ; mais le conseil communal ne fut appelé à s'en occuper que le 1er février, comme je l'ai dit tantôt.
En transmettant la décision du conseil communal à l'administration centrale, M. le gouverneur fit connaître que la ville s'engageait à liquider immédiatement les suppléments de ses subsides pour 1870 et 1871, à la condition d'être libérée entièrement envers le gouvernement jusqu'à la fin de 1871.
Je ne pouvais accepter cette réserve, qui avait pour conséquence de faire retomber sur le gouvernement la responsabilité du déficit qui existait dans la caisse du trésorier, question de droit sérieuse qui exigeait un examen approfondi ; et le 7 février, j'ai invité la commune à payer l'intégralité des sommes accordées au budget de l'école, sauf règlement du compte ultérieur ; dans cette même lettre, j'ai fait remarquer que l'administration avait le devoir et l'obligation de vérifier les dépenses, attendu qu'aux termes de l'article 13 de la loi du 1er juin 1850, les comptes des athénées et des écoles moyennes ne sont arrêtés par le gouvernement qu'après avoir été soumis à l'avis du conseil communal.
C'est le 4 février seulement que M. le gouverneur a pu transmettre au département de l'intérieur les explications du collège ; celui-ci prétend que la ville de Dinant ne doit à la caisse de l'école moyenne qu'une somme de 678 francs et quelques centimes.
En présence de celte situation inextricable, je me suis décidé à envoyer un commissaire spécial, chargé de constater quelles sont les sommes qui restent dues aux membres du personnel enseignant et d'établir quels versements la ville aurait encore à faire pour le service de l'école du chef des exercices antérieurs.
Le commissaire est porteur d'un mandat de 4,000 francs, montant du subside ordinaire de l'Etat pour 1872, qui doit servir à acquitter les traitements encore dus pour 1871. J’annonce que j'allouerai un crédit supplémentaire extraordinaire égal à la part du subside ordinaire de 1872 qui aura dû servir à combler les déficits antérieurs, sous réserve des droits éventuels de l'Etat au remboursement de ladite part.
La comptabilité des secrétaires-trésoriers des athénées et des écoles moyennes demande à être réglée. C'est ce qui m'a engagé, messieurs, à soumettre à la signature du Roi un règlement général sur la matière. Il porte la date du 9 janvier. L'article 11 de ce règlement autorise le ministre de l'intérieur à faire dresser d'office l'état de la caisse par un fonctionnaire spécial qu'il désigne.
J'ose espérer que ces explications satisferont la Chambre.
Demain, le commissaire spécial sera sur les lieux ; M. le bourgmestre en est informé.
Dans quelques jours, nous connaîtrons quel est le déficit de la caisse du trésorier; nous saurons si la ville de Dinant a, comme le gouvernement, satisfait à toutes ses obligations ; nous connaîtrons enfin les causes qui ont empêché le payement du traitement des professeurs, et le gouvernement sera à même de prendre les mesures que la situation réclame.
M. Bouvier. - Messieurs, d'après les explications que vous venez d'entendre, MM. les professeurs de l'école moyenne de l'Etat à Dinant ont eu raison de se plaindre.
C'est par ces mots que M. le ministre a commencé et terminé son discours. Il prétend que le gouvernement n'a eu aucun reproche à se faire ; il a cependant jugé convenable de dépêcher à Dinant, sous la date d'hier, un commissaire spécial et de le munir d'un mandat pour payer les professeurs. Ce résultat est dû sans doute à l'annonce de l'interpellation à laquelle l'honorable ministre vient de répondre.
Messieurs, les détails dans lesquels il vient d'entrer ne sont pas conformes à ceux qui se trouvent indiqués dans la pétition que les professeurs ont adressée à la Chambre. Pour contrôler ces détails, il est indispensable de vous faire connaître la situation de l'enseignement à Dinant.
Il y a, dans celle ville, trois établissements d'instruction publique : l'école communale, l'école moyenne de l'Etat, puis un établissement épiscopal.
- Un membre. - C'est cela. Vous allez voir!
M. Bouvier. - Le collège épiscopal fait une guerre sourde aux deux établissements rivaux, d'abord à l'école communale, école qui marche parfaitement bien, renfermant 67 internes, école où l'enseignement religieux ne laisse rien à désirer, puisque deux fois par semaine on conduit les élèves à la messe et aux vêpres. J'espère que vous ne pouvez méconnaître qu'il est orthodoxe... (interruption) conforme aux vœux et aux désirs des membres composant la droite.
M. David. - Ce n'est pas encore assez.
M. Bouvier. - Non, cela ne suffisait pas, parce que le but poursuivi par les adversaires de cette école, qui possède la légitime confiance des pères de famille, c'était sa suppression.
(page 504) En effet, une proposition est faite dans ce sens par un membre de la minorité du conseil communal de Dinant. La majorité l'a repoussée avec une louable énergie. Le collège épiscopal échoue donc dans cette odieuse tentative, mais il n'en reste pas là, il dresse ses batteries et déploie ses efforts contre l'école moyenne de l'Etat, qu'il a le plus grand désir de faire tomber. C'était assez difficile parce qu'il y a une loi qui détermine le nombre des écoles moyennes de l'Etat, mais, comme la fin justifie les moyens, les adversaires de cet établissement ont inventé un stratagème qui est souvent employé par les généraux et qui leur réussit quelquefois : c'est d'affamer le corps professoral.
Je vais vous le prouver.
Le trésorier, comme M. le ministre de l'intérieur vient de le dire, meurt au mois de septembre 1870. Par suite de cette circonstance, les professeurs ne reçoivent pas le traitement du dernier trimestre de cette année. Que font-ils ? Comme ils ne sont pas riches, et qu'ils sont en général très mal rétribués, le directeur adresse une réclamation au bureau administratif et au département de l'intérieur. Pas de réponse. Il se rend à Bruxelles au mois de janvier suivant, mais sans succès. Il repart pour Dinant comme il en est parti, sans argent.
Depuis le mois de janvier jusqu'au mois de juillet, cinq réclamations successives sont adressées au chef du département de l'intérieur, l'honorable M. Kervyn. Pas plus de réponse qu'auparavant. On dirait vraiment qu'il y a un parti pris par ce ministre pour repousser la juste demande de nos professeurs. Cela vous paraît étrange ; il s'agit cependant d'une question très simple : payer le traitement de fonctionnaires de l'Etat. Mais on ne voulait rien comprendre au département de l'intérieur ; pourquoi ? Parce qu'il y avait du jésuitisme là-dessous... (interruption) ; du jésuitisme, je répète le mot.
Au mois de juillet, vous l'avez dit vous-même, M. le ministre le reconnaît d'ailleurs, un des régents de l'école se rend à Bruxelles pour solliciter de nouveau le payement des traitements. Vains efforts ! Démarche inutile ! Rien ne put vaincre la froide obstination du ministre.
Enfin, les professeurs, réduits à la dernière extrémité et trouvant que l'épreuve avait duré assez longtemps, résolurent de demander à M. Kervyn une audience collective. Vous allez croire que le ministre, qui a toujours sur ses lèvres les paroles les plus mielleuses pour démontrer son amour et son zèle pour tout ce qui a trait à l'enseignement, va s'empresser de satisfaire à la demande de MM. les professeurs.
Il n'en est rien, l'audience est formellement refusée, et s'il m'est permis de rappeler une expression dont s'est servi un honorable membre de la députation de Gand, il a « envoyé promener » les fonctionnaires de l'Etat.
M. Kervyn de Lettenhove. - De qui parlez-vous ?
M. Bouvier. - De vous ; c'est vous qui n'avez pas voulu les recevoir.
M. Kervyn de Lettenhove. - Cela n'est pas exact.
M. Bouvier. - J'ai une pièce qui le démontre.
- Un membre. - C'est une pièce de comédie.
M. Bouvier. - Vous appelez cela de la comédie : la tentative des jésuites de confisquer ou plutôt de supprimer un établissement d'instruction publique de l'Etat dans l'unique but de favoriser le leur !
Moi, j'appelle cela une situation très grave et très compromettante pour l'avenir de l'enseignement laïque en Belgique, et je vous demande, M. Kervyn, quels sont donc les comédiens qui jouent une pareille comédie?
Ah ! vous ne les connaissez que trop !
Voici le texte du document auquel je fais allusion :
« Enfin ils (les professeurs) sollicitèrent, pour soumettre à M. le ministre de l'intérieur (M. Kervyn) leur triste situation et leur détresse, une audience collective qui leur fut refusée par dépêche ministérielle, parce que, dit le ministre, cette situation m'est connue, elle est prise vivement à cœur par l'administration centrale, qui s'occupe de la faire cesser le plus tôt possible. »
M. Kervyn de Lettenhove. - C'est vrai.
M. Bouvier. - Donc, j'ai raison.
Je suis heureux de cet aveu qui établit que mon assertion était très exacte...
M. Kervyn de Lettenhove. - Quelle est cette pièce ?
M. Bouvier. - C'est la pétition que les professeurs de l'école moyenne de Dinant ont adressée à la Chambre le 31 décembre 1871, pétition qui est déposée sur le bureau et que tous les journaux libéraux du pays ont insérée dans leurs colonnes.
Ainsi donc l'honorable ministre de l'intérieur d'alors refuse cette audience...
M. Kervyn de Lettenhove. - Pas le moins du monde.
M. Bouvier. - Votre dépêche est là qui prouve le contraire. Au reste, vous venez de le dire vous-même.
Vous croyez, messieurs, que cette situation va prendre fin, qu'en présence de cette vive sollicitude de la part de l'honorable ministre de l'intérieur, le traitement va être payé aux professeurs ? Pas le moins du monde. La situation est telle, et M. le ministre de l'intérieur actuel vient de vous le dire, qu'il a dû envoyer un commissaire spécial avec un mandat pour payer le traitement.
Il était indispensable de prendre une pareille mesure, car depuis un an tous ces professeurs, qui n'avaient que leur traitement pour vivre, ont dû avoir recours au crédit et à l'emprunt ; un des régents a été poursuivi et placé sous le coup d'une saisie mobilière par un fournisseur qui voulait être payé ; c'est grâce à l'intervention de ses collègues, qui ont répondu de la dette, que son mobilier n'a pas été vendu à l'encan par autorité de justice.
Voilà en quelles mains réactionnaires se trouve livré l'enseignement de l'Etat en Belgique !
Les faits que je viens de signaler à l'attention de la Chambre indiquent la préoccupation du gouvernement pour ruiner cet enseignement au profit des établissements épiscopaux, je ne veux pas dire ouvertement, mais à l'aide de moyens que je laisse au parlement le soin de qualifier.
En terminant, je ne dois pas hésiter à me montrer satisfait d'entendre que la situation pénible faite aux professeurs de l'école moyenne de Dinant va avoir une fin ; c'est grâce à la pétition qu'ils ont adressée à la Chambre et grâce aussi à la presse qui s'est occupée de leurs doléances, que nous avons obtenu ce résultat.
Mais il est vraiment fâcheux que, dans notre pays, des professeurs de l'enseignement moyen de l'Etat aient dû attendre pendant toute une année le payement de leur traitement.
L'honorable ministre de l'intérieur de l’époque a réellement prêté la main à des faits que je considère comme déplorables, car il importe avant tout que l'enseignement des jésuites ne soit pas substitué à l'enseignement laïque et c'est vers ce but que tendaient tous les efforts du ministre qui occupait le pouvoir avant l'honorable M. Delcour.
M. Kervyn de Lettenhove. - II y a déjà plus de deux mois que je n'ai vu le dossier de cette affaire, et je n'ai pas même le temps de relire la note que vient de me remettre M. le ministre de l'intérieur.
Mais je suis certain de ne pas me tromper; j'ai reçu une députation de l'école moyenne de Dinant ; j’ai protesté de l'intention la plus ferme, la plus énergique du gouvernement de mettre un ternie à l'état de choses qui m'était signalé. Mais quel était le coupable ? C'était le trésorier qui avait laissé une gestion irrégulière, et, si mes souvenirs sont exacts, un déficit considérable dans sa caisse. (Interruption à droite.)
Et je crois que ce trésorier n'était pas un de ces agents cléricaux qui cherchaient par des moyens jésuitiques à faire triompher un établissement privé au préjudice de l'école moyenne de Dinant.
M. Bouvier. - C'est une méchante insinuation.
M. Kervyn de Lettenhove. - M. Bouvier a donné l'exemple des insinuations.
J'ajoute qu'il y avait à côté de cela deux autres responsabilités engagées : celle du bureau administratif et celle du collège communal de Dinant.
Ce qui est conforme à la vérité des faits, c'est qu'à diverses reprises j'ai vivement insisté auprès du bureau administratif el du collège communal jusqu'au moment où il a fallu que mon honorable successeur eût recours à l'envoi d'un commissaire spécial. (Interruption.)
Et pourquoi cette mesure est-elle devenue nécessaire ? Parce que nous ne pouvions pas obtenir du bureau administratif les explications que nous réclamions ; parce que l'autorité communale de Dinant se refusait à remplir vis-à-vis de l'école moyenne les engagements pécuniaires auxquels elle était tenue.
Quant au gouvernement, il n'a manqué en rien à son devoir. Mon honorable successeur le rappelait tout à l'heure ; au mois de juin, le gouvernement a mis à la disposition de l'école moyenne de Dinant le subside du premier semestre, et dès le mois de juillet suivant, par anticipation, dans l'intérêt des professeurs, le gouvernement mettait de nouveau à la disposition de l'école moyenne le deuxième semestre de 1871.
Mon honorable successeur a du reste analysé toute la correspondance administrative, et la note que j'ai sous les yeux pourrait donner à la Chambre la preuve qu'il ne s'est pas passé, depuis le moment où les faits m'ont (page 505) été signalés, un mois, une période de quelque durée où j'aie cessé d'insister le plus vivement, même à l'aide de menaces, même en recourant à tous les moyens que la loi mettait à ma disposition, pour faire cesser un état de choses que j'étais le premier à condamner et à déplorer.
M. Bouvier. - Je n'ai qu'un mot à répondre à l'honorable préopinant ; c'est qu’il a fallu l'arrivée de M. Delcour au pouvoir (interruption) et j'ajoute l'envoi d'une pétition à la Chambre pour que la situation déplorable que j'ai signalée pût avoir un terme.
Pendant une année entière l'honorable ministre auquel je réponds a été sollicité de toutes les façons pour faire cesser la situation qu'il vient de caractériser dans les termes les plus énergiques et les plus éloquents.
Il pouvait la faire disparaître. Il ne l'a pas voulu ; on sait le motif qui a dicté sa conduite : il a plus à cœur l'enseignement épiscopal que l'enseignement laïque.
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Comme vient de le dire l'honorable M. Bouvier, il y a, à Dinant, trois établissements d'instruction publique : le collège communal, l'école moyenne et le collège épiscopal. Je ne pense pas que nous ayons à nous occuper du collège épiscopal, qui est un établissement libre : il ne s'agit que des établissements relevant de l'Etat ou de la commune.
J'ai parlé tout à l'heure de l'école moyenne; j'ai donné, je l'espère du moins, des explications assez complètes pour répondre au désir de la Chambre.
Je dois dire cependant à l'honorable M. Bouvier qu'il m'attribue un honneur que je ne puis revendiquer. La Chambre pourrait s'assurer par les pièces qui émanent de mon honorable prédécesseur que M. Kervyn n'a rien négligé pour mettre un terme aux plaintes des professeurs.
M. l'inspecteur Vinçotte, chargé de visiter l'école moyenne de Dinant, s'est exprimé en ces termes dans un rapport en date du 7 mars 1871 :
« Le bureau administratif n'a pas encore fait percevoir le montant des rétributions scolaires pour le quatrième trimestre de 1870 ni pour le premier trimestre de 1871. »
Il faut savoir qu'à cette époque les fonctions de trésorier étaient provisoirement remplies par le secrétaire communal. Or, le 20 mars déjà, M. le gouverneur était prié par mon prédécesseur de faire percevoir le montant des rétributions scolaires dont le produit devait servir à payer les traitements arriérés, et l'honorable M. Kervyn demandait que la ville fît, sur son subside, les avances nécessaires, sauf règlement ultérieur par l'Etat.
On ne pouvait apporter plus de célérité à mettre un terme à de légitimes plaintes. Il n'est point douteux que, si la ville de Dinant avait déféré aux instructions qui lui étaient données, les traitements des professeurs eussent été payés au moins en partie. C'est au retard apporté par l'administration communale à fournir toute la subvention de la ville, qu'est due, en partie, la situation fâcheuse que je déplore avec l'honorable M. Bouvier.
Maintenant, messieurs, permettez-moi de dire un mot du collège communal. Il semblerait, d'après l'honorable M. Bouvier, que le gouvernement cherche à en faciliter la suppression afin de favoriser le collège épiscopal établi à Dinant.
D'abord tout cela n'entre pas dans les attributions du gouvernement. C'est à l'administration communale de Dinant qu'il appartient de statuer sur cette question, sauf l'intervention ultérieure du gouvernement, s'il y a lieu.
Mais je désire même que vous puissiez apprécier la conduite du gouvernement en ce qui concerne le collège communal, et voici, messieurs, quelques chiffres qui intéresseront la Chambre à ce sujet.
L'Etat accorde, non pas à l'école moyenne qui n'est plus en cause, mais au collège communal, un subside ordinaire de 8,000 francs, et, en sus, un subside extraordinaire de 2,475 francs pour augmentations de traitement, etc.
Le premier trimestre du subside ordinaire a été liquidé en avril 1871 ; le deuxième l'a été en juillet de la même année.
Quant au subside extraordinaire, il ne pourra être liquidé que lorsque la ville aura fourni les comptes pour 1870, comptes qui ont été vainement réclamés à diverses reprises, nouvelle preuve de négligence, vous le voyez, de la part de la ville.
Le gouvernement, messieurs, a satisfait à toutes ses obligations. Il a mis à la disposition de la ville tous les subsides qu'il devait lui fournir aussi bien pour le collège communal que pour l'école moyenne, et si, on définitive, il y a eu un retard dans le payement des professeurs de l'enseignement à Dinant, rien dans ce fait n'est imputable au gouvernement et la responsabilité en retombe tout entière sur la ville et sur le bureau administratif, comme je le disais tout à l'heure.
- L'incident est clos.
M. Vleminckx (pour une motion d’ordre). - Messieurs, la discussion du budget de la justice me fournit naturellement l'occasion de produire devant la Chambre une motion que j'avais l'intention de faire depuis longtemps.
Lorsque l'honorable M. Bara annonça à la Chambre qu'il allait faire une interpellation au gouvernement sur la nomination de M. De Decker au poste de gouverneur du Limbourg, l'honorable M. Dumortier lança contre les magistrats du tribunal de première instance de Bruxelles une accusation excessivement grave.
Il me suffira de vous rappeler les paroles qu'il a prononcées pour vous la faire apprécier.
J'ai entendu dire que chez l'honorable M. De Decker on est allé à ce point qu'on a scié son coffre-fort en fer. Chez l'honorable M. Nothomb, on est arrivé avec des crochets pour crocheter tout ce qu'il y avait dans la maison (interruption) sans la présence du juge d'instruction.
Je demande que, pour la séance de mercredi prochain, M. le ministre de la justice nous fasse un rapport sur les faits que je viens de dénoncer à la Chambre et qui sont d'une autre gravité que la nomination du nouveau gouverneur du Limbourg.
Il y a encore dans le discours de l'honorable membre d'autres accusations, et vous savez, messieurs, dans quels termes M. Dumortier s'exprime lorsqu'il est en proie à une certaine irritation. Une discussion assez vive suivit cette interpellation et elle finit par cette déclaration de M. Cornesse, alors ministre de la justice :
« Ce n'est pas sur des bruits qui peuvent circuler sur les bancs de la Chambre que je veux me former une opinion ; je ferai donc droit aux observations de M. Dumortier. Je demanderai des renseignements officiels, je les communiquerai à la Chambre, et alors que chacun fasse son devoir. »
Eh bien, messieurs, je demande, pour que chacun fasse son devoir, que ces renseignements soient communiqués à la Chambre. Je demande que tous les rapports qui ont dû être faits au département de la justice par l'autorité judiciaire nous soient produits, conformément à la promesse faite par l'ancien cabinet.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Messieurs, je ne connais pas les rapports dont vient de parler l'honorable M. Vleminckx. Je les demanderai au département et j'aurai l'honneur de les communiquer à la Chambre s'ils existent.
M. Bara. - L'ancien cabinet doit savoir s'ils existent.
M. Vleminckx. - Il n'est pas possible que ces documents n'existent pas.
L'honorable M. Cornesse a assurément tenu sa promesse quant à la demande d'enquête et il n'est pas possible que le parquet n'ait pas répondu à sa question.
M. Cornesse. - L'ancien ministre de la justice n'a pas en ce moment à sa disposition le dossier dont il s'agit et ne peut par conséquent le soumettre à la Chambre.
Mais des renseignements ont été réclamés à l'autorité judiciaire ; ces renseignements doivent se trouver au département de la justice et quant à moi, je ne désire rien tant que de les voir produire devant la Chambre parce que ce que j'ai cherché dans cette affaire c'est uniquement la manifestation de la vérité, absolument rien autre chose.
M. Bara. - Ces renseignements existent ; il n'y a pas l'ombre d'un doute à cet égard. M. Simons, alors procureur général à la cour d'appel de Bruxelles, à qui les renseignements ont été demandés a, dans une lettre qu'il a publiée, déclaré qu'il avait envoyé des rapports au ministre de la justice.
M. le ministre de la justice avait promis de nous communiquer ces rapports tout de suite. Il ne l'a pas fait. Il a laissé pendant très longtemps les attaques de l'honorable M. Dumortier persister contre le parquet de Bruxelles. L'honorable ministre de la justice avait les rapports en sa possession depuis longtemps, ainsi que l'atteste la déclaration de M. Simons el il ne les a pas déposés. Je demande que le gouvernement vienne rendre au parquet de Bruxelles, s'il y a lieu, la réparation que M. le ministre de la justice d'alors promettait, si les faits qui avaient été signalés n'étaient pas conformes à la vérité.
- L'incident est clos.
La discussion générale continue.
M. Defuisseaux. - Messieurs, je viens reprendre l'idée émise hier (page 506) par l'honorable M. de Moerman d'Harlebeke, consistant à demander à M. le ministre de la justice de présenter prochainement à la Chambre un projet de loi allouant des dommages-intérêts aux victimes des erreurs judiciaires et notamment aux victimes de la détention préventive.
Cette idée est tellement rationnelle que je ne crois pas devoir la développer plus longuement. Si je la rappelle en ce moment, c'est pour faire voir à M. le ministre qu'aussi bien sur les bancs de la gauche que sur les bancs de la droite cette idée ne rencontre que des approbations.
Comme corollaire à ce principe d'indemnité, je demande à M. le ministre de la justice d'étudier aussi la question de savoir s'il n'y a pas lieu de restreindre les pouvoirs si exorbitants des juges d'instruction et des procureurs du roi. Vous le savez, ces magistrats sont investis de droits immenses et par cela même souvent dangereux, ils peuvent à tout instant disposer de la liberté et souvent de l'honneur de leurs concitoyens et en admettant chez eux la plus grande impartialité, leurs erreurs ne sont souvent pas moins fatales que ne le serait leur injustice.
Je crois donc qu'on pourrait, sans danger pour la société, restreindre leurs pouvoirs et, dans le même ordre d'idées, étendre les droits des accusés.
Je m'explique.
Dès que l'action est intentée contre un citoyen, je voudrais qu'il pût immédiatement se défendre, se faire assister d'un conseil. Du jour où la société attaque un de ses membres, il a le droit de lui répondre ; il est en état de légitime défense. L'avocat doit pouvoir paraître dans le cabinet du juge d'instruction pour défendre, au même titre et en même temps que le procureur du roi pour accuser.
En présence du droit exorbitant, au-dessus du droit commun, que possèdent les juges d'instruction et le procureur du roi, droit qui va jusqu'à l'injure, comme cela résulte d'un jugement récent du tribunal de simple police de Bruxelles, il est réellement inouï de refuser au prévenu le droit de se faire assister d'un conseil.
Dans l'état actuel de notre législation, si le prévenu est intelligent, il saura bien se défendre ; s'il ne l'est pas, il compromettra, dès le début, sa cause et de cette mauvaise défense initiale dépendra souvent l'issue du procès.
Or, la justice ne doit pas établir de distinction entre les accusés intelligents ou inintelligents, mais seulement entre les accusés coupables et les accusés innocents. Voila l'égalité réelle devant la loi, que la présence de l'avocat, dès que l'accusé le demande, peut seule établir.
J'aborde un autre sujet.
Je pense, messieurs, que le ministère public ne devrait pas avoir, en cas d'acquittement, le droit d'appel en matière correctionnelle. Lorsqu'un citoyen a été acquitté en première instance et condamné en appel, tout le monde doit se demander lequel, du juge de première instance ou du juge d'appel, s'est trompé.
En ce cas, le prévenu n'est pas complètement condamné ni complètement acquitté ; vous avez confiante dans les magistrats de première instance comme vous avez confiance dans les magistrats d'appel. La supposition d'une science supérieure chez le magistrat de la cour d'appel n'existe pas dans l'espèce, car il s'agit d'une question de fait qui peut être appréciée tout aussi sainement par le juge de première instance que par le conseiller de la cour d'appel.
Je le répète : aux yeux de l'opinion, être acquitté par un tribunal et condamné par un autre pour le même fait, c'est n'être ni innocent ni coupable.
Cette situation est fausse, elle atteint celui qui en est victime et elle atteint le prestige de la justice même qui s'est déjugée.
Il n'est pas possible de maintenir cette législation et je vais le prouver d'une façon encore plus certaine.
Je suppose (et le cas s'est présenté) un prévenu acquitté à l'unanimité des trois juges qui ont apprécié sa conduite en première instance.
Le ministère public intente l'appel. A la cour il se trouve deux magistrats qui croient à l'innocence du prévenu, et les trois autres qui croient à sa culpabilité. Donc sur un total de huit juges, cinq se sont prononcés pour l'acquittement, et trois pour la condamnation. Et quel est cependant le résultat ? C'est la condamnation du prévenu.
Cela froisse non seulement tons les sentiments de justice et d'honnêteté, mais l’économie générale de notre législation. En effet, devant le jury, a parité de voix, l'acquittement est prononcé. .
Il est donc évident qu'à quelque point de vue que nous nous placions, on doit refuser au ministère public le droit d'appel, lorsqu'il y a eu acquittement.
Messieurs, je bornerai là mes observations. J'ai l'espoir que M. le ministre de la justice déposera dans un bref délai sur le bureau des projets de lois de nature à faire droit aux vœux que nous avons exprimés.
(page 507) a href='/personne/CornesseP/'>M. Cornesse. - Messieurs, l'honorable M. Bara, dans la séance d'hier, a exposé très longuement son opinion sur une question très importante, celle des honoraires des anniversaires et services fondés. Il a défendu la jurisprudence qu'il a introduite au département de la justice et il a critiqué le changement que j'ai cru devoir y apporter. Il me sera permis de réclamer, à mon tour, la bienveillante attention de la Chambre pour exposer les raisons qui m'ont déterminé à adopter l'opinion qui a prévalu dans la circulaire du mois de décembre 1870.
Je regrette de n'avoir pas trouvé aux Annales le discours de l'honorable M. Bara ; je ne songe pas à lui en faire un reproche ; mais, dans une pareille matière, de sa nature fort aride, il est assez difficile de saisir à uns simple audition les objections dans toute leur portée. Si, dès lors, il y a quelque lacune dans ma réfutation des observations de l'honorable membre, il ne pourra s'en prendre qu'a lui-même, puisque je n'ai pas pu prendre connaissance de son discours.
Messieurs, afin que la Chambre puisse comprendre et apprécier la question, je rappellerai d'abord les fails qui l'ont soulevée et les deux solutions qui sont intervenues.
La députation permanente du conseil provincial du Brabant, par un arrêté du 24 janvier 1870, avait approuvé purement et simplement l'acceptation d'une donation faite par un sieur Jean-François Sloors en faveur de l'église Saint-Servais, à Grimberghen, à la charge de quatre anniversaires, pour le premier desquels la fabrique devait payer au prêtre et aux deux assistants 6 fr. 87 c. et au sacristain-organiste 2 fr. 13 c., et pour les trois autres ensemble au prêtre 6 fr. 75 c. et au sacristain-organiste 90 centimes !
Cet arrêté de la députation permanente du Brabant recelait dans ses flancs les plus grands périls pour l'ordre social. La députation permanente ne les avait pas aperçus, mais il paraît qu'il menaçait le pays de l'invasion de la mainmorte, du rétablissement des bénéfices supprimés, de la résurrection de tous les autres abus d'un autre âge !
M. le gouverneur du Brabant fut invité à prendre son recours contre cet arrêté, ce qu'il fît par pourvoi du 5 février 1870. La décision de la députation permanente fut annulée par un arrêté royal du 21 février 1870, dont voici les motifs et le dispositif :
« Vu l'arrêté, en date du 26 janvier 1870, par lequel la députation permanente du conseil provincial du Brabant a décidé d'approuver purement et simplement l'acceptation de la donation faite par le sieur Jean-François Sloors en faveur de l'église Saint-Servais, à Grimberghen, à la charge de quatre anniversaires, pour le premier desquels la fabrique devra payer au prêtre et aux deux assistants six francs quatre-vingt-sept centimes et au sacristain-organiste deux francs treize centimes, et pour les trois autres ensemble, au prêtre six francs soixante-quinze centimes el au sacristain-organiste quatre-vingt-dix centimes ;
« Vu le recours formé contre cet arrêté par le gouverneur de ladite province, le 5 février 1870;
« Considérant qu'il résulte de l'article 69 de la loi du 18 germinal an X, du décret du 22 fructidor an XIII et de l'avis du conseil d'Etat du 22 frimaire an XIV que les fabriques d'église ne sont tenues de payer aux desservants ou vicaires les messes fondées que conformément aux règlements du diocèse ;
« Considérant, par conséquent, que les particuliers ne peuvent, par voie de fondation, obliger les fabriques à accorder aux desservants et aux assistants une rémunération supérieure à celle fixée par le tarif ;
«« Vu les articles 89, 116 et 125 de la loi provinciale du 30 avril 1836 ;
« Sur la proposition de Notre Ministre de la justice,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Article unique. L'arrêté précité de la députation permanente du conseil provincial est annulé, en tant qu'il a approuvé la fixation, par le donateur, du taux de l'honoraire dû au desservant et aux assistants pour l'exonération des messes fondées.
« Notre ministre de la justice est chargé, etc. »
L'importance de celle solution ne vous aura pas échappé. C'est une grave restriction à la liberté des testateurs dans la fixation des conditions de leurs libéralités aux fabriques d'église.
La députation et le gouvernement n'étaient plus libres, à la suite de cet arrêté, d'admettre une fixation d'honoraires supérieurs à ceux du tarif pour tous les participants aux anniversaires, prêtres, assistants, sacristains, organistes, etc. Tout ce qui excédait le taux, souvent dérisoire, de ces honoraires devait rester à la fabrique. Cet arrêté frappait surtout le petit clergé, le clergé des paroisses.
Il est bon, messieurs, de remarquer qu'en effet, aux termes du décret de 1809, ce sont les vicaires qui profilent avant tout des annuels ou honoraires des messes fondées. On voulait, par cet arrêté, empêcher à l'avenir le petit clergé de trouver, dans les libéralités des fidèles s'exerçant sous le contrôle et avec l'approbation du gouvernement et des pouvoirs publics, les moyens de vivre et de subsister convenablement, ce qui est actuellement presque impossible avec les faibles traitements alloués aux vicaires et desservants.
C'était, messieurs, quoi que l'on en ait dit, une innovation. M. Bara, lui-même, je le lui prouverai tout à l'heure, avait admis, jusqu'au 21 février 1870, une jurisprudence contraire.
Si cet arrêté était conforme à la loi, force était de s'incliner. Mais appelé à examiner la question, j'ai bientôt pu me convaincre que la décision de M. Bara n'était pas la juste et saine application des dispositions légales sur la matière. Ma manière de voir fut développée dans une circulaire du 10 décembre 1870, adressée à M. le gouverneur du Limbourg. Je demande à la Chambre la permission de lui lire cette circulaire, qui est ainsi conçue ;
« Par ses dépêches des 22 février et 21/21 mai 1870, cotées comme en marge, mon prédécesseur a décidé que les honoraires alloués par les fondateurs n'étaient dus par les fabriques que jusqu'à concurrence du taux fixé par le tarif diocésain, en contestant la légalité de l'article 8 du tarif du diocèse de Liège, qui permet d'excéder ce taux, comme étant en opposition, notamment avec les termes du décret du 22 fructidor an XIII et de l'avis du conseil d'Etat du 21 frimaire an XIV.
« Cette jurisprudence a été consacrée par l'arrêté royal, en date du 21 février dernier, qui a annulé un arrêté de la députation permanente du conseil provincial du Brabant, en date du 26 janvier.
« Etant appelé, par suite d'observations qui m'ont été soumises, à faire un nouvel examen de la question, je n'ai pas pu me rallier à l'opinion précédemment admise.
« Le concordat de l'an X assurait aux catholiques la liberté des fondations en faveur des églises. Une restriction était apportée, dans la forme, à cette liberté par l'article 73 de la loi organique du 18 germinal an X, qui disposait comme suit :
« Les fondations qui ont pour objet l'entretien des ministres et l'exercice du culte ne pourront consister qu'en rentes constituées sur l'Etat : elles seront acceptées par l'évêque diocésain, et ne pourront être exécutées qu'avec l'autorisation du gouvernement. »
« Il s'agit donc de savoir si l'article 69 qui prescrit la rédaction d'un tarif des oblations implique une autre restriction, en ce sens que le taux des honoraires, tel qu'il aurait été fixé, serait obligatoire et ne pourrait être dépassé par les fondateurs.
« C'est à tort qu'on croit pouvoir déduire cette conclusion de l'exposé des motifs donné par Portails.
« Dans les premiers âges du christianisme, dît ce ministre dans son rapport, le désintéressement des ministres ne pouvait être soupçonné et la ferveur des chrétiens était grande ; on ne pouvait craindre que les (page 508) ministres exigeassent trop, ou que les chrétiens donnassent trop peu ; on pouvait se rapporter avec confiance aux vertus de tous. L'affaiblissement de la piété et le relâchement de la discipline donnèrent lieu à «es taxations, autrefois inusitées, et changèrent les rétributions volontaires en contributions forcées. C'est de ces contributions forcées que l'article 5 entend parler sous le nom d'oblations autorisées et fixées par les règlements. »
« Portalis indique ainsi clairement le sens et la portée de l'article. 69 de la loi du 18 germinal an X. D'après lui, le tarif a pour but d'empêcher que les ministres du culte n'exigent trop et que les fidèles ne donnent trop peu, en d'autres termes, de fixer le minimum de rémunération exigible ; mais il n'en résulte nullement que la loi ait entendu interdire la faculté de dépasser ce minimum et opposer ainsi des entraves à la liberté des fondations. L'article 69 n'a fait que reproduire l'article 27 de l’édit de 1695 qui, en attribuant aux chefs diocésains le règlement de l'honoraire des ecclésiastiques pour limiter les exigences de ceux-ci, n'a évidemment pas eu en vue, contrairement au respect dû â la volonté des fondateurs, de mettre obstacle à leur munificence.
« L'objection tirée du décret du 22 fructidor an XIII et de l'avis du conseil d’Etat du 21 frimaire an XIV, ne me paraît pas admissible, parce que ces dispositions n'ont statué qu'à l'égard des anciennes fondations grevant les biens restitués aux fabriques d'église. Le décret du 22 fructidor porte en effet : « Les biens et revenus rendus aux fabriques par les décret et décision des 7 thermidor an XI et 28 frimaire an XII, soit «qu'ils soient ou non chargés de fondations pour messes, obits ou autres services religieux, seront administrés et perçus par les administrateurs desdites fabriques, nommés conformément à l'arrêté du 7 thermidor an XI ; ils payeront aux curés, desservants ou vicaires, selon le règlement du diocèse, les messes, obits ou autres services auxquels lesdites fondations donnent lieu, conformément au titre. »
« L'avis du conseil d'Etat du 21 frimaire an XIV se prononce dans le même sens en rappelant les formes du décret qui précède et décide que les biens et revenus des fondations rendus aux fabriques seront administrés par les administrations desdites fabriques, qui payeront aux curés, desservants ou vicaires, selon les règlements du diocèse, les messes, obits ou autres services auxquels lesdites fondations donnent lieu.
« Comme on le voit, ces dispositions sont expressément limitées aux fondations antérieures au concordat, dont les biens, après avoir été nationalisés, avaient été rendus aux fabriques.
« Ces dispositions d'un caractère exceptionnel et dérogatoire aux actes de fondation ne sauraient recevoir une interprétation qui étendrait leurs termes aux fondations nouvelles acceptées après le concordat. Aussi la circulaire de Bigot de Préameneu, en date du 9 septembre 1812, ne laisse-t-elle aucun doute à cet égard en décidant la question qui lui était soumise dans les termes suivants : « Ou les titres attribuent expressément au curé des fonds ou des rentes à la charge d'acquitter des services religieux, et dans ce cas le curé ou desservant a droit à la totalité du produit du fonds ou de la rente en les acquittant. Ou les titres n'attribuent pas expressément au curé les fonds ou les rentes, mais ils les donnent à l'église ou à la fabrique, et dans ce cas, le curé ou desservant n'a droit aux rétributions dues pour les fondations qu'au taux du règlement épiscopal. »
« Il s'agissait évidemment de l'exécution des fondations faites aux fabriques et non pas des charges grevant les biens des fondations qui leur avaient été restitués.
« Sous le gouvernement des Pays-Bas, M. Goubeau, directeur général des cultes, a décidé, dans le même sens, que, « dans le cas où les actes de fondation attribuent expressément au curé ou desservant des fonds ou des rentes à la charge d'acquitter certains services religieux, le produit en doit être abandonné en entier aux curés ou desservants. ».
« Il reste à répondre à une dernière objection qui consiste à dire qu'en admettant les fondations d'honoraires supérieurs au tarif, on ouvrirait la voie à un nouveau genre de bénéfices. Les honoraires constituent effectivement une dotation du clergé, mais je constate que les dotations dont il s'agit ont leur fondement légal dans la disposition de l'article 73 de la loi de l'an X, qui autorise les fondations qui ont pour objet l'entretien des ministres du culte. Seulement je ferai remarquer que ces dotations ne peuvent donner lieu à aucun abus, attendu que le gouvernement conserve toujours le droit de ne pas autoriser ou de n'autoriser que dans de certaines limites, les libéralités de ce genre qui lui paraîtraient exagérées et que celles-ci ne peuvent jamais être constituées qu'au profit du culte légalement organisé. »
Je demande pardon à la Chambre de lui faire cette lecture quelque peu fastidieuse, mais la circulaire étant l'élément du procès que me fait l'honorable M. Bara, il était nécessaire que la Chambre la connût.
Malgré cette circulaire, messieurs, la députation permanente du conseil provincial de Liège n'en a pas moins persisté dans la jurisprudence établie par l'honorable M. Bara : elle refuse aujourd'hui d'approuver toute fondation dont le tarif stipule, pour le prêtre officiant, un honoraire supérieur au chiffre du tarif qui est, je crois, de 3 francs. Et pour éviter de statuer par des arrêtés qui pourraient être soumis à un recours, voici comment on procède ; le moyen est assez habilement imaginé pour se soustraire à l'intervention du pouvoir central : quand un acte de fondation contient une clause fixant, pour le célébrant, un honoraire supérieur au tarif, 5 ou 6 francs, par exemple, on fait savoir au donateur, par l'intermédiaire de l'administration communale, que, dans ces conditions, la libéralité ne sera pas approuvée, que le donateur doit se référer purement et simplement au tarif ; que c'est là une condition sine qua non de l'acceptation de la libéralité. Vous concevez que la plupart des donateurs, dans ces conditions, désireux de hâter l'acceptation de leurs libéralités, ayant fait un acte sérieux, dont ils veulent voir sortir promptement les effets, s'inclinent devant de pareilles exigences. L'affaire est faite, il n'y a pas de recours possible.
La députation permanente du conseil provincial de Liège, messieurs, n'ayant pas foi dans ses propres lumières, avait cependant jugé convenable de s'éclairer ; elle s'était adressée à M. le procureur général près la cour d'appel de Liège.
M. Beltjens est un jurisconsulte éminent. Ses opinions politiques, fort modérées du reste, sont notoirement libérales.
Son intervention offrait toutes les garanties d'impartialité, d'indépendance et de science.
Eh bien, messieurs, l'honorable M. Beltjens, consulté par la députation permanente elle-même, a condamné la jurisprudence de cette députation, conforme à celle de M. Bara.
Malgré cette condamnation, provoquée par sa propre initiative, la députation permanente n'en persiste pas moins dans les errements que je vous ai signalés.
J'ai la conviction, quant à moi, que la députation permanente se trompe et je crois fermement que la législation actuelle permet aux donateurs de fixer dans leurs libéralités un honoraire supérieur à celui indiqué par le tarif diocésain.
Messieurs, la disposition initiale et essentielle dans la question, c'est l'article 15 du concordat du 26 messidor an IX, et je n'ai pas entendu qu'il en fût question dans les observations qui ont été présentées, hier, par l'honorable M. Bara.
« Le gouvernement, dit cet article 15, prendra également des mesures pour que les catholiques français puissent, s'ils le veulent faire en faveur des églises des fondations. »
C'est une ère de réparation qui s'ouvrait ; la révolution, qui avait tant d'horreur de l'influence religieuse, avait spolié l'Eglise, dépouillé le culte. On a conservé dans notre pays le douloureux souvenir de ce qu'a fait dans le domaine religieux la révolution de 1793, des ruines qu'elle a accumulées.
La restauration du culte impliquait, pour l'avenir, messieurs, la création de fondations qui auraient pour objet l'exercice du culte et l'entretien de ses ministre s; c'était une conséquence. Aussi voyons-nous immédiatement l'article 73 des articles organiques du 18 germinal an X introduire une disposition ainsi conçue :
« Les fondations qui ont pour objet l’entretien des minières et l'exercice du culte ne pourront consister qu'en rentes sur l'Etat ; elles seront acceptées par l'évêque diocésain et ne pourront être exécutées qu'avec l'autorisation du gouvernement, »
La loi garantissait ainsi la liberté des fondateurs sous certaines restrictions qu'elle indique et sous la seule réserve de l'autorisation gouvernementale.
Aucune disposition, aucune, n'a limité leurs droits quant à la fixation des honoraires. Au contraire, messieurs, le décret de 1809, qui est la charte des fabriques d'église, recommande expressément, dans plusieurs de ses dispositions, le respect scrupuleux des intentions et de la volonté des fondateurs.
M. Bara. - Pour les honoraires?
M. Cornesse. - Ecoutez, vous allez être satisfait ; je ne vous ai pas interrompu dans votre exposé; je vous prie de faire de même. D'ailleurs, la matière est assez aride et assez ingrate pour qu'on ne prenne pas plaisir à interrompre.
(page 509) M. Bara. - C’est une explication que je demande.
M. Cornesse. - Eh bien, vous allez l'avoir immédiatement. D'après l'article 26 du décret de 1809, les marguilliers sont chargés de veiller à ce que toutes les fondations soient fidèlement acquittées et exécutées suivant l'intention des fondateurs, sans que les sommes puissent être employées à d'autres charges. Il n'y a pas de distinction : la volonté du fondateur, vous ne pouvez pas la scinder.
L'article 31 dit :
« Les annuels auxquels les fondateurs ont attaché des honoraires et généralement tous les annuels emportant une rétribution quelconque seront donnés de préférence aux vicaires, à moins qu'il n'en ait été autrement ordonné par les fondateurs. »
Ainsi annuels dont les honoraires sont fixés par les fondateurs et autres emportant une rétribution quelconque ; faculté pour les fondateurs d'en priver les vicaires et d'attribuer à d'autres les honoraires qu'ils attachent aux services fondés.
Le décret a donc entendu formellement que les honoraires attachés aux fondations soient acquittés conformément aux titres. Il s’est expliqué très nettement à cet égard et je ne comprends pas comment on pourrait mettre en doute la clarté de pareil texte.
L'honorable M. Bara invoque contre cette opinion l'article 69 de la loi organique qui ordonne la rédaction d'un tarif pour la fixation des honoraires. Cette disposition porte :
« Les évêques rédigeront les projets de règlement relatifs aux oblations que les ministres des cultes sont autorisés à recevoir pour l'administration des sacrements. Les projets de réglemente rédigés par les évêques ne pourront être publiés ni autrement mis à exécution qu'après avoir été approuvés par le gouvernement. »
Il s'agit ici, messieurs, du tarif des oblations pour l'administration des sacrements.
Les ministres des cultes ne peuvent pas réclamer, pour ces services obligatoires, des sommes supérieures au taux du tarif. Cela n’est contesté par personne. En cas de silence des titres, le tarif doit également être suivi. Mais ce serait une erreur grave, une erreur essentielle de confondre la rémunération perçue à titre d'oblation avec les honoraires attachés aux fondations de messes, anniversaires et autres services religieux. L'article 69 n'a aucune application à la question qui nous occupe, et c’est l'honorable M. Bara qui fait ici une confusion évidente.
L'article 69 règle le taux des honoraires pour certains services religieux ; mais il n'indique ni dans son texte ni dans son esprit, il n'indique ni de près ni de loin que le législateur aurait voulu limiter à un chiffre invariable et uniforme les honoraires que les fondateurs sont libres d'attacher aux services fondés. Le taux fixé par les tarifs diocésains n’est, pour les services, qu'un minimum destiné à suppléer au silence des fondations ; rien, absolument rien dans le texte ne limite le droit, la liberté des fondateurs.
Aussi, messieurs, le règlement du diocèse de Liége, rédigé par l'évêque Zaepfel et approuvé par décrois impériaux du 13 thermidor an XIII et du 22 frimaire an XIV, ce règlement s'exprime, à cet égard, d'une manière expresse dans son article 8, ainsi conçu :
« Quant aux anniversaires, si leur fondation détermine un honoraire excédant celui fixé sous le titre ci-dessus : Honoraires des messes, et que les revenus de ladite fondation soient suffisants pour l'acquit des honoraires, les curés ou desservants pourront en exiger le payement. »
Ainsi, messieurs, respect de la volonté du fondateur, liberté des testateurs, sous le contrôle de l'autorité publique, tel est l’esprit du concordat, des articles organiques et du décret de 1839 ; telle est l'exécution qui a été donnée aux lois réparatrices, à l'époque contemporaine de leur promulgation.
C’est abusivement que l'honorable M. Bara, dans l'arrêté royal du 21 février 1870, invoque le décret du 22 fructidor an XIII et l'avis du conseil d'Etat du 21 frimaire an XIV, approuvé par l'empereur.
L'honorable M. Bara, si prompt à accuser les autres, et notamment l'éminent procureur général prés la cour d'appel de Liège, de se mettre à côté de la question, l'honorable M. Bara s'y met ici complètement. Il s'agit, d'abord, dans ces deux décrets, de fondations anciennes ; on y règle le passé, il ne s'agit là ni aucune manière de fixer les droits de l'avenir, les droits accordés aux bienfaiteurs des églises par les dispositions réparatrices de la nouvelle législation en matière de fondations pour le culte.
Messieurs, quel est donc l'historique de ce décret du 22 fructidor an XIII ? Permettez-moi de vous le faire en peu de mots et vous verrez qu'il est impossible d'invoquer ces décrets dans la matière qui nous occupe, pour résoudre la question de savoir quels sont aujourd'hui les droits des fondateurs.
Il existait dans la paroisse Saint-Pierre de la ville de Barcelonnette, département des Basses-Alpes, une fondation de quatre messes par semaine et une messe par mois.
C'était une ancienne fondation. Le curé pensait que non seulement le revenu, mais encore l'administration des biens lui revenait de droit. Les marguilliers, de leur côté, soutenaient que l'administration des biens et le revenu appartenaient à la fabrique, sauf à payer les honoraires d'après le taux ordinaire fixé par le tarif diocésain.
Le ministre de l'intérieur soumit la difficulté à l'empereur ; il défendit la manière de voir des marguilliers.
Le ministère impérial de cette époque n'était pas précisément homogène.
En effet, Portalis, le ministre des cultes, soutenait une opinion contraire à celle de son collègue, le ministre de l'intérieur : il reconnut que l'administration des biens appartenait aux fabriques ; mais quant à l'emploi des revenus, il pensait qu'il fallait prendre pour règle la volonté du fondateur, telle qu'elle est consignée dans le titre de la fondation.
Il proposa, en conséquence, d'ajouter au décret les mots : « en conformité des titres. »
Voici ce qu'il dit dans son rapport :
« Quand la rente d'un fonds est établie pour faire dire des messes et réciter certaines prières sans aucune autre charge, cette rente est acquise aux prêtres par qui les messes sont célébrées et par qui les prières sont récitées. Il en est autrement quand on a donné un fonds ou une rente pour un objet déterminé et que l'on a adjoint à cet objet la charge de faire réciter certaines prières ou de faire célébrer des messes. Alors les prières et les messes sont payées aux prêtres d'après le taux convenu ou usité dans le diocèse, et tout le reste est employé à la destination principale. Il me paraît que ce serait changer la substance des titres que d'adopter une règle, qui les confondrait tous.
« Cette règle pourrait ne pas être aussi utile aux fabriques qu'on pourrait le croire. Quand les fondations sont anciennes, la plupart doivent produire, à peine un revenu suffisant pour acquitter l'honoraire du prêtre. On sait que cet honoraire augmente avec la progression du prix de tous les objets de première nécessité, tandis que la rente fondée reste toujours la même. Il arriverait donc souvent que les fabriques ne pourraient profiter d'aucun excédant et que même, d'après les dispositions indéfinies du projet de décret, elles auraient à supporter une charge au-dessus de leurs forces. D'ailleurs, l'humanité semble réclamer en faveur des prêtres, qui ont à peine leur subsistance, qu'on ne les prive pas des ressources que la bienfaisance de Sa Majesté leur ménage. Ne suffirait-il donc pas de déférer l'administration des biens provenant de fondations, d'obits, etc., aux administrateurs des fabriques, nommés par les préfets, en vertu de l'arrêté du 7 thermidor an XI, à la charge par eux de les faire exécuter en conformité des titres ? Cette clause garantirait tous les intérêts. »
Les idées de Portalis furent sans doute appréciées par l'empereur, car le décret du 22 fructidor an XIII fut conçu à la suite de ces observations dans les termes suivants :
« Les biens et revenus rendus aux fabriques par les décrets et décisions du 7 thermidor an XI et 28 frimaire an XII, soit qu'ils soient ou non chargés de fondations pour messes, obits ou autres services religieux, seront administrés et perçus par les administrateurs desdites fabriques, nommés conformément à l'arrêté du 7 thermidor an XI ; ils payeront aux curés, desservants ou vicaires, selon le règlement du diocèse, les messes, obits et autres services auxquels lesdites fondations donnent lieu, conformément aux titres. »
L'arrêté du conseil d'Etat du 21 frimaire an XIV, approuvé par l'empereur, se réfère au décret du 22 fructidor an XIII et ne statue que sur des difficultés relatives à des fondations ou bénéfices anciens.
C’est par une erreur manifeste que l'arrêté de M. Bara invoque ces dispositions pour les appliquer aux fondations créées sous l'empire de la législation nouvelle.
Mais, dit M. Bara, prenez-y garde: en admettant des honoraires supérieurs un tarif, vous ouvrez la porte au rétablissement des anciens bénéfices.
Je crois que l’objection n’est nullement fondée ; l'expérience constante qui a été faite depuis le premier empire donne à ces prédictions sinistres un éclatant démenti.
Mais si ce que dit M. Bara était fondé, je pourrais répondra que les dotations en faveur du clergé trouvent leur fondement dans l'article 73 de la loi de l'an X, qui autorise les fondations ayant pour objet l'entretien des ministres du culte, mais que la loi elle-même a pourvu à ce que celles-ci ne pussent donner lieu à aucun abus, attendu que le gouvernement a (page 510) toujours le droit d'autoriser ou de n'autoriser que dans certaines limites les libéralités de ce genre qui paraîtraient excessives et que, d'ailleurs, celles-ci ne peuvent jamais être constituées qu'au profit du culte légalement organisé.
N'est-ce pas une garantie suffisante que l'intervention des pouvoirs publics ? N'est-ce rien que la nécessité d'une approbation par l'autorité compétente ? Est-ce que chez nous des abus sérieux pourraient se produire et surtout se perpétuer ?
Est-ce que sous le contrôle de la presse, sons le contrôle des Chambres, ces abus, s'ils se produisaient, ne tarderaient pas à disparaître ? L'intervention du gouvernement est donc nécessaire ; et cette garantie a été un frein fort efficace contre les abus dont on parle, puisqu'on n'en signale pas un seul.
Et que l'on ne parle pas ici de la mainmorte et de ses dangers, car ce serait faire le procès - M. Bara n'y a probablement pas réfléchi - aux lois qui permettent aux fabriques de recevoir des dons et legs.
Voyez, messieurs, où l'on aboutit avec le système de l'honorable M. Bara. Aujourd'hui, aux termes de la législation existante, une fabrique peut recevoir une libéralité de 10,000, 20,000, 30,000, 40,000 francs à charge de certains services religieux. Si l'honoraire des services religieux est payé conformément au tarif, l'honorable M. Bara n'y voit aucun mal, il n'y voit pas d'abus ni de dangers. Mais si, mû par une pensée généreuse, une pensée respectable et sacrée, voutant, par exemple, assurer à un prêtre qui n'a d'autre ressource que te médiocre traitement que l'Etat lui paye et un fort modeste casuel, une rémunération quelque peu supérieure au tarif, qui ne fait loi qu'en l'absence de la volonté du fondateur, celui-ci exige que le prêtre officiant obtienne quelques francs d'honoraires de plus que lui qu'alloue le tarif ; si, voulant également faire un peu de bien, tenant à se faire bénir et à faire prier pour son âme, car à ces libéralités préside une pensée plus haute, la pensée de l'éternité, si le donateur, le fondateur veut qu'on donne aux gens d'église, à ces humbles et modestes serviteurs, 2 ou 3 francs au lieu de ces 80 centimes, que vous avez trouvés trop exagérés dans cette libéralité approuvée par la députation du Brabant, oh ! alors vous vous récriez ! Cela n'est pas permis, cela n'est pas tolérable, il y a péril, il y a danger, la fondation ne sera pas autorisée ! Est-ce sérieux, est-ce raisonnable, je vous le demande ?
Mais dans votre système, vous aggravez la mainmorte ; dans le mien, la libéralité ne sera qu'un bienfait qui se répandra sur plusieurs personnes. Dans le vôtre, l'être moral, la fabrique, en profitera seule ; par l'accumulation des revenus vous aggravez, vous développez la mainmorte !
Vous n'avez pas, sans, doute, réfléchi à ces conséquences de votre système !
L'honorable M. Bara me dit : vous allez rétablir les anciens bénéfices qui ont disparu de la législation et qu'elle défend de faire revivre.
Je puis rassurer l'honorable membre et calmer ses inquiétudes, en lui citant une autorité dans laquelle il a confiance complète et qu'il m'a même opposée dans un passage que je n'ai pas trouvé. Après avoir expliqué les articles 73 et 74 de la loi du 18 germinal an X, M. Tielemans s'exprime ainsi ;
« La loi n'autorise les fondations qu'à titre de donations et de legs, au profit des églises, des séminaires. Est-il permis comme autrefois de fonder des bénéfices ? Non, ces fondations peuvent avoir pour objet l'exercice du culte et l'entretien des ministres. Mais ce culte n'est autre que celui qui s'exerce dans les églises légalement établies ; ces ministres ne sont autres que les titulaires en général des offices ecclésiastiques que la loi attache à chaque espèce d'église ; et remarquons-le bien, ce n'est pas à leur profit personnel, ce n'est pas au profit de tels ou tels individus, de telle ou telle famille, communauté, ordre ou congrégation, ce n'est point à titre de bénéfice, enfin, que les fondations peuvent avoir lieu.
« Or, dans ces limites, le droit de faire ces fondations n'est plus que celui de disposer, à titre gratuit, eu faveur d'établissements que la loi reconnaît capables de recevoir.
« Le caractère distinctif du bénéfice a toujours été que l'administration des biens était confiée aux titulaires. Aujourd'hui il n'y a que la fabrique qui puisse administrer les biens des fondations; c'est ce que décidait si clairement Bigot de Préameneu dans sa circulaire du 9 septembre 1812, en disant que, soit que l'honoraire fût fixé par le fondateur, soit qu'il ne le fût pas, « l'administration des biens et rentes appartient à la fabrique. »
A cette autorité je joindrai, pour rassurer de plus en plus M. Bara, celle de l'honorable M. Beltjens, procureur général près la cour de Liège :
« Le renvoi au titre de la fondation, dit-il, ne peut pas avoir pour conséquence le rétablissement des bénéfices prohibés par la loi, même lorsque l'honoraire absorberait tout le revenu des biens affectés à une fondation et restitués aux fabriques.
« En effet, ce que la loi défend, c'est la création de personnes civiles en dehors de celles qu'elle détermine. Or, anciennement une fondation constituait une de ces personnes. Le titulaire désigné par lettre était usufruitier ; il administrait les biens et en percevait les revenus. (Louvrex, Dép. canon, décis. 21, n°38, page 357).
« Aujourd'hui, même lorsque le règlement renvoie au titre en ce qui regarde l'honoraire, le prêtre doit être désigné par l'autorité ecclésiastique ; il ne doit pas l'être pour toute sa vie, la préférence est duc aux vicaires, desservants ou curés. Le prêtre désigné pour desservir les charge n'est pas usufruitier ; il reçoit son honoraire des mains de la fabrique qui administre seule les biens et en perçoit les revenus. »
Donc, messieurs, pas de possibilité du rétablissement des bénéfices, et à moins que l'honorable M. Bara ne veuille entreprendre une guerre contre les donations en faveur des fabriques d'église, toutes ses observations portent complètement à faux.
L'opinion que je défends en ce moment devant la Chambre a toujours prévalu dans la jurisprudence administrative. Le 9 septembre 1812, l'auteur du décret de 1809, M. Bigot de Préameneu a été appelé à s'expliquer sur la question ; le système de l'honorable M. Bara trouvait déjà alors des défenseurs. M. Bigot de Préameneu lui donne complètement tort dans les termes suivants :
« M. l'évêque, j'ai reçu la réclamation de plusieurs desservants de votre diocèse relative aux fondations, dont ils demandent que tout le produit leur soit attribué contre l'intention des marguilliers de n'en payer les honoraires qu'au taux prescrit par votre règlement.
« Pour prononcer sur cette question, il faudrait que j'eusse sous les yeux les titres de ces fondations.
« Au reste, ou les titres attribuent expressément au curé des fonds ou les rentes à la charge d'acquitter des services religieux, et dans ce cas, le curé ou desservant a droit à la totalité du produit du fonds ou de la rente, en les acquittant.
« Ou les titres n'attribuent pas expressément au curé les fonds ou rentes, mais ils les donnent à l'église ou à la fabrique, et dans ce cas, le curé ou le desservant n'a droit aux rétributions dues pour les fondations qu'au taux du règlement épiscopal.
« Mais, dans l'un comme dans l'autre cas, l'administration des biens et rentes appartient à la fabrique. »
Un avis du conseil d'Etat relatif aux pensions accordées au clergé séculier de Belgique contient absolument l'exposé des mêmes principes.
« Le conseil d'Etat qui, d'après le renvoi ordonné par Sa Majesté, a entendu le rapport des sections réunies de législation et des finances sur celui du ministère des cultes, tendant à faire accorder à tous les ecclésiastiques, composant le clergé séculier de l'ancienne Belgique, les mêmes pensions dont jouissent les ecclésiastiques de l'empire.
« Considérant que les biens des cures et ceux des fabriques n'ont point été réunis aux domaines ; que si quelques-uns ont été aliénés, néanmoins l'ancien clergé séculier de la Belgique n'est point resté sans ressources comme celui du reste de l'empire ; que s'il est juste d'accorder à quelques prêtres des pensions qui leur sont devenues nécessaires, if ne conviendrait pas d'en accorder à beaucoup d'autres qui trouvent, dans le produit des fondations des cures, des ressources plus que suffisantes ; est d'avis qu'avant de statuer sur la demande du ministre des cultes, il serait à propos d'avoir, par commune et par cure de l'ancienne Belgique, un état exact des biens du clergé encore existants et des biens de fondations non aliénés. Alors seulement on pourra juger s'il est nécessaire que le trésor public vienne au secours de la partie du clergé dont les possessions ont été vendues en tout ou en partie, ou si, par une meilleure répartition des biens du clergé encore existants, il ne serait pas possible de pourvoir d'une manière convenable à l'entretien des ecclésiastiques employés dans l'ancienne Belgique.
« Le ministre des cultes, Bigot-Préameneu.
« Approuvé à Nantes, le 11 août 1805.
« Napoléon. »
Le conseil d'Etat repoussait donc ici la demande de pension, parce que, dans les provinces de Belgique, le clergé trouvait des ressources plus que suffisantes dans les produits des anciennes fondations.
C'est donc que l'on respectait les honoraires fixés dans les actes de fondation.
Voici, messieurs, la jurisprudence du gouvernement des Pays-Bas en cette matière. Il l'a consignée dans la dépêche du 5 février 1822 du célèbre Goubau, administrateur général des cultes.
(page 511) L'honorable M. Bara vous l'a fait connaître. Il l'a lue très rapidement ; il a même glissé sur certains passages. Je me permettrai, si la Chambre le veut bien, d'en donner une nouvelle lecture :
« J'ai examiné les pièces produites au sujet de la contestation existant entre les curés et desservants du canton de Stavelot, d'une part, et les marguilliers de leurs églises, d'autre part, relativement au payement des honoraires attachés aux fondations de services religieux. Voici la décision que cet examen m'a fait prendre. Trois différents cas se présentent dans cette affaire :
« 1° Celui où les actes de fondation existants attribuent expressément au curé ou desservant des fonds ou des rentes, à la charge d'acquitter certains services religieux désignés ;
« 2° Celui où ces actes ne contiennent aucune stipulation expresse à cet égard et donnent simplement les biens ou rentes à l'Eglise, avec telle ou telle désignation ;
« 3° Celui enfin ou paraissent se trouver plusieurs fabriques dont il s’agit, dans lequel les actes de fondation étant égarés, l'on ne peut s'assurer des volontés positives des fondateurs.
« Dans le premier cas, il n'est pas douteux que, quoique l'administration des biens et rentes appartienne à la fabrique, le produit n'en doive être abandonné en entier aux curés et desservants ; je partage tout à fait à cet égard l'opinion énoncée dans la dépêche du ministre des cultes de France, en date du 9 septembre 1812, laquelle est conforme au décret du 30 décembre 1809 qui veut tellement faire respecter les intentions des fondateurs, qu'il défend aux marguilliers d'employer ces revenus à d'autres charges.
« Dans le second cas, non seulement les curés ou desservants doivent se contenter des rétributions fixées par le règlement épiscopal, comme le portent la dépêche ministérielle susmentionnée et l'avis du vicaire général de Liège, que vous m'avez procuré, mais ils peuvent même en être privés entièrement d'après l'article 31 du décret du 30 décembre 1809 portant que, à moins que les fondateurs n'en aient autrement ordonné, les annuels auxquels sont attachés des honoraires seront donnés de préférence aux vicaires.
« Enfin lorsque les actes de fondation n'existent plus, l'on doit se conformer, comme le dit le vicaire général diocésain, à l'usage que l'on sait avoir existé de tout temps dans la paroisse, etc. »
Messieurs, la pratique, dans les diocèses, était conforme à cette décision de Goubau, et je pourrais citer à la Chambre une circulaire du 20 novembre 1828 adressée à son clergé par l'administrateur du diocèse de Liège, qui contient absolument le même exposé de principes et les mêmes règles.
Messieurs, en France, il existe une circulaire ministérielle du 20 mars 1849 qui décide que le règlement épiscopal ou tarif diocésain n'est applicable qu'aux fondations dont l'acte constitutif n'a pas indiqué un prix supérieur a ce tarif pour l'acquittement des charges. C'est en ce sens, ajoute la circulaire, que la question a toujours été résolue par l'administration des cultes.
Un avis du conseil d'État du 14 décembre 1847 est conçu dans le même sens et constate, in terminis, l'unanimité et l'uniformité de toutes les décisions antérieures.
Enfin, en Belqique, depuis 1850 jusqu'à la fin de juillet 1870, on a approuvé un grand nombre de fondations accordant aux ministres des cultes des honoraires supérieurs à ceux des tarifs.
Ainsi un arrêté du 26 août 1868, revêtu de la signature de l'honorable M. Bara, approuve la fondation d'un anniversaire à l'honoraire de 5 fr. 80 c.
Un arrêté de M. Tesch du 4 février 1863 autorise l'acceptation d'un legs au capital de 6,000 francs à l'église de Stoumont pour un anniversaire à l'honoraire de 30 francs.
Le 28 octobre 1868 (Moniteur du 30 octobre), arrêté de M. Bara autorisant un legs de M. Desoer léguant un hectare aux fabriques d'Angleur et de Thisne à charge de célébrer un service annuel dans chacune de ces églises.
Ecoutez, messieurs, comment les honoraires de cet anniversaire sont établis : « Le tiers du revenu sera affecté à l'honoraire de la messe. »
Le tiers du revenu ! l'honoraire est indéterminé.
Et cet arrêté est signé de l'honorable M. Bara !
La jurisprudence du gouvernement belge, celle de M. Bara lui-même a donc été constamment conforme à l'opinion que je défends.
Il a fallu l'an de grâce 1870, pour que l'honorable M. Bara fût subitement illuminé et qu'il découvrît dans la faculté laissée aux fondateurs, sous due approbation du gouvernement, de fixer un honoraire raisonnable pour anniversaires ou services fondés, toutes les horreurs qu'il vous a signalées.
Messieurs, la date de l'arrêté réformateur de M. Bara (21 février 1870) est significative. Il existait, dans le projet sur le temporel des cultes qui a été retiré pour n'en laisser subsister que certaines dispositions, un certain article 48, paragraphe 3, ainsi conçu :
« Si les fondateurs fixent des honoraires supérieurs aux tarifs en usage, l'excédant profitera aux fabriques. »
C'était une disposition nouvelle qu'on voulait introduire pour l'avenir dans la loi du temporel, qui menaçait d'être si féconde en innovations de toute nature. Cette disposition n'ayant pas été érigée en loi, savez-vous ce qu'on a fait ? On a tenté d'introduire administrativement ce qu'on n'avait pas pu faire consacrer législativement. C'est le vieux système mis en action : on étrangle la poule sans la faire crier.
Eh bien, je n'ai pas pu me rallier à un pareil système. J'ai cru devoir rentrer dans ce que je considère comme la vérité légale. J'ai cru devoir appliquer les lois dans leur esprit et dans leur texte et je livre avec confiance ma conduite à la Chambre, je la laisse volontiers juge entre la pratique de l'honorable M. Bara et la mienne.
M. Bara. - Je serai très court, car la matière ne peut pas évidemment être traitée dans tous ses développements devant la Chambre.
L'honorable M. Cornesse a commencé son discours en prétendant que la question dont j'avais saisi la Chambre et la solution que je lui avais donnée avaient pour but de frapper le petit clergé. On veut attendrir l'opinion publique au profit du petit clergé et l'on prétend que les attaques que je dirige contre la jurisprudence de l'honorable M. Cornesse n'a qu'un but : arracher quelques francs à de pauvres vicaires et à de pauvres curés de campagne.
Il n'en est absolument rien. Je demande l'application de la loi et cette loi consiste à faire payer les honoraires des messes, des obits, d'après quoi ? D'après des règlements faits par les évêques ; non pas d'après des règlements faits par l'autorité civile, mais d'après les règlements faits par l'épiscopat.
Si l'évêque de Liège ne donne pas dans son règlement ce qui est nécessaire pour la célébration des messes, des obits ou des anniversaires, comment voulez-vous nous faire un reproche à nous, pouvoir civil, de ne pas donner plus ? C'est l'autorité spirituelle qui a proposé le règlement à l'autorité publique, qui les a approuvés. Vous trouvez que ce règlement donne des honoraires insuffisants. Mais réformez-le. L'article 69 de la loi de l'an X est là. Que les évêques soumettent au gouvernement des règlements nouveaux, et le ministre de la justice examinera et appréciera.
Ne venez donc pas dire que c'est en hostilité du petit clergé que nous avons soulevé ce débat, c'est tout le contraire. Il ne s'agit pas du petit clergé, car nous avons établi hier, ce à quoi on n'a pas répondu, que c'était probablement pour des prêtres en dehors du clergé séculier que cette restauration des bénéfices avait été faite.
L'honorable M. Cornesse a parlé longuement sur la question, mais il n'a apporté aucune espèce d'argument nouveau.
L'honorable M. Cornesse a pris le mémoire de l'évêque de Liège et nous en a donné lecture. Ce n'est pas là de la discussion. J'ai réfuté les arguments de l'évêque de Liège et que fait M. Cornesse ? Il reprend cette argumentation de l'évêque de Liège, par moi combattue, et laisse complètement de côté toutes les raisons que j'ai fait valoir.
M. Cornesse. - J'ai réfuté vos arguments.
M. Bara. - Du tout. Vous introduisez une jurisprudence que je prétends nouvelle et vous faites une circulaire qui s'appuie sur un mémoire de l'évêque de Liège ; je réfute la circulaire et le mémoire ; vous deviez répondre à mes arguments.
Mais, au lieu de répondre, vous reprenez le mémoire de l'évêque de Liége et vous le relisez devant la Chambre.
J'ai démontré à l'honorable M. Cornesse que, dans l'article 69, de la loi organique il s'agissait des fondations pour messes, et, dans l'article 73, des fondations pour l'entretien des ministres des cultes, et j'ai dit qu'y confondait les fondations pour messes avec les fondations pour l'entretien des ministres des cultes.
Qu'a-t-il répondu ? Absolument rien.
Dans les fondations pour l'entretien des ministres des cultes, il n'y a pas de limites fixées. Pourquoi? Parce qu'il n'y a pas de danger. En effet, toutes les fondations pour l'entretien des ministres des cultes viennent en déduction du budget. Aussi je ne crois pas qu'il existe des fondations pour l'entretien des ministres des cultes, mais pour les fondations de messes, c'est bien différent, c'est là qu'est le danger.
Pour les messes, la volonté des fondateurs pouvait être telle, qu'il pouvait en résulter une mainmorte considérable. Le législateur a prévu ce danger, et il est venu dire : « Vous pourrez fonder des messes ; mais vous (page 512) devrez modérer le taux des honoraires de ces messes, et les fixer d'après un règlement arrêté par l'autorité diocésaine et approuvé par le gouvernement. »
L'honorable M. Cornesse invoque le décret de 1809 sur les fabriques d'église, à la suite de M. l'évêque de Liège ; il trouve que, d'après l'article 26, les actes de fondation doivent être observés selon la volonté des fondateurs ; sans doute, mais à la condition que cette volonté des fondateurs ne soit pas contraire aux prescriptions de la loi.
Donc quand vous trouvez dans l'article 26 du décret que les titres de fondation doivent être exécutés conformément à la volonté du fondateur, il est sous-entendu que cette volonté du fondateur ne doit pas être contraire à la loi.
L'argument que M. l'évêque de Liège et l'honorable M. Cornesse à sa suite ont puisé dans le décret de 1809 tourne contre eux.
L'honorable M. Cornesse me dit : « Vous avez eu tort de citer les arrêtés du 22 fructidor an XIII et l'avis du conseil d'Etat de l'an XIV ; ces actes ne concernent que le passé. »
Cela est vrai, mais j'ai ajouté que ces arrêtés exprimaient la véritable pensée du législateur de la loi organique et qu'ils étaient l'application de l'article 69 de la loi de germinal an X ; et à cet égard vous avez l'autorité de M. Tielemans, dont vous ne contesterez pas la compétence. Vous avez invoqué l'autorité de M. le procureur général Beltjens ; je reconnais cette autorité comme vous ; mais l'honorable M. Cornesse voudra bien admettre avec moi que, sur les matières de droit public et administratif, il y a une différence entre l’opinion d'un procureur général qui est consulté dans un conflit politique et celle d'un savant écrivain qui a traité la matière ex professo et en dehors de toute contestation du moment ; sans doute M. Beltjens a émis une opinion consciencieuse, et il est loin de ma pensée d'en amoindrir la valeur, mais je puis certes y opposer celle de M. Tielemans.
M. Tielemans explique parfaitement la pensée du législateur.
M. Cornesse nous dit : Où est ce passage de M. Tielemans ? Il est deux pages plus loin que celui que cite l'évêque de Liège au mot Fondations, vol. VII, p. 382.
« Ces réponses n'exigent pas de commentaire. Elles résument tout l'esprit de la loi avec une lucidité et une précision qui satisfera les moins clairvoyants ; elles sont la confirmation la plus explicite de ce que nous avons dit précédemment sur le droit de fondation en général. Et, en effet, les principes qui s'y trouvent rappelés ne concernent pas seulement les fondations anciennes dont il s'agit dans les arrêtés des 28 frimaire an XII et 22 fructidor an XIII ; ils s'appliquent à toutes celles qui ont pu être faites depuis ou que l'on ferait à l'avenir. Ces principes sont d'une application universelle puisqu'ils tiennent à l'esprit même de la loi qui a organisé le culte. Aussi le gouvernement les a-t-i! répétés à dessein dans le décret du 30 décembre 1809 sur les fabriques. »
C'est bien clair.
M. Cornesse va-t-il prétendre que l'autorité de M. Tielemans ne compte pas et, s'il ne le fait pas, comment en présence de cette opinion peut-il croire que c'est moi qui, subitement illuminé sur le chemin de Damas, ai inventé une nouvelle jurisprudence ?
Mais ce que je viens de vous lire, M. Tielemans l'écrivait en 1846 et il l'écrivait avec Bigot de Préameneu, avec Couteau, avec Portalis, avec toutes les autorités que vous prétendez vous être favorables.
L'honorable M. Cornesse se trompe donc lorsqu'il dit que j'ai inauguré une jurisprudence nouvelle. L'honorable membre tire grand argument de ce que j'ai signé quelques arrêtés où le taux du tarif diocésain a été dépassé. Il est possible qu'il en soit ainsi, quoique je n'aie pas vérifié ces arrêtés, mais qu'est-ce que cela prouve ? M. Tesch en a signé également. Et cela se conçoit ; nous n'avions pas sous les yeux les tarifs diocésains. Je ne crois pas que M. Cornesse lui-même saurait dire quel est le taux fixé par le tarif diocésain ; quand on venait nous dire qu'on payait une messe à raison de 5 francs, pouvions-nous toujours apprécier si c'était le taux du tarif ; savions-nous si on devait payer un organiste, un autre serviteur de l'église ?
Nous avons donc signé des arrêtés ; mais nous ne l'avons pas fait avec l'intention de violer les tarifs diocésains, nous les avons signés de bonne foi et jamais des erreurs commises de bonne foi ne peuvent être invoquées comme ayant force de loi.
Mais quand nous avons vu que c'était un système et que l'on demandait la proclamation de ce principe que le fondateur avait le droit de régler comme il l'entendait les honoraires des messes, nous avons dit : Il est temps de rétablir les principes.
Ce qui prouve que telles étaient bien les intentions du gouvernement, c'est le projet de loi qui a été déposé par mob honorable prédécesseur, M. Tesch, sur les fabriques d'église. Quand mon honorable prédécesseur a déposé ce projet de loi, un article disait formellement que l'excédant des honoraires, d'après le taux du tarif diocésain, attribué par le fondateur, appartiendrait à la fabrique d'église.
Cela prouve que mon honorable prédécesseur comprenait la loi comme je l'entends et comme elle a été comprise par tous les auteurs, à savoir qu'un fondateur ne peut pas attribuer des honoraires de messe supérieurs au tarif diocésain.
Votre système, je le répète, tend au rétablissement des bénéfices. Je sais bien que vous m'objectez que le bénéficier doit administrer le bien. Qu'est-ce que cela fait ? Quel est le grand danger des bénéfices ? C'est l'immobilisation des biens et c'est l'attribution de sommes considérables à des personnes qui ne rendent aucun service. Une personne a 1,000, 2,000 francs pour dire une messe par an. Est-ce utile ? La révolution a fait table rase de ces abus.
Mais vous, vous voulez créer des rentes supplémentaires pour les ministres du culte. L'honorable M. Cornesse dit : Dans tel village, vous avez un pauvre curé privé de ressources suffisantes. Pourquoi ne pas lui accorder un traitement supplémentaire ? Nous répondons : Ce curé qui n'a rien aujourd'hui peut avoir de la fortune demain ou être remplacé par un autre qui en aura. Avec votre système, vous créeriez dans l'avenir des fondations considérables, de véritables bénéfices en faveur de personnes dont vous ne connaissez pas la situation.
Je dis donc que votre circulaire est dangereuse et que votre jurisprudence ouvre la porte au rétablissement des bénéfices. Quand nous demandons l'observation de la loi, nous ne faisons que notre devoir ; vous ne pouvez pas vous en plaindre, d'autant plus que nous ne demandons que l'application des tarifs faits par les évêques.
M. Jacobs. - M. Bara base tout son système sur une distinction entre les articles. 69 et 73 de la loi organique.
Le premier régirait les fondations de messes ; le second ne réglerait que les fondations pour l'entretien des ministres du culte ; or, il n'en est rien, l'article 69 n'a pas pour but de réglementer les fondations de messes.
M. Bara. - Je demande la parole.
M. Jacobs. - Il s'applique à certaines fondations seulement et l'article 73 s'applique à toutes les fondations indistinctement. Il suffit de lire ; l'article 69 porte :
« Les évêques rédigeront les projets de règlements relatifs aux oblations que les ministres du culte sont autorisés à recevoir pour l'administration des sacrements. Les projets de règlements rédigés par les évêques ne pourront être publiés ni autrement mis à exécution qu'après avoir été approuvés par le gouvernement. »
Dans cet article, on réglemente les oblations que les ministres des cultes peuvent recevoir en l'absence de toute fondation, pour l'administration des sacrements et l'on comprend parfaitement que l'on prenne des dispositions à cet égard.
Pour les fondations, l'on a toujours la garantie de l'intervention du pouvoir central, qui approuve ou désapprouve les fondations, mais, dans le courant de la vie ordinaire, pour les messes payées mais non fondées, le gouvernement n'intervient pas et l'on a cru bon d'établir un règlement diocésain.
L'article 73 a pour but spécial de régler les fondations, dont l'article 69 ne s'occupe pas spécialement. Il porte :
« Les fondations qui ont pour objet l'entretien des ministres et l'exercice du culte ne pourront consister qu'en rentes constituées pour l'Etat ; elles seront acceptées par l'évêque diocésain et ne pourront être exécutées qu'avec l'autorisation du gouvernement. »
Cet article ne distingue pas.
Qu'est-ce que l'exercice du culte, si ce n'est l'administration des sacrements, dont parle aussi l'article 69 ? Mais cet article 69 n'a pour but que de consacrer le droit de l'évêque de réglementer, de tarifer, tandis que l'article 73 règle le droit de fonder. Donc, c'est l'article 73 et non l'article 69 qu'il faut consulter ici ; c'est lui qui détermine d'une manière générale les droits en matière de fondation, soit pour l'entretien des ministres du culte, soit pour l'exercice du culte.
On discute réellement sans but sérieux la circulaire de M. Cornesse ; en effet, quelle garantie de plus aurez-vous, parce que l'on s'en tiendra aux règlements approuvés par le gouvernement ou aux actes de fondation approuvés également par le gouvernement ? Où est la différence ? D'un coté comme de l'autre vous avez l'intervention du pouvoir central ; le (page 513) règlement doit être approuvé par le Roi, comme les fondations doivent être approuvées par le Roi ; c'est la seule garantie dans les deux cas.
M. Bara l'a reconnu en vous disant tout à l'heure : « Si le règlement alloue des honoraires insuffisants, demandez que l'on modifie ce règlement. » La seule garantie que vous ayez contre l'exagération des tarifs réglementaires, c'est l'intervention du gouvernement ; si l'on s'en contente pour les règlements devant lesquels M. Bara s'incline, on peut s'en contenter aussi pour les fondations devant lesquelles M. Bara ne s'incline pas.
Si le gouvernement est disposé à allouer des honoraires exorbitants dans l'approbation des fondations, il le fera aussi aisément en matière de règlement.
Si le gouvernement n'est pas une garantie dans un cas, il n'est pas une garantie dans l'autre.
Tous les inconvénients cités dans une hypothèse sont possibles dans l'autre, puisqu'il faut, soit pour les règlements, soit pour les fondations, que le gouvernement central intervienne.
Les craintes manifestées sont donc chimériques.
M. Bara. - Messieurs, je voudrais dire un mot en réponse à l'honorable M. Jacobs.
D'après les dernières paroles de l'honorable membre, il n'y aurait aucun avantage pour les ministres du culte dans la réforme introduite par l'honorable M. Cornesse.
Ce que vient de dire l'honorable M. Jacobs est en complète contradiction avec le discours de l'honorable M. Cornesse qui prétend que j'ai inauguré une jurisprudence qui porte atteinte à la liberté des fondateurs et aux droits du clergé, une jurisprudence hostile au petit clergé.
Les deux jurisprudences se valent donc, d'après l'honorable M. Jacobs ; et d'après l'honorable M. Cornesse, au contraire, la sienne est une réparation. Que ces deux honorables anciens ministres concilient leurs appréciations.
L'honorable M. Jacobs a produit un argument que je n'avais pas cru devoir rencontrer. Aussi l'honorable M. Cornesse s'est bien gardé d'en parler, parce qu'il savait qu'il n'était pas fondé.
Dans le principe, on avait dit que l'article 69 de la loi organique ne concernait que l'administration des sacrements : la communion, le baptême, etc.
Immédiatement, tout le monde a protesté contre cette interprétation, et les actes du conseil d'Etat et du gouvernement ont dit : Il s'agit de fondations de messes, d'obits, d'anniversaires.
M. Beltjens, dans son avis, reconnaît lui-même qu'il ne faut pas s'en tenir au mot « sacrements » et que l'article 69 parle de toutes les fondations.
C'est ce que vous disait, tout à l'heure, l'honorable M. Cornesse lui-même : quand le titre est muet sur le prix qu'il faut payer, alors il y a obligation de s'en rapporter au tarif diocésain ; donc vous voyez bien que l'article 69 concerne les fondations de messes.
Donc vous voyez que cet article ne s'applique pas seulement à l'administration des sacrements, qu'il s'applique également à l'exécution de toutes les fondations de services religieux.
Maintenant, messieurs, l'honorable M. Jacobs dit : Mais quelle garantie avez-vous de plus par le règlement diocésain ? Dès que le gouvernement intervient, cela suffit. Mais, messieurs, cette garantie est très grande : elle empêche la pression sur l'autorité ministérielle, elle prémunit contre les revirements dans l'opinion du gouvernement.
Je suppose qu'à un moment donné, la vie étant plus chère, on augmente les tarifs comme on le fait pour les fonctionnaires publics, cela peut s'expliquer. Mais ce ne sera pas la même chose que si dans chaque cas particulier on va plaider devant le ministre la question de savoir si l'on peut accepter une messe à tel ou tel taux d'honoraires.
En effet, un prêtre pauvre se rendra chez le ministre et lui dira : Je ne puis accepter la messe à ce taux, je n'ai rien. Le ministre devra permettre d'élever le taux. Mais si le curé est riche, le ministre n'accordera pas cette autorisation et ce ne sera pas juste car, après le curé riche, pourra arriver un curé pauvre. Ainsi donc vous ne sauriez pas prendre justement des arrêtés de cette nature.
L'intérêt public exige que vous ayez une règle, un tarif fixe. C'est ce qu'a voulu l'article 69 de la loi organique qui nous donne des garanties puisqu'il dit que les évêques donneront leur avis et que les règlements présentés par eux seront approuvés par le gouvernement.
Ce que nous ne voulons pas, c'est qu'on fasse au clergé des rentes supplémentaires en tolérant tous les honoraires et en n'en fixant pas le taux que vous voulez laisser déterminer par caprice du fondateur. C'est pourquoi je demande qu'on en revienne à l'article 69 et qu'on dise que l'honoraire devra être acquitté selon les règlements qui existent. Si les évêques trouvent que les tarifs sont trop bas, ils peuvent en présenter de nouveaux ; le gouvernement aura alors à examiner s'il y a lieu de les approuver.
M. Cornesse. - L'honorable M. Bara a relevé une prétendue contradiction qui existerait entre l'honorable M. Jacobs et moi. Cette contradiction n'a de fondement que dans l'imagination de M. Bara ; il attribue à mon honorable collègue une idée réellement saugrenue.
M. Bara. - Je vous remercie.
M. Cornesse. - Il dit que l'honorable M. Jacobs aurait prétendu que mon système et celui de l'honorable M. Bara sont absolument les mêmes. Or, il est évident que l'honorable M. Jacobs n'a pu ni penser ni dire pareille chose : le système de l'honorable M. Bara et le mien sont précisément aux deux pôles opposés : s'il n'en était pas ainsi, pourquoi l'honorable membre a-t-il soulevé cette discussion ?
Mais l'honorable M. Bara ne remédie, dans son système, à aucun des abus qu'il signale. Voilà ce que l'honorable M. Jacobs lui a fait remarquer.
L'honorable M. Jacobs lui dit : Votre système ne remédie en rien aux prétendus inconvénients que vous redoutez. La mainmorte que vous redoutez, elle existe dans un cas comme dans l'autre ; dans un cas comme dans l'autre, vous avez l'intervention du pouvoir central, vous avez les mêmes garanties ; sous ce rapport, il y a similitude entre les deux systèmes ; par conséquent, ce sont des moulins à vent que vous combattez dans le système de M. Cornesse ; il y a toujours l'intervention du gouvernement, qui offre des garanties contre les abus.
Mais l'honorable M. Jacobs a parfaitement compris et s'est parfaitement expliqué la différence énorme qui existe entre les deux systèmes au point de vue des intérêts du clergé inférieur. Si le système de l'honorable M. Bara n'a pour but de remédier à aucun inconvénient sérieux, il doit avoir un résultat certain: c'est de couper les vivres au petit clergé. (Interruption.)
Voilà le but, voilà, à coup sûr, le résultat du système de M. Bara. Or, ce but, ce résultat, je les signale à l'attention du pays. Et j'emploierais volontiers ici une locution souvent usitée : je dirais volontiers : A bas les masques ! Le petit clergé, le bas clergé, le clergé des paroisses, vous semblez lui témoigner beaucoup de sympathie ; vous semblez lui porter beaucoup d'affection et d'intérêt. Si j'ai bonne mémoire, à la fin du Congrès libéral, un vœu a été émis en faveur du « petit clergé dont la Constitution civile est impunément violé. »
M. Vleminckx - En faveur de son indépendance.
M. Cornesse. - Eh bien, son indépendance est dans son bien-être, dans son aisance, et je suis étonné, quand le petit clergé en Belgique, quand beaucoup de prêtres, beaucoup de vicaires et de desservants sont dans une position très gênée, peuvent à peine suffire aux strictes nécessités de la vie et se trouvent dans l'impossibilité de remplir toutes les obligations que leur position leur impose, obligations de charité, obligations de secours aux indigents, parce qu'ils sont continuellement en contact avec les malheureux, avec les malades ; je suis étonné, dis-je, qu'on vienne crier aux abus et réclamer la suppression d'une liberté qui ne s'exerce qu'au profit de cette classe si intéressante des ministres du culte.
Où est donc l'abus constaté depuis cinquante ans? Je défie l'honorable M. Bara d'en citer un seul, comme je le défie de citer un arrêté royal ayant refusé l'autorisation à une libéralité excédant, dans les limites raisonnables, le taux des tarifs. Il n'y en a pas, c'est à lui, à lui seul, que revient l'honneur de l'invention du système que je combats.
Il voudrait en endosser la responsabilité à l'honorable M. Tielemans ; mais M. Tielemans n'a émis qu'une opinion; c'est à M. Bara que revient tout le mérite d'avoir voulu ériger cette opinion en jurisprudence.
Eh bien, ce système est exclusivement dirigé contre le petit clergé ; c'est lui seul qui en est atteint et M. Bara a vainement essayé, dans son discours d'hier, de laisser supposer qu'il s'agissait de favoriser indirectement des prêtres réguliers.
Non, la vérité est que le petit clergé seul est frappé et que c'est contre lui qu'étaient dirigées les mesures restrictives de l'arrêté du 21 février 1870 !
(page 506) M. le président. - il n'y a plus d'orateurs inscrits ; si personne ne demande la parole, je déclarerai la discussion générale close.
- Plusieurs membres. - A demain.
- D'autres membres. - Non ! non ! La clôture !
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - J'ai à répondre à diverses questions qui m'ont été posées hier et aujourd'hui, par l'honorable M. Bara et par l'honorable M. Defuisseaux.
Aujourd'hui l'heure est assez avancée et je propose la remise de la discussion à demain. (Adhésion.)
M. Pety de Thozée dépose un rapport sur une demande de naturalisation ordinaire.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.
La séance est levée à 5 heures.