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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 30 janvier 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 349) M. de Borchgrave fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance du 26 janvier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Borchgrave présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le conseil communal d'Oostham demande que le département de la guerre fasse vendre annuellement, au camp de Beverloo, la paille ayant servi au couchage de la troupe et le fumier des chevaux de la cavalerie. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Verbrugge demande que la Chambre l'admette à faire la preuve qu'il sait guérir la peste bovine. »

- Même renvoi.


« Le sieur Thiebaut propose des mesures pour améliorer la position des facteurs de la poste. »

M. Lelièvre. - Je demande un prompt rapport sur cette pétition, qui mérite de recevoir un accueil favorable.

- Adopté.


« Le sieur Debauche, gendarme pensionné, demande une augmentation de pension ou un secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Bauduin prie la Chambre de voter un crédit pour augmenter les traitements des douaniers et des commis des accises. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Les Tailles demandent l'ouverture, au moins pour les grosses marchandises, de la station de Courtil. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Quaedmechelen prie la Chambre d'accorder la demande en concession d'un chemin de fer de Malines par Aerschot sur Wychmael. »

- Même renvoi.


« Des instituteurs pensionnés demandent que le projet de loi relatif à la caisse générale de prévoyance en faveur des instituteurs primaires ait un effet rétroactif. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Pierre Hiver, jardinier à Arlon, né à Eich (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les instituteurs primaires du canton de Moll demandent pour les instituteurs en service une augmentation de traitement et pour ceux qui sont à la retraite une augmentation de pension. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le sieur Soumillon prie la Chambre d'adopter, pendant la session actuelle, la projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Les sieurs Michaëlis, Reichling et autres membres de l'association conservatrire de l'arrondissement d'Arlon prient la Chambre de prendre des mesures pour sauvegarder nos institutions contre de nouvelles tentatives de bouleversement. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Sart-Walhain demandent une halte à Grand-Leez, sur le chemin de fer entre Perwez et Gembloux. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Malines prie la Chambre d'accorder au sieur Michotte la concession d'un chemin de fer vicinal de Malines a Heyst-op-den-Berg avec faculté de continuer jusqu'à Herenthals. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale de Vossem prient la Chambre d'accorder au sieur Pousset la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Aix-la-Chapelle. »

« Même demande des membres de l'administration communale de Neervelp, Kakendries, Houppertingen, Cuttevoven, Mettecoven, Horpmael, Brouckom, Duysbourg, Berlingen, Hautem-Sainte-Marguerite, Herderen.»

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« M. le ministre de la guerre adresse à la Chambre deux exemplaires de l’Annuaire militaire officiel de 1872. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« MM. Simonis et Mouton demandent des congés. »

- Accordé.

Projets de loi de naturalisation

Personne ne demandant la parole, la Chambre vote successivement, par assis et levé, sur les projets de lois suivants :

« A tous présents et à venir, salut.

« Vu la demande du sieur Maximilien Goebel, directeur-gérant de charbonnages, à Grivegnée (province de Liège), né à Zankeroda (Saxe), le 30 janvier 1846, tendante à obtenir la naturalisation ordinaire ;

«Attendu que les formalités prescrites par les articles 7 et 8 de la loi du 27 septembre 1835 ont été observées ;

« Attendu que le pétitionnaire a justifié des conditions d'âge et de résidence exigées par l'article 5 de ladite loi ;

« Les Chambres ont adopté et nous sanctionnons ce qui suit :

« Article unique. La naturalisation ordinaire est accordée audit sieur Maximilien Goebel. »

- Adopté.


La formule qui précède est applicable à chacune des demandes des sieurs :

Jean-Adolphe Zinnen, artiste musicien, né à Larochette (grand-duché, de Luxembourg), le 5 juillet 1858, domicilié à Molenbeek-Saint-Jean lez-Bruxelles.

- Adopté.

Arnold-Marinus Jansen, garde-barrière, né à Lendl (Pays-Bas), le 20 mars 1815, domicilié à Tilleur (Liège).

- Adopté.

George-Adolphe Dielz, directeur d'une société industrielle, né à Colmar (Alsace), le 14 septembre 1818, domicilié à Uccle lez-Bruxelles.

- Adopté.

Archibald Patton, négociant en lin, né à Belfast (Irlande), le 10 décembre 1845, domicilié à Courtrai.

- Adopté.

Jean-François Etienne, cultivateur, né à Bütgembach (Prusse), le 14 mars 1844, domicilié à Jalhay (Liège).

- Adopté.

François-Guillaume Jacobs, horloger, né à Maestricht, le 22 septembre 1834, domicilié à Namur.

- Adopté.

(page 550) Louis-Joseph Moreau, cabaretier et propriétaire, né a Baives (France), le 24 août 1818, domicilié à Salles (Hainaut).

- Adopté.

Henri-Joseph Schlosser, chef mineur à la houillère du Bois d'Avroy, né à Kerkrade (partie cédée du Limbourg), le 25 mars 1832, domicilié à Saint-Nicolas lez-Liège.

- Adopté.

François Duvivier, sergent-major au 6ème de ligne, né à Redange (grand-duché de Luxembourg1, le 8 mars 1814.

- Adopté.

Etienne Franckard, employé aux usines du Val-de-Poix, né à Ell (grand-duché de Luxembourg), le 1er septembre 1834, domicilié à Vesqueville (Luxembourg).

- Adopté.

Alphonse-Octave-Louis-Manuel de la Riva-Aguero, propriétaire, né à Lima (Pérou), le 6 décembre 1854, domicilié à Niel-Saint-Trond (Limbourg).

- Adopté.

André-Manuel Séverin de la Riva-Aguero, propriétaire, né à Lima (Pérou), le 8 janvier 1837, domicilié à Niel-Saint-Trond (Limbourg).

- Adopté.

Jean-Jacques-Edouard Kalls, fabricant, né à Juliers (Prusse), le 30 mai 1817, domicilié à Saint-Josse-ten-Noode lez-Bruxelles.

- Adopté.

Ignace-Ferdinand Neuens, sergent-major au régiment des carabiniers, né à Vianden (grand-duché de Luxembourg), le 20 septembre 1849.

- Adopté.

Il est procédé à l'appel nominal.

Ces projets de lois sont adoptés par 61 voix contre 5.

Ont répondu oui :

MM. Yan Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Wambeke, Léon Visart, Vleminckx, Wouters, Ansiau, Balisaux, Bara, Boucquéau, Boulenger, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Coremans, Couvreur, Crombez, Dansaert, David, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Dorlodot, De Fré, de Kerckhove, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Liedekerke, Demeur, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Theux, de Vrints, Elias, Guillery, Hayez, Jacobs, Jamar, Jottrand, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Muller, Pety de Thozée, Pirmez, Reynaert, Rogier, Schollaert, Snoy, Tesch, Thienpont, Vanden Steen, Vander Donckt et Thibaut.

Ont répondu non :

MM. Van Overloop, de Smet, d'Hane-Steenhuyse, Gerrits et Julliot.

- Les projets de lois seront transmis au Sénat.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1872

Discussion générale

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion générale du budget de l'intérieur pour l'exercice 1872.

M. De Lehaye (pour une motion d’ordre). - La section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur pour l'exercice 1872 a exprimé le vœu que les employés provinciaux soient payés conformément à l'arrêté de 1864.

Ce vœu pourrait être réalisé par le budget dont nous allons nous occuper ; mais, comme il manque à la Chambre des documents pour asseoir son opinion, je prierai M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien déposer sur le bureau un tableau indiquant, par province, quels sont les traitements dont jouissent aujourd'hui les employés provinciaux. La Chambre pourra s'assurer par l'examen de ce tableau qu'il y a des employés provinciaux qui ne touchent pas le traitement auquel ils ont droit.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - J'aurai l'honneur de déférer à la demande de l'honorable M. De Lehaye ; je ferai dresser le tableau qu'il réclame pour que la Chambre soit à même d'apprécier la question sous toutes ses faces.

M. Lelièvre. - Le budget de l'intérieur me donne l'occasion de formuler quelques observations sur les différents services se rattachant à l'objet en discussion.

J'estime d'abord qu'il serait équitable d'augmenter le traitement des membres des députations permanentes, qui n'est plus en rapport avec l'importance des fonctions déférées a ces collèges. Ceux-ci occupent un rang élevé dans la hiérarchie administrative. De graves affaires leur sont attribuées. Il me semble conforme aux règles de justice d'augmenter, dans une certaine mesure, la rémunération qui leur est due.

Cette mesure est d'autant plus équitable qu'il est question de majorer le traitement des greffiers provinciaux.

Je recommande à M. le ministre de l'intérieur l'examen de la question de savoir si l'on ne pourrait pas introduire la publicité des séances des députations permanentes dans diverses affaires contentieuses.

Déjà ce principe a été admis en matière électorale et en matière de milice. On pourrait, à mon avis, l'étendre à d'autres matières dans lesquelles des intérêts privés sont en jeu.

D'un autre côté, l'on devrait admettre le pourvoi en cassation dans divers cas auxquels, dans l'état actuel de la législation, ce recours est encore étranger.

Ainsi, en matière d'impôts communaux, quand il s'agit de grever les industriels de certaines subventions à raison de la dégradation de chemins vicinaux et dans d'autres matières contentieuses, les décisions des députations devraient pouvoir être déférées à la cour suprême, comme en matière de milice, etc.

Ce sont là des améliorations que je recommande à l'examen de M. le ministre ; elles sont dignes de toute son attention.

Il serait aussi de toute justice de ne plus mettre à la charge des communes le loyer ou l'entretien des locaux servant aux audiences de la justice de paix et ceux servant au greffe du tribunal de police communale.

En un mot, le n°8 de l'article 131 de la loi communale de 1836 n'a plus aujourd'hui aucune raison d'être, alors que les communes ne perçoivent plus, à leur profit, les amendes prononcées par contraventions de police.

C'est là désormais un objet d'intérêt général qui doit être à la charge de l'Etat.

Il en est de même du traitement du commissaire de police, soit en tout, soit en partie

Le système par suite duquel on imposait ces dépenses aux communes a cessé d'exister, surtout depuis la publication du code pénal de 1867.

Enfin, je recommande au gouvernement de continuer à ne rien négliger pour la prospérité de l'enseignement public à tous les degrés.

C'est là un intérêt social et élevé, qui doit être l'objet de la sollicitude des pouvoirs publics.

J'espère que l'on continuera à accorder des subsides, les plus élevés que possible, aux communes, pour la diffusion de l'enseignement sur leur territoire.

Il y a des communes qui font des sacrifices considérables pour l'instruction. C'est ainsi que la ville de Namur affecte à cet important service le quart de ses revenus, environ 86,000 francs pour le service de l'enseignement moyen et de l'enseignement primaire.

Evidemment, des communes qui font de pareilles dépenses doivent être encouragées par le gouvernement.

Celui-ci doit aussi favoriser l'enseignement primaire supérieur organisé par les communes pour les filles.

Cet enseignement est, d'ailleurs, soumis aux prescriptions de la loi du 23 septembre 1842 ; il n'y a pas de doute qu'il n'en résulte de grands avantages pour l'intérêt public.

C'est ainsi que les écoles de filles établies à Namur produisent les meilleurs fruits.

L'enseignement a atteint une hauteur inespérée. C'est cet ordre de choses satisfaisant que M. le ministre de l'intérieur saura maintenir.

Quant à moi, j'ai toute confiance dans sa loyauté et sa franchise et je suis convaincu qu'il aura à cœur de faire honorer son ministère par la protection qu'il accordera à l'intérêt sacré de l'enseignement public.

M. Elias.- Depuis la discussion du dernier budget de l'intérieur, un fait assez considérable s'est produit. L'honorable M. Delcour a remplacé l'honorable M. Kervyn de Lettenhove comme chef de ce département.

Si nous ne consultions que nos sentiments personnels, il est évident que nous ne pourrions que nous féliciter de la nomination de l'honorable M. Delcour.

L'affabilité de son caractère, son aménité lui ont concilié des sympathies même sur les bancs de la gauche, mais c'est l'homme politique que nous devons considérer. Que de craintes ne devons-nous pas avoir !

L'honorable M. Delcour ne nous a pas donné d'explications, de programme à son entrée au pouvoir. Mais, d'après ce que nous a dit l'honorable M. Malou lorsqu'il a pris place au banc ministériel : que nous devions juger le cabinet actuel d'après ses antécédents, je me permettrai de déterminer, d'après les antécédents si connus de l'honorable M. Delcour, quelle sera sa conduite. Pour les points qui me paraîtront obscurs, je me (page 351) permettrai de lui adresser quelques questions. Et tout d'abord, je me permettrai de lui adresser une question personnelle.

Je lui demanderai s'il a conservé, étant au banc ministériel, sa place à l'université de Couvain ?

Je reconnais volontiers qu'il n'existe pas d'incompatibilité légale entre la place de professeur à l'université de Louvain et les fonctions ministérielles, mais on peut dire cependant qu'il existe une incompatibilité morale des plus fortes, bien plus forte que celle qui a obligé l'honorable M. Malou à donner sa démission de toutes les places d'administrateur qui pouvaient le mettre en rapport avec le ministère des finances.

Cela est tellement vrai, messieurs, que lorsqu'on s'est occupé de la reconstitution d'un ministère clérical, lorsqu'on a annoncé que l'honorable M. Thonissen allait devenir ministre, on a ajouté qu'il renonçait d'une manière sérieuse et irrévocable à sa place de professeur.

Cela prouve que l'honorable M. Thonissen considérait cette position comme tout à fait incompatible avec celle de ministre. Et en vérité, messieurs, il ne peut en être autrement, si l'on envisage les rapports qui ont existé entre le titulaire du département de l'intérieur et l'épiscopat.

Comme professeur, il était sous la direction, sous la dépendance presque de l'épiscopat. Comme ministre, il est le chef des administrations communales. De cette situation peuvent résulter bien des froissements, bien des difficultés.

Les administrations sont continuellement en conflit avec l'épiscopat. Il y a bien des points de contact, bien des occasions de contestation. Ainsi des conflits peuvent naître à l'occasion des comptes des fabriques ; M. le ministre soutiendra-t-il alors énergiquement les administrations communales qui résisteront aux prétentions de l'épiscopat ?

Je connais un fait particulier, que je citerai tantôt à M. Delcour, où il y a conflit entre l'administration communale et la fabrique de. l'église contre l'épiscopat belge. Je lui demanderai si dans cette circonstance il soutiendra l'administration communale ? En matière de cimetière, les administrations communales sont également en conflit avec l'épiscopat. Dans cette circonstance encore, l'honorable M. Delcour soutiendra-t-il les fonctionnaires publics, les bourgmestres notamment qui résisteront aux empiétements de l'épiscopat et qui croiront que le décret du 23 prairial an XII doit être appliqué comme il l'a été généralement jusqu'ici ?

Et pour ne citer qu'un fait, ne serait-il pas tenté de blâmer un bourgmestre qui agirait comme l'a fait le bourgmestre de Saint-Genois ? C'est ce que. le pays doit craindre.

Mais, messieurs, si sa position, sous ce rapport, présente certaines difficultés, il est évident qu'en matière d'enseignement, les difficultés sont infiniment plus grandes. Comme professeur de l'université de Louvain, M. Delcour a toujours dû travailler énergiquement à la prospérité de l'université de Louvain ; il a dû lutter constamment contre l'enseignement officiel.

Est-il bien en position aujourd'hui de défendre contre tout autre enseignement l'enseignement officiel, l'enseignement de l'État ? Ne sera-t-il pas, malgré lui, entraîné à favoriser l'enseignement auquel il appartenait hier encore, auquel il peut encore appartenir demain, à moins qu'il ne dise que sa démission est irrévocable et définitive ? Et n'existe-t-il pas des circonstances dans lesquelles M. le ministre de l'intérieur peut favoriser un établissement d'enseignement supérieur au détriment des autres ?

Evidemment. Je parlerai d'abord des nominations.

L'honorable ministre ne sera-t-il pas tenté de peupler les universités de l'Etat de jeunes professeurs sortant de l'université de Louvain, Ou du moins d'hommes professant les mêmes doctrines qu'à l'université de Louvain ; ce qui ferait qu'au lieu d'avoir en Belgique une seule université catholique, on pourra dire, au bout de quelques années, que nous en aurons trois.

Vous savez, messieurs, que l'activité intellectuelle n'est pas bien grande dans nos universités. Notre enseignement supérieur manque un peu de spontanéité. La lutte qui existe aujourd'hui entre les différents enseignements officiels et libres donne de l'émulation entre les professeurs, une certaine énergie dans l'exposé de doctrines divergentes. Aussitôt que les universités de l'Etat auront un enseignement conforme à celui de l'université de Louvain, cette activité disparaîtra.

Il y a donc là un danger pour le pays sur lequel je veux appeler votre attention.

Il est une autre occasion qui permettra à l'honorable ministre de favoriser l'université à laquelle il a appartenu : c'est dans la nomination des jurys. L'honorable ministre exécutera la loi, mais il l'exécutera dans son texte seulement. Ainsi, dans la composition d'un jury, tous les membres n'ont pas une influence égale ; certains professeurs chargés de cours importants ont une influence plus grande que les autres.

L'honorable M, Delcour ne sera-t-il pas toujours tenté de choisir dans l'université catholique les professeurs chargés de cours importants ? C'est une question que je me pose. Messieurs, le temps de parler des améliorations que l'on pourrait chercher à introduire dans l'enseignement officiel me semble passé. Ce sont des idées qu'il faut abandonner actuellement.

Dans l'enseignement moyen, la position de l'honorable M. Delcour sera la même que dans l'enseignement supérieur. Il sera porté à favoriser l'enseignement privé, l'enseignement des corporations qui fournit des élèves à l'université catholique de Louvain.

Nos collèges, nos écoles moyennes ne sont pas les pépinières où Louvain va chercher ses jeunes étudiants ; les étudiants de Louvain sortent, en thèse générale, des établissements des jésuites. L'honorable M. Delcour ne sera-t-il pas encore amené à favoriser cet enseignement au détriment de l'enseignement public ?

Il est un autre point de vue sous lequel la nomination de l'honorable M. Delcour n'est pas favorable à l'enseignement moyen.

Il est présumable qu'avec ce ministre les changements que l'on voulait apporter à cet enseignement seront abandonnés. L'honorable M. Pirmez avait introduit quelques réformes, Ainsi il avait modifié légèrement l'enseignement des langues anciennes, il avait diminué l'étude du grec, il avait diminué le nombre d'heures consacrées aux thèmes, aux vers latins, pour développer les versions, la connaissance des auteurs.

Ces réformes étaient modestes dans leur commencement. Elles n'étaient qu'un essai destiné à prendre du développement. En attendant elles respectaient les traditions.

L'honorable M. Delcour suivra-t-il la même voie ? L'étude des sciences exactes, dont l'importance a grandi considérablement dans nos sociétés modernes, avait aussi reçu certains développements ; il en était de même de l'étude des langues modernes.

La connaissance des langues modernes, surtout de celles parlées par nos proches voisins, est devenue aujourd'hui d'une nécessité presque absolue ; nos relations avec nos voisins se multiplient tous les jours. L'honorable M. Delcour favorisera-t-il aussi leur enseignement ?

Par une modification apportée à l'enseignement normal en 1862, il a été créé une pépinière de jeunes professeurs formés, plus aptes à enseigner ces langues que les anciens professeurs.

Ces derniers, on avait dû les demander à l'étranger. Ils pouvaient être savants dans la langue étrangère, mais ne connaissaient que d'une manière tout à fait insuffisante la langue dans laquelle ils devaient enseigner, c'est-à-dire la langue française, d'où il résulte qu'ils sont souvent peu corrects, peu élégants dans le choix de leurs expressions, et que leur prononciation laissait à désirer. Les jeunes élèves sont sans pitié pour ces défauts, très faciles à ridiculiser, et ils s'en arment pour introduire l'indiscipline dans la classe d'abord, dans l'école bientôt après.

Les prédécesseurs de M. Delcour avaient saisi toutes les occasions pour transformer cet enseignement an moyen dès éléments nouveaux que je viens d'indiquer.

Le ministre actuel ferait chose utile au pays s'il complétait ces changements.

Le moment paraît arrivé où il sera possible de le faire sans trop de froissements, sans éveiller' trop de susceptibilités.

Il est une langue de la plus grande utilité pour les Wallons, sur l'étude de laquelle nous, Wallons, nous avons plusieurs fois appelé l'attention du gouvernement ; je veux parler de l'étude du flamand, spécialement dans les collèges et les écoles moyennes du pays wallon.

La nécessité de l'étude du flamand à été démontrée plusieurs fois déjà dans cette enceinte, surtout par l'honorable M. Sainctelette, avec de très grands développements et avec la légitime autorité qu'il a acquise en ces matières. Moi-même j'en ai autrefois entretenu la Chambre.

L'utilité de cette langue, pour nous Wallons, n'a plus besoin d'être démontrée. Cependant, l’enseignement du flamand est tout à fait infructueux actuellement. Les leçons en sont peu suivies et donnent peu de résultat. La cause'en est que dans les athénées, dans les écoles moyennes, il n'y a pas de professeur spécial pour le flamand ; le professeur d'anglais et le professeur d'allemand se partagent le cours de flamand dans les deux sections. Il en résulte que cet enseignement du flamand donné par des professeurs étrangers demeure stérile. Il faudrait que dans chaque athénée, dans chaque école moyenne surtout, il y eût un professeur titulaire de ce cours. Bien donné, il serait mieux suivi et donnerait des résultats satisfaisants. Espérons que, pour l'enseignement de cette langue, l'honorable M. Delcour entrera dans la voie du progrès, qu'il voudra bien, non pas penser en flamand, ce qui serait trop difficile pour lui Wallon, bien que député flamand, mais qu'il pensera tout simplement au flamand.

(page 352) Messieurs, je me laisse entraîner à vous parler de progrès, de réformes à introduire dans l'enseignement moyen. J'oublie en vérité les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons.

Mais le)rapport de la section centrale est venu me rappeler la réalité de notre situation.

Il est bien fait pour nous décourager,

Ce rapport appelle, en effet, l'attention du gouvernement sur les sections préparatoires des écoles moyennes et demande que ces sections soient placées sous le régime de la loi de 1842, au lieu de continuer à être sous celui de la loi de 1850, en vertu d'un texte formel de cette loi.

Cette demande de l'honorable M. De Lehaye, qui est l'organe de la section centrale, qui fut libéral ardent et qui, par cela même, se montre aujourd'hui catholique passionné, ne révèle-t-elle pas quelle est la volonté de la majorité en matière d'enseignement, ne révèle t-elle pas la volonté de faire de la réaction en matière d'enseignement ? Comment s'expliquer autrement cette demande de placer les sections préparatoires sous le régime de la loi de 1842 ? Ces sections ne font-elles pas partie intégrante de l'enseignement moyen ?

Dans les écoles moyennes, surtout dans celles du second degré, les élèves qui se présentent pour entrer dans la troisième classe, dans la classe inférieure, sortent des diverses écoles primaires du pays ; leur instruction est à un niveau de développement très varié, tant sous le rapport des connaissances générales que sous le rapport de chacune des matières ; dans certaines écoles, des branches de l'enseignement ont reçu un développement plus grand que dans d'autres, il faut donc un certain temps pour remettre les connaissances des élèves au même niveau et leur permettre ainsi de suivre avec fruit les cours de l'école moyenne proprement dite.

C'est là le but des classes préparatoires.

Il y a plus : à côté d'élèves sortant des écoles primaires, il y en a aussi beaucoup qui n'ont fait que des études privées ; sous certains rapports, ces études ont parfois été fort négligées.

Pour eux encore, la classe préparatoire est absolument nécessaire et c'est pour ce motif que la section préparatoire a été introduite partout et a reçu un certain développement. Remarquez, du reste, que la loi se sert ici du mot « section », ce qui doit signifier que les études peuvent y être divisées et plus ou moins longues.

La nécessité de cette classe préparatoire ne peut être niée, son utilité non plus et le nombre d'élèves qui s'y présentent prouve que cette classe est appréciée dans le pays.

Pourquoi la supprimer dès lors, si ce n'est pour nuire aux écoles moyennes ? Car je ferai remarquer en outre que c'est dans la section préparatoire que ces écoles recrutent leurs élèves et qu'à ce point de vue encore, il y aurait utilité à les maintenir. Vous savez en outre que les placer sous un autre régime équivaudrait à une suppression. La prétention qui montre trop son zèle de l'honorable M. De Lehaye...

M. De Lehaye.- C'est l'opinion de la section centrale.

M. Elias. - Je suppose que vous partagez l'avis de la section centrale, car je crois que dans le cas contraire vous auriez marqué le dissentiment qui aurait existé entre vous et la majorité. Il est évident que vous auriez eu soin de noter ce désaccord dans votre rapport.

Quand donc je parle du rapport, je puis parler de son rapporteur si zélé, de l'honorable M. De Lehaye. Un motif tout particulier aurait dû arrêter la majorité dans cette voie de réaction, aurait dû l'empêcher d'insérer dans le rapport le paragraphe auquel je fais allusion : c'est la décision qui a été prise l'an dernier à propos des écoles moyennes de filles.

Quoi ! la majorité catholique a déclaré, l'an dernier, que cet enseignement moyen de filles, bien qu'enseignement moyen, devait être placé sous le régime de la loi de 1842.

Elle l'a déclaré sans qu'il y eût le moindre prétexte pour le faire ; elle l'a déclaré contrairement au sens et à l'esprit de toutes nos lois et contrairement au sens commun qui veut qu'une école où se donne un enseignement moyen soit qualifiée d'école moyenne et régie par les principes, par les lois qui règlent dans le pays l'enseignement moyen.

C'est en présence de cette extension injustifiable à tous les points de vue, au point de vue légal, au point de vue constitutionnel, au point de. vue de la réalité des faits, c'est en présence de cette extension anormale de la loi de 1842 que l'honorable M. De Lehaye, dans son zèle de néophyte, vient aujourd'hui attaquer cette légère extension donnée à l'enseignement moyen dans les écoles préparatoires. Cela est à ne pas croire.

J'espère que la majorité de cette Chambre, que M. le ministre Delcour ne s'associera pas aux velléités réactionnaires de l'honorable rapporteur.

Du reste, messieurs, quel est le but de ce changement ? C'est de transformer l'enseignement religieux qui s'y donne et d'obliger les communes à subir l'influence du clergé. Aujourd'hui, en vertu de la loi de 1860, les communes sont libres de faire des conventions pour leur enseignement religieux. On veut, au moyen du régime de la loi de 1842, obliger les communes à subir cette influence dans les formes et avec tous les droits que cette loi lui accorde.

Voilà le but qu'on poursuit ; il n'y en a pas d'autre.

Cela me semble contraire à toutes vos promesses. Dans toutes les circonstances, vous vous dites les partisans zélés, les défenseurs ardents de la liberté communale. Adressez-vous donc à cette liberté ; elle pourra, en vertu de l'article 8 de la loi de 1850, abandonner au clergé des droits aussi étendus sur les écoles préparatoires que ceux qui résulteraient de l'application de la loi de 1842. Fiez-vous donc à elle, vous qui prétendez avoir une confiance absolue dans la liberté communale. Par ce moyen-là, du reste, vous obtiendrez dans ces écoles un enseignement religieux sérieux.

L'enseignement religieux donné en vertu de la loi de 1842 est donné par l'instituteur ou par l'institutrice.

Cet enseignement est tout à fait superficiel. Dans les écoles primaires, on enseigne tout simplement la lettre du catéchisme ; l'enfant est obligé d'apprendre par cœur le catéchisme, sans explication aucune. C'est un enseignement sans vie, qui peut faire connaître les pratiques d'une religion, mais nullement développer les sentiments religieux.

L'enseignement donné en vertu de la loi de 1850, au contraire, sera un enseignement donné par un prêtre et pourra recevoir les développements en rapport avec l'intelligence des élèves auxquels il s'adressera. Cette leçon de religion devra être développée surtout dans les écoles moyennes de filles qui, étant dans un âge plus avancé, pourront mieux le comprendre. Ces leçons seront tout autres que celles d'un instituteur.

Aussi, croyez-le bien, le clergé n'attache pas à l'enseignement religieux donné en vertu de la loi de 1842, dans les écoles supérieures de filles, la même importance que celle qu'on semble lui donner ici.

Dans les écoles moyennes de filles, le clergé ne vient pas surveiller l'enseignement religieux ; il n'y met pas les pieds, du moins dans celles que je connais.

C'est donc qu'il n'attache qu'une bien minime importance à ces leçons de catéchisme donné par les institutrices ; aussi ces leçons ne l'empêchent-elles pas la plupart du temps d'attaquer ces écoles avec la dernière violence.

Mais il y a plus. Je puis vous apporter une preuve directe que l'épiscopat ne tient nul compte de cet enseignement.

Cette pièce a été écrite dans une circonstance où l'évêque de Liège a prétendu qu'il ne fallait comprendre ni la religion ni la morale dans les matières à enseigner par l'instituteur.

Je vous ai déjà parlé de cette dépêche l'an dernier lors de la discussion du budget de l'intérieur.

C'est à propos du partage des biens de la fondation de Mons. Cette fondation avait un double but : l'enseignement primaire et des services religieux.

La commune et la fabrique, d'église, conformément à l'article 52 de la loi de 1864, étaient d'accord pour allouer à l'enseignement une somme déterminée de 1,100 francs.

L'épiscopat seul prétendait que cette somme était trop considérable et, savez-vous sur quel motif il s'appuyait pour combattre l'élévation de cette somme ? Sur celui que je vais vous lire :

« Considérant que dans l'instruction à donner à ces cinquante enfants, le testateur assigne une large part à l'enseignement du catéchisme et de la morale chrétienne et que cette partie reste encore à charge du desservant. »

Vous voyez donc que, quand il s'agit de chiffrer, l'épiscopat ne veut pas que l'instituteur soit chargé de l'enseignement de la religion. Il n'y attache plus d'importance.

L'an dernier, j'ai, dans la discussion du budget de l'intérieur, appelé l'attention de l'honorable M. Kervyn sur la situation de l'école qui dépend de cette fondation et sur le système lui-même.

Je me permettrai d'y revenir aujourd'hui. Cela me servira de transition pour passer de l’enseignement moyen à l'enseignement primaire.

Je vous ai parlé l'année dernière de cette fondation qui appartient à la commune de Mons et dont les revenus étaient considérables, il y a quelques années. Par des comptes déposés au greffe du gouvernement provincial, il est constaté qu'en 1817, 1818, 1819 les revenus de cette fondation s'élevaient à plus de 2,500 florins des Pays-Bas. Elle était alors administrée par les maires de Mons et de Hollogne. Depuis la révolution (page 353) belge, elle fut administrée par la fabrique de cette dernière commune. En 1866 les revenus n'étaient plus que de 2,500 francs.

Je vous ai dit dans quel état la commune a trouvé cette école qui jusqu'en 1866 avait été administrée par le curé bénéficiaire. Pas de carreaux aux fenêtres, pas de plancher, un plafond effondré, un toit percé à jour, des bancs disloqués, un mobilier classique impossible. Voilà dans quel état déplorable les revenus de la fondation et l'école furent trouvés lors de l'application de la loi sur les fondations.

Depuis, la commune a repris l'administration de l'école ; mais, comme elle n'est pas encore parvenue à avoir, hors des biens de la fondation, la somme qui lui revient pour l'enseignement primaire, elle n'a pas pu faire construire un bâtiment neuf.

L'école a passé du local que je viens de décrire dans la salle de bal d'un cabaret. C'est là une situation intolérable et sur laquelle j'appelle l'attention de MM. les ministres de l'intérieur et de la justice.

Et notez, messieurs, qu'il ne s'agit pas d'une commune de quelques centaines d'habitants ; il s'agit d'une commune de 2,000 âmes, commune industrielle où l'enseignement est excessivement nécessaire.

Il me semble qu'une solution de cette affaire devrait être rapidement obtenue.

En effet, la fabrique de l'église est d'accord avec l'administration communale pour fixer à 1,100 francs, je pense, la part qui revient à la commune dans la fondation. L'évêque de Liège seul, par la pièce que. je viens de lire, estime qu'au lieu de 1,100 francs une somme bien inférieure devrait être annuellement payée. Lui seul forme donc opposition ! Mais je pense que les honorables ministres de l'intérieur et de la justice, usant des pouvoirs que leur accorde la loi, pourraient passer outre et approuver la transaction qui est intervenue entre la commune et la fabrique d'église,

Cette solution immédiate serait un bienfait pour la nombreuse population de cette commune.

Messieurs, j'arrive à l'examen des questions que la position prise par M. le ministre, dans les différents débats qui ont eu lieu ici à propos de l'enseignement primaire, laisse douteuses et des points sur lesquels un accord s'est établi, accord qu'il me paraît utile de faire ressortir aujourd'hui.

Voici d'abord deux points sur lesquels un accord s'est établi entre les deux partis de cette Chambre.

Tous deux se rapportent à l'interprétation de l'article 6 de la loi de 1842.

Dans une discussion solennelle qui a eu lieu ici en 1868, il a été admis que la présence d'un dissident à l'école suffit pour que l'instituteur soit obligé de séparer l'enseignement scientifique et littéraire de l'enseignement religieux, pour que l'instituteur soit obligé, dans son enseignement littéraire, de s'abstenir de toute allusion religieuse.

Si cette opinion n'était pas admise par la Chambre ou s'il y avait doute, aujourd'hui, je rapporterais les termes dans lesquels l'accord s'est établi sur ce point dans les séances des 28 mars 1868 et 31 mars suivant, entre MM. Pirmez et de Rossius d'une part, et les honorables MM. de Theux, Delcour et Dumortier d'autre part.

L'honorable M. Delcour maintiendra-t-il aujourd'hui la même interprétation de l'article 6 ? J'ai tout lieu de l'espérer, bien que certaines paroles prononcées dans des circonstances récentes ne me laissent pas sans crainte.

C'est là ce qui m'engage à rappeler ce fait. Dans une discussion antérieure en 1864, l'honorable M. Frère avait précisé ce qu'on doit attendre par dissident.

Voici comment il y avait été amené. L'honorable M. Giroul avait attaqué vivement la loi de 1842. Il avait dit entre autres choses que cette loi portait obstacle à ce qu'un père de famille dispensât son fils d'assister à l'enseignement religieux. Il en concluait que cette loi était contraire à la liberté de. conscience garantie par la Constitution. L'honorable M. Frère répondit que cette interprétation était impossible, qu'elle ne pouvait être acceptée, que le droit du père de famille, devait être, dans tous les cas, respecté.

L'honorable M. Delcour maintient-il le droit du père de famille, et cette interprétation, admise depuis 1861, sera-t-elle maintenue ? Depuis cette époque, cette déclaration a été quelquefois rappelée à la Chambre, même par des membres de la droite, et toujours sans contestation de qui que ce soit.

Messieurs, je pose ces questions parce que je crains les modifications que peut apporter à leur solution le changement opéré dans les partis et ensuite parce qu'il est bon que le pays sache ce que fera le ministère actuel des quasi-conventions faites par l'ancienne minorité. Il est temps aussi que le pays soit rassuré contre les paroles au moins imprudentes prononcées par certains membres, qu'il fallait revenir à l'interprétation rigoureuse de la loi de 1842.

J'espère qu'il ne sera rien changé à l'application de cet article 6, si important en ces deux points qui restent acquis, mais il est d'autres questions sur lesquelles l'honorable M. Delcour s'est prononcé dans un sens tout à fait défavorable, tout à fait contraire à celui que l'opinion libérale avait fait prévaloir. Je parlerai d'abord des écoles adoptées. Pour ces écoles, l'honorable M. Delcour semble vouloir les mettre sur le même pied que les écoles communales.

L'opinion libérale, au contraire, avait fait prévaloir le principe que l'école communale est la règle, l'école privée l'exception ; que le gouvernement ne doit approuver les adoptions que lorsque les ressources de la commune ne permettent pas d'espérer une école primaire communale.

Deuxième question. En matière de nominations d'instituteurs, il avait été entendu que la commune ne serait admise à choisir un instituteur non diplômé que lorsqu'il ne se présenterait pas un instituteur diplômé convenable. Dans la discussion de l'affaire d'Enghien, l'honorable M. Delcour a semblé contredire ces principes ; j'espère que, dans l'application qu'il va faire de la loi, il ne maintiendra pas ce qu'avait dit le membre de l'opposition.

Il est certain que la bonté de l'enseignement dépend de la solution qui sera donnée à ces questions. La seconde notamment intéresse spécialement la prospérité des écoles normales, et ce aussi bien de celles du clergé que de l'Etat. Si les communes peuvent choisir des non-diplômés, elles seront vite amenées à le faire, le niveau des études baissera et les écoles normales seront désertes.

M. Delcour a semblé, dans la même discussion, contester au gouvernement le droit de faire directement la nomination des instituteurs lorsque la commune a laissé passer quarante jours sans faire la nomination d'un instituteur diplômé ou d'un instituteur non diplômé, mais dont le choix ait été approuvé d'avance par l'administration supérieure ; l'application de cette théorie aurait pour effet de permettre aux communes de se dispenser de conserver leurs écoles primaires.

Elles pourraient, en faisant successivement des nominations d'instituteurs impossibles, les tenir fermées aussi longtemps qu'elles le voudraient. Cette interprétation ne peut donc être maintenue, et j'espère que l'honorable M. Delcour, aujourd'hui ministre et responsable, l'abandonnera.

Messieurs, pour terminer, je crois devoir résumer les questions que j'ai posées à M. le ministre de l'intérieur.

Est-il encore professeur à l'université de Louvain ?

Les sections préparatoires des écoles moyennes seront-elles soumises à la loi de 1842, comme le demande l'honorable M. De Lehaye ?

Que fera-t-il des écoles moyennes de filles ? Leur conservera-t-il la situation illégale, illogique, que leur a faite son honorable prédécesseur M. Kervyn ?

Maintiendra-t-il les différentes interprétations qui ont été données à l'article 6 de la loi de 1842 ; les solutions qu'il a données aux difficultés nées dans l'application des art. 3 et 10 ?

J'espère que l'honorable M. Delcour fera une réponse favorable à quelques-unes de ces questions.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Messieurs, je remercié l'honorable M. Elias des paroles bienveillantes par lesquelles il a commencé son discours ; il peut être persuadé que, dans ma carrière ministérielle, j'apporterai à la discussion des lois et dans mes rapports avec tous mes honorables collègues de la Chambre, quels que soient leurs opinions et leur parti, la franchise que j'ai toujours montrée dans les luttes auxquelles j'ai pris part dans cette enceinte. C'est dans ces dispositions que je vais m'efforcer de répondre aux diverses questions qui m'ont été posées.

On a d'abord considéré mon ancienne qualité de professeur de l'université de Louvain comme formant en quelque sorte une cause d'exclusion du banc ministériel. Cependant on a bien voulu reconnaître qu'aucune loi ne consacre d'incompatibilité à cet égard ; mais l'honorable M. Elias vous a parlé d'une incompatibilité morale.

Messieurs, ce ne serait pas la première fois, veuillez vous le rappeler, qu'une personne appartenant à l'enseignement libre occuperait les fonctions ministérielles. Nous avons vu notamment les honorables MM. Van de Weyer et Ch. de Brouckere faire partie du gouvernement, bien qu'ils fussent attachés à l'université libre de Bruxelles.

Je ne pense pas qu'on ait reproché à ces anciens ministres leur qualité de membre de l'enseignement et j'espère qu'on ne m'en fera pas davantage (page 354) un reproche, car, messieurs, le principe doit être le même pour tous. Au surplus, l'honorable orateur m'ayant demandé une réponse catégorique sur le point de savoir quelle est aujourd'hui ma position vis-à-vis de l'université de Louvain, je vous déclarerai, messieurs, que ma position est bien claire et bien nette ; j'ai cessé d'appartenir à l'université de Louvain ; j'ai donné ma démission et elle a été acceptée. Je suis donc dans une complète indépendance.

Je compte faire, pour l'enseignement public, tout ce que ma haute position m'oblige à faire. Dans l'enseignement universitaire, dans l'enseignement moyen comme dans l’enseignement primaire, j'emploierai tous mes efforts, toute mon activité, d'abord pour donner à nos universités le plus vaste développement et la plus grande splendeur et pour maintenir et assurer, dans tout ce qui concerne les écoles moyennes et primaires, l'exécution complète et loyale des lois qui régissent ces institutions.

Vous n'avez donc pas à redouter que je sacrifie, sous aucun rapport, les droits du gouvernement ; je saurai maintenir pleinement et loyalement le principe de l'autorité civile tout en respectant la liberté et l'indépendance que la Constitution a établies au profit de l'autorité religieuse et des institutions libres.

En matière d'enseignement je désire d'abord la consécration pleine et entière, l'application complète du principe de la liberté de l'enseignement et je veux ensuite, en ce qui concerne les établissements de l'Etat, que nous suivions avec loyauté et franchise les lois qui les régissent.

Sur cet important objet de l'enseignement, des questions spéciales m'ont été posées auxquelles il me sera facile de répondre. Par votre ancienne position de professeur à l'université de Louvain, m'a-t-on dit, vous ne pourrez vous défendre de certaines préférences, et ces préférences ne se produiront-elles pas surtout lorsqu'il s'agira de la composition des jurys d'examen ?

Non, messieurs ; grâce au système qui existe actuellement, ces choix arbitraires sont en tout cas impossibles, car dans les jurys d'examen on n'appelle à siéger que des professeurs chargés de l'enseignement des matières qui doivent faire l'objet des interrogations et comme le nombre de ces professeurs est excessivement restreint, c'est à peine souvent si le choix est possible. Ainsi permettez-moi de vous citer deux exemples ; je les prendrai dans la faculté de droit de l'université de Liège que M. Elias connaît et dans celle de Louvain.

Je prends, messieurs, le jury dans lequel j'ai siégé pendant de nombreuses années, le jury pour le deuxième examen de docteur en droit. Eh bien, messieurs, voici comment les choses se passent à Liège : l'enseignement du droit civil s'y donne alternativement par MM. Thiry et de Savoye. Celui de ces honorables professeurs qui commence au premier doctorat continue, l'année suivante, l'enseignement au deuxième doctorat.

L'autre professeur suit la même marche. De cette manière, quand il s'agit de former les jurys, comment le choix serait-il libre ? Ne faut-il pas nécessairement appeler à siéger le professeur qui, au moment de la formation du jury, est spécialement chargé du cours de la section à laquelle il est attaché ? La situation se produit à Louvain dans les mêmes conditions. Il y a à cette université un professeur pour le premier doctorat et un autre chargé du deuxième doctorat. Seulement, pour des considérations de personnes, il n'y a pas eu jusqu'à présent de mouvement d'alternative, de telle façon que le même membre assiste soit à l'examen du premier doctorat, soit à celui du deuxième doctorat.

Dans ces conditions il n'y a pas, soyez-en sûrs, l'ombre de préférence à pouvoir donner. Les choix sont indiqués et en quelque sorte forcés.

Je passe, messieurs, aux observations présentées par l'honorable membre au sujet de l'enseignement moyen : il y a, sans doute, pour la bonne organisation et le développement de cet enseignement, différentes améliorations à étudier.

Je tiens toutefois à vous déclarer immédiatement quels sont mes principes en cette matière. Ce sont d'ailleurs des principes sur lesquels j'ai eu souvent l'occasion de réfléchir et que j'ai déjà eu l'honneur de formuler dans cette Chambre.

L'enseignement moyen comprend deux branches distinctes : d'abord les humanités proprement dites, ensuite l'enseignement professionnel.

En ce qui concerne les humanités, je partage l'avis qui a été développé d'une manière si approfondie dans la discussion rappelée tantôt par l'honorable M. Elias. Ma conviction est qu'il ne faut pas affaiblir l'étude des langues anciennes et qu'on ne peut faire de bonnes humanités qu'en possédant et en étudiant bien ces langues.

L'honorable M. Rogier était du même avis dans ce débat. Ma conduite ministérielle sera l'application des idées qu'il a si bien exposées en cette circonstance.

On vous a parlé, en second lieu, messieurs, de l'enseignement des sciences exactes et de la forte impulsion qu'il est nécessaire de donner aujourd'hui aux études scientifiques.

Sans doute, messieurs, nous sommes arrivés à une époque où il importe de donner aux sciences exactes le plus grand développement : l'état de l'industrie l'exige et nos écoles industrielles doivent répondre au développement de ces sciences. Je ferai donc tout ce qui dépendra de moi pour favoriser l'enseignement des études industrielles et scientifiques.

Mais, permettez-moi de le dire, je ne voudrais, à aucun prix, que cela se fît au défriment des études humanitaires proprement dites. J'attache la plus haute importance à ce côté littéraire des études ne puisse d'aucune manière être affaibli ni par le développement outré qui serait donné à l'enseignement des sciences exactes, ni autrement.

Mais si nous nous plaçons, messieurs, sur le terrain des écoles professionnelles, c'est-à-dire de l'enseignement appliqué à l'industrie, il faut admettre d'autres principes ; c'est notre devoir d'attribuer à l'enseignement des sciences exactes la part importante qui lui revient, non pas comme oïl l'entendait autrefois, mais en tenant compte avant tout des besoins actuels de notre société et de l'industrie.

J'arrive maintenant à la question de la place qu'il y a lieu d'accorder à l'enseignement des langues modernes dans l'éducation.

Messieurs, il faut bien le reconnaître, et c'est du reste un point sur lequel nous avons été tous d'accord dans cette enceinte, lorsque tout récemment nous nous sommes occupés des bourses de voyage universitaires : l'étude des langues modernes n'occupe pas, dans l'organisation de notre enseignement, la place qui lui est due. C'est un côté des études dont l'importance n'a été que trop longtemps méconnue et qui mérite cependant la plus sérieuse attention.

Je. suis décidé, messieurs, à rechercher les meilleurs moyens de favoriser l'enseignement des langues modernes ; mais je n'ai pas encore de système arrêté à cet égard ; la Chambre comprendra que, arrivé depuis quatre semaines seulement au département de l'intérieur, je ne sois pas encore en mesure de formuler des idées définitives sur ce point.

Mais, je le répète, car je pars ici d'un principe, basé chez moi sur une conviction profonde, je ferai tout ce qui dépendra de moi pour développer d'une manière plus efficace l'étude des langues modernes et surtout la connaissance du flamand.

Quant au flamand, messieurs, il faut bien le reconnaître aussi puisque nous en parlons en ce moment, il y a beaucoup à faire encore. Je suis né dans la partie wallonne du pays ; mais j'appartiens, en même temps, au pays flamand puisque je suis député d'un arrondissement flamand. J'ai été bien des fois à même dé le constater ; les Wallons négligent trop la connaissance du flamand, et c'est précisément parce qu'ils restant ainsi étrangers à l'étude de celle langue qu'ils éprouvent tant de peine, dans la suite, à s'initier à l'étude de l'allemand ou de l'anglais.

Je voudrais que l'étude du flamand fût, en quelque sorte, obligatoire dans les établissements de l'Etat des provinces wallonnes. (Interruption.)

Je dis, en quelque sorte, et je ne parle pas d'une manière absolue ; c'est au reste une question à étudier encore.

Je voudrais tout au moins que nous pussions, par tous les moyens qui sont en notre pouvoir, engager les élèves des provinces wallonnes à suivre les cours de flamand.

Il est évident qu'après avoir fait un bon cours de flamand dans leurs premières années d'études, les élèves pourraient plus aisément apprendre les langues étrangères telles que l'allemand et l'anglais.

Ce fait, messieurs, nous pouvons le vérifier par notre propre expérience. Nos études remontent à une époque où, il faut bien le dire, de vives préventions s'élevèrent contre la langue néerlandaise, et nous autres, élèves des universités et des collèges wallons, nous avons partagé ces préventions.

Il en est résulté que l'instruction des hommes de cette époque présente une lacune.

Ayant dédaigné l'étude du néerlandais, nous avons commis la faute de ne pas nous ménager par là de grandes facilités pour l'étude des autres langues modernes.

J'ai donc le désir de donner à l'enseignement du flamand une plus grande extension, dans des conditions et par des moyens que je n'ai pas encore suffisamment étudiés, mais qui seront, je l'espère, de nature à améliorer l'état de choses dont on se plaint aujourd'hui.

M. Elias. - C'est l'enseignement surtout qui est défectueux. Il n'y a pas de professeur spécial pour le flamand. Par conséquent, le cours est mal donné, peu suivi et peu profitable.

(page 355) M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Je suis très satisfait de l'explication que vient de donner l'honorable M. Elias.

Il signale une lacune consistant dans l'absence d'un professeur spécial de flamand.

Or, c'est précisément là un des points qui ont déjà fixé mon attention et sur lequel je suis d'accord avec l'honorable membre.

En un mot, je désire que le flamand soit sérieusement, efficacement enseigné dans les établissements d'enseignement moyen et ne soit plus un accessoire insignifiant en quelque sorte, ni quant à l'élève, ni quant au professeur.

M. Muller. - Le professeur de flamand n'est payé que comme professeur de langue étrangère, tandis qu'il devrait être payé comme professeur de français,

M. De Lehaye, rapporteur. - Nous sommes d'accord. C'est ce que nous demandons.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Ce que vient de dire l'honorable M. Muller est parfaitement exact. Le professeur chargé du cours de flamand devrait être payé aussi bien que le professeur de français et tout au moins en raison de l'importance que nous voulons attacher à cette branche d'enseignement.

Je crois que c'est bien là la pensée des honorables membres, et cette pensée, je l'accepte.

Mais je prie les honorables membres de remarquer qu'en vertu d'un arrêté du 28 janvier 1863, il a été institué un diplôme de capacité pour l'enseignement de la langue flamande, de la langue allemande et de la langue anglaise dans les athénées royaux, et que les professeurs de flamand, munis de ce diplôme de capacité, sont assimilés pour le traitement au professeur de troisième latine dans les athénées.

Il existe donc un règlement sur cette matière. Nous sommes d'accord à cet égard : si nous voulons organiser un enseignement complet et vraiment sérieux de la langue flamande, il finit nommer dans les établissements de l'Etat de bons professeurs et assurer à ceux-ci une position convenable.

En résumé, le professeur chargé de l'enseignement du flamand ne doit pas être considéré comme un membre du corps enseignant étranger à l'établissement où il donne son cours et qui ne fait point partie du corps enseignant. C'est là un point que je me propose d'étudier avec la plus sérieuse attention.

Il me reste, messieurs, à vous parler des vues du gouvernement relativement à l'enseignement primaire. Mes principes, je pense, sur cet objet, sont bien connus de la Chambre. A toutes les époques, messieurs, je me suis déclaré un partisan convaincu et dévoué de tout ce qui peut légitimement favoriser le progrès de l'enseignement primaire et j'ai, dans toutes les circonstances, protesté de mon ardent désir d'appuyer l'enseignement primaire et de contribuer à son développement aussi longtemps qu'il serait maintenu dans l'esprit et dans les principes de la loi de 1842.

Je n'ai rien à retrancher à cette déclaration ; je suivrai la loi de 1842 dans toute sa plénitude et je l'appliquerai dans sa lettre comme dans son esprit.

Messieurs, on m'a posé quelques questions spéciales et on est revenu sur différents points qui ont déjà donné lieu à de graves discussions dans cette enceinte.

L'honorable député de Liège m'a demandé quelle est ma manière de voir au sujet des écoles adoptées. L'année passée, j'ai eu l'occasion de m'expliquer sur ce point. Nous étions presque prêts de nous entendre avec l'honorable M. Vandenpeereboom. Voici, en ce qui concerne l'école adoptée, le système de la loi.

La loi de 1842 est avant tout une loi de transaction. Lorsqu'on a discuté cette loi, on était en présence de deux courants : l'un qui consistait à n'accorder les subsides de la commune ou de l'Etat qu'aux écoles communales proprement dites ; l'autre qui, s'appuyant sur le principe de la liberté d'enseignement, demandait qu'on s'en rapportât à la liberté, qui saurait pourvoir aux besoins de l'instruction primaire. Qu'a fait le législateur ? Il a adopté une heureuse transaction en posant d'abord le principe que l'école primaire est une obligation pour les communes ; et, par l'article 2 de la loi, en établissant le principe de l'adoption des écoles.

L'esprit qui a présidé à la loi de 1842 a donc un caractère essentiellement transactionnel, caractère auquel je ne changerai rien.

L'honorable M. Elias m'a demandé ensuite quels seront mes principes en ce qui concerne la nomination des instituteurs.

Ici encore la loi de 1842 est positive.

L'article 10 de cette loi attribue la nomination des instituteurs aux conseils communaux ; ceux-ci les choisissant parmi les candidats qui ont fréquenté les cours de l'une des écoles normales de l'Etat, les cours normaux adjoints par le gouvernement à l’une des écoles primaires supérieures ou les cours d'une école normale privée ayant accepté le régime d'inspection établi par la loi.

Mais ce même article permet aux conseils communaux de choisir, avec l'autorisation du gouvernement, des instituteurs ou institutrices non diplômés, pourvu que ces candidats justifient de leur capacité.

Ainsi le système est bien simple : il faut avant tout voir si des normalistes se présentent. Mais si les communes, pour des raisons particulières, qu'elles ont à apprécier, choisissent des instituteurs munis du certificat de capacité, le gouvernement, sous peine de porter atteinte à l'indépendance communale, ne pourrait, sans de graves motifs, méconnaître le vœu des communes.

M. Pirmez. - Vous n'aurez plus d'élèves dans vos écoles normales.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Nous voulons, au contraire, développer l'école normale.

M. Pirmez. - Du tout.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Je vous demande pardon, ces instituteurs auront obtenu un certificat de capacité et l'intervention du gouvernement, sans lequel la nomination ne peut avoir lieu, présente toute garantie.

La loi est claire, les instituteurs seront pris parmi les normalistes et ce ne sera que dans des cas particuliers et exceptionnels que les conseils communaux useront de la faculté que leur accorde le §paragraphe 3 de l'article 10 de la loi de 1842. Le gouvernement sera juge de cette situation et la Chambre appréciera ses actes.

Un autre point plus délicat, et sur lequel l'honorable membre a aussi appelé l'attention du ministre, concerne les cours préparatoires annexés aux écoles moyennes. Ces cours sont établis en vertu de la loi du 1er juin 1850 ; ils ont donc une existence légale qu'il ne nous appartient pas de discuter ; si nous trouvons un jour l'occasion (ce que je ne prévois pas) de proposer des modifications sous ce rapport, la Chambre jugera nos principes.

Je répète donc que les sections préparatoires annexées aux écoles moyennes sont établies en vertu de la loi de 1850 ; cette loi subsiste, nous n'avons pas l'intention de la modifier ; si un jour le besoin d'apporter des modifications à cette législation se présente, nous soumettrons nos motifs à la législature.

M. Bouvier. - C'est le désaveu du rapport.

M. De Lehaye, rapporteur. - M. Elias a critiqué le passage du rapport qui appelle l'attention du gouvernement sur les abus qui résultent de l'adjonction des écoles primaires aux écoles préparatoires.

La section centrale ne veut qu'une chose : c'est que des écoles préparatoires ne soient organisées que là où le besoin s'en fait sentir, comme le veut la loi de 1850 (article 23).

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Il me reste à répondre quelques mots à l'honorable M. Lelièvre, qui est revenu sur la question de la publicité des séances des députations permanentes.

J'ai pris une part active aux discussions qui ont eu lieu sur ce point, mais jamais je ne suis allé aussi loin que l'honorable membre. J'ai constamment demandé que la publicité fût obligatoire dans tous les cas où la députation permanente doit exercer une juridiction contentieuse. Sous ce rapport, déjà il a été fait droit à nos justes réclamations. Je ne crois pas que le moment soit venu d'agiter de nouveau la question.

L'honorable M. Lelièvre voudrait ensuite que le traitement des commissaires de police fût à la charge de l'Etat ; ces fonctionnaires sont certainement des agents de la police judiciaire ; mais ils sont avant tout des agents de la police administrative.

Le vœu qu'émet l'honorable membre entraînerait une modification à la loi communale dont l'utilité ne me paraît pas démontrée.

M. Lelièvre a engagé enfin le gouvernement à accorder les subsides les plus larges à l'enseignement primaire.

J'ai déjà fait connaître mes intentions à cet égard, et l'augmentation de crédit que j'ai eu l'honneur de demander pour le service des écoles primaires s'élevant à 455,725 francs est un gage de la sincérité de ces intentions. J'espère que ces explications satisferont l'honorable membre.

M. Pirmez. - Messieurs, si j'ai bien compris la déclaration de M. le ministre de l'intérieur, au sujet de la nomination des instituteurs, (page 356) l'honorable ministre se propose d'apporter un changement notable qui, d'après moi, serait de la plus haute gravité.

D'après la jurisprudence admise depuis un grand nombre d'années au département, de l'intérieur, on ne pouvait nommer un instituteur non diplômé qu'à défaut d'instituteurs diplômés ou que s'il y a des raisons toutes particulières pour déroger à la règle.

M. le ministre de l'intérieur nous déclare que la loi ayant admis que les communes peuvent nommer soit des candidats diplômés, soit des candidats non diplômés, il leur permettra de faire le choix qui leur convient.

Si cette déclaration a la portée que je crois pouvoir lui donner, voici le résultat auquel vous arriverez : on n'est parvenu jusqu'à présent à avoir des élèves dans les écoles normales qu'en maintenant avec beaucoup de fermeté contre les communes la nécessité du diplôme. Le jour où vous aurez affaibli cette nécessité, on n'ira plus aux écoles normales.

Je ne sais si M. le ministre de l'intérieur a bien pesé la gravité de la mesure qu'il nous a annoncée, mais je n'hésite pas à dire que, s'il la maintient, les écoles normales seront désertées. Et cela se conçoit, messieurs ; dans presque chaque commune il y a un ou plusieurs candidats instituteurs qui appartiennent à la localité ; les conseillers communaux sont fort portés à se prononcer pour ces candidats parce qu'ils les connaissent, qu'ils ont des relations avec eux et avec leur famille ; on considère comme un titre de préférence primant tous les autres, celui d'être de la localité. Si donc les communes sont laissées libres de faire choix d'un candidat non diplômé, elles prendront, dans le plus grand nombre de cas, le candidat du crû.

Cependant, si ce candidat n'a pas fréquenté une école normale, s'il n'a pas reçu des leçons de théorie et de pédagogie pratique, il ne fera jamais qu'un instituteur médiocre.

Eh bien, je vous prédis, M. le ministre de l'intérieur, que vous serez accablé de demandes de dispenses, car les conseils communaux, agissant par des motifs de relations particulières, feront presque toujours choix de candidats non diplômés.

Je ne veux pas aller plus loin dans mes observations ; mais je demanderai cependant à M. le ministre de l'intérieur si dans la déclaration qu'il vient de faire il n'y a pas le désir de faciliter la nomination des instituteurs et des institutrices religieux au lieu des instituteurs et des institutrices laïques.

Je ne sais si telle est réellement l'intention de M. le ministre de l'intérieur, mais, quoi qu'il en soit, je suis convaincu que le résultat sera celui que je viens d'indiquer.

Voilà la seule observation que j'avais à faire sur l'enseignement primaire.

Je dois dire, en ce qui concerne l'enseignement moyen, que j'ai entendu avec un vif regret la déclaration de M. le ministre de l'intérieur relativement à ce qu'il compte faire pour les études littéraires.

Je ne veux pas revenir sur cette longue discussion ni renouveler cette longue lutte que j'ai soutenue, il y a quelque temps, sur la manière dont on doit organiser l'enseignement littéraire dans les écoles moyennes. Je reste convaincu qu'il y a un changement immense à faire dans notre enseignement moyen.

De toutes parts on se plaint que les études littéraires baissent ; que les goûts littéraires diminuent ; que les jeunes gens qui sortent de nos collèges n'en rapportent pas ce qu'ils devraient y avoir acquis, l'attrait pour les choses de l'esprit.

Si l'on veut y voir clair, on attribuera cet affaiblissement des études littéraires à sa véritable cause, à l'ennui mortel qui règne dans nos écoles moyennes. Si nous n'avons pas de vie littéraire, c'est parce que notre enseignement moyen est un enseignement de mort.

Rien n'y excite l'intelligence, n'y émeut le cœur, rien n'y est vivant, tout est méthode, mécanisme, tout y est froid.

Voyez quelle est la marche d'un enfant qui entre dans une de nos écoles moyennes. On lui a appris, avant qu'il y entre, les éléments de la grammaire française, étude rebutante, mais, je le veux bien, nécessaire. Il entre en sixième ; c'est une nouvelle grammaire qu'on lui donne : la grammaire latine.

Il faut qu'il apprenne pendant de longues heures, par cœur, des conjugaisons et des déclinaisons dont il ne comprend pas le but, dans une langue qu'il ne parlera et n'écrira jamais.

Quand il a parcouru cette sixième avec cet exercice qui rebuterait l'homme fait le plus studieux, il entre en cinquième ; on lui met en mains une nouvelle grammaire, la grammaire grecque. L'enfant sait bien que jamais il n'aura à faire dans la vie une phrase de grec ni verbalement, ni par écrit ; nous savons bien, nous, qu'au sortir du collège il n'ouvrira jamais un livre grec ; mais nous n'en imposons pas moins cet ennuyeux travail à son jeune esprit qui aimerait tant à se développer dans des choses qui satisferaient l'intelligence et l'imagination.

L'enfant l'accepte par contrainte, et cette contrainte nous l'employons par routine, pour ne pas encourir le soupçon d'ignorance de la part de ceux qui s'arrogent le monopole littéraire.

M. Delcour obligera donc les enfants à l'étude indispensable de cette langue dont peut-être il ne pourrait pas comprendre deux lignes !

Quand l'enfant a subi cette nouvelle année d'étude, on continue pendant deux ou trois ans à lui apprendre à faire des thèmes dans ces deux langues. On va bien plus loin encore, on lui apprend à imiter le style des auteurs latins et grecs, mais ce n'est pas encore assez : on sait qu'il ne trouvera jamais un auditoire disposé à l'entendre pérorer en latin ou en grec ; n'importe, il faut qu'il fasse des discours en latin et en grec. C'est peu encore : la prose ne suffit pas, il faut qu'il fasse des vers !

Voilà comment on apprend aux élèves à aimer les lettres !

N'est-ce pas l'insupportable ennui qui accompagne ainsi ce qui devrait être une jouissance intellectuelle ?

Et si après avoir ainsi rebuté les esprits, après leur avoir fait prendre en dégoût tout ce qui est littérature, et surtout littérature ancienne, si on constate la décroissance constante des goûts littéraires, savez-vous ce qu'on propose ? D'augmenter en durée tout ce qui est la cause du mal !

M. le ministre de l'intérieur nous dit bien qu'il est partisan de l'étude des langues modernes, mais voici une nouvelle complication pour l'enfant ; nous avons vu qu'ils ont déjà à apprendre la grammaire française, la grammaire latine et la grammaire grecque ; voici maintenant qu'on va lui faire apprendre, même dans les provinces wallonnes, la grammaire flamande, non pas pour parler et pour écrire plus tard en flamand, mais pour lui faciliter l'étude de l'anglais et de l'allemand, langues dont les grammaires lui seront imposées à leur tour.

Je vous le demande, messieurs, comment voulez-vous que de pauvres enfants que vous envoyez en classe de 10 ans à 17 ans résistent au martyre de cette avalanche de grammaires anciennes et modernes ?

M. le ministre de l'intérieur, dans d'excellentes intentions, je le reconnais, maintient l'étude du grec et du latin dans sa marche actuelle tout en voulant développer l'étude des langues modernes. Mais il oublie une chose, c'est que les élèves sont déjà surchargés de besogne ; c'est que tous leurs moments sont déjà pris ; c'est que ce n'est pas augmenter les heures de classes mais les diminuer qu'il faudrait faire. Dès lors comment voulez-vous ajouter de nouvelles matières ? Mais où donc l'enfant trouvera-t-il le temps ? Vous avez raison de faire étudier les langues modernes ; mais diminuez donc le temps consacré aux langues anciennes : l'un est la conséquence de l'autre.,

Et si vous voulez qu'on sache encore un peu le latin, maintenez-le et diminuez sur le temps que vous consacrez au grec.

Voilà la solution de la question ; il n'y en a pas d'autre.

Si vous voulez que l'on sache l'allemand et l'anglais, ne forcez pas les élèves wallons à apprendre aussi le flamand.

Le flamand facilite, dites-vous, l'étude de l'allemand, c'est vrai ; mais il est plus facile pour un Wallon d'arriver directement à l'allemand qu'en décrivant une courbe pour y arriver par le flamand.

Je sais que cela vous fera une popularité de ce qu'on appelle le mouvement flamand ; mais je vous crois au-dessus de cela et je vous engage à ne pas vous départir de cette position.

Croyez-vous que dans les provinces wallonnes on tienne à ce que les enfants apprennent le flamand ? Pas le moins du monde. On commence à comprendre, et il est à désirer qu'on le comprenne de plus en plus, qu'il est nécessaire d'apprendre l'allemand et l'anglais, parce que ces langues donnent de grandes ressources littéraires et scientifiques et parce que nous avons avec les nations qui les parlent de grandes relations commerciales ; mais on ne comprend pas cette nécessité pour le flamand.

On pourrait sans doute me citer, dans tout le pays wallon, une famille qui ait pris une bonne flamande pour faire apprendre le flamand à ses enfants ; mais on fait venir, en s'imposant des frais et des désagréments, des bonnes anglaises et allemandes.

On dit même que l'on va bien plus loin dans certaines familles du pays flamand et que l'on y corrige les enfants quand ils parlent le flamand. (Interruption.)

Un membre flamand, je crois que c'est l'honorable M. Gerrits, a dit, il y a quelques années, que, dans le pays flamand, les classes aisées ne parlent pas le flamand.

(page 357) Vous vous plaignez de la décadence du flamand ; je vous engage à prêcher d'exemple, à parler le flamand dans vos assemblées et dans vos salons.

Vous ne parlez pas même flamand dans vos banquets et il y a beaucoup de banquets par le temps qui court. Dernièrement encore l'honorable sénateur de Saint-Nicolas, aujourd'hui ministre des finances, a prononcé un discours dans lequel il a dit qu'il parlait en français, mais qu'il pensait en flamand.

Qu'il ait parlé en français, c'est bien certain, mais qu'il ait pensé en flamand, c'est ce que personne ne peut vérifier et quant à moi, malgré toute la confiance que j'ai dans la parole de l'honorable ministre des finances, je vous avoue que je conserve un doute. Il me paraît que s'il avait eu les deux langues aussi facilement à sa disposition, il aurait bien plutôt pensé en français et parlé en flamand.

Mais laissons cette question. Je dis à M. le ministre de l'intérieur : Vous avez pour les langues modernes d'excellentes intentions ; mais si vous voulez favoriser l'étude des langues anglaise et allemande, ne forcez pas les populations wallonnes à passer par le flamand.

J'ajoute ; si vous voulez faciliter l'étude des langues modernes, sacrifiez quelque chose des langues anciennes : donnez de la vie à votre enseignement ; vous pouvez donner un enseignement littéraire aussi bien avec les langues modernes qu'avec les langues étrangères. C'est un préjugé fatal, funeste que celui qui prétend qu'il n'y a de la littérature que dans les langues anciennes.

M. Guillery. - On n'a jamais dit qu'il n'y en avait que là ; on a dit qu'il y en a là.

M. Pirmez. - Je reconnais qu'il y en a là, et beaucoup ; mais je dis qu'il y en a ailleurs.

Mais que fait-on aujourd'hui ? On ne va en chercher que là, uniquement là ; on répudie l'étude des littératures modernes. (Interruption.) Dites-moi donc dans quels collèges on explique avec le même soin que les anciens Milton et Shakespeare, Goethe et Schiller ? Mais ils sont inconnus ; vous avez de grands historiens dans l'antiquité, mais certains historiens modernes, Macaulay par exemple, ne peuvent-ils être comparés aux auteurs les plus éminents de l'antiquité ?

Je sais bien qu'en disant cela je passerai pour un profane, pour un barbare, mais-dussé-je être accablé par les sarcasmes de tous les savants en us, je dirai ce que je pense et je crois qu'en le disant je rends service à l'enseignement.

Voilà, messieurs, les observations que j'avais à présenter.

Je prie donc M. le ministre de l'intérieur de vouloir examiner cette question, de sortir de la routine ; on l'engagera à y rester et de tous côtés on tâchera de l'y maintenir. Rien n'est plus facile que de rester dans l'ornière, mais contre les obstacles qu'il rencontrera, et je lui prédis qu'il en rencontrera beaucoup, j'en sais assez à cet égard, qu'il résiste.

Ayons donc le courage d'être de notre temps, ne croyons pas que les langues ne sont utiles que si elles sont mortes, que les faits ne sont importants que s'ils sont passés depuis deux mille ans. Mettons les langues vivantes au niveau des langues mortes ; reconnaissons qu'il est aussi nécessaire de connaître les batailles d'Austerlitz et de Waterloo que celles de Marathon et d'Arbèles.

S'il arrive à ce résultat, je dis qu'il aura déjà réalisé dans l'enseignement un grand progrès.

Dans une autre circonstance, l'honorable M. Sainctelette et moi nous avons insisté pour qu'on apprenne un peu ce qui se passe aujourd'hui dans les pays étrangers qui sont à nos portes. Il y a à cet égard de grandes réformes à faire.

Nous connaissons mal les institutions de l'Angleterre et de l'Allemagne ; on ne s'en occupe pas, ni dans nos collèges, ni dans nos universités, et l'on fait suivre aux élèves de longs cours sur tous les détails des antiquités romaines. Eh bien, que l'on insiste sur la nécessité de connaître ces antiquités ; je le veux bien, mais que, pour apprendre les antiquités romaines, on ne fasse pas oublier les choses actuelles les plus essentielles à connaître.

J'engage l'honorable M. Delcour à examiner à nouveau cette grave matière. Je le répète, s'il veut se dégager des préjugés, étudier ce qui est réellement nécessaire au bien-être intellectuel de la nation, il pourra faire beaucoup de bien.

(page 361) M. Elias. - Je ne veux rien ajouter à ce que vient de dire l'honorable M. Pirmez de l'étude des langues anciennes et de l'étude des langues modernes ni des autres questions auxquelles il a touché. Je dois cependant présenter quelques observations à ce qu'il a dit de l'étude du flamand.

Lorsque j'ai préconisé l'enseignement du flamand dans nos provinces wallonnes, ce n'était nullement avec la prétention de faire de cette étude une étude littéraire. Le but que je me proposais d'atteindre et que je propose à M. le ministre de l'intérieur d'atteindre, est infiniment plus modeste, plus pratique : c'est de donner aux Wallons et surtout aux Wallons qui entrent dans les écoles professionnelles des athénées, dans les écoles moyennes de l'Etat, la possibilité d'apprendre à parler et à écrire.

Les écoles moyennes sont la pépinière des employés de l'Etat, des employés de toutes les administrations ; or, il est un principe admis aujourd'hui, c'est que pas un employé de l'Etat ne peut occuper une position quelconque dans les provinces flamandes, sans connaître le flamand.

Voilà donc les Wallons, surtout ceux de la province de Liège, qui sont encore plus étrangers à la langue flamande que les Wallons des autres provinces plus rapprochées des Flamands ; voilà donc tous nos élèves qui se destinent à occuper des fonctions administratives dans l'impossibilité d'obtenir la moindre place dans une moitié du pays. Les voilà dans une position inférieure.

Le Flamand se plaint très souvent de la situation qui lui est faite en Belgique, mais les Wallons seraient beaucoup plus fondés à élever de semblables plaintes.

Je demande donc à l'honorable ministre de l'intérieur qu'il développe l'enseignement du flamand dans les proportions que je viens d'indiquer.

Ce point établi, je me permettrai de faire quelques autres observations à l'honorable M. Delcour.

Lorsqu'il a parlé du jury d'examen, il a choisi pour exemple le grade de deuxième docteur en droit. Or, tout le monde sait que là le nombre des professeurs est extrêmement restreint. Les cours sont là moins nombreux, mais il n'en est pas de même dans les autres facultés, et lorsque le nombre des professeurs est très grand, on ne peut prendre tous les professeurs enseignants de chacune des universités ; on est obligé de faire un choix.

Il est évident aussi que l'honorable ministre, dans la distribution des bourses qu'il a à sa disposition, pourra favoriser les élèves de l'université catholique de Louvain. Par ce moyen, il pourra encore se montrer reconnaissant envers l'établissement auquel il a appartenu.

Messieurs, dans mon premier discours j'avais posé d'autres questions qui avaient trait à l'enseignement primaire et à l'enseignement moyen ; il en est quelques-unes que l'honorable ministre n'a nullement touchées. Je me permets de les lui rappeler.

J'ai demandé s'il continuerait à placer l'enseignement moyen des filles sous le régime de la loi de 1842, s'il ne le placerait pas sous le régime de la loi de 1850, comme voulait le faire le prédécesseur de l'honorable M. Kervyn, l'honorable M. Pirmez.

Il suffit pour cela de reporter au chapitre de l'enseignement moyen le subside proposé pour cet objet.

J'avais demandé aussi à l'honorable M. Delcour s'il continuerait à donner à l'article 6 de la loi de 1842 l'interprétation qui a prévalu généralement dans cette Chambre, et qui a été acceptée par les deux partis, notamment en 1864 et en 1868, alors que l'opinion libérale avait la majorité et que les prétentions de l'opinion catholique pouvaient être moins excessives qu'aujourd'hui.

Sur ces divers points, l'honorable M. Delcour n'a point répondu, pas plus que sur la question particulière que je lui ai posée relativement à l'école de Mons.

Mais ici, je comprends qu'il ne connaisse pas les antécédents, je n'en compte pas moins sur une réponse plus complète à la première occasion.

(page 357) M. Vleminckx. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour détruire l'erreur dans laquelle l'honorable M. Elias était tombé lorsqu'il a parlé de la composition des jurys.

Sous l'empire de la loi qui régit aujourd'hui les examens universitaires, l'influence du gouvernement est complètement nulle dans le choix des examinateurs.

J'ajouterai une observation à celles qu'a présentées l'honorable ministre de l'intérieur, c'est que ce sont les universités elles-mêmes qui proposent les membres des jurys, et jamais, à ma connaissance, aucun ministre n'a fait une modification aux propositions qui lui ont été soumises.

L'abus dont a parlé l'honorable M. Elias s'est présenté sous le régime de la loi de 1835 ; à cette époque, il n'est arrivé que trop souvent qu’une université a été favorisée par le gouvernement au détriment des autres.

M. Guillery. - Messieurs, pas plus que l'honorable ancien ministre de l'intérieur, je n'entends renouveler la discussion dont les langues anciennes ont été l'objet. Bien qu'aucune matière ne fût plus digne de nos délibérations, le débat de 1869 a été complet, approfondi : je ne veux pas contribuer à le recommencer.

Mais je ne puis laisser passer sans réponse les théories développées par L'honorable M. Pirmez, dussé-je m'exposer au dédain que lui inspirent les défenseurs du grec et du latin.

Je reconnais qu'il y a beaucoup à faire dans l'enseignement moyen ; qu'il faut changer complètement les méthodes d'enseignement ; sous ce rapport, je me rallie complètement aux idées de l'honorable M. Pirmez, et je déclare avec lui que ces méthodes sont détestables.

Je me rallie également à ce qu'il a dit de la multiplicité des grammaires. Le but de l'étude n'est évidemment pas de faire des thèmes, des vers latins. Ce qu'il faut apprendre aux élèves, c'est à entendre les langues anciennes, à lire les auteurs latins et les auteurs grecs, à connaître les antiquités, en puisant dans les sources authentiques, primitives ; et lorsque les enfants auront appris, par la pratique, par des traductions nombreuses, à lire à livre ouvert le grec et le latin, ce qui n'est pas si difficile qu'on le pense généralement, ils sauront tout ce qu'ils doivent savoir ; ils auront du moins le moyen d'apprendre.

Je laisse donc de côté le thème et les vers latins et même la grammaire ; que l'on ne donne aux enfants que les principes de la grammaire et qu'on les leur donne de la manière la plus intelligente et la plus facile en leur faisant lire les auteurs, en leur faisant remarquer quel est le génie de la langue ; rien ne sera plus attrayant alors que l'étude des langues anciennes.

M. Pirmez. - C'est déjà toute une révolution.

M. Guillery. - Oui, et à cet égard je me rallie à tout et que vous avez dit.

Il faut changer du tout au tout ce que l'on a fait jusqu'à présent ; on force les enfants à consacrer cinq ou six ans à étudier sans apprendre ce qu'ils pourraient étudier et apprendre en deux ou trois ans par une méthode qu'on a ridiculisée quelquefois, et qui n'est pas à l'abri de la critique, celle de Jacotot.

Ce qu'il faut, ce n'est pas apprendre un certain nombre de règles, réciter des déclinaisons, des conjugaisons, des principes de syntaxe ; ce qu'il faut, c'est lire de bons auteurs, en raisonner, les analyser, les comprendre ; on lira alors avec facilité, avec plaisir, on se pénétrera facilement des chefs-d'œuvre de l'antiquité et on connaîtra la littérature qui est incontestablement la plus complète, la plus belle du monde et que l'on doit connaître à peine de ne pas être un homme instruit.

Cela n'empêche pas que je partage encore les idées de M. Pirmez sur la nécessité des langues modernes.

Personne n'exprimera plus chaudement que moi le désir de voir les Belges profiter de leur heureuse situation géographique pour se pénétrer des littératures si diverses de leurs voisins.

Mais je suis convaincu que ceux qui auront passé leur première jeunesse à étudier les langues anciennes seront ceux qui apprendront avec le plus de facilité les langues modernes, quand ils ne les auront pas apprises plus tôt par la pratique.

Lorsqu'on a ouvert le cerveau des jeunes gens par l'étude des langues de l'antiquité, cette étude non pas morte, mais vivifiante et qui a formé les hommes les plus remarquables, on les a rendus aptes à apprendre les langues modernes avec plus de facilité.

L'honorable M. Pirmez a cité Macaulay. Eh bien, lisez Macaulay et vous vous convaincrez qu'il n'y a pas d'homme plus imbu de l'antiquité que lui, qui en ait fait une étude plus approfondie : on trouve sans cesse dans ses ouvrages des allusions aux auteurs grecs et aux auteurs latins.

(page 358) Les auteurs anciens sont aussi familiers à Macaulay que les modernes. Cette belle intelligence, qui s'est formée par l'étude de l'antiquité, est parvenue ensuite à écrire dans sa propre langue avec plus de talent, plus de netteté, plus d'élégance, plus de grandeur et plus de force que ne l'a peut-être jamais fait aucun autre prosateur anglais.

Si Macaulay s'était borné à ne lire que les auteurs de son pays et les auteurs modernes, il ne serait jamais arrivé au talent que nous lui connaissons.

Dans sa biographie de Pitt, il rappelle que, dès l'âge de 16 ans, Pitt avait traduit, avec son professeur, tous les auteurs latins et grecs. Pitt avait eu l'avantage d'avoir un précepteur qui, fait rare, n'était pas pédant. Ce professeur n'avait pas rendu la science odieuse à son élève, comme on ne le fait que trop souvent, et comme on le faisait plus encore à cette époque. On rend la science désagréable, quoique la science soit agréable et attrayante par elle-même.

On la rend difficile, bien que la science soit facile par elle-même lorsqu'elle est bien enseignée par des hommes de talent qui savent se faire entendre, qui captivent l'attention et qui montrent à leurs élèves que tout ce qu'ils leur apprennent est utile et trouve son application.

On pourrait citer, depuis Bacon jusqu'à lord Derby, toute l'illustre série, d'hommes d'Etat anglais qui ont dû à l'étude des anciens la plus belle partie de leur talent.

En Amérique - dans ce pays pratique, industriel, agricole, commercial par excellence, où l'intelligence se développe avec la plus grande liberté - en Amérique, quel est le cri de tous les hommes instruits ? On proclame partout la nécessité de l'étude des langues anciennes.

Cependant, y a-t-il un pays où l'on apprenne plus facilement les langues modernes ? Les hommes qui ont le plus marqué par la connaissance des langues modernes sont ceux qui connaissent également le mieux les langues anciennes. Il est impossible qu'un homme soit un littérateur s'il se borne à apprendre les langues modernes, c'est-à-dire les littératures secondaires quelque belles qu'elles soient, et à ne pas consulter la littérature dans ses chefs-d'œuvre primitifs. Ce serait comme si on voulait former un sculpteur en ne lui montrant que les chefs-d'œuvre modernes et en lui cachant la statuaire antique.

L'Allemagne, de son côté, ne nous montre-t-elle pas que les hommes instruits sont ceux qui joignent à la connaissance des langues vivantes celle des langues mortes ?

Quant à l'étude du flamand, je la considère comme absolument indispensable et je ne crois pas que M. le ministre de l'intérieur ait eu la faiblesse, en s'exprimant comme il l'a fait, de céder au désir de faire la cour au mouvement flamand. J'ai trouvé dans sa parole et dans sa pensée quelque chose de beaucoup plus élevé. Pour moi, l'étude du flamand est d'abord un intérêt national ; c'est une étude qui nous réunit tous et je voudrais que tous les Belges comprissent le flamand. Il me semble que ceux qui sont dotés du bienfait de l'instruction doivent employer tous leurs efforts à développer l'étude d'une langue qui est parlée par plus de la moitié de leurs concitoyens.

La connaissance du flamand est encore indispensable pour quiconque s'occupe chez nous d'études historiques.

Il est absolument impossible de faire utilement la moindre recherche dans nos archives sans savoir à la fois le latin et le flamand. Il y a enfin là toute une littérature à étudier et qui a le mérite de nous ouvrir toutes les littératures germaniques.

A quelque point de vue donc qu'on se place, l'étude de la langue flamande est une des plus utiles. Elle l'est spécialement pour ceux qui se vouent aux fonctions publiques, car le fonctionnaire public doit comprendre la langue usitée par ses administrés.

J'appuierai de tout mon dévouement toute mesure qui tendra à l'enseignement du flamand dans toutes les parties du pays.

M. Gerrits. - Nous avons l'intention d'appeler, à propos de cette discussion, l'attention de la Chambre sur l'enseignement de la langue flamande, non seulement dans les provinces wallonnes, mais surtout dans les écoles de nos provinces flamandes.

L'expérience nous a montré que, quand on veut arriver à un résultat pratique, on ne doit pas noyer les observations qu'on a à présenter, dans la discussion générale d'un budget. C'est pourquoi nous attendons que nous soyons arrivés au chapitre de l'enseignement et je crois pouvoir assurer dès maintenant la Chambre qu'à ce moment nous aurons des propositions formelles à déposer.

Si je prends la parole aujourd'hui, c'est que je ne puis pas laisser sans réponse certaines paroles qui ont été prononcées par l'honorable M. Pirmez.

Il vient de vous dire qu'il est fort utile d'enseigner dans les provinces wallonnes l'allemand et l'anglais, parce que, dit-il, nos relations avec l'Allemagne et avec l'Angleterre augmentent chaque jour et parce que là, au moins, il y a des sources de science et de poésie.

D'abord, je ferai remarquer à l'honorable M. Pirmez que si les relations avec nos voisins de l'Allemagne et de l'Angleterre sont utiles, il est utile aussi qu'il y ait des relations entre les Wallons et les Flamands.

L'éloignement entre les deux races qui composent la nation belge n'a été que trop grand et je pense que tout Wallon bien intentionné doit reconnaître qu'il y aurait un grand avantage pour la nationalité belge à ce que ces relations devinssent plus fréquentes et plus aisées.

Je réponds au second point. L'honorable M. Pirmez traite avec un dédain sans égal la langue flamande. Elle n'aurait jamais eu d'historiens ni de poètes.

En même temps, M. Pirmez cite Shakespeare et Milton pour l'anglais, Schiller et Gœthe pour l'allemand.

Or, tous ceux qui connaissent le néerlandais savent que la Néerlande a produit des poètes et des historiens de tout premier ordre.

Je dirai à l'honorable M. Pirmez qu'il y a le poète Vondel qui ne doit le céder à aucun poêle d'aucune nation.

M. Bouvier. - Et Cals.

M. Gerrits. - Et Hooft et Bilderdyk et tant d'autres. Mais, puisque M. Pirmez a cité Milton, je lui dirai que ce Vondel, qu'il ne connaît pas, a écrit un Lucifer qui est tout aussi beau que le Paradisz lost de Milton.

Je puis le dire en connaissance de cause, parce que je les connais et que je les comprends tous les deux.

L'honorable M. Pirmez nous dit qu'il est inutile pour les Wallons d'étudier la langue flamande parce que les classes supérieures, même dans les provinces flamandes, ne se servent pas de cet idiome.

Je le crois bien, messieurs ; cela vient de ce que, dans nos provinces, la langue flamande n'est pas convenablement enseignée.

Depuis 1830, vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir pour exclure la langue flamande de nos propres écoles. Moi-même j'ai dû constater ici, je l'ai constaté encore l'année passée, que la plupart des membres de cette Chambre qui appartiennent à des députations flamandes ne connaissent pas leur langue.

Mais c'est précisément de quoi nous nous plaignons. Nous demandons des remèdes contre ce mal. Nous demandons que l'enseignement dans nos écoles soit sérieusement donné, ce qui n'est pas, comme je crois l'avoir démontré l'année passée.

C'est même à ce propos que nous ferons des propositions.

Je déclare que l'enseignement de cette langue chez nous nous intéresse beaucoup plus que l'enseignement de la langue flamande chez les Wallons. Si nous pouvons obtenir que dans nos écoles la langue flamande soit sérieusement enseignée, nous nous déclarerons satisfaits. (Interruption.)

Les Wallons doivent comprendre eux-mêmes ce qu'il y a d'utile pour eux dans l'enseignement du flamand. Nous les laissons libres d'agir à cet égard chez eux comme ils l'entendent.

Messieurs, je me borne là. Je me réserve de reprendre la parole lorsque nous arriverons à la discussion du chapitre de l'instruction.

M. Pirmez. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour constater que M. Guillery a soutenu avec la même énergie que moi la nécessité d'introduire une réforme complète dans l'enseignement moyen.

Or, c'est ce que je demande ; je n'ai jamais méconnu les hauts mérites des auteurs classiques, mais je veux, avec lui, que l'enseignement en fasse profiter les élèves, et je réclame une part pour ce qui est de notre temps.

C'est notre communauté de vue que je tenais à constater. Maintenant, messieurs, je dois répondre un mot à ce que vient de dire M. Gerrits.

Je n'ai pas eu l'intention de manquer de respect envers la langue flamande, cette langue que j'ai proclamée celle de la moitié de nos compatriotes. Mais je crois que M. Gerrits sera d'accord avec moi pour reconnaître qu'en ce qui concerne nos relations commerciales avec Anvers, elles ont lieu en français. Je ne crois pas que jamais de cette place on envoie ni comptes, ni traites, ni factures en flamand.

M. Gerrits. - C'est clair ; vous ne le comprendriez pas.

M. Pirmez. - C'est clair ; mais comme nous avons toujours affaire à des négociants assez obligeants pour nous écrire en français, nous trouvons que les choses se passent bien et nous ne voyons pas la nécessité de changer. Mais nous saisissons les occasions qui peuvent se présenter d'adresser nos remerciements pour cette obligeance, qui leur va aussi bien qu'à nous, aux négociants anversois.

(page 359) Quant au rang qu'occupe le flamand dans la science et la littérature du monde, je me suis permis de croire, et je persiste dans mon opinion, que les ouvrages littéraires et scientifiques flamands n'atteignent pas l'importance des ouvrages littéraires et scientifiques allemands. Voilà ce que je me suis borné à constater et je crois que je suis dans le vrai. Maintenant si l'honorable M. Gerrits pense le contraire, il pourra sans doute faire à cet égard un beau discours, qui plaira aussi beaucoup à un certain nombre de ses amis politiques, mais qui ne convaincra pas un seul membre de cette Chambre, fût-il député d'Anvers.

M. Gerrits. - En cela vous avez raison pour le présent, depuis que nous sommes francisés ; mais pas pour le passé.

M. Pirmez. - Comme nous sommes dans le présent et non dans le passé, je crois devoir porter mon attention sur ce qui existe dans le présent.

Je me suis borné à cette constatation et je vois que je suis d'accord avec l'honorable M. Gerrits, ce qui me remplit d'une véritable satisfaction.

M. De Lehaye, rapporteur. - Je n'ai qu'un mot à répondre à l'honorable M. Elias, qui a critiqué les observations de la section centrale en ce qui concerne les écoles préparatoires.

La section centrale n'a demandé qu'une seule chose, c'est que la loi de 1850 soit exécutée. Il n'est pas permis d'établir partout des écoles préparatoires. La loi dit qu'il en sera établi dans les communes ou le besoin s'en fait sentir. Eh bien, la section a appelé l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur ce point ; elle lui a demandé de veiller à ce qu'on n'établisse pas des écoles préparatoires là où le besoin ne s'en fait pas sentir.

(page 361) M. de Rossius. - Un mot en réponse à ce que vient de dire l'honorable M. De Lehaye.

L'interprétation qu'a faite l'honorable M. Elias de son rapport sur le budget de 1872 paraît très exacte, très fondée, lorsqu'on se rappelle les déclarations qui se produisirent dans la session dernière à propos des sections préparatoires annexées aux écoles moyennes.

La Chambre n'a pas pu l'oublier : l'honorable M. De Lehaye appelait son attention sur le développement de ces sections préparatoires qu'il taxait d'irrégulier, et le mot d'ordre à cette époque était qu'il fallait réviser la loi de 1850 pour détruire l'abus que prétendument on en avait fait.

La droite disait qu'elle ne voulait plus qu'on pût soustraire aux prescriptions de la loi de 1842 de véritables écoles primaires. Voilà ce qui se passait dans la session dernière. Cela avait une importance capitale. Nos adversaires faisaient un premier pas dans la voie réactionnaire où nous redoutions de les voir s'engager. Nous disions alors au gouvernement : Vous poursuivez une politique qu'en vain vous voudriez nous cacher, vous occupez les bancs ministériels pour réaliser les aspirations de l'épiscopat.

L'honorable M. Elias était donc dans son droit lorsqu'il demandait au nouveau titulaire du portefeuille de l'intérieur une explication catégorique qui nous rassurât sur ses intentions, en ce qui concerne les sections préparatoires annexées aux écoles moyennes.

L'honorable M. Elias, je n'hésite pas à le dire, ne parlait pas en son nom seulement. Il était l'organe de la gauche tout entière lorsqu'il pressait l'honorable ministre de s'expliquer, lorsqu'il sollicitait la déclaration que nous avons entendue. Cette déclaration est nette, précise. Elle me permet, à mon tour, de constater que la droite recule aujourd'hui, qu'elle abandonne l'espérance qu'elle caressait dans la session dernière, celle d'obtenir la révision de la loi de 1850. (Interruption.)

Ce mot de révision vous irrite. Vous ne vouliez pas toucher au texte de la loi. Mais ne savez-vous pas qu'il y a deux sortes de révisions d'une loi : la révision législative et la révision administrative ? Il arrive que l'on recule devant la première, car elle produit quelquefois une extrême agitation dans le pays. On recourt alors à la seconde, à laquelle, avec un peu d'habileté, on fait produire les mêmes effets.

M. Kervyn de Lettenhove. - Citez des faits.

M. de Rossius. - Eh quoi ! c'est l'honorable M. Kervyn qui m'interrompt ainsi ! Vraiment je m'en étonné. N'est-ce pas l'honorable membre qui déclarait intolérable le développement donné aux sections primaires dans les écoles moyennes ?

N'est-ce pas lui qui produisait des documents pour établir la disproportion irrationnelle qui existait entre la population des classes préparatoires et celle des cours moyens proprement dits ? Si je rappelle ces choses, c'est parce que vous me demandez de citer des faits.

Mais laissons le passé et rentrons dans le débat actuel.

Ainsi vous renoncez à critiquer le développement des sections préparatoires. Eh bien, j'en prends acte. Messieurs, je sais...

M. Kervyn de Lettenhove. - Nous demandons l'application de la loi de 1850.

M. de Rossius. - Je sais que l'honorable M. Kervyn exprimait récemment un très grand regret, celui d'avoir perdu son siège ministériel, non pas que l'amour-propre déçu lui mît au cœur quelques sentiments d'amertume, mais à cause de l'impossibilité où il se trouvait de mener à bien les grandes réformes dont il brûlait de doter son pays.

J'ignorais assurément qu'il eût renoncé à en exiger l'accomplissement de ses successeurs, j'ignorais que la majorité eût pris la résolution de ne pas poursuivre la campagne commencée dans la session dernière. C'est, en effet, ce que nous venons d'apprendre. Car si l'honorable M. De Lehaye proteste contre la pensée que lui a prêtée l'honorable M. Elias, de vouloir la révision, tout au moins administrative, de la loi de 1850 ; si l'honorable M. Kervyn marche aujourd'hui d'accord avec l'honorable M. De Lehaye ; s'il affirme que jamais cette révision n'a été dans leur pensée, force m'est bien de constater qu'on abandonne le terrain sur lequel on s'était placé à l'aurore de la politique nouvelle.

M. De Lehaye, rapporteur. - M. de Rossius, vous m'interpellez ; si vous le permettez, je vous répondrai immédiatement.

(page 362) M. de Rossius. - Volontiers.

M. De Lehaye, rapporteur. - Messieurs, en rédigeant cette partie du rapport, je déclare que ma pensée, comme celle de la section centrale, a été uniquement celle-ci : il faut exécuter la loi de 1850, comme l'exige son texte ; nous n'avons pas demandé la révision de cette loi.

Or, que dit la loi de 1830 ? Elle dit que la où le besoin se fera sentir, il y aura une section préparatoire annexée à l'école moyenne ; et elle ajoute que ces sections préparatoires seront soumises au régime de la loi de 1850.

Et bien, la manière dont on a exécuté cette disposition de la loi de 1850, manifeste clairement l'intention qu'on a eue de soustraire ces sections préparatoires au régime de la loi de 1842. C'est pour cela que nous demandons que la section préparatoire ne soit annexée à l'école moyenne que dans les localités où le besoin d'une pareille annexion se fait sentir, et qu'on s'abstienne de prendre une pareille mesure là où le besoin ne s'en fait pas sentir.

Mais je n'ai pas voulu modifier la loi de 1850 ; il ne m'appartient pas, du reste, de modifier une loi. Cette pensée n'a été ni la mienne, ni celle de la section centrale.

M. de Rossius. - Voici le texte du rapport de l'honorable M. De Lehaye :

« La quatrième section déclare que la loi de 1842, en ce qui concerne l'instruction religieuse, est éludée au moyen de l'adjonction aux écoles moyennes de sections préparatoires, qui ne sont en réalité que des écoles primaires.

« Elle signale cet abus à l'attention de la section centrale. » »

M. Elias. - Un abus qui résulte de la loi ! (Interruption de M. Dumortier.)

M. le président. - Pas d'interruptions, messieurs ; laissez continuer l'orateur.

M. de Rossius. - Oh ! M. le président, j'ai beaucoup de patience. Je poursuis :

« Tout en reconnaissant que c'est en vertu de la loi (loi de 1850 sur l’enseignement moyen) que ces écoles ont été distraites de la loi de 1842, la section centrale doit exprimer ses regrets que cette disposition de la loi de 1850 ait pour effet de soustraire à l'inspection religieuse la jeunesse qui fréquente les sections préparatoires. Ces écoles ne sont, en réalité, que des écoles primaires soumises au même programme et ne donnant aucun enseignement plus étendu.

« La section centrale appelle à son tour toute l'attention du gouvernement sur cet objet. »

M. De Lehaye, rapporteur. - Eh bien ?

M. de Rossius. - Eh bien, dites-vous. Quand vous écriviez ce que je viens de lire, sans doute, vous aviez un but. Si, nonobstant les paroles du ministre, vous ne l'avez pas abandonné, dites-le donc franchement à la Chambre.

M. Bouvier. - Vous êtes désavoué par le ministre.

M. De Lehaye, rapporteur. - Mais pas le moins du monde.

M. de Rossius. - Il est probable que l'honorable M. De Lehaye et moi nous parlons une langue différente ; nous ne pouvons nous entendre sur la valeur des termes que nous employons ; c'est pourquoi je renonce à faire comprendre à l'honorable membre toute la gravité du passage de son rapport que je viens de citer.

M. De Lehaye, rapporteur. - Je me suis expliqué...

M, de Rossius.- Mais il est un fait acquis, c'est que M. le ministre de l'intérieur, il vient de le déclarer, accepte la section primaire annexée à l'école moyenne, qu'il l'accepte avec le développement qui lui a été donné ; c'est qu'il n'a pas la pensée de modifier l'état de choses qui existe aujourd'hui, état de choses qui est légal et par conséquent susceptible de se développer encore contrairement aux vœux de l'honorable M. De Lehaye.

Messieurs, permettez-moi de m'occuper un instant de l'interprétation que l'honorable ministre de l'intérieur a faite de l'article 10 de la loi de 1842 sur l'enseignement primaire. C'est justement que l'honorable M. Pirmez s'est montré très alarmé de la déclaration, déclaration trop concise, selon moi, de l'honorable M. Delcour.

Il nous a dit que les communes seraient autorisées à procéder à la nomination d'instituteurs non diplômés. Il a ajouté, il est vrai, que ces instituteurs auraient à produire des certificats de capacité. Je connais l'abus que l'on peut faire des mots.

Qu'entend-on par ces expressions : « certificats de capacité » ?

Si, comme j'en suis convaincu, l'honorable ministre veut être loyal, mais loyal jusqu'au bout, il a le devoir de s'expliquer.

Qu'est-ce ici qu'un certificat de capacité ? Qui délivrera ce certificat ? L'article 10 n'est pas une disposition banale. Sa portée est grande.

On a constaté, en 1842, que l'état d'infériorité dans lequel se trouvait l'enseignement primaire en Belgique était dît a l'insuffisance du corps professoral.

On a compris qu'il fallait réclamer des garanties de ceux qui aspiraient aux fonctions d'instituteur communal.

De là l'obligation faite par l'article 10 au conseil communal de fixer son choix sur un maître diplômé.

Le diplôme, voilà la règle. Ce. n'est que très exceptionnellement que l'administration locale peut être admise, avec l'autorisation du gouvernement, à procéder à la nomination d'un instituteur qui n'a pas fréquenté avec fruit et pendant deux ans au moins une école normale de l'Etat ou une école agréée.

« Toutefois, ajoute le dernier paragraphe de l'article 10, les conseils communaux pourront, avec l'autorisation du gouvernement, choisir des candidats ne justifiant pas de l'accomplissement de cette condition. » C'est-à-dire des candidats sans diplôme.

Cette autorisation, jusqu'aujourd'hui, on l'obtenait très difficilement.

Messieurs, je n'hésite pas à dire que si l'honorable M. Delcour modifie la tradition constante du département de l'intérieur, qui impose la stricte observation de l'article 10, un abaissement très grand du niveau de l'instruction première ne tardera pas à se manifester dans notre pays.

Quoique je n'aie fait qu'un court passage au conseil communal de Liège, je sais par expérience que, lorsqu'on présentait au ministre de l'intérieur un candidat instituteur non diplômé, on rencontrait des résistances sérieuses que les meilleures raisons parvenaient à peine à paralyser.

Il faut que cette jurisprudence rigoureuse du département subsiste. L'exception de l'article 10 ne doit être possible que dans des cas très rares : à défaut de candidat ayant passé par l'école pédagogique, ou par exemple, comme cela s'est vu quelquefois, quand l'école communale tuait l'école privée et qu'il fallait donner du pain au malheureux maître privé de ses moyens d'existence.

Les vieux instituteurs sont ainsi entrés dans nos écoles. Il était juste, il était humain de ne pas les réduire à la mendicité. Cette nécessité de déroger à la règle se fait heureusement de moins en moins sentir, à mesure que les années s'écoulent et que l'enseignement normal va se développant.

La résolution prise par M. le ministre est d'une extrême gravité. S'il y persistait, je déclare que je me croirais obligé de repousser son budget.

Comment pourrais-je émettre un vote favorable ? Pourquoi changer la jurisprudence salutaire de son département ? L'honorable M. Pirmez l'a dit : on veut dépeupler les écoles normales de l'Etat. J'ajoute que l'on veut favoriser l'enseignement pédagogique du clergé, lui permettre de façonner à son gré les instituteurs, en supprimant la nécessité de l'agréation, de cette mesure dont l'application donnait lieu l'an dernier, dans cette enceinte à de vives et irritantes discussions.

(page 359) - La séance est levée à 5 heures.