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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 24 janvier 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 316) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Hagemans donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Le conseil communal de Quaedmechelen demande que le département de la guerre fasse vendre annuellement, au camp de Beverloo, la paille ayant servi au couchage de la troupe, ainsi que le fumier provenant des chevaux de la cavalerie et de l'artillerie. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Van Loon demande la nomination d'un aumônier au dépôt de mendicité de Merxplas. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale de Gors-op-Leeuw prient la Chambre d'accorder au sieur Pousset la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Aix-la-Chapelle. »

« Même demande des membres des administrations communales de Léau, Nodebais, Ordange, Mouland. »

M. Wouters. - Je me rallie, messieurs, à la décision prise par la Chambre relativement à des pétitions du même genre et je demande à la Chambre de renvoyer cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Le conseil communal de Nivelles demande la prompte construction du chemin de fer de Bruxelles à Luttre. »

M. M. de Vrints. - Vu l'intérêt que présente cette pétition, je demanderai à la Chambre d'en ordonner le renvoi à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Verbrugghen demande que la loi consacre le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.


« Le secrétaire communal de Sart-Bernard prie la Chambre de s'occuper des réclamations des secrétaires communaux lors de la discussion du budget de l'intérieur. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Des industriels à Vilvorde demandent une enquête publique sur toutes les questions qui intéressent l'exploitation des chemins de fer de Belgique et que la commission chargée de la faire soit composée de membres de la Chambre et de représentants de l'industrie et du commerce. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions identiques.


M. le président. - Messieurs, j'ai reçu de M. Jamar la lettre suivante :

« Monsieur le président,

« Un nouveau malheur vient de frapper ma famille. Ma belle-mère, atteinte d'une attaque d'apoplexie hier, vient de succomber.

« Je prie la Chambre de vouloir bien m'accorder un congé de quatre jours.

« Veuillez, etc.

« Jamar. »

- Ce congé est accordé.


« M. de Borchgrave demande un congé de quelques jours. »

- Ce congé est également accordé.


M. De Lehaye.- Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner les amendements présentés par M. le ministre de l'intérieur sur son budget pour l'exercice 1872.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Rapport sur une pétition

M. Kervyn de Volkaersbeke (pour une motion d’ordre). - Messieurs, dans une séance précédente, la Chambre a décidé que la pétition relative au traitement du bétail atteint de la peste bovine serait envoyée à la commission des pétitions, avec prière de présenter son rapport dans la séance d'aujourd'hui. Je demande si la commission des pétitions peut dès aujourd'hui' déposer ce rapport.

M. Vander Donckt. - Messieurs, le rapport dont vient de parler l'honorable M. Kervyn de Volkaersbeke est prêt ; la commission des pétitions l'a approuvé et je suis à la disposition de la Chambre pour y donner la suite qu'elle désire.

M. Vleminckx. - Il me semble, messieurs, qu'il vaudrait mieux d'attendre la fin de cette discussion avant de s'occuper du rapport dont il vient d'être parlé. D'ici là on pourrait le déposer et en ordonner l'impression.

M. le président. - M. Vleminckx propose le dépôt du rapport et son impression.

M. Vander Donckt. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission des pétitions sur la pétition du sieur Bochart, demandant que le gouvernement fasse établir sans délai, dans les localités où la peste bovine s'est déclarée, des pacages spéciaux où des expériences seraient faites par les vétérinaires homéopathes.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. Il sera discuté après le vole du projet de loi dont s'occupe actuellement la Chambre.

Projet de loi allouant un crédit spécial de 12,080,000 francs au budget du ministère des travaux publics

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. Julliot. - Messieurs, hier l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu a prononcé un de ces discours aussi complets dans le détail que dans l'ensemble.

On ne réfutera pas ce discours, cela coûterait trop de travail ; on en dira un mot en passant et voilà tout !

L'honorable membre, avec beaucoup de talent, expose le principe qui doit régir la société ; il ne compose pas, il reste logique jusqu'au bout et rien ne le fait dévier.

Il a démontré que l'Etat, par son immixtion dans l'exploitation des chemins de fer, crée des privilèges aux uns et rien pour les autres. Eh bien, je partage les principes de l'honorable membre ; seulement, je me suis bien trouvé d'être un peu coulant dans l'application, parce que ce n'est pas (page 317) avec du vinaigre qu'on prend toutes ces mouches habituées à butiner le miel du budget ; il faut au moins dorer la pilule.

M. Le Hardy de Beaulieu, qui est ingénieur, ne s'est pas borné a étudier les chemins de fer belges, il est allé étudier cette matière en Angleterre et aux Etats-Unis, d'où nous viennent tous les progrès.

En attendant donc que les idées de l'honorable membre reçoivent leur application, je l'engage à ne pas se décourager et à persévérer dans la tâche qu'il s'est imposée ; quoique le fait de convaincre une foule de privilégiés que leur privilège doit disparaître soit un travail d'Hercule, difficile à accomplir.

En attendant, l'honorable membre aura la satisfaction du devoir accompli.

Je regrette que l'honorable M. Pirmez ne soit pas à son banc, il m'a fait l'honneur de s'occuper de moi dans son discours, et la politesse exige que j'y réponde de la même façon.

M. Orts. - Cela ne fait rien, je le lui transmettrai.

M. Julliot. - Je vous remercie de votre obligeance.

Messieurs, dans une séance précédente, l'honorable M. Pirmez a combattu mon discours sur le chemin de fer avec un peu de mise en scène de ma modeste personne.

Or, quel que soit mon intérêt à m'effacer, il faut, quand on est attaqué, se défendre.

Mais quand ces attaques viennent d'un collègue qui a toutes mes sympathies, la réponse doit être courtoise et je n'aurai pas un mot à retirer ou à regretter.

J'ai dit que, par les divers systèmes qui régissent les chemins de fer belges, on créait des inégalités de position qui n'étaient pas à justifier.

J'ai dit que si tous les chemins de fer belges étaient exploités par des compagnies ou des tarifs égaux, on ne pourrait pas reprocher au gouvernement de créer, par son fait, une grande infériorité de position à une grande partie du pays réduite aux chemins de fer concédés et M. Pirmez lui-même a reconnu cette infériorité.

J'ai dit que l'Etat aurait dû conserver assez d'action dans les concessions pour égaliser les conditions économiques dans le pays.

J'ai encore dit, et je veux voir qui le contestera, que l'Etat accordant une modération dans les prix de transport à la partie des Belges à même de pouvoir en profiter, alors que, par leur situation, cela est refusé à beaucoup d'autres, je dis que cette faveur a le même résultat économique qu'aurait une modération d'impôts pour les uns et le refus pour les autres ; je demande qu'on réfute cette comparaison.

Finalement, aucun pays en Europe, ni grand ni petit, exploitant un chemin de fer, le Belge s'admire-t-il assez lui-même pour admettre que son gouvernement seul est dans le vrai et tous les autres dans les ténèbres, et je vous avoue, messieurs, que je ne puis m'associer à cette jactance nationale, et comme conséquence, j'ai demandé si l'on admettait que l'Etat seul voie clair dans les tarifs ; si toutes les compagnies belges qui refusent de copier le tarif de l'Etat sont ignorantes de leur bien-être et négligent sottement leur intérêt, et finalement, si l'Etat, en prenant part à la concurrence industrielle des transports, avait bien le droit de combattre pour les uns contre les autres ? C'est le point capital delà question.

Eh bien, on ne m'a rien répondu du tout ; on m'a dit : L'Etat le fait, et cela doit vous suffire ; faites de la théorie tant que vous voulez, nous sommes des hommes pratiques, nous faisons nos affaires et vous êtes indiscrets quand vous demandez comment. Tel a été le langage des honorables. MM. Sainctelette et d'Andrimont, du reste personnellement désintéressés dans la question.

J'espérais du moins une bonne solution de la question de la part de l'honorable M. Pirmez, élevé à très bonne école, mais c'était une erreur.

Aussi un de mes voisins me disait : L'honorable député de Charleroi, indépendamment de tous les talents qu'on lui connaît, possède à un haut degré l'art de discuter une question, de discuter à côté et, au besoin, autour d'une question, et vous allez être payé de cette monnaie.

En effet, au lieu de m'appuyer, l'honorable membre s'est tourné contre moi.

L'honorable M. Pirmez m'accuse de vouloir couper les pans de son habit et le promener en veston au boulevard.

Mais c'est dans le système de l'honorable membre qu'on coupe les pans des Limbourgeois pour doubler les paletots des électeurs du bassin de Charleroi, pour qu'ils ne se mettent pas en grève électorale, ce qui ne ferait pas son affaire.

Puis l'honorable membre m'accuse de vouloir baisser les tarifs des compagnies au niveau du tarif de l'Etat, et M. Pirmez de me dire : Il faut élever les uns au niveau des autres, jamais les abaisser. Vous. êtes un rétrograde !

Soit, mais alors élevons ensemble le tarif de l'Etat au niveau de celui des compagnies et que cela finisse.

Messieurs, l'honorable M, Pirmez a été extrêmement sévère à mon égard.

Il m'a traité de socialiste, quoiqu'il sache que j'en suis l'antipode.

Mais ce mot fera fortune, car il est assommant.

Je serai beaucoup moins sévère à l'égard de l'honorable membre ; seulement, je constate que par son passage au pouvoir, où il reviendra, il a contracté un parfum autoritaire et doctrinaire qu'il n'avait pas auparavant, car alors nous étions très souvent d'accord sur les principes, à tel point que l'honorable M. Pirmez a fait un jour, avec beaucoup de talent et cet accent de profonde conviction que nous lui connaissons, un discours et une conclusion analogues aux miens sur les chemins de fer.

L'honorable membre, j'espère, ne récusera pas le narrateur de ce récit.

Ainsi on m'insinue que l'honorable M. Pirmez a conservé l'esprit de l'économiste, mais qu'il a gagné le cœur du socialiste par les nombreuses distributions qu'il a été obligé de faire comme ministre de l'intérieur.

Le pouvoir est donc une bien mauvaise école et MM. les ministres actuels n'ont qu'à se cuirasser contre ce faux entraînement déplorable.

Messieurs, ce que l'on pourrait dire peut-être, c'est qu'il faut à la direction supérieure du chemin de fer un homme du métier, au lieu d'un avocat, quoiqu'on dise que l'avocat est un propre-à-tout.

En effet, depuis vingt-quatre ans, je n'ai vu défiler au ministère des travaux publics que des avocats. On dirait qu'il faut posséder le corpus juris pour faire un bon voiturier.

Eh bien, si on m'offrait une voiture avec le bâtonnier des avocats de Bruxelles sur le passet, je n'y entrerais pas, de crainte d'une culbute dans le fossé.

Je dis donc à l'Etat : Cessez de créer par votre fait ces inégalités injustes dans la situation économique des différentes parties du pays.

Prenez tous les chemins de fer, que vous ne conserverez pas longtemps, ou n'en ayez aucun, ce sera au moins la justice pour tous. Mais à bas les faveurs ! Et pour commencer, acceptez les idées des délégués du commerce et bornez l'action de l'Etat à la traction ; ce système a été parfaitement exposé par l'honorable M. Sabatier, un des hommes les plus compétents du pays.

J'engage toutes les parties du pays exploitées exclusivement par des compagnies à réclamer l'uniformité des tarifs comme égalité devant la loi économique, et au lieu d'une enquête qui nous demanderait des années, je demande de réunir à l'administration belge tous les directeurs des chemins de fer concédés pour fixer ensemble un tarif uniforme.

Cette question, je la mets à l'ordre du jour et j'en demande la discussion.

Si donc, dans un bref délai, on veut mettre en pratique cette proposition, je ne voterai pas l'enquête.

Si, au contraire, on la repousse, je voterai l'enquête dans l'espoir de sortir de la fausse position qui nous est faite dans le Limbourg.

M. le président. - L'amendement suivant a été envoyé au bureau :

« Le gouvernement est autorisé à faire un emprunt de 30 à 40 millions pour l'établissement ou l'agrandissement et pour l'aménagement des gares à marchandises.

« (Signé) David. »

Cet amendement sera développé par son auteur, lorsque viendra son tour de parole.

(page 321) M. Balisaux. - Messieurs, je serai bref, autant que possible, dans les observations que je vais présenter à l'occasion du projet de loi soumis aux délibérations de la Chambre et sur la proposition d'enquête émanée de la plupart des chambres de commerce et des associations industrielles du pays, proposition d'enquête appuyée par la commission permanente d'industrie à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.

Je dis avec raison, à l'occasion du projet de loi, car pour imiter les honorables préopinants, je n'y toucherai guère, et, pour finir le plus tôt possible, je déclare que je l'approuve en entier et notamment dans sa partie finale, c'est-à-dire dans l'amendement proposé par M. le ministre des travaux publics, de porter à 16 millions le crédit de 12 millions qui avait d'abord été demandé.

Je voterai donc ce projet de loi. J'ai cependant une certaine réserve à faire ou plutôt un regret à témoigner, c'est que M. le ministre n'ait pas compris dans l'amélioration du matériel à construire les 200 waggons de 20 tonnes demandés par l'industrie métallurgique pour le transport de ses grands produits, waggons réclamés avec tant d'instance depuis si longtemps déjà. L'Association métallurgique de Charleroi a adressé à cette fin à M. le ministre des travaux publics une requête où elle expose clairement les motifs déterminants de la création de ces 200 waggons qui sont tout à fait indispensables à son industrie.

Ce regret, messieurs, s'est trouvé quelque peu mitigé par la lecture d'un avis qui figure dans le Moniteur du 8 courant, mettant en adjudication 40 waggons plats à 8 roues de 20 tonnes.

Cette mise en adjudication me permet de supposer que M. le ministre des travaux publics répare un oubli, et que ces 40 waggons ne sont qu'un acheminement vers l'accomplissement des désirs exprimés par les maîtres de forges de Charleroi.

Je comprends que les industriels soient souvent disposés à exagérer peut-être leurs prétentions, à demander beaucoup pour obtenir le strict nécessaire, mais il est avéré que l'augmentation de 40 waggons de 20 tonnes est insuffisante et ne répond pas à leurs besoins. Si M. le ministre des travaux publics voulait porter cette augmentation au chiffre de 100 waggons, ce serait une demi-satisfaction et je le remercierais au nom des industriels métallurgistes.

Nous venons, messieurs, d'assister à une discussion complète du budget des travaux publics, mais, comme l'a dit M. le ministre des finances, le temps que nous y avons consacré ne sera pas perdu, la discussion générale du budget des travaux publics peut être considérée comme close et nous n'aurons plus à entendre que les réclamations, nombreuses, il est vrai, de la plupart des députés en faveur de leurs arrondissements respectifs.

Comme les orateurs qui m'ont précédé, j'avais aussi l'intention de dire à la Chambre tout ce que je savais à propos de l'insuffisance et de l'irrégularité de l'exploitation tant des chemins de fer concédés que des chemins de fer exploités par l'Etat, et d'indiquer, à mon point de vue, quels étaient les meilleurs moyens de remédier à un état de choses qui va toujours s'aggravant et qui menace sérieusement toutes nos grandes industries.

Mais, messieurs, quand on prend la parole après une douzaine d'orateurs, on s'aperçoit que sa tâche est considérablement réduite, que les idées qu'on avait groupées et coordonnées s'envolent successivement et on les retrouve sur les lèvres des honorables préopinants.

Je constate ce fait avec une certaine satisfaction quand je les retrouve sur les lèvres d'orateurs comme les honorables MM. Sainctelette et d'Andrimont, qui les produisent et les développent avec une lucidité et une éloquence dont je ne me crois pas capable.

Pour exposer les nombreux griefs du commerce et de l'industrie contre l'exploitation des chemins de fer en général, pour rechercher les moyens d'améliorer cet état de choses, si préjudiciable aux intérêts matériels du pays, je me verrais dans la nécessité de répéter ou de paraphraser les remarquables discours de ces honorables collègues, discours que je recommande à la sérieuse méditation du ministre des travaux publics, car ils constituent des cours complets d'exploitation de chemins de fer.

Je me bornerai donc à quelques considérations générales. Mais préalablement, je désire demander à l'honorable ministre des finances de préciser quelques paroles qu'il a prononcées dans la séance de samedi dernier. M. Malou nous a dit : « Le gouvernement se prépare à réduire les taxes pour les petits parcours. »

Je l'ai interrompu, et je lui en fais mes excuses aujourd'hui, pour le prier de nous déclarer si son intention était de donner enfin satisfaction aux réclamations des associations industrielles et de la chambre de commerce de Charleroi qui ont demandé depuis longtemps déjà la réduction du droit fixe exorbitant qui frappe les parcours à petite distance.

Un mot d'explication, messieurs : vous connaissez tous ce droit fixe, il est d'un franc par tonne ; quand ce droit s'applique à des parcours assez étendus, il est tolérable, en ce sens qu'il se répartit sur un grand nombre de kilomètres. Mais où il devient exorbitant, c'est notamment dans les centres industriels où une quantité considérable de matières premières pondéreuses telles que le charbon ne parcourent que trois ou quatre kilomètres pour arriver à destination et sont frappées d'un droit qui représente 25 ou 30 centimes par tonne et par kilomètre.

Une conséquence fâcheuse de cet état de choses, tant pour le trésor public que pour l'industrie, c'est que les fabricants de coke et les métallurgistes trouvent souvent plus avantageux de faire opérer le transport des charbons qui leur sont nécessaires par des chevaux que par le chemin de fer.

Le gouvernement a compris depuis longtemps la justesse de cette critique, et il a même pris des mesures à ce sujet envers les sociétés concessionnaires ; c'est ainsi que la compagnie de l'Est belge, pour son chemin de fer industriel, n'a qu'un droit fixe de 12 centimes seulement.

La taxe proportionnelle, il est vrai, est de beaucoup supérieure à celle des chemins de fer de l'Etat, mais il n'en est pas moins vrai qu'un parcours de 7 à 8 kilomètres sur le chemin de fer industriel de l'Est belge, dans l'arrondissement de Charleroi, ne coûte guère plus de la moitié de la taxe qui serait exigée pour le même parcours sur le chemin de fer de l'Etat.

L'honorable ministre des finances ne s'est pas expliqué catégoriquement à ce sujet, mais j'ai cru comprendre qu'il n'adoptait pas un principe dont il allait chercher l'application, que la réduction promise ne serait qu'exceptionnelle et appliquée aux localités desservies en même temps par le chemin de fer de l'Etat et des chemins de fer industriels concédés.

Or, je désirerais que la mesure fût générale, car elle est rationnelle et équitable.

Je ne critique pas la base du droit fixe ; il y a beaucoup de raisons pour soutenir que ce droit doit être maintenu, mais entre maintenir le principe et prétendre que ce droit doit être de 1 franc par tonne, quelle que soit l'étendue du parcours, il y a loin.

J'ai fait partie de la chambre de commerce de Charleroi, je lui ai fait jadis une proposition qui avait paru lui plaire et qui a été, je crois, transmise à M. le ministre des travaux publics.

Voici cette proposition, et je prie M. Malou de l'examiner.

Le minimum du droit fixe serait de 50 centimes pour un parcours de 10 kilomètres au plus, et il serait successivement augmenté de 10 centimes par 5 kilomètres, de manière que le droit fixe maximum de 1 franc ne serait applicable qu'à un parcours de 35 kilomètres ou 7 lieues.

Voilà la mesure que je voudrais voir adopter et non pas une mesure exceptionnelle comme celle qui paraît nous avoir été annoncée par M. le ministre des finances.

Du reste, messieurs, l'honorable M. Malou ne doit pas se glorifier de cette promesse. Il ne fait qu'adopter l'enfant de l'honorable M. Jamar. Je sais bien que cet enfant est resté à l'état d'embryon. Mais, quoi qu'il en soit, voici ce que M. Jamar, - je regrette d'être obligé d'invoquer son nom dans cette enceinte après le nouveau malheur qui vient de le frapper et que l'on nous annonce à l'instant, - voici, dis-je, ce que M. Jamar répondait à la chambre de commerce de Charleroi, le 20 septembre 1868, au sujet d'une demande de suppression ou au moins d'une réduction du droit fixe :

« Vous me demandez, sous le n°1, que si le droit fixe doit continuer à exister, il soit considérablement réduit et ne puisse être perçu qu'une seule fois pour un même transport, quels que soient la distance et le nombre de lignes à parcourir.

« Je vous ferai remarquer d'abord que la perception d'un droit fixe unique a prévalu depuis longtemps ; tous les tarifs mixtes intervenus entre (page 322) le chemin defer de l'Etat et les chemins de fer concédés en Belgique sont établis d'après cette règle...

« Je ne veux point dire que le gouvernement ne dégrèvera jamais les transports à petite distance.

« Je serais au contraire heureux, pour ma part, de pouvoir le faire dès à présent, mais les circonstances sont peu favorables pour entrer dans cette voie.

« Le gouvernement ne peut ni ne doit prendre, en ce moment, aucune mesure qui serait de nature à diminuer, même temporairement, le produit net de ses chemins de fer.

« Mais, je le répète, si je ne puis satisfaire à votre désir de voir réduire considérablement et d'une manière générale les frais fixes, il n'en résulte pas que, dans ma pensée, il n'y ait absolument rien à faire dans l'avenir en faveur des transports à petite distance. »

L'honorable M. Jamar n'a pu réaliser ses vœux avant son départ ; car je crois qu'alors la question dominante était la question financière. La réduction du droit fixe, en effet, causerait certain préjudice au trésor ; mais comme il résulte des déclarations récentes de M. le ministre des finances que la situation financière de l'Etat est bonne, que ses recettes augmentent dans des proportions même considérables, ce serait, je crois, le moment de consentir à ce sacrifice en faveur de l'industrie et du commerce.

Je reviens à la question.

On réclame beaucoup de choses, et surtout des choses très coûteuses ; on demande de nouveaux chemins de fer dans le but de réunir les centres de production aux centres de consommation. C'est ainsi que, depuis deux ou trois ans peut-être, on est en instance auprès du gouvernement pour lui demander soit de concéder, soit d'exécuter lui-même une ligne ferrée d'Athus à Givet, qui, traversant elle-même d'importants gisements miniers, assurerait aux établissements métallurgiques les approvisionnements de minerais qui lui font trop souvent défaut par suite de l'insuffisance des moyens de transport.

On demande divers chemins de fer ayant surtout pour but d'augmenter et de faciliter nos relations commerciales internationales. Nous avons tous reçu, il y a quelques jours, une brochure nous exposant les avantages d'un chemin de fer de Bruxelles à Aix-la-Chapelle ; l'honorable M. d'Andrimont nous a démontré l'immense utilité de l'établissement d'une voie ferrée enlre Anvers et Gladbach.

L'on demande, en outre, de nouveaux canaux, et l'élargissement de certains autres : vous avez tous, sans doute, pris connaissance du remarquable travail de M. Dubois-Nihoul sur un projet de canal maritime reliant Bruxelles à l'Escaut, en face de Rupelmonde, et qui intéresse à un si haut degré non seulement les villes de Bruxelles, de Louvain, de Malines particulièrement, mais encore la majeure partie du pays.

Nous parlerons de ce projet en temps utile, lorsque les administrations communales de Louvain, de Malines et de Bruxelles se seront mises d'accord pour atteindre un but commun.

On demande de nouvelles gares et l'agrandissement de beaucoup de celles qui existent, de doubles, de triples et même de quadruples voies ferrées, des magasins, des ateliers, des engins nouveaux, enfin beaucoup de millions, et on a raison.

Tous les ministres qui se succèdent paraissent animés des meilleures intentions, surtout avant d'arriver au banc ministériel. Mais une fois ministres, une fois la joie de posséder un portefeuille passée, ils reculent épouvantés devant les sacrifices immenses qu'on doit demander au pays pour satisfaire à toutes ces exigences.

Ils reconnaissent que la force vitale de la Belgique réside tout entière dans la prospérité de son commerce et de son industrie et que cette prospérité dépend absolument des moyens de transport qui sont mis à sa disposition.

Néanmoins, je constate que personne ne vient nous dire en prenant place au banc ministériel : Voici quelles sont les dépenses à faire pour mettre les chemins de fer en état de rendre les services que l'on est en droit d'exiger d'eux ; voici les canaux que nous désirons construire et ceux que nous désirons élargir ; voici les voies ferrées nouvelles que nous reconnaissons utiles sinon indispensables au développement de notre commerce et de nos industries. Les devis estimatifs de ces travaux s'élèvent à 150 ou même 200 millions.

Tant que les ministres n'arriveront pas avec des plans et des devis sérieusement étudiés des travaux à effectuer pour rendre la Belgique l'un des pays les plus florissants du monde, ce que nous avons le droit d'espérer, les ministres manqueront à leur tâche.

Je ne dis pas que cette dépense de 200 millions peut-être doit se faire absolument dans un très bref délai, qu'il faut immédiatement mettre la main a l'œuvre partout en même temps ; il faut d'abord se procurer les ressources nécessaires, mais au moins les Chambres se trouveront en présence d'un plan d'ensemble des travaux à exécuter et elles pourront apprécier quels sont ceux dont l'exécution est la plus urgente au point de vue des intérêts généraux du pays.

Je crois pouvoir affirmer que, si des ressources financières nouvelles étaient nécessaires, on les trouverait facilement dans un pays aussi riche que le nôtre.

Mais, au lieu de cela, messieurs, on nous demande chaque année quelques centaines de mille francs pour construire des gares qui ne se terminent pas et qui seront vieilles avant leur inauguration.

Celle de Mons n'était pas inaugurée qu'elle demandait déjà des restaurations. Celle de Charleroi est décrétée, depuis cinq ou six ans ; elle ne sera peut-être pas finie avant un même délai.

Un honorable collègue me fait la même observation pour Tournai.

Voilà, messieurs, ce dont je me plains.

L'honorable ministre des travaux publics nous exposait hier les causes du retard dans l'exécution du chemin de fer de Luttre à Bruxelles ; je n'ai pas à les apprécier, mais, quand on cherche des motifs, on en trouve toujours.

Si le chemin de fer de Luttre à Bruxelles avait été entrepris par une compagnie sérieuse ayant le capital nécessaire pour l'exécuter, il serait achevé depuis plusieurs années. A Charleroi, le gouvernement avait reconnu, il y a sept ou huit ans, la nécessité d'établir une gare d'une grande dimension.

Les hommes compétents, les fonctionnaires de l'administration avaient été de cet avis, les compagnies concessionnaires intervenaient pour une assez large part dans la dépense.

Un bassin de navigation reliait cette gare à la Sambre et au canal de Bruxelles.

Un arrêté royal intervint décrétant l'expropriation des terrains nécessaires.

Un an après, je ne sais par quelle influence, je n'ai pas à la rechercher, mais quelle qu'elle soit, je la condamne, un nouvel arrêté royal intervient, annule le premier, réduit l'étendue des terrains de la gare, et le. bassin de navigation est supprimé.

Aujourd'hui, messieurs, avant même que cette station soit achevée, des fonctionnaires de l'administration des chemins de fer reconnaissent déjà qu'elle sera insuffisante ; des conventions étaient intervenues entre l'Etat et les propriétaires des terrains à emprendre à des conditions très avantageuses pour l'Etat et sans que celui-ci se fût toutefois engagé irrévocablement. Il payerait aujourd'hui ces terrains un prix beaucoup plus élevé.

Critiquant le retard dans l'exécution du chemin de fer de Luttre à Bruxelles, l'honorable M. Pirmez vous a fait, dans une de nos dernières séances, une observation très judicieuse. C'est que ce retard occasionne une perte considérable pour le trésor public, qui est privé des intérêts des capitaux engagés.

J'ajoute que si le chemin de fer de Luttre à Bruxelles avait été exécuté, il nous eût épargné de grandes difficultés dans ces derniers temps ; il eût été un exutoire bien utile, il eût évité bien des encombrements de voies et de stations.

Le gouvernement nous demande aujourd'hui quelques millions pour construire du matériel.

J'approuve sa détermination, je le répète, mais ce que je dois constater avec regret, c'est qu'il ne pourrait nous fournir la preuve mathématique de sa nécessité ou de son utilité, tandis que la preuve mathématique contraire nous fut fournie, sous l'administration de M. Jamar, par l'un de ses fonctionnaires les plus aptes, les plus capables, M. Vander Sweep.

Si l'insuffisance du matériel de transport se fait sentir partout, c 'est moins au manque de matériel qu'au défaut d'utilisation du matériel existant qu'il faut attribuer cet état de choses.

La déclaration ministérielle dont je vous ai entretenus tantôt, messieurs, je l'attends en vain. C'est pourquoi je me suis permis, dans le cours de l'année dernière, vers la fin de la session, de me plaindre de ce que tous nos gouvernants semblaient animés d'un esprit de mesquinerie impardonnable au sujet de l'exécution de travaux publies dont l'utilité et même la nécessité sont incontestées et incontestables.

C'est ce qui m'a permis de dire épie tous les ministres qui se succèdent, dominés par un esprit de parti politique, ne semblent prendre à cœur qu’une seule chose : prouver qu'ils valent mieux que leurs prédécesseurs.

(page 323) La plupart des discours que nous avons entendus, depuis que cette discussion est ouverte, ne justifient-ils pas mes paroles ?

On nous constitue pour ainsi dire en haute cour de justice pour apprécier et juger quel est le meilleur ministre, de l'honorable M. Wasseige ou de son prédécesseur.

Que nous importe cette question ? Morts aujourd'hui comme ministres, ils appartiennent à l'histoire et que l'histoire les juge.

Ce n'est pas le passé qui doit nous préoccuper, c'est le présent et l'avenir.

On a beaucoup attaqué l'honorable M. Wasseige ; on le poursuit jusque dans sa retraite.

Eh bien, je vais me permettre de vous donner mon appréciation consciencieuse, impartiale. Loin de moi la pensée de placer M. Wasseige sur un piédestal et de vous renseigner son administration comme un modèle. Je ne suis pas chargé de sa défense ; il a prouvé, du reste, qu'il savait se défendre lui-même ; il a même prouvé que tout en se défendant il savait atteindre ses adversaires. Mais je crois qu'en présence des circonstances difficiles qui ont accompagné son entrée au ministère des travaux publics, si son administration est susceptible de sérieuses critiques, elle ne l'est pas beaucoup plus que celles de ses prédécesseurs.

Je m'occupe d'industrie depuis une douzaine d'années ; je suis administrateur d'importants établissements charbonniers qui ont des rapports suivis avec toutes les administrations de chemins de fer. J'ai fait partie de l'Association charbonnière et de la chambre de commerce de Charleroi. Or, depuis lors, j'ai toujours entendu des plaintes, des récriminations contre l'exploitation des chemins de fer, tant de l'Etat que des compagnies concessionnaires.

Le mal dont on se plaint existe depuis plus de vingt ans peut-être ; et pourquoi ? Parce que l'industrie des chemins de fer n'a pas suivi l'essor presque prodigieux de toutes nos grandes industries.

Si la Chambre le désire, je lui donnerai une idée de ce développement considérable, en lui communiquant les documents statistiques recueillis par M. Camille Wautelet, secrétaire de la chambre de commerce de Charleroi.

Si vous le croyez utile, je vous en donnerai lecture. (Oui ! oui !)

En 1840, la production de la houille, en Belgique, était de 3,929,962 tonneaux.

En 1850, elle arrive à 5,820,588 tonneaux.

En 1860, à 9,610,895 tonneaux.

En 1865, à 11,840,603 tonneaux.

En 1869, à 12,943,094 tonneaux.

Pour les usines sidérurgiques établies pour le traitement de la fonte et du fer, nous voyons que la valeur de leurs produits était :

En 1850 de 30,317,767 francs.

En 1860 de 81,073,867 francs.

pour armer successivement en 1869 à 135,507,52 francs.

Usines métallurgiques pour le traitement de l'acier, du plomb et du cuivre :

La valeur des produits des premières était en 1860, de 849,000 fr. et en 1869 de 2,190,000 fr.

Celle des secondes était en 1860, de 1,801,987 fr. et en 1869, de 5,078,798 fr.

Celle des troisièmes était en 1860, de 2,694,380 fr. et en 1869, de 4,576,000 fr.

Pour le zinc, la valeur des produits en 1850 était de 9,814,030 fr., en 1860 de 24,534,673 fr. et en 1869 de 34,001,670 fr.

Pour les verreries, la valeur de leurs produits en 1850 était de 8,278,260 fr., en 1860 de 18,512,000 fr. et en 1869 de 28,652,500 fr.

Pour les carrières, la valeur de leurs produits en 1860 était de 17,593,574 fr. et en 1869 de 27,289,500 fr.

Le nombre de machines à vapeur était en 1850 de 2,282 et en 1868 de 10,514., rt dans la même période leur force en chevaux s'est élevée de 65,910 à 326,841.

Si de la production industrielle nous passons au mouvement du commerce de la Belgique avec les pays rangers, nous voyons :

En ce qui concerne le commerce général, qu'il est parti de 129 millions en 1840, pour arriver successivement a 3 milliards trente millions en 1869 ;

En ce qui concerne le commerce spécial, que de 345 millions en 1840 il est arrivé à 1 milliard 521 millions en 1868.

La valeur des importations était de 236 millions en 1850 ; elle est de 516 millions en 1860 et de 864 millions en 1868.

La valeur des exportations était de 263 millions en 1850 ; elle est de 469 millions en 1860 et de 656 millions en 1868.

La valeur du transit était de 206 millions en 1850 ; elle est de 408 millions en 1860 et de 753 millions en 1868.

En 1870 et 1871, les événements politiques ayant mis la plupart des chemins de fer dans l'impossibilité presque absolue de satisfaire aux besoins du commerce et de l'industrie, la position était devenue intolérable, on a cherché un coupable et on a fait peser sur le ministre des travaux publics toute la responsabilité de cette pénible situation.

J'ai déjà eu l'honneur de dire quelle était ma façon de penser à l'égard de son administration, mais j'ajoute que j'ai entendu plus d'un jugement injuste sur son compte. J'ai visité plusieurs fois l'honorable ministre et j'ai toujours constaté chez lui le plus grand désir de bien faire, d'améliorer autant que possible l'état grave dans lequel se trouvaient nos industries et jamais je ne l'ai vu se drapant avec complaisance dans ce manteau d'infaillibilité dont beaucoup de ministres aiment à se revêtir.

Nous avons donc, messieurs, à chercher un prompt et efficace remède à un état de choses dont nous nous plaignons avec tant d'amertume ; l'honorable M. Moncheur nous offre une dépense de 16 millions.

Je l'accepte comme palliatif aux maux dont nos industries et notre commerce souffrent depuis si longtemps, mais non comme un remède.

Nous voterons tous le projet de loi, tous, sauf cependant l'honorable M. Julliot dont je ne puis, à regret, approuver les doctrines économiques. Mais où est le remède souverain ? Qui nous l'indiquera ? C'est, à mon avis, l'enquête parlementaire qui doit le chercher et le trouver ; c'est le seul but que cette enquête puisse sérieusement atteindre. Elle nous dira quelles sont les améliorations à apporter à nos chemins de fer et canaux pour leur faire produire tout l'effet utile que l'on peut en attendre. Elle indiquera, autant que possible, quels sont les chemins de fer et canaux que l'on doit exécuter encore dans l'intérêt de nos industries et dans celui de nos relations commerciales internationales,

L'application de ce remède coûtera cher au pays, il est vrai, mais nous devons nécessairement accepter ce sacrifice ; le pays doit se l'imposer ; il est assez riche pour cela. Nous ne devons pas craindre d'escompter l'avenir, et même, s'il le faut, de laisser des charges à nos arrière-neveux, nous leur aurons laissé aussi des sources de richesses pour les amortir.

L'administration de la fortune publique n'est pas soumise aux mêmes règles que celle de la fortune privée. Les capitaux employés à des travaux d'utilité publique produisent souvent, du reste, des intérêts très rémunérateurs.

Le gouvernement parait décidé à repousser la proposition d'enquête parlementaire.

Indépendamment des considérations générales que je viens d'exposer à la Chambre et qui devraient suffire pour la lui faire accepter, il en est une autre qui devrait faire disparaître toute hésitation à cet égard : c'est la raison politique, sur laquelle je devrais peut-être me taire, n'appartenant pas à l'opinion politique du cabinet.

Il voit, en effet, de tous les points de la Belgique, de la part de toutes les associations industrielles, de toutes les chambres de commerce, réclamer cette enquête. Et le gouvernement, messieurs, y résiste ! Il y résiste alors que la situation des chemins de fer doit nécessairement rester la même pendant un temps plus ou moins long encore ; alors que le gouvernement sait qu'il est impossible d'apporter un remède immédiat à cet état de choses ; alors que, vis-à-vis du pays, la responsabilité ministérielle est considérablement engagée.

Si j'étais donc son ami politique, j'insisterais, au nom du parti, pour obtenir l'enquête parlementaire demandée.

On a dit : Mais la responsabilité ministérielle ne disparaîtra pas. Je désire, messieurs, qu'elle ne disparaisse pas ; je désire qu'il soit entendu, vis-à-vis des Chambres et du pays, que le ministre ne pourra s'abriter derrière cette enquête et se croiser les bras, qu'il continuera à faire tout ce qui sera en son pouvoir pour achever dans le plus bref délai les travaux (page 324) commencés et pour en commencer d'autres dont l'utilité est incontestable et incontestée.

Il n'est pas besoin de les chercher ; nous les lui indiquerions du reste, s'il était nécessaire.

Il est des travaux d'une utilité publique telle, que personne ne peut sérieusement penser à la mettre en doute.

Mais, quoi qu'il en suit, quoiqu'il soit bien entendu que la responsabilité ministérielle restera pleine et entière, il n'en est pas moins vrai qu'en fait et au point de vue de l'intérêt politique pur, l'enquête diminuera sensiblement la responsabilité ministérielle envers le pays.

Je répète toutefois que je n'accepterai jamais, quant à moi, cette excuse et je ne puis qu'approuver un passage de la requête de l'Association des maîtres de carrières du Hainaut qui apprécie sagement la situation. Il est ainsi conçu :

« Est-il besoin d'ajouter encore, messieurs, que dans notre pensée cette enquête ne saurait avoir pour résultat un ajournement quelconque des résolutions que le gouvernement croirait devoir prendre pour améliorer les divers services du chemin de fer ? Au contraire, en éclairant le département des travaux publics sur les vices de l'organisation actuelle de ces services et sur les obstacles regrettables qu'ils créent au développement de noire richesse nationale, cette enquête le convaincra rapidement de la nécessité et de l'urgence des mesures que nous sollicitons et lui permettra d'adopter aussitôt, et sans attendre le dépôt des conclusions de la commission, celles de ces mesures à l'égard desquelles sa conviction serait immédiatement formée.

« Ainsi, loin d'entraver et de suspendre l'initiative du gouvernement, l'enquête sollicitée ne pourra que la seconder et la stimuler, surtout qu'avec les conditions de composition et de publicité que nous réclamons, l'enquête donnera non seulement satisfaction à l'opinion publique, mais sera en outre un point d'appui et une force pour le gouvernement. »

Voilà une réponse claire et précise sur la question de la responsabilité ministérielle, si l'enquête est ordonnée.

L'honorable ministre des finances nous a dit : Mais quelle enquête voulez-vous ? Comment voulez-vous que la commission soit composée ? La commission permanente d'industrie n'a pas même conclu.

C'est une erreur que je tiens à relever.

La commission permanente d'industrie a conclu et elle ne pouvait conclure autrement qu'elle l'a fait. Quand les nombreuses pétitions demandant une enquête sont parvenues à la Chambre, celle-ci, sur une motion de l'honorable M. Bouvier, je pense, en a décidé le renvoi, non pas à la commission des pétitions, mais à la commission permanente d'industrie pour qu'elle fit un rapport à ce sujet.

Or, si j'apprécie bien la mission de la commission permanente d'industrie, elle consiste à donner son avis sur les propositions qui lui sont adressées, elle est surtout une Commission consultative.

Je ne pense pas, sans pouvoir toutefois oser l'affirmer, que le règlement de la Chambre donne à cette commission le pouvoir de présenter des projets de lois, droit qui appartient cependant individuellement à chacun de ses membres, à titre d'initiative parlementaire.

M. Malou, ministre des finances. - Vous vous trompez.

M. Balisaux. - Mais, messieurs, la commission d'industrie a conclu et il suffit, pour vous le prouver, de vous lire le dernier paragraphe du rapport si remarquable de l'honorable M. Descamps. « Dans cette situation, dit la commission permanente, appuyant les conclusions des requêtes, la commission a l'honneur de vous proposer le dépôt des pétitions sur le bureau de la Chambre pendant la discussion du projet de loi. » La commission permanente d'industrie n'a pu que respecter une décision prise préalablement par la Chambre, c'est-à-dire, le dépôt sur le bureau.

Au surplus, messieurs, pour apprécier une conclusion, il est très utile d'en lire les motifs, et il suffit de les lire pour acquérir immédiatement la conviction que la commission permanente d'industrie a été unanimement d'avis d'appuyer les diverses requêtes dont elle était saisie.

Je répète que la commission ne pouvait conclure autrement qu'elle l'a fait.

Mais je crois devoir laisser à l'honorable M. Descamps, rapporteur de la commission permanente d'industrie, le soin de défendre son rapport.

J'abrège mon discours, messieurs ; j'avais à vous entretenir d'autres questions, mais je crains de vous fatiguer et j'avoue que je le suis moi-même. Je finis donc et je dis : Le cabinet doit nécessairement consentir à l'enquête parlementaire qui est réclamée par le pays tout enlier. Le cabinet commettra une faute grave s'il s'y oppose, tant au point de vue de sa position politique qu'au point de vue des intérêts matériels du pays.

Cette enquête a été ordonnée en Allemagne, Elle a été réclamée en France et le gouvernement français a déclaré adhéré à cette proposition.

On nous demande comment la commission d'enquête sera constituée et quelle sera sa mission ?

Nous avons entendu hier une proposition de mon honorable collègue et ami, M. Le Hardy de Beaulieu. Je trouve cette proposition complète, mais trop complète peut-être. Il s'est trop inspiré des propositions d'enquête qui ont été faites en Angleterre. Je crois que si la proposition de notre honorable collègue était admise, nous reculerions de plusieurs années une décision qui est urgente, parce que le travail qu'il propose est trop considérable.

Voici comment je voudrais, à mon point de vue du moins, que la commission d'enquête fût composée et quelle devrait être sa mission. Ce n'est pas une proposition que je fais : je vous expose simplement mes idées. Si, parmi mes honorables collègues, il en est qui les approuvent, j'aurai vite rédigé une proposition.

Je voudrais que le gouvernement instituât une commission d'enquête, composée de huit ou dix membres de la Chambre des représentants, qu'il choisirait en prenant bien soin d'oublier les opinions politiques de chacun d'eux. Je dis le gouvernement.

. Une autre proposition, qui m'a été communiquée, confierait cette nomination au bureau de la Chambre. Or, le bureau ne constituerait pas la commission sans avoir consulté préalablement le gouvernement ; cela reviendrait donc au même. C'est pourquoi je voudrais laisser cette nomination au gouvernement, mais en lui recommandant expressément, je le répète, de faire un choix impartial parmi les membres de la Chambre.

Je lui demande d'ajouter à ces huit ou dix membres de la Chambre cinq hommes capables et compétents de l'administration du chemin de fer de l'Etat, il n'en manque pas ; et cinq industriels dont les aptitudes et les connaissances spéciales de la matière sont notoirement connues dans le pays.

« Les séances de la commission d'enquête seront publiques, afin que tous les intéressés puissent s'assurer que cette enquête est sérieuse et que les travaux de la commission n'ont qu'un but : la prospérité matérielle du pays.

« Les procès-verbaux des séances et les conclusions de la commission d'enquête seront publiés par la voie du Moniteur.

« Sa mission qui, je dois le reconnaître, n'est pas suffisamment définie dans les requêtes des chambres de commerce et des associations industrielles, sera :

« 1° De rechercher les causes principales de la grande insuffisance des moyens de transport par les chemins de fer et par les voies navigables ;

« 2° De rechercher les moyens d'améliorer cet état de choses si préjudiciable au commerce et à l'industrie du pays ;

« 3° De s'enquérir des nouvelles voies de transport qu'il serait utile d'ouvrir, dans un avenir prochain, pour permettre à nos grandes industries de soutenir la concurrence, de jour en jour plus difficile, contre les pays voisins ;

« 4° De rechercher enfin les moyens de faciliter et d'augmenter nos relations commerciales internationales par des transports plus directs, plus rapides et moins coûteux. »

Si la commission d'enquête devait entrer dans tous les détails de la proposition de l'honorable M. Le Hardy, nous tomberions infailliblement dans les détails qui ont fait l'objet d'une critique spirituelle de la part de l'honorable M. Malou, dans la séance de samedi dernier ; nous en arriverions, a-t-il dit, à faire décider par la commission si les boulons à tête ronde valent mieux que les boulons à tête carrée.

Je termine.

J'ai défendu la proposition d'enquête avec la plus profonde conviction qu'elle est nécessaire aux intérêts généraux du pays.

Tel est aussi l'avis des hommes capables et compétents qui font partie des associations industrielles et de la chambre de commerce de Charleroi et qui ont pris l'initiative de la mesure proposée.

(page 317) M. Vermeire. - Messieurs, la discussion qui vient de se produire à la Chambre a été très intéressante et, à mon point de vue, assez complète. Elle a démontré d'une manière évidente que les transports de marchandises n'ont pu être effectués dans le délai voulu. La cause en est que le matériel du chemin de fer fait défaut aux transports nombreux dont on le charge.

Et cependant, messieurs, il n'y a pas eu moins de matériel à l'Etat belge qu'aux autres chemins de fer.

Cela résulte des observations de l'honorable M. Jamar, qui a établi que le chemin de fer belge se trouve, pour la quantité de son matériel, à la tête de tous les chemins de fer de l'Europe.

C'est ainsi que par kilomètre de chemin exploité, alors que la ligne de Paris à la Méditerranée n'avait que dix waggons par kilomètre, le chemin belge en possédait onze.

Messieurs, ce n'est que depuis que des événements très graves ont surgi en Europe ; ce n'est que depuis que la guerre a éclaté entre la France et la Prusse ; c'est seulement depuis que les marchandises expédiées précédemment sur les divers ports de mer ont été envoyées exclusivement au (page 318) port d'Anvers ; c'est seulement depuis que le combustible a fait défaut dans nos fabriques, c'est seulement depuis lors que le matériel du chemin de fer a commencé à manquer.

Examiner tous les documents relatifs au chemin de fer serait fastidieux pour le moment. Mais si nous jetons les yeux sur le dernier rapport, nous remarquons qu'avant 1869 on ne s'est jamais plaint de l'insuffisance du matériel.

Maintenant, messieurs, que nous avons constaté cette insuffisance, pouvons-nous reprocher à l'administration dont l'honorable M. Wasseige était le chef, de n'avoir voulu rien faire pour parer à cet état de choses ? Eh bien, je crois que nous serions injustes envers cet ancien ministre et envers l'administration qu'il dirigeait si nous agissions ainsi.

Depuis que les transports ont pris un accroissement considérable et en quelque sorte instantané, l'administration des chemins de fer pouvait-elle pourvoir aux nécessités de ce service exceptionnel dans les conditions ordinaires ? Pouvait-elle créer, du jour au lendemain, un nouveau matériel ? Pouvait-elle, comme l'a dit l'honorable M. Wasseige, improviser des waggons ?

Pour porter remède à l'état de choses actuel, que nous propose aujourd'hui le gouvernement ? Il nous demandait d'abord un crédit spécial de 12,080,000 francs ; et au début de la discussion, l'honorable ministre des travaux publics a demandé, par un amendement, que ce crédit soit augmenté de 4 millions.

Des membres de la Chambre viennent aujourd'hui demander que d'autres crédits plus considérables soient mis à la disposition du gouvernement, avant que le crédit de 16,080,000 francs ait pu recevoir un emploi utile.

Dans le rapport de la section centrale, qui m'avait fait l'honneur de me nommer son rapporteur, nous avons insisté aussi sur la nécessité de faire construire promptement le matériel pour les transports sur les chemins de fer ; nous avons demandé aussi que si le crédit de 16,080,000 francs, quand il aura été employé, n'était pas assez considérable pour pourvoir à l'insuffisance du matériel, le gouvernement vînt proposer à la Chambre de lui allouer des crédits nouveaux.

Eh bien, je crois qu'à l'administration du chemin de fer aussi bien du temps de M. Jamar que du temps de M. Wasseige et, comme, je l'espère, sous le ministère actuel, l'exploitation des chemins de fer fera l'objet des études constantes du gouvernement.

Enfin, messieurs, la prospérité du chemin de fer doit avoir pour conséquence la prospérité du pays.

On a critiqué l'exploitation du chemin de fer par l'Etat ; deux orateurs notamment ont soutenu que les chemins de fer ne pouvaient être utilement exploités par l'Etat parce que l'Etat ne pouvait se faire entrepreneur public de transports.

C'est une thèse qui a été soutenue, il y a longtemps déjà, et que de temps en temps on rappelle comme pour mémoire.

Je n'entrerai pas dans cette discussion, pour démontrer qu'il y a utilité publique à ce que les chemins de fer soient exploités par l'Etat ; je dirai seulement que c'est l'Etat qu'on peut le mieux rendre responsable en matière d'exploitation de chemin de fer. Or, quand il s'agit d'un intérêt supérieur, national, il faut que le gouvernement soit responsable ; et j'ajoute qu'il doit mettre en œuvre tout ce qui est nécessaire pour donner satisfaction à cet intérêt.

Supposons un instant que le chemin de fer de l'Etat, qui a absorbé déjà au delà de 260 millions, soit exploité par une compagnie particulière, que des besoins aussi grands que ceux que nous constatons aujourd'hui se fassent jour ; croyez-vous que cette société avec son capital statutaire pourrait immédiatement y ajouter une grande quantité de millions pour augmenter son matériel ? Pour moi, je ne le pense pas et il en résulterait, selon moi, en ce cas-là, une lésion plus grande pour les intérêts supérieurs du pays.

On dit encore, et on le disait surtout il y a quelques années, que les chemins de fer, mal exploités, ne rapportaient pas à l'Etat ce que l'on était en droit d'en attendre.

Si vous examinez le dernier compte rendu des opérations des chemins de fer, - lequel malheureusement date déjà de 1869 et qui, par conséquent, est antérieur aux plaintes qui ont surgi dans ces derniers temps, - que constaterez-vous ? Vous verrez que, malgré les dépenses considérables qui ont dû être faites pour l'exploitation, malgré le remboursement des capitaux qui s'opère aujourd'hui à un taux supérieur à celui de leur émission, malgré la perte totale de 9 millions qui a été subie sur cette opération, vous verrez, dis-je, que les chemins de fer ont rapporté, - tous frais généraux déduits, - 6 p. c. environ. Vous remarquerez en même temps que d'année en année cette production a augmenté,

L'honorable ministre des finances nous a dit que les années 1870 et | 1871 seront beaucoup plus fructueuses encore que l'année 1869. L'accroissement de bénéfice dépassera ainsi toutes nos espérances. Dans ces circonstances, et pour ne pas allonger ce débat, lequel, selon moi, a été épuisé par les orateurs qui ont déjà pris la parole, j'engagerai le gouvernement à insister particulièrement sur la prompte livraison du matériel qui est commandé.

Je l'engagerai, d'autre part, à mettre encore en adjudication la quantité de matériel qu'il croira nécessaire pour opérer, dans de bonnes conditions, les transports qui augmentent tous les jours.

Je l'y engagerai surtout, messieurs, pour que la Belgique, qui a toujours marché à la tête des nations en ce qui concerne la construction et l'exploitation des chemins de fer, puisse reprendre son ancienne position, s'il est vrai, comme on l'a prétendu, qu'elle l’ait perdue depuis quelque temps.

Je ne veux pas discuter la valeur de l'appréciation à laquelle je viens de faire allusion. Cependant je ne puis me dispenser de faire remarquer que la Belgique n'a pas seule souffert de la crise qu'elle vient de traverser. Vous n'avez, pour vous en convaincre, qu'à lire le rapport si substantiel de notre honorable collègue, M. Descamps. Cette crise s'est produite également en Allemagne et en France et elle s'y est même manifestée avec beaucoup plus d'intensité qu'en Belgique.

Or, messieurs, alors même que notre matériel de transport eût été beaucoup plus considérable, nous n'eussions pas échappé à l'influence de la crise qui s'était produite en Allemagne et en France, à cause de la solidarité qui existe entre tous les pays en ce qui concerne leurs relations commerciales et industrielles.

Messieurs, la Chambre est désireuse d'en finir de cette discussion et d'arriver au vote du projet de loi qui lui est soumis. Je ne veux donc pas prolonger ce débat. Mais je me réserve d'examiner, à l'occasion du prochain budget des travaux publics, toutes les questions qui touchent à l'exploitation de nos chemins de fer.

(page 324) M. David. - Malgré les dernières paroles de l'honorable M. Vermeire, je me vois obligé d'occuper pendant quelque temps les moments de la Chambre, en lui promettant toutefois d'être aussi succinct que possible.

Quand des assertions erronées sont émises par un homme comme l'honorable M. Malou, il est indispensable de les relever immédiatement. L'honorable M, Malou a trop d'autorité en matière de chemin de fer, de (page 325) statistique et de chiffres et ses erreurs pourraient passer prochainement pour des articles de foi.

C'est ainsi que dans la séance du 20 du courant, en répondant à l'honorable M. Jamar, l'honorable M. Malou nous disait :

« Quant aux tarifs des chemins de fer, je suis tout prêt à les discuter et à les introduire dans le débat. Voici ce qui s'est fait. On avait réduit les tarifs pour les grandes distances, et il est résulté des faits que j'ai réunis, qui n'ont jamais été réfutés et qui ne peuvent l'être, que ces réductions pour les grandes distances profitaient aux premières et deuxièmes classes et ne profitaient pour ainsi dire pas aux classes inférieures. Cela a été démontré mathématiquement et cela résulte des parcours moyens.

« M. Jamar. - La démonstration contraire a été faite.

« M. Malou. - La démonstration contraire n'a jamais été faite, etc. »

Cette assertion, messieurs, est précisément le contraire de ce qui s'est produit. Je l'ai, du reste, déjà démontré dans un discours prononcé le 18 juillet 1867.

Voici, du reste, d'une manière aussi courte que possible, moyennant des chiffres officiels tirés des rapports annuels de MM. les ministres, une nouvelle démonstration courte, exacte, décisive, que la réforme de 1866 a été faite en faveur des classes ouvrières et moyennes et, qu'à ce point de vue, elle a produit des effets excessivement favorables au développement de la circulation de toutes les classes vivant de leur travail et devant voyager pour vivre.

Cette réforme, messieurs, malgré ce que nous a dit l'honorable M. Malou, a été la mesure la plus démocratique prise depuis 1830. Elle allait avoir son complément prévu et décidé depuis longtemps, par une réduction correspondante sur les petits parcours, quand le ministère libéral a dû se retirer en 1870.

Remarquez que cette réforme n'a pas amené dans le trésor de déficit, mais au contraire une augmentation successive de recettes ; que si l'intérêt de l'argent engagé dans le chemin de fer a été un peu moindre en 1866 qu'en 1865, il s'est successivement relevé d'année en année, pour arriver, en 1869, au taux, que je considère comme usuraire, de 5 93/100 p. c. du capital engagé et pour 1871, d'après les estimations de l'honorable M. Malou, qui nous disait samedi que l'excédant des recettes brutes sur les dépenses sera de 20,000,000 de francs, l'intérêt sera de 10 à 12 p. c.

Voici, messieurs, le point de départ des réformes de 1866. Après avoir expérimenté le nouveau tarif réduit pour les distances de 35 à 75 kilomètres et de 75 kilomètres et au delà pendant sept mois, M. le ministre des travaux publics de cette époque fit faire des comparaisons entre ce qui se passait avant la réforme et ce qui s'était produit pendant ces sept mois.

Pour faire établir ces calculs on a eu bien soin, à cette époque, et vous trouverez ces renseignements à la page 42 du compte rendu des opérations du chemin de fer pour 1866, on a eu bien soin, dis-je, d'élaguer les voyageurs extraordinaires, les enfants, les sociétés voyageant à prix réduit, les pèlerins, les militaires, etc., et même les voyageurs internationaux.

On s'en est tenu exclusivement aux voyageurs du service intérieur et du service mixte. Les voyageurs du service mixte, messieurs, sont ceux qui, pour le même voyage, empruntent une ligne de l'Etat et une ligne concédée. Voici ce qui a été constaté avant la réforme, messieurs ; pour les petits parcours de 1 à 35 kilomètres, il y avait 77.55 p. c. de voyageurs ; pour les distances de 35 à 75 kilomètres, il y avait 18.64 p. c. ; et pour les distances au delà de 75 kilomètres il n'y avait plus que 3.81 p. c. Mais quoique dans le principe la réforme ne fût pas encore bien connue pendant les sept premiers mois de sa mise en exécution, que bien des personnes ne savaient pas encore qu'on voyageait à aussi bon marché pour les longues distances, immédiatement les choses se transforment ; nous trouvons que pendant cette période, le nombre des voyageurs n'augmente pas ou augmente très peu sur les petits parcours et qu'il se développe considérablement sur les parcours moyens et longs de 55 kilomètres à 75 kilomètres et au delà.

Par suite de la réforme, nous trouvons que l'augmentation du nombre des voyageurs pour les petits parcours de 1 à 35 kilomètres non réduits n'augmentent que de 1.93 p. c. ; que pour la zone à réduction provisoire et déjà assez importante cependant, de 36 à 75 kilomètres, le nombre des voyageurs augmente, de 20.17 p. c. seulement ; mais pour la zone à grande réduction au delà de 75 kilomètres, qu'est-il arrivé ? Immédiatement, pendant ces sept mois, alors qu'on ne connaissait pas encore bien et généralement les bienfaits de la réforme, le nombre des voyageurs augmente de 91,90 p. c.

Ce fait déjà confirme, me semble-t-il, entièrement ma thèse.

Nous allons maintenant voir quelles sont les classes de voyageurs qui ont fourni cette augmentation ; nous verrons si ce sont les premières ou les secondes et les troisièmes classes, et nous le verrons en confrontant l'augmentation du nombre des personnes voyageant en première classe et dans les deux autres classes pendant les cinq années 1866, 1867, 1868, 1869 et 1870.

Pendant ces cinq années, le nombre total des voyageurs a été de 62,900,749 personnes, et veuillez bien noter ceci, messieurs : 4,464,260 seulement ont voyagé en première classe ; tandis que dans les secondes et les troisièmes classes qui, vous l'avouerez, sont les classes vraiment populaires, il y a eu 58,436,489 voyageurs. En un mot, les premières classes ayant eu 7 1/15 p.c.de voyageurs, les secondes et les troisièmes ont participé pour 92 14/15 p. c. dans le nombre total des voyageurs.

Voici maintenant le résumé détaillé du nombre des voyageurs pendant les années que je viens de citer. Je n'entrerai pas dans tous les détails ici, je les consignerai au Moniteur. Je ne vous citerai que l'augmentation du nombre des voyageurs par classe de voitures. Et cela est très remarquable ; vous verrez les rentiers, les gens riches, les gens qui voyagent pour leur plaisir, les touristes, rester chez eux et ne plus se déplacer aussitôt qu'il y a du choléra ou de la pluie ou de la guerre à l'horizon. C'est ainsi que les premières express donnent une diminution de 28,495 voyageurs sur 1865.

Mais comme en première classe ordinaire il y a eu 41,436 voyageurs de plus qu'en 1865, l'augmentation des premières classes des deux catégories réunies est en 1866 de 12,941 voyageurs de plus qu'en 1865.

Les deuxièmes des deux catégories ont donné 83,565 voyageurs de plus et les troisièmes 979,335, donc ensemble 1,062,900 voyageurs.

Ensemble 98.80 p. c. d'augmentation pour les deux dernières classes contre 1 20/100 p. c. seulement d'augmentation pour les premières classes sur le total général de l'augmentation de 1,075,841 voyageurs.

Pour plus de clarté, voici le tableau concentré de ces augmentations en 1866 sur 1865 :

Premières express, en moins : 28,495

Premières ordinaires, en plus : 31,436

Premiers : reste en plus : 12,941 ou 1 20/100 p. c.

Secondes express, en plus : 18,692

Secondes ordinaires, en plus : 64,875

En plus : 83,565

Troisièmes express, en plus : 154,911

Troisièmes ordinaires, en plus : 824,424

En plus : 979,335.

Secondes et troisièmes, en plus : 1,062,900 ou 98 80/100 p. c.

Augmentation totale : 1,075,841

En 1867, nous avons sur 1866 dans les premières express et ordinaires une augmentation de 165,448 voyageurs et nous pouvons attribuer cette augmentation-là au nombre très minime de voyageurs en 1866 et à l'exposition qui a eu lieu à Paris.

Il y aurait eu ainsi 16 1/2 p. c. de cette catégorie de voyageurs de plus, mais la moyenne de l'augmentation est partant, pendant les quatre autres années, beaucoup inférieure et celle-ci est tout à fait anormale.

Mais les deuxièmes ont donné une augmentation de 298,017 voyageurs et les troisièmes une augmentation de 535,160 ; ensemble, 833,177. L'augmentation totale sur les trois classes a été de 998,625 personnes.

Par conséquent, sur les deuxièmes et troisièmes réunies, 83 1/2 p. c. d'augmentation et sur les premières, 16 1/2 p. c.

[Non repris dans la présente version numérisée : le résumé, en un tableau des voyageurs en plus en 1867 sur 1866]

(page 326) En 1868, nous avons les augmentations suivantes sur 18g7 î

Premières, express et ordinaires réunies, 28,883 voyageurs de moins que l'année précédente.

La température a été très défavorable aux touristes, les voyageurs riches sont restés chez eux.

Par contre, les personnes qui doivent voyager pour vivre ont donné un accroissement assez considérable et à elles seules le total de l'augmentation de 1868.

Les secondes des deux espèces ont donné une augmentation de 23,559 voyageurs.

Les troisièmes, 184,793 ; ensemble pour les deuxièmes et troisièmes, 208,354.

En 1868, ce sont les secondes et les troisièmes classes qui ont donné l'activité de l'augmentation. Pour les premières classes, il y a une diminution de voyageurs de 28,885.

[Non repris dans la présente version numérisée : le résumé, en un tableau des voyageurs en plus en 1868 sur 1867]

En 1869, nous trouvons que les premières classes des deux espèces ont donné 34,246 voyageurs de plus qu'en 1868, soit 5 30/100 de l'augmentation totale montant à 645,928.

Les secondes ont donné 79,510 voyageurs et les troisièmes 532,572 voyageurs de plus ; ensemble, 611,682 voyageurs.de plus ; soit 94 70/100 p. c.

[Non repris dans la présente version numérisée : le résumé, en un tableau des voyageurs en plus en 1869 sur 1868]

En 1870, année de guerre, de préoccupations et d'inquiétudes, pour les gens riches surtout, nous trouvons que, dans les express, il y a sur l'année précédente une diminution de 17,350 voyageurs dans la première classe ; mais, dans les premières ordinaires, il y a une augmentation de 21,089 voyageurs, de sorte qu'en résumé la première classe a donné un chiffre minime d'augmentation de 3,759 voyageurs.

En 1870, les secondes ont donné 6,711 voyageurs de plus, et les troisièmes 202,732 voyageurs de plus. Les secondes et les troisièmes réunies ont donné 99.99 p. c. d'augmentation et les premières 1/100 p. c. sur un total de 213,182.

[Non repris dans la présente version numérisée : le résumé, en un tableau des voyageurs en plus en 1870 sur 1869]

Voici, messieurs, en résumé l'augmentation par pour cent du nombre des voyageurs par année pour les premières, express et ordinaires : en 1866, augmentation de 1 20/100 p. c., en 1867 16 50/100 p. c., en 1868 diminution de 28,885 voyageurs, en 1869 5 30/100 p. c. et en 1870, 0 1/100 p. c.

tandis que les secondes et les troisièmes donnaient :

En 1866 une augmentation de 98.80 p. c., en 1867, 85.50 p. c, en 1868, toute l'augmentation, en 1869, 94.70 p. c. et en 1870, 99.99 p. c. d'augmentation.

Ces chiffres sont accablants d'éloquence, et je ne sais comment M. Malou pourrait encore prétendre que ce sont les premières classes qui ont profité de l'abaissement des tarifs, puisqu'elles n'ont pas voyagé ; je viens de le démontrer d'après les résultats constatés par le gouvernement lui-même. On ne soutiendra donc plus aujourd'hui que la réforme de M. Vanderstichelen n'était pas une réforme éminemment démocratique et l'honorable M. Malou ne pourra me réfuter.

Malgré ces beaux résultats, M. Wasseige a voulu relever les tarifs et je ne lui fais pas le même compliment que M. Balisaux. Pour moi, cet acte est suffisant pour permettre de juger son administration, et je crois pouvoir dire qu'elle a été très mal accueillie par la grande majorité du pays. (Interruption.)

Mais qu'aura obtenu M. Wasseige en faisant payer deux et trois fois plus cher les parcours au delà de 35 kilomètres ? II aura tué les relations de province à province et au long cours. Quant à sa réduction sur les petits parcours, elle ne fera pas augmenter de 2 p. c. le nombre des voyageurs.

Il y a, de plus, quelque chose d'anormal dans les tarifs de M. Wasseige : c'est que plusieurs localités payent plus pour de petits parcours qu'elles ne payaient autrefois. Je citerai Chaudfontaine et surtout Dolhain ; pour aller de Dolhain à Verviers, on paye aujourd'hui en troisième 5 centimes et en première et en deuxième, 10 centimes de plus que l'on ne payait sous l'ancien tarif pour un parcours de 7 à 8 minutes. Or, les relations entre Dolhain et Verviers sont excessivement développées, toutes les affaires de Dolhain et environs se font avec Verviers.

Pour des bourses bien garnies, 5 ou 10 centimes de plus ne font rien ; mais beaucoup d'ouvriers, beaucoup de personnes peu aisées, faisant à tout moment des voyages, regardent à des sommes même minimes, surtout quand ces déboursés se renouvellent souvent, et j'aurais voulu que vous eussiez entendu les récriminations de ces voyageurs qui ne lisent pas les journaux et qui ne s'attendaient pas à votre réforme, en arrivant aux guichets des gares au mois de novembre dernier lors de l'application du nouveau tarif. Bien des anathèmes ont été lancés lorsqu'il fallait renoncer à un voyage faute de la somme suffisante pour en payer les frais. Je vous assure qu'ils n'adressaient pas de compliments à l'honorable M. Wasseige. Les billets d'aller et retour ne constituent, les trois quarts du temps, qu'un leurre et une perte d'argent, ils ne sont qu'une mauvaise parodie de réforme. (Interruption.)

M. Bouvier. - Laisser parler.

M. David. - Je vais le démontrer.

Vous allez le comprendre.

Les billets d'aller et retour ne sont valables en Belgique que pendant une journée, c'est-à-dire du matin au soir, de minuit à minuit. Passé minuit, un coupon n'est plus valable..

Que voyez-vous dans les pays étrangers ?

Les billets peuvent être utilisés pendant 24 heures ; en d'autres termes, si vous les prenez à 10 heures du soir, ils sont bons jusqu'au lendemain, à la même heure, et selon les distances il y en a de 1, 2, 3, 4 et 5 jours et il suffit même que vous ayez pris le train de retour quelques minutes avant l'expiration des 24 heures pour voyager encore, même pendant 10 heures, sans être inquiété ; mais le voyageur doit faire timbrer son billet au départ.

(page 327) Bien des personnes ont été trompées en Belgique avec votre système de billets aller et retour. J'en ai vu qui, se rendant de Verviers à Liège, ont perdu leur coupon de retour par la raison qu'elles n'avaient pu se remettre en route que passé minuit.

Elles avaient pris leurs coupons à 6 heures du soir à Verviers pour assister à une représentation théâtrale à Liège ; elle dura trop tard et l'heure réglementaire pour le retour étant passée, elles avaient dû, comme je viens de le dire, prendre un nouveau billet, au train de 1 heure du matin. On doit faire bien des voyages pour rattraper la somme perdue sur un billet d'aller et retour dont on perdra le petit bénéfice de 20 p. c.

Oui, messieurs, cette réforme n'en est pas une, ce n'est qu'une parodie de réforme. Elle entrave les relations au delà de 35 kilomètres et ne favorise pas les petits parcours. De plus, elle nuira au trésor public ; elle n'aura quelque utilité que pour des sociétés concessionnaires dont les lignes sont parallèles à celles de l'Etat et qui attireront ainsi un certain nombre de voyageurs qui, ayant le choix, prenaient jadis le railway de l'Etat.

Voilà, messieurs, le fin mot de cette prétendue réforme. Mais, messieurs, si l'honorable M. Wasseige a voulu, par sa réforme, augmenter les recettes du trésor, et s'il y réussit, il aura, en réalité, transformé l'Etat en grand usurier officiel. (Interruption.) Comment, messieurs, en 1869, avec les tarifs réduits, le chemin de fer rapportait, toutes dépenses déduites, un produit net de 5,93 p. c. des sommes y dépensées !!! L'honorable M. Malou nous dit aujourd'hui que, pour 1871, la recette brute sera de 20 millions, et ainsi bien supérieure à celle de 1869 ; nous aurons donc un produit net de beaucoup supérieur à 5.93 p. c ; et vous prétendez après cela que le bénéfice du chemin de fer n'est pas usuraire.

Vous vous servez d'un instrument qui appartient à tout le pays, dont tout le pays a le droit d'user au plus bas prix ; et vous voulez lui faire rapporter 10 à 12 p. c. de bénéfice ! Je le répète, messieurs, c'est véritablement de l'usure.

Du reste, ce sont les bas tarifs, - on l'a démontré et expérimenté depuis longtemps et partout, - ce sont les bas tarifs qui produisent les fortes recettes.

La Chambre est impatiente d'en finir. Je le regrette, car j'aurais voulu dire un mot de la réponse que l'honorable M. Wasseige a faite, dans une autre séance, à mon interpellation au sujet de l'interdiction qui frappait les expéditions de nos filatures de Verviers vers Anvers. J'ai ici sous la main un dossier que m'a communiqué l'administration communale de Verviers ; il s'y trouve, entre autres, un document qui montre en quoi ont consisté les remerciements de l'administration communale de Verviers, dont s'est prévalu l'honorable M. Wasseige. (Interruption.)

M. De Lehaye. - L'impression au Moniteur.

- Voix à gauche. - Non ! non ! parlez !

M. David. - Je résumerai ces documents ; mais vous me permettrez de vous lire en entier le prétendu compliment dont a parlé l'honorable M. Wasseige.

Déjà au commencement et dans le courant du mois d'octobre de l'année dernière, le directeur de l'établissement du gaz à Verviers, craignant de manquer de charbon dans les mois d'hiver, avait fait toutes les démarches dans le Hainaut, à Liège et ailleurs, pour avoir du charbon.

Il avait loué des waggons à l'Etat qui jamais n'ont fait de service ; il avait commandé le double du charbon nécessaire, etc., etc.

Malgré toutes ses démarches, il s'est trouvé que, le 26 octobre déjà, il n'y avait plus de charbon sur le carreau de l'usine. Sans MM. Simonis et Peltzer, qui ont bien voulu prêter une portion de leurs approvisionnements, Verviers, Ensival et tous les environs, les gares, les fabriques auraient été dans les ténèbres pendant la nuit du 26 au 27 octobre.

Le directeur de l'usine fit son rapport, le 31 octobre, au collège échevinal, qui écrivit le 2 novembre à M. le ministre des travaux publics une lettre pour demander que certaines voitures fussent exclusivement consacrées au transport des charbons destinés à l'usine à gaz de Verviers. Pas de réponse.

Le 11 novembre, le collège échevinal revient à la charge. Pas de réponse. Le 24 novembre, nouvelle lettre. Pas de réponse.

Pendant ce temps, le directeur envoyait télégramme sur télégramme, même à M. le ministre, prière sur prière, pour obtenir du charbon, en prétendant que l'entreprise du gaz est un service public. Pas de réponse.

Le 21 novembre, le collège des bourgmestre et échevins m'adressa une lettre pour me demander d'interpeller l'honorable M. Wasseige. Mais nous étions en pleine crise ministérielle et je ne fis pas mon interpellation.

Le 27 novembre, le collège m'écrivit : Ne faites pas l'interpellation ; le ministre vient de satisfaire à la demande lui adressée, Après ce déchaînement de mauvaise humeur de la part de l'administration communale de Verviers, j'étais curieux de savoir en quoi avaient pu consister les compliments de l'administration communale à l'honorable M. Wasseige sur ce fait spécial.

Je lui demandai une copie de la lettre écrite à M. le ministre et devant contenir le compliment.

Voici la phrase contenant ce compliment, qui me paraît bien banal. La lettre est du 5 décembre 1871 :

« Nous vous remercions, M. le ministre, d'avoir bien voulu donner des ordres qui ont déjà produit tout le résultat désirable s'il faut en croire les rapports de la direction de l'usine. »

Une lettre du bourgmestre accompagnait cet envoi, disant :

« Cette lettre ne contient que de simples remerciements pour une faveur accordée à un établissement que nous considérons d'utilité publique. »

Les félicitations de la chambre de commerce de Verviers sont tout aussi pâles.

Messieurs, je pourrais également dire à M. Moncheur que le directeur de la société de navigation à vapeur, la Cor Steam Ship Company, avec laquelle le gouvernement a des engagements, a cherché à se tirer d'affaire par une excuse en invoquant la force majeure. Effectivement, la société que ce monsieur représente à Anvers a perdu deux navires, le Widgeon et l'Inda, mais ils ont été remplacés immédiatement et les expéditions qui doivent être hebdomadaires et partir tous les samedis d'Anvers n'ont pas subi une demi-heure de retard.

C'est ainsi qu'il y a eu un départ le 29 octobre, un départ le 10 novembre, un départ le 15 novembre, un départ le 19 novembre et enfin un départ le 24 novembre. C'est précisément peu après cette époque où l'on interdisait l'arrivée des filatures de Verviers à Anvers, mais M. le directeur avait, paraît-il, plus d'avantages à transporter d'autres marchandises produisant un fret plus élevé. Voilà la seule raison, selon moi, de l'interdiction exceptionnelle pour Verviers d'expédier à Anvers. J'aurai à revenir sur cette question sous peu.

Je passe maintenant à l'objet principal : le projet de loi qui nous occupe en ce moment. Je ne m'étendrai pas très longuement sur ce projet. Plusieurs orateurs avant moi ont traité la question avec tant de talent, que je puis me borner à quelques observations. Mes observations, messieurs, porteront sur trois objets seulement, dont deux pourraient être améliorés immédiatement, de manière à remettre en circulation une masse considérable de waggons qui sont aujourd'hui enchevêtrés, acculés et immobiles dans les stations et dont on croit plusieurs perdus, etc.

Je veux parler du manque d'ouvriers dans les stations, du manque d'engins et, comme troisième objet, du manque d'espace pour les voies charretières entre les voies de garage.

Le manque d'ouvriers ne date pas d'aujourd'hui ; on a cherché à faire des économies sur cette partie du service, et c'est la plus mauvaise, la plus malheureuse économie qu'une administration pût faire. Faute d'ouvriers, vous n'arrivez pas à charger et à décharger vos waggons ; ils restent inertes dans vos stations. Faute d'être déchargés, vous avez des masses de waggons, vides et chargés, immobilisés, et chaque train arrivant vient aggraver l'embargo des stations.

Il faut qu'immédiatement l'honorable ministre des travaux publics pourvoie les différentes stations du pays d'un plus grand nombre d'ouvriers. Au taux des salaires actuels, il est probable que l'honorable ministre des travaux publics aurait de la peine à en augmenter le nombre, dans une certaine mesure.

Ils sont véritablement trop peu payés pour qu'ils ne préfèrent pas tout autre travail à celui des stations.

C'est ainsi que, d'un bout à l'autre du pays, les chefs chargeurs reçoivent 3 francs et les ouvriers chargeurs 2 fr. 40 c. par jour. Je pourrais proposer une augmentation de salaire ; mais je trouve qu'il y a un moyen bien plus efficace d'améliorer leur position, tout en amenant une plus grande activité dans les stations.

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics de faire étudier cette question : savoir s'il ne serait pas convenable de donner 5, 6, 7, 8, 9, 10 centimes par chaque waggon qui serait chargé ou déchargé dans les stations, somme dont le total serait distribué entre les ouvriers qui auraient contribué à ce travail. Cette mesure donnerait, je pense, de l'énergie aux ouvriers déjà occupés dans les stations et en attirerait d'autres vers ce travail.

Aujourd'hui on les surmène. Je vois la station de Dolhain de chez moi et ces pauvres ouvriers travaillent souvent jusqu'à minuit, une heure du matin sans pouvoir terminer leur besogne.

(page 328) Voilà ce que j'avais à dire quant aux ouvriers. Je recommande d'une manière toute spéciale cette question à M. le ministre des travaux publics. Vous pouvez, au moyen de quelques ouvriers de plus, dégager presque immédiatement vos stations, rendre à la circulation un nombre considérable de waggons à la grande jubilation du commerce et de l'industrie, et c'est la meilleure spéculation que vous pouvez faire.

Deux ouvriers peuvent décharger en moyenne 3 ou 4 waggons. La location d'un waggon est de 5 francs, ensemble 15 francs par jour ; or, vos deux ouvriers ne coûteraient que 4 fr. 80 c. et vous gagneriez ainsi, par la remise en circulation des 3 waggons, 11 fr. 20 c. par jour.

Il n'y a pas d'industriel qui ne fît l'opération que j'indique et j'engage vivement M. le ministre des travaux publics à y penser très sérieusement.

Quant au manque d'engins, j'en juge par ce qui se passe à Verviers.

A Verviers, il y a des grues, des cabestans, mais comment sont placées ces grues ? Elles sont placées de telle façon qu'il est à peu près impossible d'y faire arriver les waggons et cependant généralement les marchandises à décharger à Verviers sont extrêmement pesantes. Eh bien, on est obligé de les décharger à la main et il est nécessaire d'employer à ce travail trois ou quatre fois plus d'ouvriers en risquant de les blesser et de briser les camions.

Il faudrait donc que les engins dans les stations fussent disposés autrement qu'ils ne le sont.

M. le ministre des travaux publics devrait faire examiner ce qui se passe sur la ligne du Nord. Là, il y a des grues mobiles qui sont traînées par un cheval près des waggons à décharger ; elles voyagent d'un bout de la station à l'autre, de cette manière on arrive sans difficulté près des waggons à décharger, quelle que soit la position où ils se trouvent sur les voies de garage.

C'est tellement vrai, que nous avons des industriels de nos environs, de Thimister, Chaineux, etc., qui sont venus jusqu'à trois et quatre jours de suite avec leurs charrettes et leurs ouvriers pour enlever les marchandises qu'ils avaient dans la station, sans pouvoir parvenir à les enlever.

Un jour on leur disait : On est allé garer votre waggon à Herbesthal ; un autre jour, c'était à Ensival, et ils étaient obligés de revenir le lendemain de ce jour, car le waggon se trouvait dans un coin inabordable de la station. Ils avaient fait les frais de charrois, d'envoi d'ouvriers ; ils ne pouvaient pas obtenir leurs marchandises. Quels retards, quelles pertes d'argent !

Il est encore quelque chose de très nuisible qui se passe dans les station pour l'enlèvement des marchandises. Quand les ouvriers d'une station déchargent des marchandises, il faut payer 10 centimes par 1,000 kilogrammes.

Or, quand les industriels font faire ce déchargement par leurs propres ouvriers, payés déjà à la journée par eux, ils doivent encore payer ces 10 centimes, comme si le déchargement avait été fait par les ouvriers de la station. Je considère cela comme un véritable abus. Quoi ! l'industriel, soumis à toute espèce de désagréments et de pertes, pour avoir ses marchandises, est encore obligé de payer une amende de 10 centimes par 1,000 kilogrammes, si le nombre des ouvriers de la station n'est pas assez considérable et si, dans ce cas, il a recours à ses propres ouvriers.

En huit jours, un nombre suffisant d'ouvriers pourrait être engagé par l'administration des chemins de fer et en trois semaines ou un mois, les engins nécessaires à un chargement et déchargement rapide pourraient être installés dans chaque station.

J'arrive maintenant à l'objet le plus intéressant dont j'avais à vous entretenir, messieurs ; je veux parler de mon amendement, déposé tantôt sur le bureau et dont M. le président vous a donné lecture.

Il est évident que, dans toutes les stations du pays, l'espace réservé aux gares à marchandises n'est pas suffisant.

Quand on a construit le chemin de fer, on ne devait pas s'attendre à ce que le trafic prît une telle extension ; on n'a pas prévu qu'il faudrait autant d'espace pour établir les stations.

Depuis lors, les ministres libéraux qui se sont succédé ont agrandi les stations, ont demandé des allocations importantes aux Chambres et les ont obtenues ; ils ont fait ce qu'il était humainement possible de faire pour améliorer les stations, et sous leur administration il ne s'est pas produit de crise de transport pareille à celle qui accable le pays depuis bientôt deux ans.

Dans le projet de loi, on ne demande pour améliorer les stations que 5 à 6 millions ; eh bien, avec cette maigre somme, nous ne pouvons obtenir aucun résultat. Ce sera tout bonnement de quoi appliquer un emplâtre sur une jambe de bois.

SJ nous voulons arriver à un résultat sérieux, il faut que nous améliorions simultanément toutes les stations importantes du pays. Si vous vous bornez à améliorer par-ci par-là une station, les autres stations resteront encombrées, les manœuvres y seront impossibles, les waggons vides et pleins s'y accumuleront les uns contre les autres ; vous aurez beau augmenter le matériel, vous n'obtiendrez aucun résultat. Je crois pouvoir affirmer que si les waggons n'étaient pas immobilisés d'une manière aussi exorbitante, notre matériel suffirait pour satisfaire à tout le trafic.

Personne n'oserait nier que les waggons restent perdus dans les stations. Dernièrement, quelqu'un que je connais personnellement fait expédier un waggon de charbon d'Ans à Astene, il y a d'Ans à Astene une distance d'environ 6 1/2 à 7 lieues. Or, je vous laisse à deviner combien il a fallu de temps à ce waggon pour parcourir ces 7 lieues. Il est parti le 3 novembre et il est arrivé le 22. Où a-t-il été pendant ce temps ? Il a été partout, il été oublié sur toutes les gares d'évitement et il a certainement empêché la manœuvre d'une foule d'autres waggons.

Je cite ce fait parce que je le connais personnellement, mais combien de milliers d'autres faits semblables ne se sont pas produits et ne se produisent pas tous les jours ! Si ce waggon eût été loué à 5 francs par jour, il aurait rapporté 95 francs pour la seule location.

Autre observation.

Dans les stations, les voies charretières sont tellement exiguës qu'aucune charrette ne peut tourner et ne peut passer à côté d'une autre voiture entre les waggons et que sur une partie de ces voies on est obligé de faire arriver à reculons les charrettes en place auprès des waggons à décharger ; les dernières arrivées non encore chargées empêchent ainsi celles déjà chargées de partir et les bloquent sur une longue file, qui ne peut bouger qu'après le chargement et le départ des dernières venues. C'est intolérable !

A côté de cela, les voies charretières sont macadamisées ; quand on les recharge de pierraille elles sont impraticables et quand elles sont usées, elles deviennent aussi impraticables, même pour les ouvriers, à cause de la boue en temps de pluie ; elles devraient être pavées.

Dans un pareil état de choses, la manœuvre dans les stations devient impossible, d'autant plus que nos gares à marchandises sont contiguës aux gares à voyageurs.

On a, du reste, déjà fait cette observation. A l'approche du moment de l'arrivée d'un train de voyageurs, il faut que toutes les manœuvres des convois de marchandises s'arrêtent. Il en résulte des pertes de temps de 10, 15 ou 20 minutes et quand les convois de voyageurs sont en retard, il faut parfois trois quarts d'heure, une heure entière et même plus avant que les manœuvres puissent recommencer.

Si nous n'apportons pas des améliorations générales dans toutes nos gares de marchandises, nous allons perpétuer la crise. Pendant dix, douze années le commerce et l'industrie continueront à se plaindre ; certaines industries devront même momentanément chômer.

M. Bouvier. - C'est ce qui existe déjà.

M. David. - Ce que nous voulons faire moyennant cinq ou six millions n'est qu'un palliatif ; il faut avoir le courage de mettre en une fois et simultanément toutes nos stations en bon état de viabilité ; il faut les disposer de telle manière que nos waggons à marchandises ne restent pas inactifs pendant 13 jours, 3 semaines, un mois même, au grand détriment du trésor public, de l'industrie et du commerce. J'ai donc à cet effet proposé d'autoriser le gouvernement à. faire un emprunt de trente à quarante millions. Je ne pourrais apprécier la somme qui sera nécessaire pour ce grand travail ; c'est au gouvernement à faire les études nécessaires avant de faire procéder à l'émission de l'emprunt et à l'exécution des améliorations reconnues indispensables et urgentes. Avec les quelques millions qui vont vous être alloués, vous ne ferez rien de sérieux ; vos stations resteront encombrées et la circulation demeurera en souffrance sur tout le réseau, par suite de l'encombrement de nombreuses stations à marchandises qui n'auront pu être améliorées.

Je crois avoir appuyé mon amendement par tous les arguments qui plaident en faveur d'une amélioration générale. Quant à l'enquête, je ne viendrai pas vous apporter de nouvelles raisons pour vous démontrer combien elle est indispensable.

Je m'en rapporte en ce point à ce que mes honorables collègues ont dit jusqu'à présent et je l'appuie de toutes mes forces ; elle n'a rien de commun avec la commission consultative instituée, en 1852, auprès du ministère des travaux publics.

Je voterai donc le crédit de seize millions qui nous est demandé, car l'amendement que j'ai proposé tend à ajouter 30 à 40 millions à la somme qui est aujourd'hui sollicitée.

- L'amendement est appuyé ; il fait partie de la discussion.

(page 318) M. Descamps. - Messieurs, l'honorable M. Malou, en exposant, dans la première partie si remarquable du discours qu'il a prononcé la semaine dernière, les erreurs et les abus qui faussent le régime administratif des chemins de fer, a touché du doigt, avec beaucoup de vérité, la plupart des plaies de cette vaste institution. L'organe du gouvernement a proclamé en même temps l'urgence de doter le railway national d'une organisation sérieuse, raisonnée, et d'arriver enfin à l'application d'un système qui, selon son expression, pût à la fois maintenir la responsabilité de l'action et détruire toutes les causes d'inertie.

Les bases de l'institution sont bonnes, prétend M. le ministre des finances, mais on doit s'attacher à perfectionner l'instrument, de manière à lui faire rendre, tant au point de vue industriel qu'à celui de l'intérêt du public, tous les services que le commerce et l'industrie ont le droit d'en attendre.

Or, vous avez pu le remarquer, messieurs, dans le rapport sur l'enquête que j'ai eu l'honneur de vous soumettre au nom de la commission permanente d'industrie, j'ai évité de prononcer le mot de « désorganisation », de l'appliquer même, ce qui eût paru peut-être très légitime, aux embarras sans nombre qui se sont manifestés, d'une manière si déplorable, depuis un an surtout, dans l'exploitation de nos chemins de fer.

C'est que votre commission d'industrie a pensé que si les perturbations apportées naguère dans certaines branches de l'administration ont dû influer d'une manière sans doute fort sensible sur la marche des services, l'entreprise en général n'avait jamais reçu une organisation bien judicieuse, bien rationnelle.

Il est donc temps que l'Etat se préoccupe de cet état de choses et qu'il songe à faire réviser tous les rouages de cette institution considérable déjà, mais qui est appelée à prendre dans l'avenir des proportions colossales eu égard à l'importance de notre pays.

En ouvrant ces débats, messieurs, l'honorable ministre des travaux publics disait avec raison : Le chemin de fer est un vaste établissement industriel qui doit être traité industriellement. Je partage complètement l'opinion exprimée par l'honorable M. Moncheur et l'axiome qu'il a posé est le résumé d'une thèse que je n'ai cessé de soutenir, pour ma part, depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette Chambre.

Oui, le chemin de fer est un vaste établissement industriel, mais à l’encontre de ce qui se passe dans toutes les industries, il a pour chef suprême un fonctionnaire dont la position, essentiellement amovible, est soumise à toutes sortes de fluctuations, à toutes sortes de caprices- si je puis le dire - ceux de la politique. Pour comble d'anomalie, cette grande entreprise (page 319) industrielle, privée à certains intervalles de son chef, au moment presque toujours où la connaissance des intérêts qu'il dirige commence a lui devenir familière, cette entreprise industrielle, dis-je, est dépourvue de conseil d'administration.

Appelleriez vous, en effet, messieurs, conseil d'administration, dans tout autre établissement industriel, un comité composé des fonctionnaires mêmes, de la compagnie, un comité chargé de se contrôler lui-même, naturellement enclin à trouver que tout est pour le mieux dans la meilleure des administrations possibles ? Je sais bien qu'on a dit un jour dans cette Chambre que les véritables actionnaires du chemin de fer étant les contribuables, nous membres de la législature, nous formions le conseil d'administration de cette grande institution.

Or, je ne sache pas, messieurs, qu'on puisse administrer une entreprise quelconque dans les conditions où nous place le mode d'organisation des chemins de fer, de même que la loi de comptabilité qui les régit. Je n'entreprendrai point, après l'honorable ministre des finances, de vous signaler les défauts de cette organisation, les vices de cette comptabilité qui nous soustraient littéralement tous les renseignements indispensables, qui nous enlèvent tout moyen d'apercevoir les côtés faibles de l'administration et la possibilité de remédier aux abus qui se produisent.

L'honorable M. Malou, en nous démontrant avec tout le talent qui le distingue, ces vices de la comptabilité, l'impossibilité absolue pour les Chambres, d'exercer le contrôle qui leur est dévolu, l'urgence tant de fois réclamée de substituer le système des inventaires et des bilans au système des budgets, l'honorable M. Malou, dis-je, a encore signalé la nécessité de modifier, comme je l'ai si souvent demandé moi-même, les comptes rendus annuels, de condenser les renseignements qu'ils contiennent, de présenter ces renseignements à leur heure et sous une forme succincte, telle que les compagnies bien organisées les livrent à leurs actionnaires.

L'honorable ministre des finances n'a point négligé de faire valoir ensuite l'impuissance dans laquelle se trouve le département des travaux publics de rémunérer suffisamment ses fonctionnaires ; d'après lui, l'absence de rémunération convenable sera toujours nuisible aux résultats financiers des chemins de fer de l'Etat. Je partage encore l'avis de l'honorable ministre sur ce point, et j'ajoute que si des bilans exacts et sérieux étaient dressés, la rémunération juste et équitable des fonctionnaires deviendrait chose facile ; on pourrait, en effet, comme dans l'industrie privée, stimuler leur zèle en les faisant participer, dans une proportion déterminée, aux résultats financiers que leurs efforts et leur dévouement auraient concouru à faire produire.

J'arrive maintenant, messieurs, à la question de l'enquête.

M. le ministre des finances nous disait, en abordant lui-même ce sujet : « J'avoue que j'hésitais à parler de la question d'enquête ; la commission d'industrie ne la propose pas ; personne dans cette Chambre, jusqu'à présent, ne l'a demandée. »

La commission d'industrie ne la propose pas ! Mais, monsieur le ministre, tout le rapport de la commission d'industrie n'est qu'un plaidoyer en faveur de l'enquête ; il s'attache à en justifier l'opportunité, à rappeler les raisons qui l'ont fait accueillir avec tant de faveur en Autriche, en Allemagne et en France ; il affirme que l'enquête est devenue urgente, indispensable, qu'elle s'impose à nous comme elle s'est imposée à nos voisins ; il termine enfin en disant que la commission d'industrie appuie les conclusions des requêtes qui ont été adressées à la Chambre.

Or, messieurs, vous savez quelles sont les conclusions des requêtes appuyées par la commission d'industrie ; les voici :

« L'état de souffrance dans lequel le commerce et l'industrie sont placés demande d'urgence un examen attentif de la situation, et pour que l'enquête que nous sollicitons soit complète et péremptoire, nous vous demandons de décider que la commission soit composée de membres de la Chambre et de représentants du commerce et de l'industrie.

« De plus, afin que cette commission puisse s'entourer très sûrement de tous les renseignements nécessaires, pour que ses conclusions soient incontestables, nous désirons que l'enquête soit publique. »

Si les conclusions de la commission d'industrie elle-même n'ont point été plus précises, plus absolues, si cette commission a demandé le dépôt des pétitions sur le bureau pendant la discussion du projet de loi auquel on les a rattachées, c'est que, unanime sur le principe de l'opportunité, de l'urgence de l'enquête, elle ne l'était point sur les détails mêmes de la mesure à prendre, et elle a voulu laisser à la Chambre le soin de régler de quelle espèce serait l'enquête et quel serait le programme à lui tracer définitivement.

Pour ma part, je suis partisan, et je vous en dirai tout à l'heure les raisons, d'une enquête non simplement composée de membres de la Chambre, mais mixte et publique, nommée par le gouvernement.

Le but de l'enquête instituée en France et en Allemagne a été de rechercher les causes du désarroi survenu dans l'exploitation des chemins de fer, de trouver les moyens d'y remédier et d'éviter le retour de perturbations semblables. En Belgique, d'après la commission d'industrie, les investigations devraient s'étendre à toutes les questions relatives au régime général et à l'organisation définitive des chemins de fer. L'honorable M. Malou a reconnu qu'il était nécessaire de soumettre ces questions aux études d'hommes spéciaux ; une grande partie de son discours a pour but de démontrer cette nécessité ; seulement, l'honorable ministre voudrait que deux commissions spéciales, nommées par le gouvernement et composées d'éléments différents, préparassent des projets de lois sur les questions relatives à la comptabilité et à la législation civile et commerciale du chemin de fer.

Soit, nous ne nous opposerons pas à ce que ces deux commissions fonctionnent chacune de son côté, quoique, de même que l'honorable M. Pirmez, nous soyons peu partisan de ces commissions multiples et que nous ayons la conviction qu'une commission d'enquête unique et bien choisie eût résolu complètement les questions soulevées.

Mais, pour ce qui regarde les faits qui se sont passés dans l'administration depuis un an et les moyens d'en éviter le retour, je maintiens qu'il est indispensable que l'examen en soit fait par une commission d'enquête composée de membres de la législature et de spécialités choisies dans le commerce, l'industrie et les administrations de chemins de fer. L'enquête à laquelle coopéreront des chefs d'industrie éclairés et indépendants est la seule qui se fera impartialement et qui donnera, par conséquent, pleine confiance et entière satisfaction au commerce et à l'industrie ; c'est la seule encore qui pourra se soustraire aux légitimes récriminations des victimes de la crise.

L'honorable ministre des travaux publics, d'accord avec son collègue des finances, est d'avis que la commission d'enquête arrêtera l'action du gouvernement. Nous avons déjà combattu cet argument ; le gouvernement, si la commission d'enquête est instituée, devra continuer à user de son initiative, son devoir sera de devancer les conclusions de la commission d'enquête et de répondre ainsi aux vœux unanimes si énergiquement exprimés par toutes les chambres de commerce, par toutes les associations des groupes importants d'industrie du pays.

Et pourquoi le gouvernement reculerait-il devant l'enquête ? Aurait-il peur qu'un trop grand jour se fît sur les faits qui se sont passés ? L'enquête, avons-nous dit, n'a aucunement pour but d'incriminer ces faits. Quand nous voyons tous les pays voisins décréter l'enquête avec tant d'empressement, serions-nous les seuls qui pussions nous croire assez éclairés pour décliner toute investigation ?

Mais non, le langage de l'honorable ministre des finances nous le dit clairement : l'enquête se fera, mais elle se fera par l'administration elle-même. « L'enquête, dit M. Malou, peut-elle porter sur ce qu'il faut à l'exploitation, sur la quantité de matériel, sur la quantité de voies de garage, sur les améliorations à faire aux stations ?

« Mais pourquoi nommeriez-vous exclusivement des membres de la Chambre et des industriels ? Il y a là des questions techniques, des choses que les exploitants de chemins de fer peuvent seuls bien déterminer ; il y a plus, c'est l’administration elle-même qui doit déterminer et juger cela. »

Il y aura donc une enquête faite par l'administration seule ; or, vous savez, messieurs, de quel crédit jouissent auprès des industriels les enquêtes faites par l'administration, juge dans sa propre cause. Vous vous rappelez la fameuse enquête du 4 octobre dernier à Charleroi ! Voici en quels termes l'Association charbonnière de Charleroi l'appréciait dans une lettre qu'elle adressait, le 21 octobre, à l'honorable ministre des travaux publics. Notez bien, messieurs, que cette lettre est signée par le président de l'Association charbonnière, homme très modéré et dont le ministère actuel ne récusera pas les opinions.

M. Wasseige. - Ce n'était pas une enquête. Je me suis borné à envoyer quelques fonctionnaires chargés d'entendre les plaintes des industriels.

M. Descamps. - C'était une commission d'enquête composée de cinq fonctionnaires du chemin de fer de l'Etat et de deux délégués de la Compagnie du Nord.

On a appelé devant cette commission certains directeurs de charbonnages. Seulement la convocation a été faite avec tant de soin que la plupart des intéressés ne l'ont reçue que pendant l'enquête et que l'un d'eux s'est même rendu à Binche, dans la pensée que c'était là que se tenait l'enquête.

M. Wasseige. - Cela n'a jamais eu le caractère d'une enquête.

(page 320) M. Descamps. - Voici, dans tous les cas, comment l'association charbonnière constate ce qui s'est passé. Je me bornerai lire un passage de sa protestation à M. le ministre des travaux publies :

« Une enquête faite dans de telles conditions, M. le ministre, n'a aucune valeur ; elle n'en a aucune aux yeux de notre Association, elle n'en aura pas davantage aux yeux du pays. Nous nous inscrivons en faux contre ce que vous appelez ses résultats, car il est évident que, préparée comme elle l'a été, elle n'a pu faire apprécier réellement les besoins des bassins houillers ; il semble plutôt, d'après le procès-verbal et les termes de votre lettre, que l'enquête du 4 octobre avait pour but, non de faire connaître à fond les plaintes et les réclamations de l'industrie charbonnière sur l'insuffisance et la répartition du matériel-Nord, non de savoir quelle était leur gravité, leur justesse et leur étendue, mais uniquement de glorifier l'administration du chemin de fer de l'Etat et la compagnie du Nord ; peut-être aussi d'obtenir par ce procédé un document pouvant être utilisé comme pièce justificative ou moyen de défense vis-à-vis des Chambres qui vont bientôt se réunir.

« Nous pouvons ajouter, M. le ministre, pour votre édification sur la valeur de cette enquête, que les quelques membres de notre Association qui y ont paru ont déclaré, en notre assemblée d'aujourd'hui, qu'elle n'a pas, tant s'en faut, eu à leurs yeux les résultats que vous indiquez dans votre lettre, qu'ils n'acceptent pas comme fondées les conclusions que vous en déduisez, et que le procès-verbal dont vous nous avez remis copie a été rédigé après leur départ, et qu'ils n'en ont eu connaissance que par la communication que nous leur en avons faite. »

Voilà, messieurs, comment l'Association charbonnière de Charleroi à apprécié l'enquête du 4 octobre.

L'honorable ministre des finances a caractérisé certain côté de la mission qui pourrait être dévolue à une commission d'enquête, composée telle que la demandent les pétitionnaires, en disant que ce serait une plaisanterie législative. Je définirai, à mon tour, la fameuse enquête du 4 octobre, et je dirai, avec beaucoup plus de raison certainement, que c'était une coupable plaisanterie administrative.

J'ajouterai que toute enquête sur les faits passés, qui ne réunirait pas, dans sa composition, les éléments d'impartialité que nous avons indiqués, serait certainement, et à bon droit, qualifiée d'une manière tout aussi sévère. J'insiste donc, en terminant, pour que l'enquête soit adoptée, et qu'elle soit mixte et publique.

Projet de loi modifiant facultativement l’accise sur la bière

Dépôt

M. Malou, ministre des finances. - J'ai l'honneur de présenter à la Chambre un projet de loi qui a pour objet une modification facultative de l'accise sur la bière.

- Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de ce projet de loi, qui sera imprimé et distribué et renvoyé à l'examen des sections.

- La séance est levée à 5 heures.