Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 20 janvier 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Tack, vice-premier président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 293) M. Reynaert fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Hagemans lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Reynaert présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des industriels à Ecaussines demandent une enquête publique sur toutes les questions qui intéressent l'exploitation des chemins de fer de Belgique et que la compagnie chargée de la faire soit composée de membres de la Chambre et de représentants du commerce et de l'industrie. »

« Même demande d'habitants de Nivelles. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du crédit de 12 millions et du rapport sur des pétitions identiques.


« Des secrétaires communaux dans l'arrondissement de Philippeville proposent des mesures pour améliorer la position des secrétaires communaux. »

M. de Baillet-Latour. - Je demanderai que cette requête soit renvoyée à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Des instituteurs et des membres de la société Hoop in de Toekomst, à Audenarde, prient la Chambre de voter le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de grande naturalisation des sieurs Marie-François-Charles et Marie-Denis-François Carpentier de Changy. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. Amédée Visart, retenu par l'état de santé de sa femme, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget de la dette publique

Dépôt

M. Malou, ministre des finances. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de présenter à la Chambre un projet de loi de crédit supplémentaire pour assurer le service de la dette publique de 1871.

La principale dépense résulte du vote de l'emprunt de 50 millions, qui n'était pas prévu lorsqu'on a voté le budget de 1871.

-La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet de loi et le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi allouant un crédit spécial de 12,080,000 francs au budget du ministère des travaux publics

Discussion générale

M. Malou, ministre des finances. - J'ai également l'honneur de déposer les tableaux statistiques relatifs au chemin de fer de l'Etat, dont j'ai fait une courte et incomplète analyse dans les observations que j'ai présentées hier.

Je demanderai a la Chambre si elle juge utile de fai.-«> imprimer ces tableaux.

- L'impression est ordonnée.

M. le président. - La parole est continuée à M. le ministre des finances

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, dans la séance d'hier, j'ai examiné successivement trois ordres de questions, les unes organiques ou législatives, les autres financières ; et, en troisième lieu, les questions relatives à l'exploitation du chemin de fer proprement dit.

Ces observations, messieurs, présentent deux lacunes que je vais combler, avant d'examiner la question d'enquête parlementaire, mixte ou autre, suivant l'une ou l'autre des variétés que l'honorable M. Pirmez a définies hier.

La première lacune se rapporte à l'amendement de l'honorable M. Sainctelette ; l'autre, à la question des tarifs du chemin de fer.

J'ai eu l'honneur de déclarer à la Chambre que dans certaines conditions, moyennant certaines conventions particulières, ou à raison de certaines circonstances spéciales, il pouvait être utile d'admettre les waggons des particuliers en service sur le chemin de fer de l'Etat, aussi bien que les waggons des compagnies.

Il s'agit de voir, en premier lieu, s'il est nécessaire et opportun d'établir ce principe par une loi, ou s'il vaut mieux, pour l'introduire, laisser toute latitude au gouvernement, en vertu des lois existantes.

Le régime légal est celui-ci : Le gouvernement, par délégation de la législature, règle les tarifs du chemin de fer. Or, quelle est la combinaison indiquée par l'honorable membre ? C'est de pouvoir obtenir ce qu'on appelle, en termes techniques, un tarif de traction.

Le péage qui se perçoit aujourd'hui se compose nécessairement de deux éléments : 1° l'intérêt, l'usure et l'amortissement du capital que l'Etat fournit ; 2" la rémunération de la dépense et du capital que l'Etat a dû débourser pour créer le chemin de et le matériel qui y circule. Il est donc parfaitement logique, lorsqu'on admet qu'un industriel ou une compagnie fournit elle-même ce matériel, que l'Etat fasse un tarif spécial ne représentant que le prix de la traction et le bénéfice légitime qui doit être ajouté à ce prix.

Si l'Etat peut aujourd'hui en vertu de la loi régler les tarifs, comme on l'a toujours fait, il peut aussi, a plus forte raison, admettre des tarifs de traction dans les circonstances et au prix qu'il juge convenable.

Il n'est donc pas besoin, selon moi, de conférer au gouvernement par la loi des pouvoirs nouveaux ; il tient déjà ces pouvoirs d'une loi générale ; mais il peut être dangereux de lui prescrire une règle légale ayant un caractère absolu et uniforme alors que, d'après la nature des choses, ces tarifs de traction doivent être appropriés aux circonstances, aux faits, aux conditions mêmes du contrat qui doit intervenir et notamment à cette condition de savoir si le matériel fourni par un industriel pourra être chargé pour le retour ou employé à un chargement pour une destination autre que celle de son point de départ.

Je pense donc qu'il est satisfait an désir de l'honorable membre et que le but de son amendement sera atteint par suite des intentions que, d'accord avec mon honorable collègue et ami, le ministre des travaux publics, j'ai exprimées hier et aujourd'hui à la Chambre.

Il m'a été donné tout à l'heure un renseignement assez curieux sur ce qui existe en Angleterre. Il y a dans ce peas un grand nombre de compagnies qui fournissent ainsi du matériel. Je vais lire, elle n'est pas très longue, la note qui m'a été donnée par le directeur général d'une grande exploitation libre en Belgique.

« En 1870, il existait en Angleterre quatorze Rolling stock companies ayant ensemble un capital de 2 1/2 millions sterling (62 1/2 millions de francs). Elles ne doivent guère posséder que 22,000 à 23,000 waggons, (page 294) soit un waggon par kilomètre de chemin existant. Elles louent principalement leur matériel aux sociétés de chemins de fer. En 1887, il y avait en Angleterre 23,000 kilomètres de chemins, desservis par 275,000 véhicules. »

Il existe donc en Angleterre une variante de l'idée de l'honorable M. Sainctelette : c'est la location à l'exploitant d'une ligne, pour en user comme bon lui semble, d'un matériel fourni par des compagnies particulières.

Cette forme-là, lorsqu'elle se présentera comme utile à l'exploitation, ne doit pas être exclue plus que les autres.

Si l'honorable membre désire d'autres explications, je suis prêt à les lui donner. Mais je lui demande - l'idée étant prise en considération, pouvant se réaliser sans une loi nouvelle, - s'il ne jugera pas opportun, sous le bénéfice de ces explications, de retirer la proposition qu'il a soumise à la Chambre.

Je tiens ici l'état de ces compagnies ; si d'honorables membres veulent en prendre connaissance, je le mets à leur disposition.

Je n'ajoute plus qu'un mot sur ce point. Il y a entre l'Etat et des compagnies dont il exploite tes lignes quelques conventions qu'il faut bien examiner avant de s'engager dans cette voie. Ainsi il faudrait peut-être un arrangement particulier avec la compagnie des Bassins houillère dont l’Etat exploite 607 kilomètres. Si, en effet, l'arrangement n'était pas commun à l'Etat et à la compagnie des Bassins houillère, elle pourrait se dire en droit de réclamer sa part de la totalité de la taxe légale, lorsque ces waggons parcourront les lignes qu'elle a fournies à l'exploitation de l'Etat. C'est encore une raison, ce me semble, pour laisser toute liberté de régler ces intérêts, qui peuvent être, dans certaines applications, assez complexes.

La question des tarifs a été laissée, pour ainsi dire, en dehors du débat actuel. Dieu merci, précédemment et probablement dans l'avenir, elle a été et elle sera encore beaucoup discutée. Je n'ai pas l'intention de la traiter d'une manière générale. Je tiens seulement - comme l'honorable M. Pirmez en a parlé hier - a bien établir quelles ont été la thèse et l'antithèse dans la polémique à laquelle j'ai pris part en 1867 et en 1868.

On avait introduit dans l'exploitation du chemin de fer de l'Etat, d'une manière trop absolue, selon moi, le principe de la réduction des taxes à la distance, d'abord pour les marchandises, en deuxième lieu pour les voyageurs, et l'on avait obstinément maintenu une surtaxe énorme pour les petits parcours, qui intéressait surtout l'industrie.

Il résultait de là deux conséquences : en premier lieu, que les industries qui étaient desservies par des chemins de fer particuliers, auxquels leurs cahiers des charges imposaient pour les petits transports des tarifs industriels beaucoup plus réduits, se trouvaient excessivement favorisés à l'égard d'autres industries qui étaient desserties exclusivement par le chemin de fer de l'Etat et qui supportaient, elles, cette surtaxe énorme sur les petits parcours.

Il en résultait aussi un affaiblissement considérable de la situation financière du chemin de fer de l'Etat, parce que ces réductions avaient été faites d'une manière systématique, générale, absolue, sans aucun égard à la valeur des objets transportés et à la possibilité qu'on croyait pouvoir trouver de développer le trafic, au moyen de ces réductions.

Je combattais ce système, non point quant à son principe, parce que le premier principe de l'exploitation est d'augmenter le trafic en même temps que la recette ; mais je le combattais dans ce qui me paraissait une exagération.

Quant aux petits parcours qui sont encore surtaxés, je me demandais, et c'est sur ce point seulement que j'appelais une enquête, qu'après avoir entendu tous les intérêts, on examinât si l'on ne procurerait pas à l'industrie un bienfait plus réel en diminuant les taxes qui grevaient les petits parcours, qu'en accordant quelques réductions sur les parcours plus étendus qui sont nécessairement les taxes pesant sur le produit fini.

Ainsi, pour me faire mieux comprendre, si pour tous les parcours qui grèvent la matière première qui entre dans la fabrication d'une tonne de rails, l'industriel est surtaxé et si vous lui faites, sur une tonne de rails, pour la transporter, par exemple, de Charleroi à Anvers, une réduction de 50 centimes, vous lui accordez un bienfait apparent ; mais ce bienfait serait plu réel et plus grand si vous aviez dégrevé les transports à petites distances, qui entrent pour une quantité considérable dans le prix de revient de la tonne à transporter.

Quoi qu'il en soit de la valeur du système, il y a des faits nouveaux qui devront amener l'Etat très prochainement à modifier, quant aux petits parcours, le système qui a été suivi jusqu'à présent.

Ainsi, l'Etat a repris, entre autres, un réseau industriel très considérable qui est connexe, qui s'enchevêtre dans le sien, aux environs de Charleroi, et ce réseau, comme le Grand-Central, a une taxe que j'appelle industrielle et réduite. Il est impossible qu'on maintienne, pour les petits parcours, les taxes primitives de l'Etat alors que sur les lignes parallèles connexes il existe un tarif industriel de faveur.

Ce serait dire que tous les transports passeront exclusivement par le réseau qui a été annexé à celui de l'Etat, et ce serait faire une situation intolérable à ceux qui ne sont pas desservis pas ce réseau nouveau. On arrivera nécessairement, par la force des choses, à égaliser, à équilibrer la position sans sacrifier les intérêts du chemin de fer de l'Etat et en étant juste et équitable envers tous les intéressés.

M. Balisaux. - Il faut réduire le droit fixe pour les petits parcours.

M. Malou, ministre des finances. - Evidemment, il faut au moins généraliser une taxe intermédiaire ou moyenne, c'est ce que j'indique comme devant être la conséquence de la mesure qu'il y aurait lieu de prendre.

- Un membre. - Il y a deux ans que cela devrait être fait.

M. Malou, ministre des finances. - Il y a deux ans que cela devrait être fait, dit-on. Je n'en sais rien, mais il y a deux ans je n'étais pas ici : j'émets mes idées aujourd'hui et je les crois justes.

M. Balisaux. - Le commerce de Charleroi a proposé cette mesure depuis plusieurs années.

M. Malou, ministre des finances. - Soit ! mais ce n'est pas depuis plusieurs années que la situation que je viens d'esquisser existe ; elle n'existe que depuis le 1er janvier de l'année dernière.

Messieurs, quant aux tarifs, je crois inutile d'en dire davantage.

J'arrive à la question d'enquête, qui a été soulevée par l'honorable M. Pirmez. En formant, hier matin, le cadre des observations que j'ai soumises à la Chambre, j'avoue que j'hésitais à parler de la question d'enquête.

Et pourquoi ? La commission d'industrie ne la propose pas ; personne dans cette Chambre jusqu'à présent ne l'a proposée.

Si nous devions la discuter à fond, il faudrait qu'elle eût au préalable une formule complète, claire, saisissable ; il faudrait qu'on sût quelle doit être la composition de la commission d'enquête, point sur lequel a déjà éclaté un dissentiment dès les premiers mots ; il faudrait également qu'on sût quel serait le mandat de la commission d'enquête, quel en serait le caractère, quelle en serait la durée, quel en serait l'objet réel.

Pour tout cela, nous nous trouvons encore aujourd'hui complètement dans le vague.

Messieurs, nous avons, dans l'histoire de nos chemins de fer, un antécédent sur lequel je dois attirer un instant l'attention de la Chambre.

En 1852, le chemin de fer, qui était loin de produire ce qu'il produit aujourd'hui, donnait lieu également à des plaintes excessivement nombreuses sur l'imperfection du service, de l'outillage et de tout ce qui constitue une administration réellement utile et complète. On demandait, à cette époque, l'enquête parlementaire. Le gouvernement, représenté au ministère des travaux publics par l'honorable M. Van Hoorebeke, y résista d'abord ; mais il finit par consentir à la nomination d'une commission purement consultative et il l'établit au mois de mars 1853.

Cette commission parement consultative se composait de seize membres. Si y avait onze représentants, deux sénateurs, un industriel, deux anciens représentants, et enfin, sans doute, pour qu'il y eût une représentation quelconque de l'administration, l'honorable M. Masui, directeur général du chemin de fer de l'Etat. C'était l'accusé qu'on associait à presque tous les accusateurs.

Cette commission, installée par l'honorable ministre des travaux publics, se mit immédiatement à délibérer et, sur la proposition d'un de ses membres, de consultative qu'elle était en vertu de l'arrêté royal, elle s'érigea en commission administrative et impérative. Je tiens ici les procès-verbaux de cette commission et le membre qui demande la parole aussitôt que la commission vient de nommer son président déclare ceci :

« Dans son opinion, ce que le public attend du conseil, c'est une investigation complète de toutes les branches de l'administration de nos voies ferrées, tant au point de vue des dépenses qu'à celui des recettes. Il pense que c'est là aussi la signification que la Chambre a attachée à la déclaration du gouvernement au sujet de l'institution d'un conseil des chemins de fer, déclaration qui a amené le retrait de la proposition d'enquête formulée lors de la dernière discussion du budget des travaux publics. »

L'origine de la commission consultative qui, de son autorité et dès le premier jour, se transformait ainsi, était une demande d'enquête parlementaire à laquelle la Chambre n'avait pas donné suite.

Cette commission se mit à l'œuvre. Elle se divisa en sous-commissions, s'empara de tous les détails de l'administration du chemin de fer, se (page 295) substitua partout, non sans utilité, je veux bien le reconnaître, mais complètement, et à l'action ministérielle et à l'action administrative, en ce qui concerne le chemin de fer de l'Etat. Elle discuta absolument tout, à tel point que dans ce volume vous trouveriez une dissertation sur le point de savoir, si, dans certains organes des locomotives, les boulons doivent avoir la tête ronde ou carrée.

Je crois me souvenir que les têtes carrées l'ont emporté dans ce moment-là. (Interruption.)

Messieurs, tels furent les résultats de cet encommissionnement temporaire des chemins de fer.

Dès 1854 (séance du 12 mai), un honorable membre de cette Chambre, dont j'ai toujours été l'adversaire politique et dont j'ai toujours honoré le caractère et admiré le talent, l'honorable M. Devaux s'expliquait en ces termes, sur la situation faite au chemin de fer de l'Etat par la création de cette commission consultative.

« Il me paraît incontestable qu'une pareille institution aura ce double effet. En premier lieu, elle absorbera la responsabilité des subalternes du ministre. La commission, et c'est, je pense, ce qui arrive déjà, travaillera directement avec les subalternes qui, passant par-dessus la tête du ministre, s'adresseront directement à la commission pour lui faire adopter leurs idées sans que le ministre les contrôle. Jusqu'à présent le ministre, quand il présente des crédits, les débattait avec ses subalternes. Si leurs demandes paraissaient excessives, il les forçait à les réduire, et en était toujours maître, puisque c'était lui qui soutenait les crédits devant la Chambre.

« Mais comment pourra-t-il réduire les demandes faites par une commission composée des hommes qui s'occupent le plus spécialement de la matière dans les Chambres ? Ces hommes, il faut qu'il subisse leur avis, sous peine de les rencontrer comme adversaires dans les Chambres.

« En second lieu la commission paralysera le contrôle de la Chambre, parce qu'elle se composera naturellement des hommes qui s'occupent le plus de ces matières, de ceux qui, dans la Chambre, y exercent le plus d'influence, y sont naturellement appelés à faire partie des commissions ou de la section centrale, et ainsi ils se contrôleront eux-mêmes, et le véritable contrôle parlementaire sera annulé.

« Messieurs, supposez un instant à côté de chaque ministre une commission composée des hommes parlementaires qui ont le plus d'autorité à la Chambre dans les matières ressortissant à son département, tout le contrôle des Chambres sur l'administration devient illusoire. Le prétendu gouvernement parlementaire aboutit ainsi, comme le pouvoir absolu, à une administration sans contrôle.

« Si on veut des abus, si on veut des dépenses excessives, on ne peut rien faire de mieux que d'enlever au ministre et à ses agents leur responsabilité et aux Chambres leur surveillance. »

Dans la même séance l'honorable M. Frère-Orban disait :

« J'ai déjà eu l'occasion, dans la discussion du crédit supplémentaire que vous avez voté il y a deux jours, d'exprimer mon opinion sur le système qu'on veut appliquer à l'administration du département des travaux publics, en ce qui concerne les chemins de fer. Les principes qu'on a mis en avant à ce sujet peuvent avoir des conséquences tellement graves à mes yeux, ils peuvent compromettre à ce point les principes les plus essentiels du gouvernement que j'ai cru devoir les combattre, avec la conviction que, s'ils venaient à prévaloir, il n'y aurait qu'un seul moyen d'échapper à la situation déplorable où l'on se trouverait : ce serait d'aliéner immédiatement le chemin de fer de l'Etat. Ces principes sont, à mes yeux, plus graves que le fond même du projet ; que la question de savoir si l'on allouera ou si l'on n'allouera pas immédiatement neuf millions au département des travaux publics.

« Il y a eu une tentative d'envahissement de la part d'une fraction de la Chambre sur le pouvoir exécutif. Cette commission parlementaire qui a été instituée tend, en effet, à absorber complètement le ministre. Il est inutile de faire des conjectures, de se livrer à des suppositions sur ce qui arrivera dans l'avenir, il suffit de citer les faits pour se convaincre que, dès ce moment, ii n'y a plus de ministre des travaux publics ; il y a une commission qui dirige, une commission prétendue consultative qui fait de l'organisation aux travaux publics ; qui prend l'initiative des dépenses au département des travaux publics ; qui les impose au ministre des travaux publics.

« C'est la situation actuelle. »

Ces deux citations me paraissent suffire ; j'en avais une troisième, c'était mon opinion, mais je crois inutile de la reproduire, elle concorde parfaitement avec les deux autres.

La commission consultative, devenue un pouvoir exécutif réel, s'était substituée complètement au ministre des travaux publics ; elle disparut par le vote d'un amendement présenté en 1856 par l'honorable M. Frère-Orban.

Si l'on fut divisé dans la Chambre, ce n'était nullement sur le point de savoir s'il fallait mettre un terme à cet état de choses, niais sur la manière d'y mettre un terme.

Ainsi, après avoir relu les débats, je puis dire qu'il y avait unanimité dans la Chambre, sauf, naturellement, les membres de la commission, pour faire en leur honneur un enterrement de première classe. (Interruption.)

Si la commission d'enquête indiquée aujourd'hui était instituée, la nature des choses ne serait pas changée ; la position serait la même qu'alors ; l'on aurait, comme le disait M. Devaux, supprimé tout à la fois la responsabilité ministérielle et la vérité du contrôle parlementaire.

Vous n'auriez plus à exercer vos pouvoirs comme la Constitution vous les confère, vous les auriez délégués à quelques-uns d'entre vous.

Messieurs, je ne comprends point ce que l'on veut sérieusement par l'institution d'une commission.

S'agit-il d'entraver la responsabilité du ministre ? Non, messieurs, il faut, dit-on, que la responsabilité ministérielle demeure entière.

Personne dans cette Chambre ne peut accepter la position de donner au ministre des conseils, des avis, et de laisser le ministre complètement libre, C’est une position insoutenable, impossible.

Votre commission, si elle existe, doit exister avec un mandat ; elle doit avoir le pouvoir de produire de l'effet, et plus elle produira d'effet, moins il y aura de responsabilité ministérielle. Si elle ne doit pas produire d'effet, pourquoi l'institueriez-vous ?

S'agit-il de faire une commission mixte qui doive examiner ce qui a été fait, qui doive remplir le rôle d'un juge d'instruction collectif et juger si, à quelle époque et dans quelle mesure, des ministres passés ou des administrateurs ont pu commettre des fautes ?

Pour rechercher ce qui a été fait, ou ce qui ne l'a pas, ce qui a été négligé, une commission peut à peine prendre au sérieux son mandat et néanmoins, quoi qu’on dise, la responsabilité et l’action du gouvernement se trouveront nécessairement plus ou moins paralysées. Pendant ces débats stériles, indéfiniment prolongés, l’industrie et le commerce diront comme l’enfant de la fable :

« … Tire-moi du danger,

« Tu feras après ta harangue. »

La commission, telle qu'elle constituée, peut-elle faire une ou plusieurs des choses que j'ai indiquées comme devant, dans ma conviction, être faites, par le concours simultané du gouvernement et des Chambres ? Vous allez instituer une commission de huit ou dix membres de la Chambre - le Sénat en étant nécessairement exclu - et d’un certain nombre d'industriels ; ou composée seulement de membres de la Chambre.

Cette commission aura à s'occuper à la fois de toutes les questions que j'ai signalées hier. Mais, messieurs, évidemment lorsqu'on a mis en avant l’idée d'une commission d'enquête et qu'on a proposé d'y mettre, sinon un nombre égal, au moins un grand nombre d'industriels, on entendait bien que la commission aurait eu à rechercher dans le passé ce qui avait été mal ou incomplètement fait, pour indiquer an gouvernement ce qui lui reste à faire. Si elle n'a pas ce but, je demande qu'on définisse quel mandat elle aura.

Nous devons rester et il est de l'intérêt non seulement des chemins de fer, mais du gouvernement et des Chambres que nous restions d'une manière complète dans la vérité des principes constitutionnels. Ainsi pour les questions organiques relatives à la comptabilité du chemin de fer, le gouvernement peut parfaitement, sans qu'il y ait d'enquête, nommer une commission spéciale instituée précisément en vue de l'objet de sa mission et qui préparerait un projet de loi.

De même pour les questions de législation civile ou commerciale, une autre commission, composée d'éléments différents bien choisis, peut utilement fonctionner.

La Chambre a le droit de prendre cette initiative à défaut de l'action du gouvernement, mais n'allons pas introduire dans nos institutions ce rouage nouveau de commissions d'enquête irresponsables, instituées pour un but multiple qu'il leur sera impossible d'atteindre jamais.

L'enquête peut-elle porter sur ce qu'il faut à l'exploitation, sur la quantité de matériel, sur la quantité de voies de garage, sur les améliorations à faire aux stations. Mais pourquoi alors nommeriez-vous exclusivement des membres de la Chambre et des industriels ? il y a là des questions techniques, des choses que les exploitants de chemins de fer peuvent seuls bien déterminer : il y a plus : c'est l'administration elle-même qui doit pouvoir déterminer et juger cela, et c’est à ce point de vue que je vous ai (page 296) entretenus hier d'une idée qui m'est commune avec mon honorable collègue dès travaux publics.

Cet idée consiste à exiger de l'administration des chemins de fer, avant là fin de la présente session, un état portant à la fois sur les prévisions de recettes probables et sur les dépenses qui doivent successivement être faites pour pouvoir atteindre et même dépasser cette progression dés recettes probables.

Voilà quelque chose de pratique, de tangible et qui s'exécutera. Une enquêté, où vous remet-elle ? Vous aurez beau dire et constituer votre commission d'enquête comme vous voulez, il est évident qu'à moins de faire une plaisanterie législative, M. le ministre des travaux publics ne pourra pas faire ce que je viens d'indiquer là et qui vous mène promptement à une bonne et complète solution. L'enquête, au contraire, vous remet indéfiniment et vous ne pourrez pas obtenir le résultat en vue duquel l'enquête même serait instituée.

L'enquête est instituée, je le suppose ; la commission existe ; on se plaint. Le gouvernement dira : Je ne puis pas préjuger ce que la commission proposera ou indiquera ; plaignez-vous de la commission et de ses lenteurs ; demandez-lui qu'elle achève son mandat.

Ce serait là, pour tous les intérêts engagés dans cette question, un danger très grave sur lequel je crois devoir appeler l'attention de la Chambre.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Ce serait aussi deux ou trois ans de retard.

M. Malou, ministre des finances. - En restant dans le système que j'ai esquissé tout à l'heure, tous les pouvoirs demeurent intacts ; toutes les responsabilités restent entières. C'est là, messieurs, ce qui me fait repousser, sous quelque forme qu'elle se produise, la commission d'enquête, telle qu'elle a été préconisée.

Je le comprends ; elle a été préconisée parce que, dans un moment d'embarras très grave - qu'il faut tâcher de prévenir à l'avenir - on a cru que ce serait la guérison de tous les maux dont on souffrait.

Je n'hésite pas à le prédire : si la commission était instituée, il n'y aurait rien d'amélioré ; on n'aurait qu'un embarras et qu'un danger de plus.

En restant au contraire dans la vérité des principes, en laissant au gouvernement toute sa responsabilité, à la Chambre, sans délégation aucune, tout son contrôle, on aura le droit de demander au gouvernement compte non seulement de tous ses actes, mais on pourrait aussi lui demander compte de son inertie.

La Chambre elle-même conservera tous ses droits pour forcer le gouvernement, s'il ne le faisait pas, à améliorer d'une manière sérieuse et complète cette grande entreprise nationale.

Organisons donc complètement le chemin de fer, pourvoyons-le du matériel et des installations nécessaires pour le maintenir dans la voie de prospérité où il est entré.

Il y a là, messieurs, non seulement une question d'intérêt public, mais pour nous, qui avons pris une glorieuse initiative sur le continent, par notre entreprise de chemins de fer de l'Etat, il y a une question d'honneur national.

M. Jamar. - La déclaration de principe par laquelle l'honorable ministre des finances a commencé son discours dans la séance d'hier, a été accueillie avec une grande faveur sur tous les bancs de cette Chambre.

L'excellence de l'exploitation des chemins de fer par l'Etat, affirmée énergiquement par l'honorable M. Malou, nous fait bien augurer du résultat des négociations qui pourront s'engager pour l'exploitation par l’Etat de lignes nouvelles à ajouter à son réseau.

L'honorable ministre des finances nous a fait ensuite la critique de la marche suivie en beaucoup de points par l'administration des chemins de fer. Il nous a montré les entraves qu'apportent à la marche des divers services les lois de comptabilité ; il a critiqué l'absence d'inventaires et de bilans ; il a montré combien était défectueuse la législation qui règle les rapports de l'Etat se faisant entrepreneur de transports. L'honorable M. Malou nous a montré les abus à déraciner, les améliorations utiles à introduire, en un mot, l'idéal à atteindre.

L'honorable ministre a fait ce tableau avec une chaleur qui nous a d'autant plus enchanté que l'honorable M. Malou peut mettre au service de ses idées sa grande intelligence, son aptitude incontestable dans cette matière et la légitime autorité qu'il exerce au sein du gouvernement et des Chambres.

Mais je lui prédis que ce ne sera pas trop de tous ces éléments pour aboutir à la réalisation de ses espérances et des réformes qu'il médite.

Je l'attends à l'œuvre, mais je lui promets sincèrement que je serai le premier à ne lui marchander ni les éloges ni mon concours pour toutes les mesures propres à améliorer, avec l'organisation de l'administration actuelle, l'exploitation de nos chemins de fer.

En dehors, messieurs, de la question de l'enquête au sujet de laquelle je partage les idées émises par mon honorable ami M. Pirmez, tout le reste du discours de l'honorable ministre des finances a été la glorification des résultats obtenus par le trésor public de l'exploitation des chemins de fer pendant les derniers exercices.

L'honorable ministre des finances a supputé, avec tout l'intérêt qu'un ministre des finances peut prendre à ce travail, quel serait le produit net que le trésor encaissera pour l'exercice 1871.

Ce sera 20 millions pour sûr.

Un boni de 20 millions !

Qui l'eût osé rêver et comment ne pas s'émerveiller avec M. Malou de ce magnifique résultat ?

Ce ne sera certes pas moi qui serai le dernier à partager son enthousiasme.

J'ai éprouvé, en écoutant l'honorable ministre des finances, une indicible satisfaction.

C'était, messieurs, la cause de la réforme des tarifs gagnée et, par une singulière ironie du sort, c'était l'honorable M. Malou, devenu ministre des finances, qui prononçait la sentence, si différente, du reste, du jugement qu'il prononçait en 1869.

J'ai relu hier soir, avec un sentiment que l'honorable ministre est trop intelligent pour ne pas comprendre et trop bienveillant pour ne pas pardonner, cette brochure qui fit ici une si vive sensation lorsqu'elle parut : Etude statistique d'une expérimentation, par J. Malou, sénateur.

J'ai relu surtout le chapitre 13 : La prophétie des bonis. C'est étincelant d'esprit et de verve à mes dépens et à ceux de l'honorable M. Vanderstichelen. On m'y raille avec une bonhomie charmante de la confiance que j'ai dans les résultats de la réforme. On m'invite à ne pas engager ma barque dans le sillage de celle de l'honorable M. Vanderstichelen, qui doit me conduire à un naufrage certain, et l'on affirma nettement que l'espoir d'une notable augmentation de produit net, par l'accroissement dés recettes brutes, est chimérique et irréalisable. Et nous avons 20 millions de produit net en 1871. Et depuis 1868 l'accroissement du produit net par l'augmentation des recettes brutes a été sans cesse grandissant.

Faisons, si vous le voulez, la part la plus large au trafic exceptionnel qu'ont amené les circonstances exceptionnelles, et ce qui reste encore de boni en 1871 suffit à démontrer que toutes les attaques dirigées contre M. Vanderstichelen et contre moi étaient irréfléchies et passionnées.

Il reste avéré que lorsque, temporairement, les recettes du chemin de fer ont fléchi, ces réformes auxquelles tout le monde avait applaudi ont paru aux habiles un thème favorable d'opposition et l'on a pris alors, avec passion, la défense du trésor public contre ces naïfs et imprudents expérimentateurs, comme l'honorable M. Malou avait tant de plaisir à nous appeler.

De toutes ces attaques, de tout ce bruit, que reste-t-il ? Rien.

Je me trompe, il reste un mot : le dernier trait que M. Malou nous a lancé dans son discours d'hier.

S'occupant des réclamations des industriels : Il est étrange, disait-il, qu'on veuille être servi comme aux Frères provençaux avec des tarifs de gargote.

Tarifs de gargote ! Eh bien, sotl ; le mot peut être un peu douteux, mais l'image n'a rien qui me déplaise.

Le barème antérieur au 1er mai 1866, dont vous êtes si épris, interdisait aux classes laborieuses l'accès du chemin de fer au delà d'un rayon très restreint, 30 ou 40 kilomètres.

Nos tarifs de gargote ont fait du chemin de fer sur toute son étendue la maison du pauvre aussi bien que celle du riche.

Vous avez mis bon ordre à tout cela ; vous avez fermé la porte de la gargote, sans souci des pauvres gens qui, devant aller à 25 ou 30 lieues de leur demeure, n'ont pas la bourse assez bien garnie pour payer les 15 francs que vous leur réclamez aujourd'hui au lieu des 5 francs que nous leur demandions.

Ces tarifs de gargote, pour le transport des marchandises, que vous avez critiqués avec tant de vivacité, auxquels vous n'avez pas osé toucher et que vous n'oserez modifier que pour y apporter les réductions que nous avions promises, ont développé la production industrielle et l'accroissement du trafic dans une proportion que j'indiquerai tout à l'heure.

Ils ont eu ainsi la plus heureuse influence non seulement sur la fortune des chefs d'industrie, mais sur la condition matérielle des ouvriers, dont le travail a été plus assuré et dont le salaire s'est élevé.

(page 297) Ces résultats incontestables, acquis, que l'honorable M. Malou constate lui-même à cette tribune, sont l'honneur du parti libéral, qui est entré le premier résolument dans cette voie, dans laquelle nous avons persévéré malgré vos attaques passionnées, parce que ces tarifs de gargote étaient pour nous des tarifs démocratiques dans le grand et le vrai sens du mot et devaient avoir la plus heureuse influence sur la condition morale et matérielle du peuple.

Après les discours prononcés par les honorables MM. Sainctelette, d'Andrimont et Pirmez, j'eusse voulu, messieurs, ne pas prendre part à cette discussion et me borner à prêter au gouvernement le concours qu'il sollicite pour mettre le commerce et l'industrie à l'abri des conséquences fâcheuses qu'engendre la pénurie du matériel. Mais les récriminations de l'honorable M. Wasseige contre ses prédécesseurs ne me permettent pas de garder le silence.

Je regrette pour l'honorable M. Wasseige l'attitude qu'il a prise et je pense qu'après les explications que je vais avoir l'honneur de donner à la Chambre, les amis de l'honorable membre partageront ces regrets.

La question qui nous occupe, messieurs, a déjà fait l'objet de vos délibérations. Des discussions ont surgi à la suite d'interpellations que l'honorable M. Sainctelette a rappelées, des crédits ont été sollicités par le gouvernement et votés par les Chambres et, ni dans ses discours, ni dans aucun document fourni à la Chambre, l'honorable M. Wasseige n'a pris à partie l'administration libérale.

Je pense cependant que s'il avait des griefs à faire valoir, des accusations à formuler, c'était dans cette enceinte, où l'ancienne administration était représentée, où elle pouvait se défendre, que les convenances les plus élémentaires lui faisaient un devoir de les présenter.

L'honorable membre n'en a point pensé ainsi.

C'est dans une audience accordée le 12 novembre dernier à un délégué des chambres de commerce, des comités industriels et commerciaux du royaume, que pour la première fois l'honorable M. Wasseige chercha à faire peser sur nous une part de la responsabilité de la situation contre laquelle ces délégués protestaient. Comprenant sans doute ce que cette attitude avait d'insolite, l'honorable M. Wasseige reproduisit ses observations trois jours plus tard, au Sénat, en réponse à une interpellation de M, Tercelin.

Voici comment il s'exprimait :

« J'ai indiqué une troisième cause générale de l'insuffisance de nos moyens d'action ; cette cause, c'est le temps d'arrêt qui s'est produit dans l'aménagement du chemin de fer. Je n'incrimine personne, car toute récrimination serait de mauvais goût en ce moment et nous avons besoin de toute notre énergie et du concours de tous pour parer à la fâcheuse situation qui nous est faite.

« Je fais ce que je puis et je le prouve. Après 1866, à la suite d'une crise commerciale intense, il y a eu une diminution du produit des chemins de fer et des autres ressources de l'Etat ; il a fallu faire, à tout prix, des économies pour maintenir nos budgets en équilibre. On a supprimé un nombre considérable de trains et cela malgré l'opposition des fonctionnaires les plus autorisés.

« On a renoncé à une partie du service de nuit, qui nous serait si utile aujourd'hui pour tirer une meilleure utilisation du matériel ; on a réduit ou plutôt on n'a pas augmenté le personnel alors que son insuffisance était parfaitement démontrée. Ainsi, actuellement, le personnel est surmené, exténué ; des fonctionnaires distingués, sur lesquels j'aurais dû pouvoir compter, sont en congé pour cause de maladie, et notre personnel inférieur reste pendant 14 et 15 heures consécutives en service. Ce personnel, on ne le refait pas aussi vite qu'on peut le croire ; il faut, au contraire, longtemps pour le créer et l'organiser.

« En outre, on a ajourné les travaux d'extension des lignes et les nouvelles installations à faire. On a dû même aller plus loin encore, et M. Tercelin, si compétent dans ces questions d'intérêt industriel et commercial, doit se rappeler qu'en 1868 le gouvernement a été obligé de relever les tarifs des marchandises.

« Voilà, messieurs, la situation dans laquelle je me suis trouvé : je suis arrivé au moment où une guerre imprévue venait d'être déclarée, alors que toute espèce d'amélioration avait été ajournée sur nos chemins de fer et alors surtout que rien ne pouvait faire prévoir le trafic extraordinaire qui a suivi la crise et qui s'est développé dans notre pays à cause de l'affluence à Anvers de toutes les marchandises qu'y envoyaient la France et l'Allemagne. »

L'honorable M. Wasseige a reproduit une partie de ces explications dans la séance d'avant-hier, en supprimant, toutefois, le passage relatif à l'arrêté du 2 janvier 1868 touchant le relèvement des tarifs de marchandises.

Je l'approuve, au reste, d'avoir supprimé cette partie de son discours, car je n'ai pu trouver aucun lien entre l'arrêté royal du 2 janvier 1868 et la pénurie du matériel.

Ainsi, messieurs, les fautes de l'honorable M. Vanderstichelen et les miennes sont l'une des trois causes générales de la crise des transports qui sévit si cruellement aujourd'hui.

L'honorable M. Wasseige, à la vérité, veut bien nous accorder le bénéfice de circonstances atténuantes : la nécessité de faire à tout prix, après 1866, des économies pour maintenir l'équilibre des budgets.

On a donc ajourné toute espèce d'amélioration sur nos chemins de fer, dont l'aménagement a été sacrifié, et ni le personnel, ni le matériel n'ont été maintenus à la hauteur des exigences nouvelles du trafic. Aussi quand le développement extraordinaire des transports qui a suivi la conclusion de la paix s'est produit, l'honorable M. Wasseige s'est trouvé dans une situation détestable que lui avaient léguée ses prédécesseurs.

Voilà ce qu'a affirmé sérieusement au Sénat et à la Chambre le ministre qui depuis 15 mois dirigeait le département des travaux publics, le représentant qui depuis tant d'années a pris part à la discussion et au vote des budgets des travaux publics et des crédits spéciaux destinés au développement de nos voies ferrées.

En vérité, messieurs, je m'étonne qu'une simple réflexion n'ait pas empêché M. Wasseige de tenir un pareil langage. Je ne sache pas que rien d'analogue à ce qui s'est produit en 1871 se soit passé dans les dernières années de l'administration libérale.

L'administration des chemins de fer de l'Etat, j'ose le dire, était l'une des plus populaires du pays, en raison même de ses efforts incessants pour perfectionner ce merveilleux instrument de la prospérité publique, en raison surtout des efforts faits pour concilier les intérêts du chemin de fer et ceux du commerce et de l'industrie, par des tarifs qui faisaient produire au chemin de fer toute l'utilité possible, qui sont l'honneur du parti libéral et auxquels, quoi qu'en ait dit l'honorable M. Wasseige dans un banquet mémorable, l'avenir appartient.

L'honorable M. Wasseige, il est vrai, conteste les faits que j'avance, avec une légèreté bien étrange de la part d'un homme qui devait connaître les chiffres dont, à mon grand regret, il faut bien que je cite les principaux à la Chambre pour montrer la valeur des accusations de M. Wasseige.

C'est en 1864 que des réformes importantes, introduites dans le tarif des marchandises, amenèrent sur nos chemins de fer un accroissement de tonnage des grosses marchandises qui, pour les sept derniers mois de 1861, ne s'éleva pas à moins de 525,000 tonnes, ce qui représenterait pour douze mois un accroissement de 900,000 tonnes, c'est-à-dire l'équivalent de l'accroissement moyen de trois années réunies.

Mais, messieurs, ces réformes eussent été pour l'industrie un présent fatal, si le gouvernement n'avait mis les moyens d'exploitation à la hauteur des nécessités nouvelles que l'accroissement de trafic allait faire naître.

On n'eût fait que créer ces encombrements funestes qui ont failli paralyser dans ces derniers temps la vie commerciale et industrielle du pays.

Avons-nous, messieurs, commis cette faute, comme l'affirme l'honorable M. Wasseige, sans apporter aucune preuve, sans citer aucun fait à l'appui de cette accusation dont quelques chiffres vont vous démontrer l'étrangeté.

Les comptes définitifs des budgets de 1864 à 1869 ayant été arrêtés, c'est dans ces comptes que je puise les chiffres relatifs à ces divers budgets.

De 1861 à 1869, le budget général des travaux publics s'élève successivement de 29,141,024 francs à 41,522,032. Voici les chiffres de ces six budgets :

1864, fr. 29,141,024

1865, fr. 31,504,380

1866, fr. 36,271,967

1867, fr. 39,438,017

1868, fr. 40,354,447

1869, fr. 41,552,022

Où sont donc ces économies qu'après 1866, selon M. Wasseige, nous avons réalisées à tout prix en désorganisant nos chemins de fer pour maintenir nos budgets en équilibre ? De 1866 à 1867, au contraire, nous dépensons 3 millions 200 mille francs de plus, uniquement pour le chemin de fer. Voici, en effet, d'après les comptes, les sommes dépensées pour le chemin de fer :

1864, fr. 16,525,948

1865, fr. 18,142,820

1866, fr. 21,907,025

1867, fr. 24,660,451

1868, fr. 24,051,740

1869, fr. 25,889,427.

(page 298) Ainsi, de 1864 à 1869, l'accroissement des dépenses annuelles est de 8,500,000 francs, c'est-à-dire de 50 p. c. en plus, bien que l'étendue des lignes exploitées ne se soit accrue que de 18 p. c.

Quant aux dépenses pour l'entretien, la réparation et le renouvellement du matériel, de 2,620,000 francs en 1866, elles atteignent 4,728,000 francs en 1869.

L'accroissement annuel est intéressant à suivre. En voici les chiffres :

1864, fr. 2,620,000

1865, fr. 2,843,500

1866, fr. 3,196,000

1867, fr. 3,813,800

1868, fr. 4,175,800

1869, 4,728,800

Je dis que ces chiffres sont intéressants, parce que si on les rapproche de la part annuelle de l'Etat dans le produit des chemins de fer et du tonnage des marchandises transportées pendant cette même période, on voit le matériel se développer dans une proportion supérieure à celle du produit et du tonnage, dont je donnerai les chiffres aux Annales parlementaires pour ne point fatiguer la bienveillante attention de l'assemblée. [Inséré en note de bas de page et non repris dans la présente version numérisée.]

On voit, par la progression des dépenses annuelles, que l'Etat ne recule devant aucun sacrifice pour assurer la bonne marche du chemin de fer, devenu l'un des plus importants de nos services publics. S'est-on montre plus parcimonieux dans les dépenses pour le parachèvement des travaux de notre railway et pour l'exécution de travaux nouveaux dont l'utilité était reconnue ?

A en croire l'honorable M. Wasseige, on n'a plus rien fait depuis 1866. Voici, messieurs, la nomenclature des lois ouvrant des crédits spéciaux au département des travaux publics pour les travaux de cette nature :

Loi du 14 septembre 1864, 2,000,000 fr.

Loi du 8 juillet 1865, 34,700,000 fr.

Loi du 31 mars 1868, 3,850,000 fr.

Loi du 5 juin 1868, 1,460,000 fr.

Loi du 12 juin 1869, 4,000,000 fr.

Loi du 30 juin 1869, 1,500,000 fr.

Loi du 3 juin 1870, 4,600,000 fr.

Enfin, messieurs, 18,650,000 francs de crédits spéciaux sont consacrés à l'extension du matériel de transport par les lois suivantes :

Loi du 14 septembre 1864, 4,000,000 fr.

Loi du 30 décembre 1864, 2,000,000 fr.

Loi du 15 février 1866, 10,000,000 fr.

Loi du 11 mai 1866, 150,000 fr.

Loi du 19 mars 1869, 1,000,000 fr.

Loi du 3 juin 1870, 1,500,000 fr.

Ainsi en six années l'administration libérale consacre 71 millions de crédits spéciaux au développement de nos voies ferrées, à l'érection de stations nouvelles ou à l'agrandissement, et au parachèvement de stations anciennes, enfin à l'extension du matériel de transport.

Ainsi au 31 décembre 1869, l'Etat belge possédait pour le transport des marchandises 9,500 waggons d'une capacité de plus de 85,000 tonnes. Ses expéditions effectuées en 1869 étant de 7,248,804 tonnes, on voit que 80 jours d'utilisation de ce matériel permettaient l'enlèvement de tout ce tonnage.

Au surplus, aucune administration de chemin de fer n'avait, en 1869, un matériel de transport de marchandises aussi considérable que celui de l'Etat belge.

Nous possédions, en effet, par kilomètre de route 11 voitures à marchandises.

Le Grand-Central en avait 7.65

Le Nord français, 10.9

L'Est français, 7.11

L'Ouest, 4.7

La compagnie de Lyon à la Méditerranée, 10.1

La société d'Orléans, 3.3

Le Midi, 5.13

Et pour les lignes d'Allemagne la moyenne ne dépassait pas 7.

Quant au transport des voyageurs, dont je ne dirai que quelques mots, ce qui s'est passé au mois de septembre 1869 indique suffisamment la situation de ce service.

Avec un personnel que l'honorable M. Wasseige représente comme insuffisant, avec des ressources hors de proportion, selon lui, avec les nécessités du service, nous transportons 200,000 voyageurs en 48 heures. Du 27 au 29 septembre, nous organisons 130 trains spéciaux qui transportent à Bruxelles et ramènent dans leurs garnisons 35 mille hommes de troupes avec leur matériel de campagne, en même temps que soixante et dix trains spéciaux, en dehors du service ordinaire de la route, transportaient les 100 mille voyageurs que les fêtes de septembre 1869 amenaient à Bruxelles. Ce mouvement absolument exceptionnel dans les fastes de nos chemins de fer n'occasionnait aucun accident.

Voilà, messieurs, l'histoire économique vraie des six dernières années de notre administration. Nul, je dois le dire, ne lui a rendu, à une certaine heure, une plus éclatante justice que l'honorable M. Wasseige.

Quelques mois après son entrée au département, et pour obéir aux prescriptions de la loi du 1er mai 1834, l'honorable membre vous a présenté le compte rendu des opérations du chemin de fer pendant l'exercice 1869. Après avoir constaté la situation des divers services, la marche irréprochable de l'exploitation, les ressources que lui léguait l'administration précédente, l'honorable M. Wasseige, dans un accès de lyrisme, s'exprime ainsi dans la préface de ce rapport :

« Les pages suivantes mettront les Chambres législatives à même d'apprécier les efforts faits, ainsi que les résultats obtenus par cette vaste entreprise, qui est devenue, pour la Belgique, un des principaux titres à la considération du monde. »

Et l'honorable M. Wasseige terminait en ces termes la conclusion de ce travail :

« L'administration nouvelle s'engage, dès maintenant, à faire tout ce qui sera en son pouvoir pour que la magnifique entreprise du railway national belge continue à marcher d'un pas ferme et assuré dans la voie d'un progrès solide et d'améliorations continues. »

Ainsi, sans qu'aucune protestation s'élève au sein des Chambres, ni dans la presse, M. Wasseige déclare en 1870 que, sous notre direction, le chemin de fer de l'Etat devient l'un des principaux titres de la Belgique à la considération du monde et que, pour lui, tous ses efforts tendaient à continuer à marcher dans la voie de progrès solide et d'améliorations continues où nous avions engagé celle magnifique entreprise du railway national. Comment donc expliquer le langage que l'honorable M. Wasseige tient le 15 novembre dernier ?

A-t-il obéi à une pensée de dénigrement vis-à-vis de ses prédécesseurs ?

Je ne lui fais pas l'injure de le croire. Mais ce sentiment que les vivacités d'une discussion qui surgit inopinément peuvent seules expliquer dans certaines circonstances, serait injustifiable quand, pour le satisfaire, ou dénature des faits dont la connaissance exacte est le premier de nos devoirs.

L'honorable M. Wasseige a donc voulu rejeter sur nous une partie de la responsabilité d'une situation qui a soulevé les protestations de l'industrie et du commerce du pays.

Mais, comme les délégués industriels le lui ont fait observer avec beaucoup de justesse le 12 novembre, les faits indiqués par lui eussent-ils été exacts, que l'administration nouvelle était en possession du pouvoir depuis 18 mois. Elle avait eu le temps nécessaire pour prendre un ensemble de dispositions propres, sinon à prévenir, du moins à atténuer la gravité des faits qui excitent une émotion si vive et si légitime.

II serait injuste, messieurs, de ne pas reconnaître que cette situation fâcheuse a été amenée en partie par un concours de circonstances impossibles à prévoir. Sous l'empire de ces circonstances, le développement du trafic a été prodigieux, anormal, des embarras devaient se produire que, dans une certaine mesure, la prévoyance humaine ne pouvait conjurer. C'était là ce que loyalement il fallait dire et ce que loyalement il faut (page 299) reconnaître. Mais l'attitude prise par l'honorable M. Wasseige vis-à-vis de ses prédécesseurs est injustifiable à son égard, et la Chambre comprendra que c'était pour moi un devoir de lui faire entendre cette protestation, non seulement en ce qui me concerne, mais aussi on ce qui regarde mon honorable ami, M. Vanderstichelen, qui a dirigé avec grand honneur pendant si longtemps l'administration des travaux publics.

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, je ne veux pas faire un second discours : j'ai seulement quelques mots à répondre à l'honorable préopinant. Contrairement à l'ordre logique, je commence par la fin.

Il est question principalement, en ce moment, de savoir si, dans les faits qui se sont passés récemment, une part de responsabilité revient aux chefs du département des travaux publics qui ont précédé la dernière administration.

J'ai fait reprendre les tableaux que j'ai déposés tout à l'heure et voici ce qu'il en résulte : dans les années 1868 et 1869, on a dépensé pour l'extension du matériel des transports, en dehors des crédits budgétaires, 105,700 francs et 22,200 francs, alors qu'il y avait 1,800,000 francs à 2,000,000 de francs de progression dans la recette. (Interruption.) Mais, messieurs, de quoi s'agit-il dans le débat actuel, sinon de savoir si l'on a toujours, pour suivre le mouvement du trafic et des recettes, augmenté le matériel neuf et non pas si l'on a entretenu en bon état le matériel existant au moyen des fonds du budget ordinaire.

jJ cite ces chiffres, messieurs, mais je ne veux pas échauffer le débat ; si je m'exprime un peu vivement, c'est une habitude ; c'est sans mauvaises intentions.

Messieurs, un autre fait : l'on a réussi, en 1870, lorsqu'on faisait une recette brute de 45 millions, à revenir un peu au delà du chiffre du produit net pour le trésor public qui existait en 1865, lorsque la recette brute totale n'était que de 38 millions, et dans l'intervalle, à l'époque où je commettais ces brochures qui paraissent avoir vivement ému l'honorable préopinant, l'on était descendu de 16,000,000 à 15,200,000 en 1866 ; à 12,500,000 en 1867 ; à 13,300,000 en 1868, puis à 15,500,000 en 1869 et à 16,479,000 en 1870.

D'où il résulte que l'on pouvait fort bien croire qu'à moins de circonstances tout à fait exceptionnelles, comme celles que nous avons traversées, on rétablirait difficilement, sous le régime des tarifs anciens, le produit net pour le trésor qui n'est pas l'intérêt capital sans doute, mais qui est cependant d'une certaine importance dans le système d'exploitation des chemins de fer.

Messieurs, je ne réponds pas à ces mots : « attaques irréfléchies et passionnées. » Tous ceux qui ont bien voulu lire les brochures que j'ai faites dans ces temps ont pu y voir peut-être un peu de verve, comme on le dit, mais ils n'y ont rien vu de passionné. Je soutenais une thèse qui à beaucoup d'esprits sérieux avait paru parfaitement soutenable et même très fondée.

Je relève un autre mot : « les tarifs de gargote. » Messieurs, j'ai cru rendre, d'après une expression qui m'avait été donnée, une idée qui est juste. Je parlais de la prétention des industriels, de certains industriels du moins, d'avoir un matériel pour les marchandises, remarquez-le bien, qui pût satisfaire instantanément à leur gré à tous les besoins, même les plus anomaux et les plus accidentels, et c'est à ce propos que j'ai produit dans la Chambre cette comparaison familière, mais frappante.

Or, que fait l'honorable membre ? Il l'applique au tarif des voyageurs dont je n'ai pas dit un mot.

Quant aux tarifs des voyageurs, je suis tout prêt à les discuter et à les introduire dans le débat. Voici ce qui s'est fait. On avait réduit les tarifs pour les grandes distances et il est résulté des faits que j'ai réunis, qui n'ont jamais été réfutés et qui ne peuvent l'être, que ces réductions pour les grandes distances profitaient aux premières classes et aux secondes classes et ne profitaient pour ainsi dire pas aux classes inférieures. Cela a été démontré mathématiquement et cela résulte du parcours moyen.

M. Jamar. - La démonstration contraire a été faite.

M. Malou, ministre des finances. - La démonstration contraire n'a jamais eu lieu. Quand on a fait un rapport officiel, on a plaidé les circonstances atténuantes, niais rien de plus.

M. Jamar. - On n'a jamais plaidé les circonstances atténuantes.

M. Malou, ministre des finances. - Pardon, on n'a jamais pu détruire ce fait essentiel. Le système dans lequel on est rentre récemment en partie est celui qui existe sur tous les chemins de fer du monde, c'est-à-dire de faire payer aux classes les plus élevées la taxe pleine pour les grands parcours, et d'admettre une atténuation pour toutes les classes, mais qui profite surtout aux classes inférieures, par le système des billets d'aller et de retour.

Messieurs, puisque l'occasion m'en est donnée, je puis dire que les premiers résultats de ce système sont heureux, que le nombre de billets d'aller et de retour, notamment pour les classes inférieures, dépasse les prévisions.

Le mouvement a été beaucoup plus considérable et les recettes du chemin de fer de l'Etat n'en sont pas affectées. Or c'est là le problème et je ne doute pas que les mêmes résultats ne se développent encore et qu'on n'ait rendu ici le chemin de fer plus utile notamment pour les classes inférieures, sans le ruiner, sans compromettre sa situation financière.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, l'honorable M. Pirmez, dans la séance d'hier, a quelque peu anticipé sur certaines questions que je désire poser à l'honorable ministre des travaux publics, non pas pour qu'il y réponde dans la discussion actuelle, mais afin qu'il puisse se préparer à y répondre dans la discussion de son budget.

Les questions posées par M. Pirmez me paraissent laisser un peu trop de latitude à l'honorable ministre ; j'aimerais de les poser d'une manière plus précise parce que la réponse nous éclairera mieux, je pense, sur les points qu'il s'agit de connaître.

Voici, messieurs, ces questions telles que je désire les poser et sur lesquelles je demande une réponse dans la discussion du budget des travaux publics.

« 1° Quelle solution a été donnée à l'article de la convention du 25 avril 1870 avec les Bassins houillers, qui stipule que, dans les six mois, le gouvernement désignerait les lignes faisant double emploi et qui ne devraient pas être exécutées ?

« Quelles sont les lignes projetées qui ont été reconnues comme faisant double emploi ? »

La désignation de ces lignes, que je n'ai vue nulle part jusqu'à présent, donnera aux populations intéressées le moyen de savoir ce qu'elles doivent attendre dans l'avenir pour leurs communications.

« 2" Quelles sont les lignes qui, en exécution de la même convention, sont en exécution et quel est leur état d'avancement ? »

C'est là, je pense, une des questions posées hier par l'honorable M. Pirmez et formulée à peu près dans les mêmes termes dans la séance d'hier.

« 3° Je prierai encore M. le ministre des travaux publics de nous donner un tableau résumant, par ligne reprise par ladite convention :

« A. Les dépenses de réfection ou d'améliorations extraordinaires qui y ont été faites ;

« B. Les dépenses faites aux stations, gares ou évitements au moyen de la somme retenue, à cet effet, par le gouvernement par cette même convention ;

« C. Les augmentations apportées au matériel roulant et fixe des mêmes lignes ;

« 4° Quelle solution a été donnée à la proposition faite par la compagnie de Manage-Wavre pour épargnera l'Etat des complications possibles par suite de la construction de la ligne de Luttre à Bruxelles ;

« 5" Enfin, quel est l'état des travaux du chemin de fer de Bruxelles à Luttre.

« Ce chemin de fer sera-t-il achevé dans les délais fixés par l'honorable M. Wasseige dans la dernière session ? »

Messieurs, ces questions posées, je vais entrer dans la discussion du projet qui nous est soumis.

Cette discussion, comme vous vous en êtes aperçus, nous a entraînés à examiner quelques grandes questions de principe que je demande à la Chambre de pouvoir examiner à mon tour et sur lesquelles je crois utile de dire les motifs de mon opinion.

Dans la séance du 27 avril 1869, j'ai déjà eu l'occasion d'exprimer cette opinion d'une façon à peu près complète ; il est à peine nécessaire de dire que je n'ai trouvé jusqu'ici aucune raison de ne pas maintenir dans toute son étendue ce que j'ai dit alors sur l'exploitation des chemins de fer par l'Etat.

Je disais à cette occasion en commençant mon discours :

« Je m'attendais depuis longtemps à une crise dans l'exploitation des chemins de fer de l'Etat, mais j'avoue que je ne m'attendais nullement à ce que cette crise éclatât aussi promptement. On ne viole pas longtemps et impunément les lois de l'économie politique. »

Messieurs, cette crise qui a commencé en 1869 et que nous avons conjurée au moyen de crédits extraordinaires grossissant chaque année, cette crise est arrivée, nous l'avons tous constaté, à un développement considérable dans l'année qui vient de finir.

Dans le même discours, je disais encore ceci :

« L'Etat doit préparer la cessation du monopole des chemins de fer ; le (page 300) véritable rôle du chemin de fer dans l'avenir sera d'être exploité par tout le monde comme les canaux et les grandes routes. »

Et un peu plus loin j'ajoutais que la formule de cette exploitation n'était pas trouvée, au moins pour notre pays, et qu'il appartenait à l'industrie particulière, aux intérêts engagés dans la question de chercher cette formule et de la découvrir. J'ai été heureux, dans une séance précédente, d'en trouver le commencement dans le discours de l'honorable M. Sainctelette.

Quelles sont, messieurs, ces lois de l'économie politique auxquelles je faisais allusion dans mon discours du 27 septembre 1865 ? Permettez-moi, quoique vous les connaissiez tous aussi bien que moi-même, de les rappeler en quelques mots.

La première de ces lois, c'est la division du travail. Chacun doit produire dans ce monde la partie de travail qu'il peut faire le mieux, le plus complètement et le plus économiquement. C'est à cette condition que les sociétés civilisées peuvent arriver à un degré de développement complet et à donner à tous leurs membres la somme de puissance à laquelle ils peuvent aspirer.

Quel est le rôle du gouvernement dans cette division du travail ? Il doit assurer à chacun et à tous la sécurité, la liberté et la justice.

Tant qu'il n'a pas rempli ce devoir d'une façon complète, le gouvernement n'a pas accompli sa mission. Et je puis demander si, dans l'état actuel des choses, malgré le concours que la législature n'a jamais refusé à tout gouvernement pour remplir complètement cette mission, je demande s'il y est complètement parvenu en Belgique. Et ne puis-je pas poser cette question surtout en présence, entre mille autres, d'un fait particulier dont l'honorable M. Dansaert a entretenu la Chambre le jour de la reprise de ses travaux ; je demande si, en présence de faits de ce genre, on peut prétendre que le gouvernement a complètement rempli sa mission, telle que la définissent notre Constitution cl nos lois.

De même, messieurs, le gouvernement, en s'occupant d'exploitation de chemins de fer, immisce la puissance publique, le trésor public, la richesse de tdans des opérations purement privées, sur lesquelles il ne peut exercer qu'une influence presque nulle.

Mais, messieurs, l'honorable M. Malou nous a exposé hier et aujourd'hui qu'il y avait moyen, d'après lui, de faire que l'Etat, s'emparant de tous les chemins de fer, absorbant de plus en plus tous les moyens de transport du pays, parvienne, en quelque sorte, à donner satisfaction à tous les besoins. Eh bien, je ne crains pas de prédire à l'honorable ministre que s'il voulait s'engager et engager à sa suite l'Etat dans la voie qu'il semble indiquer, il devrait lui-même et avant peu de temps renoncer à la tâche.

Il s'apercevrait bientôt que l'entreprise est au-dessus des moyens financiers et intellectuels qu'il pourrait mettre au service de ses idées. Il verrait bientôt que les hommes manqueraient pour conduire cette idée à exécution.

Et si l'Etat, après avoir repris 600 kilomètres de chemin de fer par la convention du 25 avril, a vu la crise dont nous entendons parler depuis trois jours, je demande où l'Etat nous conduirait s'il devait s'emparer, comme il serait logiquement obligé de le faire, de tous les chemins de fer du pays.

Messieurs, vous me direz peut-être, c'est là une idée d'économiste, une idée purement théorique, peu pratique. Nous sommes, nous, des hommes pratiques ; nous exploitons les chemins de fer ; cela nous crée des difficultés, il est vrai, mais nous les surmonterons et nous arriverons petit à petit à doter le pays des meilleurs moyens de transport possibles.

J'avouerai, messieurs, que je crois avoir, en fait de chemins de fer, une certaine compétence.

J'ai eu entre les mains plus de chemins de fer qu'il n'en existe en Belgique et probablement plus qu'on n'y en construira.

J'en ai eu dans différents pays, et jeu ai discuté les conditions avec différents gouvernements.

Je puis donc m'imaginer que je sais à peu près ce que c'est qu'un chemin de fer ; mais, messieurs, l'idée que je vous exprime ne m'est pas personnelle.

Je puis l'appuyer sur une expérience non seulement plus grande que la mienne, mais, j'ose le dire, plus grande que l'expérience de tous ceux qui ont administré des chemins de fer en Belgique. Je puis appuyer mon expérience et mes théories sur les résultats d'une enquête faite, il y a trois ou quatre ans en Angleterre, dans toutes les conditions nécessaires pour arriver à la vérité autant que l'homme peut y arriver, et je tiens ici entre les mains les rapports faits par la commission d'enquête chargée par le gouvernement et par les Chambres de rechercher les moyens d'améliorer l'exploitation des chemins de fer au point de vue des tarifs. Cette commission, après deux ans de recherches et de discussions, après avoir interrogé tous ceux qui pouvaient l'éclairer, est arrivée exactement aux mêmes conclusions que moi.

Cette enquête n'avait pas pour objet d'arriver à faire reprendre les chemins de fer par l'Etat, et cependant par un concours de circonstances qu'il serait oiseux ou trop long de vous développer, cette question s'est imposée à la commission par l'introduction dans son sein, introduction d'ailleurs volontaire et expresse de M. Rowland-Hill, auteur de la réforme postale, qui s'était fait l'apôtre du rachat des chemins de fer par l'Etat, et comme il se trouvait seul dans cette commission et que dans l'intervalle qui a précédé sa première réunion, le ministère qui gouvernait l'Angleterre à cette époque avait découvert d'autres personnes importantes qui partageaient cette opinion quoique avec certaines nuances, il a, à deux reprises différentes, modifié la composition de la commission de façon à renforcer M. Rowland-Hill, pour ne pas le laisser dans une minorité trop inférieure. La question du rachat des chemins de fer s'est donc posée de la façon la plus entière et a pu être complètement défendue dans la commission.

Or, voici comment cette question a été posée par M. Rowland-Hill dans la commission. Il demandait qu'il fût déclaré qu'il était expédient que l'Etat rachetât tous les chemins de fer existant en Angleterre, graduellement, à mesure qu'il pourrait faire des conventions avec les compagnies propriétaires, mais en même temps qu'il était inexpédient que l'Etat s'occupât de leur exploitation.

Voici comment M. Rowland-Hill et comment les partisans du rachat motivaient leur opinion. Ils disaient, exactement comme on le dit en Belgique : la diversité des compagnies, les difficultés des rapports entre elles sont tellement grandes que si l'Etat ne rachète pas les chemins de fer, il sera impossible ou difficile d'arriver à une exploitation systématique, uniforme, raisonnée des chemins de fer ; il y a des conflits constants entre le public et ces compagnies ; il n'y aura pas moyen d'y porter remède ; tandis qu'en rachetant, l'Etat propriétaire pourra louer les chemins de fer ou en permettre l'exploitation sous telles conditions qu'il pourra déterminer lui-même et changer de temps à autre, à la fin de chaque bail, par des conventions successives, faites toujours en vue de l'intérêt public.

L'Etat sera ainsi en quelque sorte le régulateur de l'exploitation des chemins de fer et il pourra harmoniser cette exploitation et en faire tirer le plus de parti possible en faveur de la nation.

Telle est, en résumé, la plus forte raison exposée de M. Rowland-Hill et de ceux qui l'appuient.

Après une enquête complète qui forme plusieurs gros volumes et où l'on a entendu plusieurs centaines de témoins, et parmi eux tous les directeurs et administrateurs de chemins de fer, tous les grands producteurs, tous les grands consommateurs, en un mot, tous ceux qui pouvaient donner des renseignements puisés dans les faits et dans l'expérience. Après cette enquête, la commission, composée des hommes les plus éminents des deux Chambres, est arrivée à la conclusion suivante, que je vais vous lire, parce qu'elle est courte et caractéristique :

« Nous sommes d'opinion qu'il n'est pas expédient de changer à présent la politique suivie jusqu'à ce jour, de laisser la construction et l'exploitation des chemins de fer à l'entreprise libre du peuple, sous telle condition que le parlement croira utile d'imposer dans l'intérêt général du public.

Et, pour renforcer cette opinion, elle ajoute que, même pour les chemins de fer d'Irlande, dont l'Etat avait fourni plus de la moitié ou des deux tiers du capital, elle ne croyait pas qu'il fût utile d'opérer le rachat, bien qu'il n'eût, pour ainsi dire, rien à débourser pour devenir le propriétaire réel et direct de ces chemins de fer.

Messieurs, je crois qu'il ne sera pas inutile de vous exposer d'une manière aussi courte que possible, que je résumerai presque en simples sentences, les raisons principales qui ont amené la commission d'enquête anglaise à émettre l'opinion que je viens de citer.

Ces raisons peuvent se réduire à celle-ci :

La commission a craint de diminuer, par le rachat des chemins de fer, dans une mesure considérable, l'esprit d'entreprise qui a porté l'Angleterre au degré de prospérité et de grandeur où elle est parvenue.

De nombreuses questions ont été posées aux témoins sur ce point. Quelques-uns ont émis certains doutes à l'égard du rachat pur et simple des chemins de fer, rachat qui aurait mis le gouvernement anglais à peu près dans la position où se trouve le gouvernement belge vis-à-vis de nos lignes concédés, c'est-à-dire d'en être le nu propriétaire. Malgré ces doutes, la presque unanimité, ou pour mieux dire, d'après ce que dit la commission dans un de ses considérants, l'unanimité des témoins a été d'avis que l'application de ce système porterait une atteinte sérieuse à l'esprit d'entreprise ; et tous, sans exception, se sont prononcés énergiquement contre l'idée de l'exploitation par l'Etat.

(page 301) Ceux mêmes qui avaient émis une opinion favorable au rachat par l'Etat déclaraient qu'il ne pouvait être question de l'exploitation par l'Etat, qui ne pouvait conduire qu'à des résultats déplorables.

Une seconde raison qui a déterminé la commission d'enquête anglaise à déconseiller à la législature le rachat des chemins de fer a été la crainte d'engager la responsabilité de l'Etat dans des questions sur lesquelles il ne peut avoir aucune action et dans des faits dont il n'est pas l'auteur.

La discussion à laquelle nous nous livrons justifie de point en point les craintes de la commission anglaise ; en effet, cette discussion tout entière porte sur le point de savoir si le gouvernement ne doit pas être rendu responsable des faits dont il n'est certainement pas l'auteur.

N'est-il pas évident «pie le gouvernement n'a pas pu prévoir les événements qui se sont produits ? Certainement il aurait pu donner aux chemins de fer plus d'impulsion qu'il n'a fait ; il s'est imaginé que l'on pouvait, rien qu'avec de l'argent, administrer un chemin de fer, ce qui est une erreur. Mais enfin la discussion actuelle prouve que la commission d'enquête anglaise était parfaitement justifiée à donner cette raison comme l'une de celles qui l'avaient conduite à émettre l'opinion que je vous ai traduite.

Une troisième raison qui se vérifie de plus en plus chez nous et qui se vérifiera de plus en plus à mesure que l'Etat deviendra le propriétaire unique des chemins de fer de Belgique, c'est la crainte que l'exploitation des chemins de fer entre les mains de l'Etat ne devienne un instrument de politique, un instrument de parti, un instrument au moyen duquel les partis chercheront à se nuire mutuellement.

Cette crainte est tellement bien sentie, que tous les hommes politiques de l'Angleterre l'ont partagée et qu'il n'y en a aucun qui, pour cette raison principalement, se soit prononcé pour le rachat des chemins de fer de l'Etat.

Nous n'avons pas encore chez noun des exemples bien frappants de la réalité de ce que je viens de dire, mais nous en avons déjà eu assez pour pouvoir craindre, à un moment donné, qu'une question de transports ne vieune à soulever tout un arrondissement, celui de Charleroi, par exemple, en l’engageant, en dehors de questions politiques proprement dites, à voter même contre des hommes dont il partage les opinions politiques.

Voilà cependant ce qui peut se présenter et ce qui peut arriver, et vous pouvez vous attendre à voir un jour la composition des Chambres subitement modifiée et les partis bouleversés, non par suite de dissentiments sur la politique générale, mais à la suite de simples questions de transport. Je demande si ce n'est pas là un danger considérable qu'il faut prévoir, et un danger vers lequel nous courons volontairement en voulant remettre exclusivement entre les mains de l'Etat un instrument d'une puissance pareille et dont l'action est journalière et incessante.

Une autre question qui a beaucoup préoccupé la commission d'enquête et les hommes qui s'intéressent à la situation générale d'un Etat libre est celle-ci : Comment et par qui a été soulevée la question du rachat des chemins de fer ?

Cela s'est produit en Angleterre à peu près exactement comme en Belgique. Les actionnaires de chemins de fer, à un certain moment, il y a cinq ou six ans, avaient trouvé qu'ils n'avaient pas un intérêt suffisant de leur capital. Les lois de concession d'une partie des chemins de fer anglais, sinon de tous, avaient prévu le rachat par l'Etat et en déterminaient les conditions ; il en résultait, dans ce moment-là, que si l'Etat s'était décidé à racheter les lignes concédées, il y aurait eu pour les actionnaires trois à quatre milliards de francs à réaliser en bénéfice par un simple décret.

Cela était fort tentant, on en conviendra.

Vous comprenez, messieurs, qu'en présence de cette situation et comme il y avait alors de quinze à seize milliards d'actions en circulation en Angleterre, il s'est trouvé tout naturellement qu'un nombre considérable d'individus influents se sont d'abord prononcés en faveur d'une idée dont la réalisation eût eu pour résultat d'augmenter de 30 à 40 p. c. leur capital engagé dans ces entreprises.

La même chose s'est passée ailleurs, je n'en doute pas. Mais il s'est trouvé en Angleterre des hommes d'Etat qui, se préoccupant avant tout de l'intérêt général de la nation et comprenant que tout le monde n'est pas actionnaire, qu'au contraire, la plus grande partie de la nation n'est actionnaire de rien du tout, ont résolument repoussé le rachat des chemins de fer.

Mais, messieurs, ce ne sont pas les seules raisons qui ont conduit la commission d'enquête anglaise à repousser l'immixtion de l'Etat dans l'industrie des chemins de fer.

Examinant ce que l'Etat ou plutôt ceux qui le personnifient faisaient dans les branches qui lui sont propres, dans le domaine qui lui est en quelque sorte réservé, comment agissaient les administrations dépendantes des différents ministères ; elle a trouvé que là la routine était souveraine, que le progrès n'y était possible qu'après des luttes très longues, dans lesquelles souvent les ministères eux-mêmes succombaient, la majorité changeait et que, quand on n'a pas affaire à des nations patientes et pratiques, comme la nation anglaise, bien des gouvernements ont succombé par suite des luttes engagées pour pousser l'administration à faire les progrès démontrés nécessaires par le progrès de la civilisation.

La commission d'enquête s'est demandé si une industrie qui doit progresser tous les jours, sous peine de rester en arrière, peut être exposée à tomber sous la domination de la routine et de l'apathie administrative, et sa réponse a été unanime parce que Rowland-Hill lui-même, un autre membre de la commission qui s'était prononcé d'abord en faveur du rachat par l'Etat, s'était rallié à l'avis de la commission.

M. Jamar. - C'est une erreur. Il y a un travail spécial de Rowland-Hill à ce sujet.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Voici le paragraphe de ce travail spécial qui a trait à la question :

«......Mais il n'est pas expédient que l'Etat en reprenne l'exploitation. »

Voilà donc l'opinion formelle de sir Rowland-Hill sur ce point.

Eh bien, messieurs, où en sommes-nous ? Est-ce que la commission n'a pas eu complètement raison ? Est-ce que notre exploitation n'est pas en arrière et de loin sur tout ce qui se fait ailleurs ?

On vient nous apporter ici, comme des choses neuves, des plans de machines que j'ai vues fonctionner il y a vingt ans en Amérique et à Liverpool.

Nous sommes en arrière pour les locomotives, pour le matériel roulant, pour les rails, pour la matière et surtout pour l'esprit qui la met en œuvre. Ce n'est que petit à petit, quand c'est usé ailleurs, que l'administration un jour découvre qu'il y a quelque chose à faire.

Nous sommes donc tombés exactement dans la faute qu'a voulu éviter la commission d'enquête anglaise en conseillant à l'Etat non seulement de ne pas exploiter les chemins de fer, mais même de ne pas les racheter. Je ne sais pas si ces raisons paraîtront suffisantes à l'honorable M. Malou, s'il croira avoir quelque chose à y opposer, mais je puis dire qu'elles ont fait une très profonde et très durable impression sur des hommes qui ont l'habitude de regarder dans l'avenir.

Mais, messieurs, pour en revenir maintenant de l'expérience anglaise, constatée par la commission d'enquête, aux faits qui se passent en Belgique, je demanderai à l'honorable M. Malou ou plutôt à M. le ministre des travaux publics, auquel je crois devoir m'adresser plus spécialement dans cette discussion, s'il poursuit, en réalité, l'idée de racheter tous les chemins de fer belges et de devenir ainsi le seul propriétaire et le seul exploitant de chemins de fer en Belgique et si, en même temps, il compte compléter le réseau belge. Il y a autant de chemins de fer à faire encore, nécessaires, utiles, qu'il y en a de faits. Quels moyens financiers ou autres l'Etat va-t-il employer pour compléter l'instrument de transports qu'on appelle chemin de fer ?

S'en chargera-t-il lui-même ? Est-ce à lui qu'on devra s'adresser désormais pour construire les nouvelles lignes jugées nécessaires ? Faudra-t-il continuer à s'adresser à l'industrie particulière ? Pourra-t-on encore demander des concessions de chemins de fer ? et lorsque ces concessions seront demandées, les accordera-t-il, et s'il les accorde, rachètera-t-il aussi ces nouvelles concessions ?

Il me semble, messieurs, que ce sont là des questions dont la solution présente un intérêt majeur pour le pays et surtout pour les populations qui sont encore privées de moyens de communication rapides.

Si l'exploitation exclusive des chemins de fer par l'Etat doit amener à ne plus permettre de concessions, il faut que le pays le sache ; nous devons savoir à quoi nous en tenir. Ce n'est pas là, je pense, une question oiseuse et une question à laquelle on ne puisse pas répondre.

- Des membres. - A mardi !

M. Le Hardy de Beaulieu. - Je suis à la disposition de la Chambre. Je puis continuer, mais, dans aucun cas, je ne crois pas que je terminerai aujourd'hui.

Projet de loi relatif au renouvellement du contrat de la société des lits militaires

Dépôt

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre.- D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi ayant pour but le renouvellement du contrat de la Société des lits militaires.

Je prie la Chambre de déclarer l'urgence.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi.

La Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen des sections.

- La séance est levée à 4 heures et demie.