Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 23 janvier 1872

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 305) M. Hagemans fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Hagemans présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Hechtel demande que le département de la guerre fasse vendre annuellement, au camp de Beverloo, la paille ayant servi au couchage de la troupe, ainsi que le fumier provenant des chevaux de la cavalerie et de l'artillerie. »

« Même demande du conseil communal" de Beverloo. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des secrétaires communaux du canton de Westerloo proposent des mesures pour améliorer la position des secrétaires communaux. »

M. Lelièvre. - Je demande un prompt rapport sur cette pétition, que j'appuie.

- Adopté.


« Les membres de l'administration communale de Kerckom prient la Chambre d'accorder au sieur Pousset la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Aix-la-Chapelle.é

M. Wouters. - Je demande le renvoi à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur De Pont demande que tous les tableaux remarquables appartenant à l'Etat soient réunis au Musée national de l'Etat. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le sieur Blontrock, instituteur communal, demande la discussion du projet de loi relatif à la caisse générale de prévoyance des instituteurs primaires. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Les sieurs Posschelle, Van Aalen et autres habitants d'une commune non dénommée, présente des observations contre la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire. H

« Des habitants de Ueyst-sur-Mer présentent des observations sur la même proposition de loi et demandent qu'au lieu de rendre l'enseignement obligatoire, on exige qu'il soit donné dans les écoles de travail. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« La chambre de commerce d'Ostende demande une enquête publique sur toutes les questions qui intéressent l'exploitation des chemins de fer de Belgique et que la commission chargée de fairpel'enquête soit composée de membres de la Chambre des représentants et de représentants du commerce et de l'industrie. »

« Même demande de membres d'une société de commerce à Malines, de la chambre de commerce de Tournai, d'industriels à Gand, à Moerbeke, à Tournai et dans d'autres communes non dénommées. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions identiques.


« Des habitants de Hun réclament l'intervention de la Chambre pour qu'il soit donné suite à leur réclamation contre des membres de l'administration communale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La veuve Van der Hofstadt réclame l'intervention de la Chambre pour qu'il soit donné suite à sa plainte de détournement de fonds qu'elle a remise entre les mains du procureur du roi à Bruges. »

- Même renvoi.


«. Des habitants d'Houffalize demandent que la station de Courtil soit ouverte aux marchandises. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires à Laeken prient la Chambre de voter les fonds nécessaires à l'achèvement du parc Léopold dans cette commune. »

- Même renvoi.


« Des blessés de 1830 prient la Chambre d'améliorer leur position. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le sieur Richard Hègle, employé à la Banque Nationale à Bruxelles, né en Belgique, demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des propriétaires à Bruxelles prient la Chambre de voter les fonds nécessaires pour que la question de la traverse des rues Jolly et Gaucheret reçoive une solution ; qu'on construise à bref délai les ponts à l'avenue de la Reine et qu'on rétablisse les communications interrompues par les passages à niveau des rues Allard, Rogier et des Palais. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. de Haerne, ne pouvant se rendre aujourd'hui à Bruxelles, demande un congé d'un jour. »

- Ce congé est accordé.

Proposition de loi relative à l’interdiction du cumul des peines

Développements et prise en considération

M. Lelièvre. - La prohibition du cumul des peines était inconnue sous l'ancien régime.

Lorsque les législateurs modernes réformèrent les lois criminelles, ils crurent devoir adopter le système interdisant le cumul (article 40, littera 7, loi du 16-29 septembre 1791).

(page 306) Le code du 3 brumaire an IV (article 446, et les articles 365 et 379 du code d'instruction criminelle conservèrent le même principe, qui fut en vigueur chez nous jusqu'en 1867.

Il faut le reconnaître, jamais il n'avait donné lieu à aucune fâcheuse conséquence, lorsque, entraîné par des considérations plutôt spéculatives que pratiques, le législateur belge changea cet ordre de choses qui avait fonctionné sans réclamation pendant septante ans.

On ne tarda pas à voir apparaître les inconvénients du nouveau régime.

On s'aperçut bientôt que le cumul des peines conduisait en pratique à une application pour ainsi dire mécanique de la loi qui embarrassait la justice et créait sans utilité des difficultés sérieuses. Souvent il est impossible de constater le nombre des délits. C'est ainsi qu'en matière de vols ou de détournements successifs, on ne peut guère vérifier à combien de reprises ont eu lieu les diverses soustractions. Comment veut-on qu'en pareille occurrence les juges infligent à chaque fait une peine particulière ?'

D'un autre côté, il est souvent très difficile de constater le nombre des délits distincts qui sont commis en même temps dans les rixes. Ce point soulève ordinairement des débats qui sont un véritable embarras pour la bonne administration de la justice.

Du reste, on a remarqué que le cumul des peines produit souvent des conséquences exorbitantes qui dépassent la modération à observer dans l'application des pénalités.

Les peines cumulées forment presque toujours un ensemble qui reflète une sévérité extraordinaire excédant les limites de ce que réclame la justice. Sous ce rapport, il est certain que l'application de la peine la plus forte, qui peut être élevée jusqu'au double du maximum, satisfait aux exigences de la vindicte publique et à toutes les nécessités de la légitime répression. On ne voit donc pas à quel titre l'on doive s'écarter de ce principe salutaire pour se jeter dans des théories abstraites qui n'ont aucune utilité pratique.

La législation interdisant le cumul est fondée sur une raison d'équité conforme aux idées modernes et qui tend à faire modérer de plus en plus la rigueur des lois répressives.

Il est, du reste, plus rationnel, pour l'application de la peine, de considérer l'ensemble des délits commis par la même personne, parce que souvent les diverses infractions ont entre elles une corrélation intime et influent les unes sur les autres.

C'est d'après c'et ensemble qu'on peut souvent apprécier avec plus de vérité s'il existe des circonstances aggravantes ou atténuantes, et quelle peine doit être appliquée à l'auteur des faits délictueux.

Le système du cumul des peines considère les diverses infractions imputables à la même personne comme si elles étaient l'œuvre d'individualités distinctes, ce qui est contraire aux vrais principes en matière pénale.

Il y a plus,, la législation du code pénal de 1867 fait naître des difficultés qu'il importe de prévenir à l'avenir.

C'est ainsi qu'on demande si, pour l'application de la peine de la récidive édictée par l'article 56 du code pénal, on doit cumuler les diverses peines d'emprisonnement prononcées par un seul et même jugement et si, quand la totalité atteint une année, il y a lieu à l'application de la disposition ci-dessus mentionnée.

Même question se présente dans les cas prévus par l'article premier, paragraphe 2, de la loi du 20 décembre 1852, article 9 de la loi du 12 mars 1858, ainsi que dans les hypothèses énoncées aux articles 54 et 65 de la loi du 3 juin 1870 sur la milice.

Toutes ces difficultés disparaissent lorsqu'on se tient aux règles en vigueur sous l'empire du code d'instruction criminelle de 1809.

L'article 502, paragraphe 2 du code pénal, offre un exemple tout particulier des anomalies auxquelles donne lieu le cumul des pénalités.

L'auteur de la falsification des denrées ou boissons propres à l'alimentation est privé de sa patente, s'il a encouru une condamnation de plus de six mois.

Qu'arrivera-t-il s'il y a quatre condamnations de plus d'une durée de doux mois chacune pour quatre délits distincts de la nature dont il s'agit ?

Dans le système du cumul des peines, la patente ne sera pas retirée au coupable, et il faut convenir que c'est là une véritable énormité.

D'un autre côté, le cumul des peines, en ce qui concerne les délits, a fait naître des anomalies regrettables que l'expérience a révélées.

C'est ainsi qu'en cas de concours de plusieurs crimes, la peine la plus forte est seule prononcée (article 62 du code pénal) ; mais si ces crimes dégénèrent en délits à raison de circonstances atténuantes, qui permettent de n'appliquer que des peines correctionnelles, alors il y a obligation pour les cours et tribunaux de cumuler les peines, de sorte que l'existence de circonstances atténuantes rend la position du prévenu plus défavorable que si la qualification de crimes imprimée aux faits avait été maintenue.

Disons, du reste, que les magistrats qui ont appliqué le code pénal de 1867, depuis sa publication, s'accordent à reconnaître que le système du cumul des peines présente des inconvénients sérieux qui doivent le faire rayer de la législation.

Tels sont les motifs qui ont dicté notre proposition.

Le changement que doit subir l'article 60 du code pénal a pour conséquence de nécessiter une rédaction nouvelle de l'article 59.

Nous avons cru devoir laisser subsister le cumul des amendes en cas d'une ou plusieurs contraventions réunies à un délit, parce que cet état de choses ne donne pas lieu aux mêmes conséquences fâcheuses que dans le cas où il y a cumul des peines de l'emprisonnement correctionnel et parce que d'ailleurs les amendes en matière de contravention sont réduites à des proportions telles, que leur cumul ne peut jamais produire des résultats exagérés.

Nous espérons que la Chambre donnera son assentiment à une proposition que les hommes pratiques réclament avec instance et qui a pour but de faire disparaître du code pénal une disposition qui dépare cette œuvre législative.

- La proposition est appuyée et prise en considération.

M. le président. -. M. Lelièvre, demandez-vous le renvoi aux sections ou à une commission spéciale ?

M. Lelièvre. - Comme il s'agit d'une question qui doit être examinée par des hommes spéciaux, je demande que ma proposition soit renvoyée à une commission spéciale à nommer par le bureau.

- Ce renvoi est ordonné.

Proposition de loi relative au travail des enfants dans les mines

Développements et prise en considération

M. Vleminckx. - L'article 29, paragraphe premier, du décret du 3 janvier 1813, contenant les dispositions de police relatives à l’exploitation des mines, porte ce qui suit :

« Il est défendu de laisser descendre ou travailler dans les mines et minières les enfants au-dessous de dix ans. »

Cette disposition soulève depuis longtemps les plus vives et les plus légitimes réclamations : une enquête récemment faite, sous l'administration de l'honorable M. Jamar, en a démontré une fois de plus les déplorables résultats. Tous les ingénieurs des mines, sans exception, la condamnent et demandent qu'elle soit modifiée.

«'Les jeunes houilleurs, écrivait déjà, en 1846 et 1847, la chambre de commerce de Charleroi, sont en général de petites brutes. Les enfants, livrés jeunes aux travaux des mines, deviennent d'une singulière paresse intellectuelle. Il n'est pas de catégorie de travailleurs où l'on trouve un aussi grand nombre de rejetons qui, arrivés, à l'école, à un médiocre degré d'intelligence, ne peuvent, quoi qu'on fasse, aller au delà. »

Plus tard, un de nos plus habiles ingénieurs des mines (Feu Bidaut), après avoir constaté le déplorable état moral de nos districts houillers, disait ce qui suit :

« Le mal provient de ce qu'on admet à pratiquer la profession de mineur les personnes du sexe féminin, auxquelles cette profession devrait être complètement étrangère, et des individus du sexe masculin au-dessous de 14 ans.

« Si l'on veut, ajoutait-il, soustraire cette classe si digne d'intérêt aux (page 307) causes de dégénération physique et morale auxquelles elle est en proie, ce n'est pas par des demi-mesures qu'on pourra y parvenir.

« Les mesures simples et énergiques qui peuvent faire atteindre le but, sont l’exclusion absolue des mines, 1° des femmes de tout âge, 2° des enfants au-dessous de 14 ans. »

Il est à peine besoin de faire remarquer que si, même à 13 ans, l'enfant n'a pu encore acquérir une instruction suffisante, il ne peut être douteux pour personne qu'en l'employant, dès l'âge de 10 ans, aux travaux souterrains des mines, on le condamne impitoyablement à croupir, sa vie durant, dans la plus grossière ignorance.

Nous ne nous appesantissons pas sur les déplorables conséquences d'un pareil état de choses. Elles sont faciles a saisir.

Il convient aussi de ne pas perdre de vue qu'à l'époque de la promulgation du décret de 1813, les personnes du sexe féminin ne descendaient pas dans les fosses. Le mot « enfant » ne doit donc s'y entendre que des enfants du sexe masculin ; si le législateur avait eu également en vue ceux du sexe féminin, il n'eût pas manqué de fixer un âge différent pour les uns et pour les autres. Dix ans, pour les garçons, c'était déjà une énormité injustifiable ; dix ans, pour les filles, c'eût été la plus révoltante des monstruosités. Mais, nous nous hâtons de le dire, cette monstruosité, les auteurs du décret ne l'ont point commise, et ils n'eussent pas osé la commettre en présence des notions les moins contestées de la science physiologique. Il n'est pas un seul physiologiste de l'époque qui n'eût considéré comme un devoir de la relever ou de la flétrir.

Nous n’ignorons pas qu'en Belgique le texte a subi une interprétation plus large ; le mot « enfants » y a été appliqué aux filles comme aux garçons ; mais nous nous croyons en droit de prétendre que cette interprétation est contraire à la vérité des faits. C'est en vain qu'on chercherait dans tout le décret de 1813 une seule disposition d'où résulterait que ses auteurs auraient prévu l'éventualité de la descente dans les fosses, des personnes du sexe féminin ; tout indiquerait contraire, qu'ils n'en ont pas même eu la pensée, et cela est si vrai que, dans les provinces rhénanes, sous l'empire de ce même décret, les femmes et les filles n'ont jamais été autorisées à s'employer dans les travaux souterrains et qu'elles continuent encore à en être absolument exclues.

Mais en supposant qu'il y ait doute à cet égard, et qu'il soit tout au moins jugé indispensable de substituer à un texte indécis une disposition formelle et précise, on ne saurait disconvenir que la question ne peut être tranchée qu'en s'appuyant sur les vrais principes de la science, en ne perdant jamais de vue l’organisation.de la femme et sa destination sociale.

Donc, dans le projet que nous avons l'honneur de soumettre à vos délibérations, nous proposons d'interdire, à partir du 1er janvier 1873, 1e travail dans les mines, aux enfants du sexe masculin qui n'ont pas dépassé l'âge de l'instruction première, c'est-à-dire aux garçons âgés de moins de 14 tans, et pour des motifs facilement appréciables, aux enfants du sexe féminin qui n'auront pas atteint leur 15ème année révolue.

La Chambre reconnaîtra qu'en restant dans ces limites, nous faisons preuve de grande modération. (erratum, page 315) Comme en Prusse, et d'accord avec l'Académie royale de médecine ainsi qu'avec tous les officiers du corps des mines (Résultats de l'enquête ouverte par les officiels du corps des mines sur la situation des ouvriers dans les mines et les usines métallurgiques de la Belgique, en exécution des ordres de M. le ministre des travaux publics. Bruxelles, 1869), nous eussions préféré l'exclusion complète des mines de toutes les personnes du sexe féminin. Les femmes, en effet, ne sont pas créées pour des travaux excessifs ; les y astreindre, c'est méconnaître les lois de la nature, qu'on ne viole jamais impunément. Mais nous avons dû prendre en sérieuse considération l'état et les habitudes de notre industrie charbonnière. Il nous eût paru peu sage, téméraire même, d'y apporter quelque trouble par l'introduction de mesures radicales, quelque grand que pût être d'ailleurs leur mérite. Et puis, nous l'avouons sans détour, en portant jusqu'à 15 ans révolus, l'âge des filles pour l'admission aux travaux des fosses, nous n'avons pas été guidés seulement par les prescriptions de la science, mais, en outre, par le ferme espoir de ne plus les y voir paraître avant peu de temps.

Celles qui à quinze ans n'auront pas commencé le métier de houilleuse ne s'y livreront probablement pas plus tard. « Jusqu'à quinze ans, ainsi que le dit très judicieusement un de nos ingénieurs (M. Lambert, mêmes documents), elles auront le temps de fréquenter les écoles et d'acquérir une certaine instruction, pour atténuer les effets de cette déplorable éducation, qui distingue partout la population charbonnière. Quelques-unes, ajoute-t-il (et nous dirons, nous, probablement le plus grand nombre), pourront déjà, dans l'intervalle, choisir un état plus en rapport avec leur goût, leur aptitude et leur organisation, ce qui les empêcherait de se livrer plus tard aux travaux houillers, »

Enlever les femmes aux travaux des mines, les y enlever surtout sans secousse et avec des ménagements, c'est, à notre avis, rendre à la population ouvrière de nos districts charbonniers le plus intelligent et le plus grand de tous les services.

L'intérêt privé vient heureusement se joindre à l'intérêt général, pour conseiller l'adoption des mesures que nous avons l'honneur de vous présenter. Il est constaté, en effet, que l'enfant âgé de 10, 11, 12 ans et même plus, n'apporte pas à l'exploitation un effet utile en rapport avec le salaire qu'il reçoit. « Que peut aller faire dans nos houillères, dit encore le savant ingénieur que nous venons de citer, un enfant de 10, 11 et 12 ans, si ce n'est d'attester par sa présence une mauvaise organisation du travail ? Il ne peut qu'énerver ses forces, sans service rendu et se corrompre tôt ou tard au contact de la plus déplorable des éducations.

« Souvent même, on ne l'admet à cet âge que par complaisance ou par charité. Funeste complaisance, charité bien nuisible, qui empêchent l'enfant d'acquérir des forces et l'instruction dont il aura si grand besoin plus tard. » (Mêmes documents.)

« Les prescriptions impérieuses de la loi, venant désormais en aide aux bonnes intentions d'un grand nombre d'exploitants, donneront à ceux-ci des armes pour résister énergiquement à d'inintelligibles obsessions. Quant à ceux qui se croiraient lésés par de semblables prescriptions, nous récusons leur autorité de la manière la plus absolue. Les industries doivent se régler d'après les lois et les nécessités sociales ; sous prétexte de besoins ou d'intérêts industriels, il ne doit pas être permis de condamner des générations entières à l'abrutissement et à la dégradation.

Il nous reste à faire observer que notre projet n'est pas ce qu'on appelle généralement une réglementation de travail. Un décret ayant fixé un âge pour la descente et le travail des enfants dans les mines, nous nous bornons à en fixer un autre, rien de plus, rien de moins. Ce n'est pas là ce qu'on pst convenu d'appeler une réglementation, mais, à notre avis, c'est peut-être le seul point qu'il convienne de réglementer pour l'industrie des mines. Et comme tous les intérêts se réunissent pour faire accepter cette modification, nous ne sommes pas sans espoir que la Chambre sanctionnera le projet de loi que nous avons l’honneur de lui soumettre et dont l'adoption, c'est notre profonde conviction, sera, pour la population de nos districts charbonniers, un immense bienfait et très probablement le commencement d'une ère nouvelle.

- La proposition est appuyée, prise en considération, et renvoyée à l'examen des sections.

Projet de loi allouant un crédit spécial de 12,080,000 francs au budget du ministère des travaux publics

Discussion générale

M. le président. - La parole est continuée à M. Le Hardy de Beaulieu.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, samedi, à la fin de la première partie de mon discours, tandis que j'étais occupé à rassembler mes papiers, un de mes honorables collègues, un des plus jeunes membres de cette assemblée, passant près de moi, me dit : C'est dommage que vous plaidiez une cause perdue.

Je n'eus pas le temps de lui répondre ; mais ce mot m’a fait faire quelques réflexions que je crois devoir soumettre à mes collègues.

D'abord, le système parlementaire a pour principale utilité de permettre de plaider les causes perdues. Si les Chambres devaient toujours suivre aveuglément les causes gagnées, il n'y aurait jamais de progrès ; les gouvernements absolus seraient les meilleurs gouvernements, et c'est parce que les gouvernements absolus ne sont pas les meilleurs, que l'on a trouvé qu'il fallait donner aux causes perdues le moyen de se plaider et d'être gagnées.

Mais, messieurs, ce n'est pas une cause perdue que j'ai l'honneur de plaider ; elle a été plaidée en dehors de cette Chambre, beaucoup mieux que je ne puis le taire ; ce n'est du reste pas la première fois que je soutiens une cause qui paraît perdue ; vous vous rappelez tous, sans doute, qu'en 1840, lorsque la Chambre a institué une enquête, sur la question des droits différentiels, l'unanimité de cette Chambre, à deux ou trois exceptions près, était protectionniste ; l'unanimité des chambres de commerce du pays, à peu près, était également protectionniste. (Interruption.)

Il y avait certainement quelques personnes à Liège, à Verviers ou à Anvers (page 308) qui professaient une autre opinion ; mais tout le reste était protectionniste. L'unanimité de la presse était également protectionniste.

Je me souviens que les directeurs de journaux qui accueillirent mes premiers articles libre-échangistes s'excusaient vis-à-vis du public d'ouvrir leurs colonnes à des opinions aussi contraires aux sentiments de leurs lecteurs.

Ils étaient tellement en dehors des idées reçues, que c'était presque un acte de folie d'en permettre l'insertion.

Cependant, en 1846 déjà, cette opinion générale était considérablement affaiblie.

Maintenant, je le demande, où sont les protectionnistes ?

Je vous demande donc, messieurs, la permission de continuer mon plaidoyer en faveur de la cause perdue de l'exploitation libre des chemins de fer, et j'espère que vous voudrez bien m'accorder encore la bienveillante attention que vous m'avez toujours accordée depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette Chambre.

Messieurs, dans la première partie de mon discours, j'ai donné l'analyse de quelques-unes des conclusions auxquelles est arrivée la commission d'enquête en Angleterre, constituée en 1865 et 1866.

J'ai démontré que des raisons majeures, péremptoires avaient conduit cette commission d'enquête, à l'unanimité moins une voix, à rejeter le rachat des chemins de fer par l'Etat, unanimité qui a été complète quand il s'est agi de l'exploitation.

Ainsi que le déclare la commission dans son rapport, il ne s'est pas même trouvé un seul témoin, dans cette longue et laborieuse enquête, qui ait préconisé l'exploitation des chemins de fer par l'Etat.

Je puis donc, m'appuyant sur l'autorité de cette commission, composée des hommes les plus éminents dans les finances et dans toutes les parties de l'administration de la richesse publique et comprenant entre autres le ministre actuel des finances, comprenant encore des membres très distingués de la chambre des communes et de l'industrie privée ; je puis en toute sécurité continuer ma thèse et examiner jusqu'à quel point elle s'applique à notre pays.

Je me demande d'abord s'il pourra convenir longtemps encore au pays de voir la législature, absorbée par ces discussions d'affaires de transport, négliger complètement ses devoirs de législation qui constituent sa mission réelle et naturelle, celle de faire des lois ou de corriger les lois existantes.

Nous avons à notre ordre du jour des projets de lois de la plus haute importance pour le bien-être de toutes les populations, qui sont en souffrance depuis un grand nombre d'années.

Elles sont ajournées d'année en année, de session en session, parce que notre temps est en grande partie absorbé par les discussions relatives à des affairés de transport. Et notez qu'à mesure que l'Etat deviendra plus grand propriétaire et plus grand exploitant de chemins de fer, notre temps sera dé plus en plus engagé dans cette voie, et nous deviendrons de plus en plus le conseil de surveillance de cette société anonyme et irresponsable qui exploite nos chemins de fer.

Or, si le pays ne pouvait pas avoir recours à ses représentants pour se garer de l'oppression, dirai-je, de la tyrannie de cette administration anonyme, il serait entièrement livré, sans remède aucun, à des gens contre lesquels il ne pourrait exercer aucun recours.

L'appel à la Chambre est donc forcé, inévitable et notre temps sera de plus en plus absorbé par ces discussions.

Voyons, messieurs, et demandons-nous combien de temps nous nous mettons chaque année à discuter les affaires du Grand-Central, de la compagnie du Luxembourg ou de toute autre. Quelques minutes au plus, tandis que l'exploitation des chemins de fer de l'Etat absorbe, chaque année, des semaines, sinon des mois, en discussions souvent oiseuses, presque toujours inutiles.

Cette considération finira par peser sur l'opinion publique et elle rejaillira sur nous. Elle nous forcera à réfléchir à la position que nous avons prise vis-à-vis des contribuables et de l'industrie du pays.

Une autre raison qui vous portera à examiner de très près le système d'exploitation des chemins de fer par l'Etat se trouve dans la crise même que nous traversons encore.

Je me suis efforcé de rechercher les causes réelles de cette crise. On l'a attribuée, et l'honorable ministre des finances, dans son dernier discours, a paru concourir à propager cette opinion, au manque de matériel de transport.

Cependant les documents qu'il nous a distribués établissent d'une façon irréfragable ce que j'avais déjà dit moi-même il y a 2 ou 3 ans, que les chemins de fer de l'Etat sont en possession d'un matériel plus grand, en proportion de la longueur exploitée, que celui qui existe non seulement en Europe mais dans le monde entier, toute proportion gardée avec l’étendue de la Belgique.

Cependant nos chemins de fer ne font pas le plus grand trafic. Il y a des sociétés en Angleterre, en France et ailleurs qui, avec un matériel proportionnellement moindre, font un trafic supérieur.

Ce n'est donc pas là, messieurs la cause réelle du désordre, de l'anarchie qui existent encore actuellement dans l'exploitation des chemins de fer de l'Etat. J'ai cherché à pénétrer dans ce mystère et je crois devoir communiquer à la Chambre les observations que j'ai faites.

La Chambre se rend-elle compte, s'est-elle même demandé pourquoi l'administration centrale des travaux publics était, depuis plusieurs mois, complètement désorganisée ; pourquoi le secrétaire général a abandonné son poste et pourquoi ce poste est resté vacant ?

J'ai cherché à obtenir quelques informations, et j'ai appris que les affaires dans le secrétariat général, c'est-à-dire au centre même de l'organisation du département des travaux publics, se traitaient de telle façon, que le secrétaire général apprenait seulement par le Moniteur les actes qui, d'après les règles administratives et la voie hiérarchique, exigeaient sa participation.

Et comme cette manière de faire persistait, comme tous les services étaient bouleversés, que les chefs de service n'étaient même plus consultés et comme la hiérarchie, mise de côté sans doute comme inutile et comme embarrassante pour les combinaisons en vue, et comme des fonctionnaires subalternes étaient consultés et écoutés dans tout tandis que les supérieurs n'étaient pas même entendus, il en est résulté une désorganisation complète de l'administration centrale, désorganisation qui s'est bientôt étendue au dehors et au loin dans toutes les branches du service.

Ne voyez-vous pas, messieurs, par ce seul fait, que si tous les chemins de fer, si toutes les voies de communication, tous les moyens de transport étaient livrés aux mains du gouvernement, nous serions un jour exposés, dans l'intérêt personnel de quelque fonctionnaire et pour contenter quelque ambition subalterne, à voir tous les services de transport livrés à une désorganisation complète ? N'est-ce pas là une situation bien dangereuse ? Les intérêts de notre industrie peuvent-ils être mis en jeu par des révolutions d'antichambre ? On ne naît pas ministre des travaux publics. On peut certainement naître poète, on peut même naître avocat, on peut naître général ; mais il est impossible de naître ministre des travaux publics, c'est-à-dire administrateur d'un des services les plus compliqués,- les plus difficiles.

Or, nous sommes exposés, et nous l'avons constaté dans une circonstance récente, à voir toute une vaste administration échoir subitement à quelqu'un qui n'y était nullement préparé, qui a dû nécessairement chercher ses renseignements autour de lui, qui a dû se guider d'après les suggestions de son entourage et qui, faute de préparation suffisante, a naturellement été amené à croire tout ce qu'on lui a dit ou suggéré.

Le dernier discours de l'honorable M. Wasseige est bien, par les aveux qu'il contient, la plus terrible accusation qu'on pût diriger contre lui.

Ne nous a-t-il pas montré que les choses les plus élémentaires il les ignorait complètement ? On lui dit : Il faut des waggons ; vite, il commande des waggons, sans s'informer si c'étaient bien les waggons qui manquaient.

Or, messieurs, ce n'étaient pas des waggons, c'était de l'administration qu'il fallait ! c'était la manière de se servir des waggons qu'on eût dû chercher, au lieu de se lancer dans la voie dispendieuse où nous sommes obligés aujourd'hui de vous suivre. Il en a été exactement de même pour les nouveaux tarifs. Les conseillers écoutés du ministre voulaient absolument faire quelque chose pour se donner des titres à la reconnaissance publique et à l'avancement, mais on ne s'est pas demandé un seul instant si le principe de ces nouveaux tarifs pouvait subir la discussion : on n'a examiné qu'un seul côté de la question.

Ainsi, il n'est pas venu à l'esprit des auteurs de ces tarifs de se demander s'il était juste, s'il était pratique, au moins en tenant compte d'une durée assez longue dans l'application, de faire payer aux petits transports à courte distance, moins que la valeur ou le coût du service rendu, tandis que l'on faisait payer aux transports à longue distance plusieurs fois cette valeur ou ce coût du service.

Pour mieux faire comprendre ma pensée par un exemple, on ne s'est pas demandé si le transport d'un voyageur de Bruxelles à Vilvorde, coûtant, par exemple, 25 centimes, et le transport de Bruxelles à Verviers coûtant 2 francs, s'il était juste, pratique, d'établir un tarif de 20 centimes de Bruxelles à Vilvorde et de 10 francs de Bruxelles à Verviers, on n'a, comme je le disais, examiné qu'un seul côté de la question, le côté des distances et on a négligé de la façon la plus complète la question des dépenses et de la valeur réelle et proportionnelle du service rendu.

(page 309) L'honorable M. Vanderstichelen, d'une façon un peu empirique, je l'avoue, mais enfin d'une façon qui tenait compte des trois éléments de la question, avait établi des tarifs contre lesquels on pouvait élever des critiques, mais dont le principe était certainement juste, et la preuve, c'est que si le principe des tarifs de M. Vanderstichelen avait été sérieusement discutable, les mêmes critiques, et à plus forte raison, devraient s'élever contre les billets de retour à prix réduits et contre les autres atténuations qu'on a apportées maladroitement dans les nouveaux tarifs du mois de novembre dernier

Vous voyez donc, messieurs, que l'exploitation concentrée, centralisée entre les mains de l'Etat offre, de quelque part qu'on les examine, de très nombreux et de très grands inconvénients. Et si nous descendons plus profondément dans les détails, nous en trouverons d'autres aussi nombreux et non moins importants. Je vais appeler votre attention sur un autre inconvénient qui s'est montré surtout cette année, c'est-à-dire immédiatement après la reprise par l’Etat du réseau de la société des Bassins houillers.

Je vous cite cet exemple, parce qu'il fera mieux comprendre le grief et que cet exemple s'est reproduit, je n'en doute nullement, sur tout le réseau de l'Etat depuis qu'il a été presque doublé.

L'Etat a repris des Bassins houillers ou plutôt de la Société générale d'exploitation la ligne de Manage à Wavre. Cette ligne est enchevêtrée dans trois anciens réseaux en exploitation. La société de Manage à Wavre possédait un matériel roulant à elle appartenant et qu'elle employait principalement à l'exploitation du trafic de sa ligne.

Or, messieurs, la ligne de Manage à Wavre, comme toutes les lignes du pays, a été construite pour l'utilité non pas de l'administration centrale de Bruxelles, place Royale, mais au point de vue de l'utilité des populations riveraines. Qu'est-il arrivé ? Depuis la reprise par l'Etat, nous n'avons plus de matériel à nous, nous ne recevons plus de charbon que de temps en temps, par hasard, quand il y a du matériel non employé ailleurs. Il nous est arrivé d'être plusieurs semaines sans recevoir un seul waggon de charbon.

Sans doute, il en passait beaucoup à travers les stations du parcours, mais il n'y avait rien pour nous et j'ai entendu dire que la sucrerie qui est établie contre la station même de Wavre s'est trouvée plusieurs fois sans charbon et obligée d'aller en chercher chez le marchand qui en avait encore. Cela ne s'était jamais vu pendant que la ligne était exploitée par la Société, parce qu'alors tout le matériel était employé à notre usage, car c'était l'intérêt de la Société de nous servir. Or, je dis que le matériel d'un chemin de fer est autant la propriété des populations qu'il doit desservir, que les rails eux-mêmes, les stations et autres portions de la voie, car s'il n'y a pas de matériel, il est inutile d'avoir un chemin de fer.

Eh bien, messieurs, je demande si, l'Etat reprenant tous les chemins de fer, les lignes enclavées dans le réseau général continueront à être exploitées comme elles devaient l'être d'après les actes de concession et si le matériel que ces lignes doivent posséder en vertu de ces concessions continuera à leur être enlevé au profit d'autres populations et si les industries qui se sont établies en vue de l'emploi d'un chemin de fer pourront être forcées de chômer et de subir des pertes considérables parce que c'est l'Etat qui exploite au lieu des sociétés concessionnaires ?

Ces industries seront-elles replacées, à cause du monopole de l'Etat, dans l'état où elles se trouvaient auparavant, quand il n'existait pas de voies ferrées.

Pourquoi cela ?

Mais que devient alors l'avantage tant vanté d'être sur une ligne exploitée par l'Etat ?.

La commission d'enquête anglaise a également examiné la question. L'avis qu'elle formule m'a été montré samedi dernier, après la séance, par l'honorable ministre des travaux publics ; cette réponse porte que chaque ligne doit avoir son matériel. J'ai examiné ce point. Or, l'avis exprimé par la commission d'enquête répond précisément à la question que je viens de poser.

Il ne faut pas que pour faire faire de plus grands parcours au matériel on prive les habitants riverains des concessions particulières, des moyens de transport auxquels elles ont droit. Et pour obtenir ce résultat, que dit la commission anglaise ? Qu'il faut que chaque ligne ait son matériel ; que le service soit fait complètement sur chaque ligne ; mais la commission d'enquête ne dit nulle part qu'on ne puisse pas faire circuler sur une ligne quelconque un matériel qui ne lui appartient pas. Cela n'est entré dans l'esprit de personne, et cela ne se trouve pas dans les délibérations de la commission d'enquête.

Mais cette commission explique parfaitement bien la cause de cette pénurie de matériel sur les petites ligues ; cette cause, je vais la signaler à l'honorable ministre des travaux publics et à la Chambre, afin que nous aussi nous puissions en rechercher le remède.

Mais je doute fort que nous le trouvions dans les mesures que j'ai entendu préconiser ici.

Le matériel des chemins de fer est employé comme tout matériel industriel là où il produit le plus de bénéfices. L'Etat, comme industriel, suivra cette règle comme les simples mortels ; quand un waggon lui rapportera 3 ou 6 francs par jour sur un point, il ne l'enverra pas là où il ne lui donnerait que 25 centimes. Or, c'est un fait reconnu dans l'exploitation des chemins de fer, que les petits parcours sont proportionnellement plus coûteux que les grands et qu'à tarif égal, les grands parcours donnent beaucoup plus de bénéfices que les petits. Il en résulte que les petits parcours seront toujours négligés, s'ils ne compensent la différence par les tarifs. L'Etat les négligera aussi bien que les compagnies particulières, et si la Chambre n'y met obstacle ou ne trouve un remède, ils finiront par être entièrement abandonnés.

L'honorable ministre des finances nous a donné, dans son dernier discours, une réponse décisive et péremptoire à toutes les objections. Les chemins de fer, nous a-t-il dit, sont dans une situation exceptionnellement prospère et brillante.

J'ai, déjà exprimé plus d'une fois l'opinion diamétralement contraire.

J'ai dit mes raisons et je dois avouer que malgré la parole compétente et persuasive de notre honorable ministre des finances, je ne suis pas encore revenu de cette opinion. Je vais essayer, en employant une autre méthode, de vous faire partager mon avis. Je le ferai sous la forme d'une question que je poserai à l'honorable ministre des finances.

Je suppose qu'il soit administrateur d'un chemin de fer. Le directeur vient lui dire au bout de l'an, en lui présentant les résultats obtenus durant l'année : Ils sont excellents ; mais il me faut un million pour que les affaires continuent à prospérer et prennent un nouvel essor.

L'année suivante, le même directeur vient encore lui communiquer l'exposé des résultats obtenus ; le bénéfice est supérieur de 100,000 francs à celui de l'année précédente. Mais il déclare en même temps qu'il lui faut 2,000,000 pour améliorer encore son entreprise et la faire prospérer davantage.

L'année suivante, il renouvelle la même démarche, apportant deux cent mille francs de bénéfice, mais cette fois il lui faut trois millions pour continuer à faire prospérer son exploitation. Finalement, continuant toujours le même système, il a demandé tous les ans de nouveaux millions en s'appuyant sur les bénéfices toujours croissants que l'affaire a produits. Je demanderai à l'honorable ministre ce qu'il répondrait à ce directeur quand il viendrait pour la dixième fois lui tenir le même langage et reproduire la même demande de millions en échange de centaines de mille francs de produit.

Eh bien, je vais me permettre d'essayer de répondre pour lui et vous dire quelle serait probablement sa réponse. Je crois - et l'honorable ministre me démentira si je ne traduis pas bien sa pensée - je crois que l'honorable ministre dirait à ce directeur : Mais je voudrais bien savoir comment il se fait que votre chemin réclame toujours de l'argent en plus grande quantité qu'il n'en produit ? Il faut bien qu'un jour il finisse par rembourser au lieu de dépenser.

Cependant, l'autre jour l'honorable ministre nous a dit un mot qui m'a effrayé. Il nous a dit, répétant le mot d'un administrateur des chemins de fer du nord de la France, que les chemins de fer n'étaient jamais achevés et il a laissé entendre qu'après les 36 ou 37 millions que nous aurons votés depuis ces douze ou quatorze derniers mois, il y en aurait encore de nombreux qui suivraient. Je me demande donc avec anxiété : Quand cela finira-t-il ; quand, commencerons-nous à recevoir plus que nous ne payons !

Je pense donc que l'administrateur dirait à son directeur : Il y a un jour où toute industrie doit produire plus qu'elle ne coûte, car toute industrie, fût-ce un chemin de fer, qui absorbe plus qu'elle ne produit, est fatalement condamnée à la ruine. Voyons donc où en sont vos affaires.

Et si le directeur lui disait : « C'est très bien, ne vous en préoccupez pas. Je ferai moi-même un rapport sur la situation. » L'administrateur répondrait très probablement : « Cette enquête, je veux et je dois la faire moi-même, car je suis responsable vis-à-vis des actionnaires mes commettants. Je veux et je dois voir par moi-même ce qui se passe. Cela n'implique en aucune façon une pensée de blâme ou de défiance ; cela veut dire tout simplement que je veux mettre ma responsabilité à couvert. »

(page 310) Voilà probablement ce que M. le ministre des finances répondrait à ce directeur ; or, je crois que nous tous, qui sommes responsables et seuls responsables des fonds que nous prenons au pays pour le remettre à l'administration des chemins de fer, nous devons agir exactement de la même façon.

M. Bouvier. - Et si les millions ont été convenablement et productivement dépensés !

M. Le Hardy de Beaulieu. - C'est précisément ce qu'il faut examiner.

Vous voyez donc, messieurs, que je ne puis adopter les raisons que M. le ministre des finances a fait valoir dernièrement pour repousser le projet d'enquête. D'après moi, la Chambre ne saurait examiner trop tôt et à fond la question des chemins de fer ou, pour mieux dire, la question des transports dans son ensemble.

Si elle néglige de le faire, si elle ne tient compte tous les ans du nombre des crédits extraordinaires et ordinaires votés pour améliorer cet instrument, il est certain qu'un jour il faudra bien faire ce compte et voir où cela nous conduit.

Or, il vaut bien mieux se renseigner en temps que d'attendre qu'il soit trop tard. Il vaut bien mieux le faire aujourd'hui que les questions sont encore entières ou à peu près.

Cette enquête aurait dû être faite avant la reprise des chemins de fer des Bassins houillers, avant que l'Etat soit lancé dans cette grande affaire.

Mais nous manquerions au plus élémentaire de tous nos devoirs si nous ne cherchions pas à nous renseigner d'une façon impartiale, de façon à arriver, à la connaissance exacte et complète des faits.

J’ai donc pensé, messieurs, qu'il était nécessaire de formuler un projet d'enquête de telle façon que nous sachions la voie que nous devons suivre et ce que le gouvernement doit faire sans que cela puisse impliquer, même de la façon la plus indirecte, le moindre semblant de blâme ou de malveillance à son égard.

Le gouvernement reste l'administrateur délégué, le directeur de l'industrie des transports avec tous ses devoirs et toute sa responsabilité.

Voici le texte que j'ai rédigé un peu à la hâte et qui peut être corrigé ou raccourci, mais le voici tel que je le conçois :

« La Chambre,

« Usant des pouvoirs que lui donne l'article 40 de la Constitution :

« Considérant qu'il importe à la Chambre autant qu'au pays de connaître la situation complète et réelle de l'industrie des transports, tant par eau que par chemin de fer, afin de lui donner tout le développement qu'elle comporte ;

« Considérant qu'avant de voter les fonds nécessaires pour compléter les chemins de fer, les canaux ou les rivières, il importe de savoir, d'une façon aussi exacte et aussi complète que possible, l'étendue des efforts qui doivent encore être faits et des sacrifices qui doivent encore être demandés ;

« Considérant que, pour atteindre ce but, un travail d'ensemble est indispensable ;

« Considérant que l'enquête doit également porter sur les frais de transport et sur les tarifs qui doivent être, appliqués tant aux voyageurs qu'aux marchandises et autres objets ;

« Considérant qu'il importe aussi de connaître exactement tous les frais qu'occasionnent les transports par chemins de fer et par canaux afin d'établir des tarifs justes et équitables ;

« Considérant que cette enquête ne serait pas complète si elle ne s'étendait à toutes les voies ferrées et navigables de la Belgique,

« Décide :

« Une commission d'enquête est instituée ayant pour mission :

« A : De rechercher et d'établir de la façon la plus vraie et la plus complète possible la situation financière ou le bilan des chemins de fer appartenant à l'Etat belge ou exploités par lui ;

« Notamment d'établir l'état réel et actuel des voies, des stations et de leurs dépendances, du matériel roulant et fixe afin d'en relever l'inventaire et de se rendre compte de ce qui manque ou de ce qui est défectueux ; des lignes, gares, embranchements et qui sont nécessaires pour compléter le réseau belge, autant que cela est réalisable ;

« D'établir aussi approximativement que possible le coût de tous ces travaux, leur ordre et leur durée probable.

« B. De rechercher quels sont les frais actuels des transports exécutés par les chemins de fer exploités par l'Etat, et établir aussi approximativement que possible le prix de revient de ces transports ;

« C. De rechercher ; a. si les tarifs actuels sont proportionnés au coût et à la valeur du service rendu ; b. quelles seraient les modifications à y apporter au point de vue d'une impartiale justice distributive.

« D. Etendre les mêmes recherches aux chemins de fer concédés et exploités par les compagnies, examiner si leurs tarifs sont établis dans les limites des actes de concession et si les travaux exécutés, les aménagements pour le trafic, le matériel fixe et roulant sont conformes aux engagements souscrits et aux plans adoptés, et approuvés.

« Rechercher quels seraient les changements, ou modifications, ou extensions, ou restrictions à proposer aux conventions dans l'intérêt du public et des compagnies concessionnaires.

« E. Faire les mêmes recherches sur les canaux, les routes et les rivières et examiner notamment quel système devra être adopté dans l'intérêt du public dans la concession des tramways sur les routes, et les chemins de fer vicinaux.

« La commission d'enquête présentera un rapport sur toutes ces questions en se basant-sur les témoignages et les documents recueillis. Elle pourra présenter successivement telles parties de son rapport qui seront terminées. Le ministre a le droit de présenter des rapports séparés.

« L'enquête sera publique.

« La commission sera composée de dix-huit membres. Le président.de la Chambre, qui préside de droit, ne fait pas partie de ce nombre. Elle pourra se subdiviser en sous-commissions de trois membres au moins.

« Elle peut recueillir des témoignages et délibérer valablement quand cinq membres sont présents, sauf pour les questions réservées par elle, où la présence de neuf membres au moins est nécessaire.

« Les frais de l'enquête seront portés au budget de la Chambre pour 1872 et 1873.

« Les pouvoirs de la commission d'enquête cesseront de plein droit, à moins d'être expressément renouvelés par la Chambre à là fin de la session 1872-1873. »

Messieurs, on me dit que c'est un travail d'Hercule. Voici le rapport de la commission anglaise qui a examiné toutes ces questions et d'autres encore et qui a fait son rapport dans les dix-huit mois. (Interruption.) Je dis qu'elle a examiné toutes ces questions et d'autres encore. J'en ai éliminé beaucoup qui ne peuvent avoir aucune utilité dans notre pays, parce que notre système de transports n'est ni aussi vaste, ni aussi complet que celui de l'Angleterre.

Je ne vois pas pourquoi une commission d'enquête en Belgique, qui a des éléments nombreux à sa disposition, qui peut tracer son cadre d'une façon très simple, qui peut diviser ses travaux entre six sous-commissions, ne pourrait pas aboutir, dans le cours de deux sessions ou plutôt d'une session et demie, à nous présenter un rapport complet.

D'ailleurs, comme je l'ai dit en commençant, je vous présente un cadre d'enquête ; mais la Chambre est parfaitement libre, si elle adopte l'enquête, de le simplifier ; mais ce que je ne pense pas, c'est qu'elle soit libre de voter toujours de l'argent et de ne. jamais s'informer, de s'en rapporter toujours et exclusivement aux dires de l'administration.

Messieurs, si la chose était pratique, nous sommes tous investis individuellement du droit d'enquête. Quand on demande notre vote, nous avons le droit d'exiger d'être éclairés et sur toutes les questions. Tout ce que je demande, c'est de faciliter à chacun, par un travail d'ensemble, l'examen que chacun de nous est obligé de faire pour émettre un vote en connaissance de cause et consciencieux sur toutes les questions.

Je pense donc que je n'ai fait que remplir mon devoir, le devoir que nous dicte notre mandat, compris de la façon la plus simple, en vous proposant une formule qui servira de base à une discussion, et je serai tout le premier moi-même à accepter toutes les modifications, toutes les simplifications dont cette formule sera jugée susceptible.

Je ne puis me rasseoir, sans vous engager de la façon la plus formelle, dans nos intérêts les plus évidents et les plus chers, à examiner sérieusement la plupart des questions que je vous ai soumises.

(page 311) M. Braconier. - M. le ministre des finances, dans le discours qu’il a prononcé dans une des dernières séances, vous a fait connaître, messieurs, les résultats approximatifs de l'exploitation des chemins de fer de l'Etat, dans le courant de l'année 1871.

Il résulte de ces renseignements que pendant cet exercice le chemin de fer de l'Etat a fait de très brillantes affaires, qu'il y a eu augmentation du mouvement, augmentation des recettes et surtout augmentation considérable du produit net.

La Chambre a appris avec satisfaction l'état de prospérité de l'exploitation du chemin de fer au point de vue financier. Cependant je pense que plusieurs de mes collègues, ainsi que moi, se sont demandé quels auraient été les résultats si le chemin de fer avait été à même de suffire à tous les besoins ? Evidemment, ils eussent été beaucoup plus beaux ; les recettes auraient augmenté et le boni aurait été encore plus considérable ; nous n'aurions pas non plus entendu les plaintes et les réclamations du commerce et de l'industrie, plaintes que je dois reconnaître justes et fondées.

Messieurs, la crise que nous avons traversée, il faut bien le dire, a été grave et sérieuse. C'est la plus importante qui ait eu lieu en Belgique. Elle a même failli dégénérer en une calamité publique. Si les gelées qui sont survenues au mois de décembre et qui avaient interrompu les communications par les voies navigables avaient continué, la moitié des établissements industriels du pays se seraient trouvés dans l'obligation de chômer. Le chômage, c'est une perte pour les patrons, mais c'est aussi une perte de salaire pour l'ouvrier et la misère pour sa famille.

J'ai dit, en commençant, que l'honorable ministre des finances, dans son discours, avait particulièrement insisté sur le boni résultant de l'exploitation du chemin de fer pendant l'année 1871.

Je suis heureux que ce soit l'honorable M. Malou qui vienne constater ces bonis ; j'en suis heureux, parce que c'est lui-même qui avoue ainsi que ses prophéties ne se sont pas réalisées.

En effet, il y a dans une brochure, publiée par l'honorable M. Malou, sous le titre : « Etude statistique d'une expérimentation », un chapitre intitulé : « Prophéties des bonis » ; M. Malou y soutient que les bonis ne reparaîtront pas ; et voici la conclusion finale qu'il donne à ce chapitre :

« Il résulte de là que l'espoir d'une notable augmentation du produit net par l'accroissement des recettes brutes, les tarifs demeurant les mêmes, est chimérique et irréalisable. Il en résulte encore que nos bonis ne reparaîtront pas, si les tarifs ne sont changés et, enfin, que les réformes sont bien les causes seules opérantes de la débâcle du produit net. »

Ainsi, l'honorable M. Malou prédisait, à cette époque, que les bonis ne reparaîtraient pas, si on ne changeait pas les tarifs mis en vigueur par l'honorable M. Vanderstichelen ; eh bien, je constate que, malgré que les tarifs n'ont pas été changés, l'honorable ministre s'est trouvé obligé de venir nous faire connaître que les bonis étaient revenus (interruption), et, comme on le dit, que même ils sont augmentés considérablement.

Ainsi, ces tarifs qui devaient causer la ruine du chemin de fer, ces tarifs qui devaient constituer le trésor public en perte (interruption) ; entendons-nous, qui devaient au moins empêcher le trésor de tirer du chemin de fer, de cette grande entreprise nationale, les ressources qu'il était en droit d'en attendre ; ces tarifs n'ont nullement produit ce résultat : c'est l'honorable M. Malou, je le répète, qui est venu vous démontrer que ses prophéties d'autrefois ne s'étaient nullement réalisées.

En présence de ce résultat, je me demande où était la nécessité de modifier les tarifs de voyageurs.

Les considérations qu'on a toujours fait valoir contre les tarifs des voyageurs avaient en vue principalement les intérêts du trésor. J'ai remarqué dans le discours de l'honorable ministre ou plutôt dans la réponse qu'il a faite à l'honorable M. Jamar, que l'on n'en parlait plus ; il s'agit maintenant d'une réforme démocratique. Ce mot « démocratique » fait très bien dans un discours comme qualification d'une réforme, surtout pour ceux qui ne considèrent pas de trop près ce qu'il signifie. On change de système parce que les chiffres prouvent à l'évidence qu'on s'est trompé, on en change aussi un peu parce que les résultats de la réforme nouvelle ne sont pas ce qu'on avait espéré. C'est ce que nous verrons plus tard seulement d'une manière certaine, mais je crois que dès aujourd'hui, d'après les renseignements que je possède, je puis dire que la réforme nouvelle n'a pas encore produit de bénéfices pour le trésor.

Examinons donc, messieurs, si en réalité la réforme des tarifs de M, Vanderstichelen était une réforme aristocratique et si la réforme de M,.Wasseige, inspiré par M. Malou, est une réforme démocratique.

Qu'est-ce qu'une réforme démocratique en fait de transports ? C'est celle qui donne les tarifs les plus modérés.

Si la réforme de M. Vanderstichelen avait dû rester incomplète, on pourrait, je le reconnais, prétendre que les petits parcours sont lésés, mais il faut prendre la réforme dans son ensemble ; et l'application qui en a été faite jusqu’ici n'était que partielle. Il est évident qu'en présence des résultats auxquels on est arrivé, et de l'augmentation du boni, le gouvernement libéral, s'il était resté au pouvoir, aurait complété la réforme par la réduction des prix des petites distances.

Eh bien, je le demande, la réforme de M. Vanderstichelen étant complétée, serait-elle moins démocratique que celle de M. Wasseige ? A mon avis, en tout état de choses, les tarifs auraient été beaucoup plus modérés puisqu'ils auraient été réduits à toutes distances.

L'honorable ministre des finances s'est aussi attaché dans son discours à atténuer l'intensité de la crise des transports et à enlever au département des travaux publics la responsabilité qu'il peut avoir dans l'état de choses que l'on a signalé. L'honorable ministre a même trouvé que les industriels et les commerçants étaient bien exigeants ; ils veulent, a-t-il dit, être traités en grands seigneurs, dîner aux Frères-Provençaux et payer les prix de la gargote.

Voyons si ces reproches sont fondés ? Quelles sont les exigences des commerçants d'Anvers qui ont leurs magasins encombrés, qui voient leurs quais chargés de marchandises, qui supportent des pertes sérieuses et considérables, qui se trouvent, en un mot, dans l'impossibilité de faire leurs affaires. ; ils disent à l'Etat, qui a le monopole des transports : Fournissez-nous le moyen d'écouler nos marchandises.

Quelles sont les exigences des industriels qui sont sur le point de chômer faute de recevoir les matières premières dont ils ont besoin ? Ils disent à l'Etat : Vous qui avez le monopole des transports, donnez-nous les moyens de continuer nos industries et de recevoir les produits qui nous sont indispensables,

La situation que l'honorable M. Malou lui-même a tracée et le tableau qu'il nous a donné des bénéfices réalisés par le chemin de fer en 1871, montrent que si gargote il y a, les prix ne sont pas trop peu rémunérateurs, car on y fait de très belles affaires. Voyez, dit encore l'honorable ministre, l'imprévoyance de ces industriels ! Après trois jours de grève à Charleroi, il y en a qui sont obligés de fermer leur établissement, faute d'avoir songé à faire des approvisionnements d'avance.

Je serais charmé de savoir comment les industriels auraient pu faire des approvisionnements.

La crise des transports existe depuis la fin du mois de mai 1871 et tout ce qu'ont pu faire les industriels, c'est de recevoir au jour le jour les matières premières dont ils avaient besoin.

Où donc est leur imprévoyance ? A mon avis, si un reproche d'imprévoyance, peut être adressé, c'est au département des travaux publics. Je ne reproche pas à l'honorable M. Wasseige de ne pas avoir demandé des crédits plus considérables, de ne pas avoir dépensé plus d'argent.

Il n'avait pas en main une baguette magique pour faire sortir du matériel de terre. Il n'avait pas le moyen non plus d'agrandir instantanément les stations, de faire partout des voies nouvelles. Je crois même que les travaux qu'on a faits aux voies ont, dans certains cas, entravé plutôt que favorisé les transports.

L'honorable M. Wasseige, je dois le dire, était un peu trop confiant lorsqu'il cherchait à dissiper les craintes que je lui exprimais au mois de mai ou de juin sur l'insuffisance du matériel.

S'il ne croyait pas aux avertissements des chambres de commerce, des comités industriels, etc., n'avait-il pas des faits officiels qui devaient lui montrer ce qu'il y avait de fondé dans les réclamations qui lui étaient adressées ? Il n'avait qu'à comparer les résultats de l'exploitation pendant les premiers mois de 1871 avec ceux de l'exploitation pendant les mois correspondants de 1870.

Le chemin de fer avait transporté en mai 1870 668,000 tonnes ; cette quantité s'est élevée à 817,000 tonnes en mai 1871.

Pendant le mois de juin de 1870, les transports s'étaient élevés à 658,000 tonnes ; en juin 1871, les transports ont produit 940,000 tonnes. En juillet 1870, il avait été transporté 562,000 tonnes ; les transports se sont élevés à 1,011,000 tonnes en juillet 1871. Il est évident que, d'après cette progression, on pouvait parfaitement prévoir ce qui arriverait en octobre, novembre et décembre, c'est-à-dire pendant la saison des grands transports. On devait nécessairement s'attendre à une pénurie du matériel et se préparer à atténuer autant que possible une crise devenue imminente,

Je dis donc que, pour moi, la question des dépenses à faire, de crédits plus considérables à demander, ne pouvait influer en rien sur les (page 312) résultats à obtenir. Mais je crois qu'un des vices qui ont existé, une des causes les plus importantes de l'encombrement qui s'est manifesté, c'est l'irrégularité dans le service. Personne n'ignore que, pendant plusieurs mois, les trains de voyageurs n'arrivaient jamais à l'heure ; c'était l'exception quand il n'y avait que dix minutes à un quart d'heure de retard.

Il y avait souvent un retard d'une demi-heure et d'une heure.

Vous comprendrez aisément ce qu'une pareille situation a fait naître de malaise.

Dans un pays où les gares importantes, à grand mouvement, sont généralement mal aménagées, elles sont communes aux voyageurs et aux marchandises.

La plupart du temps, les manœuvres doivent se faire par intervalles, sur les voies principales.

Si les trains de voyageurs sont en retard, lis manœuvres pour la formation des trains se font avec grande difficulté et les trains de marchandises partent avec des retards considérables.

L'itinéraire habituel de ces trains est modifié. Tout est donc dérangé et l'on arrive au désarroi auquel nous avons assisté.

Pour moi, messieurs, il me paraît que ce qu'il y a à faire dans l'avenir, et ce qui doit être fait le plus tôt possible, c'est d'abord d'organiser convenablement les gares de marchandises qui donnent lieu à de grands mouvements.

Il faut que ces gares soient, autant que possible, complètement distinctes des gares de voyageurs.

Il faut que la distribution en soit intelligente, que l'on puisse aborder partout les waggons chargés de façon que le déchargement puisse être effectué le plus promptement possible et que ces gares soient munies de moyens perfectionnés de chargement et de déchargement.

C'est, du reste, la voie dans laquelle M. le ministre des travaux publics me paraît vouloir entrer.

Si vous n'avez pas la régularité dans le service, si vous n'avez pas des installations suffisantes et bien disposées, à chaque reprise un peu sérieuse du mouvement industriel, vous verrez se renouveler une crise semblable à celle que nous traversons et nous entendrons les mêmes plaintes et les mêmes réclamations.

Mes honorables collègues, MM. Sainctelette et d'Andrimont, ont indiqué diverses améliorations à introduire et ont développé des idées qui, mises en pratique dans l'exploitation des chemins de fer, pourraient amener de bons résultats.

Je n'y reviendrai pas, je me bornerai à dire quelques mots du système consistant à laisser circuler sur les chemins de fer de l'Etat les waggons appartenant à des industriels.

Dans cette question, messieurs, je suis complètement de l'avis de M. le ministre des finances. Dans beaucoup de cas, ce système peut être appliqué, mais je crois qu'il ne peut pas être généralisé. Je crois qu'on ne peut employer des waggons appartenant à des industriels que lorsque les transports à effectuer ont un caractère de régularité, et quand ils se font dans un rayon où le retour à vide n'a pas une influence trop grande sur le prix de revient du transport. Je pense, au contraire, que si l'on permettait de faire des transports à longue distance avec du matériel appartenant à des industriels, ce serait créer une source d'embarras et d'encombrement dans bien des circonstances.

Maintenant, messieurs, beaucoup de remèdes ont été préconisés pour sortir de l'état de choses dans lequel on s'est trouvé et pour parer dans l'avenir au renouvellement de semblables crises. Les délégués des chambres de commerce, les comités industriels ont tous, messieurs, réclamé une enquête qui permît à chacun d'exposer ses idées, et de faire entendre ses réclamations.

Cette enquête n'aura pas lieu. L'honorable ministre des finances n'en veut pas, et elle ne sera pas votée par la Chambre. Je me permettrai cependant de rappeler que, dans d'autres circonstances, l'honorable ministre des finances ne traitait pas de la même manière le système des enquêtes. Voici entre autres ce qu'il disait :

« Pour mieux élucider ces questions, intimement liées à de grands intérêts publics et privés, j'ai demandé que le gouvernement lui-même nommât une commission d'enquête chargée de recueillir les opinions des uns, les réclamations des autres et de formuler des conclusions. Un exemple récent a démontré l'utilité et l'efficacité de ce mode d'instruction.

« La Banque de France, lorsque son privilège et sa politique ont été attaqués, a eu la sagesse de provoquer elle-même une enquête publique et contradictoire ; elle peut hautement s'en féliciter aujourd'hui,

« Ma proposition offre aux auteurs des réformes l'occasion d'éclairer l'opinion publique et d'assurer à leur système une consécration meilleure que leur propre approbation, »

Evidemment, messieurs, cette enquête était demandée par l'honorable ministre des finances pour la question des tarifs. Mais, dans une autre partie de son travail, il spécifie d'une manière un peu plus complète, sans aller cependant jusqu'aux développements qu'a donnés l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, ce qu'il entend par l'enquête. Voici ce qu'il dit :

« Il peut être utile de préciser cette proposition d'enquête. Selon l'usage suivi en Angleterre et en France dans des cas analogues, le gouvernement ou, s'il s'abstenait, une des chambres, en vertu de l'article 40 de la Constitution, instituerait une commission chargée, après avoir reçu les dépositions de tous ceux qui peuvent l'éclairer, de formuler des conclusions sur le système à suivre pour l'exploitation des chemins de fer de l’Etat, sur les tarifs à établir, sur les règles du droit des gens à tracer pourl es relations avec d'autres exploitations, quant à la direction des transports, etc. »

C'est bien, messieurs, le cas qui nos occupe ; c'est ce que nous demandons. Nous demandons précisément ce que voulait l'honorable M. Malou, dans le temps, et c'est l'honorable M. Malou qui combat sa proposition d'autrefois.

Nous demandons qu'une commission soit chargée de formuler des conclusions sur le système à suivre pour l'exploitation des chemins de fer de l'Etat, sur les tarifs à établir, sur les règles du droit des gens à tracer, pour les relations à établir avec d'autres exploitations, etc.

Je crois, messieurs, que cette proposition d'enquête faite par l'honorable M. Malou pourrait parfaitement être reproduite dans les mêmes termes et je suis persuadé que beaucoup d'entre nous l'appuieraient. Je crois même que l'honorable M. Le Hardy y donnerait son approbation.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Bien volontiers.

M. Braconier. - Je. pense, messieurs, avoir démontré que cette enquête est nécessaire, quoi qu'en dise l'honorable M. Malou, et que lui-même, en d'autres temps, en avait proposé une semblable.

Quel sera, en effet, le résultat de cette enquête ? Ce sera de fournir à M. le ministre des travaux publics les renseignements utiles qu'il consultera avec fruit. Ce sera aussi de donner un stimulant à l'administration des chemins de fer, ce sera d'obliger tous les fonctionnaires à étudier tout ce qui concerne, les divers services, à s'enquérir de ce qui se passe dans les pays étrangers et je ne comprends certainement pas la résistance du gouvernement.

Que pourra-t-on lui dire en effet ? Vous ne voulez donc pas vous éclairer, vous ne voulez pas que la lumière se fasse sur la question des chemins de fer ! A sa place je demanderais cette enquête pour me justifier, je tiendrais à prouver au public que dans la crise que nous traversons le gouvernement a pris toutes les mesures pour en atténuer les effets ; je voudrais aussi montrer que je désire faire cesser une situation qui compromet la prospérité du commerce et de l'industrie du pays. Pour ces motifs, messieurs, j'approuve la proposition d'enquête.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Messieurs, lorsque j'ai eu l'honneur de développer devant vous mon amendement tendant à accorder 4 millions pour les voies et l'outillage perfectionné, je vous ai déclaré nettement qu'à mon sens le vaste établissement du chemin de fer de l'Etat doit être géré et administré comme un établissement industriel, non pas en vue d'en tirer les plus grands bénéfices possibles, mais pour y appliquer les règles les plus saines d'une bonne administration.

J'ai déduit, messieurs, de ce principe plusieurs conséquences : la première c'est qu'il faut achever, le plus tôt possible, le chemin de fer et faire ce que fait tout industriel lorsqu'il en a le moyen, c'est-à-dire compléter son établissement et les installations qui en dépendent.

J'ai dit que, pour faire ce parachèvement d'une manière fructueuse, il faut se rendre compte d'abord de toutes les nécessités des installations en dresser le plan raisonné et poursuivre avec ordre l'exécution de ce plan.

J'en ai déduit une seconde conséquence qui n'est à la vérité que le corollaire de la première : c'est qu'il faut de toute nécessité que le chemin de fer dispose des ressources nécessaires pour faire ce complément.

La troisième conséquence, c'est qu'il faut abandonner le système actuel, qui n'est ni naturel, ni industriel, et qui est celui-ci : le. trésor public commence par encaisser tous les produits quelconques du chemin de fer, sauf à lui marchander ensuite quelques subsides qui souvent ne sont pas suffisants.

Heureusement, celui qui tient les clefs de la caisse est de mon avis. Mon honorable collègue, M. Malou, vous a développé avec une admirable clarté et toute l'autorité de sa grande expérience, ce système pratique et rationnel que je préconise en matière d'administration du railway national.

Voilà donc les idées que nous professons ; j'espère qu'elles seront fécondes.

Nous avons entendu une foule d'observations et de conseils de la part de (page 313) plusieurs membres qui ont pris la parole dans cette discussion : que ces membres en soient convaincus, leurs observations et leurs conseils ne seront pas perdus de vue et nous saurons en tirer profit.

Différentes questions ont été traitées, notamment par les honorables MM. Sainctelette et d'Andrimont. Vous ne vous attendez pas sans doute, messieurs, à ce que je discute ces questions une à une : cela nous conduirait fort foin.

Du reste, je partage à peu près la manière de voir de ces honorables membres sur un grand nombre de points se rattachant aux perfectionnements qu'il convient d'apporter à l'exploitation des chemins de fer. Je m'expliquerai tout à l'heure sur leur proposition principale, c'est-à-dire sur celle qui tend à ce que des waggons appartenant à des particuliers soient admis à circuler sur les lignes de l'Etat.

Je ne m'arrêterai pas aux critiques du passé ; mon honorable prédécesseur a prouvé victorieusement que ces critiques ne sont pas fondées (interruption) ; il a hérité d'un ordre de choses qu'il ne pouvait pas changer du jour au lendemain, ainsi que l'a reconnu l'honorable M. Braconier. Aidé du concours dévoué d'un personnel digne des plus grands éloges, l'honorable M. Wasseige a sensiblement amélioré la situation, et je suis même étonné qu'il ait pu, avec les moyens ordinaires dont il pouvait disposer, faire face aux exigences du moment, aux besoins exceptionnels qu'avaient engendrés les circonstances.

Ainsi qu'il vous l'a démontré, et tout le monde doit le savoir, il a travaillé efficacement à lutter contre les événements imprévus qui ont marqué son passage aux affaires et, pour cela, il a dépensé utilement les nombreux millions dont vous lui aviez confié l'emploi.

Laissons donc de côté les critiques rétrospectives. Le passé ne nous appartient que pour y puiser l'expérience qui devra nous servir de guide dans l'avenir.

Il est question d'une enquête et M. Le Hardy en a même formulé le programme. Cette enquête nous prendrait certainement deux ou trois ans avant d'aboutir à un résultat.

Le cadre de l'honorable député de Nivelles embrasse tous les moyens de transport : chemins de fer, canaux, rivières, routes ordinaires et chemins vicinaux ; en supposant même que l'on ne demandât pas une enquête aussi étendue, je crois que votre commission de l'industrie aurait encore eu raison de ne pas vous la proposer.

M. Bouvier. - Elle ne l'a pas désapprouvée.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Les conclusions du rapport de la commission sont le dépôt sur le bureau.

M. Bouvier. - Elle ne pouvait pas faire autre chose.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Et pourquoi pas ? Pour ma part, si je croyais qu'une enquête parlementaire pût être nécessaire ou même utile, j'y pousserais sans hésiter. Rien, en effet, ne serait plus commode pour le ministre que de pouvoir s'abriter derrière la commission qui serait instituée par le parlement. Mais quand j'envisage les progrès immédiats que réclame instamment notre grande institution des chemins de fer, je crois qu'une enquête parlementaire, avec toute sa solennité et toutes ses lenteurs, y serait très nuisible. Le ministre des travaux publics ne pourrait plus agir librement, ni faire de son chef et sans retard tout ce qu'il croirait devoir faire. Il aurait les mains liées pendant tout le temps que durerait l'enquête.

M. Bouvier. - Pas du tout.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - La responsabilité du ministre serait couverte, mais aussi rien ne se ferait. De deux choses l'une : ou l'enquête parlementaire aurait un caractère sérieux, ou elle ne l'aurait pas. Dans le premier cas, et je ne puis admettre que celui-là, il est clair que l'enquête paralyserait les projets du gouvernement. Dans la seconde hypothèse, elle serait tout simplement inutile et sans objet.

Lorsque l'idée d'une enquête a surgi, la situation n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui ; elle était bien plus tendue.

La somme de 12 ou plutôt de 16 millions n'était pas alors sur le point d'être votée. Elle est aujourd'hui, en grande partie, dépensée ou engagée.

Les waggons neufs vont arriver ; ils arrivent même déjà ; 58 locomotives ont été mises en adjudication ; on travaille activement à l'extension des voies. Nous nous rapprochons à grands pas d'une marche normale dans l'administration, et l'enquête ne se justifierait pas.

M. Bouvier. - Cent cinquante délégués ont demandé cette enquête.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Je vous ai promis, messieurs, un rapport sur la situation du chemin de fer et sur les travaux qui doivent être exécutés pour rendre cette situation non pas parfaite, mais aussi bonne qu'il serait raisonnablement possible de la souhaiter.

J'espère pouvoir déposer ce rapport avant la fin de la session actuelle.

Pour moi, messieurs, c'est assumer une grande responsabilité, une responsabilité au-dessus de mes forces peut-être. Mais enfin telle est la promesse que je vous fais ; elle est de nature, je pense, à rassurer la Chambre sur notre résolution bien arrêtée de faire ce qui dépendra de nous pour améliorer et perfectionner notre chemin de fer.

L'honorable M. Pirmez, s'expliquant sur le projet d'enquête, a paru ne pas avoir sur ce point des idées bien arrêtées. Je le remercie des paroles obligeantes qu'il m'a adressées ; mais il a voulu me renfermer dans un dilemme que je ne saurais admettre.

Ou bien, a-t-il dit, vous accepterez l'enquête, ou bien vous déclarerez virtuellement que vous savez tout ce qu'il faut faire pour rendre parfaite la situation du railway.

Ce dilemme, messieurs, fait sans doute honneur à la finesse bien connue de l'esprit de l'honorable membre ; mais je dois le repousser, attendu qu'il pèche par la base. Je n'ai certainement pas l'outrecuidance de croire que je connais toutes les questions qui se rapportent au chemin de fer ; mais je dis qu'il y a d'autres moyens et des moyens beaucoup plus prompts qu'une enquête parlementaire pour s'éclairer sur les mesures à prendre.

A propos de la responsabilité du ministre, l'honorable M. Pirmez a émis l'idée que l'organisation actuelle de l'administration centrale des chemins, de fer pourrait être nuisible à la bonne marche des affaires, attendu qu'elle ferait disparaître, en grande partie, la responsabilité ministérielle.

En fait, messieurs, c'est précisément le contraire qui existe. Le retour à l'unité de direction, placée dans les mains d'un administrateur général, a le mérite de rétablir aussi l'unité d'action, sans diminuer en rien l'autorité du ministre sur ses fonctionnaires.

Ce retour n'enlève nullement au ministre le devoir de travailler avec les chefs de direction et de se mettre directement en rapport avec eux.

Quant à moi, c'est ainsi que je comprends l'organisation et que je la pratique.

La responsabilité ministérielle reste donc bien entière.

Nous sommes tous, messieurs, à la recherche des moyens les plus propres à guérir la grande plaie du chemin de fer, qui est l'encombrement.

J'ai déjà indiqué, parmi ces moyens, l'admission sur les rails de l'Etat de waggons appartenant à des particuliers, de même que la formation de trains complets et réguliers entre des points déterminés.

L'idée a quelque chose de séduisant au premier abord et je continue à croire que, dans beaucoup de circonstances, elle peut recevoir son application. Ce serait, à mon sens, un auxiliaire utile, surtout dans les moments de crise.

L'honorable M. Sainctelette, qui avait aussi, dès le mois de février dernier, préconisé ce moyen, en a parlé de nouveau très longuement, et l’honorable M. d'Andrimont l'a appuyé fortement.

De plus, l'honorable M. Sainctelette a bien voulu nous communiquer la formule d'un contrat fait entre un particulier et une compagnie pour régler les conditions auxquelles les waggons de ce particulier peuvent être admis à circuler sur les lignes de cette compagnie.

En échange, je puis, de mon côté, communiquer à l'honorable membre un tarif spécial déterminant les conditions dans lesquelles s'effectue, sur le réseau de l'Est français, la traction des waggons appartenant à des particuliers, pour le transport des houilles, cokes, minerais, fer, etc. Mon département avait depuis longtemps ce tarif en mains.

Mais, messieurs, je puis ajouter que l'idée émise par mes honorables collègues et par moi n'est pas neuve, même pour l'administration des chemins de fer de l'Etat belge et que cette administration la pratique depuis assez longtemps, sur une très petite échelle, je le reconnais.

Je puis mettre sous vos yeux une liste d'industriels qui ont demandé et obtenu de pouvoir faire circuler sur les lignes de l'Etat des waggons à eux appartenant. Ce document indique, en outre, les conditions d'admission ; elles diffèrent peu de celles que contiennent et la formule que l'honorable M. Sainctelette a soumise à la Chambre et le tarif spécial de l'Est français.

Enfin, voici, messieurs, un ordre de service, daté du 4 février 1867, publié par l'administration belge, et qui est intitulé : « Waggons appartenant à des particuliers et destinés exclusivement à leurs transports » ; il énonce les conditions auxquelles on a admis ces waggons à circuler sur les lignes de l'Etat.

Je le répète donc, messieurs, notre idée n'est pas neuve. Si elle n'a guère été pratiquée jusqu'à présent, c'est qu'elle n'a pas reçu toute la publicité qu'on aurait pu lui donner et peut-être parce qu'elle n'est pas encore entrée dans nos mœurs. Quoi qu'il en soit, après avoir étudié de nouveau la (page 314) question, j'ai constaté que si le mode de transport dont il s'agit a été trouvé excellent, il y a quelques années et jusqu'en 1867, son éloge a été remplacé par une critique sévère dans le rapport fait en Angleterre après la très longue et très minutieuse enquête à laquelle on a fait plusieurs fois appel dans le cours de la présente discussion. Or, cette appréciation est postérieure à celle de M. Moussette que M. Jacqmin a reproduite dans son cours et que l'honorable M. Sainctelette a invoquée. Voici, en effet, ce qu'on lit dans le rapport de la commission anglaise : « Les conditions auxquelles les particuliers sont autorisés à faire usage de leurs propres waggons sur les chemins de fer ont été un sujet de plainte. On prétend que ces waggons éprouvent de grands retards sur les lignes et qu'alors les compagnies exigent, avec beaucoup de rigueur, les pénalités quand leurs waggons sont retenus par les négociants et n'accordent aucune indemnité aux particuliers dont les waggons subissent de longs retards.

« D'un autre côté, les compagnies font valoir que les particuliers emploient fréquemment leurs waggons placés sur les voies de garage des chemins de fer comme magasins pour leurs marchandises, et que les retards se produisent plus fréquemment chez les destinataires que sur les chemins de fer.

« Les particuliers allèguent aussi que leurs waggons sont l'objet de fort peu de soins et leur sont souvent renvoyés en fort mauvais état, mais les compagnies de chemins de fer affirment que ces waggons sont souvent d'une qualité inférieure et mal appropriés au service qu'ils ont à faire. On allègue également que des difficultés se présentent en cas d'accident ou lorsque des réparations sont nécessaires. Les particuliers se plaignent de ce que, dans des cas semblables, les compagnies de chemins de fer déposent les waggons sur une voie de garage et les y laissent sans donner avis du dommage au propriétaire, et les compagnies de chemins de fer soutiennent que les particuliers élèvent des difficultés pour le payement des frais de réparation.

« Il est évident (quite clear) que l'emploi des waggons particuliers occasionne beaucoup de difficultés et de dépenses supplémentaires à raison du classement des trains et du renvoi des waggons vides et que si tous les waggons appartenaient aux chemins de fer, on pourrait obtenir une diminution considérable dans le nombre des waggons qu'il est nécessaire d'employer actuellement ; en effet, l'on prétend qu'un tiers du nombre total de ces waggons, pourrait ainsi être épargné, mais d'un autre côté, quelques négociants (individual traders) pourraient avoir à souffrir à raison de l'impossibilité où ils se trouveraient d'obtenir tous les waggons qu'il leur faudrait pour faire face à des nécessités subites ou à une activité générale du commerce. »

Après ces considérations, la commission a formulé son avis définitif comme suit :

« Nous considérons qu'il est désirable que les compagnies de chemins de fer profitent de toutes les occasions de se rendre propriétaires du matériel employé sur leurs lignes. -»

Ainsi, vous le voyez, messieurs, ce que voudrait la commission anglaise, c'est que toutes les compagnies fussent propriétaires de tous les waggons qui circulent sur leurs lignes, et ainsi que vous l'a dit tout à l'heure l'honorable M. Braconier, cela n'est pas étonnant, parce qu'à part les transports qui se feraient d'un point à un autre par train complet, vous auriez de longs retards pour ramener les waggons vides, car s'il s'agissait de waggons isolés, ils devraient séjourner dans les gares et il faudrait un temps considérable pour les remettre au propriétaire. Ils deviendraient donc une cause de plus d'encombrement.

Je crois en conséquence que ce moyen est un moyen auxiliaire excellent dans certains cas déterminés, mais que ce n'est pas le moyen auquel il faille pousser. L'idéal donc, en cette matière, serait que l'Etat et les sociétés eussent un matériel suffisant pour pourvoir à toutes les nécessités normales du commerce. L'idée de laisser circuler les waggons particuliers sur le railway est née de l'absence d'un nombre suffisant de waggons des compagnies ou de l'Etat.

Néanmoins, j'admets le système en thèse générale et par conséquent, le fond de l'amendement de l'honorable M. Sainctelette ; mais je ne puis m'y rallier quant à la forme.

En premier lieu, cet amendement ne donne au gouvernement aucune autorisation, aucun pouvoir qu'il ne possède déjà. Le gouvernement est nanti, par la loi de 1835 et en vertu de cette loi, du pouvoir de régler, même par arrêté ministériel, tout ce qui concerne les tarifs, soit des voyageurs, soit des marchandises.

Le second motif pour lequel je ne puis me rallier à l'amendement, c'est que si on l'adoptait, on dérogerait virtuellement à la loi de 1835, on lui ôterait de sa force et le gouvernement ne se trouverait plus investi de pleins pouvoirs pour faire toute espèce de modifications aux tarifs,

Je crois donc, messieurs, que l'honorable M. Sainctelette n'insistera pas sur l'adoption de son amendement.

Je le répète, la proposition ne donne au gouvernement aucun pouvoir nouveau et, au fond, nous sommes d'accord, sauf en ce qui touche la réduction de taxe.

Il faudrait une autre combinaison que celle de cette réduction de taxe, notamment parce qu'elle ne peut se concilier avec les règles établies pour l'exploitation des chemins de fer repris des Bassins houillers.

Je répondrai maintenant à quelques questions qui m'ont été adressées par M. Pirmez.

L'honorable membre m'a demandé quelle est la situation des travaux du chemin de fer de Luttre à Bruxelles et si ce chemin de fer sera achevé dans le délai qui avait été prévu d'abord.

Messieurs, l'histoire de la construction de cette ligne est remplie d'incidents dont je vous ferai grâce, mais qui en ont retardé excessivement l'achèvement.

Ce chemin a été décrété en principe par une loi du 8 juillet 1865, et c'est seulement en 1867 qu'une adjudication fut annoncée pour sa construction par voie de concession ; elle n'eut aucun résultat. Le projet dut être remis sur le métier et, après qu'il eut subi de profondes modifications, l'exécution en fut remise à l'administration des ponts et chaussées, agissant directement pour le compte du trésor public.

Mais l'adoption définitive des tracés rencontra encore de nombreuses et sérieuses entraves ; les expropriations soulevèrent des difficultés exceptionnelles.

Des terrains dont on aurait dû pouvoir disposer immédiatement ne furent mis en la possession de l'Etat qu'après des procédures qui durèrent dix-huit mois. Le jugement rendu dans l'une des affaires ne fut prononcé qu'à la fin de l'année qui vient de s'écouler. Telle est la cause principale des retards que je signale, et c'est là une chose vraiment regrettable.

Comme le délai pour l'achèvement des travaux ne peut courir qu'à dater de l'ordre officiel de les commencer et que cet ordre ne pouvait être donné aussi longtemps que l'entrepreneur n'était pas en possession des terrains, l'époque d'achèvement dut être reculée au 1er avril 1873 pour la section de Braine-l'Alleud à Lillois et au 1er mai suivant pour les sections de Lillois à Nivelles et de Nivelles à Buzet.

La partie comprise entre Bruxelles et Braine-l'Alleud pourrait être mise en exploitation plus tôt ; toutefois une contestation a surgi entre l'entrepreneur et l'administration à l'occasion d'un viaduc à construire en prolongement de la rue Fonsny, à Saint-Gilles ; il y a lieu d'espérer que, si la difficulté s'aplanit, l'entreprise sera terminée pour le mois de juillet 1872.

L'honorable M. Pirmez m'a également demandé si le gouvernement, en n'approuvant que des plans de tronçons de lignes, n'a pas entravé la construction des chemins de fer que la société des Bassins houillers doit établir.

Messieurs, le gouvernement se garde bien d'entraver la construction des chemins de fer décrétés et que la Société Générale d'exploitation doit construire dans des délais déterminés.

. Mais l'administration est souvent saisie de nouveaux projets, dont l'examen exige un certain temps et dont l'étude a pour conséquence inévitable des retards dans la mise en train des travaux.

Quoi qu'il en soit, quant au chemin de fer de Châtelineau à Luttre, les plans en avaient été approuvés en 1868 et en 1869 pour la partie qui s'étend de Châtelineau à Gosselies, c'est-à-dire pour une longueur de plus de deux lieues. Quant au tracé proposé, pour la section de Gosselies à Luttre, plus courte que la première, il a donné lieu à des observations.

C'est seulement le 2 novembre dernier que la société a présenté de nouveaux plans. Ces plans sont soumis en ce moment à l'avis de l'ingénieur en chef. J'ai recommandé tout récemment encore de hâter l'examen auquel il doit naturellement se livrer. Je tiens ici le tableau des travaux à exécuter par la société des Bassins houillers du Hainaut. Il en résulte que la compagnie pourrait commencer ou poursuivre ses travaux sur un nombre considérable de points.

Je pourrais vous donner tous les détails de ce tableau, mais il est fort long.

Comme je l'ai dit, nous sommes d'accord sur la plupart des points traités par MM. Sainctelette et d'Andrimont. Ainsi nous avons adopté le système des trains de nuit, parce qu'il doit amener les meilleurs résultats. Mais l'axiome dont a parlé M. Sainctelette et d'après lequel on ne devrait jamais rencontrer, dans le jour, des trains de marchandises n'est pas complètement réalisable ; je crois même pouvoir dire qu'il y a erreur à supposer qu'il soit général en Angleterre. Peut-être est-il appliqué sur quelques grandes lignes en Angleterre ou ailleurs, mais à coup sûr il ne l'est pas sur toutes.

(page 315) J'en viens aux questions que l'honorable M. Le Hardy m'a posées dans la séance de samedi :

a Quelle solution, a-t-il dit, a été donnée à l'article de la convention du 23 avril 1870 avec les Bassins houillers, qui stipule que, dans les six mois, le gouvernement désignerait les lignes faisant double emploi et qui ne devraient pas être exécutées ? Quelles sont les lignes projetées qui ont été reconnues comme faisant double emploi ? »

M. Le Hardy trouvera la réponse à cette question dans le Moniteur du 2 décembre 1870, qui contient in extenso le texte d'un arrêté royal du 30 novembre précédent, réglant l'exécution des stipulations de la convention du 25 avril 1870 concernant le point signalé par l'honorable membre.

L'honorable M. Le Hardy demande, en second lieu :

« Quelles sont les lignes qui, en exécution de la même convention, sont en exécution et quel est leur état d'avancement ? »

Ainsi que je viens de le dire, je puis communiquer ce détail à l'honorable membre. Il est fourni par un tableau que j'ai dans les mains ; niais ce tableau est trop long. Je fatiguerais la Chambre en le lui lisant.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Mettez-le au Moniteur.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - J'y consens volontiers.

En troisième lieu, l'honorable M. Le Hardy a réclamé un tableau résumant, par ligne reprise par ladite convention :

« A. Les dépenses de réfection ou d'améliorations extraordinaires qui y ont été faites ;

« B. Les dépenses faites aux stations, gares ou évitements au moyen de la somme retenue, à cet effet, par le gouvernement par cette même convention ;

« C. Les augmentations apportées au matériel roulant et fixe des mêmes lignes. »

Quant à ces renseignements, il serait impossible de les donner à présent.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Fournissez-les au budget.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Je ne sais si je pourrai même vou, les donner alors, mais l'honorable membre les recevra dès que je les aurai recueillis.

La quatrième demande de l'honorable membre est ainsi conçue :

« Quelle solution a été donnée à la proposition faite par la compagnie de Manage-Wavre, pour épargner à l'Etat des complications possibles par suite de la construction de la ligne de Luttre à Bruxeles ? »

Aucune question n'ayant été positivement stipulée, il n'y avait pas, de solution à donner. L'administration exécute les travaux nécessaires, et si un préjudice est ou doit être causé à la compagnie de Manage-Wavre, il sera réparé.

Enfin, l'honorable M. Le Hardy a exprimé le désir de connaître « quel est l'état des travaux du chemin de fer de Bruxelles à Luttre ? » Je ferai observer à l'honorable membre que je viens de répondre à cette question.

J'attendrai la suite de la discussion pour répondre aux observations qui pourraient encore se produire, de même qu'à celles que je n'aurais pas rencontrées aujourd'hui. Je crois toutefois que, pour éviter de plus longs débats, on ferait bien d'attendre la discussion du budget des travaux publics pour présenter les observations qui n'ont pas directement rapport à l'objet qui fait en ce moment l'objet de vos délibérations.

J'aurai alors l'occasion de m'expliquer sur toutes les questions qui pourraient m'être adressées sur des points étrangers au projet de crédit qui vous est présenté.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère des affaires étrangères

Dépôt

M. Malou, ministre des finances. - J'ai l'honneur de présenter à la Chambre, d'après les ordres du Roi, une demande de crédit de 615,000 fr. pour la construction d'un bateau à vapeur.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de ce projet de loi.

M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - Je prierai la Chambre de vouloir bien ordonner qu'il soit fait un prompt rapport sur ce projet de loi. La Chambre comprendra qu'il faut un temps matériel assez long pour que le bateau à construire puisse être mis à la disposition du gouvernement. Il est donc urgent que le crédit soit voté pour que des mesures soient prises en vue d'obtenir ce résultat.

M. le président. - Je proposerai à la Chambre de renvoyer le projet de loi à la section centrale du budget des affaires étrangères.

- Adopté.


M. le président. - Voici, messieurs, comment le bureau a composé la commission chargée d'examiner la proposition de loi de M. Lelièvre. : MM. Thonissen, Van Overloop, Drubbel, Dupont et Guillery.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.