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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 19 janvier 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 281) M. Hagemans procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Reynaert donne lecture, du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

M. Hagemans présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre :

« Les maîtres de carrières de pierres bleues, dites petit granit, du Hainaut demandent une enquête publique sur toutes les questions qui intéressent l'exploitation des chemins de fer de Belgique et qu'elle soit faite par une commission composée de membres de la Chambre et de représentants du commerce et de l'industrie. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions identiques.


« Des préposés de douanes demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Coursel demande que le département de la guerre fasse vendre annuellement, au camp de Beverloo, la paille ayant servi de couchage de la troupe, ainsi que le fumier provenant des chevaux de la cavalerie et de l'artillerie. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Gand prient la Chambre de faire transférer dans cette ville les archives qui se trouvent au greffe du tribunal de première instance d'Audenarde. »

- Même renvoi.


« Le sieur Massart prie la Chambre de s'occuper de la question des secrétaires communaux, lors de la discussion du budget de l'intérieur. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Les secrétaires communaux du canton de Beeringen proposent des mesures pour améliorer la position des secrétaires communaux. »

« Même pétition du sieur Petit. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Les membres de l'administration communale d'Engelsmanshoven prient la Chambre d'accorder au sieur Pousset la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Aix-la-Chapelle. »

« Même demande des membres des administrations communales de Lixhe, Tourinnes-la-Grosse, Wonck, Dormael. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre un exemplaire de la première partie de l'exposé de la situation administrative du grand-duché de Luxembourg, pour l'année 1871. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Du Bois-Nihoul fait hommage à la Chambre de 150 exemplaires du Mémoire à l'appui de son projet de création d'un port maritime aux abords de la ville de Bruxelles. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. Simonis, obligé de s'absenter, demande un congé d'un jour. »

- Accordé.

Projet de loi allouant un crédit spécial de 12,080,000 francs au budget du ministère des travaux publics

Discussion générale

M. Pirmez. - Messieurs, l'industrie de notre pays présente dans ce moment un spectacle remarquable à deux points de vue bien différents.

L'industrie est entrée dans une voie de prospérité exceptionnelle ; peut-être est-il des époques où une branche de production a été dans une. situation aussi favorable qu'aujourd'hui ; mais je crois que jamais on n'a vu toutes les industries recevoir en même temps un pareil développement.

Malheureusement à côté de ce fait si heureux, il s'en est placé un autre qui en a diminué considérablement les avantages. A aucune époque non plus les moyens de transport n'ont fait plus complètement défaut que dans les derniers mois qui viennent de s'écouler.

D'un côté donc une situation admirable, de l'autre une gêne exceptionnelle.

Tout ce qui ne dépendait pas des services publics nous a été donné ; nous n'avons été entravés que par ce qui est destiné à développer l'industrie.

Mon but, messieurs, n'est pas de rechercher si c'est aux choses ou aux hommes qu'il faut attribuer les pertes que l'industrie a subies dans ces derniers temps.

Les honorables MM. Sainctelette et d'Andrimont vous ont exposé avec beaucoup de talent les griefs qu'ils ont à faire valoir contre l'administration de l'honorable M. Wasseige ; l'honorable M. Wasseige s'est défendu, et malgré les plaintes que son administration a soulevées, il est monté hier au Capitole ; je l'y laisse provisoirement, en me bornant à signaler deux faits à la Chambre.

L'honorable M. Wasseige revendique l'entière initiative du projet de loi qui est soumis en ce moment aux délibérations de la Chambre, et l'on croirait volontiers, en l'entendant, qu'il était inutile que les industriels s'occupassent de cet objet.

L'honorable membre nous a cité en preuve de cette allégation cette circonstance que le projet de loi actuellement en discussion, signé le 14 novembre, a été déposé dès le début de la session. Il oublie que les industriels, effrayés de sa confiance persistante à se croire en mesure de satisfaire à tous les besoins, se sont unis dans un mouvement considérable pour lui adresser, à lui ainsi qu'à son collègue des affaires étrangères, les demandes les plus pressantes. Or, la réunion des délégués des chambres de commerce et des comités industriels a été tenue, non pas après le 14 novembre, comme on pourrait le croire d'après le discours de M. Wasseige, mais le 4 novembre et c'est le 12 novembre que ces délégations ont été reçues par le gouvernement.

Je crois donc que pour être juste l'honorable M. Wasseige doit consentir à partager la gloire qu'il s'attribue.

Les chambres de commerce, les comités industriels et surtout les chambres et les comités industriels de l'arrondissement de Charleroi, par leur persistance à défendre leurs intérêts, ont une grande part dans le projet que nous discutons en ce moment.

La seconde observation que je veux présenter est celle-ci : c'est que même en déposant son projet M. Wasseige était préoccupé beaucoup plus de la crainte d'avoir trop que de celle de ne pas avoir assez de matériel. Cette crainte perce malgré lui dans l'exposé des motifs et nous voyons qu'il la ressent tellement qu'il cherche lui-même des motifs pour se rassurer contre ce danger, d'un excès qui lui apparaît comme menaçant.

En effet, M. Wasseige nous dit qu'on pourrait croire que le matériel déjà commandé suffira, mais qu'il est rassuré à cet égard d'abord parce qu'il faudra peut-être pourvoir aux besoins des sociétés concessionnaires, ensuite parce que de nouvelles lignes doivent s'ouvrir.

(page 282) De ces raisons, il en est une que je trouve mauvaise, il en est une que je trouve bonne.

Celle que je trouve mauvaise est celle qui consiste à dire que l'Etat peut avoir à pourvoir aux besoins des sociétés concessionnaires.

Je conçois que dans des circonstances imprévues l'Etat pourvoie, quand il le peut sans inconvénient, aux besoins des sociétés concessionnaires, mais ce que je ne puis pas admettre, c'est que l'Etat déclare à l'avance que les sociétés concessionnaires seront en défaut de matériel et qu'il se mette en mesure de lui en donner.

Le gouvernement, messieurs, doit avoir des moyens d'action contre les sociétés qui ne satisfont pas complètement à leurs conventions. L'Etat a le devoir de ne pas laisser croire à ces sociétés qu'il tolère un certain relâchement ; il doit exiger que leurs obligations soient remplies de la manière la plus complète ; il doit exiger que ces sociétés aient un matériel suffisant pour parer aux besoins du service dont elles se sont chargées.

Voilà donc le langage que doit tenir le gouvernement et c'est celui que je prie M. Moncheur de tenir à l'avenir.

L'autre raison, je dois le reconnaître, est excellente ; je ne crois pas qu'aucun de nous refusera le crédit demandé pour le matériel, parce qu'il serait trop considérable. Tous, en effet, nous savons quelle extension doivent recevoir nos lignes de chemins de fer.

A cet égard, je ne crois pas inopportun de dire au gouvernement que s'il conserve encore certaines craintes qui ont été exprimées par M. Wasseige, il a le moyen de les calmer, c'est d'activer la construction des nouvelles lignes. Je lui demande d'accélérer les travaux.

Je parlerai d'abord de la ligne de Luttre à Bruxelles. Cette ligne est construite par le gouvernement ; sa construction me paraît subir des retards très considérables. Je sais mieux que personne les difficultés qui se sont élevées au sujet de certains tracés, il y a plusieurs années ; j'ai eu jadis à m'en occuper souvent, mais ces difficultés ont été aplanies depuis longtemps et lorsque le dernier ministère est entré au pouvoir en juin 1870, elles avaient disparu.

Je ne comprends pas comment il se fait que les travaux de ce chemin de fer tardent autant. Le gouvernement construit beaucoup plus lentement que les sociétés concessionnaires, il perd ainsi des intérêts considérables.

Je désirerais que M. le ministre tienne la main à ce que ces travaux soient poussés avec activité et savoir quand cette ligne pourra être mise en exploitation.

La société des Bassins houillers s'est engagée à construire une quantité très considérable de lignes. Le gouvernement a fait avec cette société plusieurs conventions. La première est la célèbre convention du 25 avril. La société des Bassins houillers devait recevoir pour la construction des lignes nouvelles une rente kilométrique de 7,000 francs.

Or, par suite des arrangements qui ont été pris depuis entre l'honorable M. Jacobs comme ministre des finances et cette société, une partie de cette rente a été détournée de sa destination pour l'affecter au service des obligations des lignes déjà existantes. Il en résulte que la société des Bassins houillers n'a plus à sa disposition pour obtenir les fonds nécessaires à cette, construction, au lieu d'une rente de 7,000 francs, qu'une rente de 5,000 à 6,000 francs.

C'est là, messieurs, un changement très grave dans la situation : si l'on peut construire avec une rente assurée de 7,000 francs, on n'est pas certain de construire avec une rente réduite à 5,500 francs.

Je demande que le gouvernement veille à ce que ces lignes se construisent et qu'il dégage ainsi sa responsabilité des changements qu'il a fait subir à la convention du 25 avril 1870, en diminuant l'assurance que ces lignes seront prochainement construites.

Ces lignes, au moins dans l'arrondissement de Charleroi, subissent, dans leur construction, des retards considérables ; on y travaille peu ou point.

Quand j'entends le gouvernement, la faute en est à la société concessionnaire, qui n'a aucun raison légale de ne pas travailler. Quand j'entends la société concessionnaire, la faute en est au gouvernement, qui apporte des entraves de toute espèce dans l'approbation des plans et rend ainsi impossible la construction immédiate des lignes.

On prétend notamment que le gouvernement, au lieu d'approuver des plans de lignes complètes, approuve seulement des tronçons de lignes isolés. Je comprends très bien que, s'il en est ainsi, la société concessionnaire doit éprouver une grande répugnance à immobiliser des capitaux considérables et regretter de ne pouvoir exécuter que des fragments de lignes qu'elle ne pourra livrer à l'Etat parce qu’ils ne seront pas ra ccordés au reste du réseau.

Je prie M. le ministre des travaux publics de s'expliquer à cet égard et de nous faire connaître ce qu'il en est des griefs de la société concessionnaire et je ne serais pas moins charmé d'entendre les explications contradictoires de la société.

Nous avons évidemment un grand intérêt à être renseignés à cet égard ; cet intérêt est particulièrement considérable pour plusieurs de nos grandes communes, Gilly, Jumet et Gosselies notamment, localités qui ont à elles seules l'importance de certains arrondissements du pays.

Parmi les faits futurs qui doivent faire prévoir une insuffisance de matériel, je citerai à M. le ministre des travaux publics un point qui a aussi une très grande importance et qui donnerait un nouvel emploi au matériel ; je veux parler de l'abaissement des tarifs à petite distance.

Il y a très longtemps que la réforme a été annoncée. L'honorable M. Jamar était sur le point de la réaliser quand il a quitté le ministère.

Depuis lors, nous attendons et les choses sont restées dans le même état. Il y a à cet égard une anomalie fort regrettable.

L'Etat exploite aujourd'hui, dans l'arrondissement de Mons, des chemins de fer où les taxes ne dépassent que peu ou point, pour les petites distances, la moitié des tarifs appliqués dans les autres parties du pays.

Je crois que le ministre des travaux publics doit faire disparaître cette anomalie.

S'il abaisse ainsi les tarifs à petite distance au taux où ils le sont au Flénu, il obtiendra l'emploi d'une grande partie de matériel nouveau, que son prédécesseur paraissait craindre de ne pas trouver à employer.

On vous a fait observer, avec beaucoup de raison, que la quantité de matériel de transport ne constituait pas toute la solution des difficultés de l'exploitation des chemins de fer.

Il y a une multitude de points qui ont été traités dans les dernières séances par mes honorables amis, MM. Sainctelette et d'Andrimont, avec une telle autorité que M. Wasseige a déjà vu en eux de ses successeurs futurs.

M. Wasseige. - J'ai un successeur qui me plaît beaucoup.

M. Pirmez. - Chaque ministre a plusieurs successeurs ; et, comme tous les autres, la carrière ministérielle de l'honorable M. Moncheur arrivera un jour à sa fin.

Il y a donc des questions très nombreuses à examiner. Les industriels ont demandé une enquête pour éclairer complètement le gouvernement sur les progrès à réaliser dans l'exploitation des chemins de fer.

Je ne veux pas proposer cette enquête, parce, que si je le faisais, sa provenance doctrinaire pourrait lui être une mauvaise note près du gouvernement et de la majorité.

Je désire seulement savoir quelles sont les intentions du gouvernement.

L'honorable M. Malou était dans le temps partisan de l'enquête ; il en demandait une lors de son grand combat avec M. Vanderstichelen sur les taxes du chemin de fer.

L'année dernière, on en a demandé une à M. Wasseige qui n'en a pas voulu, mais, cette année, il a déclaré qu'il ne s'opposait pas à ce qu'une enquête fût faite.

M. Wasseige. - Ce n'était pas la même, elle ne ressemblait nullement à celle que je refusais d'admettre.

M. Pirmez. - C'est possible ; c'est un genre qui a beaucoup d'espèces et même, de variétés. Mais c'est précisément à cause de cette complication que je désire être éclairé.

Je reconnais, du reste, que nous avons assisté, en fait d'évolutions politiques, à des changements si étonnants que même les précédents n'auraient rien pu m'apprendre de certain ; ce qui m'engage encore à insister davantage pour avoir une réponse catégorique. Je veux seulement préciser la situation ; indiquer comment l'enquête doit être faite, si tant est que le gouvernement veuille bien faire une enquête.

Les pétitionnaires demandent une enquête parlementaire mixte et publique. Je crois qu'il y a dans ces termes quelque chose d'inexact.

Il est évident que si l'on fait une enquête parlementaire, dans le sens strict du mot, elle ne peut pas être mixte ; elle doit être faite en vertu de l'autorité de la Chambre et par les membres de la Chambre ; il est impossible d'appeler des industriels à venir siéger à côté des membres de cette assemblée pour procéder en son nom ; c'est aussi impossible que d'appeler des personnes étrangères à cette assemblée à siéger dans ses commissions ou dans ses sections.

L'intention des pétitionnaires de voir siéger ensemble des membres de cette assemblée et des industriels ne peut se réaliser que dans une enquête faite par le gouvernement, qui a toute latitude pour composer une commission d'enquête.

Quoi qu'il en soit, là n'est pas pour moi le point important. La (page 283) composition du comité d'enquête sera satisfaisante, si elle donne la garantie qu'on recherchera les témoignages les plus utiles pour éclairer les questions qui sont à résoudre ; ce qu'il faut avant tout, à cet égard, c'est la publicité de l'enquête. Il est évident que si l'on fait une enquête non publique, on fera une enquête qui conduira aux résultats qu'on voudra. Il n'y a donc qu'un seul moyen d'avoir des résultats vrais, c'est d'entendre tous ceux qui veulent être entendus, c'est d'appeler ceux qui ont des connaissances spéciales et de les admettre à faire connaître les moyens qu'il conviendrait, selon eux, d'employer pour améliorer l'administration des chemins de fer.

Ainsi donc, s'il y a une enquête, quel que soit son mode de nomination ; j'insiste pour qu'elle soit publique et tout à fait publique.

L'enquête dépend absolument du gouvernement ou de sa majorité. Quelle situation prend-il s'il la refuse ; quelle situation doit-il prendre s'il l'admet ? Je ne comprends le refus de l'enquête que si le gouvernement croit connaître tous les faits, savoir tout ce qui se passe dans l'administration des chemins de fer ; n'avoir besoin d'aucun renseignement, en savoir autant ou plus que ce qu'on peut lui révéler.

Si le gouvernement nous fait la déclaration qu'il en est ainsi, évidemment, il est logique en refusant l'enquête ; mais je demande que, s'il refuse l'enquête, il nous fasse cette déclaration, parce qu'alors il aura assumé la responsabilité complète, entière, absolue de ce qui pourra arriver.

S'il nous dit : « Je n'ai pas besoin qu'on m'éclaire, qu'on m'apporte des faits, qu'on me donne des conseils ; je sais tout parfaitement, » la conséquence sera l'engagement de faire marcher parfaitement tout le service. Si le gouvernement ne nous fait pas cette déclaration, alors (s'il est logique, mais on ne l'est pas toujours), il doit accepter l'enquête.

S'il accepte l'enquête publique que j'ai indiquée, je lui demande une chose : c'est qu'il ne fasse pas cette enquête pour dégager sa responsabilité.

L'honorable M. Wasseige nous disait tout à l'heure qu'il voulait bien de certaines enquêtes et qu'il ne voulait pas d'autres. Mais je me délie un peu de celles dont il veut bien, et voici pourquoi je m'en défie : c'est que l'honorable M. Wasseige, en déclarant qu'il ne refusait pas l'enquête, a dit ceci : « Si l'on veut une enquête, je ne m'y opposerai pas ; car elle aura pour effet de m'enlever une partie de ma responsabilité, bien que je n'hésite pas à répondre de mes actes. »

Or, je ne veux pas de cette espèce d'enquête qui tendrait à décharger M. le ministre des travaux publics d'une partie de sa responsabilité.

C'est un moyen assez connu dans les gouvernements constitutionnels que celui de nommer des commissions, d'établir des enquêtes, de prendre des informations, de réunir des documents et de former des corps censés plus ou moins compétents pour se mettre derrière ces corps et ainsi se soustraire à toute espèce de responsabilité.

Nous avons déjà une commission qui est le modèle du genre, c'est la grande commission militaire.

C'est cette commission qui a permis au gouvernementale ne prendre aucune décision, et de répondre aux questions les plus importantes : « Je ne suis point fixé ; j'attends le rapport de la commission militaire. » Or cette commission dormait du sommeil le plus profond et personne ne faisait rien pour la réveiller.

M. Bouvier. - Elle dort encore.

M. Pirmez. - Elle dormira peut-être toujours.

- Un membre. - Elle a été convoquée.

M. Pirmez. - Cela prouve qu'on a reconnu qu'on avait poussé le moyen à sa dernière extrémité.

Je ne veux donc pas d'une enquête qui ait pour résultat de diminuer la responsabilité du gouvernement et je réserve notre droit de vous demander que vous fassiez marcher convenablement l'exploitation des chemins de fer, même pendant l'enquête.

Messieurs, je crois qu'il faut en cette matière, comme en toutes les autres, que la responsabilité du gouvernement soit la pierre angulaire de tout le système.

Je viens de dire que l'enquête ne doit pas faire disparaître, même momentanément, cette responsabilité du gouvernement ; jetliens encore bien plus à ce que de nouvelles mesures ne viennent pas la faire disparaître complètement et indéfiniment.

Dans les derniers temps, au milieu du désarroi qu'on a constaté dans l'exploitation des chemins de fer, différentes opinions ont surgi tendantes à faire passer l'administration des chemins de fer, soit dans les mains d'une société, soit dans les mains d'un corps plus ou moins permanent et, comme on l'a dit, à affranchir ainsi cette administration des vicissitudes de la politique.

II est assez étonnant que ce système ait été préconisé par des personnes ayant les idées les plus opposées.

Ainsi, nous avons vu certains industriels prôner cette idée nouvelle dans le but d'avoir des moyens de transport plus abondants et plus économiques et nous avons entendu hier l'honorable M. Julliot nous présenter la même idée pour empêcher que ceux qui se servent de chemins de fer n'en tirent trop de faveurs. (Interruption.)

Je prie l'honorable M. Julliot de prendre patienec ; je lui rendrai cet hommage qu'il est bien plus conséquent avec ses principes que les autres personnes qui demandent une modification.

Messieurs, quand un service spécial quelconque ne produit pas les résultats auxquels on s'attend, il arrive souvent que l'on ne s'en prend pas seulement aux hommes qui le dirigent, non aux circonstances exceptionnelles que subit ce service, mais à l'institution elle-même. Le désir d'un remède pousse trop loin, et on va jusqu'à vouloir une révolution radicale.

On nous dit aujourd'hui : « Voyez la Banque Nationale ; elle fonctionne admirablement ; appliquez son système au chemin de fer. » L'on nous tenait, il y a quelques années, lorsque l'escompte était à un taux très élevé, l'on nous tenait un langage tout contraire ; on nous disait : « La Banque Nationale est une mauvaise institution, elle repose sur des bases fausses ; voyez, au contraire, l'administration des chemins de fer ; celle-là fonctionne admirablement. »

Prenons garde de nous laisser trop influencer par des circonstances exceptionnelles ; elles peuvent être utiles pour mettre en relief certains abus ; cherchons à y porter remède, mais n'allons pas nous en prendre, pour des inconvénients momentanés, à une institution qui dans une très longue période de temps a donné d'excellents résultats ; et cette institution est l'administration du chemin de fer dirigée par un ministre responsable.

On nous parle de confier à des sociétés l'exploitation du chemin de fer ; a-t-on oublié que jusque dans ces derniers temps on demandait que l'Etat fût substitué aux sociétés ?

On a constaté que partout et toujours l'exploitation par l'Etat donnait de meilleurs résultats que l'exploitation parles sociétés.

Et parce que, pendant quelque temps, le service de l'Etat aura fonctionné, non pas plus mal que celui des sociétés, mais moins bien qu'on ne voulait, on viendra dire que ce service est essentiellement mauvais et ce serait une raison suffisante pour se lancer dans des expériences dont personne ne pourrait affirmer les bons résultats et dont vraisemblablement, si l'on en juge par la comparaison du passé, les conséquences seraient regrettables.

Je ne suis pas de ceux qui croient que l'Etat doive intervenir partout et toujours ; je suis même profondément opposé à l'intervention de l'Etat quand elle a pour objet de diminuer l'activité et l'initiative individuelle ; je crois que lorsqu'on met les citoyens en tutelle sous une forme ou sous une autre, on fait une mauvaise chose.

Les idées de M. Julliot à cet égard sont toujours fort justes, mais il y a des monopoles qui s'imposent forcément, et je ne comprends plus alors la théorie de l'individualisme. Or, en matière de chemins de fer, vous pouvez changer la forme de l'intervention, discuter si l'Etat exploitera directement ou par des intermédiaires, mais que l'Etat exploite directement ou par des délégations, le monopole existera toujours, car ce sera toujours l'Etat qui sera chargé de ce service public.

Quoi qu'on fasse, un chemin de fer sera toujours un monopole ; car on ne peut pas admettre que tout le monde puisse établir des chemins de fer comme des fabriques de fer ou de coton.

Il y aura donc ici essentiellement monopole ; ce monopole, l'Etat le possède ; il ne le prend pas à des particuliers ; quand l'Etat le dirige, il est dans son rôle, il est dans son droit ; je dirai plus, il est dans les nécessités absolues.

Ce n'est pas la question d'intervention qui est en jeu, mais celle du mode d'intervention.

Que doit faire l'Etat ? doit-il exploiter directement ou faire 'que fort exploite en son nom ?

M. Julliot lui-même n'admettrait pas que l'Etat puisse se désintéresser, abandonner toute action en confiant à ses concessionnaires le soin de faire des tarifs.

L'Etat perçoit aujourd'hui chez nous les contributions. Mais il est beaucoup de pays où, au lieu de recouvrer lui-même tous les impôts, l'Etat afferme l'exploitation de certaines branches du revenu public, les eaux-de-vie, le tabac et d'autres impôts.

L'honorable M. Julliot croit-il que dans un pays où l'on met ainsi en (page 284) adjudication publique certaines ressources financières, les adjudicataires de ces taxes ne soient pas en réalité des personnes agissant pour l'Etat, et qu'il y ait là un progrès de l'action privée ?

Or, notre question est identique à celle-là.

Que les impôts soient perçus directement ou indirectement ; qu'ils soient perçus par l'Etat ou par une tierce personne ; que les chemins de fer soient gérés par l'Etat ou par les compagnies, c'est toujours au nom de l'Etat et dans l'intérêt de l'Etat qu'ils le sont.

Toute la question revient donc à une question de forme et il s'agit de choisir le meilleur mode de gérer un service public.

Auriez-vous de meilleurs résultats avec l'exploitation des chemins de fer par les compagnies qu'avec celle par l'Etat ? Voilà la question.

J'ai déjà constaté qu'avec la première de ces exploitations dans notre pays, on avait eu des résultats moins avantageux. Cela est incontestable. Irrégularités dans les services, défectuosité et pénurie du matériel, tous ces défauts, les compagnies les ont toujours montrés avec bien plus d'intensité que l'Etat. Hier encore, M. Wasseige nous a dit qu'il avait dû venir en aide aux compagnies qui ne pouvaient plus suffire aux transports par suite de la pénurie du matériel.

Vous voyez donc, messieurs, que, même en Belgique, l'exploitation de l'Etat a été meilleure que celle des compagnies.

Il n'est pas difficile d'indiquer les résultats de l'exploitation des chemins de fer par les compagnies, si l'on cédait aux vœux exprimés par M. Julliot.

Vous verriez des compagnies exploitant dans leur intérêt au lieu d'exploiter dans l'intérêt public. L'intérêt de celui qui exploite n'est pas du tout le même que l'intérêt de celui qui (si je puis ainsi dire) est exploité. Les compagnies ont un grand intérêt à faire des recettes, à organiser leurs transports et leurs tarifs de manière à réaliser le plus de bénéfices.

L'Etat, au contraire, peut organiser ses transports et ses tarifs de manière à rendre la plus grande somme possible de services.

Ainsi il est bien certain qu'on rend plus de service en transportant dix tonnes et gagnant un franc par tonne qu'en transportant seulement cinq tonnes en gagnant deux francs par tonne.

De ces deux systèmes, l'Etat préférera toujours le premier ; tandis qu'une compagnie donnera presque toujours la préférence au second. L'Etat n'hésitera pas à transporter dix tonnes en gagnant dix francs, tandis que, pour éviter des embarras, la compagnie préférera gagner dix francs en transportant cinq tonnes. (Interruption.)

Permettez, M. Julliot : vous me dites que c'est bien fâcheux pour ceux qui n'ont que des chemins de fer concédés !

Je le veux bien ; mais ce n'est pas en enlevant un avantage aux uns que l'on améliorera le sort des autres. J'aime bien mieux que l'Etat continue à transporter dans les conditions avantageuses que j'indique où il le fait pour une partie du pays que de supprimer tous ces avantages, sous prétexte qu'ils ne sont pas assez étendus.

Ne venez donc pas dire que parce qu'un système moins bon fonctionne quelque part, il faut qu'il fonctionne partout. (Interruption.)

C'est de l'inégalité, me dit M. Julliot. Je prie mon honorable ami d'y prendre garde : il émet une idée socialiste.

Il y a toujours moyen d'établir l'égalité, et l'idée socialiste consiste précisément à abaisser ceux qui sont dans une bonne situation, au niveau de ceux qui sont dans une situation mauvaise, cela sous prétexte d'égalité.

Je suis prêt à établir l'égalité partout où je pourrai le faire en relevant le niveau inférieur ; mais jamais je ne le ferai en abaissant le niveau supérieur.

La théorie de l'honorable M. Julliot est précisément celle que j'ai l'honneur de combattre en ce moment. (Interruption.)

On fait remarquer, à côté de moi, que le système de M. Julliot consiste à couper les pans aux habits pour transformer les habits en vestes, tandis qu'il devrait chercher à mettre des pans aux vestes. (Interruption.)

Il est toutefois une chose que je reconnais : c'est qu'il est très probable que si nous voulions imiter ce qui se passe en France, remettre aux compagnies toute l'exploitation des chemins de fer, nous aurions, en apparence, une situation meilleure.

On m'assure qu'en France les compagnies sont parvenues à se mettre dans de si bons termes avec une grande partie de la presse qu'on n'y entend guère à leur égard qu'un concert d'éloges.

Quant à moi, j'aime beaucoup mieux notre système où l'on signale au gouvernement les fautes qu'il commet et quelquefois aussi des fautes qu'il ne commet pas, que le système qui consiste à approuver tout ce qui se fait par de grandes compagnies.

Le système qui consiste à remettre le chemins de fer de l'Etat à des sociétés n'est pas celui de tous les industriels.

Il en est qui voudraient se borner à voir consolider cette administration en en soustrayant la direction aux vicissitudes de la politique.

Si ce système est bon, je ne vois pas pourquoi on ne l'appliquerait pas à d'autres services publics.

Appliquons-le aussi aux finances de l'Etat, à l'armée, à la bienfaisance, aux prisons, appliquons-le à l'instruction publique ; supprimons complètement la responsabilité ministérielle qui engendre les changements de pouvoir et prenons le régime des gouvernements absolus ! Mais on recule devant cette conséquence et on a raison parce qu'en toute chose le seul bon système est celui de la responsabilité.

Voyez, messieurs, ce qui s'est passé. On prétend que l'administration des chemins de fer a résisté à l'extension du matériel. Mais si cette administration avait été indépendante, il serait arrivé qu'on n'eût pas acheté de nouveau matériel et qu'on n'eût pas augmenté les moyens de transport.'

Pourquoi l'a-t-on fait ? Parce que la Chambre a une action sur M. le ministre des travaux publics, et c'est sur la pression de l'opinion publique que M. le ministre a, de son autorité propre, présenté le projet de loi qui nous est soumis en ce moment.

A tort ou à raison, on accuse l'administration de cet esprit de résistance et on voudrait la rendre indépendante ! N'est-ce pas une contradiction ?

Sans doute, on peut avoir un mauvais ministre ; mais ne peut-on avoir un mauvais administrateur ? Le mauvais ministre disparaît, le mauvais administrateur reste. Mieux vaut un mal qui passe qu'un mal qui reste.

Le gouvernement précédent rejetait très volontiers sur les fonctionnaires la responsabilité de ses actes. Nous avons vu accuser des directeurs, des gouverneurs, nous avons vu le ministère vouloir se décharger de sa responsabilité sur ses subordonnés. M. Wasseige me paraît avoir obéi à cette tendance en plaçant à la tête de l'administration des chemins de fer un chef de tous les services, en créant une espèce de vice-ministre des chemins de fer qui est l'intermédiaire constant des relations entre le ministre et l'administration.

En créant cette position par l'accroissement des attributions de la position existante, il a fait un pas dans cette voie qui isole l'administration de l'influence de l'opinion publique.

Je ne juge pas les personnes, mais la chose, et je ne puis l'approuver. Sa conséquence forcée est de diminuer l'action du ministre sur son administration, de lui enlever une part de l'autorité qui lui est nécessaire pour diriger cette vaste exploitation.

Croit-on que c'est un stimulant au zèle et au dévouement des chefs des grands services de chemins de fer que de les subordonner en tout à un supérieur permanent ? Leur responsabilité vis-à-vis du ministre est diminuée ; ils n'ont plus au même degré l'honneur des progrès faits et la charge des fautes commises ; il doit en résulter un affaiblissement de leur énergie

Je veux que la Chambre, qui représente le pays, ait son droit de contrôle entier sur le ministre, et celui-ci doit conserver le sien sur son administration, et pour cela, il lui faut des relations directes avec un certain nombre de ses fonctionnaires.

Or, cette centralisation de toute l'action dans une seule fonction, non pas inamovible en droit, mais inamovible en fait, doit diminuer l'autorité du ministre sur l'administration au préjudice du service.

Je suis convaincu que la mesure que l'on a prise conduira à de mauvais résultats dans l'avenir.

Je cris que jusqu'à présent personne ne soutiendra qu'elle en a produit de bons.

Je dis donc au gouvernement : « Maintenez votre autorité dans le chemin de fer comme nous maintenons votre responsabilité vis-à-vis la Chambre. »

Il faut que, quel que soient les faits qui se passent dans l'administration, nous puissions demander compte aux ministres de ces faits.

Je sais que quand il s'agit de petits faits isolés on ne peut en rendre le ministre responsable. Je sais que si un colis n'arrive pas à destination, si un train est en retard sur l'heure fixée, on ne peut en faire un grief au ministre.

Mais la responsabilité du ministre commence, si ces petits faits cessent d'être isolés, si l'on en constate une longue suite, si les inexactitudes, au lieu d'être rares, d'être l'exception, deviennent pour ainsi dire la règle.

L'acte isolé lui échappe, l'habitude peut lui être imputée à faute, parce qu'elle révèle des vices d'administration que le ministre doit faire disparaître.

Je réitère, en terminant, ma question au gouvernement. Accepte-t-il l'enquête publique ?

(page 285) S'il la refuse, qu'il déclare nettement qu'il n'en a pas besoin pour faire cesser tous les abus, toutes les imperfections de l'organisation des chemins de fer.

S'il l'accepte, qu'il le fasse, sans vouloir en faire un moyen d'atténuer sa responsabilité.

Maintenons ici comme ailleurs nos droits constitutionnels, et surtout la responsabilité du gouvernement.

Certes, la couronne ne pouvait, sur les bancs de la droite, faire un choix qui me fût personnellement plus sympathique que celui de l'honorable M. Moncheur ; ces sympathies personnelles pas plus que la divergence de nos opinions politiques ne me feront m'écarter de ce que je crois être mon devoir : exiger équitablement, mais fermement qu'il nous assure une bonne exploitation du réseau national, et cela qu'il fasse ou qu'il ne fasse pas d'enquête.

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, chaque année la Chambre consacre quelques séances à la discussion de ce grand intérêt national qu'on appelle le chemin de fer de l'Etat.

Il n'y a point d'inconvénient à ce que ce débat dure quelque peu, c'est une économie probable que nous faisons sur la discussion du budget des travaux publics.

Messieurs, j'interviens dans le débat dès à présent parce que le chemin de fer n'est pas seulement une vaste entreprise industrielle, mais aussi une entreprise qui intéresse au plus haut degré les finances de l'Etat.

L'honorable M. Pirmez a combattu très longuement tout à l'heure le système de l'exploitation par les commissions.

Messieurs, je crois que, d'après les faits actuels, c'est une question depuis longtemps souverainement jugée au profit de l'Etat.

Ces discussions se sont reproduites souvent ; elles avaient un objet réel et sérieux lorsque l'exploitation par l'Etat n'avait pas acquis le développement matériel qu'elle a aujourd'hui et surtout lorsqu'elle ne s'était pas agrandie tant au point de vue de l'exploitation qu'au point de vue des recettes.

Le progrès et la prospérité du chemin de fer et les annexions admises par les lois ont définitivement résolu la question.

Lorsqu'il m'est arrivé de prendre part à ces discussions, je disais sans cesse que pour exclure cette idée de la cession du chemin de fer de l'Etat à une compagnie, il fallait que l'Etat améliorât son exploitation ; qu'il fit aussi bien ou mieux que les compagnies.

Je n'hésite pas à le dire : c'est un résultat acquis aujourd'hui en grande partie, et ce serait rétrograder d'une manière déplorable de songer, si on le pouvait sérieusement, à défaire ce que la législature a fait, ce que le gouvernement a fait, depuis que le chemin de fer a pris l'essor de prospérité dont nous sommes témoins.

Je ne m'arrête donc pas à cette idée, qui a fait son temps, qui ne peut plus renaître. Si elle ne peut plus renaître, si l'exploitation par l'Etat est un fait désormais irrévocablement acquis, il faut aussi que le gouvernement sache accepter et accomplir dans toute leur plénitude les devoirs que cette position lui impose ; il faut qu'il perfectionne l'instrument, qu'il le rende meilleur de jour en jour, qu'il lui fasse produire tout ce que le pays, tout ce que l'industrie et le commerce ont le droit d'en attendre.

Je n’entends pas établir de parallèle entre le système de l'exploitation par l'Etat et le système d'exploitation par les compagnies.

Mais il faut bien le reconnaître : il y a dans le système de l'exploitation par l'Etat des difficultés qui sont inhérentes à la position même du gouvernement et d'une administration publique.

Ce n'est pas une raison pour abdiquer, c'est une puissante raison pour améliorer.

L'honorable M. Pirmez vous parlait tout à l'heure de la responsabilité ministérielle ; fort bien ! mais à côté de cela, il y a un inconvénient qu'il faut s'attacher à corriger : c'est l'instabilité des positions ministérielles. Il ne faut pas le corriger, en supprimant cette responsabilité, en soustrayant le chemin de fer au contrôle des Chambres ; mais il faut remédier à une cause inévitable de faiblesse en fortifiant l'administration, en plaçant à côté du ministre et sous sa responsabilité l'instrument permanent, non politique le plus parfait possible, qui doit faire fonctionner toute l'administration du chemin de fer.

L'instabilité n'est pas seulement là ; maïs, par la force des choses, elle est dans les arrêtés organiques.

Ainsi, s'il fallait examiner combien de systèmes différents ont été essayés pour organiser l'administration des chemins de fer, par quelles vicissitudes on a passé, quelles expériences déplorables on a faites quelquefois, j'en aurais pour bien longtemps. N'avons-nous pas vu, par exemple, après la mort de M. Masui, établir un système qui centralisait les moindres détails et qui ramenait tout jusqu'au cabinet du ministre ? On perdait quelquefois 1,000 francs ou plus, parce qu'un agent préposé à tel ou tel service n'avait pas le droit de dépenser 5 francs.

En maintenant le système de l'exploitation par l'Etat, il est désirable qu'après les expériences si longues que nous avons faites, on avise enfin à établir les bases d'une organisation réellement utile pour le chemin de fer de l'Etat et qu'aux principes essentiels de cette organisation, on puisse donner la stabilité d'une loi.

Nous avons fait une loi d'organisation de l'armée ; eh bien, n'est-ce pas aussi commander une armée, que d'être ministre des travaux publics ou directeur général de l'exploitation du chemin de fer, qui comprend aujourd'hui 1,800 kilomètres et qui un jour en comprendra beaucoup plus. Je le demandais déjà en 1856, dans cette Chambre, et les faits qui se sont accomplis depuis lors m'ont confirmé dans la conviction qu'il est nécessaire de donner une organisation stable, fixe, raisonnée à l'administration des chemins de fer de l'Etat.

Notre propre expérience pourrait être insuffisante ; mais depuis que les chemins de fer s'exploitent dans le monde, on peut trouver des modèles d'organisation et trouver un système qui concilie à la fois la responsabilité et l'action et qui détruise toutes les causes d'inertie, c'est-à-dire, les plus grandes ennemies d'une bonne administration de chemins de fer.

Il est une autre cause que je n'hésite pas à signaler. L'industrie particulière est libre dans la rémunération, elle est libre pour récompenser et vous, Etat qui exploitez un vaste réseau de chemins de fer, vous alignez là vos chiffres pour la rémunération de vos fonctionnaires comme vous les alignez pour les employés qui n'ont, après tout, que leurs heures de bureau à faire.

Vous n'avez même rien de complet pour récompenser les mérites exceptionnels et les actes de dévouement, et il s'en produit. Qu'il me soit permis d'en citer un qui est resté pour ainsi dire sans récompense.

Il est arrivé un jour qu'une locomotive s'est échappée ; un mécanicien est monté sur sa locomotive et l'a capturée en pleine voie, en pleine course et l'a ramenée, elle et le prisonnier qu'elle avait fait, sans qu'il y eût eu aucun choc, aucun désastre, et Dieu sait quels désastres ce courage et cette habileté ont prévenus.

Et vous n'avez pas dans votre budget de quoi récompenser un pareil dévouement, un pareil courage ! (Interruption.)

M. Frère-Orban. - C'est une erreur !

M. Malou, ministre des finances. - Oh ! je le' sais, il y a au budget de l'intérieur de quoi donner une médaille, une récompense pour acte de courage et de dévouement ! Ce n'est pas là ce dont je parle.

Il faut que vous ayez au budget des travaux publics un crédit au moyen duquel vous puissiez, non seulement récompenser un acte de courage et de dévouement comme celui que je viens de vous signaler, mais rémunérer convenablement les fonctionnaires, et ce n'est qu'à ces conditions que vous parviendrez à faire donner aux chemins de fer de l'Etat des résultats financiers convenables. (Très bien.)

M. Frère-Orban. - Il existe des fonds au budget.

M. Malou, ministre des finances. - Il existe des fonds, soit ; mes idées existent aussi. (Interruption.)

M. Bouvier. - Elles sont bonnes.

M. Malou, ministre des finances. - Et elles se réaliseront, je l'espère. (Interruption.) On dit derrière moi que c'est un mauvais système que d'accorder à des agents des récompenses pécuniaires.

Je ne connais pas, pour ma part, de plus détestable système que celui qui consiste, par exemple, à donner un traitement de dix mille francs à un directeur général des chemins de fer, alors que, dans des entreprises particulières en Belgique, des hommes de la valeur de ceux-là reçoivent, en général, une rémunération beaucoup plus abondante.

Je dis qu'il faut, pour être bien servi, bien payer, bien rémunérer les services. (Très bien.)

C'est élémentaire.

M. Bouvier. - Vous êtes dans le vrai.

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, j'aborderai maintenant un autre ordre de faits dans lequel il reste également beaucoup à faire.

Lorsque nous avons posé, en 1846, les principes généraux de comptabilité de l'Etat, j’ai longtemps lutté pour obtenir, et j'y ai réussi, une exception temporaire pour les chemins de fer de l'Etat.

Cette exception, dans ma pensée, à cette époque, était exclusivement relative au contrôle des recettes du chemin de fer de l'Etat.

L'article 53 de la loi de comptabilité avait réservé à une loi spéciale (page 286) l'organisation définitive de la comptabilité du chemin de fer de l'Etat ; et cette loi devait être présentée, comme elle l'a été, en effet, dans le cours de la session de 1846-1847. Cette loi n'a pas eu les honneurs de la discussion et elle a disparu par suite de la dissolution de 1848.

Je l'ai relue ce matin et je dois déclarer qu'aujourd'hui je ne la reproduirais plus. Mais je reproduirais une loi plus générale qui fît disparaître, au point de vue de l'intérêt de nos chemins de fer, les inconvénients inhérents à l'application des règles générales sur la comptabilité publique. Et c'est là une chose assez importante.

Et, en effet, il se produit et il existe encore aujourd'hui, malgré certaines améliorations, des inconvénients tels, qu'ils touchent presque au ridicule.

Ainsi, le domaine seul a le droit de vendre les produits indirects du chemin de fer ; et l'on voit le ministre des travaux publics donner l'autorisation à un chef de service, à un chef de section, d'acheter des herbages croissant sur les talus du chemin de fer et que le ministre des finances fait vendre pour compte du domaine. Le ministre des travaux publics se porte parfois adjudicataire d'osiers croissant sur les talus et qui sont vendus à la requête du ministre des finances.

On a même vu, dans le temps, en vertu du même principe, dépenser 25,000 francs pour mettre en état de marcher une locomotive devenue, pour me servir d'une expression consacrée, un vieux chaudron, incapable de rendre service, mais on voulait éviter la vente et la démolition au profit des finances.

De même, et c'est un des articles les plus importants, pour les rails à remanier ; la cour des comptes, se rendant à l'évidence, a reconnu les nécessités de l'administration des chemins de fer ; on a pu adopter enfin de commun accord, sous l'administration de l'honorable M. Vanderstichelen ou de l'honorable M. Jamar, un système d'après lequel aujourd'hui, heureusement, le chemin de fer est dispensé de vendre à vil prix comme mitraille les rails qu'il doit mettre hors de service et on admet, par une combinaison qui n'est pas correcte au point de vue de la comptabilité générale, on les admet comme payement partiel du prix de rails neufs.

M. Jamar. - J'ai expliqué le système à la Chambre.

M. Malou, ministre des finances. - Je me borne à signaler ce fait que l'on a dû éluder, tourner les principes généraux de la loi de comptabilité, pour pouvoir tenir compte des exigences spéciales à ce service public. C'est le seul but de mes observations et je pense que la Chambre ne s'y sera pas méprise.

Le système de comptabilité qui existe aujourd'hui est parfaitement bon au point de vue des garanties qu'il offre.

Loin de moi l'idée de le critiquer à ce point de vue. Mais il produit aussi une autre conséquence.

Nous ne pouvons savoir ce qui s'est passé au chemin de fer qu'à une époque où, souvent, nous n'avons plus guère d'intérêt à le savoir.

Ainsi, pour le compte rendu annuel, nous recevons, à la fin de 1871, le compté rendu de 1869.

Cette périodicité est parfaitement établie. Les comptes rendus sont normalement en retard de deux années.

M. Jamar. - Sous l'administration nouvelle.

M. Malou, ministre des finances. - L'honorable M. Jamar veut m'attirer sur un terrain où je ne me placerai pas.

Je prie les administrations précédentes de se débrouiller entre elles, si bon leur semble : Je dis avec le poète :

« Non nostrum inter vos tantas componere lites. »

Je ne me suis pas enquis des dates de tous les comptes rendus, mais je me rappelle qu'à une époque de beaucoup antérieure à celle de l'honorable M. Jamar, le compte rendu s'est trouvé en retard de trois ou quatre ans. (Interruption.)

Laissez-moi, je vous prie, discuter le chemin de fer au lieu de M. un tel ou un tel, ce qui provoquerait des débats personnels dont je ne me soucie pas du tout.

Je disais donc que d'après l'état actuel des choses, nous étions informés tardivement de faits dont la connaissance est nécessaire pour que le contrôle parlementaire, qui est en définitive la garantie de la bonne administration et la sanction de la responsabilité ministérielle, puisse utilement s'exercer.

Au moment où nous discutons, nous ne connaissons pas même les résultats du dernier trimestre de 1871.

Ainsi, tout à l'heure, en parlant de questions qui ont été agitées précédemment, j'aurai à évaluer la recette de 1871.

Je devrais, nous devrions la connaître tous et tout entière.

- Un membre. - Et la cour des comptes.

M. Malou, ministre des finances. - Il ne s'agit pas de cour des comptes. Il parait que je n'ai pas le don d'être clair aujourd'hui ; je fais remarquer qu'il résulte de l'ensemble du système de comptabilité du chemin de fer, qui n'est pas tenu par la cour des comptes (la cour des comptes n'est que le contrôle), qu'il en résulte, dis-je, des retards regrettables et qu'il faut tâcher de supprimer. Ainsi, messieurs, les plus grandes compagnies, celles qui avaient des réseaux plus étendus que ne l'est aujourd'hui l'exploitation par l'Etat, forment des bilans et les présentent à leurs actionnaires au mois de mars ou d'avril qui suit la clôture de l'exercice.

Pourquoi ne pourrions-nous pas le faire ? Pourquoi n'aurions-nous pas ce même système ? L'interruption même qu'on m'a faite tout à l'heure me ramène à une autre idée. Les administrations publiques ont forcément des budgets divisés, c'est-à-dire que le ministre des finances a le budget des voies et moyens, y compris le budget des recettes du chemin de fer et mon honorable collègue et ami, M. le ministre des travaux publics, a le budget des dépenses.

Il résulte, de là que nous avons toujours deux budgets, mais que nous n'avons jamais eu un bilan, tandis que les compagnies font des bilans dans lesquels on reconnaît parfaitement quelle est la situation de l'entreprise et par lesquels on peut facilement reconnaître si elles progressent ou si elles reculent.

Mais nous, nous voyons les choses, non pas en partie double, mais en partie beaucoup trop simple, c'est-à-dire, que les deux parties divisées n'ont pas une signification claire et complète pour l'exercice du contrôle parlementaire.

Je voudrais donc, puisque, en définitive, tout en étant exploités par l'Etat, les chemins de fer ne perdent pas leur caractère, leur nature, je voudrais que nous parvinssions, dans la loi de comptabilité relative aux chemins de fer spécialement, à substituer le système des bilans au système des budgets séparés et dès lors incomplets, inintelligibles l'un et l'autre ou l'un sans l'autre. Nous pourrions avoir ainsi des situations correctes, des situations à jour et pour ainsi dire instantanées.

Je le sais, messieurs, il existe pour l'exploitation de l'Etat une difficulté particulière ; l'exploitation de l'Etat se compose de deux éléments : les lignes qu'il a construites et qu'il exploite ; les lignes concédées qu'il exploite en vertu de contrats de différentes dates et de différentes natures.

J'ai pu reconnaître bien des fois quelles difficultés nouvelles chacune de ces compagnies et les comptes à rendre à chacune d'elles ajoutent à la mission naturelle qui est imposée à la comptabilité de l'Etat.

Ainsi,, Dendre-et-Waes, Tournai à Jurbise, Hai à Ath, Braine-le-Comte à Gand, bientôt Welkenraedt et les plateaux de Herve, depuis l'an passé, les Bassins houillers avec 600 kilomètres de chemins de fer faits, 550 kilomètres à construire.et un compte entièrement spécial ; à chacune de ces compagnies il faut fournir chaque mois un compte détaillé, et pour Dendre-et-Waes, où le système semble être le plus simple, ce sont trois énormes volumes manuscrits à produire chaque mois ; mais, s'ensuit-il, lorsqu'on aurait des données approximatives sur les résultats en recettes et en dépenses d'une partie de l'exploitation, qu'on ne puisse pas, comme le font les compagnies, fournir aux Chambres des situations suffisamment exactes pour pouvoir servir de base à ce contrôle qui doit être facilité, si l'on veut qu'il soit sérieux.

Messieurs, dans le même ordre d'idées, je voudrais que l'on modifiât profondément les comptes rendus qui sont soumis aux Chambres.

Je ne doute pas que chacun de vous les lise chaque année. (Interruption.) Non, je ne veux pas douter que chacun de vous les lise chaque année et je reconnais que cela est très méritoire. Mais je ne vois pas pourquoi, lorsqu'il serait possible de donner en 25 ou 30 pages in-folio des renseignements complets, condensés, analogues, par exemple, à ceux que donnent les compagnies françaises, le Nord, l'Est, les compagnies belges, comme le Luxembourg, le Grand-Central, inutilement on aggrave et on rend si dure et si pénible la vie parlementaire.

Nous avons tous intérêt à être bien informés ; mais nous avons intérêt aussi à ce qu'on ne nous donne pas à chercher dans ces immenses volumes les choses qui peuvent être réellement utiles. J'en ai cherché, lors de la grande bataille dont vous parlait tout à l'heure l'honorable M. Pirmez. Je sais ce qu'il m'en a coûté de peine et je sais combien de fois j'ai échoué, croyant trouver ce qui devait y être et ne rencontrant que beaucoup de choses dont on aurait pu se passer. Ce n'est pas le cas d'appliquer le principe : l'utile n'est pas vicié parce qu'il est inutile. Je crois que ce qui est utile est vicié au contraire par les trois cents pages de statistique indigeste que nous devons dévorer chaque année, comme vous le faites avec beaucoup de mérite et de courage.

(page 287) Messieurs, notre législation en matière de chemins de fer, en matière de transports, est stationnaire et arriérée d'une manière incroyable. On a fait, il y a quelque vingt ans, une petite loi sur la police des chemins de fer ; voila tout. Quand on s'est occupé de la législation des transports, une commission, nommée par le gouvernement, avait inséré dans l'avant-projet du code de commerce le titre de Code adopté en 1808, qui avait été copié presque textuellement dans le Parfait Négociant de Savary et dans l'ordonnance de Colbert ; cette commission, très bien composée de jurisconsultes et d'hommes pratiques, s'est bornée à mettre le mot « code civil » au lieu de « code Napoléon », usité sous l'empire ; elle a respecté complètement l'ordonnance de Colbert sur le contrat de voiture défini et réglé en 1808.

Il peut arriver parfois que des hommes très instruits, très savants regardent beaucoup dans leurs bibliothèques, mais pas les faits qui 'se passent autour d'eux.

La nature même du contrat de transport a été complètement changée depuis l'établissement des chemins de fer ; le contrat de transport était autrefois librement débattu entre les deux parties ; aujourd'hui sous le régime des chemins de fer, qui sont naturellement un monopole, le contrat qui intervient est en quelque sorte forcé.

Or, qu'est-il arrivé ? En Belgique l'Etat a fait des livrets réglementaires qui sont de véritables lois obligatoires à l'égard des particuliers et qui ont été faites au point de vue relatif de l'une des parties.

Je demande, messieurs, quel serait notre droit civil si tous les contrats étaient faits de cette manière.

Ailleurs, et j'en tiens ici un spécimen, ailleurs on a réglé d'une manière équitable toutes les transactions qui peuvent être faites à l'occasion du transport fait par les chemins de fer, ces questions multiples et si délicates sur la responsabilité, les avaries, les retards, les droits et les obligations de chaque partie.

Je citerai notamment les lois de police et les règlements qui ont été faits récemment dans l'empire de l'Allemagne du Nord.

Ces livrets réglementaires et ces lois de police ont été considérés comme tellement parfaits qu'ils sont adoptés aujourd'hui par un ensemble de lignes comprenant environ 40,000 kilomètres, et dans lequel une compagnie belge a même une part, à raison d'une ligne qu'elle exploite en Allemagne.

Eh bien, ne serait-il pas utile, opportun, de nommer, non pas une commission d'enquête - je parlerai tout à l'heure de l'enquête - mais une commission d'hommes spéciaux, chargée d'examiner les deux ordres d'idées sur lesquels je viens d'attirer l'attention de la Chambre.

D'un côté, il y a des questions de comptabilité ; de l'autre, il y a des questions de législation, de police, de définition des droits et des devoirs, tant de celui qui amène des marchandises au chemin de fer que de l'administration elle-même. Il faudrait donc deux commissions spéciales.

Un progrès antérieur avait déjà été accompli dans l'empire de l'Allemagne du Nord, par le code général de commerce ; j'ai traduit dans le temps et l'Annuaire des chemins de fer a publié le titre relatif aux transports par ces voies nouvelles.

Si l'on a fait mieux ailleurs, pourquoi ne chercherions nous pas non plus à régler d'une manière complète, d'une manière qui ne donne pas lieu à des discussions incessantes, interminables, à de nombreux procès, ces questions si difficiles que l'expérience seule a pu permettre de résoudre d'une façon complète.

Ainsi, je me réserve de combattre tout à l'heure la commission d'enquête ; mais, selon moi, il est du devoir du gouvernement d'instituer deux commissions spéciales pour l'aider à préparer des projets de lois sur les deux ordres de questions que je viens de définir.

Le projet de code de commerce, qui doit être discuté, et j'espère que ce sera bientôt, nous mettra en présence des mêmes questions. J'ai revu ce matin le rapport fait au nom de la commission, cl voici comment on s'est arrangé : on s'est occupé des règles générales du contrat de voiture, et ce dont je remercie la commission, c'est un bienfait très incomplet, mais enfin c'est un bienfait. On a ajouté un article qui permettrait au gouvernement de déroger à ces conditions par des arrêtés royaux en ce qui concerne les chemins de fer ; en d'autres termes, on a donné au gouvernement le pouvoir de faire des lois obligatoires à l'égard des particuliers, en ce qui concerne le transport par chemin de fer.

Je crois qu'il faut sortir de cette voie et rentrer dans la voie légale qui existe et doit exister pour tous les contrais synallagmatiques où il y a des intérêts contradictoires que le législateur doit pondérer et définir.

La Chambre m'excusera d'avoir tant insisté sur ces questions ; mais elles me paraissent appartenir naturellement au débat actuel,

J’arrive maintenant aux questions financières,

Le problème d'une bonne exploitation, je l'ai toujours soutenu, est, au fond, le même pour les chemins de fer exploités par l'Etat et pour les chemins de fer exploités par les compagnies, en ce sens qu'il faut tenir compte des trois éléments : de la recette brute, du mouvement et du produit net, et c'est introduire une idée fausse que de sacrifier l'un de ces éléments. En d'autres termes encore, il faut que l'exploitation du chemin de fer de l'Etat s'attache à rendre au pays, au commerce et à l'industrie la plus grande somme de services possible, mais sans se ruiner, et elle ne doit pas se ruiner, parce que sa prospérité financière est une des conditions nécessaires de son développement et de la possibilité pour elle de continuer à rendre au pays tous les services qu'elle lui doit.

Messieurs, il y a bien des années, je demandais un jour à un administrateur distingué de la compagnie du Nord français si le réseau était fini et il me répondit : Un chemin de fer n'est jamais fini. J'avoue que la réponse me parut à cette époque une plaisanterie, une échappatoire ; eh bien, c'est la vérité la plus simple et cela s'est vérifié partout où les chemins de fer ont progressé.

C'est l'expérience que nous avons faite nous-mêmes, que nous continuons en ce moment et que, je l'espère, nous continuerons longtemps encore.

En 1848, les chemins de fer étaient dans nos écritures de comptabilité comme ayant coûté 162,237,000 francs. Lorsque les Chambres auront voté le crédit qui leur est soumis en ce moment, ; nous aurons ajouté à ces 162 millions, 154 millions à peu près ; c'est-à-dire qu'aujourd'hui le chemin de fer, ce crédit voté et employé, figurera dans nos livres pour une somme de 316 millions.

A cette époque (en 1848), le chemin de fer donnait 12 à 14 millions, bon an, mal an ; mais aujourd'hui vous verrez que nous dépassons 56 millions pour la part de l'Etat.

Messieurs, j'ai dressé, afin de joindre l'exemple au précepte, et je vais commenter quelques petits tableaux, un peu de statistique compacte, concentrée, digérée. Un premier tableau donne le relevé des crédits extraordinaires ouverts par différentes lois de 1848 à 1871.

Je demanderai à la Chambre de m'autoriser à faire imprimer, comme document parlementaire, ces divers tableaux qu'il est utile de publier. (Adhésion.)

On y verra distinctement quelles sommes, depuis 1848, ont été consacrées à la construction et à la reconstruction des voies, aux stations et autres installations et au matériel de transport.

Pour ne pas fatiguer l'attention de la Chambre, je me bornerai à en donner ici un résumé.

De 1848 à 1870, nous avions consacré à la construction et à la reconstruction des voies 56,900,000 francs ; 24 1/2 millions aux stations et aux autres installations et 35 1/2 millions pour le matériel de transport.

Pendant l'année 1871, cette année tant discutée, on a voté 20,640,000 fr. pour les chemins de fer.

Nous voici au début de 1872, et nous vous demandons déjà au delà de 16 millions.

Il me semble, messieurs, qu'on ne peut pas reprocher au gouvernement d'avoir été trop lentement dans ces derniers temps ; de n'avoir rien fait, d'avoir négligé l'avenir du chemin de fer, lorsque, en moins de deux années, nous aurons voté, pour le chemin de fer de l'Etat, au delà de 36 millions de francs si, comme je l'espère, la Chambre adopte le. crédit qu'elle discute maintenant ; et j'ajoute, sans compter les espérances dont nous parlerons tout à l'heure.

J'ai fait un autre relevé qui montre à quel point la sollicitude des Chambres et du gouvernement s'est attachée à outiller, à armer notre chemin de fer des moyens nécessaires pour satisfaire aux intérêts publics.

Ce tableau ne remonte qu'à 1861 ; il indique la somme totale du capital appliqué chaque année suivant les quatre catégories que je viens d'indiquer et l'emploi qui en a été fait pendant chaque exercice pour ces trois destinations.

Ainsi, de 1861 à 1870, 24,500,000 francs pour la route proprement dite ; 26 millions pour les stations et dépendances, une petite somme de 375,000 francs pour frais généraux et 21,600,000 francs pour le matériel de transport ; soit, en total 72 millions qui ont été dépensés depuis 1861, sans compter les crédits de 1871 et de 1872, c'est-à-dire 36 millions que j'ai mis en quelque sorte hors cadre dans le premier tableau.

Lorsque nous avons résolu de demander à la Chambre quatre millions de plus que n'avaient demandé nos prédécesseurs, nous l'avons fait surtout parce qu'il nous a été démontré que, si nous ne les demandions pas aujourd'hui, nous devrions les demander bientôt et qu'une grande partie de (page 288) la somme avait été destinée trop exclusivement, selon moi, à l'augmentation du matériel.

Il faut, à mon avis, faire marcher de front les augmentations de matériel et les installations ; sans cela, on aboutit à cette déplorable maladie des chemins de fer dont nous avons été témoins dans d'autres pays, et qu'on appelle l'encombrement, maladie très difficile à guérir et qui cause de bien cruelles souffrances.

Mais il y avait à pourvoir encore à un autre intérêt ; pour que le matériel puisse être mieux utilisé et augmenté, pour ainsi dire sans dépense, il faut améliorer les moyens de chargement et de déchargement.

Je n'entrerai pas dans les détails techniques. Je n'examinerai pas les systèmes de glissières, de clapets, de soupapes, de trémies, etc., qui ont été si savamment décrits par l'honorable M. d'Andrimont. Nous n'en finirions jamais.

Avant de proposer cette considérable augmentation de crédit, j'ai voulu me mettre en mesure de rendre compte à la Chambre d'une manière sommaire, en quelque sorte comme primeur, de la situation du trésor telle qu'elle ressort au 1er janvier 1872.

Il est d'usage de publier cette situation avec tous les détails, mais la Chambre me permettra de lui lire la note qui la résume, en attendant que l'on puisse lui en donner les annexes et les développements. Voici cette note :

Situation probable du trésor au 1er janvier 1872

Pour établir cette situation, il faut remonter au 1er janvier 1870. A cette date, le trésor possédait une réserve applicable aux services spéciaux de 48,181,963 fr. 01

\1870. Service ordinaire,

Les recettes sont de 189,900,000 fr. et les dépenses de 190,630,000 fr. Soit un excédant de dépense de 730,000 fr.

Services spéciaux. Les dépenses ont été de 25,063,874 fr. 13 c.

En regard d'une recette de 17,238,361 fr. 25 c. (Dans ces 17,238,561 fr. 25 c, sont compris 14,000,000 de francs pour le produit de la vente des terrains de la citadelle du Sud, et sur lequel il reste à recevoir 10,847,714 francs.)

Excédant de dépense : 7,825,512 fr. 90 c.

Ces excédants de dépense atténuent la réserve de. fr. 8,555,512 90, et la réduisaient, au 1er janvier 1871, à 39,626,450 fr. 11 c.

\1871. Services ordinaires.

Recette probable : 203,500,000 fr. (Le chemin de fer y entre pour 56 millions.)

Dépenses approximatives savoir :

Budgets votés : 179,300,000 fr.

Crédits supplémentaires. Prévisions : 17,200,000 fr.

Soit 196,500,000 fr.

A déduire :

Annulation de crédits sans emploi : 3,000,000 fr.

Annulation de fonds d'amortissement : 2,550,000 fr..

Reste comme dépense probable : 190,930,000 fr.

Boni ou excédant de recette sur les budgets ordinaires : 12,550,000 fr.

Services spéciaux.

Les recettes se composent du produit du dernier emprunt, que l'on considère ici comme entièrement recouvré : fr. 50,000,000.

Autres recettes : fr. 1,290,000.

Total : 51,290,000.

Les dépenses sur crédits spéciaux ont atteint en 1871 : 29,264,000 fr.

Les recettes spéciales de 1871 ont donc laissé sur les dépenses un excédant de 21,926,000 fr., à ajouter à la réserve ci-dessus.

Au 1er janvier 1872, notre réserve serait donc de. fr. 74,102,450

Les crédits ouverts, c'est-à-dire qui restent à la disposition des ministres, pour l'exécution des travaux publics, etc., décrétés, s'élevait, au 1er janvier 1872, à 64,114,360 fr. 16 c.

Il faut y ajouter les crédits suivants dont les projets sont en ce moment soumis à la Chambre :

Travaux publics, matériel des transports, etc. : 16,080,000 fr.

Travaux publics, lignes télégraphiques : 300,000 fr.

Autres. Pain de munition, etc. : 2,000,000 fr.

Soit 18,380,000 fr.

Ensemble : 82,500,000 fr.

On peut admettre que les recettes ordinaires de 1872 (évaluées à 189,021,000 francs dans le budget proposé) dépasseront au moins de 6 millions celles de 1871, qui, comme on l'a vu, s'élèvent à 203,800,000 francs ; par conséquent 209,500,000 fr.

Les budgets des dépenses dont les projets sont présentés s'élèvent à 183,424,000 fr.

On y ajoute, pour crédits supplémentaires 9,576,000 fr., soit 193,000,000. »

Par contre, ou en revanche :

1° le fonds d'amortissement présumé devoir rester sans emploi, 2,550,000 francs et 4,500,000 francs pour diverses recettes spéciales, notamment le rachat du péage de l'Escaut ; et 2° 3,000,000 de francs pour annulations sur le budget ordinaire : 6,000,000 fr.

Reste 187,000,000 fr.

On arriverait donc, pour 1872, à un boni de 22,500,000 fr. (209,500,000 fr. moins 187,000,000 francs).

Soit 13 millions de plus que le déficit indiqué plus haut.

Vous voyez donc, messieurs, que le pays possède les ressources, les moyens de faire ce qui doit être fait pour compléter et améliorer la situation du chemin de fer de l'Etat.

Je n'ai pas besoin d'ajouter que je ne doute point que la Chambre ne soit unanime à vouloir les appliquer.

J'ai proposé, messieurs, d'insérer dans le projet de loi la faculté pour le gouvernement de couvrir au besoin ce service par l'émission de bons du trésor, et je tiens à en dire les motifs.

Et d'abord, messieurs, très souvent quand des dépenses de cette nature ont été présentées et même des dépenses beaucoup moindres dans des circonstances analogue à celles-ci, on a cru prudent de donner à M. le ministre des finances, si belle que fût la situation financière, cette faculté d'émettre des bons du trésor. Nous avons le bonheur d'avoir, depuis longtemps, comme vous le savez, un encaisse très fort ; c'est une excellente situation qu'il faut savoir maintenir. Nous avons tous l'espoir qu'aucun orage ne se produira au dehors, mais personne de nous ne peut en avoir la certitude.

Ainsi lorsque, inopinément, l'incident du Luxembourg a, pendant quelques semaines, menacé la paix de l'Europe, M. le ministre des finances d'alors avait déjà eu soin de mettre dans les lois de crédits extraordinaires cette même faculté d'émission de bons du trésor. Les autorisations s'élevaient alors à 45 millions et cette fois il a cru prudent et sage, et je l'en loue, d'user de la faculté que les lois lui avaient donnée. La proposition de pouvoir émettre des bons du trésor n'incrimine donc point la bonne situation du trésor public ; c'est une précaution, c'est un en cas, c'est, si je puis parler ainsi, une sorte de parachute qu'il faut donner pour des circonstances qui pourraient inopinément troubler la situation politique, la situation économique.

(page 289) Il peut y avoir un autre raison. Je vous ai fait remarquer tout à l'heure combien avait été rapide la progression du chiffre total du compte de premier établissement du chemin de fer de l'Etat. Je vous disais en même temps que, dans d'autres administrations, on affectait et avec raison à des amortissements une partie des bénéfices qu'on recueillait. Pour le chemin de fer de l'Etat, c'est un mot qui ne se trouve pas dans son dictionnaire ; nous augmentons le fonds de premier établissement, mais nous n'avons pas plus d'amortissement que nous n'avons de bilans ou d'inventaires.

Si la prospérité du chemin de fer continuait à se développer, ne pourrait-on pas arriver à un système qui n'aurait plus pour résultat d'augmenter incessamment le fonds de premier établissement et ne pourrions-nous pas, en remboursant ces bons du trésor sans les remplacer, consacrer une partie de l'excédant que nous donneraient nos chemins de fer, à amortir les dépenses que nous avons faites pour lui procurer cette prospérité même ?

C'est pour cela que je demande à la Chambre d'ajouter au projet la faculté d'émettre des bons du trésor en allant même jusqu'il une échéance de. cinq ans au maximum.

Messieurs, d'honorables préopinants, bien que nous ayons ajouté 4 millions au projet primitif, paraissent croire ou disent que ce n'est pas assez. C'est possible ; je n'en disconviens pas. Mais je crois qu'il est de l'intérêt de tous que l'on examine bien dans son ensemble, non seulement ce qu'il faut faire, mais quand et dans quel ordre il faut le faire, pour que les millions que nous aurons encore à consacrer au développement du chemin de fer, reçoivent l'application la plus utile, la plus urgente et la plus fructueuse.

En effet, messieurs, lorsque des crédits considérables sont ouverts ainsi à une administration comme celle des chemins de fer de l'Etat, lorsqu'il n'y a pas un plan d'ensemble, lorsqu'on n'a pas d'avance déterminé quel est l'ordre d'urgence de chacune de ces dépenses, lorsqu'on n'a pas spécialisé de manière que l'affectation la plus urgente et la plus utile ait la priorité, ne peut-il pas arriver, n'arrive-t-il pas tous les jours, ne trouvons-nous pas enfin dans l'histoire des chemins de fer, non pas que des millions se soient égarés en ce sens qu'ils ont été perdus, mais qu'ils ont été distraits et employés autrement que les Chambres et le gouvernement lui-même à l'origine, lorsqu'il faisait ses propositions, ne l'avaient pensé ou voulu ? Je crois que nous devons sortir de cette voie. Je crois que nous devons, non pas faire un inventaire par sous et deniers, mais faire un inventaire réel et complet de la situation telle qu'elle existe aujourd'hui, des besoins actuels et des besoins futurs, pendant une certaine période, mais avec des vues d'ensemble, de manière que l'on ne commence pas par les choses qui pourraient être différées, en négligeant celles qui devraient être faites immédiatement. (Interruption.) En effet, nous sommes a peu près d'accord en tout et c'est fort heureux.

Les millions que nous consacrons au chemin de fer, nous les votons avec enthousiasme en quelque sorte, parce que nous savons qu'ils sont reproductifs.

Calculons donc avec soin, d'après les probabilités, quelle sera, quand les circonstances exceptionnelles que nous venons de traverser auront disparu, la progression normale des recettes du chemin de fer et ce qu'il faut dépenser en matériel, installations, voies et autres objets de toute nature, pour pouvoir suivre la progression des recettes, qui doit être la rémunération du capital plus ou moins considérable consacré à ces travaux. (Interruption.)

On me dit : Et M. Wasseige ! Encore une fois, on veut me ramener sur le passé ; moi je regarde devant moi.

Je pourrais répondre : Et tout ses prédécesseurs ! ce n'est pas, évidemment, mon honorable ami, M. Wasseige, qui seul a été ministre depuis 1834. De grâce, examinons ce que nous avons à faire, et laissons là le passé.

MpT. - Je demande qu'on n'interrompe pas.

M. Malou, ministre des finances. - Il faut donc, pour les dépenses que nous avons encore à faire, déterminer l'ordre des applications les plus urgentes, les plus utiles, de manière à maintenir dans la pratique, sans dépenses improductives ou prématurées, ce parallélisme entre la progression des recettes et des dépenses extraordinaires.

J'ai maintenant, messieurs, à vous parler un instant de la progression des recettes du chemin de fer de l'Etal et de la probabilité de nos recettes pour 1872.

J'ai dressé également un petit tableau dont voici le cadre. Je prends d'abord la recette brute totale ; je la décompose en part de l'Etat et en part des compagnies ; j'ajoute à ces quatre colonnes les dépenses d'exploitation et le tantième qui en résulte comme compte d'exploitation.

Et, en effet, pour l'Etat exploitant et pour le trésor public, il faut établir deux comptes entièrement distincts. Si vous voulez juger quels tout le caractère et le mérite intrinsèque de l'exploitation par l'Etat, il faut mettre en regard l'une de l'autre la somme de recette brute qu'il recueille et les dépenses qu'il fait.

Ainsi que je l'ai fait remarquer, il n'exploite, pas seulement les lignes qu'il a construites, mais il exploite encore un réseau très étendu pour le compte de tiers, à qui il doit une part de recettes, l'autre part venant accroître la sienne du chef de l'exploitation. Ces explications, que j'ai tâché de rendre claires, étant données, voici les chiffres probables de 1871 :

Recette brute totale de l'exploitation : 61,283,000 fr.

Part de l'Etat : 56,247,000 fr.

Part des compagnies : 8,050,000 fr.

Dépenses d'exploitation : 35,927,000 fr.

Tantième d'exploitation : 55.89 p. c.

Recette nette d'exploitation : 28,356,000 fr.

Produit net pour le trésor : 20,320,000 fr.

Ces chiffres vous étonnent, je le comprends ; mais je vais les expliquer et prouver qu'ils sont réellement probables.

L'Etat a exploité, en 1871, 607 kilomètres de plus qu'en 1870 ; et la part de recette acquise à l'Etat, en vertu de la convention du 25 avril 1870, est venue accroître la recette brute comme compte d'exploitation ; de même, la part des compagnies qui, l'année précédente, n'était que de 4 millions cl quelques centaines de mille francs, s'élèvera probablement pour 1871 à plus de 8 millions.

Prenant donc toujours le compte de l'exploitation, j'arrive à ce résultat que l'Etat a reçu ou recevra, y compris les derniers mois encore inconnus, 64,283,000 francs et qu'il dépensera probablement pour l'exploitation 35,927,000 francs, d'où résulte l'exploitation par l'Etat à 55-89 p. c. Eh bien, en présence de l'abaissement des tarifs, on peut dire qu'une administration qui a fait l'exploitation d'un réseau si enchevêtré que le nôtre à raison de 55-89 p. c. ne doit pas être condamné comme incapable. Il est facile d'exploiter à 40 p. c. avec des tarifs comme ceux qui existent en France et en Allemagne, mais avec des tarifs comme les nôtres, c'est un mérite réel d'exploiter convenablement à 56 p. c.

Le compte d'exploitation, disais-je tout à l'heure, est distinct du compte du trésor. Et en effet les 64,283,000 francs de recettes brutes ont une contrepartie qui est la dépense, qui demeure tout entière à la charge de l'Etal ; le compte de 1871 doit,-comme les autres, s'établir comme ceci : J'ai reçu, moi Etat, comme recette brute totale de mon exploitation 64,285,000 francs ; je dois aux compagnies dont j'exploite les lignes 8 millions, il me reste donc comme recette d'exploitation 56,000,000 de francs. J'ai voulu, en présence de ce chiffre, apprécier quelle était l'influence de l'accroissement, c'est-à-dire de l'adjonction de 607 kilomètres au réseau de l'Etat. Et voici comment j'ai procédé. La recette pour 1871 garantie à l'Etat exploitant en vertu de la convention du 25 avril 1870 est de 12,500 francs par kilomètre.

Je multiplie cette recette par le nombre de kilomètres et je déduis de ce chef 7,587,000 francs de la recette qui forme la part de l'Etat et qui est de 56,247,000 francs et j'arrive à cette conclusion que si l'Etat n'avait pas repris les 607 kilomètres, il aurait, avec les moyens dont il disposait (car je suppose proportionnels les moyens d'exploitation pour les kilomètres nouveaux), il aurait réalisé, dis-je, une recette de 48,660,000 francs, part de l'Etat. II aurait donc accru la recette de près de sept millions, sans avoir une notable augmentation, ni dans le matériel, ni dans les installations.

Messieurs, en présence de ces faits, je demande encore une fois ce que deviennent les accusations dirigées contre l'administration, contre l'exploitation des chemins de fer de l'Etat. Mais il y a des faits non moins éloquents que ceux-là, que j'exposerai tantôt.

Messieurs, j'allais oublier d'indiquer encore une des conséquences de ce tableau.

J'ai lu, et toujours avec grande attention et beaucoup de persévérance, toute la métaphysique que l'on a mise dans les comptes rendus annuels sur ce qu'on appelle les boni.

Comme ministre des finances, en fait d'exploitation des chemins de fer, je ne connais et ne vois que trois choses : les recettes, ce qu'on dépense, ce qui me reste. Cela est élémentaire et bien simple.

Or, voici cette situation au point de vue du trésor. Le trésor, comme je (page 290) le disais tout à l'heure, est chargé seul de la dépense de tout le réseau ; il bonifie leur part aux compagnies ; il pourvoit à toutes les dépenses ; que lui reste-t-il ? Voilà, en définitive, un point très important pour le ministre des finances et pour les Chambres.

Je demande la permission d'indiquer le chiffre, depuis 1865 d'après les bases que je viens d'indiquer. Nous avions :

En 1865, 16,260,000 fr.

En 1866, 13,220,000 fr.

En 1867, 12,356,000 fr.

En 1868, 13,354,000 fr.

En 1869, 15,365,000 fr.

En 1870, 16,479,000 fr.

Enfin, en 1871, si les prévisions que je vais expliquer tout à l'heure se réalisent, nous aurons net pour le trésor un produit de 20,320,000 francs.

Cela me paraît encore très satisfaisant et très rassurant, puisque notre capital d'immobilisation, quand nous aurons fait les dépenses qui vont être décrétées, ne sera que de 316 millions.

J'ai encore deux faits à indiquer relativement à l'année 1871.

Notre matériel s'échange nécessairement avec les compagnies belges ou étrangères qui sont en relation avec l'exploitation de l'Etat. Le résultat de ce décompte annuel donne à certains égards la mesure de l'utilisation du matériel. Or, voici les chiffres ; je ne cite pas ceux des années antérieures à 1868, qui sont du reste à peu près les mêmes, sauf pour une année où l'Etat a été obligé de payer un petit solde. On a reçu de ce chef de l'emploi du matériel de l'Etat sur les lignes en relation :

En 1868, 156,000 fr.

En 1869, 199,000 fr.

En 1870, 471,000 fr.

et pour le onze premiers mois de 1871, 2,739,000 francs,

La Chambre appréciera la portée de ce fait : pendant l'année 1870, la plus favorable, nous n'aurons pas reçu un demi-million pour l'usage de notre matériel sur toutes les lignes en relation. ; tandis que pour 1871, en complétant l'année, nous recevrons à peu près 3 millions de francs.

Messieurs, d'honorables membres veulent bien me dire : C'est que votre matériel est à l'étranger.

Nous viendrons tout à l'heure à la question de savoir quelle a été la principale cause de la pénurie du matériel en 1871.

Je demande que l'on me permette de dire les choses successivement, vu l'impossibilité de tout dire à la fois.

Voici une note qui constate d'une manière approximative la situation du matériel belge à la date du 1er janvier 1872.

« Le nombre de waggons.de l'ancien réseau et qui, d'après les écritures de l'arsenal, devaient se trouver en service au 1er janvier courant, était de 12,103.

« Celui repris à la société des Bassins houillers (approximativement, le travail de récolement n'étant pas terminé) était de 7,578.

« Total : 19,681.

« De ce nombre il faut déduire :

« 1° Le nombre de waggons en réparation à l'arsenal de Malines, 616.

« 2° Le nombre de waggons en réparation dans les ateliers, 144.

« 3° Le nombre de waggons affectés aux transports en service, 1,000.

« 4° Le nombre de waggons remis aux compagnies allemandes antérieurement au 1er août 1871 et qui, n'ayant pas reparu aux recensements des 15 juin et 10 août dernier, doivent être considérés comme démoli, 219

« 5° Le nombre de waggons remis aux compagnies françaises et se trouvant dans les mêmes conditions, 440

« 6° Le nombre de waggons de l'Etat se trouvant en Allemagne à la date du 1er janvier, 1,889

« 7° Le nombre de waggons de l'Etat se trouvant en France à la même date, 4,180.

« Soit 8,488 wallons.

« Différence : 11,193 waggons.

« A ce nombre il faut ajouter :

« 1° Le nombre de waggons allemands sur les lignes de l’Etat au 1er janvier : 1,151.

« 2° Le nombre de waggons français se trouvant sur les lignes de l'Etat à la même date : 2,488

« Total : 3,639.

« Le nombre de waggons dont l'Etat peut disposer pour effectuer ses transports était donc, à la date du 1er janvier 1872, de (11,193 plus 3,639) 14,832. »

Vous le voyez, il y a 659 waggons victimes de la guerre. Il est probable qu'ils ont été enferrés quelque part. (Interruption.)

Je cite ces chiffres pour rassurer la Chambre sur les conséquences, exagérées quelquefois par l'opinion, de la guerre pour le chemin de fer de l'Etat.

Il n'y a que 659 waggons qui sont introuvables, ou du moins qui, s'ils reviennent seront revenus de très loin et très tard.

Je dois ajouter, en ce qui concerne la disparition des waggons qui sont portés déserteurs ou absents, que, d'après le droit et les habitudes, ces waggons ont été livrés aux compagnies en relations, qui en ont donné des reçus et elles en sont débitrices à moins de pouvoir les rendre.

Vous voyez donc déjà que, dans une situation qui est beaucoup moins anomale que celle par laquelle nous avons passé, nous étions obligés d'avoir au dehors sur les lignes en relation et pour notre industrie, car ce n'est pas pour l'étranger que les waggons vont à l'étranger, nous les expédions chargés, nous étions obligés, dis-je, d'avoir une quantité considérable de matériel qui devait rouler sur les lignes étrangères.

Messieurs, j'ai omis tout à l'heure, je vous en demande pardon, d'expliquer comment j'étais arrivé à dégager l'inconnue du dernier trimestre de 1871, quant au chiffre probable des recettes. J'y reviens un instant.

J'ai établi par deux grandes catégories le tableau comparatif de l'exploitation et des recettes relatif aux années 1870 et 1871.

Dans les immenses tableaux de chiffres qu'on publie chaque mois, il y a beaucoup de détails, mais l'exploitation se résume en ceci : il y a le produit du tarif des voyageurs, le produit du tarif des grosses marchandises, plus une foule de recettes d'importance, secondaire. J'ai donc placé les voyageurs, les grosses marchandises et le reste dans deux colonnes, j'ai pris les chiffres de 1870 et de 1871 pour les neuf mois qui sont connus, en indiquant la différence ; puis pour le dernier trimestre de 1871 j'ai supposé que la progression normale moyenne qui s'était produite pour les neuf premiers mois continuerait pour les trois derniers.

J'ai donc calculé les trois derniers mois de 1871 en ajoutant au chiffre de 1870 la progression moyenne qu'avaient donnée les neuf premiers mois de 1871. Et je suis arrivé ainsi à ce chiffre de 64,283,000 francs.

J'espère, d'après le mouvement même et d'après les plaintes qui ont été faites sur l'insuffisance, du matériel, que ces prévisions seront atteintes et peut-être même dépassées, car enfin, messieurs, de quoi se plaint-on aujourd'hui ?

On se plaint de pléthore, de l'excès de richesse, de l'abondance de biens.

Tous les chemins de fer sont jaloux de cette situation ; quand cela leur arrive, ils disent : Nous sommes embarrassés, le matériel nous manque, nous devons faire de grands efforts d'argent et de grands efforts administratifs pour suffire à la situation. Mais ceux-là ne sont pas tant à plaindre, mais bien ceux dont les recettes sont stationnaires ou rétrogrades, et nous subissons ici les inconvénients du progrès de notre prospérité ; je donne en passant cette consolation à la Chambre, sinon à tous ceux qui se sont plaints.

- Un membre. - Et celui qui doit fermer son usine ?

M. Malou, ministre des finances. - Je ne parle pas de celui qui ferme son usine ; je parle en ce moment de l'une des causes pour lesquelles nous avons été, en 1871, selon l'expression technique, débordés par le trafic qui a dépassé nos prévisions.

Messieurs, les autres causes principales de ce malaise qui, je l'espère, n'est qu'accidentel, puisque nous voulons tous y porter remède, quelles sont-elles ? Considérez un instant notre situation comme pays industriel et comme exportateur. Voyez quel intérêt nous avons, et intérêt vital, à ce que nous puissions, non seulement nous mouvoir complètement et librement à l'intérieur, mais satisfaire aux besoins de nos immenses exportations de matières pondéreuses. Qu'est-il arrivé l'année dernière et de quoi a-t-on souffert surtout longtemps encore après la fin de la guerre. Mais c'a été de ce que l'Etat, sans pouvoir s'y attendre, sans qu'aucune prudence humaine pût le lui faire prévoir, s'est trouvé en présence de ce fait (page 291) de devoir, dans l'intérêt du pays, déroger aux règles qu'il avait précédemment adoptées pour permettre à nos waggons d'aller à l'étranger.

Il a dû y déroger, parce que l'impuissance, l'insuffisance des compagnies avec lesquelles nous avions en principe nos relations, s'est perpétuée, a duré, - et je puis dire qu'elle dure encore. - bien longtemps après les événements qui paraissaient devoir y mettre un terme. Cette balance rompue à notre préjudice, lorsque chaque jour on devait assiéger l'administration, - je l'ai quelquefois même sollicitée, - afin d'obtenir des waggons pour l'exportation du charbon ou d'autres matières, le gouvernement pouvait-il, sans compromettre les intérêts les plus essentiels à l'intérieur, y laisser donner un essor indéfini ?

Messieurs, il semble très facile, lorsqu'on fait de la théorie, de dire : L'Etat doit toujours être prêt, il doit avoir un matériel tel que, quelle que soit l'abondance du trafic à un moment donné, il soit en mesure d'y satisfaire.

C'est là une pure et une complète utopie. Tous les frais de matériel que vous voudriez faire ne pourraient pas atteindre ce résultat. Vous mettriez millions sur millions, waggons sur waggons, qu'à un jour donné vous pouvez être débordés.

Et que voulez-vous, en définitive ? Vous voulez que le chemin de fer soit une providence, qu'il ait de la prévoyance pour tous ceux qui croient pouvoir s'en passer.

Nous avons vu bien souvent, et récemment encore, ces exemples incroyables d'imprévoyance ; on a essayé de la combattre par tous les moyens.

Les compagnies se sont ingéniées, par des tarifications différentes selon les saisons et par d'autres combinaisons, a avoir moins de transports de matières pondéreuses aux époques où il y en a trop ; il y aura toujours des circonstances, quels que soient vos moyens, vous serez toujours inévitablement débordés.

Lorsque l'honorable M. Wasseige était encore ministre, on avait monté (cela appartient au dossier), on avait monté une sorte de conspiration pour envoyer des exploits au ministre des travaux publics. Ces exploits étaient ainsi conçus :

« Je vous mets en demeure de fournir tel jour, en tel endroit, à telle heure, tel nombre de waggons pour telles destinations. »

Pour me rendre compte des conséquences de cette prétention, il m'est arrivé de remplir fictivement quelques-uns de ces projets d'exploits, d'après la production journalière de quelques charbonnages et les destinations à l'étranger.

Je me suis demandé, après avoir fait ces calculs, si seulement dix industriels appliquaient le même système à l'Etat pendant dix jours, il resterait encore un seul waggon en Belgique ?

Il n'y en aurait plus un seul et les transports seraient radicalement arrêtés à l'intérieur.

J'ai été témoin de négociations laborieuses qui ont eu lieu dans la circonstance que je vais indiquer. Il s'agissait de transporter de grandes quantités de rails en Hongrie ; ils avaient 1,900 et quelques kilomètres à faire jusqu'à Vienne et 220 environ pour arriver à destination.

Je suppose que la Belgique dût fournir le matériel nécessaire pour cette expédition ; il n'y aurait plus eu de waggons à rails disponibles dans le pays au bout de quinze jours.

J'arrive précisément à cette autre considération. D'abord, il me semble, que si l'on veut avoir une exploitation de chemins de fer si magnifiquement servie, on devrait bien payer, et pardonnez-moi la comparaison qu'un de mes honorables amis de la gauche me disait hier : c'est comme si l'on voulait dîner somptueusement aux Provençaux et payer comme dans une gargote.

On ne cesse, de demander des abaissements de tarif et l'on demande en même temps que l'Etat, en fait de transports exceptionnels, anomaux, qui peuvent se produire, aux mois d'octobre, de novembre et de décembre, ait là tout près tout le matériel dont vous pouvez avoir besoin à tel jour donné, pour toutes les destinations à l'intérieur et à l'étranger. C'est impossible et contradictoire tout à la fois.

Après la levée du siège de Paris, on demandait du matériel pour faire de grands transports de charbons. Nos waggons ne revenaient pas ; les gares étaient complètement encombrées, il n'y manquait qu'une seule chose, le camionnage ; on avait mangé les chevaux des camionneurs.

Ainsi, d'un côté, l'insuffisance du concours normal des sociétés étrangères, en relation avec l'Etat et qui doivent lui fournir du matériel ; d'autre part, la difficulté énorme d'obtenir le retour de nos waggons, ont été deux circonstances aggravantes du malaise qui a existé. J'y ajoute ce que j'ai appelé tout à l'heure la maladie de l'encombrement. Il y aurait un relevé curieux à faire : ce serait d'annoter tous les arrêts de transport qui ont été annoncés dans le Moniteur depuis le commencement de la guerre. Il n'y a pas deux jours, il y avait encore sur la ligne du Nord, à nos portes, un arrêt de transport de 4 ou 5 jours. On n'a rien vu de semblable sur notre chemin de fer.

Messieurs, le matériel du chemin de fer de l'Etat, le matériel des compagnies ont-ils toujours été suffisants pour un état normal, pour ce qu'on a le droit de demander à une bonne, à une sage exploitation ?

L'honorable M. d'Andrimont vous disait hier : Il faut réglementer. M. Pirmez disait tout à l'heure : il faut obliger les compagnies à augmenter leur matériel. Mais quand on a donné des concessions avec cahier de charges, on ne parle plus tout seul, on se trouve en présence d'un contrat et on doit négocier, parlementer pour se mettre d'accord. Quelles sont les règles ; y a-t-il des règles pour la fourniture du matériel ; peut-il en exister dans un pays comme le nôtre avec l'enchevêtrement des lignes qui y existe ? Comment ! c'est l'expéditeur qui est responsable même vis-à-vis des tiers, c'est lui qui doit fournir le matériel et nous avons des lignes de l'Etat, des lignes de compagnie qui ont un parcours de 3 ou 4 kilomètres avant d'arriver à la gare d'échange et qui devraient laisser aller leur matériel jusqu'à Pesth, à la frontière de Russie, à Wirfzbolow, aux Pyrénées ou à Bâle. Cela n'est pas raisonnable.

On a discuté et on est arrivé généralement à des arrangements satisfaisants lorsque la situation était normale. Ainsi, par exemple, un charbonnage doit parcourir 5 kilomètres sur le Grand-Central et expédie des charbons à Paris ; il est intervenu un accord par lequel on fournit, dans la mesure du possible, le matériel nécessaire pour ces transports.

Et le principe le. plus équitable qui tend à prévaloir, c'est que chacun fournisse ainsi du matériel en proportion de ses parcours. Il ne faut pas de réglementation pour cela ; cela se fait dans l'intérêt des deux compagnies et, je le répète, ces règles-là ne sont discutées et ne sont discutables que dans un moment où tous les efforts combinés ne peuvent complètement satisfaire à tous les besoins qui se produisent instantanément.

Messieurs, tout à l'heure un honorable voisin me disait : Mais alors vous voulez faire chômer des usines, éteindre de hauts fourneaux !

Il arrive parfois qu'une usine est forcée de chômer ou d'éteindre, parce que l'on trouve ce système plus économique de vivre au jour le jour. Ainsi, j'ai lu dans un journal qui rendait compte des grèves du bassin de Charleroi, que le travail avait dû être suspendu dans un établissement, parce qu'il n'avait pas devant lui trois jours de charbons.

Je ne dis pas, remarquez-le bien, qu'il n'y a jamais eu d'intérêts légitimes en souffrance ; je reconnais le contraire ; mais je vous indique les causes principales de cet inconvénient et je fais remarquer qu'il ne suffit pas de dire : Ces usines ont chômé, c'est la faute du chemin de fer, sans s'inquiéter de ce que le ? autres ont fait.

M. de Rossius. - Faites une enquête.

M. Malou, ministre des finances. - Je parlerai plus tard de l'enquête.

Messieurs, entre autres moyens qu'on a indiqués, il en est deux sur lesquels je demande à la Chambre la permission de dire encore quelques mots. On nous dit que nous aurons plus de matériel sur nos lignes si nous payons mieux.

Mais, messieurs, payer mieux, c'est parfait, mais il faut voir pourtant ce que l'on reçoit. Evidemment entre le tarif ou péage des transports et la taxe à bonifier pour le parcours sur les lignes concédées ou réciproquement sur les lignes de l'Etat, il y a une relation nécessaire.

Or, pouvez-vous forcer les redevances que vous allez donner si vous continuez à vivre sous le régime des tarifs actuels, à moins de vouloir transporter pour rien et faire, dans l'administration des chemins de fer, de l'art pour l'art. Comme ministre des finances, ce système ne me sourit pas du tout.

Il faut, dit-on, laisser faire le matériel par des particuliers ; et on nous a cité des exemples en France, en Angleterre et en Allemagne.

Messieurs, c'est une idée qui s'est déjà produite très souvent dans cette Chambre, et qui peut, selon moi, recevoir des applications utiles. Mais ce serait une erreur de croire qu'elle soit applicable partout et surtout qu'il y ait un grand nombre de localités en Belgique où elle soit applicable.

En effet, messieurs, l'exploitant qui veut utiliser son matériel s'attache à avoir le moins possible de retours à vide.

Ainsi, au milieu de cette crise des transports, comme on l'appelle, j'avais proposé et commencé une négociation pour pouvoir organiser par du matériel particulier des transports réguliers, des courants qui étaient à peu près équilibrés dans les deux sens. En d'autres termes, on voulait créer du matériel spécial pour le transport vers le grand-duché de (page 292) Luxembourg et vers le régime de la Moselle, de coke et de charbons de Liège et de ramener, par les mêmes waggons, des minerais en retour.

Dans les conditions où l’on se trouvait, le moyen de réussir à réaliser cette combinaison était le retour à charge. Avec les compagnies des deux Luxembourgs, il était impossible de traiter si le retour devait se faire à vide. Une ligne aussi accidentée devant ramener, pour un péage comme celui qu'elle reçoit, le matériel d'autrui jusqu'au lieu de départ, ne peut évidemment pas faire son compte.

Lorsque je m'en entretins avec le directeur général de la compagnie du Luxembourg, il accepta parfaitement ce principe ; l'Etat l'acceptait également ; mais de part et d'autre on exigeait cette condition de la disponibilité du matériel pour le retour à charge.

Et, en effet, supposez que l'Etat, Ayant conduit un waggon de Liège à Bruxelles, ne puisse le diriger ensuite à Gand où dans toute autre direction en le chargeant, il est évident qu'une grande partie du produit à retirer d'une bonne utilisation du matériel sera perdue. Supposez maintenant que l'exploitation de l'Etat se trouve en présence de 80 à 100 variétés de matériel qu'elle doit ramener après n'avoir eu de charge que dans une seule direction et je vous laisse à juger ce que deviendra l'encombrement de l'exploitation et ce que seront les recettes.

Je crois donc qu'il y a des applications possibles et utiles, mais qu'il n'y a pas là un remède efficace et sérieux dans tous les cas.

D'après des renseignements qui m'ont été donnés par un homme très compétent, la chose a été tentée en Angleterre sur un grand nombre de points, et elle n'a réussi et persisté que dans les conditions que je viens de définir, c'est-à-dire le double transport utile et rémunéré pour l'exploitation.

Messieurs, il ne me reste plus guère à traiter que la question de l'enquête. L'heure étant avancée et la bienveillante attention que la Chambre m'a prêtée pouvant être un peu fatiguée, je terminerai ces observations demain, s'il lui plaît.

M. Van Humbeeck. - Je demande la permission de profiter de l'interruption que M. le ministre des finances fait dans son discours, pour faire une rectification bien simple sur un point qui ne touche pas au fond du débat.

M. le ministre des finances a parlé des dispositions arrêtées par la commission de révision du code de commerce en ce qui concerne l'exploitation des chemins de fer et il a fait de ces dispositions une analyse qui y donnerait un caractère vraiment étrange.

D'après lui, la commission, après avoir déclaré que le titre relatif aux commissionnaires de transports s'appliquait aux exploitants des chemins de fer, se serait borné à dire, immédiatement, que cependant il pourra être dérogé à ce principe par arrêté royal, c'est-à-dire qu'on aurait permis à l'Etat exploitant le chemin de fer de modifier sa responsabilité comme il l'entend.

La disposition arrêtée n'a pas été celle-là.

Nous demandons en principe que les dispositions du code de commerce soient applicables aux exploitations de chemin de fer et nous demandons aussi que les exceptions ne puissent dériver que de lois spéciales.

C'est le système que M. le ministre des finances entend adopter lui-même et auquel il veut donner tous ses développements en présentant sur la matière des chemins de fer une loi spéciale, car je ne pense pas qu'il ait l'intention de faire entrer toutes ces dispositions dans le code de commerce.

S'il est question d'arrêtés royaux dans le travail de la commission, c'est dans des termes où les dérogations par arrêté royal sont très acceptables. Nous exigeons, en effet, pour que des arrêtés royaux puissent déterminer des dérogations aux principes, qu'il s'agisse de cas dans lesquels l'administration du chemin de. fer fait une faveur à l'expéditeur, comme lorsque l'administration consent des transports à prix réduit, à des prix en dessous du tarif, ou bien lorsqu'elle consent à faire des transports dans des conditions où elle pourrait s'y refuser.

Dans ces conditions, la dérogation que nous autorisons n'a pas en réalité le caractère bizarre que semble lui avoir donné l'honorable ministre des finances.

M. Malou, ministre des finances. - Je serais désolé si l'honorable préopinant avait pu voir, dans les paroles que j'ai prononcées, un blâmé pour le travail fait par la commission de la Chambre. J'ai fait remarquer qu'on n'avait point jusqu'ici, même dans le travail de la commission, proposé une législation spéciale pour régler les rapports du chemin de fer avec l'expéditeur et réciproquement. C'est tout ce que j'ai dit ou voulu dire.

M. Van Humbeeck. - Je n'ai pas eu l'intention de voir dans les paroles de l'honorable ministre des finances un blâme contre la commission. J'ai vu une analyse inexacte de son travail et j'ai rectifié. Voilà tout.

- La séance est levée à 5 heures.