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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 16 janvier 1872

Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 239) M. Reynaert fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les secrétaires communaux du canton de Chièvres proposent des mesures pour améliorer la position des secrétaires communaux. »

« Même pétition de secrétaires communaux dans la province de Namur, à Ciney, Quévy-le-Grand, Frameries, Obourg. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Les secrétaires communaux de la province de Liège prient la Chambre de s'occuper des pétitions tendantes à faire améliorer la position des secrétaires communaux. »

M. Lelièvre. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport. Je ne puis assez insister sur la solution de la question que soulève la réclamation des pétitionnaires.

- Cette proposition est adoptée.


« Les sieurs Blondel, Dellafaille de Leeverghem et autres membres de l'Association constitutionnelle et conservatrice d'Anvers prient la Chambre de prendre des mesures pour sauvegarder nos institutions contre de nouvelles tentatives de bouleversement. »

« Même demande des sieurs De Pauw, président, et Broers, secrétaire de l'Association constitutionnelle conservatrice de Malines. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres de l'administration communale de Sichen-Sussen et Bolré prient la Chambre d'accorder au sieur Pousset la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Aix-la-Chapelle. »

M. Beeckman. - Je désire que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Des habitants de Noville-les-Bois prient la Chambre de prendre les dispositions nécessaires pour faire divulguer le remède préventif contre la maladie de la pomme de terre, dont le découverte est due a un vétérinaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Auray, combattant de la révolution, prie la Chambre d'augmenter sa pension ou de lui accorder un secours. »

- Même renvoi.


« Le sieur De Brauwer demande un congé pour son fils Pierre, soldat au 2ème lanciers. »

- Même renvoi.


« Le sieur Vollon demande la publication des Annales parlementaires en langue flamande. »

- Même renvoi.


« Le sieur Bailly prie la Chambre de statuer sur sa demande ayant pour objet la révision du tarif des actes des huissiers. »

- Même renvoi.


« Le sieur Coppin réclame l’intervention de la Chambre pour qu’une mesure de rigueur soit appliquée au procureur du Roi qui a lancé contre lui un mandat d’arrestation en matière de presse. »

- Même renvoi.


« Le sieur Loots prie la Chambre de statuer sur sa demande ayant pour objet de faire exercer des poursuites contre une société d'assurances qui l'a ruiné. »

- Même renvoi.


« Le sieur Bogaerts prie la Chambre de voter des fonds pour le parachèvement du parc à créer à Laeken. »

« Le sieur De Braé, appuyant cette demande, propose une mesure pour réunir la somme nécessaire à l'exécution de ce travail. »

- Même renvoi.


« Des pensionnés civils avant 1863 à 1864 prient la Chambre d'élever le chiffre de leur pension au taux de celle de leurs collègues pensionnés après cette époque. »

- Même renvoi.


« Le sieur Van Ingh, ancien militaire, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir un secours. »

- Même renvoi.


« Par cinq pétitions, les sieurs Brixhe, Lagarre et autres membres de banques populaires fondées en Belgique prient la Chambre de porter en tête de son ordre du jour, soit les articles relatifs aux sociétés coopératives, soit le titre IX du code de commerce. »

- Même renvoi.

« Les membres du conseil communal de Waterloo demandent la prompte exécution des travaux du chemin de fer de Luttre à Bruxelles. »

« Même demande des membres du conseil communal de Braine l'Alleud, d'habitants de Lillois-Witterzée et d'Ophain-Bois-Seigneur-Isaac. »

M. Snoy. - Je prie la Chambre d'ordonner le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Par trois pétitions, des habitants de Bruges demandent que l'enseignement obligatoire, s'il est décrété, embrasse l'instruction religieuse et que l'enseignement soit rendu gratuit pour tous ceux qui ne savent pas en supporter les frais. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.


« La chambre de commerce d'Alost déclare adhérer à la demande d'une enquête parlementaire sur la situation désastreuse faite au commerce et à l'industrie par l'insuffisance des moyens de transport des chemins de fer de l'Etat et propose d'autoriser les industriels à faire circuler sur les voies ferrées des waggons qu'ils construiraient à leurs frais. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du crédit de 12,080,000 francs au département des travaux publics.


« Des habitants d'une commune non dénommée proposent à la Chambre, si elle décrète l'enseignement obligatoire, de donner la préférence au régime obligatoire qui est admis en Suisse. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.


(page 240) « Le sieur Sullau prie la Chambre de mettre à la disposition du ministre des finances un crédit pour être distribué a litre d'indemnité aux employés inférieurs en attendant l'augmentation de leurs traitements, »

M. Lelièvre. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec invitation de déposer un rapport dans un bref délai. La demande des pétitionnaires a un caractère d'urgence,

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des employés de l'administration provinciale de la Flandre orientale prient la Chambre d'augmenter le crédit demandé pour leurs traitements. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Les chefs de musique et musiciens aux divers régiments de cavalerie prient la Chambre d'améliorer leur position. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Vanden Bembden, président, et Van Boghout, secrétaire du Nederdeutsche Bond, d'Anvers, demandent qu'à l'académie de cette ville toutes les leçons soient données en langue flamande. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par deux pétitions, des industriels et négociants à Roux prient la Chambre d'ordonner une enquête publique sur toutes les questions qui intéressent l'exploitation des chemins de fer de Belgique et demandent que la commission d'enquête soit composée de membres de la Chambre et de représentants du commerce et de l'industrie. »

« Même demande des chambres de commerce d'Audenarde, Mons, Liège, Ypres, d'industriels et négociants à Gilly, Gosselies, de verriers, de directeurs de charbonnages et d'usines à Marchienne et, dans une commune non dénommée, des sieurs Braconier, de Macar, président, J. Delmarmol et Habet, secrétaires de l'Union des charbonnages, mines et usines métallurgiques de la province de Liège. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie, avec demande d'un prompt rapport et dépôt sur le bureau pendant la discussion du crédit de 12,080,000 francs au département des travaux publics.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, trois demandes de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Par dépêches en date des 28 et 29 décembre 1871, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté les projets de lois suivants :

« 1° augmentation du nombre et du taux des bourses de voyage, instituées par les articles 42 et 43 de la loi du 1er mai 1857 sur les jurys d'examen ;

« 2° budget du ministère la guerre pour l'exercice 1872. »


« Il est fait hommage à la Chambre :

« 1° Par M. le ministre des travaux publics : de 127 exemplaires du 3ème cahier, tome XXIX, des Annales des travaux publics ;

« 2° Par M. le ministre de l'intérieur : de 126 exemplaires de l’Annuaire de l'Observatoire royal de Bruxelles, 1872, 39ème année ;

« 3° Par la chambre de commerce et des fabriques de Charleroi : de 124 exemplaires du compte rendu de la troisième réunion des délégués des chambres de commerce et des associations industrielles et commerciales du pays, réunis à Bruxelles pour examiner les questions relatives à l'organisation des chemins de fer. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.


« M. de Naeyer demande un congé de deux jours pour affaires urgentes. »

- Accordé.


« M. Boucquéau demande une prolongation de congé. »

- Accordé.

Vérification des pouvoirs

« M. le ministre de l'intérieur transmet à la Chambre les procès-verbaux des opérations qui ont eu lieu, à Louvain et à Namur, pour l'élection de deux-représentants. »

M. le président. - Ces procès-verbaux seront envoyés à une commission composée de sept membres à tirer au sort. Si la Chambre n'y voit pas d'inconvénient, la même commission pourrait examiner les pièces relatives aux deux élections et se réunir immédiatement pendant que nous procéderons au tirage des sections. (Adhésion.)

- Il est procédé au tirage au sort des sept membres appelés à former une commission de vérification des pouvoirs.

Le sort désigne MM. Jamar, Rogier, Gerrits, Drion, Hagemans, Demeur et Mulle de Terschueren.

M. le président. - Je prie ces messieurs de vouloir bien se retirer un instant afin d'examiner les procès-verbaux des opérations électorales.


Il est procédé au tirage des sections pour le mois de janvier.

Projet de loi portant règlement définitif du budget de 1868

Dépôt

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de présenter à la Chambre quatre projets de lois. Le premier concerne le règlement définitif du budget de 1868.

Projet de loi restituant certaines droits d’enregistrement à la ville de Bruxelles

Dépôt

M. Malou, ministre des finances. - Le deuxième a pour objet l'autorisation de restituer à la ville de Bruxelles les droits d'enregistrement perçus sur l'acte du 14 décembre 1871, par lequel la ville a racheté certains terrains du boulevard de la Senne.

Projets de loi accordant des crédits supplémentaires aux budgets des ministères de la guerre et de l’intérieur

Dépôt

M. Malou, ministre des finances. - Le troisième demande l'ouverture d'un crédit de 730,000 francs au département de la guerre pour l'amélioration du pain de munition.

Le quatrième alloue au département de l'intérieur, pour 1871, un crédit supplémentaire de 401,667 fr. 45 cet principalement destiné aux dépenses relatives à l'enseignement primaire.

- Il est donné acte au ministre du dépôt de ces projets de loi qui seront imprimés et distribués et renvoyés à l'examen des sections.


MM. le président. - Nous suspendons la séance pendant quelques instants pour attendre le rapport de la commission chargée de procéder à la vérification des procès-verbaux des opérations électorales.

- La séance est suspendue à 3 heures et reprise à 3 h. 5 m.

Vérification des pouvoirs

Arrondissements de Louvain et de Namur

M. Jamar fait rapport sur les élections de M. Delcour par le collège électoral de l'arrondissement de Louvain et de M. Moncheur par le collège électoral de l'arrondissement de Namur et conclut à l'admission des nouveaux élus comme membres de la Chambre des représentants.

- Ces conclusions sont adoptées.

MM. Delcour et Moncheur prêtent serment et sont proclamés membres de la Chambre.

Motion d’ordre relative aux faits ayant conduit à la fermeture de l’établissement d’aliénés d’Evere

M. Dansaert. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de prévenir hier l'honorable ministre de la justice que je comptais l'interpeller aujourd'hui sur des faits qui se sont passés aux portes de Bruxelles, à l'établissement d'aliénés d'Evere.

A la suite d'un arrêté royal du 25 décembre 1871, qui ordonne la fermeture immédiate de cet établissement, son directeur fut déclaré d'office en état de faillite, et à cette occasion j'ai appris certains faits que je crois de mon devoir de faire connaître à la Chambre.

Il y a quelques mois, messieurs, l'opinion publique s'émut d'un accident dont la maison de santé d'Evere a été le théâtre et un malheureux aliéné la victime. Un pensionnaire, nommé Miren, avait dû subir l'amputation des pieds dans les circonstances suivantes : il avait été enfermé dans une cellule avec des entraves aux chevilles. Ses pieds subirent l'action du froid, la gangrène les attaqua peu après, et à la suite des négligences et de la sévérité cruelle du traitement infligé, l'on fut forcé de faire subir à ce malheureux l'amputation dont je viens de parler.

Une instruction judiciaire eut lieu et elle aboutit à une double condamnation du chef de blessures par imprudence.

A peine l'émotion causée par cet événement fut-elle calmée, que les journaux nous apprirent que des faits beaucoup plus graves encore, un double meurtre commis sur la personne de deux aliénés par un troisième, avaient eu lieu dans la même maison.

L'instruction s'ouvrit sur des indices que M. le procureur du roi de Bruxelles recueillit dans une des visites qu'il fit à Evere, et sans avoir abouti jusqu'à présent au point de vue judiciaire et pénal, elle a reçu par l'arrêté royal du 25 décembre dernier une sanction administrative par la fermeture immédiate de l'établissement.

Je suis heureux de reconnaître que dans cette circonstance M. le ministre de la justice n'a pas hésité à prendre une mesure prompte et énergique, qui sera approuvée par tous les hommes de cœur.

En ma double qualité de président du tribunal de commerce et de membre de cette Chambre, j'ai cru devoir me rendre compte par moi-même des faits qui m'étaient révélés et auxquels je ne pouvais croire tant leur existence me paraissait impossible dans un pays civilisé. J'eus bientôt acquis la triste conviction qu'on ne m'avait rien exagéré. Non seulement ce qui m'avait été dit était parfaitement vrai, mais j'appris de plus que le médecin-directeur, nommé récemment à titre provisoire par arrêté ministériel, et qui soignait les aliénés déjà depuis deux mois, avait découvert, il y a peu de jours seulement, parmi les malheureux pensionnaires de la maison, une nouvelle victime des odieux traitements qu'on leur infligeait.

J'ai vu cet infortuné : entré dans cet enfer le 31 janvier 1870, dès le mois de février suivant, par suite des mêmes causes que celles qui ont donné lieu à l'amputation des pieds de l'infortuné Miren, ce second (page 541) pensionnaire fut à son tour atteint de gangrène, aux extrémités inférieures, et en avril, comme le dit le registre des observations médicales, ses pieds tombaient successivement !

N'est-il pas pénible de penser que de tels faits, presque impossibles chez des particuliers, puissent se renouveler dans un établissement soumis à la surveillance de l'Etat ?

Ce n'est pas tout, messieurs.

Ces malheureux aliénés étaient maltraités, couverts de haillons et de vermine, la plupart couchés sur des paillasses infectes ; ils recevaient une nourriture insuffisante, en rapport peut-être avec le prix dérisoire que la plupart des communes payent pour l'entretien de leurs aliénés indigents.

Voici, messieurs, quelques détails concernant ce dernier point.

Au moment de la fermeture de la maison, 132 indigents s'y trouvaient colloqées aux frais de 45 communes. Aux termes de l'article 55 du règlement organique du 1er mai 1821, un arrêté royal fixe annuellement la journée d'entretien des aliénés indigents ; actuellement ce prix est fixé à 1 fr. 40 c.

.Peu de communes ont payé ce prix à Evere ; la plupart font des conventions particulières et ne payent que 70 à 90 centimes, la moitié environ du tarif arrêté par le gouvernement.

Je vous laisse apprécier, messieurs, si les administrations de bienfaisance et les communes ont bien fait de marchander ainsi l'entretien de la catégorie la plus à plaindre de leurs administrés.

Je pourrais vous signaler d'autres abus encore, très nombreux et tout aussi criants, qui depuis longtemps se commettaient habituellement à Evere, presque sous les yeux de l'autorité. Mais je m'arrête, afin de ne pas abuser des moments de la Chambre, et j'aborde la question de savoir à qui incombe la responsabilité de toutes ces indignités.

Evidemment personne ne doutera que les magistrats et les fonctionnaires, à qui incombe la mission d'inspecter les établissements d'aliénés, n'aient consciencieusement rempli leur devoir. Ne faut-il pas, dès lors, faire remonter à la loi seule la responsabilité des tristes événements dont la maison d'Evere a été le théâtre ?

Aux termes de la loi du 18 juin 1850 (articles 21, 22, 23 et 24), les établissements d'aliénés sont sous la surveillance du gouvernement.

Cette surveillance s'exerce : d'abord par les comités permanents, dont la composition et la mission sont déterminées par le chapitre IX du règlement organique du 1er mai 1851.

Les visites d'un membre délégué de ces comités doivent avoir lieu au moins tous les deux mois (article 67 dudit règlement), soit par an au moins.6 visites.

Ces comités doivent procéder en corps au moins une fois l'an à une visite semblable ;

La surveillance s'exerce ensuite par les personnes ci-après :

1° Tous les six mois au moins, par le bourgmestre, soit par an 2 visites.

2° Tous les trois mois au moins, par le procureur du roi, soit par an 4 visites.

3° Tous les ans par le gouverneur, soit.

Soit en tout par an au moins 14 visites.

Enfin, le gouvernement peut donner encore à des commissaires spéciaux la même mission.

L'article 22 de la loi du 18 juin 1850 prescrit à tous ces inspecteurs différents d'apposer leur visa sur un des registres obligatoires et d'y consigner leurs observations.

Ce qui prouve, messieurs, que toutes ces inspections, malgré les bonnes intentions des fonctionnaires qui en sont chargés, ne remplissent pas le but que le législateur s'est proposé, c'est que, notamment pour l'établissement d'Evere, le registre dont il s'agit ne contient que le visa et peu pour ne pas dire point d'observations. Il n'en saurait être autrement.

En effet, dans des visites de quelques heures faites à des intervalles assez éloignés, il est fort difficile, surtout quand on n'est pas spécialiste et quand le directeur de la maison prend ses précautions, de découvrir les abus qui peuvent s'y commettre.

La multiplicité des inspecteurs offre encore l'inconvénient qu'il est impossible d'assigner à chacun sa part de responsabilité.

C'est donc le système suivi pour l'exécution de la loi qu'il fout condamner.

A mon point de vue, messieurs, le seul remède à apporter a cette situation déplorable réside dans l'édification par le gouvernement lui-même de maisons d'aliénés pour les indigents.

Comment est-il possible qu'un industriel nourrisse, habille et soigne un malheureux pour 70 centimes par jour, et qu'il réalise un bénéfice à cette opération si elle est honnêtement faite, alors qu'il est obligé d'avoir une installation, comme à Evere, coûtant plus de 200,000 francs, pour recevoir 200 pensionnaires ?

Comment est-il possible que, dans ces conditions, l'entrepreneur d'une maison d'aliénés ait sérieusement à sa disposition, tous les jours comme le veut la loi, un médecin capable et un interne ou un médecin-adjoint, quand il faut prélever leur traitement sur une rémunération insuffisante ?

Par conséquent, l'initiative privée ne peut rien et c'est pour le gouvernement une nécessité de pourvoir par lui-même à l'entretien des aliénés indigents.

Je suis persuadé que M. le ministre de la justice voudra bien tenir compte de mes observations et qu'il fera étudier sérieusement cette question, car il faut absolument, pour l'honneur de notre pays, que des faits aussi révoltants ne puissent plus se reproduire.

J'espère aussi, messieurs, que l'honorable ministre ne me fera pas un grief d'avoir, dans un intérêt de moralité et d'humanité, divulgué dans cette enceinte des faits qui ont quelque affinité avec une instruction judiciaire, et qu'il ne verra pas dans mes paroles la violation d'un secret d'ordre public.

M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Messieurs, il est très loin de ma pensée de reprocher à l'honorable député de Bruxelles la divulgation d'un secret qui occupe en ce moment la justice. Si un reproche pouvait être fait à quelqu'un de ce chef, je l'aurais mérité tout le premier. En effet, je n'ai pas dissimulé, en ordonnant la fermeture de l'établissement d'Evere, la gravité des faits qui motivaient cette mesure extrême. Je pouvais me contenter d'une publication par extrait de l'arrêté royal. J'ai cru qu'il était bon que la publication fût complète. C'était une mesure de répression en même temps qu'un avertissement.

Les faits qui se sont passés à Evere ne pouvaient manquer d'appeler l'attention du public et celle du gouvernement sur le régime des aliénés tel qu'il est organisé en Belgique par la loi du 18 juin 1850.

Ces faits sont de la plus haute gravité. L'honorable député de Bruxelles n'a rien exagéré dans le récit qu'il vient de vous en faire.

Ne croyez pas cependant que j'aie attendu cette accumulation d'horreurs pour prendre une mesure énergique ; c'est le 11 décembre que le dossier relatif à l'affaire d'Evere m'a été soumis pour la première fois. En ce moment, un seul des faits que l'on vient de vous signaler avait été porté à la connaissance de l'administration : celui dont le malheureux Miren a été la victime. Il n'en a pas fallu davantage pour qu'immédiatement les mesures d'instruction nécessaires pour la fermeture de l'établissement fussent ordonnées. Dès le 25 décembre, l'arrêté royal était signé. L'exécution en était commencée le lendemain même.

Une chose étonne, messieurs ; c'est qu'au milieu du luxe de précautions que le législateur de 1850 a prodiguées, il soit possible que des faits de la nature de ceux dont l'établissement d'Evere a été le théâtre aient pu se perpétrer et demeurer inconnus. Je passe sur la complicité, nécessaire cependant, d'une partie tout au moins du personnel très nombreux d'un établissement d'aliénés qui compte 200 pensionnaires ; je ne m'arrête qu'aux mesures de précaution que la loi elle-même ordonne.

Visite quotidienne de chaque aliéné par le médecin ;

Visite par les membres du comité d'inspection, tous les deux mois au moins ;

Visite par le comité tout entier tous les ans ;

Visite trimestrielle du procureur du roi ;

Visite semestrielle du bourgmestre ;

Visite annuelle du gouverneur, et par-dessus tout cela, visites en nombre indéterminé et à des époques indéterminées de l'inspecteur général.

Cependant, messieurs, tout cela n'a pas suffi ; tout cela n'a pas empêché qu'un double meurtre ait été commis à Evere, et que deux malheureux y aient été affreusement mutilés.

Des mesures nouvelles sont donc nécessaires. Il faut donner des garanties de sécurité aux malheureux aliénés. Il faut rassurer les familles. Mais s'il est aisé de proclamer la nécessité de nouvelles mesures, il est moins aisé d'imaginer celles-ci et de les réaliser.

Je ne sais véritablement ce que l'on pourrait ajouter aux minutieuses précautions accumulées par le législateur de 1850. Tout au plus, oserai-je me permettre de signaler une mesure que je crois efficace et dont la réalisation n'exigera pas sans doute de longs délais.

Aujourd'hui, le médecin des établissements d'aliénés se trouve, jusqu'à un certain point, à la discrétion du directeur. C'est le directeur qui le paye, d'après un certain tarif, il est vrai, tout au moins dans les établissements publics ; mais s'il est des accommodements avec les communes pour la (page 242) journée d'entretien, il n'y a pas grande témérité à supposer qu'il en est aussi avec les médecins.

La nomination du médecin est simplement soumise aujourd'hui à l'approbation de la députation permanente. Ne serait-il pas utile de diviser le prix de la journée d'entretien et de déterminer quelle est la part qui doit en être attribuée au médecin ? Ne pourrait-on exiger ensuite que la nomination du médecin fût non seulement approuvée, mais même faite, si possible, par la députation permanente ?

Nous obtiendrions ainsi, dans chaque établissement, une surveillance permanente et qui ne dépendrait que de l'administration. L'honneur même du médecin, non moins que son intérêt, garantirait à l'autorité l'exactitude et la sévérité de cette surveillance.

J'ai cru d'autre part, messieurs, qu'en présence des faits qui se sont passés à Evere, il convenait de procéder à une inspection plus rigoureuse, plus complète de tous les établissements du pays. Cette inspection sera faite prochainement.

L'honorable membre a soulevé, à la fin de son discours, une question très grave et dont la solution demande l'étude la plus attentive.

C'est la question de savoir s'il ne conviendrait pas de confier à l'Etat, à l'exclusion des particuliers, l'entretien et la direction des établissement s d'aliénés ?

Messieurs, cette question en fait surgir une foule d'autres. Faut-il que l'Etat centralise ce service ? Convient-il de l'organiser par provinces ? N'est-il pas préférable de l'abandonner aux administrations de bienfaisance des grandes villes ?

Dans quelle mesure enfin et de quelle manière l'Etat, les provinces et les communes interviendront-ils dans les frais d'établissement et d'entretien ?

Toutes ces questions ont été soulevées en 1850 dans cette enceinte, et vous savez que la loi de 1850 les a résolues contrairement à l'opinion qu'émet l'honorable membre.

Je ne veux pas cependant me refuser à les soumettre à une étude nouvelle. J'ai été, comme l'honorable préopinant, révolté des faits dont l'établissement d'Evere a été le théâtre ; et, comme lui, je suis convaincu que des mesures nouvelles doivent être prises. Je ferai donc droit, dans la mesure du possible, aux recommandations qu'il a bien voulu me faire.

M. Vleminckx. - Je ferai remarquer à l'honorable M. Dansaert et a M. le ministre de la justice qu'il existe déjà dans le pays un établissement d'aliénés placé exclusivement sous la direction de l'Etat. C'est l'établissement de Froidmont, près de Tournai. Et si mes renseignements sont fidèles, cet établissement marche très bien. Quelle difficulté pourrait-il donc y avoir à assujettir toutes les maisons d'aliénés à la même direction, à la même surveillance ?

Une chose est certaine pour moi, c'est qu'aussi longtemps que ces maisons seront livrées à l'industrie des particuliers, nous aurons des malheurs à déplorer.

- Personne ne demandant plus la parole, l'incident est clos.

Projet de loi ouvrant un crédit spécial de 12,080,000 francs au budget du ministère des travaux publics

Discussion générale

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Messieurs, j'ai l'honneur de proposer un amendement ayant pour objet d'augmenter de 4 millions le crédit demandé par le projet de loi dont vous abordez l'examen. Voici la rédaction que je présente :

« Art. 1er. Il est ouvert au département des travaux publics un crédit spécial de seize millions quatre-vingt mille francs (16,080,000 francs), destiné :

« 1° Dix millions sept cent quatre-vingt mille francs (10,780,000 fr.) à l'extension du matériel de traction et des transports ;

« 2° Un million de francs (1,000,000 fr.) à la construction de nouvelles remises aux locomotives ;

« 3° Un million trois cent mille francs (1,300,000 fr.) à l'outillage des ateliers et des stations et à l'achat d'un matériel perfectionné pour le chargement et le déchargement des marchandises ;

« 4° Trois millions de francs (3,000,000 de francs), pour l'achat de rails et accessoires et travaux d'extension ou de parachèvement des voies du railway.

« Art. 2. Ce crédit sera couvert au moyen des ressources ordinaires ou de rémission de bons du trésor.

« Les bons du trésor pourront être émis à des échéances diverses sans que l'échéance la plus longue dépasse cinq ans. »

M. Rogier. - Vous appelez cela un amendement !

M. Bouvier. - C'est un nouveau projet.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Il n'y a en réalité que quelques différentes de rédaction ; à part cela, c'est le projet primitif augmenté de 4 millions.

Je crois devoir développer en quelques mots les motifs de la proposition du gouvernement.

La Chambre a été saisie par mon prédécesseur d'une demande de crédits s'élevant ensemble à 12,080,000 fa href='/personne/MoncheurF/'>M. Moncheur, ministre des travaux publicsrancs pour extension du matériel de traction et de transport.

Cette demande a été accueillie favorablement par la section centrale ; elle a obtenu les sympathies de la Chambre elle-même, car, avant les vacances il en a été quelque peu question dans cette enceinte. J'avoue que j'ai au moins pris pour un bill d'indemnité anticipé l'assentiment général qui a été alors donné à mes paroles lorsque je disais que je ne perdrais pas de temps et que je me hâterais au contraire, à cause de l'urgente nécessité, de commander le matériel roulant, waggons et locomotives.

C'est, messieurs, ce que j'ai fait.

Aujourd'hui, je viens vous proposer un complément nécessaire du projet qui vous était déjà soumis, à savoir 4 millions destinés à l'amélioration des voies et à l'achat d'un outillage perfectionné pour le chargement et le déchargement des marchandises. En effet, c'est en vain que nous aurions des waggons et des locomotives si nous n'avons pas des voies suffisantes où le matériel puisse se mouvoir ; il faut qu'il y ait équilibre entre le matériel roulant et les voies sur lesquelles il doit manœuvrer. Si nous continuions à faire des waggons et des locomotives sans donner de l'extension à nos voies, nous agirions en sens inverse d'un transport prompt, régulier et facile ; nous augmenterions l'encombrement dans nos gares trop restreintes.

Qu'est-ce qu'un encombrement ? C'est l'immobilisation d'une grande partie du matériel. C'est la non-utilisation, pendant de nombreux jours, des semaines quelquefois, de waggons qui devraient être employés sans cesse. Il faut donc, le reconnaître : l'immobilisation est ce que j'appellerai l'emprisonnement, l'enchevêtrement des waggons dans les gares ; cette immobilisation a été la cause principale de tous nos embarras pendant la crise extraordinaire que nous venons de traverser.

Déjà mon honorable prédécesseur avait fait, au moyen des crédits dont il disposait, tout ce qu'il pouvait faire pour agrandir, pour étendre les voies et améliorer les installations. Mais il reste encore plus et même beaucoup plus à faire, et le crédit que j'ai l'honneur de vous demander n'est certainement pas le dernier pour arriver au point où l'on doit parvenir.

Il faut étendre considérablement les voies de manœuvres. Il faut créer des gares pour la formation des trains de marchandises, à côté ou à proximité des stations où viennent s'accumuler les waggons chargés ou non chargés et qui doivent prendre des directions différentes. Il faut établir, là où cela est nécessaire, des quais séparés et suffisants pour le déchargement des marchandises. Vous le savez : c'est souvent dans nos gares, déjà beaucoup trop restreintes, que les trains de marchandises doivent se former et que doivent se faire tous les chargements et déchargements. De là mille difficultés, mille retards et mille dangers.

La plaie de notre chemin de fer, comme de toutes les voies ferrées fort occupées, fort fréquentées, c'est, soyez-en certains, l'encombrement des voies et des gares. Il est vrai que, pour éviter cet encombrement, on a fait des règlements ; on a ordonné que les déchargements s'opèrent dans un nombre d'heures déterminé ; mais comment peut-on appliquer ces règlements et infliger des amendes alors que l'accès des waggons n'est pas libre, n'est pas même possible ? Les règlements sont donc stériles.

On dira peut-être qu'on pourrait décharger d'office les waggons, aux frais du destinataire qui n'y procède pas assez rapidement.

Mais, messieurs, je ne crois pas, par la raison que je viens d'indiquer, qu'il fût possible de le faire légitimement ; d'un autre côté, à quoi servirait de prescrire une pareille mesure aussi longtemps que nous n'aurons pas les voies de garage et les hangars nécessaires pour déposer les marchandises dont on voudrait ainsi débarrasser les waggons ?

Il faut donc, avant tout, compléter nos installations et arriver à obtenir une utilisation aussi parfaite que possible de notre matériel roulant.

Nous espérons pouvoir arriver à ce résultat au moyen d'un travail d'ensemble et de plans bien médités et bien conçus. Ce n'est qu'à ce prix qu'on pourra satisfaire le commerce et l'industrie et pourvoir aux exigences d'un trafic qui s'accroît de jour en jour dans des proportions énormes.

Je sais bien que cet accroissement est dû, en grande partie, à la reprise subite des affaires, réaction naturelle des événements de guerre des deux dernières années.

Je crois que ce mouvement se ralentira dans une certaine mesure ; mais (page 243) ce qui est incontestable, c'est que l'augmentation du trafic est constante et que nous devons nécessairement nous mettre en mesure de ne pas nous laisser déborder par ses progrès incessants.

Permettez-moi, messieurs, de vous donner une idée de l'augmentation du trafic sur nos chemins de fer.

Pour les grosses marchandises, le tonnage total transporté pendant les neuf premiers mois de 1870 a été de 5,403,000 tonnes (je néglige la fraction), lia été, pendant les neuf premiers mois de 1871 de 7,555,000 tonnes, soit une augmentation de 2,152,000 tonnes.

En supposant que les trois derniers mois de 1871 nous donnent un résultat égal à celui des trois mois précédents, - et il y a tout lieu de croire que le mouvement sera plus considérable, - l'accroissement sera, pour l'année entière, de 3,636,000 tonnes.

Ce chiffre s'applique à tout le mouvement du réseau, y compris les lignes reprises aux Bassins houillers depuis le 1er janvier 1871.

Mais en supposant que ces lignes entrent pour 1,100,000 tonnes dans l'augmentation constatée, il reste encore 2,500,000 à 2,600,000 tonnes pour l'accroissement de tonnage afférent à l'ancien réseau, comparativement au mouvement de 1870.

Voulez-vous savoir, messieurs, quelles ont été, pendant les cinq dernières années antérieures à 1871, les différences en plus ou en moins du tonnage transporté ? Les voici :

En 1866, l'augmentation n'a été que de 634,000 tonnes ; en 1867, il y a eu une diminution de 3,700 tonnes ; en 1868, il y a eu une augmentation de 115,000 tonnes ; en 1869, une augmentation de 456,000 tonnes ; en 1870, une augmentation de 513,000 tonnes, ce qui fait en moyenne, pour les cinq dernières années, une augmentation annuelle de 543,000 tonnes.

Sur l'ancien réseau, il y a eu, pour 1871, une augmentation de 2,600,000 tonnes.

Avec les lignes des Bassins houillers, l'augmentation a été de 3,060,000 tonnes.

L'augmentation du tonnage obtenu en 1871, sur l'ancien réseau seulement, dépasse de 700 p. c. la moyenne des augmentations des cinq années précédentes.

Vous concevez, messieurs, d'après cela, que l'utilisation de notre matériel a été considérable.

Notez que cette utilisation s'est effectuée avec le même personnel et les mêmes moyens qu'auparavant, car on n'a pas pu, d'un moment à l'autre, créer un nouveau personnel et de nouveaux moyens.

Aussi, messieurs, nous plaisons-nous à payer publiquement ici un juste tribut d'éloges aux fonctionnaires de l'administration et même aux modestes agents de tous les services, surtout à ceux de la traction, à qui les circonstances ont imposé un travail extraordinaire. Il leur a fallu à tous un zèle et un dévouement remarquables pour suffire à si rude besogne.

A présent, messieurs, je vais vous donner un relevé des recettes effectuées.

La recette réalisée pendant les neuf premiers mois de 1871 s'élève à 40,870,000 francs. En évaluant le produit des trois derniers mois de 1871 d'après le produit des trois mois correspondants de 1870 augmenté en proportion de la moyenne d'accroissement de recette obtenue pendant les neuf premiers mois de l'année, on trouve, pour recette probable de l'année dernière, 57,100,000 francs.

M. Bouvier. - Les Bassins houillers compris.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Or, les prévisions du budget des voies et moyens ne comportaient que 47,500,000 francs. Par conséquent la recette probable dépassera les prévisions de 9,600,000 francs. Et si l'on ajoute à ce chiffre celui de 5 millions représentant les sommes qui reviendront à l'Etat du chef du reliquat du décompte de l'emploi réciproque du matériel, on arrive à une somme de 60 millions, et par suite à un excédant de 12 millions.

Quant à la comparaison de la recette brute à la dépense d'exploitation, elle s'exprime comme suit : comme je viens de le dire, la recette probable sera de 60 millions.

De leur côté, les dépenses effectuées sur le budget montent, d'après les prévisions, à 35 millions d'abord ; mais il y aura un déficit de 2 millions, de sorte que la dépense totale sera d'environ 35 millions.

Soustrayez 35 millions de dépenses de 60 millions de recettes, il vous restera 25 millions d'excédant des recettes sur les dépenses.

Prenez 15 millions pour le payement des intérêts dus à l'Etat par l'Etat et pour l'amortissement, il vous restera encore 10 millions de bénéfice.

Voilà, messieurs, le résultat des opérations de 1871. Mais il aurait été bien plus brillant encore, si nos voies avaient été assez étendues et si nous avions, à Anvers, un outillage perfectionné pour les chargements et les déchargements.

Nous demandons, par l'amendement que nous avons eu l'honneur de vous soumettre, un million d'abord pour installer un outillage perfectionné pour les chargements et les déchargements.

Permettez-moi de vous dire quelle est la puissance de cet outillage. Il consiste principalement en grues dont le mouvement s'opère par le fait de l'eau accumulée et comprimée par des machines à vapeur. Ces grues peuvent être mobiles et s'utiliser sur une grande étendue de quais aux déchargements dans les gares, tandis que la machine à vapeur est fixe.

Un jeune homme de 14 à 15 ans peut, au moyen d'une grue, décharger ou charger facilement en un jour une quarantaine de waggons de 10,000 kilogrammes. On a vu une grue, manœuvrée de cette manière, charger un navire de 500,000 kilogrammes en 58 minutes.

Lorsque des outils d'une pareille puissance seront installés, surtout dans les gares si vastes et si splendides qui se préparent à Anvers, tous concevez quelle impulsion cela va donner à tout ce qui touche à la prompte évacuation des marchandises, et nous ne doutons pas que la ville d'Anvers ne suive, le long de ses bassins, l'exemple que nous lui aurons donné dans nos gares.

Messieurs, je pense que le chemin de fer est un vaste établissement industriel qui doit être traité industriellement. Sans doute, il ne doit pas être, administré à un point de vue exclusivement lucratif ; il est fait pour le public et le public doit surtout en recevoir les bienfaits par des tarifs très modérés et très bas, et nous avons, je crois, les tarifs les plus bas que l'on connaisse.

Mais nous devons faire avec une économie bien entendue, largement, complètement, tout ce qui peut, le placer dans un état de perfection aussi grand que possible.

Je dis que le railway national est une industrie. De là, messieurs, plusieurs conséquences : ainsi c'est un devoir pour l'administration de faire des études sérieuses pour arriver successivement d'année en année aux installations le plus parfaites possible afin que le chemin de fer puisse atteindre son double but de rendre à l'industrie et au commerce le plus de services possible et, en outre, de rapporter au trésor public, qui est celui de la nation tout entière, de légitimes bénéfices.

Ces études doivent aboutir à un travail d'ensemble et logique, travail dans lequel on doit prévoir les résultats de chaque ouvrage à exécuter et s'assurer que cet ouvrage sera utile et productif. Une deuxième conséquence de la nature tout industrielle du chemin de fer, conséquence corrélative, à la première, c'est que l'administration doit disposer des ressources nécessaires pour exécuter, dans le plus bref délai possible, le plan d'ensemble des travaux dont je viens de parler.

Il y a eu jusqu'à présent beaucoup trop de décousu dans les travaux d'installation. Cela n'est pas étonnant, la Chambre a traité un peu le chemin de fer comme un mineur, en lui ménageant souvent à l'excès les moyens de se développer.

Mais à présent qu'il fait preuve de virilité, une combinaison quelconque devrait lui fournir sur les bénéfices de l'année un capital suffisant pour compléter ses moyens de production et former, si je puis m'exprimer ainsi en parlant du railway de l'Etat, son capital roulant.

Une autre mesure à prendre encore : fous les fonctionnaires et tous les employés qui par leur travail, par leurs services, par leur zèle, contribuent à la régularité, à la prospérité de l'entreprise, devraient obtenir une prime proportionnelle aux bénéfices nets.

M. Bouvier. - Très bonne mesure !

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Tout le monde comprend la justice et les bons effets d'une pareille mesure.

Une quatrième conséquence, c'est l'obligation, pour l'administration, d'examiner sans cesse toutes les questions relatives à la promptitude, à la régularité et à l'économie de l'exploitation, au point de vue tant des marchandises que des voyageurs.

Ainsi, plusieurs questions sont à résoudre. Ne faut-il pas admettre les particuliers à fournir leurs propres waggons à l'Etat qui fera la traction ?

M. Bouvier. - Cela existe en France et en Angleterre.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Et sur une petite échelle chez nous.

Mais ne faut-il pas généraliser la mesure ? et dans quelles limites ?

N'y aurait-il pas lieu d'accorder une réduction des frais de transport pour les trains de marchandises complets et réguliers partant d'un point pour aller vers un autre ?

Dans ce cas, comme dans celui des transports à longue distance, on ne demanderait au chemin de fer qu'un service beaucoup moins onéreux que (page 244) le service ordinaire ; il serait juste que ce service moins onéreux coûtât moins cher au public. Ce sont là autant de questions importantes a examiner.

En résumé, les résultats obtenus de notre chemin de fer prouvent que tout au moins il est aussi bien organisé que n'importe quel autre.

Nous sommes convaincus qu'il y a encore beaucoup d'améliorations à y introduire et nous espérons bien pouvoir exécuter ce programme : rendre au commerce et à l'industrie le plus de services possible et produire en même temps un bénéfice qui allégera un jour considérablement les charges des contribuables.

(page 245) M. Sainctelette. - A mon avis, il s'agit ici d'une chose autre et bien plus importante que de fixer le chiffre des millions à consacrer à l'augmentation du matériel roulant. Il s'agit de rechercher les moyens d'empêcher la prolongation et surtout la reproduction d'une crise de transports aussi désastreuse que celle que nous traversons.

Il n'est pas nécessaire d'insister sur l'intensité de cette crise. M. le ministre des travaux publics ne pourrait pas la nier ; son prédécesseur ne pourrait pas le faire davantage. L'opinion des membres de la Chambre a été formée sur ce point par les journaux, par les délibérations des chambres de commerce, par les réclamations des comités industriels, par une foule de plaintes venues de tous les côtés. Ce serait vous fatiguer inutilement que de rappeler les principaux traits de la situation.

Je me bornerai donc à affirmer que ce qui a été dit est au-dessous de la vérité, que les faits généraux, c'est-à-dire ceux qui ont atteint toutes nos industries dans toutes leurs opérations sont beaucoup plus déplorables encore que ceux qui ont été signalés par les industriels isolément. Faites la part de l'exagération si grande que vous le vouliez dans les plaintes individuelles, le fait général n'en restera pas moins considérable. II est acquis aujourd'hui que, dans notre organisation économique, l'appareil de la locomotion est notoirement insuffisant relativement aux appareils producteurs proprement dits.

J'ai entendu tout à l'heure M. le ministre des travaux publics, reprenant l'assertion émise dans d'autres circonstances par son honorable prédécesseur, nous faire longuement l'exposé des recettes brutes et du profit net que le trésor public recueillera probablement cette année. A ce chant de triomphe il y a une contrepartie : c'est le compte de ce que l'insuffisance des moyens de transport a coûté cette année aux industries, c'est-à-dire le compte des affaires qui ont été manquées, des sommes considérables qui ont été dépensées en fausses manœuvres, des pertes réelles qui ont été subies en raison et par suite de l'insuffisance des moyens de transport. De ces chiffres-là il est prudent, croyez-moi, de ne point parler.

Il faut donc, une fois pour toutes, rechercher les causes de cette crise des transports, les moyens par lesquels on aurait pu en atténuer l'intensité, les mesures définitives qu'il y a lieu de prendre pour en empêcher le retour.

Parmi les causes de la crise, je place en premier lieu la fausse idée que l'administration des chemins de fer se fait de sa fonction et de ses devoirs.

Elle ne se souvient pas assez qu'elle exerce un monopole et qu'elle n'est qu'une auxiliaire des industries principales ; que, comme conséquence forcée de ce monopole, elle a le devoir de posséder toujours la quantité de matériel nécessaire pour desservir non pas le trafic moyen, mais le trafic au summum de son période annuel ; que, comme industrie auxiliaire, elle a le devoir d'être toujours en éveil, de surveiller sans cesse le progrès des industries productrices, de les suivre dans leurs évolutions et de se tenir toujours en position non pas seulement de satisfaire à leurs exigences, mais même de provoquer un trafic nouveau.

L'administration a, dans des circonstances récentes, manqué à l'un et à l'autre de ces devoirs. Pour vous en fournir la preuve, il suffira de vous rappeler les nombreuses interpellations qui, dans cette enceinte et au dehors, ont été adressées et à l'administration et à son chef.

Au dehors, les industriels, isolément, collectivement aussi par la voie de comités, des chambres de commerce, se sont adressés à différentes reprises à M. le ministre des travaux publics. Ils l'ont littéralement supplié de se mettre en mesure de satisfaire à des besoins dont tout prédisait le développement et l'intensité à une date déterminée.

Dans cette Chambre, des bancs de la majorité comme des bancs de l'opposition, de la part des amis politiques du précédent ministre des travaux publics comme de la part de ses adversaires, les avertissements les plus pressants n'ont cessé d'être donnés. L'administration a toujours répondu avec un aplomb désespérant qu'elle était en mesure de satisfaire à toutes les exigences légitimes du commerce et de l'industrie.

Je ne sais pas s'il y a du doute à cet égard dans vos esprits. A tout événement, permette moi de vous rappeler quelques-uns des faits les plus importants qui se sont passés.

Le 2 juin 1871, l'honorable M. Hermant, ami politique de M. le ministre des travaux publics, disait :

« Le gouvernement a dû se préoccuper de l'éventualité qui va se réaliser, il a dû se mettre à même de fournir les moyens de transport qui vont lui être demandés.

« Je ne renouvellerai pas la grosse controverse relative au matériel ; la question est toute de fait.

« Nos industriels prétendent qu'il est insuffisant. Le gouvernement affirme, au contraire, que le mal provient de l'exiguïté de nos stations et que l'établissement de nouvelles voies de garage fera cesser tous les griefs.

« Quoi qu'il en soit, je crains bien de voir renaître, à la prochaine reprise des affaires, toutes les plaintes qui se sont élevées depuis longtemps au sujet de nos moyens de transport. »

7 juin. M. Braconier :

« Je me demande ce que nous ferons au mois de novembre et au mois de décembre ; quelles sont les mesures que l'administration compte prendre pour conjurer la crise qui nous menace ?

« A l'heure qu'il est, en plein été, le matériel fait défaut. Que sera-cé au mois de novembre ?

« Je prie l'honorable ministre de rassurer les industriels, les commerçants et tous ceux qui ont besoin de transports, de leur dire ce qu'il compte faire pour éviter les embarras qui nous menacent. »

14 juin. M d'Andrimont :

« L'occasion me semble donc propice, le moment opportun pour démontrer aussi clairement que possible, avec des faits à l'appui, qu'il faut se hâter d'établir des gares de formation et des parcs de matériel, et qu'il ne faut pas s'arrêter dans les commandes de waggons et de locomotives, si l'on ne veut pas voir, à la fin de cette année, s'élever de toutes parts les réclamations du commerce et de l’industrie. Je ne vous le cacherai pas, messieurs, j'ai de vives appréhensions pour la saison d'hiver ; je crois de mon devoir de les communiquer à la Chambre, et je serais heureux si je pouvais les faire partager par l'honorable ministre des travaux publics.

« Je tiens, après l'avoir averti, à lui laisser toute la responsabilité d'une situation qui peut devenir très grave, qui peut non seulement compromettre les intérêts généraux, mais encore amener une suspension de travail dans les grands centres industriels. »

M. d'Andrimont. - C'est ce qui est arrivé.

M. Sainctelette. - En effet. Oui, c'est ce qui est arrivé. Les usines ont chômé, des villes ont failli manquer de gaz, grands et petits ont été entravés dans leurs affaires, et si l'on s'est ému de voir des maîtres de forges forcés, faute de matières premières, de congédier leurs ouvriers, il ne faut pas oublier non plus qu'une foule de petits industriels et de petits négociants ont été arrêtés dans leurs opérations.

Voilà ce qui se disait dans cette Chambre et je n'ai pas besoin de le rappeler, au dehors, comités et chambres de commerce assiégeaient le ministre des travaux publics des demandes les plus pressantes.

Eh bien, messieurs, la quiétude de l'administration du chemin de fer était telle, que voici ce que j'extrais de l'exposé des motifs du budget des travaux publics pour 1872, exposé qui a été déposé dans le courant de l'été.

« Les événements de ces derniers temps sont venus momentanément jeter la perturbation dans les éléments d'appréciation du service, et l'on ne peut guère prévoir si la progression ascendante du trafic, qui s'est surtout manifestée dans les premiers mois de 1870, pourra reprendre de sitôt et influer sur les dépenses de l'exercice prochain. »

Voilà ce que disait l'administration. Je comprends jusqu'à un certain point son langage.

Les fonctionnaires, je le dis à leur honneur, finissent toujours par se préoccuper davantage de l'intérêt spécial dont la défense leur est confiée. Ils ne perdent pas complètement de vue l'intérêt public et général, mais ils ne s'en préoccupent qu'en second ordre. Ils pensent à l'Etat avant de penser à la société, au trésor public plutôt qu'à la bourse du contribuable. Ils prennent, par un sentiment fort honorable, la défense du plus faible contre (page 246) le plus fort, de l'intérêt collectif contre la coalition de divers intérêts particuliers, de l'institution contre les administrés.

Puis, l'esprit de corps et les traditions s'en mêlent et l'on finit par s'entêter dans certaines manières de voir.

Mais ce qui est plus extraordinaire, c'est le langage du ministre.

Ce n'est pas sans raison que notre organisation place à la tête de chaque département ministériel un homme sorti du sein de la Chambre, instruit des besoins, imbu des idées économiques et politiques du public. C'est précisément pour former contre-poids aux traditions et aux habitudes de l'administration.

Le précédent ministre des travaux publics, représentant d'une ville industrielle, avait dû entendre bien souvent des plaintes sur l'insuffisance du matériel roulant. Il devait être en garde contre les errements et les préventions de son administration. Eh bien, l'honorable M. Wasseige, au lieu de réagir contre les tendances de son administration, en a subi toute l'influence, et s'il porte aujourd'hui la responsabilité de ce qui est arrivé, il ne faut pas qu'il s'en étonne. Son langage a été des plus catégoriques et des plus énergiques à cet égard, malgré tous les doutes qui étaient émis, malgré les objurgations des membres de l'opposition et de certains membres de la majorité.

Voici, en effet, ce qu'il répondait :

« M. Hermant a appelé mon attention sur une question pleine d'actualité. La ville de Paris est rouverte aux expéditions et il est probable que le besoin de recevoir du charbon s'y fera particulièrement sentir : dans cette prévision, l'honorable membre craint que le matériel dont dispose l'administration du chemin de fer de l'Etat ne soit pas suffisant pour les transports importants qui vont se diriger vers la capitale de la France.

« Je dirai à M. Hermant que l'administration a pris ses précautions ; que déjà elle s'est adressée au chemin de fer du Nord pour savoir si cette compagnie croyait être en mesure de fournir le matériel nécessaire.

« Cette compagnie a répondu affirmativement en disant que 4,000 à 5,000 waggons, se trouvant à la Villette, seraient remis à sa disposition et que 2,000 waggons neufs vont être construits.

« J'espère donc que les expéditions se feront dans de bonnes conditions. »

Et à M. d'Andrimont, le 14 juin, M. le ministre répondait :

« Pour le matériel, je le répète avec plusieurs de mes honorables collègues de cette Chambre, je le crois suffisant ; je crois qu'avec les 1,000 waggons que nous avons commandés et ceux que nous avons repris de la Société Générale d'exploitation, ce qui nous donnera plus de 20,000 waggons, parmi lesquels il y aura 13,800 waggons charbonniers, je crois, dis-je, qu'avec ce matériel nous pourrons faire face à tous les besoins. Nous arriverons à ce résultat en utilisant bien notre matériel et, sous ce rapport, je tiendrai note des observations très intelligentes que nous a soumises l'honorable membre.

« Je ne dis pas qu'il ne se trouvera pas encore quelquefois un défaut de matériel dans certains moments. Comment l'éviter ? Ce que nous devons faire, c'est nous efforcer de satisfaire aux besoins dans toute la mesure du possible et de prévenir le retour du déficit autant qu'il est en notre pouvoir de le faire, sans toutefois construire des voitures qui devraient être immobilisées pendant une grande partie de l'année au détriment du trésor. »

Vous l'entendez, messieurs, le ministre partage l'erreur de l'administration sur les conséquences forcées du monopole des chemins de fer. L'administration a pour règle qu'elle ne doit posséder de matériel que dans la mesure où cela est nécessaire pour satisfaire au trafic moyen. Et le ministre partage cette opinion. Et le ministre ne dit pas à l'administration : « Mais vous êtes une industrie auxiliaire appelée à desservir les industries productives. Vous avez un monopole. Vous en recueillez tous les bénéfices. Ayez donc le courage d'en supporter les charges. Mettez-vous en position de satisfaire non pas à l'oscillation moyenne, mais à la fluctuation la plus considérable du trafic. Faites votre devoir d'auxiliaire. Subissez la même loi que subissent les grandes industries que vous êtes appelée à aider. Est-ce que l'industrie houillère, l'industrie métallurgique, l'industrie verrière et beaucoup d'autres n'ont pas des installations et du matériel, d'activité et de réserve ? Est-ce que ce n'est pas là le sort de la plupart des grandes industries ? Le sort du chemin de fer doit être le même. »

Le ministre ajoutait :

« Je crois que c'est plutôt le matériel des compagnies et surtout des compagnies étrangères qui nous fait défaut et qui menace peut-être encore de manquer.

« Eh bien, à ce point de vue, je me suis entendu avec les compagnies belges et avec les compagnies françaises ou allemandes qui sont en relations directes avec nous, pour qu'il se fasse, demain 15 juin, un récolement général de tout le matériel existant sur les différents réseaux.

« D'un autre côté, les instances les plus pressantes ont été faites auprès de la Compagnie du Nord pour qu'elle eût à déclarer si elle se croit en mesure de mettre à notre disposition le matériel qu'elle est tenue de fournir pour le transport des charbons belges expédiés vers la France.

« Ainsi que je l'ai déjà dit ici, la Compagnie du Nord comptait pouvoir, disposer prochainement de 4,000 waggons qui sont ou garés à la Villette ou employés à des transports militaires, et de 2,000 waggons en voie de construction. Je n'ai pas moins voulu savoir d'une manière positive à quoi m'en tenir sur les ressources effectives et immédiates de la société.

« Lorsque le récolement sera terminé et que j'aurai reçu les réponses de la Compagnie du Nord et des autres sociétés, si je trouve la preuve que, dans la situation nettement établie, le matériel n'est pas suffisant, j'exécuterai l'engagement que j'ai pris de solliciter de nouveaux crédits. »

A quoi M. Braconier répliquait :

« Je ne puis avoir dans l'avenir la même confiance que l'honorable ministre des travaux publics et croire que le matériel ne fera pas défaut pendant les mois de novembre et de décembre. Comment en serait-il autrement, puisque actuellement déjà il est insuffisant ?

« Je ne comprends pas que la reprise du matériel de la Société d'exploitation procure à l'Etat une quantité de waggons proportionnellement plus considérable, car cette compagnie n'avait que le matériel nécessaire pour ses lignes, et il devra continuer à être employé pour ce service.

« Je demanderai à M. le ministre s'il est vrai qu'il y a à Malines une quantité considérable de waggons détériorés et que les ateliers sont insuffisants pour les réparer. Cela se concevrait, du reste, parfaitement : les ateliers étant organisés pour une exploitation de 800 kilomètres, ils ne peuvent suffire pour un réseau de 1,400 kilomètres.

« Si le fait est vrai, il est urgent d'y porter remède, soit en augmentant le personnel des ateliers de malines, soit en s'adressant à l'industrie privée ; car on ne peut laisser ainsi immobilisée une quantité de waggons dont on aura le plus pressant besoin dans la saison des grands transports.

« je suis convaincu que cette année nous aurons une véritable crise de matériel et je conjure l'honorable ministre de prendre toutes les mesures propres à la rendre moins intense. » Mais M. Wasseige était inébranlable.

« Messieurs, disait-il, il doit encore être fourni à l'Etat un assez grand nombre de waggons, qui viendront améliorer notablement la situation.

« Le matériel de la Société Générale d'exploitation, y compris 1,200 waggons commandés dans les derniers temps par la compagnie, devait être beaucoup plus considérable que ne l'exigeaient les besoins du trafic. La société faisait concurrence à l'Etat, et, pour cela, elle avait fait construire un matériel excédant de beaucoup les nécessités auxquelles elle avait à pourvoir.

« Quant aux waggons qui sont en réparation à Malines, il est possible qu'il s'en trouve un plus grand nombre qu'auparavant, bien que des mesures aient déjà été prises pour satisfaire aux exigences de la nouvelle situation ; je continuerai à faire tous mes efforts pour hâter les réparations et, si cela est nécessaire, le nombre d'ouvriers sera augmenté dans telle mesure que de raison. »

Vous le voyez, messieurs, les avertissements n'ont pas manqué au ministre des travaux publics.

Jusqu'à la veille de la crise, les industriels faisaient les démarches les plus pressantes auprès de M. Wasseige et, jusqu'à la veille de la crise, M. Wasseige se refusait à admettre la nécessité de prendre d'urgence des mesures dont bientôt il allait être forcé d'avouer la nécessité.

Si je suis bien informé, des compagnies de construction lui ont, au mois d'août, offert de fournir du matériel à des conditions très avantageuses. Alors, on a repoussé leurs offres. Mais plus tard on s'en est repenti, et quand on a voulu, peu de semaines après, traiter avec elles, elles étaient engagées à l'étranger.

M. Wasseige. - Cela est complètement inexact.

M. Sainctelette. - L'honorable M. Wasseige dit que c'est inexact ; j'entends dire autour de moi que le fait est parfaitement exact ; je le tiens d'ailleurs de trois journaux différents.

M. Wasseige. - J'ai déjà eu l'occasion de rectifier les faits devant le Sénat.

M. Sainctelette. - Dans tous les cas, peu importe ce détail. Ce qui est acquis au débat, c'est, je le répète, que les avertissements n'ont pas (page 247) manqué et que jamais les assertions du gouvernement n'ont reçu des faits un démenti plus complet et plus écrasant.

L'administration a donc manqué complètement de prévoyance. Et cependant, rien n'était plus facile que de prévoir la crise.

Quelles sont, en effet, les causes de l'écart qui, au mois d'octobre, s'est manifesté entre la demande des transports et l'offre ?

Il y a trois causes d'augmentation dans la demande. La première, c'est l’état des relations entre la France et l'Allemagne ; la deuxième, c'est la reprise du travail dans la plupart des grandes industries ; la troisième, c'est le développement continu de l'industrie sucrière.

Or, il semble qu'il ne fallait pas être un économiste de premier ordre pour pressentir que, la guerre éclatant entre la France et l'Allemagne, la Belgique ne pouvait manquer de devenir l'intermédiaire obligé des deux pays ; qu'après le rétablissement de la paix, la Belgique serait appelée à vendre aux Français les produits allemands, aux Allemands les produits français. Ce qui se passait à Anvers le prouvait de reste.

D'un autre côté, était-il bien difficile de prévoir qu'après la guerre il serait nécessaire de réédifier ce que la guerre avait détruit ? qu'il y aurait des besoins en souffrance à satisfaire, des travaux à recommencer ? que toutes les industries, dont les approvisionnements avaient été épuisés en 1870, auraient à reconstituer leurs stocks en 1871 ? qu'il y aurait, en fait d'ouvrages d'art et de matériel roulant, des commandes extraordinaires en France et en Allemagne ; que toutes nos industries seraient appelées à y prendre part, et que successivement toutes nos grandes usines de fer et de construction auraient à fournir leur contingent ; que tout cela nécessiterait en conséquence de grands transports de fontes, de minerais, de combustibles.

Il n'est pas d'industriel qui n'ait prévu cela. On a annoncé dans cette Chambre et au dehors qu'au mois de novembre, il y aurait à pourvoir à des besoins extraordinaires. Toutes les industries prenaient leurs précautions.

L'administration du chemin de fer, elle qui est à la source des nouvelles, qui entretient des relations assidues avec tous les industriels du pays, qui dispose de tous les moyens d'information possibles, qui plus que personne est en position de savoir quelles devront être les diverses oscillations du trafic, l'administration ne s'est pas doutée de ces choses.

Mais il y a plus. Depuis vingt ans, l'industrie du sucre se développe chaque année ; chaque année voit surgir de nouvelles fabriques de sucres ; a-t-on jamais pensé à demander aux chefs de gare quels sont les établissements nouveaux qui vont se créer, quels seront les établissements en activité au mois de novembre, ce qu'ils auront à recevoir de charbons, de betteraves, a expédier de sucres ? A-t-on jamais fait un recensement de ce genre-là ? S'est-on jamais informé, avec toute la précision désirable, des besoins probables des consommateurs de transport ?

L'écart entre l'offre et la demande de transports résulte, d'autre part, de la diminution du matériel, diminution provenant du développement de nos expéditions en Allemagne et de ce que la France a retenu une partie de notre matériel. J'avoue qu'à ces deux points de vue il était difficile de prendre des mesures qui n'eussent pas été nuisibles au développement de l’industrie.

J'approuve M. le ministre des travaux publics de l'époque d'avoir laissé nos waggons se rendre jusqu'en Hongrie ; je ne me plains pas trop qu'il ne se soit pas montré rigoureux vis-à-vis des compagnies françaises, mais l'occasion se présentait de faire appel à l'industrie privée. L'honorable ministre en fonctions vient de nous déclarer que l'administration étudie la question de savoir s'il n'y a pas lieu, comme je l'ai proposé en février dernier, de laisser circuler le matériel privé sur les rails de l'Etat moyennant une bonification de tarif ; pourquoi n'a-t-on rien fait depuis le mois de février ? L'attention du gouvernement était dès lors appelée sur cette question intéressante ; je lui avais communiqué des documents dont M. Wasseige lui-même avait reconnu l'importance.. C'était le moment ou jamais d'essayer de cette ressource.

On n'en a rien fait.

Mais ce défaut de prévoyance et de prévision n'est rien à côté des autres faits qui ont amené l'encombrement.

La convention intervenue avec la société des Bassins houillers, sous la date du 25 avril 1870, porte à son article 58 :

« Il sera loisible à l'Etat de diriger les transports par la voie qui lui paraîtra la plus avantageuse au service d'exploitation, à la condition d'attribuer le produit de ces transports aux itinéraires déterminés, conformément aux règles indiquées ci-dessus, comme si ces itinéraires étaient réellement suivis, » c'est-à-dire que les transports étant acquis à l'Etat ou à la société des Bassins houillers, selon la clause de la plus courte distance, l'Etat, chargé de l'exploitation, reste cependant maître de prendre, pour la suivre, la voie qui lui paraît la plus économique, la plus avantageuse au point de vue de l'exploitation.

Evidemment c'est là une stipulation très habile et qui fait honneur aux négociateurs de la convention du 25 avril 1870. Mais il fallait savoir en user en temps opportun, et comme le trafic marchandises des Bassins houillers s'est élevé, en 1869, à 7 millions de tonnes, que de ces 7 millions de tonnes 600,000 seulement doivent être réservées pour le trafic des deux Flandres, il fallait ne déplacer cette masse considérable de 6,400,000 tonnes de marchandises pour les verser sur les rails de l'Etat, qu'après s'être assuré que les installations de l'Etat étaient en position de recevoir cet immense trafic.

M. Bouvier. - Voilà la question.

M. Sainctelette. - C'est ce qu'on n'a pas fait. Pour réaliser l'économie qui résulte de l'application de l'article 52, on a versé sur les rails de l'Etat, on a dirigé par la voie la plus avantageuse à l'exploitation la plus grande partie du trafic de la société des Bassins houillers. Il fallait, au contraire, - et c'est ce que l'on n'aurait pas manqué de faire si l'on avait eu de la prévoyance, ~ il fallait, au contraire, laisser circuler sur les lignes de l'exploitation les trains en provenance des Bassins houillers jusqu'à ce que l'on eût agrandi ces installations de l'Etat, dont vous-mêmes vous proclamiez l'insuffisance.

On eût reculé de quelques mois la réalisation du bénéfice qui devait résulter de l'application de l'article 52 de la convention ; mais on eût épargné au pays les plus grands ennuis et même des pertes très sérieuses.

Autre chose, non moins incontestable à mon avis. Evidemment, il fallait agrandir les installations ; elles sont en grande partie insuffisantes, et je reconnais que, sous ce rapport, l'honorable M. Wasseige a été bien inspiré.

Encore une fois, il n'a pas su choisir le bon moment. Il a fait exécuter des travaux importants dans les gares les plus fréquentées à l'époque où le trafic est le plus considérable. C'est ainsi que j'ai vu dans la gare de Braine-le-Comte, au mois de décembre dernier, exécuter des travaux qui, au lieu d'activer la circulation, devaient nécessairement la ralentir considérablement. J'en appelle au témoignage de tous ceux de mes collègues qui, comme moi, ont été témoins des manœuvres qu'on devait faire, du retard qu'il fallait subir par suite de l'exécution des travaux dont je parle.

Il eût cent fois mieux valu retarder ces travaux de quelques mois, attendre, pour les exécuter, le retour des longs jours, que de les faire dans cette saison où le travail est nécessairement imparfait et ne peut se poursuivre qu'au préjudice de la rapidité de circulation.

Enfin, contrairement aux règles les plus élémentaires, on a supprimé plusieurs petits ateliers de réparation en même temps qu'on refusait de reprendre ceux des Bassins houillers. C'est à la veille d'une reprise des affaires industrielles, alors que l'on venait d'acheter le matériel des Bassins houillers, que l'on a jugé opportun de remanier toute l'organisation des ateliers de réparation,

En tout état de choses, c'eût été, à mon avis, une grande erreur que de concentrer le travail de reconstruction et de réparation dans un nombre très restreint d'ateliers.

Mais quelle nécessité y avait-il donc de le faire tout de suite ?

On a ainsi multiplié comme à plaisir les causes de diminution du matériel en exploitation. Oui, les difficultés d'exploitation ont été volontairement et de parti pris accumulées les unes sur les autres, et aujourd'hui on vient se plaindre de ces difficultés comme si on ne les avait pas créées à plaisir.

Mais tout cela, messieurs, il eût été rien si l'on avait su tirer parti du service de nuit. Il y avait moyen de sortir d'embarras par une bonne division du travail entre le service de jour et le service de nuit.

Pourquoi, messieurs, sur les chemins de fer dont le trafic est considérable, organise-t-on un service de nuit ?

Ce n'est pas simplement pour ajouter quelques heures à la durée du travail ; c'est surtout pour permettre une intelligente répartition des forces, une bonne distribution du trafic. Au jour, le transport des voyageurs ; à la nuit, le transport des marchandises.

Voilà quelle est la règle absolue de toute bonne administration de chemins de fer.

En Angleterre que fait-on ?

Je ne fais ici que citer ce qui est dit par d'excellents ingénieurs français et, entre autres, par M. Jacqmin, directeur du chemin de fer de l'Est et professeur d'exploitation à l'école des ponts et chaussées de Paris.

Quel est en Angleterre l'aspect des grandes gares de marchandises ?

(page 248) « Une gare de marchandises à Londres est disposée comme le sont à Paris les gares destinées au service de la grande vitesse.

« Le matin, grande activité sur le quai d'arrivée ; tout un côté du quai est occupé par les waggons en déchargement, tout l'autre est rempli par des camions prêts à livrer la marchandise à domicile.

« Le soir, à partir de 4 heures, grande activité sur le quai d'expédition ; tout un côté du quai est occupé par les camions en déchargement, tout l'autre côté est rempli de waggons dans lesquels la marchandise va être chargée.

« Dans le milieu de la journée, il règne un grand calme, les camions font la livraison des marchandises arrivées et ils ne sont pas encore rentrés avec les marchandises pour le départ.

« Dans la soirée, le quai des arrivages est presque vide, le matin il n'y a que quelques colis sur les quais des expéditions.

« Les trains de marchandises partent de Londres pendant la soirée et la nuit et ils se succèdent à des intervalles très rapprochés ; le matin, ils arrivent également à la suite les uns des autres.

« Les marchandises reçues jusqu'à 9 heures du soir sont chargées dans les waggons et expédiées par des trains qui quittent Londres entre dix heures du soir et minuit ; elles arrivent le lendemain à destination.

« A Birmingham, 182 kilomètres de Londres, à 8 h. 15 m. du matin.

« A Bristol, 191 kilomètres, à 7 h.

« A Exeter, 313 kilomètres, à 10 h.

“A Liverpool, 323 kilomètres, 9 h. 25 m.

« A Holyhead, 425 kilomètres, 1 h. du soir.

« A Milford-IIaven. 467 kilomètres, 6 h. 50 m.

« A Carlisle, 483 kilomètres, à 6 h. 40 m.

« Les trains qui se rendent à Londres marchent avec la même rapidité et ils sont organisés de manière à arriver dans cette ville le matin ; deux heures après l'arrivée d'un train, la marchandise quitte la gare et elle est rendue immédiatement à domicile. »

Quelle est la raison de cette démarcation rigoureuse entre le service de jour et le service de nuit ? Elle est bien simple. Les trains de marchandises ne marchent pas, ne peuvent pas marcher avec la vitesse imprimée aux trains de voyageurs. Or si, sur la même voie, vous lancez constamment des trains marchant dans la même direction, mais avec des vitesses inégales, il faudra nécessairement que ceux dont la vitesse est moindre se rangent, se garent pour laisser passer ceux dont la vitesse est plus grande. De là des manœuvres inutiles, des pertes de temps considérables, des situations dangereuses. Au lieu d'entremêler les deux degrés de vitesse, séparez-les nettement, faites d'abord passer ceux qui marchent le plus rapidement, et tous arriveront plus tôt à leur destination commune.

Autre chose : de même que l'on divise les trains de voyageurs en trains rapides, trains de vitesse moyenne, trains de petite vitesse, on peut diviser les trains de marchandises en trains directs, allant sans arrêt du point d'expédition au point d'arrivée ; en trains omnibus, s'arrêtant dans toutes les gares pour y laisser des waggons et en reprendre d'autres ; en trains de banlieue, desservant une zone déterminée, et on peut les ranger au départ de la vitesse en expédiant d'abord ceux qui doivent marcher le plus vite et aller le plus loin.

Ces principes sont tellement élémentaires que c'est un axiome pour les ingénieurs anglais de dire qu'on ne doit point, pendant la journée, voir de trains de marchandises sur les voies. Là où il y a des trains de marchandises sur les voies pendant le jour, l'exploitation passe pour mal organisée. Vous avez, messieurs, entendu tout à l'heure à quels résultats on arrive avec cette intelligente distribution du trafic entre le jour et la nuit, avec cette organisation des trains de marchandises rangées dans les trois catégories que je viens d'indiquer.

Permettez-moi maintenant de mettre en regard de ces résultats les résultats obtenus en Belgique par l'administration des chemins de fer et sous l'impulsion de M. Wasseige. Le lundi 18 décembre dix waggons de houille formant par conséquent un demi-train sont chargés dans une gare du couchant de Mons en destination d'Anvers ; le vendredi 22, au matin, ils n'étaient pas arrivés à destination. Ils étaient destinés à un navire : c'était du charbon qui devait être exporté. La commande était, je crois, faite par un capitaine pressé de partir. Je vous demande s'il a dû être satisfait.

Les trains qui se rendent à Londres marchent avec la même rapidité et sont organisés de manière à arriver dans cette ville le matin. Immédiatement la marchandise est déchargée est rendue à domicile.

Ainsi, en Angleterre, la règle est que les transports de 300 à 400 kilomètres s'exécutent de domicile à domicile en vingt-quatre heures.

Messieurs, ces résultats sont dus, comme je crois vous l'avoir expliqué tout à l'heure, à la bonne distribution du trafic entre les services de jour et les services de nuit et à l'expédition successive des trains d'après le degré de vitesse auquel ils doivent marcher, ceux qui doivent aller le plus vite étant en tête des départs. Et cette distribution du trafic entre les deux services est tellement de règle que, dans le cas d'encombrement, la mesure à laquelle on recourt, c'est de diminuer le nombre d'heures consacrés au transport des personnes et d'augmenter le nombre d'heures consacrées au transport des marchandises. Cela s'est fait en Angleterre, et cela vient de se faire en Allemagne.

L'association pour la protection des intérêts économiques des pays rhénans et de la Westphalie a posé aux chemins de fer rhénan, de Cologne-Minden et au Bergisch-Markish ces trois questions :

I. Etes-vous en état de porter remède sans délai à la situation actuelle ?

II. Avez-vous des mesures à proposer pour y remédier ?

III. L'Etat peut-il vous aider à ce sujet ?

Le Bergisch-Markisch a répondu qu'une nouvelle réduction des trains de voyageurs serait utile pour faciliter la circulation des trains de marchandises.

L'association de Dusseldorff a demandé une audience au ministre des travaux publics à Berlin, et voici ce qui s'est dit dans cette entrevue :

Quant à la diminution des trains de voyageurs, la direction du Bergisch a été autorisée, dès le 22 novembre, à supprimer plusieurs trains de voyageurs, à la seule condition de s'entendre avec le service des postes. Cette mesure a encore été étendue depuis et le ministre ne s'oppose pas à ce qu'elle soit prise sur d'autres lignes.

Le comité reconnaît que, si tardive qu'ait été la mesure prise sur le Bergisch-Markisch, elle a apporté une certaine détente dans la situation, Il regrette seulement que le ministre n'ait pas jugé à propos d'user des pouvoirs que la loi lui donne pour imposer la même mesure aux compagnies.

Depuis cette époque, le chemin de fer rhénan s'est exécuté à son tour en supprimant, à dater du 2 janvier et jusqu'à nouvel ordre, vingt-trois trains de voyageurs et express.

Ainsi, division du travail entre les deux services, et, au besoin, extension du nombre d'heures consacrées au transport des marchandises et réduction du nombre d'heures consacrées au transport des voyageurs, voilà ce qu'il y avait à faire, car il faut, en de certaines circonstances, faire la part du feu et au prix d'un léger dérangement dans les habitudes de quelques personnes, sauver les intérêts du plus grand nombre.

Il y avait encore une autre mesure à prendre. Je veux parler de l'augmentation de la vitesse des trains de marchandises. Nous sommes restés, sous le rapport de la vitesse des trains de marchandises, dans une situation notablement inférieure.

Dans notre pays, l'exploitant de chemins de fer a encore, sauf le cas d'encombrement, trois jours pour transporter les marchandises. Cela fait 72 heures pour parcourir une distance qui, au maximum, ne peut guère dépasser 52 lieues, soit 260 kilomètres.

Eh bien, cette vitesse n'est pas en rapport avec celle qui est adoptée en Angleterre et en Allemagne.

En Allemagne, et je parle de faits constatés par la commission d'enquête française de 1862, Berlin-Hambourg qui compte 299 kilomètres, Berlin-Anhalt qui en compte 358, les chemins rhénans acceptent comme délai de transport de station à station deux jours.

En Angleterre, la législation accorde un temps raisonnable pour le transport des marchandises. Mais le fait s'est montré plus raisonnable que le droit. Le parcours d'Aberdeen à Londres est de 899 kilomètres, il se fait en 45 heures. Le parcours d'Edimbourg à Londres est de 643 kilomètres, il se fait en 23 h. 30 m.

La commission d'enquête de 1862 a proposé de porter de 125 à 200 kilomètres par 24 heures le minimum de petite vitesse.

Je passe à un autre ordre d'idées.

Je crois que quiconque a visité nos gares en 1871 et même en 1870 a dû être frappé de leur état d'encombrement. Les gares deviennent dans les grandes villes, à Anvers, par exemple, de véritables docks. Les waggons servent de magasins.

Il est de notoriété publique qu'à Anvers, pendant une grande partie de l'année 1870, certaines marchandises, les grains, les avoines, par exemple, se négociaient sur waggons. Si vous cherchez la cause de ce fait, vous la trouverez dans le taux extrêmement faible du droit de magasinage fixé à 25 centimes par heure et par waggon, soit à 6 francs par 24 heures. Ce prix est uniforme.

Or, les avoines, par exemple, ont varié de prix depuis 15 jusqu'à 25 francs, si je ne me trompe. Il y a eu, à un moment déterminé, des fluctuations de prix qui ont dépassé 1 franc par 100 kilogrammes. Les négociants pouvaient en une bourse gagner 100 francs, parfois même 200 francs par (page 249) waggon. Ils avaient, dès lors, un intérêt évident à conserver les marchandises sur waggons plutôt qu'à les entreposer. Il est résulté de là que quelques marchandises sont restées sur waggons pendant plus d'un mois.

Quel était le remède à une situation pareille ? Il est bien simple. Il fallait substituer une échelle progressive au tarif uniforme de 25 centimes par heure et par waggon. Si l'on avait adopté un tarif de 25 centimes par heure pour les premières 24 heures, de 50 centimes par heure pour les 24 heures suivantes, de 1 franc pour le troisième jour, au bout de huit jours l'immobilisation des waggons aurait complètement disparu.

Et puis il fallait avoir le courage de prendre une mesure plus radicale, il fallait faire, en 1871, ce que vous aviez fait en 1870, requérir l'autorité militaire de vous prêter ses chevaux et ses voitures d'artillerie et camionner d'office les marchandises à domicile.

Vous auriez contrarié quelques négociants qui trouvaient commode d'avoir en gare des magasins, et parmi ceux qui se plaignaient le plus de la pénurie de waggons, il s'en trouvait peut-être de ceux-là, mais en contrariant quelques personnes, vous sauviez l'intérêt du plus grand nombre.

Ce qu’il y avait à faire était donc bien simple : division du travail entre la nuit et le jour ; division des trains de marchandises en trois catégories, augmentation de la vitesse des trains, élévation du tarif d'emmagasinage, camionnage d'office.

Je persiste à penser qu'aujourd'hui encore, si l'on veut sortir de la situation où l'on se trouve, on ne peut le faire qu'à ce prix.

- M. Tack remplace M. Thibaut au fauteuil de la présidence.

M. Sainctelette. - Mais il ne suffit pas d'empêcher la crise actuelle de se prolonger ; il faut à tout prix en empêcher le retour, car autrement nos industriels pourraient finir par se soulever véritablement contre l'administration du chemin de fer.

Examinons donc quelles mesures il convient de prendre pour empêcher le retour de semblables faits.

- Des membres. - A demain !

M. le président. - La Chambre entend-elle renvoyer la suite de la discussion à demain ? (Adhésion.)


(page 244) M. Delcour, ministre de l'intérieur. - J'ai l'honneur de présenter quelques amendements au budget de l'intérieur. j

Je prie la Chambre d'en ordonner le renvoi à la section centrale et de s'en occuper le plus tôt possible.

- Adopté.

Proposition de loi

Dépôt

M. le président. - Le bureau a reçu une proposition de loi. Elle sera renvoyée aux sections qui auront à examiner s'il y a lieu d'en autoriser la lecture.


M. le président. - Le bureau a décidé tantôt le renvoi aux sections du projet de loi de comptabilité du budget pour 1868. Il est d'usage que les projets de cette nature soient renvoyés à l'examen de la commission permanente des finances. Je propose à la Chambre de continuer à suivre cette marche.

- Adopté.

La séance est levée à 5 heures.