(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)
(Présidence de M. Thibaut.)
(page 251) M. Reynaert procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Hagemans donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Reynaert présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« La dame Bastien, ancienne institutrice primaire communale, demande que le projet de loi relatif à la caisse générale de prévoyance des instituteurs primaires soit rendu applicable aux instituteurs déjà pensionnés. »
M. de Baillet-Latour. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la caisse générale de prévoyance des instituteurs primaires.
- Adopté.
« Le sieur du Rameau demande qu'on attache à chaque garnison un ou plusieurs instituteurs civils, munis d'un diplôme de capacité, sachant parfaitement les deux langues et ayant quelques années de pratique dans l'enseignement public. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Bruxelles prient la Chambre de voter des fonds pour l'achèvement du parc Léopold à Laeken et propose une mesure dans le but de réunir la somme nécessaire à l'exécution de ce travail. »
- Même renvoi.
« Les membres de l'administration communale de Looz prient la Chambre d'accorder au sieur Pousset la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Aix-la-Chapelle. »
« Même demande des membres des administrations communales de Weert-Saint-George, Aelst, Visé et Tervueren. »
M. Julliot. - Cette pétition intéressant à un haut degré trois provinces, je demanderai un prompt rapport.
M. Wouters. - Je me rallie aux conclusions qui ont été proposées par l'honorable M. Julliot.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Moi également.
M. M. de Vrints. - Et moi aussi.
- Adopté.
« Des industriels à Dampremy prient la Chambre d'ordonner une enquête publique sur toutes les questions qui intéressent l'exploitation des chemins de fer de Belgique et demandent que la commission d'enquête soit composée de membres de la Chambre et de représentants du commerce et de l'industrie. »
« Même demande de négociants et industriels à Anvers, Verviers, Hodimont, Ensival, Dison et dans une commune non dénommée. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions identiques et pendant celle du crédit spécial de 12,080,000 francs au département des travaux publics.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation du sieur Thunus. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
Première section
Président : M. Funck
Vice-président : M. Van Outryve d’Ydewalle
Secrétaire : M. de Clercq
Rapporteur de pétitions : M. de Vrints
Deuxième section
Président : M. Tesch
Vice-président : M. Le Hardy de Beaulieu
Secrétaire : M. Defuisseaux
Rapporteur de pétitions : M. Demeur
Troisième section
Président : M. de Smet
Vice-président : M. Magherman
Secrétaire : M. Bouvier-Evenepoel
Rapporteur de pétitions : M. Visart (Léon)
Quatrième section
Président : M. Julliot
Vice-président : M. d’Hane-Steenhuyse
Secrétaire : M. Pety de Thozée
Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt
Cinquième section
Président : M. de Liedekerke
Vice-président : M. Van Cromphaut
Secrétaire : M. Snoy
Rapporteur de pétitions : M. Descamps
Sixième section
Président : M. Vleminckx
Vice-président : M. Thonissen
Secrétaire : M. Thienpont
Rapporteur de pétitions : M. de Macar
M. le président. - Les sections ont autorisé la lecture de la proposition de loi qui a été déposée hier sur le bureau. Comme l'auteur de cette proposition est absent, je prierai M. le secrétaire d'en donner lecture.
M. Reynaert, secrétaire, donne lecture de cette proposition de loi, qui est ainsi conçue :
« Article unique. Les articles 59 et 60 du code pénal sont remplacés par les dispositions suivantes :
« Art. 59. En cas de concours d'un délit avec une ou plusieurs contraventions, toutes les amendes et la peine de l'emprisonnement correctionnel seront prononcées cumulativement, sans que les peines pécuniaires puissent excéder le double du maximum de la peine la plus élevée.
« Art. 60. En cas de concours de plusieurs délits, la peine la plus forte sera seule prononcée.
« Cette peine pourra même être élevée au double du maximum.
« Fait à Bruxelles, le 16 janvier 1872.
« Signé X. Lelièvre. »
M. le président. - M. Lelièvre demande que la Chambre veuille bien entendre les développements de sa proposition de loi, mardi prochain 23 janvier.
- Adopté.
M. le président. - Une proposition de loi a été déposée sur le bureau. Les sections seront convoquées demain pour examiner s'il y a lieu d'en autoriser la lecture.
M. Descamps. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission permanente d'industrie sur la demande d'enquête publique relative à toutes, les questions qui intéressent l'exploitation des chemins de fer en Belgique.
M. De Lehaye. - Ce rapport contient des renseignements très intéressants qui se rattachent au projet de loi dont la Chambre s'occupe en ce moment. Je pense que l'assemblée en entendra avec plaisir la lecture.
Je demande donc que M. le rapporteur soit prié de nous faire connaître son travail.
- Plusieurs membres. - Appuyé !
(page 303) M. Descamps. - Messieurs, la Chambre a renvoyé à l'examen de la commission permanente d'industrie des pétitions par lesquelles la chambre de commerce et des fabriques de Bruxelles, les chambres de commerce de Charleroi, d'Audenarde, de Mons, de Liège, les associations houillères et métallurgiques du couchant de Mons, des bassins de Liège, de Charleroi et de la Vallée de la Sambre, des industriels et des négociants de Liège, de Gilly, de Gosselies, des verriers et des directeurs de charbonnages et d'usines, réclament une enquête parlementaire mixte et publique qui embrasserait toutes les questions qui intéressent l'exploitation des chemins de fer de Belgique.
La crise des chemins de fer, qui sévit d'une manière générale en Europe, a frappé tout particulièrement notre pays ; une insuffisance incroyable des moyens de transport a placé notre commerce et notre industrie dans un état de souffrance inconnu jusqu'à ce jour ; cette situation exige de prompts et énergiques remèdes ; la nécessité d'éviter à l'avenir le retour d'un état de choses aussi déplorable commande, en même temps, une étude large, sérieuse et attentive des divers services de l'exploitation.
Pour que l'enquête qu'ils sollicitent soit complète et péremptoire, les pétitionnaires émettent le vœu que la commission soit composée de membres de la Chambre et de représentants du commerce et de l'industrie ; ils demandent, en outre, que cette enquête soit publique, et que la commission puisse s'entourer ainsi, en toute garantie, des renseignements de toute nature qui lui seront nécessaires.
Une première question se présentait d'abord à l'examen de votre commission permanente d'industrie ; la crise actuelle est-elle le résultat d'un fait absolument accidentel, ou puise-t-elle sa principale raison d'être dans des causes organiques, dans un vice originel qui fausserait l'organisation même des chemins de fer ?
L'impossibilité dans laquelle se sont trouvés depuis un an les chemins de fer belges de faire face aux nécessités du service a été, dans une certaine mesure peut-être, un effet de la réaction des graves événements qui se sont accomplis en France et en Allemagne. Les conséquences fatales de ces événements ont occasionné chez nos voisins, personne ne l'ignore, une perturbation très profonde dans le service de toutes les voies ferrées, et notre matériel, peu protégé d'une part par les conventions relatives au service mixte entre l'Etat et les compagnies étrangères, forcé, d'autre part, pour ne pas entraver- les relations de notre commerce international de suppléer au manque de matériel étranger, disparut partiellement pendant quelques mois, au profit des compagnies en service mixte avec l'Etat.
Néanmoins la disparition momentanée d'un certain nombre de waggons n'a pu exercer qu'une influence assez limitée sur la marche des services, et notre pays, auquel les malheurs de la guerre ont été épargnés, aurait évidemment dû souffrir beaucoup moins que ses voisins des suites fâcheuses qui en sont résultées pour l'exploitation des chemins de fer ; or, nulle part, peut-être, la crise des transports ne s'est fait sentir d'une manière plus intense et plus déplorable qu'en Belgique. C'est que, on ne doit pas s'y tromper, les embarras persistants de l'exploitation ne peuvent être imputés à la disparition momentanée d'un certain nombre de waggons, pas plus que l'accroissement inouï des besoins actuels du trafic n'est dû à la reprise des courants suspendus par la guerre ; ce dernier accroissement révèle surtout, dans notre pays éminemment producteur, une situation nouvelle, une reprise sérieuse de l'activité industrielle. Or, les faits sans nombre qui se passent maintenant tous les jours sous nos yeux nous le démontrent à l'évidence, la crise des transports avait son heure marquée et devait infailliblement éclater plus ou moins violemment au moment du réveil des affaires et du mouvement qui en est la suite inévitable ; l'organisation des services de notre railway, les moyens d'action dont il dispose ne répondent point à ces besoins nouveaux, à cet essor trop longtemps imprévu du mouvement commercial et industriel.
Naguère encore, l'avenir des chemins de fer paraissait plus ou moins problématique, incertain ; et ce n'était point sans une certaine défiance, sans une parcimonie aujourd'hui bien regrettable, que le gouvernement hasardait les sacrifices qui avaient pour but soit l'amélioration des services, soit des installations plus complètes ; les pétitionnaires ont indiqué avec raison, dans leur requête, l'exiguïté relative de la plupart, pour ne pas dire de toutes les gares principales du pays ; le peu de célérité avec lequel s'effectue la réparation du matériel, l'organisation incomplète du service de nuit pour les marchandises, l'insuffisance du personnel surchargé de travail et d'ailleurs peu encouragé ; la rétribution mal calculée de certaines catégories d'employés et d'ouvriers que l'on ne se procure que très difficilement, l'utilisation imparfaite du matériel, conséquence inévitable de ces faits, l'urgence du doublement des voies sur les parcours les plus chargés de transports, l'obligation surtout pour l'Etat d'exiger, dans la plupart des cas, des compagnies concessionnaires la construction de la seconde voie prévue par les cahiers des charges ou par les actes de concession, la répartition défectueuse des waggons et la tendance des compagnies belges et étrangères à retenir trop longtemps le matériel de l'Etat, la nécessité enfin, pour remédier à ces abus, d'introduire des modifications dans les conventions relatives au service mixte entre les diverses exploitations.
Parmi les causes multiples qui ont provoqué la crise des transports, aussi bien sur les lignes de l'Etat que sur celles des compagnies, concessionnaires, on n'en a pour ainsi dire envisagé qu'une jusqu'à ce jour, - la pénurie du matériel ; - c'est à peine si l'on a songé à remédier à l'insuffisance, pourtant bien évidente, des installations ; pour le reste, on s'est borné à entretenir l'ancien outil, on lui fera produire peut-être une somme de travail un peu supérieure à celle qui avait été obtenue précédemment, mais à quelles conditions d'exploitation ce résultat sera-t-il acquis ? Le décompte des recettes et des dépensés nous le fera connaître ultérieurement.
Cependant, on ne peut le méconnaître, l'industrie des chemins de fer entre dans une ère nouvelle ; le développement industriel qui assure son avenir se manifeste d'une manière générale ; ce développement serait immense, s'il n'était, en ce moment même, comprimé par les embarras de l'exploitation. Il suffit, pour s'en convaincre, de jeter les yeux sur les tableaux comparatifs officiels du mouvement commercial et de celui qui s'est produit dans nos ports pendant les neuf premiers mois de 1870 et de 1871. Ces tableaux accusent, pour les importations et les exportations réunies, une augmentation de plus de 28 p. c. en faveur de la dernière année. En ce qui concerne le mouvement de la navigation maritime, le nombre des entrées et des sorties de navires constatées dans les bureaux d'Anvers - Ostende - Selzaete - Nieuport - a été d'environ 52 p. c. plus élevé pendant les neuf premiers mois de 1871 que dans la même période de 1870 !
Ce mouvement de la navigation maritime qui a donné à nos ports, à celui d'Anvers surtout, pendant et après la guerre de 1870, une importance nouvelle et relativement si considérable, a réagi de la manière la plus heureuse sur le trafic de nos voies ferrées ; or, il n'est pas douteux que ce mouvement nous resterait acquis en grande partie, s'il était secondé par des mesures promptes, énergiques et intelligentes.
Néanmoins, si l'on s'en rapporte aux termes mêmes de l'exposé des motifs de la loi par laquelle le gouvernement réclame de la législature un crédit de 12,080,000 francs, dont moitié à peine sera affectée à nouveau à l'augmentation du matériel pour marchandises, il semblerait que le gouvernement, peu confiant dans la progression constante du trafic que présagent cependant pour l'avenir les faits qui se passent aujourd'hui, regarde plutôt comme accidentel et passager l'énorme développement actuel des transports. « On se demandera peut-être, dit avec une certaine hésitation M. le ministre des travaux publics, si le matériel déjà commandé ne constituera pas un moyen de parer à toutes les (page 304) éventualités ; j'ai pensé que dans les circonstances actuelles, il ne faut pas craindre d'escompter l'avenir, En effet, nous sommes à la veille de voir s'agrandir encore le champ de l'exploitation, notamment par l'ouverture progressive des lignes dont la compagnie des Bassins houillers poursuit l'établissement, pour en remettre la gestion au gouvernement ».
En entendant ce langage rassuré, pourrait-on s'imaginer que toutes les administrations de chemins de fer de notre pays sont, en ce moment même, impuissantes à conjurer une crise des plus intenses, que le combustible manque partout, que de nombreuses usines chôment, qu'enfin des plaintes s'élèvent de toutes parts contre l'insuffisance du matériel et contre cette impuissance, de la part de l'Etat et des compagnies, d'accomplir la mission qui leur est confiée ?
Votre commission permanente d'industrie, de même que les pétitionnaires, est loin de partager la quiétude du département des travaux publics ou ses appréhensions d'avoir provoqué, par ses dernières mesures, une extension exagérée du matériel ; la chambre de commerce et des fabriques de Bruxelles, entre autres, estime que le chiffre sollicité ne répond nullement aux exigences des services du railway. « Le département des travaux publics ne semble pas considérer, dit la pétition émanant de cette Chambre, que si même le trafic ne doit pas conserver l'activité qui lui est actuellement imprimée, encore, par mesure de précaution, faudrait-il mettre le chemin de fer en état de satisfaire à des nécessités exceptionnelles, si l'on veut, mais qui peuvent se renouveler.
« Une demande de crédit de 50 millions paraît à première vue exagérée. Si l'on réfléchit qu'il faut créer des voies et des installations, augmenter les trains, multiplier le matériel, surtout si l'on calcule la perte que fait subir au pays une crise en matière de transports, on arrive à croire qu'un crédit de 50 millions n'aurait rien d'excessif. »
Passant à un autre ordre d'idées, la même pétition ajoute : « Dans notre ressort, la situation serait moins tendue si le gouvernement avait tenu compte des avis de notre chambre relativement à la batellerie. Par suite de la concurrence irrationnelle et désastreuse que les chemins de fer font aux canaux, les voies de navigation ont vu tous les ans diminuer leurs transports. Le nombre des bateaux a diminué considérablement dans ces dernières années. Or, si le gouvernement n'avait point arrêté le développement des transports par eau, une grande partie des houilles du Centre et de Charleroi eût été amenée par cette voie au lieu d'embarrasser le chemin de fer, et la crise actuelle eût été en partie conjurée. »
Arrêtons-nous un instant a cette question de la batellerie, si justement soulevée par la chambre de commerce de Bruxelles, mais hâtons-nous de dire que si l'opinion exprimée par cette chambre implique la critique de l'abaissement des tarifs du chemin de fer et de l'application du barème différentiel au transport des marchandises pondéreuses, il est impossible à votre commission permanente d'industrie d'y adhérer aucunement. Que l'on réclame la séparation complète des deux services essentiellement distincts des chemins de fer et des voies navigables, et une direction spéciale pour chacun de ces services, que l'on demande l'unité de dimensions des canaux, la réglementation des chômages, la réduction de durée des parcours, rien n'est plus juste et plus raisonnable, et à cet égard, nous ne pouvons que nous rallier aux réclamations que la chambre de commerce de Mons a fait entendre depuis un grand nombre d'années. La chambre de commerce de Charleroi, dans le but d'améliorer le sort de la batellerie, a, de son côté, sollicité depuis longtemps, sinon la suppression des droits, tout au moins l'abaissement des péages au chiffre strictement nécessaire pour couvrir les frais d'entretien des voies navigables ; toutes ces mesures méritent de fixer la sérieuse attention et la sollicitude du gouvernement ; mais, quelles que soient les améliorations que l'on apporte aux canaux, améliorations que nous appuyons de toute notre énergie, nos observations relatives aux chemins de fer n'en restent pas moins debout, et nous sommes d'avis qu'en ce qui concerne les tarifs, le dernier mot n'est point encore dit sur les réductions auxquelles ils seront soumis dans l'avenir.
Quoi qu'il en soit, l'étude de ces questions est devenue urgente, indispensable ; elle s'impose à nous comme elle s'est imposée à nos voisins, et la demande d'enquête formulée par les pétitionnaires n'a d'ailleurs aucunement pour but d'incriminer les mesures ou les intentions des diverses administrations qui se sont succédé ; sans doute des fautes nombreuses, des imprévoyances surtout ont été commises, mais à qui eût-il été donné de prévoir l'immense mouvement commercial et industriel, le développement énorme du trafic qui a mis en défaut toutes les combinaisons primitivement conçues ?
D'un autre côté, la réunion de la commission d'enquête ne saurait empêcher le département des travaux publics d'user de son initiative, de parer immédiatement aux souffrances les plus vives et de prendre toutes les mesures urgentes que réclame la situation critique du moment. Au lieu d'entraver l'action du gouvernement, l'institution d'une commission d'enquête mixte et publique faciliterait singulièrement sa tâche ; elle lui servirait de stimulant et serait pour lui un encouragement, en même temps qu'un point d'appui dans l'exécution des mesures larges et dispendieuses que commande la nécessité de mettre les chemins de fer au niveau des services qu'ils sont obligés de rendre.
L'agitation qui s'est produite dans notre pays par suite de l'impuissance dans laquelle se sont trouvés les chemins de fer de remplir la tâche qui leur incombe vis-à-vis du public s'est manifestée, en même temps, en Angleterre, en Allemagne et en France. C'est à la suite d'un mouvement de l'opinion publique que l'Assemblée nationale de Versailles a été, il y à quelques semaines, saisie d'une demande d'enquête sur la situation actuelle des moyens de transport. Il nous sera sans doute permis de rappeler ici les paroles prononcées par M. le ministre des travaux publics de France au sujet de cette demande d'enquête, lors de la discussion, dans la séance du 15 décembre dernier, de la proposition déposée par MM. Wilson et Claude (des Vosges).
« Vous savez, disait M. le ministre, qu'aussitôt que l'annonce de ce projet de commission a été faite ici, je l'ai accueillie avec une satisfaction instinctive et je vous déclare que jamais je n'ai mieux compris combien le gouvernement parlementaire était une chose excellente.
« J'aspire, pour ma part, à me décharger de la responsabilité que j'ai assumée pendant quelques mois, dans l'intérêt public, de m'en décharger, dis-je, sur une chambre spéciale des travaux publics, avec laquelle nous conférerons, et qui, je l'espère, pourra, sinon résoudre toutes ces questions, au moins les élucider dans tous leurs détails. Tous les problèmes qui appellent votre attention et qui sont mal connus du pays seront exposés dans leur ensemble ; la lumière se fera, c'est là l'essentiel.
« Je vous demande donc le renvoi à la commission d'enquête. »
Mais pourquoi, messieurs, invoquer l'opinion d'un gouvernement étranger au sujet de l'opportunité de l'enquête à instituer ? La réalisation de cette idée n'a-t-elle pas rencontré l'adhésion de M. Wasseige lui-même dans le discours qu'il adressa, le 12 novembre dernier, aux délégués des diverses chambres de commerce et de l'industrie charbonnière et métallurgique du pays ? Voici en quels termes M. le ministre des travaux publics adhérait à la demande d'enquête qui lui était faite par ces délégués.
« Si la Chambre juge qu'une organisation plus complète est nécessaire, si elle croit utile de procéder à une enquête afin que le chemin de fer soit en situation de rendre tous les services qu'il est appelé à rendre, je ne m'y opposerai pas du tout. Au contraire : je promettrai à mes collègues de la Chambre mon concours le plus dévoué, et je les mettrai à même de voir les choses aussi clairement que possible. »
Et plus loin :
« Si l'on veut une enquête, je ne m'y opposerai pas, car elle tendra à m'enlever une part de responsabilité, bien que cependant je n'hésite pas à répondre de mes actes ; mais je ferai tous mes efforts pour hâter les travaux de la commission ; je lui donnerai tous les renseignements qu'elle voudra. »
En Allemagne, messieurs, le Parlement fédéral avait, également sous la pression de l'opinion publique, réclamé instamment qu'une enquête fût instituée pour rechercher les causes des perturbations et du désarroi survenus dans les services des chemins de fer et pour proposer les moyens de remédier à cet état de choses. Cette enquête vient d'être décrétée, et sera composée de quinze membres dont cinq délégués des chemins de fer, cinq délégués de l'agriculture et cinq délégués du commerce et de l'industrie.
En Belgique, les investigations des hommes spéciaux ne doivent pas se borner seulement à rechercher les causes des embarras actuels de l'exploitation et à en trouver le remède dans l'application de mesures plus ou moins radicales, l'examen doit s'étendre encore à toutes les questions relatives au régime général, à l'organisation définitive des chemins de fer. Ces questions sont de la plus haute gravité ; elles acquièrent une importance d'autant plus grande, que par suite de la construction des lignes que la société des Bassins houillers doit livrer au gouvernement et du rachat probable des lignes concédées, l'administration de l'Etat se trouvera, dans quelques années, à la tête de plus de 3,000 kilomètres de chemins de fer, représentant un capital qui dépassera peut-être un milliard ! On se demande si la gestion d'intérêts aussi immenses peut rester soumise à toutes les vicissitudes de la politique, si elle peut subir l'instabilité des administrations ministérielles qui, se succédant à des intervalles plus ou (page 305) moins rapprochés, apportent chacune ses aspirations nouvelles, ses réformes particulières, son organisation intérieure de prédilection.
Votre commission permanente d'industrie croit que la Chambre ne peut s'entourer de trop de renseignements pour arriver à la solution des problèmes qui se posent, en ce moment, à son examen le plus sérieux. Les débats dans lesquels la législature va s'engager à propos du projet de loi ayant pour but d'accorder un crédit de 12,080,000 francs au département des travaux publics toucheront certainement à une partie de ces problèmes et révéleront des aperçus nouveaux propres à les élucider.
Dans cette situation, messieurs, la commission permanente d'industrie, appuyant d'ailleurs les conclusions des requêtes qui vous ont été adressées, a l'honneur de vous proposer le dépôt des pétitions sur le bureau de la Chambre, pendant la discussion du projet de loi.
(page 252) - La Chambre en ordonne l'impression et la distribution.
M. le président. - La commission conclut au dépôt des pétitions sur le bureau de la Chambre pendant la discussion du crédit de douze millions.
M. Bouvier. - Il me semble, messieurs, que la Chambre ne peut pas se borner à voter les conclusions de la commission.
Les considérations dans lesquelles l'honorable rapporteur vient d'entrer sont tellement graves, qu'il est urgent que la Chambre fixe le jour où elle discutera ce rapport.
Des pétitions, et elles sont nombreuses, parfaitement motivées, émanées de corps puissants, nous ont été adressées ; il importe de statuer sans retard sur l'objet dont elles traitent, car elles tendent à la nécessité d'ouvrir une enquête parlementaire mixte et publique, si j'ai bien saisi la lecture du rapport de la commission.
Il ne suffit donc pas d'ordonner le dépôt de ces pétitions sur le bureau pendant la discussion du crédit de douze millions ; il ne faut pas que cette discussion mette obstacle à un débat spécial et très prochain de l'objet des pétitions dont nous sommes saisis et du rapport qui vient de nous être lu. Je demande donc que la Chambre fixe cette discussion à demain (interruption) ou tout au plus tard après celle du crédit de douze millions.
M. Malou, ministre des finances. - Si j'ai bien saisi les conclusions du rapport, il me semble que la commission a précisément tenu à la lecture du rapport pour qu'il y eût une seule discussion d'ensemble sur ces conclusions et sur le crédit dont la Chambre fait en ce moment l'examen.
On pourra voter séparément sur les conclusions, mais il est de l'intérêt de la Chambre et de la solution même de la question qui s'agite, qu'il y ait un seul débat connexe.
M. le président. - M. le ministre des finances propose de joindre la discussion des conclusions du rapport et la discussion du projet de loi.
M. Bouvier. - Je ne m'y oppose pas.
M. le président. - Le rapport sera imprimé et distribué.
(page 253) M. Sainctelette. - Messieurs, dans la séance d'hier, j'ai exposé quelles étaient, selon moi, les causes de la crise des transports. J'ai dit que ces causes étaient en grande partie le résultat d'un défaut de prévoyance.
J'ai montré que diverses mesures intempestivement prises par l'administration des chemins de fer étaient venues accroître les embarras de la situation.
J'ai montré comment, malgré le trafic des Bassins houillers inconsidérément versé sur les lignes de l'Etat, comment, malgré des travaux entrepris dans les gares les plus fréquentées, au moment même de leur plus grande activité, malgré le refus de reprendre de petits ateliers de réparation qu'avait organisés la Société d'exploitation, malgré la réduction du nombre des ateliers de l'Etat, on aurait pu cependant sortir d'embarras en recourant à des moyens connus, pratiqués par les exploitations étrangères.
Une intelligente distribution du travail entre le service de jour et le service de nuit, la délimitation rigoureuse du trafic des voyageurs d'avec le trafic des marchandises, la remise immédiate de la marchandise à domicile aussitôt l'arrivée, le maximum de vitesse imprimé à tous les transports au besoin, la réduction du nombre d'heures affectées au transport des voyageurs, l'augmentation du nombre d'heures réservées au transport des marchandises, l'élévation du droit de magasinage, le camionnage d'office, voilà des mesures partout indiquées, connues et pratiquées par toutes les compagnies qui se sont trouvées dans la situation où l'on a placé le réseau de l'Etat.
J'ai réservé pour aujourd'hui, messieurs, l'examen des mesures qu'il conviendrait de prendre pour empêcher le retour de semblables crises. Et d'abord, j'aurai à parler assez longuement des mesures nécessaires pour rendre à la batellerie la juste part d'action qui lui appartient dans le service des transports belges. Je pourrais montrer par quelle série d'erreurs on a mis la batellerie hors d'état de soutenir la concurrence des voies ferrées et de suffire à sa tâche. Je pourrais rappeler comment on a construit les embranchements, les lignes secondaires avant d'achever la ligne principale.
Quels services n'eût pu rendre, dans de semblables conjonctures, la batellerie de l'Escaut si la navigation en remonte et à charge y avait été rendue moins lente et moins onéreuse ! Combien n'eût-elle pas pu contribuer à dégorger le port d'Anvers ! Mais, avant d'arriver à tout le réseau de canaux et de rivières canalisées qui se ramifient autour du haut Escaut, il faut remonter le fleuve, en traverser les passes les plus difficiles, manœuvrer sous les nombreux ponts de Gand, et ce qui est plus difficile et plus dangereux encore, dans les anciens ouvrages faits à Audenarde.
Je devrais aussi montrer comment on ne s'est préoccupé que de la construction sans s'inquiéter assez de l'exploitation des voies navigables et des services qu'il peut être nécessaire à un moment donné de leur demander au nom de nos industries, de notre commerce, d'intérêts plus grands encore peut-être.
Mais je ne veux pas confondre les deux questions. Je réserverai donc pour la discussion du budget des travaux publics les observations que j'aurais à présenter quant à la navigation et je m'en tiens aux observations qui sont exclusivement relatives à la question des chemins de fer.
Et d'abord, messieurs, nuits n'arriverons à rien en matière de transports par chemins de fer, soyez-en bien convaincus, tant que l'administration et son chef n'auront pas pris pour règle de conduite de se mettre et de se maintenir en position de satisfaire à l'oscillation la plus grande du trafic et non pas seulement au trafic moyen. Sur ce point, il nous faut une déclaration formelle de M. le ministre des travaux publics. Il faut qu'il fasse connaître son intention de mettre l'industrie auxiliaire des chemins de fer en position de suivre aussi régulièrement que possible les allures des industries principales dont elle n'est en quelque sorte que la suivante.
Si cette idée fausse que l'administration des chemins de fer ne se doit préoccuper que du trafic moyen continue de prévaloir, vous aurez beau accumuler millions sur millions, mesures sur mesures, vous n'arriverez à rien. Il faut de toute nécessité que l'administration des chemins de fer change de maxime et comprenne que ce n'est pas à elle de donner l'impulsion, mais de la recevoir.
Il faut donc qu'elle prenne à cœur de s'instruire exactement du mouvement industriel.
Comment, vous êtes en position d'être exactement informé de tous les moindres incidents du trafic ; vous êtes dans cette situation qu'une maison de commerce ne peut s'ouvrir en Belgique, qu'une usine ne peut pas se fonder, qu'un puits ne peut pas être creusé sans qu'un de vos chefs de station vous en informe immédiatement ; tous vos chefs de station doivent nécessairement connaître et connaissent en fait leurs principaux clients en marchandises. C'est, dans la plupart des stations, d'un groupe très restreint de personnes que se compose la clientèle pour les marchandises. Les chefs de station ont avec ces personnes d'excellentes relations et, en fait, sont instruits de toutes les affaires qui se préparent. Il ne s'agit que de centraliser ces renseignements, de les mettre en œuvre d'une façon intelligente pour établir tout un travail de prévisions en matière de transports. Et ce travail de prévision des transports une fois organisé, rien de plus facile que de le mettre en regard de l'effet utile dont peut être susceptible, à un moment donné, notre système de chemins de fer.
L'an dernier, dans la discussion du crédit de 6 millions, j'ai fait remarquer que l'administration, si prodigue de renseignements statistiques sur l'emploi des rails et des billes, ne publiait pas, dans le compte rendu, une autre statistique, qui cependant aurait bien quelque intérêt ; je veux parler du travail utile du waggon, non pas d'une moyenne vague et générale, mais d'un relevé par sortes de waggons, par classes de marchandises transportées et par services intérieur, mixte, international.
Ayant sous les yeux, d'une part, la prévision des transports à faire, d'autre part, l'effet utile probable des moyens dont on dispose, quoi de plus simple que de se tenir en équilibre et même de s'organiser de façon à pouvoir non pas seulement satisfaire au trafic demandé mais même solliciter et attirer du trafic nouveau.
Voilà des mesures d'organisation générale qu'il n'est pas bien difficile de prendre. Cela n'exige d'autre effort que d'avoir l'œil constamment ouvert sur toutes les parties de l'exploitation des chemins de fer.
Je passe à un autre ordre d'idées.
Et d'abord, je me demande si le réseau peut être considéré comme vraiment achevé, et s'il a, notamment vers l'Allemagne, assez d'issues et des issues convenablement aménagées ?
Il est évident que le port d'Anvers sera toujours un des points du réseau les plus difficiles à dégorger.
Or, les relations d'Anvers avec l'Allemagne iront toujours en s'accroissant et dépasseront les plus larges prévisions.
Anvers est entré dans la période de prospérité qui lui a été prédite et préparée par notre opinion. Anvers n'est pas seulement la rivale de Brème et de Hambourg Anvers ne voit pas seulement sa clientèle dans l'Allemagne du midi s'augmenter chaque année. Anvers est à la veille de devenir le port de l'Alsace-Lorraine et avant peu de temps nous verrons s'organiser de grands transports entre Anvers et Strasbourg.
Jusqu'à présent, les cotons dont la Haute-Alsace consomme de si importantes quantités lui étaient fournis par le Havre. Ils avaient à traverser la France dans toute sa largeur et à acquitter des frais de transport considérables. Aujourd'hui que l'Alsace est devenue allemande, il lui sera facile de s'approvisionner par Anvers à de bien meilleures conditions que par le Havre.
Le mouvement du port d'Anvers ira donc toujours en grandissant. Et ce sont surtout les relations d'Anvers avec l'Allemagne qui prendront une importance de plus en plus considérable.
Avons-nous assez d'issues vers l'Allemagne ? J'en doute.
Je m'étonne que dans cette discussion quelque représentant d'Anvers ne se soit pas levé pour demander la construction du chemin de fer d’Anvers à Gladbach que je considère comme indispensable.
Après les voies, il faut parler des gares. Evidemment il y a pour les gares de grands travaux à faire et de grandes mesures à prendre. Il faut d'abord leur donner un outillage digne de notre temps et de notre pays.
(page 254) J'ai entendu hier l'honorable ministre des travaux publics nous annoncer que des grues allaient être établies dans la gare d'Anvers.
J'espère qu'on ne s'en tiendra pas là et qu'on fera un outillage complet.
Je demande à M. le ministre des travaux publies de vouloir bien faire faire par son département une étude complète de ce qui se passe à cet égard en Angleterre et en Allemagne. (Interruption.)
M. Jamar. - Cette étude existe.
M. Sainctelette. - Ah ! elle a été faite ; je suis heureux de l'apprendre. Mais je ferai remarquer que, pour le public, c'est comme si elle n'existait pas. Et ici, permettez-moi une courte digression.
Le département des travaux a un recueil spécial qui porte le nom d'Annales des travaux publics. Mais dans ce recueil spécial, il y a, depuis quelques années, beaucoup de choses qui n'ont rien de technique. On y voit de la jurisprudence, des documents administratifs qu'on rencontre partout, des extraits du Moniteur et de l'Almanach royal, du compte rendu du chemin de fer, toutes publications qui prennent la place d'études techniques. Nos ingénieurs ne sauraient trop se tenir et mettre le public au courant des progrès réalisés dans les autres pays, et je crois que même de simples traductions de travaux étrangers offriraient plus d'intérêt que la reproduction de l'Almanach royal. Mais ce qui devrait avoir le pas sur tout le reste, ce sont les études de nos ingénieurs sur des questions qui intéressent, non pas le département des travaux publics exclusivement, mais le public tout entier.
Des rapports comme ceux dont nous parlons en ce moment doivent être mis à la disposition, non pas seulement de l'administration mais du public, ils doivent former l'objet des études des clients des chemins de fer aussi bien que des fonctionnaires de l'administration.
Mais il ne suffira pas d'outiller les gares, il faudra aussi se préoccuper de l'organisation des moyens d'évacuation. De ce point de vue, j'ai, au mois de février dernier, appelé l'attention du gouvernement sur la nécessité d'organiser le service de camionnage pour les grosses marchandises.
J'ai fait remarquer que, dans la plupart de nos grandes villes, à côté des expéditeurs et des destinataires qui ont un service de camionnage propre, beaucoup d'expéditeurs et de destinataires manquent par eux-mêmes des moyens de transport local et intérieur, qu'ils sont forcés de faire appel au service de voituriers entrepreneurs, que ces voituriers entrepreneurs ne paraissaient pas outillés de façon à suffire à toutes les nécessités du service.
J'ai demandé si, à Bruxelles, à Gand et dans d'autres grandes villes, au moment de l'affluence des transports, c'est-à-dire aux mois d'octobre et de novembre, les moyens de transports locaux étaient suffisants.
Je recommande au gouvernement d'étudier sérieusement cette question. Je pense qu'un examen approfondi l'amènera aux mesures adoptées par la plupart des grandes compagnies françaises. Le cahier des charges français rend obligatoires pour les compagnies le camionnage et le factage dans un rayon de 5 kilomètres ; mais en les rendant obligatoires pour les compagnies, il les laisse facultatifs pour les clients. Les expéditeurs et destinataires ont le droit d'user de leur propre camionnage pour faire ces transports.
Mais qu'est-il arrivé ? C'est que dès 1862 les compagnies protestaient contre cette faculté laissée aux expéditeurs et aux destinataires et demandaient, dans l'intérêt du désencombrement de leurs gares, à être autorisées à faire elles-mêmes le camionnage de toute marchandise délaissée en gare pendant plus de 48 heures. Je crois que ce serait une excellente mesure à prendre en Belgique.
Comme l’a dit hier M. le ministre des travaux publics, la pénurie du matériel provient surtout du défaut d'utilisation, du défaut de mobilisation de ce matériel et ce défaut de mobilisation n'est lui-même que le résultat de l'encombrement des gares. C'est donc à faire évacuer les gares lestement, rapidement, qu'il faut surtout s'attacher. A cet effet, il est indispensable, selon moi, que l'Etat ait des camionneurs dans les principales villes. Peu importe que le camionnage se fasse en régie ou par voie d'entreprise. L'essentiel est que l'administration ait à sa disposition et sous ses ordres des camionneurs.
Après les gares, j'ai à vous parler des waggons. La première chose à faire de ce point de vue, c'est incontestablement remanier les conventions de matériel avec les réseaux étrangers.
Voici quel est à cet égard l'état actuel des choses. On conçoit que quand une compagnie transporte sur ses rails une marchandise dans un waggon qui ne lui appartient pas, elle doive une redevance au propriétaire de ce waggon. Cette redevance est aujourd'hui fixée, si je ne me trompe, à 2 centimes par waggon de tout tonnage, aller ou retour, par kilomètre, et on accorde 3 francs par jour lorsque la compagnie qui transporte retient le waggon au delà d'un certain temps.
On a, si je ne me trompe encore, quatre jours pour faire un transport de 120 kilogrammes (aller et retour), cinq jours pour un transport de 100 kilogrammes, et six jours pour un transport de 240 kilogrammes. Tout jour qui dépasse ce délai est payé à raison de 3 francs. Il en résulte que l'Etat est aujourd'hui créancier des compagnies françaises et de la compagnie rhénane pour trois millions, ce qui représente exactement un million de journées de travail de waggon.
Or, quel a été dans ces derniers temps le prix - si je puis m'exprimer ainsi - de la journée de travail du waggon. Qu'aurait-on dû donner par jour pour obtenir nos waggons ? Je suis convaincu qu'à de certains moments ce prix se serait élevé au moins à dix francs ; qu'en un mot le waggon eût été coté en bourse à dix francs au moins par jour. Eh bien, messieurs, les compagnies françaises ont pu disposer d'une grande partie, de nos waggons à raison de 3 francs seulement par jour. Il est évident que des conventions qui produisent de tels résultats sont tout à fait léonines.
J'admets que 2 centimes par kilomètre et 3 francs par jour constituent une rémunération suffisante en temps normal ; mais dans des circonstances comme celles que nous avons récemment traversées, c'est un véritable marché de dupes que de souscrire à de pareilles conventions.
Or, ces circonstances se reproduiront probablement et si nous n'y prenons garde, la Belgique deviendra un véritable grenier de matériel dans lequel, à de certains moments, la France et l'Allemagne viendront puiser à pleines mains sans que vous ayez aucun moyen de défense.
Il me semble cependant qu'il n'est pas impossible de parer à cette éventualité, en substituant à cette rémunération proportionnelle une rémunération progressive d'après le nombre des waggons et le nombre de jours.
Et, puisque l'occasion se présente de retenir votre attention sur ces conventions de matériel entre réseaux différents, permettez-moi de vous signaler la nécessité de les modifier à d'autres points de vue encore.
Aujourd'hui, la question de savoir à qui incombe l'obligation de fournir le matériel de transport est résolue comme ceci. S'il s'agit d'un trafic mixte, c'est celui des exploitants de chemins de fer sur le réseau duquel s'opère le plus long parcours qui doit fournir le matériel. Si, par exemple, un transport est effectué du Couchant de Mons dans l'Ardenne française, ce sera la compagnie du Grand-Central, sur le réseau de laquelle s'opère le plus long parcours, qui devra fournir les waggons. (Interruption.)
Oh ! je ne prétends pas que l'exemple soit bien choisi. Je ne soutiens qu'une chose et encore, d'après les renseignements qui m'ont été donnés, c'est qu'en thèse générale, l'exploitant dont le parcours est le plus long est celui qui, d'après les conventions de matériel, doit fournir le waggon.
Il en résulte que l'expéditeur, c'est-à-dire celui qui est le plus en position de pouvoir, en temps utile, demander le matériel convenable, doit quelquefois s'adresser à une compagnie avec laquelle il n'a et ne peut avoir aucune espèce de relation.
Ainsi, s'il s'agit de transports à effectuer par l'intermédiaire de la compagnie du Grand-Central, comment voulez-vous que les expéditeurs du Couchant de Mons, qui n'ont aucune espèce de relation avec cette compagnie, lui demandent du matériel et surtout en obtiennent dans des temps comme ceux-ci, où l'on enlève les waggons presque de force ?
Comment voulez-vous, s'il s'agit de transports de pierres de taille, par exemple, à expédier de Soignies ou des Ecaussines dans des localités au-delà de Paris, que les expéditeurs de Soignies ou des Ecaussines réussissent, en temps de crise, à obtenir des waggons du chemin de fer du Nord ?
Il faut, messieurs, obliger l'exploitant du chemin de fer qui passe devant la porte de l'expéditeur, qui enlève les marchandises et qui est responsable envers l'expéditeur des faits et gestes des autres compagnies, il faut l'obliger à fournir le matériel.
Mais, messieurs, en dehors et à côté des mesures que je viens d'indiquer, il y en a une beaucoup plus radicale.
J'ai déjà dit qu'un monopole n'est légitime que dans la stricte mesure où il est rigoureusement nécessaire ; que l'intérêt de la sécurité en matière de chemins de fer n'exige qu'une seule chose, c'est que la traction reste dans les mains d'un seul et même exploitant.
Je pourrais même aller jusqu'à dire que l'intérêt prépondérant de la sécurité en matière de transports n'exige qu'une seule chose, c'est que la disposition du tracé des trains reste l'objet d'un monopole, reste concentré dans une seule et même main ; j'ai fait remarquer que rien ne s'opposait à ce qu'un séparât la traction et l'expédition et à ce que l'Etat, se réservant le monopole de la traction pour les transports de marchandises (page 255), même de la classe minérale, abandonnât à l'industrie privée le soin de fournir le matériel de transport, au moins pour le service de cette classe.
Désireux de connaître l'opinion des hommes spéciaux, je n'ai fait alors qu'indiquer cette idée que, du reste, l'honorable M. Couvreur avait, à mon insu, déjà signalée avant moi.
J'y reviens aujourd’hui, fort de l'assentiment que cette idée a rencontré chez plusieurs membres de cette Chambre, fort de ce qui se passe à l'étranger et fort des hésitations mêmes de l'administration des chemins de fer.
Laissez-moi d'abord, messieurs, vous dire ce qui se pratique à l'étranger. Je sais quelle est, en matière d'affaires, l'autorité des faits pratiques et je vous demande la permission de démontrer d'abord que l'état de choses que je préconise, qui a du reste été préconisé avant moi et en même temps que moi, existe en Angleterre, existe en France, se prépare en Allemagne. Je n'ai plus seulement à invoquer, comme je l'ai fait au mois de février dernier, l'autorité déjà bien considérable de M. Moussette, inspecteur des chemins de fer français, chargé d'une mission spéciale en Angleterre. L'honorable M. Jacqmin, directeur des chemins de fer de l'Est, professeur d'exploitation à l'école des ponts et chaussées, le premier peut-être des exploitants de chemins de fer français, l'honorable M. Jacqmin, étudiant le service des marchandises en Angleterre, explique en quoi l'organisation en est différente de celle de ce service en France et pourquoi il n'est jamais encombré.
Il caractérise en ces termes les différences d'organisation.
Maximum de vitesse imprimé à tous les transports.
Livraison immédiate à domicile des marchandises. Fourniture des waggons pour les grosses marchandises par les expéditeurs.
Voici ce que sur ce dernier point je lis dans son Cours d'exploitation :
« Le rôle des compagnies anglaises pour le transport de la houille et des marchandises de la classe minérale se réduit à celui de simple entrepreneur de traction. Les waggons sont la propriété des expéditeurs ; ils sont chargés hors du terrain du chemin de fer, et les compagnies anglaises restent absolument étrangères aux difficultés et aux récriminations qui se reproduisent sur le continent chaque fois qu'il y a manque de waggons.
« Un M. Schwabe, inspecteur général des chemins de fer allemands, a été chargé par le gouvernement prussien de faire l'étude de l'organisation des chemins de fer anglais. J'extrais de son livre ce qui suit :
« Les voitures découvertes nécessaires au transport du charbon, du minerai, des pierres sont fournies, pour la plus grande partie, par les propriétaires des houillères et des minières. Elles leur appartiennent ou leur sont louées par les établissements de construction de voitures que l'on rencontre en Angleterre en grande quantité. Cette location est apparemment une source de profits pour les constructeurs, car ils donnent des dividendes de 10 p. c. »,
Voilà donc pour l'Angleterre.
En France, l'article 61 du cahier des charges des concessions réserve aux compagnies concessionnaires d'embranchements ou de prolongements, la faculté de faire circuler leurs waggons, voitures ou machines sur le chemin de fer auquel se rattachent ces embranchements ou prolongements.
Cet article a été reconnu applicable à tout industriel qui possède un raccordement à une ligne concédée, de si minime importance que soit ce raccordement.
Il a été utilement invoqué sur les réseaux de l'Est et de Lyon-Méditerranée.
Par de grands établissements métallurgiques qui font passer leurs machines et leurs waggons sur les grandes lignes concédées sur le réseau du Nord.
Par les compagnies houillères du Nord et du Pas-de-Calais, notamment par la compagnie d'Anzin qui, si je suis bien informé, a obtenu le droit de faire le transport de ses charbons par ses locomotives et ses waggons, dans une zone de 60 kilomètres de rayon..
Par la compagnie de Lens qui compte, je pense, 200 waggons.
Une observation d'industriels de la Somme ayant, à l'occasion de la crise, interrogé M. de Franqueville, directeur général au département des travaux publics, sur la portée de cet article, voici quelle fut la réponse de M. de Franqueville.
Je l'extrais d'un compte rendu de M. de Vulfran-Mollet aux industriels de la Somme :
« Il importe de ne pas vous laisser ignorer que l'avis formel de M. de Franqueville est que les négociants ont le droit de louer à l'étranger des waggons pour leur compte et de contraindre les compagnies à les comprendre dans leurs trains,
« C'est un pas fait vers le régime anglais, où le commerce a ses waggons particuliers aussi bien que ses voitures de camionnage. Ce point nous paraît gros de conséquences pour le commerce et nous le soumettons à votre sérieux examen. »
Depuis lors, deux compagnies françaises, les compagnies de l'Est et de l'Ouest sont entrées spontanément dans cette voie. Elles ont admis même de simples négociants à faire circuler sur leurs lignes un matériel privé.
J'ai pu me procurer les formules de ces traités. Je les tiens à la disposition de M. le ministre des travaux publics et même je crois pouvoir me permettre d'en publier une aux Annales. [Insérée en note de bas de page (pages 255 et 256), non reprise dans la présente version numérisée.]
(page 256) Je n'entrerai pas ici dans l'examen des diverses clauses de cette formule. Une seule offre de l'intérêt dans cette discussion, c'est celle relative a la bonification allouée pour la fourniture du matériel. Voici comment elle est conçue ;
« La taxe, applicable aux transports effectués sur ces waggons sera toujours celle applicable aux transports effectués sur le matériel de la compagnie.
« Mais celle-ci payera à MM ; M... et Cie, à titre de location de matériel, une redevance de 0,02 par kilomètre parcouru sur ses rails à l'aller comme au retour.
« Les taxes applicables aux transports de houille effectués au moyen de ces waggons sur la ligne de... seront celles que déterminent les tarifs homologués par l'administration.
« M. M... sera indemnisé de la fourniture des waggons par l'application des conventions qui règlent, entre les compagnies concessionnaires de grands réseaux, la circulation réciproque du matériel de chacune d'elles sur les lignes des autres. »
Vous le voyez. Les compagnies françaises, dont le moindre défaut n'est pas de se montrer prodigues de concessions envers leurs clients, n'ont pas hésité à admettre les expéditeurs à fournir le matériel roulant aux mêmes prix et conditions que les exploitante de chemins de fer se le prêtent entre eux.
Voilà pour la France.
Je vous ai dit tout à l'heure qu'une semblable réforme se préparait en Allemagne.
Voici, en effet, ce que pense M. Schwabe du système anglais.
« L'introduction de dispositions pareilles est désirable aussi bien au point de vue des chemins de fer qu'à celui des ateliers de construction. Les houillères et autres établissements analogues comprendront bientôt les avantages qu'ils trouveront en louant des waggons. »
M. Schwabe rappelle ensuite des essais de ce genre faits antérieurement en Allemagne. Il explique que si ces essais n'ont pas réussi, c'est que l'appui des chemins de fer leur faisait alors défaut.
Ceux-ci, dit-il, tiennent trop au gain qu'ils réalisent par leurs propres waggons. Cependant depuis quelques années les idées ont changé à ce sujet. Les chemins de fer, surtout ceux qui se trouvent dans le ressort d'une industrie houillère ou minière, ont été reconnus incapables de satisfaire aux exigences des industriels, malgré l'augmentation considérable de leur matériel roulant. Ils ne pourraient donc qu'accueillir avec joie la proposition des sociétés privées de leur procurer du matériel. Quant à nous, nous ne saurions y trouver aucun inconvénient pour les chemins de fer, car ils conserveront toujours une influence prépondérante dans le règlement de cette affaire.
Mais il y a plus.
Un publiciste allemand très compétent, M. Perrot, directeur d'une Revue mensuelle du commerce et de la navigation, éditée à Rostock dans le Mecklembourg, a défendu, dans plusieurs écrits très remarquables, l'idée de la séparation de la traction d'avec l'expédition.
Il soutient que celui qui dispose d'un waggon, qu'il en soit propriétaire ou locataire, doit pouvoir le charger comme il veut et de ce qu'il veut, et que l'exploitant du chemin de fer, Etat ou compagnie, ne peut percevoir qu'un simple droit de traction.
Cette idée a gagné du terrain et vient, si je suis bien informé, de recevoir une application partielle sur les chemins d'Alsace-Lorraine.
Là, il n'y a plus que deux classes de marchandises :
I. Celles qui sont livrées en vrac par charges complètes.
IL Toutes autres marchandises.
Pour les marchandises livrées en vrac par charges complètes, la compagnie fournit le waggon. Le client le charge comme il lui plaît et de ce qui lui plaît. La compagnie perçoit un droit de location de matériel et de traction. De là à la fourniture du waggon par l'industriel ou par les compagnies spéciales il n'y a qu'un pas.
Lorsque au mois de février dernier, dans la discussion du crédit de six millions, j'ai émis l'opinion qu'il y avait lieu d'étudier cette idée du matériel privé, l'honorable M. Wasseige, me répondant, du reste, avec beaucoup de| bienveillance, a dit que l'idée n'était pas neuve pour l'administration du chemin de fer de l'Etat et que déjà il y avait des précédents. J'ai recherché les précédents et appris qu'en 1867, un ordre de service, émané des bureaux de Bruxelles, avait informé les agents en provinces que la maison Van der Elst frères était autorisée à faire circuler sur le railway de l'Etat un certain nombre de waggons pour le transport de charbons qui lui appartenaient exclusivement. J'ai examiné les conditions de cet ordre de service et constaté que parmi elles se trouve celle-ci :
« Aucune réduction n'est accordée sur les prix ordinaires du tarif pour les transports effectués au moyen de ce matériel. »
Messieurs, remarquez que tout autre chose est un ordre de service, connu seulement des employés auxquels il est adressé, et un tarif.
Le public ne sait absolument rien des ordres de service. Pour que la mesure pût produire quelque résultat, il eût fallu prendre une mesure générale, fixer un tarif, préparer une formule de contrat, publier le tout, faire connaître au public à quelles conditions l'administration était disposée à laisser circuler sur ses lignes les waggons des particuliers. On n'a rien fait de tout cela. Très peu de personnes ont su que MM. Vander Elst frères avaient obtenu l'autorisation de faire circuler leurs waggons ; très peu ont donc pu songer à suivre cet exemple.
Voici les résultats que, selon moi, il est légitime de se promettre de l'intervention du matériel privé.
C'est d'abord de rendre l'industrie indépendante de l'administration des chemins de fer, et ce n'est pas peu de chose.
Aujourd'hui, l'administration des chemins de fer est maîtresse des destinées des industries belges. Quelque vigilant que soit un industriel, quelque soigneusement informé qu'il soit de tout ce qui se passe sur les grands marchés de l'Europe, quelque prudence qu'il ait mise à s'approvisionner, à s'outiller, à s'entourer d'un personnel nombreux, éclairé, quelque grande masse de produits que même il ait fabriqués d'avance, il n'est assuré de pouvoir réaliser quelque bénéfice, même en un temps de grande activité industrielle, que si l'administration des chemins de fer lui fournit, au moment opportun, des waggons en nombre suffisant. Il se peut que, malgré toute sa vigilance, il vienne échouer au port par la faute de l'administration des chemins de fer.
L'administration des chemins de fer a, dans ces derniers temps, agi sur nos industries comme un frein. Elle en a littéralement enrayé l'essor et neutralisé les progrès.
Et non seulement il en est ainsi en général, mais au point de vue de la répartition du matériel, la même situation se reproduit. Les fonctionnaires supérieurs de l'administration des chemins de fer peuvent, par une simple erreur de distribution, modifier les conditions de la concurrence relative entre les différents groupes houillers, sidérurgiques, constructeurs, verriers du pays. Selon qu'ils distribuent ou ne distribuent pas les waggons d'une manière équitable et intelligente, ils peuvent développer ou compromettre (page 257) l'action industrielle. Et il en est de même dans chaque groupe pour ce qui concerne les divers producteurs.
Il est évident que le distributeur de waggons dans une station tient dans ses mains une notable partie de la fortune de chaque industriel et qu'une erreur commise par lui de la meilleure foi du monde peut causer le plus grand préjudice. Il faut porter remède à cette situation. Il est impossible de laisser nos producteurs, nos industriels, nos commerçants à la merci du caprice ou de l'intelligence plus ou moins éclairée d'un employé du chemin de fer.
Eh bien, messieurs, le système que j'ai l'honneur de préconiser devant vous rend à chacun sa liberté d'allures. Chacun restera maître de s'approvisionner comme il l'entendra, de s'outiller comme il le voudra, d'expédier quand bon lui semblera ses produits fabriqués. Chacun recueillera le fruit de sa vigilance, de sa prévoyance, de son intelligence des événements qui se préparent, de même que chacun aura à subir les conséquences de son inertie, de son imprévoyance, de son aveuglement.
Rendons à chacun sa liberté d'allures. Rentrons dans la vérité économique qui veut que le monopole soit restreint dans les strictes limites du nécessaire. Et puis, notez ceci : si vous rétablissez la concurrence entre les producteurs, si vous réduisez l'Etat au service d'entrepreneur de traction, qu'arrivera-t-il inévitablement ? C'est que des maisons de transport se fonderont ; c'est que vous aurez, pour les grosses marchandises du moins, à côté des destinataires et des expéditeurs, de véritables maisons de transport.
Les ateliers de construction chercheront à tirer parti de la situation pour régulariser leur production. Ils fabriqueront du matériel pour le louer aux industries privées. Ils se transformeront peut-être même en maisons de transport. Je vous le demande : si, depuis quelques années, au lieu d'avoir en l'Etat un seul agent de transports, vous aviez une dizaine de maisons de transport différentes, desservies par le même entrepreneur de traction, est-ce que la concurrence entre ces maisons de transport n'aurait pas amené des modifications considérables dans les tarifs et notamment ce péage par train que M. le ministre des travaux publics rappelait hier et dont j'ai parlé, il y a plus d'un an. J'ai dit alors que l'emploi du matériel privé aurait ces deux conséquences inévitables de conduire à l'établissement de péages par trains et à la suppression des frais fixes.
Je suis convaincu que lorsque les expéditeurs seront admis à fournir eux-mêmes le matériel, ils ne tarderont pas à reconnaître que leur intérêt leur commande de s'engager dans une voie qui ne tardera pas à les conduire aux résultats les plus avantageux.
Par là encore ils augmenteront leur champ d'opérations. Ils ne tarderont pas à composer d'abord des fractions de trains et puis des trains complets, et ainsi ils arriveront à approvisionner des localités qu'ils n'abordent pas aujourd'hui, à satisfaire à des besoins qu'il ne leur est pas donné actuellement de desservir.
Voilà, messieurs, les avantages que le public retirerait des mesures que j'indique. Voyons maintenant ce que l'Etat pourrait s'en promettre.
C'est d'abord que l'Etat sera déchargé d'une immense responsabilité. L'Etat, aujourd'hui, se soustrait aux réclamations de l'industrie, en lui opposant ceux des articles de son tarif qui disent que les délais de chargement ne seront observés que sauf le cas d'encombrement, même pour l'abonné. Car, l'abonné qui, lui, doit payer une amende s'il garde son waggon neuf heures au lieu de huit, qui répond de toute avarie, minime qu'elle soit, pendant que le waggon est à sa disposition, l'abonné à qui l'on présente à chaque fin de mois un état d'amendes qui s'élève parfois à 1,400 et 1,500 francs, l'abonné ne peut rien réclamer du chef des retards qu'il subit dans la mise à sa disposition des waggons auxquels il a droit.
Et tout cela, messieurs, parce qu'il y a dans le tarif cette réserve : « Sauf le cas d'encombrement » et que l'administration entend faire fruit de cette réserve, même quand l'encombrement est son propre fait.
Une telle situation, ne vous le dissimulez point, messieurs, ne sera pas acceptée longtemps par nos industriels ; et, que la Chambre le veuille ou ne le veuille pas, cette clause ne pourra plus être maintenue longtemps dans nos tarifs. L'Etat sera, par la force des choses, contraint d'accepter pi responsabilité de ses faits et gestes.
Il fait acte d'industriel, comme le disait hier l'honorable ministre des travaux publics ; eh bien, messieurs, l'une des premières règles de l'industrie, c'est que l'industriel doit accepter la responsabilité de ses faits et gestes. Quelle serait cependant la situation si l'Etat était rendu responsable, responsable surtout vis-à-vis des transporteurs de matières minérales, c'est-à-dire des matières qui donnent lieu aux plus grandes fluctuations de trafic et qui forment les cinq septièmes de tous nos transports ?
M. le ministre des finances ne serait plus alors maître de la situation ; ce n'est plus lui qui pourrait répondre du trésor public. Le trésor public serait à la merci des agents subalternes des chemins de fer de l'Etat.
Il faut donc mettre un terme à cette situation ; il faut empêcher l'Etat d'avoir à subir les conséquences de l'abondance ou de la pénurie du matériel roulant.
En troisième lieu, mais je ne présente cet argument que pour compléter en quelque sorte la démonstration, on régulariserait le trafic aujourd'hui fort variable des maisons de construction.
Pourquoi vos maisons de construction n'ont-elles pas, en réserve, un matériel qu'elles puissent mettre à la disposition de l'Etat en temps de crise ?
C'est parce qu'elles ne peuvent faire les frais d'une immobilisation infructueuse, l'avance, pendant plusieurs années, de capitaux considérables.
C'est aussi parce que, en matière de matière de waggons, de locomotives, de tenders, il n'y a pas de types agréés d'une façon certaine.
On peut, par un changement dans la forme ou dans la place d'un écrou ou d'un boulon, rendre inacceptables des waggons d'ailleurs construits dans les meilleures conditions.
Donnez aux ateliers de construction la possibilité d'utiliser les voitures fabriquées et non vendues la certitude que, du jour au lendemain, le type à suivre ne sera point modifié, et aussitôt vous aurez une réserve de waggons.
Voilà les avantages du système. Voyons l'accueil qu'on lui réserve.
M. le ministre des travaux publics nous a annoncé hier que l'administration pensait devoir étudier de plus près cette question, et il a fait entrevoir la possibilité d'une solution favorable.
Ce n'est là qu'une variante de la réponse faite par M. Wasseige en février dernier. Depuis 1867, l'administration a pu achever son étude. Elle doit connaître les faits et les documents que j'ai invoqués.
Il n'est donc pas inutile de donner à M. le ministre des travaux publics un moyen d'imiter l'administration et d'empêcher que les observations présentées aujourd'hui n'aillent rejoindre, dans les cartons, les observations présentées en février dernier.
J'ai donc l'honneur de proposer à la Chambre l'amendement que voici :
« Art. 3. - Le gouvernement est autorisé à accorder des réductions sur les prix ordinaires du tarif pour les transports de grosses marchandises, quatrième classe, qui s'effectueront au moyen de waggons fournis par les particuliers et agréés par les administrations.
« Les taux et les conditions de ces réductions seront déterminés par un arrêté royal.
« Le type d'après lequel aura lieu l'agréation ne pourra être modifié qu'après un terme de cinq ans. »
Cet amendement est conçu, comme vous le voyez, dans les termes les plus larges.
Il consiste à accorder au gouvernement l'autorisation de consentir à des réductions. Le taux des réductions n'est pas indiqué.
Les conditions des réductions seront laissées à la libre appréciation du gouvernement.
Il aura tout le temps nécessaire pour faire une étude convenable. Seulement, il faut que ce taux et ces conditions ne soient pas modifiés d'un jour à l'autre, il faut que les constructeurs, les particuliers aient quelques garanties que le régime ne sera pas subitement et complètement modifié. Il paraît donc utile que ces conditions soient fixées par un arrêté royal.
Je demande également que le type d'après lequel aura lieu l'agréation ne puisse être modifié qu'après un terme de cinq années.
Je propose cet amendement au gouvernement et j'espère qu'il ne sera pas repoussé par la droite, par la seule raison qu'il vient de la gauche.
- L'amendement est appuyé ; il fait partie de la discussion.
M. d'Andrimont. - Messieurs, les représentants les plus considérables et les plus autorisés du commerce, de l'industrie, sans distinction de partis politiques, n'ont cessé soit isolément soit collectivement, durant la triste période de la crise des transports, d'adresser au gouvernement des avertissements d'abord, des réclamations ensuite et des plaintes de plus en plus fondées et de plus en plus vives.
Las, enfin, de ne rien gagner, ils se sont réunis deux fois à Bruxelles pendant le mois de novembre et ils ont pris la détermination de se mettre directement en rapport avec le chef du cabinet et avec le ministre des travaux publies d'alors, afin d'obtenir satisfaction des griefs qu'ils articulaient depuis plus d'un an.
C'est à la suite de cette pression de l'opinion publique, c'est contraint, forcé, l'épée dans les reins, que le gouvernement s'est enfin décidé à déposer (page 258) un projet de loi tendant à accorder un crédit de 12,080,000 francs pour l'augmentation du matériel et l'agrandissement des stations.
C'est donc, comme l'a très bien dit mon collègue de Mons, l'honorable M. Wasseige, l'ancien ministre des travaux publics, qui seul doit supporter la responsabilité de la crise que nous subissons... (Interruption.)
M. Bouvier. - Il n'y a pas de quoi rire.
M. d'Andrimont. - ... parce que, méprisant les avis et les plaintes de la presse et de l'industrie, il n'a jamais fait droit à leurs réclamations que poussé dans ses derniers retranchements et presque à contre-cœur.
L'honorable M. Wasseige doit parfaitement se souvenir que l'an dernier, au commencement du mois de janvier, nous nous sommes rendus chez lui, accompagnés de l'honorable sénateur de Charleroi, M. Lebeau, pour lui signaler la position fâcheuse dans laquelle se trouvaient l'industrie de Liège, l'industrie de Charleroi par suite du manque de moyens de transport. Nous lui avons demandé de nous fournir 2,000 waggons et 50 locomotives, lui déclarant que s'il ne voulait pas faire droit à notre requête, nous userions de notre droit d'initiative parlementaire pour obtenir le crédit suffisant, que nous évaluions à 12 millions.
Messieurs, au lieu de 12 millions que nous réclamions, on nous a accordé 6,500,000 francs sous prétexte que la situation dans laquelle on se trouvait alors était une situation anomale.
Or, messieurs, dans le rapport que j'ai fait sur le crédit de 6,500,000 francs, j'exprimais les idées que voici : je ne les croyais pas aussi prophétiques.
« Quelques membres de la première section et le gouvernement lui-même semblent manifester la crainte de voir, dès que la paix sera conclue et que les heureux effets s'en feront sentir, le mouvement des marchandises diminuer subitement dans d'énormes proportions sur nos chemins de fer et notre matériel devenir improductif.
« Telle n'est pas notre opinion.
« Il y aura évidemment un trafic moindre, mais la chute ne sera ni forte ni brusque.
« En effet :
« Le port d'Anvers s'est fait connaître du monde entier : des relations se sont établies entre nos commerçants et ceux des pays étrangers et rien ne fait présumer que toutes ces relations seront brisées dès que la guerre sera finie.
« Anvers a des ports, des bassins vastes, spacieux, commodes, et qui auront été justement appréciés par ceux qui forcément, bon gré mal gré, ont été obligés de s'en servir.
« L'admirable prospérité d'Anvers ne fera donc que s'accroître et notre métropole commerciale, grâce à son heureuse situation, deviendra inévitablement et rapidement la tête de ligue principale de transit vers l'Europe centrale.
« L'industrie charbonnière - et c'est elle qui fournit le plus de transports - trouvera un écoulement plus considérable de ses produits en France, les houillères des départements du Nord et du Pas-de-Calais ayant été rudement éprouvées par la guerre.
« La Hollande deviendra accessible au charbon belge, par suite de la hausse excessive du combustible dans le bassin de la Ruhr, hausse qui se maintiendra, par suite de la pénurie d'ouvriers, non pas au prix actuel, mais à des prix supérieurs à ceux des années précédentes.
« D'autre part, nos industries diverses ne peuvent manquer de produire plus, se trouvant dans une condition exceptionnelle, si on les compare à celles des pays limitrophes.
« Ne possèdent-elles pas les capitaux et les bras qui font partout défaut, passé nos frontières de l'Est et du Sud ?
« Et tandis que l'industrie et le commerce se trouvent surchargés d'impôts de guerre en France et en Allemagne, les nôtres, au contraire, voient, par la facilité des transports et par l'abaissement des tarifs, leurs chargés diminuer. Et les prix de revient de nos produits de toute nature seront inévitablement et longtemps inférieurs à ceux de nos voisins.
« Il se peut donc que la situation, qui semble anomale aujourd'hui, devienne normale dans un temps qui n'est peut-être pas éloigné, et il convient dés à présent, de se mettre en mesure de faire face aux besoins futurs du commerce et de l'industrie. »
Et la section centrale, messieurs, n'a admis le crédit minimum de 6,500,000 francs que sous la réserve suivante qui se trouvait dans une lettre adressée par l'honorable M. Wasseige a la section centrale :
« Si des besoins nouveaux venaient à se produire, si une nouvelle insuffisance de matériel ou de voies venait à m'être clairement démontrée, je n'hésiterais pas à solliciter alors de la législature les crédits pour y satisfaire, »
M. De Lehaye. - C'est ce qu'il a fait.
- Un membre. - Trop tard.
M. d'Andrimont. - L'honorable M. Wasseige a-t-il tenu ses engagements vis-à-vis de la section centrale, vis-à-vis de la Chambre ?
Non, messieurs, il s'est obstiné à ne vouloir faire que le strict nécessaire et il est imperturbablement resté jusqu'en novembre hostile à toute augmentation de matériel.
Ceci soit dit pour laisser à chacun la responsabilité de ses œuvres.
Examinons maintenant la situation telle qu'elle est et surtout ne nous faisons plus d'illusions sur l'avenir.
Et tout d'abord écartons une bonne fois du débat cette excuse banale, que la Belgique n'est pas seule à souffrir de la crise des chemins de fer et que la perturbation dans les transports se fait sentir au même degré dans les pays étrangers et notamment en France et en Allemagne.
Cette excuse est, en effet, sans valeur. La Hollande, l'Italie, la Suisse, l'Espagne, pays voisins des deux nations belligérantes n'ont eu à subir d'embarras dans les transports qu'à la rentrée de l'hiver, embarras qui, quoi qu'on fasse, se reproduiront de temps à autre. Mais ces pays ont-ils supporté pour le trafic des entraves comme celles que nous endurons depuis dix-huit mois ?
Evidemment non. L'Angleterre qui, au point de vue de la multiplicité de ses railways et de la diversité des compagnies d'exploitation, se trouve à peu près dans la même situation que nous ; l'Angleterre, dis-je, a-t-elle vu ses établissements industriels chômer faute de combustible ?
Mais non, au contraire, l'Angleterre a complètement échappé à la crise ; ses chemins de fer ont, sans grande difficulté, fait face à l'accroissement de transports dû à la reprise des affaires et ils y sont parvenus - nous le démontrerons plus tard - grâce aux excellentes mesures pratiques dont l'honorable M. Sainctelette vous a parlé hier.
Quant à la France et à l'Allemagne, on ne peut pas le nier : la crise y a été très forte ; cependant je ne crois pas qu'elle y ait duré aussi longtemps que chez nous...
M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Elle y dure encore.
M. d'Andrimont. - Soit ! mais pas aussi intense. Quoi qu'il en soit, elle y cessera beaucoup plus vite qu'en Belgique, grâce aux mesures énergiques que prend la commission d'enquête parlementaire.
Mais, en tout cas, le gouvernement doit-il, pour se soustraire aux reproches de la presse, du commerce et de l'industrie, invoquer l'exemple de l'Allemagne et de la France ? Mais, messieurs, on l'a dit maintes et maintes fois : « Comparaison n'est pas raison. » La situation n'est pas la même.
Avons-nous eu, comme en France, des ponts coupés, des rails arrachés, des stations incendiées, des ports désertés ; avons-nous eu des transactions commerciales suspendues, une industrie paralysée ; avons-nous eu à supporter une invasion du territoire ; le gouvernement belge a-t-il vu tous les services publics désorganisés ; a-t-il été assailli par les immenses préoccupations du gouvernement français ? Avons-nous été obligés, comme en Allemagne, d'effectuer des transports de troupes et de munitions à grande vitesse d'une extrémité du pays à l'autre ; avons-nous eu un matériel fatigué, des locomotives essoufflées ; avons-nous vu pendant la guerre notre industrie s'arrêter subitement dans son essor faute de bras et, comme en Allemagne, se relever à la conclusion de la paix, avec une activité sans exemple dans le monde, grâce à l'affluence des capitaux et à la quiétude que donnait l'assurance d'une paix durable ?
Nous n'avons rien vu de semblable ; nous avons eu quelques waggons détériorés par suite de leur voyage en Allemagne lors de la guerre et encore n'avons-nous jamais pu savoir de l'honorable M. Wasseige à quel nombre s'élevaient les waggons on mauvais état.
Voilà le seul dommage matériel que nous ayons eu à supporter. Mais en revanche, nous avons eu, pendant la guerre, une année d'expérience dont nous aurions dû tirer d'utiles enseignements.
Les Allemands et les Français n'ont pas eu, pendant la guerre, le temps comme nous, de se préparer au choc d'un trafic considérable, prévu par tout le monde, sauf par l'honorable M. Wasseige, qui, sur ce point comme sur tant d'autres, s'est bercé d'illusions.
Que le gouvernement, pour se soustraire au reproche qu'on lui adresse de ne pas avoir prévu la crise et de ne pas y avoir porté un remède préalable, n'invoque pas, comme il l'a fait hier, les recettes progressives énormes du chemin de fer ; ce faisant, il a l'air de vouloir se parer des plumes du paon.
Si les recettes du chemin de fer ont été si considérables, ce résultat est dû en grande partie aux larges et intelligentes mesures économiques que le gouvernement libéral a osé prendre, (Interruption.) C'est l'abaissement (page 259) des tarifs qui a amené la prospérité du pays et l'augmentation du trafic sur nos lignes.
En tout cas, messieurs, nul ne pourrait le nier et l'honorable ministre des travaux publics l'affirmait hier, si le service avait été mieux organisé, on aurait certainement pu effectuer une plus grande quantité de transports.
M. Moncheur, ministre des travaux publics. - J'ai dit : si les voies avaient été plus nombreuses et plus étendues ; cela date de dix ans.
M. d'Andrimont. - Eh bien, je répète, moi, que si le chemin de fer avait été plus intelligemment dirigé, on aurait transporté beaucoup plus de marchandises.
Le commerce et l'industrie ont été comprimés dans leur essor. Aurions-nous vu sans cela des charbonnages restreindre leur extraction, des hauts fourneaux en non-activité, parce qu'on n'était pas sûr d'avoir du combustible pour les alimenter ? Il est certain que la production des matières premières augmentant sans entraves, vous auriez eu sur vos chemins de fer, s'ils avaient été convenablement dirigés, un trafic beaucoup plus considérable.
Mais, comme l'a dit hier l'honorable M. Sainctelette, outre l'obligation d'augmenter le matériel, vous avez des mesures à prendre pour faciliter la circulation des trains.
L'an dernier, j'ai cru bien faire en indiquant au gouvernement quelques moyens pratiques pour obtenir ce résultat.
Eh bien, messieurs, le croiriez-vous : j'ai prêché dans le désert. Autant d'observations, autant de coups d'épée dans l'eau.
M. Wasseige. - J'aime mieux cela que des coups d'épée dans les reins.
M. d'Andrimont. - Je vais rappeler ces observations dans l'espoir qu'elles entreront plus facilement dans l'oreille de l'honorable M. Moncheur que dans celle de l'honorable M. Wasseige.
Nous engagions, messieurs, et en cela nous étions d'accord avec l'honorable orateur qui vient de se rasseoir, nous engagions le gouvernement à adopter le système pratiqué en Angleterre et en Allemagne, système qui consiste à laisser circuler sur les voies de l'Etat le matériel des industriels.
Comme vient de le faire remarquer l'honorable M. Sainctelette, l'honorable M. Wasseige a répondu que la question était à l'étude depuis très longtemps. Voici comment il s'exprimait :
« L'idée préconisée par M. Sainctelette n'est pas aussi neuve pour l'administration qu'il semble le croire ; déjà on s'en est préoccupé. Les judicieuses indications que l'honorable M. Sainctelette vient d'apporter à cette tribune seront un stimulant pour mon département et engageront celui-ci à reprendre ses méditations avec plus d'ardeur que jamais. '»
Or, jusqu'à présent nous ne savons pas encore ce qu'ont produit les ardentes méditations du département des travaux publics. On y médite beaucoup, paraît-il, dans ce département, mais ces méditations ne nous donnent, il faut l'avouer, qu'un médiocre résultat. Ce système que nous avons préconisé et qu'a si éloquemment développé tantôt l'honorable M. Sainctelette, n'est certes pas une panacée universelle ; mais enfin il aurait tout au moins pour effet de remédier, dans une certaine mesure, à un état de choses des plus funestes.
J'avais encore, messieurs, signalé l'urgente nécessité d'élargir nos gares ; et j'avais surtout signalé la gare d'Herbesthal. En effet, cette station est la plus importante de la Belgique, elle est notre seul point de contact avec l'Allemagne, toutes les marchandises vont s'y engouffrer comme dans un entonnoir. Cette observation, je dois le déclarer, a reçu le meilleur accueil de la part de l'honorable M. Wasseige : il m'a formellement promis que l'élargissement de la gare d'Herbesthal se ferait dans un très bref délai.
Eh bien, messieurs, savez-vous quand les travaux d'élargissement de cette station ont été mis en adjudication ? Le 3 novembre dernier ; et si l'honorable M. Wasseige ne s'était pas rendu à Herbesthal, il est probable que ces travaux d'élargissement ne seraient pas encore adjugés à l'heure qu'il est.
M. Wasseige. - J'ai donc, une fois en passant, mérité vos félicitations ; et vous devriez bien m'en adresser. Une fois n'est pas coutume.
M. d'Andrimont. - Je ne vous les refuse pas. Il n'est pas sans intérêt de faire l'historique de cette affaire, il est curieux à plus d'un titre, il démontre à l'évidence la nécessité d'apporter des réformes dans l'administration des chemins de fer.
Il doit y avoir là des rouages ou inutiles ou mal établis qu'il convient ou de modifier ou même de supprimer,
Voici le fait.
Les plans d'agrandissement de la station d'Herbesthal ont été assez rapidement conçus et exécutés et pour hâter l'exécution de cet ouvrage, on installa une brigade d'ouvriers travaillant en régie en attendant l'accomplissement des formalités de l'adjudication.
Le 20 juillet, on mit le travail en adjudication.
Des entrepreneurs se présentèrent, offrant d'exécuter ledit travail avec 10 p. c. d'augmentation. Le lendemain, renvoi du procès-verbal d'adjudication à l'administration centrale, et le même jour, renvoi de tous les ouvriers qui travaillaient en régie. Le 12 septembre, M. le ministre des travaux publics faisant sa tournée arrive à Herbesthal et témoigne une vive surprise de ne plus voir d'ouvriers occupés à l'élargissement de la gare.
Ce qu'on lui a répondu, je l'ignore. L'honorable M. Wasseige nous le dira tantôt, si cela lui fait plaisir.
Toujours est-il qu'il donna immédiatement l'ordre de reprendre le travail en régie et de le remettre en adjudication.
Au mois d'octobre, cela était fait, et le 3 novembre les entrepreneurs se mettaient décidément à l'ouvrage.
Je dis que si, par respect pour les formes administratives, on en arrive, pour un travail si considérable, aussi utile, aussi urgent, à perdre toute une saison, du mois de mai au mois de novembre, il doit y avoir un vice dans les rouages de l'administration, et que ce vice il faut l'extirper le plus tôt possible.
M. De Lehaye. - Ce vice n'est pas né d'hier. Il existait depuis les administrations antérieures.
M. d'Andrimont. - C'est donc avec infiniment de plaisir que, hier, j'ai entendu l'honorable M. Moncheur majorer le crédit de douze million» et le porter à seize millions, dont quatre millions seront exclusivement appliqués à l'élargissement des gares.
Mais, messieurs, vous le reconnaîtrez comme moi, cet amendement est un fameux coup de massue sur la tête de son prédécesseur.
M. Bouvier. - Ce n'est plus un compliment ça.
M. d'Andrimont. - Non, car enfin cette proposition met au grand jour l'inqualifiable imprévoyance de M. Wasseige. (Interruption.)
Comment ! mais qu'a dit M. Wasseige dans ses discours ; ici, au Sénat et devant les délégués des chambres de commerce ? Il a dit : Je ne puis pas demander de nouveaux crédits pour le matériel, parce que les gares sont insuffisantes pour les manœuvres ; et que fait M. Wasseige ? Il nous présente, après avoir été mis en demeure de le faire, notez-le bien, il nous présente un projet de crédit de 12,080,000 francs pour augmentation de matériel et il oublie - la chose est incroyable - il oublie de demander de l'argent pour la construction et l'agrandissement des gares.
M. Bouvier. - Le principal.
M. d'Andrimont. - Le principal, évidemment : aussi son successeur immédiatement après son entrée au département s'est-il dit : Il faut réparer cette omission, et c'est pour cela qu'il nous a présenté hier un amendement majorant la demande de crédit de 4 millions pour l'agrandissement et l'outillage des gares. Je le répète donc, messieurs, la proposition de M. le ministre des travaux publics est un coup de massue pour son prédécesseur. (Interruption.)
Messieurs, j'avais également recommandé à M. le ministre des travaux publics Wasseige, en vue de désencombrer les gares, de prévenir par télégraphe les intéressés que tel jour et à telle heure des marchandises seraient en gare à leur disposition afin qu'ils puissent se trouver là au moment de l'arrivée des trains et faire enlever immédiatement les produits expédiés. On n'a pas tenu compte de cette recommandation.
Mais une société en Belgique s'est emparée de cette idée : c'est la société du Liégeois-Limbourgeois ; et grâce à cette information anticipée, elle se trouve à même d'expédier des trains complets de Liège à Eindhoven, aller et retour, en vingt-quatre heures.
Voilà les résultats obtenus en mettant en pratique une idée très simple et certes peu coûteuse à réaliser.
J'ai également à cette séance préconisé l'établissement de trains de nuit. L'honorable M. Sainctelette vous en a parlé longuement et j'espère que ses paroles et ses arguments feront plus d'effet sur le ministre des travaux publics actuel que les miens n'en ont fait sur l'honorable M. Wasseige.
J'aurais voulu également qu'on construisît à Anvers et dans nos principales stations des gares spéciales pour le déchargement des charbons et des grosses marchandises. Que je sache, on n'a rien fait dans ce sens et je serai obligé de revenir tantôt sur cette question, que je considère comme capitale.
J'avais aussi réclamé un plan d'ensemble pour nos gares et j'ai appris (page 260) avec plaisir de l'honorable ministre des travaux publics qu'il était enfin question de faire ce plan.
Il me semblait aussi que nos ingénieurs feraient bien de circuler un peu, d'aller en Angleterre, en Allemagne, pour s'informer des améliorations qu'on apporte dans le service des chemins de fer. Mais a ma connaissance, on n'a envoyé personne dans ce pays. Tout récemment, le 15 novembre, vous avez vu se constituer à Dusseldorf un congrès extrêmement remarquable. Là se trouvaient des industriels, des commerçants, des consommateurs et des producteurs de charbon, des directeurs des principaux chemins de fer de la Westphalie.
Dans cette réunion on a examiné les causes de la crise et les moyens d'y porter un remède immédiat. Des Liégeois, M. Habets, le secrétaire de notre union des charbonnages, entre autres, se sont rendus à ce congrès. Le gouvernement n'y a envoyé personne.
On dirait que, ayant été les premiers à établir des chemins de fer sur le continent, nous sommes restés les premiers en tête pour les exploiter et que nous n'ayons rien à apprendre ailleurs. C'est là une prétention inadmissible et l'administration ferait bien de la combattre en envoyant des ingénieurs dans les pays voisins.
Voilà les propositions que j'avais faites et dont on n'a tenu aucun compte.
Eh bien, messieurs, en présence de cette force d'inertie, en présence de cette hostilité pour tout ce qui est nouveau, en présence de cette crise que le gouvernement n'a pas su prévoir et qui menace de se perpétuer, le pays est en droit de réclamer une enquête publique sur la situation des chemins de fer.
Je suis convaincu que c'est le seul moyen de sortir de la triste situation dans laquelle nous sommes.
Je ne sais pas pourquoi le gouvernement s'y opposerait. Nous avons d'abord M. Wasseige qui a, par trois fois, déclaré qu'il était tout disposé à accueillir cette demande, trouvant par là, disait-il, un moyen de dégager sa responsabilité. Le gouvernement ne s'est pas encore prononcé, et je m'étonne de ce qu'il n'ait pas pris l'initiative de cette enquête.
Allons-nous donc toujours nous laisser traîner à la remorque de tous les pays ? L'Autriche a terminé son enquête, le rapport sera publié très prochainement.
En France, vous n'ignorez pas que l'assemblée de Versailles, dans sa séance du 15 décembre, a formulé une loi dans ces termes :
« Article unique. Une commission de trente membres sera nommée par l'assemblée nationale réunie dans ses bureaux. Elle aura pour mission :
« 1° De proposer d'urgence à l'assemblée les mesures immédiates à prendre afin de diminuer autant que possible les souffrances causées par la crise actuelle ;
. « 2° De procéder à une enquête approfondie sur le régime général des chemins de fer. »
Et voici, messieurs, l'appréciation qu'on lit dans un journal industriel sérieux intitulé La Houille :
« En présence d'un cadre aussi étendu et aussi conforme aux vœux généralement exprimés, le devoir de chacun est de concourir à l'instruction pratique de l'enquête, bien moins en formulant des griefs particuliers contre les compagnies de chemin de fer qu'en étudiant et en produisant les moyens efficaces de remédier à leur impuissance actuelle.
« Nous ne voulons pas dire à coup sûr que 1''agitation salutaire qui s'est manifestée depuis trois mois doive cesser du jour au lendemain et qu'il faille s'endormir. Loin de là, mais il importe avant tout, en signalant les faits qui se produisent tant à la charge qu'en faveur des compagnies, de les grouper avec méthode au point de vue de l'intérêt général ; il importe aussi de seconder l'initiative privée partout où son action peut déterminer la concurrence entre nos divers systèmes de transports.
« De ces efforts communs résulteront, nous en sommes convaincus, non seulement l'adoption des mesures réclamées pour conjurer des crises périodiques, mais l'amélioration à un haut degré de notre outillage industriel. »
Une commission de trente membres, chargée d'examiner la question de la crise des transports et de faire une enquête sur le régime général des chemins de fer, a choisi pour président M. Raudot, pour vice-président M. Feray, et pour secrétaires MM. de Clercq et Wilson.
Dans sa première séance, qui a eu lieu le 20 décembre, elle a entendu M. de Larcy, ministre des travaux publics.
Le lendemain, elle a entendu les directeurs de toutes les compagnies de chemins de fer, Ces directeurs, convoqués la veille par le ministre des travaux publics, ont été présentés à la commission par M. de Franqueville, inspecteur général des chemins de fer.
Au lieu de choisir elle-même les mesures qui doivent être imposées aux directeurs, elle les a mis en demeure de préciser eux-mêmes les mesures auxquelles ils s'engagent en les considérant comme efficaces. Elle espère échapper ainsi aux récriminations par lesquelles ils accueillent toute mesure qui ne vient pas de leur initiative. La vérité est que les directeurs ont accepté avec empressement cette nouvelle méthode. Ils ont promis de revenir à la prochaine séance avec un plan de réforme et un système complet de mesures. Ils s'engagent à satisfaire ainsi aux exigences du commerce.
Voici le texte des résolutions qui ont été adoptées par la commission d'enquête en France :
1° Le délai accordé aux compagnies de chemins de fer pour rentrer dans les conditions normales de l'exploitation est prorogé jusqu'au 1er mars 1872.
2° En attendant l'expiration de ce délai, le règlement de 1866, qui fixe les délais pour l'application des tarifs spéciaux, sera modifié de la manière suivante : les compagnies auxquelles un laps de temps de vingt-quatre heures était accordé pour 125 kilomètres de transport pourront user d'un délai double pour le même parcours.
2° En ce qui concerne le stationnement dans les gares et le camionnage, chaque négociant sera tenu de faire enlever ses marchandises dans les vingt-quatre heures qui suivront leur arrivée en gare.
« A défaut de remplir ces conditions, les compagnies feront transporter les marchandises par camionnage, aux frais des négociants, chez eux ou dans des magasins généraux.
« 4° Enfin, les droits de magasinage seront notablement accrus. »
M. de Clercq a été chargé de faire un rapport à la Chambre pour expliquer les motifs qui ont conduit la commission à adopter ces résolutions. On sait que la commission est souveraine et que toutes ses décisions sont exécutoires sans avoir été soumises préalablement à l'assemblée. Aussi, les résolutions précédentes ont-elles été communiquées au ministre des travaux publics, pour qu'il les mît en vigueur immédiatement.
Voilà ce qui s'appelle marcher vite !
En Allemagne, on s'est ému, comme en France, de la situation, et comme le disait au début de la séance l'honorable M. Descamps dans son excellent rapport sur la question d'enquête, l'Allemagne, elle aussi, a ouvert une enquête ; et, comme je l'ai déjà fait observer tantôt à l'honorable rapporteur, l'enquête faite en Allemagne n'est pas une enquête parlementaire.
D'après les renseignements que j'ai puisés à une excellente source, la commission se composait de quinze membres qui avaient été choisis ainsi qu'il suit :
Un délégué des chemins de fer de l'Etat prussien ;
Un délégué des chemins de fer wurtembergeois ;
Trois des compagnies, nommés par le Verein ;
Cinq de l'agriculture, nommés par le bureau du Congrès agricole ;
Cinq du commerce et de l'industrie, nommés pair le bureau du Handelstag.
L'institution de la commission d'enquête a été demandée au prince de Bismarck, chancelier de l'empire, dans une séance du Reichstag, sur la proposition d'un député hessois, M. Van Rabenaw, fortement appuyé par deux autres députés saxons.
Le congrès, tenu le 14 novembre à Düsseldorf et dont j'ai parlé tantôt, avait, comme l'avaient fait les délégués du commerce et de l'industrie en Belgique, adressé une requête au gouvernement pour obtenir une enquête.
Mais autre pays, autres mœurs. En Allemagne, dans ce pays qu'on prétend être soumis à un régime plus ou moins despotique, les réclamations du commerce et de l'industrie ont été accueillies avec faveur et sans retards, tandis qu'en Belgique, cette terre classique de la liberté, il faut des mois pour savoir si l'on fera, oui ou non, droit aux pétitions des chambres de commerce et des comités industriels.
En attendant qu'on se prononce sur cette question et dans le but également d'apporter des éléments à la discussion, je me permettrai, comme mon honorable ami, M. Sainctelette, d'examiner quelles sont, à mon avis, les causes de la perturbation qui s'est introduite dans notre administration des chemins de fer et d'indiquer aussi quels seraient, selon moi, les remèdes qu'il conviendrait d'y apporter.
Et d'abord, quoi qu'on en dise, le matériel de l'Etat est insuffisant même avec les 1,400 waggons que vous allez voter et qui seront en circulation dans six mois.
(page 261) Il est une chose qu'on oublie, c'est que les waggons ne sont pas immortels. Un waggon, au bout de quinze ans, put être considéré comme ayant achevé son existence ; il faut le remplacer, et en évaluant à 5 p. c. le nombre de waggons à mettre chaque année au rebut, - c'est le chiffre fourni par l'administration des chemins de fer elle-même, - nous arrivons à cette conclusion que, chaque année, il faut ajouter 1,000 waggons au matériel actuellement existant, qui se chiffre par 20,234 véhicules.
Il faut également tenir compte des nouvelles lignes en exploitation. Mon honorable voisin, M. Boulenger, me disait tantôt que la Société d'exploitation mettrait prochainement 70 kilomètres à la disposition de l'Etat.
Vers la même époque le chemin de fer du plateau de Herve sera livré à la circulation et celui de Herbesthal à Bleyberg ne tardera pas à être prolongé vers Aix-la-Chapelle. Pour toutes ces lignes il faut de nouveaux waggons, car ces lignes doivent desservir des localités industrielles ; pour parvenir sur le plateau de Herve, il y a des rampes de 26 millimètres à gravir, qui ne pourront être franchies que par de très puissantes locomotives.
On me répondra peut-être que les prévisions budgétaires sont là et qu'elles sont suffisantes pour faire face aux besoins ordinaires de l'exploitation.
Eh bien, messieurs, je le déclare : non, elles ne sont pas suffisantes, et je vous le prouverai chiffres en mains.
En effet, messieurs, au 1er janvier 1871, l'Etat devait posséder 12,252 waggons et la Société générale d'exploitation 6,582. Cette année elle devait, en outre, mettre en circulation 1,400 waggons. L'Etat, d'une part, avait donc 12,000 waggons environ à lui appartenant, et la Société générale d'exploitation, d'autre part, 8,000 environ, c'est-à-dire que le matériel de l'Etat était à celui de la Société d'exploitation dans la proportion de 2 à 3.
Pour que le. service de réparation, de renouvellement, d'entretien de matériel se fasse régulièrement, il faut, puisque l'Etat a repris, depuis le 1er janvier, l'exploitation des voies ferrées appartenant à la Société générale d'exploitation, il faut, dis-je, que les prévisions budgétaires soient, quant aux réparations, quant au renouvellement et quant à l'entretien, dans la proportion de 2 à 3.
Or, nous n'avons qu'à examiner le budget de 1872 pour voir qu'il est tout à fait insuffisant et qu'il ne peut parer aux exigences de la situation. Il n'est pas possible de se faire illusion sur ce point. En effet :
A l'article 58 (salaire des agents payés à la journée et par mois), littera C, nous voyons figurer pour entretien, visite et réparations ordinaires des locomotives, tenders, voitures, waggons dans les stations :
Au budget de 1872, fr. 1,125,000, alors qu'au budget de 1871, pour l'exploitation des 800 kilomètres de l'Etat, on inscrivait de ce chef, 822,000 fr.
Différence, 303,000 francs. Le deux tiers feraient 348,000 francs.
Au même, article, littera B :
Grandes réparations du matériel à l'arsenal :
Prévisions du budget de 1872, 1,168,400 francs ; de celui de 1871, 850,000 fr.
Différence, 318,400 fr. Les deux tiers feraient 366,000 francs.
Au même article, littera C :
Renouvellement et amélioration du matériel :
Prévisions du budget de 1872, 349,000 francs ; de celui d 1871, 470,000 francs.
Différence, 79,000 francs. Les deux tiers feraient 282,000 francs.
A l'article 61, qui est plus important et qui est intitulé : « Entretien, réparation et renouvellement du matériel (matières, pièces de rechange, ustensiles, autres engins, éclairage des ateliers et fournitures diverses) », nous trouvons au littera A :
Entretien, visite et réparation des locomotives, tenders, voitures, waggons, etc., etc. :
Pour les prévisions du budget de 1872.... fr. 2,973,500 francs. Pour celles du budget de 1871, 2,540,800 francs.
Différence, 632,700 alors qu'elle devrait s'élever, si on admet la proportion de 2 à 3, à 1,560,000 francs.
Au littera B, « renouvellement et entretien du matériel :
Prévisions du budget de 1872, 2,997,900 francs et prévisions du budget de 1871, 2,298,000 francs.
Différence, 699,000 francs, alors qu'elle devrait être environ, comme 2 est à 3, soit 1,532,000 francs.
Ces chiffres démontrent à l'évidence que si l'on reste dans les limites des crédits du budget de 1872, c'est-à-dire de l'exercice dans lequel nous entrons, on ne pourra, cette année, ni entretenir, ni améliorer, ni renouveler le matériel de façon à satisfaire aux exigences du commerce et de l'industrie.
D'où la conclusion naturelle qu'il faut majorer, dès aujourd'hui et dans de très larges proportions, le crédit pour les waggons et pour les locomotives ; on peut le doubler sans crainte et porter de 1,400 à 3,000 le nombre de waggons à commander de suite.
Messieurs, il importe beaucoup, en pareille matière, de voir un peu ce qui se passe ailleurs, et de ne point dédaigner les renseignements et les conseils que nous pouvons recueillir chez d'autres exploitants de chemins de fer. Permettez-moi, messieurs, de vous faire connaître sur ce point l'avis de M. Jacqmin, ingénieur des ponts et chaussées et directeur de l'exploitation du chemin de fer de l'Est. Voici ce qu'il dit relativement à la quantité de waggons qui est nécessaire pour une compagnie.
« La quantité de waggons possédée par chaque compagnie doit répondre, non pas à la moyenne du trafic que cette compagnie est appelée à desservir dans l'année, mais bien au maximum des oscillations que subit ce trafic. Quand le commerce n'avait à sa disposition que des voies de communication imparfaites, chaque manufacturier ou chaque négociant faisait à l'avance ses approvisionnements.de matières premières et de combustible, et les entrepreneurs de transports, libres d'ailleurs de débattre leurs conditions et leurs prix, s'arrangeaient pour régulariser autant que possible les services qu'ils mettaient à la disposition du public. Rien de semblable n'existe pour les chemins de fer : c'est en quelque sorte à la dernière heure que chaque industriel fait venir ses marchandises, et telle usine, qui autrefois avait dans sa cour de la houille pour six mois, considère aujourd'hui comme une perte de s'approvisionner pour plus de huit jours. Les chemins de fer sont donc exposés à subir de véritables chômages pendant certains mois de l'année, sauf à éprouver en d'autres moments les plus grandes difficultés pour répondre à toutes les demandes de matériel qui leur sont adressées. Le trafic des houilles donne lieu à de très fortes inégalités : tout l'approvisionnement nécessaire au chauffage, à la fabrication du gaz pour la consommation des soirées d'hiver, à la fabrication du sucre et de l'alcool de betterave, est demandé en quelque sorte pendant les mois d'octobre et de novembre ; et les compagnies qui, en juillet, août et septembre, ont 4,000 ou 5,000 waggons inoccupés et qui se détériorent au soleil, sont au commencement de chaque hiver accusées, d'impuissance et de mauvais vouloir vis-à-vis de l'industrie. »
Et cette question, messieurs, du matériel préoccupe le monde, non seulement en France, mais encore en Allemagne.
Il y est fortement question de l'acquisition d'un parc de matériel appartenant à toute l'Allemagne.
Ce matériel viendrait au secours des chemins de fer en cas de pénurie. Chaque chemin de fer y contribuerait la première année par une contribution de 10 p. c. de la valeur de son matériel et de 5 p. c. les années suivantes.
Il recevrait une part correspondante dans le loyer du matériel.
Ce matériel servirait en attendant la livraison des commandes faites par les chemins de fer, attente qui dure souvent un an entier.
Un bureau central serait institué pour la répartition de ce matériel de secours. 1Ilserait tenu constamment au courant, par télégraphe, de la situation où se trouvent ces waggons.
La compagnie sur laquelle la pénurie se ferait sentir bonifierait le loyer à celle qui ferait le transport des waggons vides.
Le bureau réglerait également ce qui concerne les réparations de ce matériel qui se font à l'atelier le plus voisin.
Le loyer serait de 2 fr. 50 c. par jour pour un waggon à quatre roues.
Voilà, messieurs, ce que l'Allemagne est sur le point d'adopter.
Maintenant, messieurs, il est une cause qui influe considérablement sur la marche du service : c'est l'insuffisance des ateliers de réparation.
Il est de toute évidence pour tous ceux qui s'occupent de l'administration des chemins de fer, que les ateliers de réparations doivent être en proportion de la quantité des véhicules qui circulent et de la longueur des voies à parcourir.
(page 262) Or, qu'a-t-on fait ? Lorsque la société des Bassins houillers a remis son exploitation à l'Etat, le gouvernement n'a pas voulu reprendre ses ateliers de réparation.
L'honorable M. Wasseige a essayé de dégager sa responsabilité, et lorsqu'il a reçu les délégués du commerce et de l'industrie, il a été jusqu'à prétendre que le matériel délivré par la Société d'exploitation n'était pas en bon état quand il a été livré. Mais il a reçu, à ce sujet, du président de la Société d'exploitation une lettre assez roide qui répand une grande clarté sur cette question des ateliers de réparations.
Comme cette lettre n'a pas eu une grande publicité, je me permettrai d'en donner lecture à la Chambre. Elle est excessivement intéressante et, jusqu'à présent, il n'y a pas été répondu :
« Bruxelles, le 15 novembre 1871.
« A M. le ministre des travaux publics, à Bruxelles.
« M. le ministre,
« La plupart des journaux de Bruxelles rendent compte du discours que vous avez adressé, le 12 de ce mois, aux délégués des chambres de commerce.
« Nous y lisons avec regret le paragraphe suivant :
« A l'arsenal de Malines, il existe encore actuellement une quantité de waggons en réparation. On en a cependant exagéré le chiffre ; il n'y en a eu que 1,400 seulement, provenant de la reprise, par le ministère précédent, des lignes de la Société générale d'exploitation ; ce matériel était dans un état de délabrement tel, qu'il y a eu en réparation à Malines deux waggons de la Société d'exploitation contre un de l'Etat. »
« Nous venons, M. le ministre, protester contre ces allégations qui doivent provenir de renseignements de la plus complète inexactitude ; car, s'ils pouvaient être exacts, nous serions forcés d'accuser, à notre tour, votre département d'avoir négligé tout ce qui pouvait prévenir cette situation, et cela, malgré nos avertissements officieux et officiels.
« En effet :
« Dès le 15 novembre 1870, nous vous écrivions pour mettre à votre disposition, à titre temporaire, notre atelier de grandes réparations, pour voitures et waggons, à Nivelles. »
C'est donc à tort que M. Wasseige accusait le cabinet libéral de ne pas avoir repris l'atelier de réparations de Nivelles.
M. Wasseige. - Je constatais un fait ; je n'accusais pas.
M. d'Andrimont. - A la façon dont vous vous êtes exprimé, on peut se méprendre sur vos intentions.
Cette lettre était prophétique. Nous ne pouvons nous dispenser d'en reproduire ici le texte :
« M. le ministre,
« Nous croyons devoir appeler votre attention sur les difficultés qui se présenteront, au 1er janvier, pour l'entretien du matériel que notre compagnie doit céder à l'Etat.
« En effet, l'entretien des 8,000 véhicules que nous devons vous céder se fait actuellement dans les conditions suivantes :
« Toutes les petites réparations et les levages de waggons se font à nos ateliers d'Audenarde, Quaregnon, Formation, Erquelinnes, Monceau et Fleurus.
« Toutes nos grandes réparations de voitures et waggons se font à Nivelles.
« Nos petits ateliers réparent ensemble, chaque jour, une moyenne, de 50 à 60 waggons et l'atelier de Nivelles fait, chaque jour, 15 à 20 grandes réparations, outre les constructions neuves.
« Au 1er 'janvier, il sera nécessaire de maintenir tous nos petits ateliers de réparation, sauf celui de Monceau qui doit disparaître, cet atelier étant établi dans des locaux que la société de Monceau-Fontaine nous prête.
« En outre, il devra être pris des mesures pour remplacer l'atelier de Nivelles, qui reste notre propriété, car nous croyons qu'on ne peut espérer que l'arsenal de Malines puisse être suffisant pour faire toutes à les grandes réparations, alors que le matériel de l'Etat sera presque doublé.
« Dans cette situation, nous venons vous offrir, M. le ministre, de nous charger temporairement, d'une partie de réparations de waggons. »
Vous avez contredit le fait qui avait été affirmé par M. Sainctelette.
M. Wasseige. - Ce n'est pas cela que j'ai contredit, vous confondez complètement. Dans le. fait que j'ai contredit il était question de l'adjudication de waggons neufs.
M. d'Andrimont. « Nous serions disposés à les faire à des conditions équitables. Les fournitures se feraient au prix de facture, la main-d'œuvre serait payée au prix de revient, les frais généraux seraient «portés à 60 p. c. de la main-d'œuvre, et nous nous contenterions d'un « bénéfice de dix (10) pour cent.
« Nous nous prêterions volontiers à toute autre combinaison qui rentrerait dans les convenances de votre administration.
« Veuillez agréer, etc.
« L'administrateur délégué,
« (Signé) F. Gendebien. »
« Votre département nous répondit, le 29 du même mois, dans les termes suivants :
« M. l'administrateur,
« En réponse à votre, lettre du 15 novembre courant, n°1985, j'ai l'honneur de vous informer que l'administration prendra toutes les mesures nécessaires pour assurer, à partir du 1er janvier prochain, l'entretien et la réparation du matériel que votre compagnie doit céder à l'Etat.
« Veuillez agréer, etc.
« Le ministre des travaux publics,
« (Signé) A. Wasseige. »
« Ainsi, d'après cette dépêche, les mesures devraient être prises pour assurer, à partir du 1er janvier 1871, l'entretien et la réparation de notre matériel cédé à l'Etat.
« L'expertise du matériel commence dès le 1er décembre 1870 et est poussée avec une activité telle, que, dès le mois de janvier, l'Etat paye pour vingt millions de ce matériel, non seulement expertisé, mais recensé.
« Votre département était donc parfaitement édifié sur la situation de ce matériel et, s'il s'était trouvé dans l'état de délabrement que vous dites, M. le ministre, comment expliquer que, malgré les mesures que votre département annonçait devoir être prises dès le 29 novembre 1870, vous soyez amené, le 15 novembre courant (une année après), à dire publiquement que les 1,400 waggons en réparation à Malines proviennent de la reprise de nos lignes par l'Etat ?
« Ce n'est pas tout. Malgré nos avertissements, malgré le prétendu état de délabrement de notre matériel, quel mauvais génie a donc poussé votre administration à supprimer, dès les premières semaines de la reprise de nos lignes, nos petits ateliers de réparation courante à Audenarde, Anseghem, Saint-Ghislain, Erquelinnes, Monceau, Fleurus ; à ne remplacer ni ceux-ci, ni le grand atelier de Nivelles ; à négliger de commander les pièces de rechange, de notre modèle, telles que boîtes à graisse, buttoirs, etc., de telle sorte que nos waggons, en même temps que ceux de votre administration, sont venus encombrer les anciens ateliers de l'Etat devenus insuffisants ? Ceux-ci, à défaut des plus menus objets de rechange pour nos waggons, les ont envoyés à Malines où ils sont restés des semaines et des mois, attendant qu'on les remaniât pour pouvoir leur appliquer les pièces de rechange de l'Etat. »
Car, messieurs, les waggons de la Société d'exploitation générale ne ressemblent pas à ceux du chemin de fer de l'Etat. Pour ceux de l'Etat, on peut trouver des pièces de rechange à l'arsenal de Malines ; pour ceux de la Société d'exploitation il n'existe pas de pièces de rechange.
« Et, cependant, en quelques jours, nos ateliers locaux les eussent remis en état de service, s'ils avaient été maintenus et si on les avait pourvus des pièces de rechange nécessaires.
« En voulez-vous la preuve, M. le ministre ?
« Au 1er novembre 1870, dans le moment même où nous nous efforcions de mettre notre matériel en état de paraître à l'expertise, c'est-à-dire dans les conditions d'extrême activité de nos ateliers, nous n'avions, en grandes et petites réparations, que le nombre suivant de voilures et waggons : [suit le détail par ateliers, chiffre total de voitures et de waggons en atelier : 262].
« Notre matériel se composait, à cette époque, de 6,810 voitures et waggons. Nous n'en avions donc en réparation que. 3.80 p. c. Il y a loin de ce chiffre à celui de 2,000, soit 10 p. c., que l'Etat avait en réparation, il y a un mois, à Malines, à Braine et dans ses autres ateliers. Dans ce nombre, il y avait 58 p. c. de waggons cédés à l'Etat par notre compagnie et nous venons de donner les motifs de cette disproportion.
« Enfin, M. le ministre, nous demandons s'il est juste et vrai de représenter notre matériel comme étant dans un état de délabrement absolu, alors qu'il est de notoriété publique et que les ingénieurs de l'Etat savent mieux (page 263) que personne que la proportion de matériel neuf, ou ayant moins de deux ans et demi de service, était énorme chez nous et bien supérieure à celle du matériel de l'Etat lui-même,
« Votre département sait, en effet, de la façon la plus précise, que cette proportion dépassait 16 p. c.
« Nous ne terminerons pas, M. le ministre, sans rencontrer une insinuation que vos paroles pourraient provoquer, à savoir, que l'Etat nous aurait payé comme bon un matériel délabré.
« Nous repousserions avec indignation une telle insinuation si elle se produisait, d'abord parce qu'elle porterait atteinte à l'honneur des fonctionnaires de votre département et de notre Compagnie qui ont concouru à l'expertise ; ensuite, parce qu'elle serait contraire aux faits les plus avérés, notamment, à ce fait que la valeur du matériel payé par l'Etat a été passée deux fois au crible d'expertises : la première fois en 1867, à l'intervention de M. Gobert, l'un des ingénieurs les plus distingués des chemins de fer de l'Etat ; la deuxième fois, en 1870-1871, par une commission mixte composée des ingénieurs les plus compétents et les plus honorables.
« Nous vous prions d'agréer, M. le ministre, l'hommage de notre haute considération.
« Le président du conseil d'administration,
« Gendebien. »
Je crois, messieurs, que. cette lettre n'a pas besoin de commentaires : j'attendrai que l'honorable M. Wasseige veuille bien y répondre.
A mon avis, messieurs, il ne faut pas un atelier unique pour les réparations. L'arsenal de Malines devrait recevoir les waggons et les locomotives qui ont besoin de ce qu'on appelle de fortes réparations, une espèce de remise à neuf. Les villes de Liège, de Bruxelles, de Gand, de Mons, de Verviers, de Charleroi devraient avoir des ateliers pour ce que j'appellerai les moyennes réparations, et je voudrais disséminer tout le long du réseau, dans différentes stations, ce que j'indiquerai sous le nom d'ateliers pour les petites réparations.
Qu'arrive-t-il en effet aujourd'hui ? Manque-t-il un écrou, un clou, un boulon, une planche à un waggon, immédiatement on inscrit dessus : A réparer, et il s'en va directement à l'hôpital de Malines.
Je tiens à signaler une autre cause d'entraves dans la marche du service, c'est le nombre insuffisant d'ouvriers employés aux manœuvres des stations. Le personnel en hiver est littéralement sur les dents.
On répond à cela que les ouvriers sont rares et que les premiers venus ne sont pas convenables pour des manœuvres souvent délicates.
J'en conviens ; mais s'il ne s'en présente pas, c'est qu'ils ne sont pas suffisamment payés et qu'il y a des règles pour le salaire dont l'administration ne sait pas se départir selon les lieux et les circonstances.
Un manœuvre dans un centre industriel ou dans une ville doit être payé plus cher qu'un ouvrier dans une gare de campagne.. ils sont si maigrement rétribués que j'en connais à Liège qui figurent sur les listes du bureau de bienfaisance.
- Plusieurs membres. - A demain !
- D'autres membres. - Non, non, continuons.
M. d'Andrimont. - J'en ai encore pour une demi-heure environ.
(page 252) - La séance est levée à 5 heures.