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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 23 décembre 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 225) M. Reynaert fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Borchgrave fait lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction de cette pièce est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Reynaert présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les instituteurs du canton de Couvin prient la Chambre de discuter et d'apporter le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Emile-Guillaume-Henri-Robert Burdett, ancien sergent, demeurant à Louvain, né à Berchem, province d'Anvers, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Par dépêche du 22 décembre courant, M. le ministre des travaux publics informe la Chambre qu'aucun marché de gré à gré n'a été passé par son département, en vertu de la loi du 5 septembre 1870, depuis le 5 juin 1871 jusqu'au 5 décembre courant. »

- Pris pour information.


« Par messages du 22 décembre, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi :

« Concernant le budget de la dette publique pour 1872 ;

« Relatif à des crédits provisoires à valoir sur les budgets des dépenses de l'exercice 1872 ;

« Qui rend disponible, pendant les exercices 1872, 1873 et 1874, le crédit de 14,461,170 francs, alloué par la loi du 8 mai 1861 pour la transformation du matériel de l'artillerie ;

« Qui autorise le ministre de la guerre à déposer, jusqu'à concurrence d'une somme de 1,752,000 francs, du reliquat que présentera l'article 20 du budget de la guerre pour 1871 ;

« Concernant la libre entrée des denrées alimentaires ;

« Rejetant les demandes de naturalisation ordinaire des sieurs Pierre-Gérard Tegelers et Jean-Joseph Verhoeven. »

- Pris pour notification.


« Par messages, en date du 22 décembre, le Sénat informe la Chambre qu'il a pris en considération quinze demandes de naturalisation ordinaire. »

- Pris pour notification.


« MM. Bergé, Jottrand et de Vrints, retenus par des affaires urgentes, demandent un congé d'un jour. »

- Accordé.

Ordre des travaux de la Chambre

M. Bouvier (pour une motion d’ordre). - Messieurs, nous avons décidé que nous nous ajournerions au 16 janvier prochain.

Il serait bon d'indiquer l'ordre du jour pour notre rentrée.

Je propose comme premier objet à l'ordre du jour le crédit de 12 millions pour l'augmentation du matériel du chemin de fer et comme deuxième objet le code de commerce.

- Plusieurs voix. - Non ! non ! les budgets.

M. Bouvier. - S'il y a des budgets dont les rapports sont faits, ils doivent nécessairement avoir la priorité ; nous les mettrions en second ordre.

En troisième lieu viendrait le code de commerce ou tout au moins le titre relatif à la lettre de change qui est si vivement réclamé par tous les négociants.

Je demanderai également à l'honorable M. de Haerne de déposer le rapport dont il est chargé par la section centrale sur l'enseignement obligatoire et que ce rapport soit imprimé et distribué pendant les vacances pour qu'il puisse être l'objet de notre examen.

M. Dumortier. - Messieurs, l'observation de l'honorable M. Bouvier quant au Code de commerce est parfaitement fondée. Le titre relatif à la lettre de change est de la dernière urgence.

Mais il y a quelque chose de plus urgent encore, ce sont les budgets. Il y en a dont les rapports sont faits. Ils doivent évidemment passer avant le code de commerce.

Puisque l'honorable M. Bouvier a modifié sa proposition dans ce sens, je m'y rallie,

M. le président. - La Chambre est donc d'accord pour fixer son ordre du jour à la rentrée comme suit :

1° Le crédit de 12 millions ;

2° Les budgets sur lesquels les rapports sont faits ;

3° Le projet du Code de commerce (titre « de la Lettre de change »).

M. de Haerne. - Messieurs, si le rapport sur la question de l'enseignement obligatoire n'a pas encore été déposé sur le bureau de la Chambre, cela n'a pas dépendu de moi. Il est prêt depuis longtemps et il est imprimé en épreuves.

Si je ne l'ai pas encore déposé, c'est parce que dans les réunions de la section centrale et notamment dans celle qui a encore eu lieu hier, nous n'avons pu réunir toutes les pièces qui doivent figurer au rapport et c'est en attendant ces pièces qu'on a suspendu le dépôt du rapport.

Seulement, je suis prêt à le déposer tel qu'il est, si la Chambre le juge à propos ; mais la section centrale a cru qu'il valait mieux attendre afin de pouvoir réunir toutes les pièces.

Voilà la seule raison du retard apporté dans le dépôt du rapport.

M. Jacobs. - Messieurs, je demande à la Chambre de se borner pour le moment à fixer l'ordre du jour jusqu'aux budgets inclusivement.

La discussion des budgets nous prendra probablement un temps assez long. Après cela, j'annonce à M. Bouvier que je demanderai à la Chambre de régler l'ordre du jour tel qu'il avait été fixé primitivement ; c'est-à-dire en plaçant avant le code de commerce deux ou trois projets de loi qui ne prendront pas beaucoup de temps : le projet sur les servitudes militaires...

M. Bouvier. - C'est cela.

M. Jacobs. - Le projet de loi sur les commissaires d'arrondissement et le projet relatif à l'école militaire..

Je demande donc à la Chambre de ne pas se prononcer dès à présent et de se contenter de mettre les budgets à l'ordre du jour à la suite du crédit de 12,080,000 francs.

M. le président. - On paraît d'accord aujourd'hui pour mettre à l'ordre du jour du 16 janvier le crédit de 12,080,000 francs et les derniers budgets ; nous pourrions attendre cette époque pour prendre une décision quant aux autres projets de loi.

M. Bouvier.- Messieurs, il y a quinze jours, l'on a encore interpellé l'honorable M. de Haerne sur la nécessité du dépôt du rapport sur l'enseignement obligatoire.

(page 226) Eh bien, qu’est-il arrivé ? L'honorable M. de Haerne a tenu le même langage que celui que nous venons d'entendre.

M. de Haerne. - Du tout.

M. Bouvier. - Vous avez dit que votre rapport était prêt, mais que vous attendiez des pièces. (Interruption.)

Nous n'avons pas besoin de ces pièces, nous demandons votre rapport.

M. de Haerne. - Lorsque j'ai été interpellé la première fois, je n'ai pas répondu que j'attendais des pièces. J'ai dit que notre rapport était prêt, mais que la section centrale aurait fait imprimer les épreuves et j'ai fait imprimer les épreuves le même jour. Voilà la vérité. Depuis lors la section centrale s'est réunie encore deux fois et elle a décidé que le dépôt du rapport n'aurait lieu que lorsqu'on aurait obtenu les dernières pièces à joindre au rapport, pièces à fournir, non par moi, mais par d'autres.

On ne peut donc faire peser sur moi la responsabilité du retard apporté dans le dépôt du rapport, puisqu'il s'agit d'une décision prise par la section centrale.

- L'incident est clos.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre pour l’exercice 1872

Discussion générale

La discussion générale continue,

M. Vleminckx. - Messieurs, l'honorable M. Pirmez demandait, dans une de nos dernières séances, à M. le ministre des finances de répudier de la manière la plus complète le principe de la diminution graduelle des dépenses pour notre établissement militaire, principe dont plusieurs de nos collègues s'étaient fait une arme dans les dernières élections.

Je rends à l'honorable ministre cette justice qu'il a répondu à mon honorable ami de la manière la plus satisfaisante. Voici ce qu'il a dit ; il est bon de reproduire sa déclaration :

« Il n'est pas dès à présent prouvé que pour faire faire des corrections à notre organisation de 1868, il faudra créer de nouvelles dépenses militaires.

« Le gouvernement espère, au contraire, que par des combinaisons qui n'augmenteront pas le chiffre de ces dépenses, on pourra améliorer notablement les lacunes qui ont été signalées. »

Il faut donc que MM. les membres de la droite, y compris l'honorable M. Cornesse, qui ont fait à leurs électeurs la promesse de faire réduire graduellement les dépenses militaires, en fassent leur deuil. Le cabinet catholique, par l'organe de l'honorable ministre des finances, leur déclare de la manière la plus formelle que ces dépenses ne seront pas diminuées. Tout au plus fait-il miroiter aux yeux de ces honorables membres l'espoir qu'elles ne seront pas augmentées. C'est clair, c'est précis.

Eh bien, messieurs, cet espoir lui-même je ne le comprends pas. Je ne conçois pas, en effet, qu'en présence du rapport de l'honorable ministre de la guerre, M. le ministre des finances puisse venir dire à la Chambre que, sous l'empire de. notre organisation actuelle, les dépenses de la guerre ne seront pas augmentées. Cela me semble tout à fait impossible ; vous allez le voir.

Les lacunes signalées par M. le ministre de la guerre sont excessivement nombreuses et les mesures pour les combler seront énormément dispendieuses.

Les honorables ministres des finances et de la guerre ont déclaré qu'ils exécuteraient loyalement et complètement la loi d'organisation de 1868 ; c'est parfait. Mais, messieurs, il ne faut pas oublier que dans une séance précédente M. le ministre des finances a fait remarquer que cette loi de 1868 n'est, après tout, qu'une loi d'organisation des cadres et que, pour avoir une armée sérieusement organisée, il fallait que tous les services et. tous les détails de ces services fussent réglés avec toute la perfection possible ; il ajoutait même que c'était bien moins à la loi du recrutement qu'à la perfection de tous ces services qu'étaient dus les succès prodigieux obtenus par l'armée allemande, dans la dernière guerre. M. le ministre des finances a parfaitement raison.

Mais nous allons voir où cela va nous conduire. La première condition d'une armée bien organisée, c'est qu'elle puisse passer rapidement et facilement du pied de paix au pied de guerre. Mais cette nécessité, que M. le ministre de la guerre ne manquera pas de confirmer, va nous coûter des sommes folles. J'en trouve le premier germe dans le rapport de la section centrale sur le budget de la guerre ; la section centrale n'a pas voulu s'occuper du mode de recrutement de notre armée, bien qu'elle connût parfaitement l'opinion de la grande commission. Ne voulant pas embarrasser le gouvernement, ce que je. comprends, elle n'a pas consenti à en faire l'objet d'une interpellation.

Mais elle s'est attachée à un autre desideratum du rapport de M. le ministre de la guerre, à savoir aux défectuosités du service de l'intendance. L'honorable général a été invité à se rendre dans son sein, pour donner des explications sur la situation de ce service. Or, voici ce qu'il y a répondu :

« Lors de la mise sur le pied de guerre de l'armée, j'ai donné aux cadres de l'intendance une extension considérable en portant le nombre des intendants et sous-intendants de 22 à 45 ; actuellement ce nombre est encore de 35 ; c'est là, à la vérité, une situation provisoire, mais qui permet cependant de parer à toutes les éventualités, et de passer rapidement du pied de paix au pied de guerre. »

Je ne m'occupe pas pour le moment de cette intrusion en quelque sorte subreptice de 13 ou 15 intendants supplémentaires dans le cadre organique de 1868. Nous aurons occasion d'en parler une autre fois.

Je me borne à constater que l'honorable ministre entend organiser son intendance de telle façon qu'elle puisse passer rapidement du pied de paix au pied de guerre.

Mais il n'y a pas que l'intendance seulement pour laquelle il faille prendre cette mesure ; il y a d'autres services, plusieurs, presque tous.

Il y a d'abord l'infanterie.

L'honorable ministre de la guerre ne vous a-t-il pas dit qu'il faut élargir les cadres des 4ème et 5ème bataillons ? Il faut donc y introduire un grand nombre d'officiers nouveaux. Or, à coup sûr, on ne le fera pas sans que cela coûte, et beaucoup.

Pour la cavalerie, c'est bien plus grave encore. Savez-vous où nous en étions lors des derniers événements de 1870 ? Mais nous achetions encore des chevaux, lorsque déjà la guerre était terminée à nos frontières ; c'est à ce point que nous avons été hors d'état de mettre un grand nombre de nos cavaliers à cheval, de telle sorte que, sous l'empire de l'organisation actuelle, la Belgique pourrait être cent fois envahie et occupée sans que nous fussions en mesure de mettre toute notre cavalerie en ligne.

Je sais bien que, dans une de nos dernières séances, l'honorable ministre de la guerre nous a dit qu'il y avait des remèdes à cette situation, mais je voudrais bien savoir si ces remèdes seront praticables en Belgique. Dans tous les cas, je vous garantis que l'emploi en sera dispendieux. Il y aura une carte à payer, et, j'en suis bien convaincu, l'addition n'en sera pas peu élevée.

Et notre artillerie ? Mais ouvrez le rapport, et voyez ce qu'on en dit. Il faut, d'après l'expérience acquise, un plus grand nombre de canons pour un effectif déterminé. L'artillerie doit donc être renforcée. Est-ce que vous ferez cela sans rien dépenser ? Chevaux, harnachements, canons, fourgons, etc., est-ce que tout cela ne vous coûtera pas beaucoup d'argent, et le trouverez-vous dans les ressources de votre budget normal ?

Nous ne sommes pas au bout.

Nous n'avons pas de train d'équipages. Nous n'en avons jamais eu. Le rapport sur la mobilisation de 1870 nous le dit de la manière la plus nette. Il nous le faut, il nous le faut absolument. A quel prix l'aurons-nous ?

Et, à l'occasion de ce train d'équipages, laissez-moi, en passant, vous dire un mot sur l'intendance. Elle a été, vous le savez, assez malmenée dans cette enceinte et au dehors. Eh bien, messieurs, je tiens qu'une des causes de son désarroi, c'est qu'elle n'a pas eu de charrois, c'est que les moyens de transport indispensables lui ont fait à peu près défaut. (Interruption.) C'est mon opinion : et ces moyens, l'organisation d'un bon train d'équipages est appelée à les fournir.

Je trouve encore dans le rapport de l'honorable ministre que le personnel du service médical est insuffisant. Si mes renseignements sont exacts, il doit avoir reçu de l'ancien inspecteur général du service de santé un rapport, d'où il résulte que le cadre des officiers de santé doit être augmenté de trente à quarante médecins, pharmaciens et vétérinaires, pour que le service puisse passer rapidement du pied de paix au pied de guerre. Avez-vous calculé à quelle dépense cela nous entraînera ?

Et les ambulances donc ? Mais nous n'en avons pas ou presque pas ; ce que nous avons ne vaut pas la peine d'être cité.

Est-ce que l'honorable ministre des finances pense qu'il pourra combler toutes ces lacunes, subvenir à tous ces besoins, sans nous imposer des charges nouvelles ?

Il y a d'autres besoins encore auxquels il doit être satisfait.

Vous vous rappelez, messieurs, que des plaintes sérieuses ont surgi dans le pays et dans cette Chambre au sujet de l'alimentation de l'armée et notamment sur la qualité du pain.

L'honorable ministre de la guerre, dans sa vive sollicitude pour le (page 227) soldat, a jugé convenable de nommer une commission chargée d'examiner ces plaintes et de rechercher les remèdes qu'elle jugeait convenable d'y apporter.

J'ai eu l'honneur de faire partie de cette commission et d'en être même le président. Je suis convaincu que l'honorable ministre sera le premier à reconnaître qu'elle a rempli son œuvre avec tout le soin, tout le scrupule et tout le zèle possible,

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Certainement.

M. Vleminckx. - L'honorable ministre est en possession de son rapport ; je ne sais pas ce qu'il en fera, mais je suis certain qu'il n'est pas homme à le jeter dans les cartons et qu'incessamment nous serons saisis d'une demande de crédit pour cet objet.

Or, j'ai fait, à part moi, le calcul de ce qu'il en coûtera pour donner au soldat de meilleur pain, et je suis arrivé à cette conclusion que la dépense ne s'élèvera ni plus ni moins qu'à quelque chose comme 250,000 francs par an !

Je ne parle pas des frais d'établissement des meuneries, boulangeries, etc., parce que j'estime qu'ils seront récupérables.

En présence de toutes ces lacunes, en présence de tous ces besoins, n'y a-t-il pas véritablement grande témérité de la part de l'honorable ministre des finances à venir déclarer à la Chambre que les dépenses pour la guerre pourront ne pas être augmentées ?

L'honorable ministre des finances est à coup sûr un homme très habile, un ministre très remarquable, mais je le considérerais comme un grand sorcier s'il parvenait à accomplir ce tour de force.

Avant de terminer, j'ai à faire au cabinet deux questions. Notre système de défense est un système de concentration. Nous avons démoli toutes nos forteresses pour n'en garder qu'une seule, une grande, celle d'Anvers.

Plus tard, nous avons jugé convenable de supprimer la citadelle du Sud et de fortifier la rive gauche de l'Escaut. Je demande au cabinet si nous en resterons là. Je demande qu'il nous fasse connaître s'il entre dans ses vues d'établir de nouvelles fortifications sur l'Escaut, si l'on a abandonné le projet de fortifier Termonde et si l'on ne songe pas à élever de nouvelles fortifications sur la Nèthe. Il importe à la Chambre, avant qu'elle procède au vote du budget, d'être complètement édifiée sur ces deux points,

M. Bouvier. - Les explications de l'honorable ministre des finances ont porté, dans une des précédentes séances, sur deux points : les fortifications d'Anvers et le système militaire.

Je ne sais s'il était ce jour-là de belle ou de mauvaise humeur, mais sa déclaration a été nette et catégorique.

« Il ne peut être fait au nord d'Anvers, a-t-il dit, aucun changement qui ait une mauvaise influence sur la valeur et la force du système défensif de la place. »

Une pareille affirmation implique la conservation de la citadelle du Nord.

Elle était d'ailleurs superflue. Nous allons le démontrer.

L'honorable M. Frère-Orban avait reconnu, sur les indications du génie militaire, que les fronts intérieurs de cette citadelle pouvaient disparaître, à la condition d'être remplacés par un mur crénelé, construit aux frais de la ville d'Anvers.

Vous avez pensé sans doute comme moi, messieurs, que M. Jacobs, arrivé au pouvoir grâce à des promesses fallacieuses, s'empresserait de les anéantir.

Il n'en est rien ; les fronts existent et continuent à exister ; c'est le premier acte de la comédie jouée par les députés meetinguistes aux dépens de MM. les Anversois.

Mais si, tout au moins, les fronts intérieurs continuent à subsister par l'inaction calculée de l'honorable député d'Anvers, celui-ci s'efforcera d'obtenir de son collègue, M. le ministre de la guerre, la disparition de cette fameuse citadelle du Nord considérée, dans les meetings et dans l'opposition, comme une menace permanente pour la sécurité de la ville.

Il n'en est rien, messieurs. M. Jacobs n'en a pas touché un mot à son honorable collègue de la guerre qu'il voyait tous les jours. Je pose la question à l'honorable ministre de la guerre... Il ne répond pas... Son silence est significatif, c'est le deuxième acte de la comédie.

Nous arrivons au troisième et dernier acte : Maintien de la citadelle.

Cela résulte d'abord de la déclaration faite par l'honorable M. Malou, ensuite de ce que, pendant le passage de la maison d'Anvers aux affaires du pays, il n'a pas été question de cette démolition.

D'ailleurs, M. le ministre de la guerre n'y aurait jamais consenti.

Il se serait couvert d'un ridicule indélébile.

Il n'est pas de ministre de la guerre en Belgique qui osât jamais prêter la main à un pareil scandale.

Je dis scandale. En effet, messieurs, peut-on croire un seul instant que le corps du génie militaire belge, qui passe à bon droit aux yeux de l'Europe scientifique pour un des plus considérables et des plus instruits, ait élevé une semblable citadelle sans en avoir compris la haute importance et la grande nécessité ? Y a-t-il un seul homme sensé qui puisse s'imaginer qu'un pareil corps ait exposé le trésor national à une si grosse dépense sans avoir médité avec maturité sur l'importance stratégique de cette citadelle ? Vous ne parviendrez jamais à faire partager à aucune personne la pensée que notre corps du génie se soit aussi grossièrement trompé.

La seule chose qui ressort de la question d'Anvers aujourd'hui résolue, c'est que la citadelle du Nord n'a été qu'une arme entre les mains de certains hommes pour introduire dans cette enceinte six députés, pour y faire non les affaires des Anversois, mais celles de nos éternels ennemis, les ultramontains.

Cela m'est démontré clair comme le jour ; il est aujourd'hui établi que les Anversois ont été mystifiés, sont mystifiés et resteront mystifiés jusqu'à la complète démolition de la citadelle du Nord, démolition déclarée impossible par un cabinet clérical.

On a beau soutenir, comme on l'a fait hier, que si la déclaration de l'honorable M. Malou est identique à celle de l'honorable M. Frère-Orban, l'esprit en est tout autre. C'est, permettez-moi de le dire, un jeu de mots propre à entretenir, si possible, la comédie jouée par les meetinguistes à Anvers. Vous avez déclaré que vous maintenez debout votre programme. Il est percé à jour. Le passage de la maison d'Anvers au pouvoir en a fait une lettre morte, au point de vue des intérêts anversois. Il est clérical et reste clérical.

En ce qui touche la question militaire, l'honorable M. Malou prend un rôle fort commode. Il prétend que nous nous retranchons derrière une équivoque ! Qui l'a créée ? C'est vous.

Qui donc est l'auteur du rapport dont la publication a été une révélation et a jeté l'alarme dans le pays ?

Qui donc a, immédiatement après le dépôt de ce rapport, institué une commission militaire, créée pour apporter des changements à nos institutions militaires ?

Qui donc a déclaré que le remplacement militaire est un danger pour le pays, une honte pour l'armée ?

Qui a préconisé le service personnel ?

Qui donc a réclamé des améliorations dans notre système de recrutement militaire ? Est-ce vous, ministres, ou nous, députés ?

Et quand nous vous demandons d'apporter vos idées pour résoudre le grand problème de notre état militaire, qui doit assurer la sécurité du pays et donner la confiance aux pères de famille, vous vous récriez. Oui, il y a une équivoque, et c'est vous qui la produisez et la maintenez.

C'est là votre attitude.

D'une main, vous exaltez notre organisation, et d'une autre, vous la sapez dans sa base, oubliant que les institutions militaires d'un peuple sont le reflet de sa condition politique ; que, pour être établie et rester en dehors et au-dessus du mouvement des partis, elles doivent être appropriées à ses besoins, adaptées à son caractère, à ses mœurs, sans répugner à ses traditions ; que ce n'est qu'à ce prix qu'elles acquièrent de la force et surtout de la stabilité.

Votre devoir à vous, M. le ministre de la guerre, qui possédez le pouvoir, est d'y réaliser les aspirations, les idées que vous professiez avant d'y entrer. Vous déclarez que vous ne les avez pas abandonnées ; je vous en félicite. Vous êtes encore partisan du service personnel. Puisqu'il en est ainsi, ayez le courage de vos opinions ; apportez-nous un projet de loi qui en soit la fidèle expression. Nous le discuterons ; un échange d'idées s'établira entre nous ; s'il est bon, si l'on parvient à convaincre le pays qu'il est possible de compter sur le concours moral et l'abnégation de tous ses enfants, vous trouverez dans nos rangs des hommes qui n'hésiteront pas à le soutenir, sans autre préoccupation que celle de remplir leur devoir. Ah ! je comprends vos alarmes, votre défiance à aborder le débat auquel nous vous convions ; vous avez peur !

Vous connaissez la répugnance, je dirai l'horreur professée par les ultramontains pour le service personnel.

Voici en quels termes s'exprime leur fougueux organe, le Bien public :

« Pour notre part, nous sommes et nous continuons à être les adversaires du militarisme qui n'est que l'exaltation de la force trop souvent séparée du droit, une forme modernisée de l'esclavage païen et une source (page 228) inévitable d'appauvrissement et de décadence pour les peuples chez lesquels il prévaut. Nous croyons que les hommes politiques se trompent sur les conditions normales de notre existence nationale et d'une indépendance basée bien moins sur notre organisation militaire que sur notre droit et sur les intérêts contradictoires et rivaux des grandes puissances. Le césarisme est l'ennemi traditionnel des catholiques, et lorsque nous voyons l'esprit moderne s'ingénier à faire de chaque citoyen un prétorien, nous nous rappelons que des prétoriens à César, il n'y a que la distance d'un plébiscite ou d'un coup d'Etat. »

Vous tenez, messieurs, à connaître la raison pour laquelle le Bien public ne veut pas faire de chaque citoyen un prétorien, vous la rencontrerez dans l'exposé des motifs tiré d'un opuscule sur la question militaire, signé par M. de Garcia et publié dans le saint journal :

« S'il en faut croire les généraux, les remplaçants sont la lèpre de l'armée. Je le crois aussi. Mais cet aveu suffit à lui seul pour condamner le régime que l'on veut imposer au pays.

« Les remplaçants sont, en effet, le produit de la vie militaire ; ils sont le fruit naturel de l'armée.

« Pas n'est nécessaire, d'ailleurs, de descendre jusqu'aux remplaçants pour juger de l'effet de la vie de garnison et des habitudes du soldat. Tous nos miliciens partent croyants et moraux. Quelle transformation ont-ils subie quand ils rentrent chez eux ?

« Je sais bien que dans certain monde et dans le monde militaire en particulier, on appelle bagatelle les vices qu'on contracte au service. L'oubli de Dieu, c'est l'émancipation de l'esprit et l'abandon des préjugés, l'adoption de mœurs légères, c'est se dégourdir et se former. Eh bien, c'est cette bagatelle qui a perdu la France.

« Je ne calomnie pas l'armée, je constate un fait public.

« Dans les mouvements de troupes qui ont eu lieu en Belgique, qu'avons-nous vu dans nos communes rurales ? Le blasphème s'entendait partout, et le désordre courait les sentiers.

« Le corps des officiers, qui ne compte pas de remplaçants, ne diffère sous ce rapport en aucune façon des soldats. Il y a de nobles, de magnifiques exceptions, mais la règle reste inattaquable.

« Il est donc vrai de dire que la perte du sentiment religieux et l'affaiblissement des mœurs sont la conséquence fatale de la vie militaire oisive. Cela est aussi clair que le jour. La suppression du remplacement aggraverait singulièrement le mal ; l'armement de la nation le rendrait général. Ces deux mesures seraient souverainement impolitiques. »

La thèse soutenue par M. de Garcia est vraie, ajoute le Bien public, et le fond de cette thèse correspond au sentiment de l'immense majorité des Belges.

C'est à la presse, à nos députés, aux électeurs, ajoute-t-elle, à chaque père de famille, à chaque citoyen de faire prévaloir ce sentiment contre les entraînements du militarisme. Nous sommes bien résolu, pour notre part, c'est le Bien public qui parle, à seconder de tous nos efforts ce mouvement de résistance. Il y va des intérêts vitaux du pays et, à un autre point de vue, de l'avenir du parti catholique. Devant l'opinion et devant l'histoire, nous ne devons et nous ne pouvons accepter pour notre cause aucune solidarité entré les théories funestes à la liberté générale, à la liberté individuelle et à la pacifique prospérité de la Belgique.

M. le président. - Nous n avons pas à discuter les opinions des journaux.

M. Bouvier. - Les opinions des journaux que je cite sont celles d'un certain nombre de membres de la droite. (Interruption.) Récusez-vous le Bien public ? Vous ne l'oseriez pas : vous seriez excommuniés !

M. le président. - M. Bouvier, nous sommes au budget de la guerre.

M. Bouvier. - Hier, l'honorable M. Cornesse a également donné lecture de divers extraits de journaux ; je ne me suis pas aperçu que M. le président fait rappelé à la question.

M. le président. - La Chambre a décidé, à la fin de la séance d'hier, qu'elle discuterait aujourd'hui le budget de la guerre et rien que le budget de la guerre.

M. Bouvier. - J'y suis en plein, M. le président. Je continue.

La déclaration de ce journal si nette et si catégorique met le cabinet dans la plus fausse position ; elle le place, permettez-moi de le dire, sous une forme triviale, mais saisissante, entre le marteau et l'enclume : le marteau de M. le ministre de la guerre et de la commission militaire réclamant le service personnel et l'enclume des pointus cléricaux.

Je prédis que le ministre ne fera rien ; la commission est morte et enterrée, puisqu'on ne trouve plus de traces de son existence.

Le cabinet a peur, et s'il persiste dans ses idées de réforme, il sera frappé de l'excommunication majeure ; il subira le sort de l'ancien cabinet qui l'a encourue, lui, dans l'assemblée annuelle de l'œuvre du denier de Saint-Pierre, tenue à Gand le 10 de ce mois, sous la présidence de Mgr l'évêque du diocèse, assisté de MM. les sénateurs Casier et Solvyns.

Voici en quels termes se termine le rapport lu en présence de ces hauts personnages :

« Et lorsqu'un diplomate plus ou moins couvert de plaques et de cordons allait en notre nom saluer l'usurpateur subalpin, lorsqu'il prétendait nous représenter à l'inauguration du parlement italien, eh bien, ce diplomate calomniait la Belgique et, je le dis à regret, ceux qui lui avaient donné cette avilissante commission trahissaient notre confiance... Hélas ! leur chute soudaine devait bientôt attester la perpétuelle application de cette loi : « Honora patrem », honorez votre père afin de vivre longtemps sur la terre. (Très bien !) »

Si le cabinet actuel veut vivre longtemps, ce que je ne souhaite pas, il ne doit pas prolonger une dangereuse équivoque, mais se soumettre sans réplique aucune aux ordres des évoques, d'obéir perinde ac cadaver.

M. Bara. - Messieurs, j'ai pris le parti de demander la parole, chaque fois que des membres de la droite parleraient des prétendues émeutes du mois de novembre sans s'occuper des causes de cos agitations.

Or, M. Cornesse ayant parlé hier très longuement de ce qui s'est passé il y a quelque temps, j'ai demandé la parole sur le budget de la guerre.

Mais avant de répondre à M. Cornesse, permettez-moi de dire quelques mots en réponse à M. Balisaux.

Je ne sais si cet honorable membre, qui a prétendu que nous ne nous occupions ici que de choses stériles, a entendu parler de l'interpellation que j'ai faite, car en définitive c'est presque la seule discussion qui a eu lieu depuis la rentrée de la Chambre.

Depuis la rentrée, nous avons voté des budgets très rapidement. Mon interpellation s'est produite, mais elle n'a pas tenu la Chambre bien longtemps, car dès le deuxième jour, la droite prononçait la clôture de la discussion.

La crise ministérielle est survenue alors ; des explications étaient nécessaires, c'est le ministère lui-même qui a ouvert le débat sur ces explications,

M. Balisaux. - J'ai voté votre motion sur la nomination de M. De Decker.

M. Bara. - Je ne sais pas vraiment alors ce que vous avez entendu critiquer.

M. Balisaux. - J'ai apprécié l'ensemble des discussions de la Chambre.

M. Bara. - L'honorable membre nous dit qu'il apprécie l'ensemble des discussions de la Chambre. S'il fait allusion à ce qui s'est produit l'année dernière, je dirai que nous n'avons pas de responsabilité à assumer. C'est la majorité qui menait la discussion et, il faut bien le dire, elle n'a jamais donné à la gauche beaucoup de temps pour discuter, car à peine une discussion était-elle ouverte qu'elle demandait la clôture.

L'honorable membre se plaint de ce que l'on ne s'occupe pas assez de questions d'intérêt matériel.

Nous nous en occupons beaucoup au contraire, l'année passée nous n'avons pour ainsi dire fait que voter des crédits ; cette année, nous avons voté les budgets des crédits ; une loi sur les céréales. Nous nous sommes donc occupés de questions d'intérêt matériel. Mais, au surplus, je ferai remarquer que la thèse de l'honorable membre, voulant que les pouvoirs publics ne s'occupent surtout que de questions d'intérêt matériel, est une thèse dangereuse.

Il n'y a pas que des questions d'intérêt matériel dans la société, et je crois que nous consacrons trop peu de temps aux questions morales et exclusivement politiques ; il faut tenir compte que nous avons devant nous, tous les jours un corps électoral nouveau et dont il faut faire l'éducation.

L'honorable membre le comprenait lui-même. Quand il est entré dans cette Chambre, que disait-il ?

« La vraie cause des malheurs de la France est dans la démoralisation des races latines, dans le sensualisme, dans le matérialisme qui dominent aujourd'hui les populations. Ce chancre, soyez-en bien convaincus, nous ronge également. »

« Egalement, ne nous le cachons pas, la dégénérescence nous atteint. ».

Ainsi, l'honorable membre s'attachait à prouver que le matérialisme était trop répandu et nous invitait à réagir contre ce mal.

Quant aux travaux utiles accomplis par la Chambre, qu'il me permette (page 229) de lui faire à ce sujet une observation. Précisément l'année où le cabinet libéral avait fait le plus de lois sans caractère politique, où l'on avait réformé le code de commerce, où l'on avait fait la loi sur la milice, où l'on avait voté de grands travaux d'utilité publique, où l'on avait augmenté les subsides pour les maisons d'école, etc., où l'on ne s'était occupé pour ainsi dire que d'affaires, des élections ont eu lieu, et pourquoi mon honorable collègue n'a-t-il pas dit aux électeurs de Charleroi : Voilà des hommes qui se sont beaucoup occupés d'affaires ; tâchons de les maintenir au pouvoir ; ne rompons pas l'union.

Mon honorable collègue a trouvé, au contraire, que le moment était venu de laisser entrer à la Chambre quelques adversaires de notre opinion.

Quant au ministère qui nous a succédé, il a été loin d'avoir fait autant d'affaires que nous, pendant le même laps de temps. Son bilan est très court. A part une loi électorale, dont le but évident était d'écraser les libéraux, il ne nous a donné que quelques augmentations d'impôt et il ne nous a demandé que des subsides pour les événements militaires. Voilà tout ce qu'il a fait.

L'honorable M. Balisaux a été très sévère pour la garde civique, qui remplit son devoir avec courage et dévouement. Il faut bien le dire : lors des derniers événements, la garde civique de Bruxelles a subi une dure corvée ; elle n'a presque jamais dû donner, puisque les troubles, comme l'a reconnu l'honorable M, Jacobs lui-même, l'ancien ministre des finances, n'ont jamais pris un caractère tel, qu'il ait fallu requérir l'intervention active de la force armée.

La garde civique a été convoquée par les plus mauvais temps et elle s'est rendue avec le plus grand zèle à toutes les convocations et est restée sous les armes des heures entières.

Maintenant, l'honorable membre nous dit ; Je préfère l'armée. J'admets comme lui qu'il est des circonstances, quand la garde civique a été repoussée, où l'armée peut utilement intervenir, mais il faut d'abord et avant tout que la garde civique ait été appelée et reconnue insuffisante. Et puis, messieurs, la garde civique présente de grands avantages pour la répression des désordres ; elle est tout particulièrement à même d'apaiser les passions populaires, de calmer les troubles de la rue ; tandis que le concours de l'armée peut amener parfois de fâcheuses collisions.

C'est donc très sagement que notre législation dispose que la garde civique doit être d'abord appelée à intervenir.

Mais, dit l'honorable membre, la garde civique n'ira pas lutter contre des ouvriers ! J'ai peine à comprendre cette observation. Lors des troubles qui, il y a quelques années, ont eu lieu à Gand, la garde civique a fait son devoir. Est-ce que la garde civique de Bruxelles n'a pas comprimé des troubles que le renchérissement du prix du pain a provoqués il y a quelques années ? Est-ce que la garde civique de Liège, est-ce que la garde civique de Mons ne sont pas, plus récemment, intervenues efficacement pour réprimer les désordres qui avaient éclaté dans des centres ouvriers des environs de ces villes ? Est-ce qu'à Tournai, enfin, la garde civique n'a pas protégé les citoyens lorsque le peuple est descendu dans la rue contre les propagateurs des principes du libre échange ?

En un mot, je cherche vainement une circonstance où la garde civique n'aurait pas parfaitement rempli son devoir ; et je constate ce fait bien important, je pense que partout où la garde civique est intervenue, il n'y a pas eu effusion de sang ; tandis qu'avec l'armée (loin de moi la pensée de critiquer ce qui a été fait, je sais combien ont été difficiles les situations dans lesquelles elle s'est parfois trouvée), il n'est pas toujours possible de prévenir de sanglants conflits.

Nous ne devons donc pas attaquer la garde civique ou chercher à diminuer son prestige ; nous devons, au contraire, nous appliquer à faire respecter, à renforcer même son autorité. (Interruption.)

Ceci dit, messieurs, permettez-moi de répondre un mot à l'honorable M. Cornesse,

L'honorable membre s'est mis fort à l'aise : au lieu de répondre aux observations de l'honorable M. Frère, qu'a-t-il fait ? Il a dit : On accuse les membres de la droite d'être partisans des meetings et d'y exprimer certaines opinions.

Mais, messieurs, personne de nous n'a jamais dit cela, pas plus que personne n'a jamais accusé l'honorable M. Cornesse d'avoir été partisan de la réduction des dépenses militaires, avant son arrivée à la Chambre. Mais voici ce qu'on a dit à l'honorable membre comme à ceux qui se trouvent dans sa position.

Vous étiez d'avis autrefois qu'il était urgent de réduire les dépenses militaires et maintenant vous n'êtes plus de cet avis-là ; nous vous demandons l'explication de ce phénomène.

Que s'est-il passé, messieurs ? Il faut bien rappeler les faits. Tout le monde évidemment peut se rendre à un meeting quelconque ; le meeting offre à tous les citoyens le moyen de manifester librement leurs opinions et personne n'a jamais entendu blâmer les meetings. Mais, vous, M. Cornesse, vous avez dit telle chose à vos électeurs et plus tard vous avez fait diamétralement le contraire. Voilà ce que l'on blâme.

Quelle est, en effet, la position qu'a prise M. Cornesse ?

II importe de la faire bien connaître du public.

M. Cornesse se met toujours à côté de la question ; quand on lui reproche une palinodie, il entame un débat autre et ne parle pas du grief qu'on formule contre lui.

Voici le fait.

Avant l'élection du 14 juin, l'honorable M. Cornesse, parlant à ses électeurs, leur dit ceci :

« Le moment semble venu d'alléger les charges pour les familles et pour les contribuables. Jamais les circonstances ne furent plus favorables à un dégrèvement. Aucune puissance étrangère ne nous menace. Notre sécurité extérieure est complète. Le maintien du bon ordre à l'intérieur n'exige pas un vaste déploiement de forces militaires qui accable les nations et absorbe le plus clair du revenu public. »

Ainsi donc, il dit que le moment est venu d'alléger les charges militaires. On l'envoie à la Chambre pour profiter de ce moment.

Que fait-il ?

Le 2 juillet, alors que la guerre n'était pas déclarée, alors qu'on se trouvait dans la sécurité la plus complète, il entre au ministère avec l'honorable général Guillaume qui déclarait qu'il ne retranchera de l'armée ni un homme, ni un cheval, ni un canon ; quelques jours après, éclata la guerre entre l'Allemagne et la France.

L'honorable M. Cornesse change un peu d'opinion et il adresse au corps électoral une lettre dans laquelle il invoque les événements comme excuse ou circonstance atténuante.

Voyez la grande prévoyance pour un grand homme d'Etat !

Est-ce que les armées sont faites pour la paix ?

Quand l'honorable M. Cornesse parlait du budget de la guerre, avant le 14 juin 1870, il devait s'occuper, non de l'hypothèse de la paix, mais bien de l'éventualité possible de la guerre.

Y aurait-il un représentant sérieux qui voulût voter un contingent de 12,000 hommes si nous étions certains de ne jamais avoir la guerre ?

Certes, une armée de 15,000 à 20,000 hommes suffirait pour maintenir l'ordre dans l'intérieur du pays. Je suis sûr que l'honorable général Guillaume est de mon avis sur ce point.

Donc l'honorable M. Cornesse, quand il parlait à ses électeurs, devait prévoir l'éventualité de la guerre.

Eh bien, messieurs, la seconde élection a lieu et il rentre à la Chambre. On fait des interpellations aux ministres sur leurs intentions au sujet du budget de la guerre. L'honorable général Guillaume maintient son opinion et M. d'Anethan déclare qu'on a accepté l'organisation militaire actuelle de l'armée, qu'on maintient le statu quo, qu'on ne changera rien, sauf examen ultérieur et si l'examen ultérieur démontre qu'il y a quelque chose à faire. Voilà donc les conditions, indiquées par M. d'Anethan, de la formation du ministère. M. Cornesse est très gêné de cette déclaration ; on l'interpelle à ce sujet et il répond : « Je m'expliquerai. » Le 24 août 1870, il déclare qu'il s'expliquera, et ce n'est que le 22 décembre 1871 qu'il consent à nous fournir ses explications. Tant qu'il est resté dans le ministère, il ne s'est jamais expliqué. Maintenant qu'il est sorti du ministère, il s'explique. La palinodie est claire, elle est nette.

Nous avons devant nous un honorable membre qui a déclaré que, dans sa conviction, les dépenses militaires devaient être réduites, que le moment était venu de les réduire, et qui est entré dans un ministère qui avait admis comme principe la non-réduction des dépenses militaires et qui pendant seize mois qu'il y est resté n'a pas fait la moindre chose en faveur de la réduction des charges militaires. Il est donc impossible, messieurs, que l'honorable membre prétende qu'il n'a jamais commis de palinodie ; il a complètement changé d'opinion, et il n'a pas rempli les promesses qu'il avait faites au corps électoral.

Maintenant, messieurs, l'honorable membre, reprenant ce que M. de Kerckhove avait dit, soutient que ce sont les émeutes, les troubles qui ont eu lieu qui ont compromis l'avenir du pays. Messieurs, l'honorable membre ne parle que des émeutes ou plutôt des troubles, mais il ne parle jamais des causes de ces agitations. Les deux choses sont cependant inséparables.

Comment ces troubles sont-ils nés ? Vous le savez parfaitement. C'est parce que vous aviez fait une nomination des plus critiquables, des plus impossibles, une nomination qui a froissé le sentiment public, que (page 230) l'émotion a eu lieu dans la rue. Et vous supprimiez la cause pour ne parler que des émeutes. Mais la cause est bien plus importante que l'effet, car en définitive quel était votre but ? Vous vouliez tenter la réhabilitation des hommes des sociétés Langrand ; vous vouliez mettre à la tête des fonctions publiques les plus importantes du pays des hommes qui s'étaient compromis dans ces affaires. (Interruption.) Celait parfaitement clair, c'était votre but très nettement indiqué.

Eh bien, cela est plus dangereux pour la moralité publique, bien plus dangereux pour une nation que le fait de quelque émotion dans la rue. Les agitations de la rue sont passagères, tandis que la corruption qu'on introduit dans les mœurs reste et produit pour l'avenir les résultats les plus terribles, les plus désastreux.

Voulez-vous, messieurs, que je vous fasse connaître à cet égard l'opinion d'un homme dont vous accepterez tous l'autorité, l'opinion d'un magistrat philosophe qui a écrit sur cette matière et qui a apprécié ce qui s'était passé lors du système de Law, et les troubles qui ont eu lieu à cette époque ? Voici ce qu'il disait :

« J'ai souvent entendu critiquer les agitations politiques de la Fronde et reprocher sérieusement à cette petite guerre d'avoir donné un programme et fourni des procédés aux révolutions politiques qui sont venues plus tard. On prétend que le peuple y apprit de la bourgeoisie, la bourgeoisie des magistrats et des princes, à méconnaître l'autorité. Sans doute on y vit agir contre les lois ce génie français, inquiet, mobile, ardent au combat, mieux fait pour commander que pour obéir ; mais le sentiment moral garda dans ce désordre un certain empire. Ce ne fut pas pour s'enrichir sans travail, grandir sans talent, prospérer sans mérite, qu'on combattit Mazarin. Si Retz est dans la Fronde, si c'est l'ambition qui l'y met, le président de Bellièvre y est aussi, et c'est un des plus grands magistrats que la France ait connus. En général, la guerre civile exalte les âmes et les livre à de funestes excès, mais ne les abaisse pas. Aussi le mal que la Fronde avait fait fut bientôt réparé, tandis que nous souffrons encore de celui qu'a causé cette guerre civile de la cupidité soulevée par la spéculation, entretenue par l'agiotage, alimentée par le luxe. Je n'hésite pas à dire que cette année 1720 (année dans laquelle le système de Law a produit le plus de ravages) a été plus funeste au repos et à l'avenir de la société française, qu'une année de peste, de disette ou même d'extermination. »

Ce langage, messieurs, est celui d'un magistrat, de M. Oscar de Vallée, avocat général à la cour de cassation de France. Eh bien, oui, je le dis aussi, les six ou sept années pendant lesquelles ont sévi les sociétés de M. Langrand-Dumonceau ont été plus nuisibles à la Belgique que les quelques jours d'agitation que nous avons traversés.

Croyez bien, messieurs, que le mal est profond. Je dois regretter que les choses en soient arrivées à ce point que tout un parti politique ne sache pas se dégager de ces affaires financières, que nous voyions dans cette Chambre toute la droite, sans exception, par esprit de parti, applaudir à des actes que la plupart de ses membres blâment, quand ils sont en particulier.

Je dis que c'est là une cause de démoralisation beaucoup plus grande que les courtes agitations dont nous avons été témoins.

Aussi je prie les honorables anciens ministres qui parleront désormais des prétendues émeutes du mois de novembre, où il n'y a eu ni mort d'homme, ni sang versé, ni atteinte grave à la propriété, de ne plus faire abstraction des causes de ces troubles. Je les engage à faire un examen de conscience, à voir s'ils ne sont pas eux-mêmes bien plus coupables que ceux qui ont pris part à ces manifestations.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, si je prends la parole pour la deuxième fois dans cette discussion, c'est parce que je ne veux pas me laisser broyer comme entre les cylindres d'un laminoir par les idées patriotiques des honorables MM. Frère-Orban, Van Humbeeck et le ministre des finances.

D'après ces honorables membres, ceux qui ne partagent pas leur manière de voir n'aiment pas leur pays et sont de mauvais citoyens.

Ce système d'argumentation, messieurs, s'il pouvait prévaloir dans les assemblées publiques, rendrait impossible toute discussion approfondie et, par suite, toute amélioration dans les services publics. Je croyais, messieurs, que depuis longtemps ce système d'argumentation avait été abandonné et j'ai vu avec peine qu'à l'occasion de la discussion actuelle, il a fait sa réapparition dans cette Chambre.

Pour ce qui concerne l'honorable M. Frère-Orban, les événements de l'année dernière ne lui ont rien appris. Telle qu'il a voté l'organisation de 1868, telle il veut la maintenir aujourd'hui ; elle est bonne, elle est excellente, il n'y a pas à y toucher. Peut-être consentirait-il à l'étendre un peu, à en modifier certaines parties, mais, en elle-même, cette organisation est parfaite ; il serait dangereux d'y toucher.

Je ne saurais, messieurs, discuter en présence d'une affirmation aussi inflexible, en présence d'une opinion qui est démentie de la façon la plus formelle et la plus directe, même par l'honorable ministre chargé du département de la guerre, dans le rapport qu'il nous a fait sur les opérations de l'année dernière,

A une affirmation de ce genre, je ne puis opposer qu'une chose : c'est une dénégation aussi catégorique, aussi énergique. Voilà ce que je me borne à faire pour le moment.

Quant à l'honorable M. Van Humbeeck, il n'y a pas mis autant de roideur. Il a admis dans un programme public qu'on pouvait demander des diminutions sur les dépenses militaires, bien entendu pour autant qu'elles fussent compatibles avec la défense nationale.

On dira peut-être que cela n'engageait pas à grand-chose, mais moi j'accepte comme loyales et sincères les paroles telles qu'elles sont émises par mon honorable collègue ; je n'ai aucune raison pour les suspecter, et je suis convaincu que si des hommes compétents, le maréchal Mac-Mahon, par exemple, venaient dire à l'honorable membre qui représente la ville de Bruxelles : Moi aussi j'étais de votre avis l'année dernière, je croyais alors que la conscription, la substitution et le remplacement, tels qu'ils sont organisés chez vous, nous offraient les éléments d'une armée invincible et une sécurité complète. Depuis, je dois l'avouer, mon opinion a changé ; depuis j'ai vu des journées qui l'ont considérablement modifiée. A Werth, j'avais sous mes ordres la fleur de l'armée française, la fleur des conscrits du sort, des remplaçants, la fleur des zouaves et des turcos ; j'avais devant moi des boutiquiers, des laboureurs qui, huit jours auparavant, étaient paisiblement à leur travail. Six heures de temps ont suffi pour me démontrer que mon organisation n'était pas la plus parfaite du monde.

S'il s'adressait ensuite à un autre homme aussi compétent, je pense, que le maréchal Mac-Mahon ; s'il s'adressait au maréchal Bazaine, lui aussi se trouvait à la tête d'une armée composée exactement d'après le système de l'armée belge ; en trois journées il a fait l'expérience suivante : c'est que ces armées n'ont pas couvert le pays contre l'invasion et de plus, que la grande forteresse de Metz, qui a été l'un des modèles de la forteresse d'Anvers, a tout simplement servi de souricière où il s'est laissé prendre.

Je pourrais également renvoyer l'honorable membre à un troisième homme très compétent, à un homme qui a même exercé une grande influence dans nos discussions, il y a trois ans, au général Trochu.

Je demande quelle serait l'opinion du général s'il devait rediscuter les questions d'organisation de l'armée dans l'état actuel de son expérience.

Je suis donc convaincu que l'honorable membre, quand il a dit qu'il était prêt à examiner les questions de modifications des dépenses militaires, au point de vue de la meilleure organisation de la défense du pays, serait tout disposé à examiner sincèrement, loyalement toutes les questions que ferait de nouveau soulever la défense nationale.

Quant au ministre des finances, il a été plus loin. Je prends acte des déclarations qu'il a faites à cette assemblée ; ne nous a-t-il pas dit, en effet : Prenons-y garde ; dans les questions militaires il n'y a pas seulement à examiner les meilleurs moyens de défendre, en temps de guerre, les frontières du pays ; il y a d'autres questions tout aussi importantes, tout aussi graves. Et, citant ces questions, il a indiqué la question sociale.

En présence de l'agitation produite sur les membres de l'assemblée par ces paroles, il n'a pas développé ses idées. Mais il me sera permis d'interpréter sa pensée ; si je ne l'interprète pas exactement, M. le ministre me démentira.

L'honorable ministre des finances s'est dit : S'il m'était démontré que l'organisation actuelle de l'armée introduit dans une partie de la population, probablement même dans une grande partie de la population, des causes de désorganisation, des causes de ruine, des causes d'affaiblissement, nous aurions à examiner très sérieusement la question.

En effet, une nation affaiblie, une nation rendue mécontente par l'appauvrissement continu d'une majeure partie de ses membres n'est pas aussi forte dans les moments d'épreuve qu'une nation placée dans de meilleures conditions.

Je dois le dire : si l'honorable ministre des finances veut examiner sérieusement la question, à ce point de vue, sous tous ses aspects, je suis prêt à la discuter avec lui.

Depuis que nous sommes sur ces bancs, nous n'avons jamais demandé autre chose. Nous avons toujours demandé que l'on examinât à fond la question militaire. Mais qu'a-t-on toujours fait ? Comment a-t-on toujours procédé ? A deux reprises différentes, on a chargé des commissions de se (page 231) livrer à cet examen. La première fois, lorsque j'ai dû caractériser l'une de ces commissions, je l'ai comparée à une commission d'allopathes, chargée d'examiner le système homéopathique et dans laquelle les homéopathes ne seraient pas représentés. La commission qui vient d'être nommée a été exactement formée dans les mêmes conditions.

Les questions que l'on doit y traiter ne peuvent pas être examinées à fond, faute de contradicteurs et si le rapport d'une semblable commission devait être déposé soit devant la chambre des communes, soit à la chambre des représentants des Etats-Unis, il serait ce qu'on appelle tablé, c'est-à-dire renvoyé au bureau des renseignements, comme n'offrant pas toutes les garanties d'une impartiale investigation.

Dans un de mes précédents discours, j'avais signalé comme devant être, pour nous, un objet d'étude très sérieux l'organisation de l'armée suisse. Je n'ai jamais dit : Nous devons accepter cette organisation ; seule elle est bonne ou parfaite ; ni davantage : Il faut la repousser.

Je l'avais seulement signalée comme une organisation qui, dans les derniers événements, avait fait preuve d'une efficacité plus grande que la fameuse organisation que nous avons acceptée il y a trois ans. Et, en effet, que s'est-il passé lors des événements de l'année dernière ? En trois jours, une première armée de 50,000 hommes était rangée le long de la frontière ; au bout de six semaines, cette première armée a été renvoyée dans ses foyers et remplacée par une autre armée de 50,000 hommes ; et comme les événements militaires s'étaient éloignés de la frontière suisse, on n'a pas fait appel à la troisième armée de 50,000 hommes qui était également prête et ce n'est que dans le courant de l'hiver, quand l'armée du général Bourbaki a été refoulée sur le territoire suisse, qu'on a dû rappeler quelques corps pendant un certain temps.

Eh bien, que nous a dit M. le ministre de la guerre ? Il nous a avoué qu'il n'aurait pu disposer que de 50,000 hommes, s'il en avait eu besoin, et, en effet, je crois qu'il a plutôt exagéré qu'amoindri la situation : c'est-à-dire que la Suisse qui, en temps de paix, ne dépense que 2 1/2 millions de francs pour son établissement militaire, a pu réunir successivement trois armées de 50,000 hommes sans toucher à sa réserve, tandis que nous n'aurions pu mettre en ligne que 50,000 hommes, alors que nous dépensons annuellement 34 millions de plus que la Suisse, et que notre prise d'armes de l'an dernier a coûté trente millions en dehors du budget.

Voilà, je pense, notre organisation jugée dans ses effets pratiques.

L'honorable M. Van Humbeeck a cru devoir répondre à cette partie de mon exposition ; il a dit : oui, l'organisation suisse peut être bonne, mais pour la Suisse seulement. C'est un pays de montagnes où une armée constituée comme l'est l'armée suisse peut rendre des services. Chez nous, il n'en serait pas de même.

Je vais démontrer que cet argument n'a aucune valeur.

M. Van Humbeeck. - Il est du gérerai Dufour.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Qu'importe ! En 1866, lors de la guerre entre l'Autriche et la Prusse, l'armée autrichienne était, au dire de tous nos journaux militaristes, au dire de tous les journaux militaires et militaristes français, au dire de tous les hommes soi-disant compétents, supérieure en qualité sinon en nombre à l'armée prussienne.

L'armée autrichienne se trouvait retranchée en Bohême à l'abri d'une ceinture de montagnes, les montagnes des Géants, qui enveloppent toute la Bohême et dont les passages, d'après tous ceux qui les ont traversés, sont aussi difficiles que peuvent l'être ceux de la Suisse et sont en outre garnis de nombreuses fortifications.

La seule ouverture de ces montagnes est occupée par le grand camp retranché d'Olmutz.

Or, qu'avons-nous vu ? Nous avons vu l'armée prussienne composée, comme vous le savez, de gens en partie venant directement de leurs échoppes et de leurs charrues.

M. Van Humbeeck. - Mais ayant trois ans de service.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Nous l'avons vue traverser ces gorges malgré Benedek ; et son armée invincible et aller à Sadowa, mettre fin, selon moi, aux armées permanentes.

Mais si cette expérience ne vous suffit pas et si vous venez soutenir que les milices suisses auraient mieux défendu les montagnes des Géants que l'armée de Benedek, qu'est-ce qui empêche de croire que les mêmes milices ne se seraient pas trouvées moins fortes dans les plaines que dans les montagnes ?

Rien ne m'autorise à penser que ces mêmes défilés de la Bohême qui n'ont pu être défendus par les soldats autrichiens, auxquels on ne contestera ni la discipline, ni le courage, ni la force physique, auraient été mieux défendus par les milices suisses.

L'année dernière, messieurs, le même maréchal Mac-Mahon, dont je vous parlais tout à l'heure, se trouvait aussi au pied des Vosges et les Vosges ont toujours été considérées comme offrant une ceinture naturelle de fortifications pouvant couvrir parfaitement la France. Nous savons ce qui est arrivé de l'armée du maréchal Mac-Mahon et nous avons vu si les Vosges, avec toutes ses fortifications, avec Salsbourg, Bitche et ses autres places fortes, sont parvenues à arrêter un instant l'armée prussienne.

Vous voyez donc bien, messieurs, que cet argument n'a pas de valeur, à moins de soutenir, comme je le disais tout à l'heure, que les milices suisses sont capables de défendre des défilés dans les montagnes, alors que les armées organisées comme la nôtre et composées de miliciens et de remplaçants ne peuvent pas les défendre. Voilà la seule conclusion qu'on pourrait tirer du discours de l'honorable membre.

Quant à moi, je pense qu'il ferait bien de pendre cet argument avec les fusils à roue et à pierre dans les musées d'armes anciens et dans les panoplies des guerriers de cabinet.

Je vais vous dire, messieurs, pourquoi on ne veut pas ici de l'organisation militaire suisse ; je vais vous le dire franchement et carrément. On n'en veut pas, parce qu'en Suisse, comme je le disais l'autre jour, les classes supérieures qui composent les états-majors consentent à servir pour l'honneur et par patriotisme. L'état-major de l'armée suisse ne coûte pas 200 mille francs par an.

Ici il coûte plus de 14 millions, et dans la dernière organisation, sur une augmentation de 1,900,000 francs qui nous était demandée pour le budget de la guerre, 1,400,000 francs étalent destinés à l'état-major, et si nous voulons suivre l'honorable M. Bouvier et l'honorable ministre de la guerre dans les augmentations qu'ils proposent...

M. Bouvier. - Je ne propose rien du tout en fait d'augmentation.

M. Le Hardy de Beaulieu. - ... qu’ils proposent pour les états-majors, si nous créons les états-majors des 4ème et 5ème bataillons, nous verrons encore une augmentation au moins aussi considérable dans nos dépenses.

Voilà, réduit à sa vérité simple et claire, le pourquoi de la résistance à l'application du système suisse dans notre pays.

Messieurs, j'aurais peu de chose à ajouter pour justifier complètement le vote négatif que je vais émettre sur le budget de la guerre, et pour appeler, si c'est possible, l'examen un peu plus complet de toutes les questions que ce budget soulève au point de vue du bien-être d'une grande partie de la population, si je n'avais à dire quelques mots sur une question qui a été, pour la première fois dans cette Chambre, soulevée hier en termes clairs et précis par l'honorable M. Balisaux.

Cet honorable membre hier, avec une franchise que je me plais à lui reconnaître, vous a indiqué pourquoi un grand nombre de membres de cette Chambre et probablement une partie notable de la population en Belgique consentent à se soumettre aux charges du budget de la guerre.

Il nous a dit : Il est possible qu'au point de vue de la défense nationale, l'honorable M. Frère, du reste, l'a reconnu, si les deux grandes puissances voisines étaient d'accord pour nous écraser, nous ne serions pas capables de leur résister ; il est possible que nous ne puissions pas résister ; mais nous avons besoin d'une armée pour maintenir l'ordre intérieur. Et c'est là, en vérité, le grand mot, le vrai mot lâché !

C'est au point de vue du maintien de l'ordre intérieur qu'un grand nombre de nos collègues consentent à voter le budget de la guerre. Eh bien, messieurs, s'il en était ainsi, je dois déclarer que j'en serais profondément affligé.

Il est impossible qu'un ordre de choses subsiste longtemps s'il ne peut se soutenir que par la force d'une armée plus ou moins nombreuse. Les bons gouvernements et les bonnes lois doivent se soutenir tout seuls, par l'intérêt qu'ont tous les habitants du pays à vivre sous de bonnes lois et sous un bon gouvernement.

Si l'argument employé hier par l'honorable M. Balisaux était vrai, ce serait la condamnation formelle de notre gouvernement et de nos lois, et nous devrions immédiatement examiner à ce point de vue, quels sont les points de notre législation qui froissent nos populations au point de devoir les défendre par la force.

Ce n'est pas le moment d'entrer dans cet ordre d'idées, mais j'espère que, dans l'examen que l'on fera de nos institutions militaires, ce point ne sera pas négligé. J'ai cru devoir y appeler aujourd'hui toute votre attention et toute l'attention du pays.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Messieurs, je ne suivrai pas l'honorable membre, qui vient de se rasseoir, dans ses appréciations fantastiques sur les événements dont nous avons été témoins.

(page 232) D'après lui, le maréchal Mac-Mahon n'a eu à combattre que des laboureurs.

La Suisse est parvenue à mettre successivement sur pied trois armées de 50,000 hommes avec une dépense de 2 1/2 millions,

Tout cela n'est pas sérieux.

Je me bornerai à faire remarquer à l'honorable membre que si la Suisse a fait face aux difficultés qui se sont produites, il faut également reconnaître que la Belgique s'est tirée avec honneur de la situation critique où elle s'est trouvée placée.

L'honorable M. Vleminckx m'a demandé des explications relativement à l'intendance.

Messieurs, dans le rapport que j'ai eu l'honneur de déposer, j'ai constaté que la grande difficulté que nous avons rencontrée pour organiser le service administratif provenait de ce qu'en temps de paix on entretient seulement 22 intendants, tandis qu'il en faut 45 en temps de guerre. Or, il est impossible de tirer de l'armée les éléments nécessaires pour remplir convenablement ces 23 vacances à un moment donné.

La section centrale m'a demandé si la situation dans laquelle on se trouve n'offrait pas quelque danger pour le cas où certaines éventualités viendraient à se produire. J'ai répondu à la section centrale que, d'après moi, la situation est bonne, en ce sens qu'il serait plus facile aujourd'hui qu'en juillet 1870, de passer du pied de paix au pied de guerre. En effet, par suite de l'élargissement des cadres qui a eu lieu lors de la mobilisation de l'armée, le chiffre des intendants se trouvait élevé à 35.

L'honorable M. Vleminckx me demande si j'avais le droit d'augmenter les cadres.

Je rappellerai qu'au mois de juillet 1870, la Chambre a voté une loi qui a autorisé l'élargissement des cadres.

Je crois avoir usé avec beaucoup de modération de celle faculté et n'avoir créé à cette époque que ce qui était indispensable. Et ce que j'ai l'honneur de dire à la Chambre est tellement vrai, que, dans l'état actuel des choses, il n'y a au-dessus des cadres de paix que six fonctionnaires de l'intendance, 22 officiers d'infanterie et 8 officiers de cavalerie.

Dans quelques mois, nous serons donc rentrés dans les limites des chiffres organiques. L'honorable M. Vleminckx m'a demandé où en est la question du pain. Je commencerai par rendre hommage à l'empressement et au patriotisme avec lesquels la commission a bien voulu se charger de l'examen de cette question. Elle a fait un rapport extrêmement complet et intéressant ; mais il ne me suffisait pas d'avoir ce rapport ; il fallait aviser aux moyens de réaliser les idées de la commission ; il a fallu étudier les questions relatives à la meunerie, aux fours, etc. Tout cela a demandé du temps ; j'ai dû même envoyer des officiers à l'étranger. Actuellement l'étude est à peu près complète et je pense que nous pourrons aboutir prochainement. (Interruption de M. Vleminckx.)

Il est évident qu'il sera impossible d'améliorer le pain sans qu'il en résulte une certaine augmentation permanente de dépenses. Mais il est à considérer que, par suite du perfectionnement des procédés qui seront employés, on rentrera par la suite dans cette partie de la dépense que nécessitera le premier établissement.

M. Dumortier. - Je ne veux pas entraver la clôture de la discussion du budget de la guerre, mais je dois faire toutes mes réserves sur l'espèce d'éloge de l'émeute qu'a fait tout à l'heure M. Bara.

Je fais mes réserves, pour que le pays ne croie pas que la droite sera silencieuse quand cette question se produira au parlement.

M. Vleminckx. - Je demande que M. le ministre de la guerre veuille bien compléter ses explications.

J'ai fait deux questions sur nos forteresses ; j'insiste pour qu'il veuille bien y répondre ; je désire savoir s'il entre dans les intentions du gouvernement d'étendre notre système de forteresses.

Je demande s'il a abandonné l'idée de fortifier Termonde et s'il n'a pas conçu celle d'élever de nouvelles fortifications sur la Nèthe.

M. le président. - Je croyais que M. Vleminckx voulait parler de la fabrication du pain. Dans ce cas, la clôture aurait été probablement exigée. Les membres qui ont réclamé la clôture maintiennent-ils cette demande ?

- Des membres. - Non, non.

M. Van Humbeeck. - Je n'ai que deux mots à dire. Si l'on réclame la clôture, je serai forcé de la combattre ; il me faudra pour cela autant de temps que pour présenter les courtes observations que je désire soumettre à la Chambre.

M. le président. - Vous avez la parole, M. Van Humbeeck.

M. Van Humbeeck. - Je dois quelques mots de réponse à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, L'honorable membre avait répondu une première fois à un discours que j'ai prononcé il y a quelque temps.

Il m'avait reproché alors de n'avoir pu répondre h aucun de ses arguments et d'en avoir été réduit, en avocat habile, ce sont ses propres expressions, à chercher à le mettre en contradiction avec lui-même.

Depuis, paraît-il, l'honorable membre m'a fait l'honneur de relire ce discours. Il y a sans doute découvert, à la suite de cet examen, des arguments qu'il n'avait pas remarqués d'abord et auxquels il répond aujourd'hui.

L'honorable membre n'admet pas mes appréciations sur l'armée suisse ; j'ai dit qu'elle pouvait être excellente sur le terrain où elle était appelée à opérer, mais qu'elle n'aurait pas la même valeur en Belgique.

En m'exprimant ainsi, je n'exposais pas mon opinion. Je me fondais sur celle d'un homme qui, par ses connaissances spéciales et sa nationalité, devait avoir, aux yeux de l'honorable membre, une double autorité. Je veux parler du général Dufour. Lorsque j'ai tout à l'heure rappelé à l'honorable membre, dans une interruption, que je m'appuyais sur cette autorité, il m'a dit qu'il n'admettait pas plus l'appréciation dans la bouche du général Dufour que dans la mienne.

Je m'attendais dès lors à une réfutation triomphante. Je l'ai attendue en vain.

Les raisons que l'honorable membre m'a opposées se réduisent à deux. La première qu'il a produite en dernier lieu, mais que je rencontrerai tout d'abord, c'est qu'on repousse l'organisation suisse en Belgique, parce les états-majors ne coûteraient plus assez cher.

Je vous demande, messieurs, si une pareille insinuation appartient encore au domaine d'une discussion courtoise. Comment ! on incrimine nos intentions ; on prétend qu'en votant des sacrifices onéreux, mais que nous croyons indispensables, nous obéissons, non pas à une conviction profonde et loyale, à un devoir qu'imposent l'indépendance de la nation et les conditions de son existence, mais à je ne sais quel puéril amour-propre de posséder des états-majors plus coûteux et plus brillants.

Si de pareils procédés de discussion pouvaient être admis dans cette Chambre, le niveau de nos discussions baisserait considérablement. Des raisons de ce genre, que je ne veux pas qualifier d'arguments, ne servent guère la cause au service de laquelle on croit devoir les mettre.

Une autre raison, qui n'a pas le même caractère, est celle-ci : les armées permanentes ont définitivement vécu ; elles ont été condamnées à Sadowa, et depuis lors elles ont encore été condamnées à Werth, à Frœshwiller, dans tous les grands combats de la guerre franco-prussienne. Par conséquent, selon l'honorable membre, l'armée suisse a une valeur plus grande que les armées permanentes et nous sommes mal fondés à maintenir notre organisation militaire et les dépenses considérables qu'elle entraîne.

N'avons-nous tiré aucun enseignement des grandes victoires de l'armée prussienne composée d'hommes qui arrivaient directement de leurs échoppes ou de leurs champs ?

Ou cela ne signifie rien, ou cela veut dire que l'armée prussienne n'est pas une armée permanente. Eh bien, messieurs, si l'observation de l'honorable membre doit être ainsi interprétée, je n'ai qu'un mot à y répondre : c'est que notre armée n'est pas plus une armée permanente que l'armée prussienne.

Dans l'armée prussienne, le soldat sert d'abord pendant trois ans ; après cela, il est à la disposition du gouvernement pendant quatre ans dans la réserve, et pendant cinq autres années dans la landwehr. De sorte qu'en réalité l'armée prussienne, lors de la mise sur pied-de guerre, compte neuf douzièmes de soldats qui arrivent directement de leurs échoppes ou de leurs champs, pour répéter l'expression de l'honorable membre.

Or, messieurs, n'en est-il pas exactement de même de l'armée belge ? Dans l'infanterie on ne sert que pendant deux ans et quelques mois, de manière que quand nos dix classes sont au grand complet, plus des sept dixièmes des hommes présents viennent de leurs foyers, sont enlevés à la vie civile. Si donc l'honorable membre n'attribue pas le caractère d'armée permanente à l'armée prussienne, il ne lui est point permis de donner encore ce nom à notre propre armée.

Voilà ce que j'avais à répondre à l'honorable membre ; je ne veux pas prolonger davantage le débat.

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, le gouvernement doit compte à la Chambre de ses actes, mais il ne peut ni ne doit, en cette circonstance, faire connaître ses intentions futures.

Il est bien clair, en effet, que le cabinet, à peine formé, n'a pu délibérer sur toutes les questions que l'avenir peut faire surgir.

Je déclare que le cabinet n'a pas eu à délibérer jusqu'à présent sur les questions que l'honorable M. Vleminckx a indiquées tout à l'heure.

(page 235) M. Rogier. - Messieurs, dans la séance du 16 décembre, j'avais demandé la parole, que je n'ai pu obtenir qu'aujourd'hui.

On me dit qu'avant mon arrivée, mon nom avait été appelé par M. le président, mais j'avoue que je ne m'attendais plus à cette bonne fortune.

J'avais demandé la parole il y a huit jours, lorsque l'honorable M. de Theux revenant, je ne sais pourquoi, sur un passé déjà fort éloigné, a incriminé l'opinion libérale à l'occasion de la scission qui s'est opérée entre les deux partis.

II a ajouté que ce qu'il avançait était un fait constaté par l'histoire et que l'on ne saurait nier.

Je répondrai à l'honorable M. de Theux en deux mots : c'est que ce qu'il a soutenu est, à mon avis, absolument le contraire de la vérité historique.

Je ne veux pas, en ce moment, revenir sur ce passé, qui a été condamné par les amis mêmes de l'honorable M. de Theux ; plusieurs ont eu la loyauté de reconnaître que le parti catholique avait, à cette époque, commis une faute bien regrettable.

Voilà ce qui est historique. Je me propose de reprendre la question lorsque nous serons de nouveau placés sur le terrain politique à l'occasion du budget de l'intérieur.

Je présume que M. le titulaire de ce département a pensé aussi que la réponse qu'il doit à l'honorable M. Pirmez serait mieux à sa place dans la discussion de son budget ; jusqu'ici, il n'a pas fait de réponse à ce discours qui, cependant, en méritait une. Il a donc ajourné son adversaire à la discussion du budget de l'intérieur. Eh bien, j'attendrai aussi cette discussion pour répondre plus amplement à l'honorable M. de. Theux.

- La discussion générale est close ; l'assemblée passe à la discussion des articles.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Article premier

« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Traitements des employés civils : fr. 153,910.

« Charge extraordinaire : fr. 900. »

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Messieurs, la section centrale signale à l'attention de la Chambre la position extrêmement fâcheuse dans laquelle se trouvent les fonctionnaires civils du département de la guerre. En effet, quand on compare leur sort à celui des fonctionnaires des autres départements, on constate qu'ils sont réellement placés dans une position d'infériorité marquée. Dans tous les autres départements, les fonctionnaires peuvent, par leurs travaux, leur zèle, leur intelligence, arriver aux positions de chef de division, de directeur, de directeur général, de secrétaire général, tandis qu'au département de la guerre aucune de ces positions n'existe pour les fonctionnaires civils ; le grade le plus élevé auquel ils peuvent prétendre, est celui de sous-chef de division.

Messieurs, si la Chambre voulait augmenter le crédit qui est demandé, de la somme de 5,000 francs, il y aurait moyen de régler l'avancement de ces honorables fonctionnaires d'une manière convenable et satisfaisante.

Je propose donc que ce crédit soit majoré de 5,000 francs.

- L'article, ainsi amendé, est adopté.

Articles 3 et 4

« Art. 3.. Supplément aux officiers et aux sous-officiers employés au département de la guerre : fr. 16,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Matériel : fr. 50,000. »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5. Dépôt de la guerre : fr. 19,000.

« Charge extraordinaire : fr. 175,000. »

M. Le Hardy de Beaulieu. – Je prends la parole pour demander à M. le ministre de la guerre des renseignements sur l’avancement à la carte du dépôt de la guerre. Il y a quelques années, le crédits était de 100,000 francs ; nous avons consenti à le porter à 175,000 francs. Il avait été entendu alors que cette carte serait achevée dans un très bref délai ; je crois même qu’on avait assigné le terme de trois ans Je demanderai à l’honorable ministre s’il pense que les époques qui ont été fixées alors seront maintenues et si les dépenses que le pays veut bien faire pour l’exécution de cette carte ne seront pas dépassées.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - La Chambre a consenti à faire la dépense de la carte et elle a reconnu qu'il était nécessaire de mettre, pendant six années, à la disposition du ministre de la guerre, le crédit qui est encore pétitionné aujourd'hui. Je reconnais que ces six années expirent avec l'année courante et qu'en 1872 ce sera la septième année que le crédit est demandé. Je ferai remarquer qu'il est survenu, dans ces six années, des circonstances particulières, telles que les événements de 1870 qui ont fait suspendre les travaux de la carte et ont obligé à faire des dépenses exceptionnelles. D'un autre côté, on a rencontré des difficultés et des mécomptes qui ont dérangé les estimations qui avaient été faites. Quoi qu'il en soit, le crédit pour 1872 sera le dernier des crédits exceptionnels demandés pour la confection de la carte.

- Le chiffre est adopté.

Chapitre II. Etats-majors

Articles 6 à 8

« Art. 6. Traitement de l'état-major général : fr. 862,450. »

- Adopté.


« Art. 7. Traitement de l'état-major des provinces et des places : fr. 324,512 50. »

- Adopté.


« Art..8. Traitement du service de l'intendance : fr. 171,520. »

- Adopté.

Chapitre III. Service de santé des hôpitaux

Article 9

« Art. 9. Traitements des officiers de santé : fr. 254,460 90.

« Charge extraordinaire : fr. 1,000. »

M. Bouvier. - Messieurs, dans la discussion du projet de loi sur la mise à la retraite des officiers de santé, il avait été entendu que l'inspecteur général du service de santé ne serait pas mis à la retraite à l'âge fixé pour la mise à la pension des officiers généraux de l'armée. Aussi mon étonnement a été grand lorsque j'ai vu mettre à la pension M. le docteur Merchie à une époque que. je considère comme prématurée.

En effet, M. le docteur Merchie est à la fleur de l'âge, c'est un médecin très distingué ; je désirerais savoir pourquoi une pareille mesure a été prise contre lui, alors surtout que son honorable prédécesseur, M. Vleminckx, avait rempli ces fonctions avec beaucoup de distinction pendant une période de trente-quatre années.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Je ne sais pas, messieurs, jusqu'à quel point je suis obligé de répondre à la question de M. Bouvier, car, je ne pense pas que nous puissions convenablement discuter ici des questions de personnes. Je ferai remarquer toutefois à l'honorable membre que M. l'inspecteur général du service de santé avait atteint l'extrême limite de l'âge d'activité.

M. Bouvier. - Les inspecteurs généraux du service de santé remplissent des fonctions purement administratives. Ils ne sont, pour ainsi dire, pas sujets à des déplacements ; c'est de leur cabinet qu'ils dirigent le service placé sous leurs ordres.

Je soutiens qu'il faut être extrêmement sobre de mises à la retraite dans les conditions que je viens d'indiquer, car on se plaint amèrement de ce que le budget de la guerre est déjà excessivement chargé ; c'est la véritable cause de l'opposition qu'il rencontre sur beaucoup de nos bancs.

La mise à la pension de l'officier supérieur dont je viens de parler, je n'hésite pas à le déclarer, je la considère comme un véritable gaspillage des deniers publics.

J'espère qu'à l'avenir le département de la guerre y regardera à deux fois avant de mettre à la retraite des fonctionnaires encore pleins de vie et santé.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Messieurs, les seuls principes qui aient été admis, c'est que les officiers du service de santé ne seraient pensionnés qu'à la limite d'âge d'activité dans le grade supérieur à celui auquel ils sont assimilés ; par conséquent, l'inspecteur général auquel l'honorable M. Bouvier a fait allusion, étant assimilé au général-major, devait être pensionné comme les lieutenants généraux, c'est-à-dire à 65 ans ; c'est ce qui a eu lieu.

- Personne ne demandant plus la parole, l'article 9 est mis aux voix et adopté.

Articles 10 et 11

« Art. 10. Nourriture et habillement des malades ; entretien des hôpitaux : fr. 538,498. »

- Adopté.


« Art. 11. Service pharmaceutique : 127,455 »

-Adopté.

Chapitre IV. Solde des troupes

Article 12

« Art. 12. Traitement et solde de l’infanterie : fr. 12,163,000. »

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Messieurs, à l'occasion du chiffre demandé pour l'infanterie, je crois devoir (page 234) faire remarquer à la Chambre que l'infanterie a eu un service très pénible à faire, pour préserver le pays de l'invasion de la peste bovine. Cette année, ce service extraordinaire a occasionné au département de la guerre une dépense d'un million, et j'ai tâché d'y faire face au moyen des crédits ordinaires dont je dispose.

Il est probable que cette fâcheuse situation se prolongera pendant quelques mois de l'année 1872, mais il est impossible de déterminer dès aujourd'hui ni combien de temps, ni combien de troupes seront employés sur la frontière.

Or, je prierai la Chambre de remarquer que l'article « infanterie » ne prévoit pas les dépenses de cantonnement, et que je serai peut-être dans le cas de demander plus tard un crédit extraordinaire pour couvrir cette dépense.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, je voulais justement poser à M. le ministre de la guerre la question à laquelle il vient de répondre d'avance. Cependant, il y a un point auquel il n'a pas touché.

Je voulais demander à M. le ministre de la guerre sur quel article il entendait imputer les dépenses faites pour le rassemblement qu'il avait fait dernièrement autour de Bruxelles lors des émotions qui se sont produites.

M. Bouvier. - C'est la peste bovine qui en payera les frais.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Ou je ne comprends plus l'économie de nos budgets ou ce sont des dépenses strictement limitatives. S'il dépend des ministres de faire, en dehors des budgets, des dépenses plus grandes, sauf à venir plus tard réclamer des crédits supplémentaires, il n'est pas nécessaire, comme je le disais il y a quelque temps, de voter des budgets ; il suffirait de mettre à la disposition des ministres des sommes globales dont il feraient ce qu'ils voudraient.

Je demande donc que les ministres de quelque département dont ils puissent être les chefs se restreignent strictement, sauf les cas d'urgence, dans la limite des sommes qui leur sont allouées.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Je ne comprends pas fort bien à quoi l'honorable membre fait allusion. L'observation que je me suis permis de faire se rapportait au chapitre de l'infanterie. J'ai dit que l'infanterie échelonnée sur la frontière pour prévenir l'invasion de la peste bovine avait occasionné des dépenses que je n'avais pu prévoir. A cette occasion, l'honorable membre demande sur quoi j'imputerai la dépense résultant du déplacement des troupes qui sont venues à Bruxelles.

Je répondrai que ces déplacements n'ont occasionné aucune dépense qui ne puisse être couverte par le budget.

M. Boulenger. - A l'occasion des observations produites, je demanderai au gouvernement de prendre des mesures pour faire droit, en partie du moins, aux réclamations dont M. le ministre de la guerre s'est fait l'écho.

L'année dernière, le service de la frontière contre la contagion de la peste bovine a été fait par l'infanterie ; 2,000 hommes étaient employés à ce service. On croyait alors que la maladie, en France, allait cesser ses ravages et que la mesure était temporaire.

Aujourd'hui, il est certain que pendant plusieurs mois encore on devra faire la garde des frontières d'une manière excessivement sévère. La mesure qui n'a pas été prise l'année dernière, on peut l'adopter actuellement. En effet, on peut confier, en grande partie, ce service aux douaniers. La fabrication du sucre va cesser ; le mois prochain, les douaniers seront remis à la disposition de l'administration des finances, qui disposera ainsi de 750 hommes. Je crois que ce nombre d'hommes représente à peu près la moitié du contingent nécessaire.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Le tiers.

M. Boulenger. - Soit. Je voudrais donc que le gouvernement affectât ces douaniers au service qui est confié aujourd'hui à la troupe. On allégerait par là considérablement le. budget de la guerre, selon le désir que vient d'exprimer M. le général Guillaume, en même temps que les habitants des frontières seraient délivrés d'une contribution extrêmement lourde et qui pèse sur eux d'une façon désolante.

Ce n'est pas avec 1 fr. 25 c. qui est alloué à l'habitant, tenu de loger un soldat en cantonnement que l'on parvient à nourrir un homme.

Dans toute la partie du Hainaut qui avoisine la frontière où la vie animale coûte très cher, les habitants qui reçoivent des soldats à loger doivent s'imposer une dépense supplémentaire d'un franc au moins, parce que l'indemnité qui leur est allouée est tout à fait insuffisante. Il est réellement triste qu'on ne puisse mettre fin à cet état de choses, soit par l'octroi d'une indemnité plus convenable, soit par l'adoption de la mesure que je viens d'indiquer.

Les populations de nos frontières sont soumises depuis dix-huit mois à ce régime, c'est-à-dire qu'elles payent une contribution extraordinaire qui devrait être acquittée en somme par la généralité des citoyens. Les dépenses faites pour combattre la peste bovine profitent à l'Etat.

En résumé, ce sont les quelques communes qui avoisinent la frontière qui payent tous les frais de cette surveillance. Il y a là une situation que je recommande à l'attention du gouvernement. Peut-être devrions-nous recourir à un remède plus efficace que celui que je viens d'indiquer ; mais en attendant, s'il était fait droit à la demande que j'adresse au gouvernement, la position des habitants de la frontière française serait considérablement allégée.

M. Malou, ministre des finances. - On pourra employer une partie ou la totalité des douaniers disponibles ou bien en les retenant au service, à empêcher la propagation de la peste bovine, dès que le travail des sucreries sera terminé.

Par suite de la loi qui est au Moniteur de ce matin, une autre partie du personnel de la douane deviendra libre et pourra recevoir la même destination.

Je constate que des plaintes nombreuses s'élèvent contre l'état de choses actuel. Le gouvernement s'impose un sacrifice considérable en établissant ces cordons le long de la frontière. Les populations en souffrent, mais elles doivent comprendre la nécessité, qui domine tout.

M. Anspach. - J'ai demandé tout à l'heure à M. le ministre de la guerre, par une interruption, si les crédits à demander éventuellement serviraient aussi à payer les dépenses extraordinaires occasionnées parles troupes qui ont été réunies autour de Bruxelles au mois de novembre dernier ; et M. le ministre de la guerre m'a répondu, à mon grand étonnement, que ces troupes n'avaient pas coûté un centime.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - L'infanterie.

M. Anspach. - Mais nous avons eu aussi de la cavalerie et de l'artillerie ; et, d'ailleurs, il est bien évident que des troupes en campement coûtent plus que dans leurs garnisons. J'ai donc demandé à M. le ministre de la guerre ce que nous coûterait la concentration de troupes qui a eu lieu récemment autour de Bruxelles. Je le lui demande encore.

Je désire savoir où M. le ministre de la guerre prend les ressources extraordinaires dont j'ai parlé tout à l'heure, et je suis d'autant plus fondé à le faire que je désapprouve les dépenses aussi incontestables qu'inutiles que j'ai signalées.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - S'il y a eu des dépenses extraordinaires pour la cavalerie, elles seront couvertes par le budget. Je n'ai demandé aucun supplément quant à l'artillerie ; je ne sache pas qu'il en soit venu à Bruxelles.

M. Anspach. - Il en est venu à Laeken.

- L'article 12 est adopté.

Articles 13 et 14

« Art. 13. Traitement et solde de la cavalerie : fr. 3,489,900. »

- Adopté.


« Art. 14. Traitement et solde de l'artillerie : fr. 4,067,000. »

- Adopté.

Article 15

« Art. 15. Traitement et solde du génie : fr. 939,000. »

M. Sainctelette. - Messieurs, les événements de l'an dernier ont prouvé de quelle importance il est pour une armée d'être rompue au maniement des chemins de fer, d'être exercée, non seulement à la manœuvre des machines, à la formation des trains, mais aussi à l'administration même des voies ferrées.

En Prusse, le train militaire forme une unité comme la compagnie d'infanterie, comme l'escadron de cavalerie, le personnel et le matériel en sont désignés et exercés à l'avance, en sorte que, lorsque l'ordre en est donné par l'état-major général, les trains se mettent, en quelque sorte, immédiatement à la disposition des troupes ; c'est à ce point qu'une seule compagnie de chemin de fer a pu, en un seul jour, m'a-t-on assuré, transporter 55,000 hommes en vingt-quatre heures, avec tous les services accessoires.

C'est grâce à cette organisation que l'armée prussienne s'est concentrée si rapidement autour de Mayence.

En France, au contraire, rien n'était préparé. Il a fallu avoir recours exclusivement à l'organisation civile et aux transports privés. Aussi, vous savez quel a été le désarroi inexprimable de l'armée française au moment de la concentration.

(page 235) Je demande à M. le ministre de la guerre si l’armée belge est exercée aux manœuvres d’embarquement et de débarquements, et transports, l’armée est en position de pouvoir se transporter elle-même, si nos ingénieurs militaires, qui sont remarquables, au point de vue des connaissances techniques, dont l’éducation scientifique est si complète, sont familiarisés avec les manœuvres des machines, avec l’administration des trains.

Il y a ici deux points de vue à considérer : l’avantage de l’armée d’abord, car il est indispensable que l’armée soit par elle-même en possession de tous les services accessoires et ensuite l’avantage du département des travaux publics.

De ce second point de vue, je ferai remarquer que les officiers, sous-officiers et soldats ont contracté au service des habitudes de vigilance, de. précision, de ponctualité, d'exactitude qui sont déjà toute une partie de l'éducation des employés des chemins de fer.

L'armée pourrait donc, après quelque apprentissage, servir au recrutement du personnel du chemin de fer ; d'un autre côté, il faut bien reconnaître que, dans les moments que nous traversons, une des grandes difficultés de l'exploitation, une des grandes causes du désarroi, c'est l’insuffisance du personnel, c'est le manque de sujets capables et préparés. L'armée, si elle était familiarisée avec le maniement des chemins de fer, pourrait venir au secours de l'administration pendant les crises de transport.

De même qu'à Anvers on emploie la troupe à faire les déchargements des waggons, de même on pourrait, si les compagnies du génie étaient exercées à la manœuvre des machines, leur demander pendant quelque temps des sous-officiers capables de conduire les remorqueurs.

Je recommande spécialement ces observations à l'honorable chef du département de la guerre et à M. le ministre des travaux publics.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Messieurs, les observations de l'honorable M. Sainctelette me paraissent très sérieuses ; je promets d'en tenir note et d'examiner, conjointement avec l'administration des chemins de fer, les moyens de mettre en pratique les idées qui ont été émises par l'honorable membre.

- Le chiffre est adopté.

Article 16

« Art. 16. Traitement et solde du bataillon d'administration : fr. 428,700.

« (Les hommes momentanément en subsistance près d'un régiment d'une autre arme, compteront, pour toutes leurs allocations, au corps où ils se trouvent en subsistance.) »

- Adopté.

Chapitre V. Ecole militaire ; école de guerre

M. Guillery. - Au sujet de l'école militaire, je crois devoir appeler l'attention de M. le ministre de la guerre sur un point qui touche à l'enseignement, et, me paraît-il, à un haut intérêt de l'enseignement.

Il y a à l'école militaire des examens indiqués par la loi. D'ordinaire, on fixe un minimum de points au-dessous duquel on n'est pas admis.

Néanmoins si nous retraçons l'histoire des admissions à l'école militaire, nous voyons qu'il y a eu des dérogations à la règle.

Je crois que cette dérogation est malheureuse et que le gouvernement, pour échapper à toute espèce de reproche et pour maintenir aux examens d'entrée à l'école militaire leur caractère purement scientifique, pour sauvegarder les intérêts de la science comme l'intérêt des armes savantes, on devrait suivre une règle et annoncer à l'avance quel sera le chiffre minimum d'admissions, de telle sorte qu'on soit bien convaincu que les questions de personne ne peuvent jouer aucune espèce de rôle dans la règle qui est suivie, règle générale, la même pour tous. Je crois que l'impartialité demande qu'il en soit ainsi.

Je me permets de recommander cette question à M. le ministre de la guerre, convaincu que je suis qu'il saura toujours appliquer dans son administration les principes d'une juste et sage répartition.

Articles 17 et 18

« Art. 17. Etal-major, corps enseignant et solde des élèves de l'école militaire ; école de guerre : fr. 205,000. »

- Adopté.


« Art. 18. Dépenses d'administration : fr. 29,000. »

- Adopté.

Chapitre VI. Etablissements et matériel de l'artillerie

Article 19

« Art. 19. Traitement du personnel des établissements : fr. 53,100. »

- Adopte.

Article 20

« Art. 20. Matériel de l'artillerie : fr. 796,900. »

M. d'Andrimont. - La discussion de cet article me donne l’occasion de demander à M. le ministre de la guerre des explications sur une affaire qui intéresse tout particulièrement l'industrie sidérurgique de la province de Liége.

En 1868, le département de la guerre commandait à M. Krupp un canon en acier fondu du calibre de 9 pouces, et, vers la même époque, M. le général Neuens, alors directeur de la fonderie royale, faisait couler à Liége un canon en fonte du même calibre et le faisait cercler de frettes en acier fondu fabriqués à l'établissement de John Cockerill à Seraing.

Des essais eurent lieu avec ces deux canons ; après 82 coups tirés, au camp de Brasschaet, le canon Krupp présentait des détériorations telles, qu'il fallut en suspendre le tir, malgré la visite de certaines personnes venues pour assister aux essais.

Le canon belge, au contraire, a parfaitement subi l'épreuve réglementaire de 500 coups, et il est sorti victorieux de cette lutte.

Voici du reste en quels termes M. le général Neuens rendait compte de es opérations :

« Les cercles, disait-il, le verrou et l'obturateur de ce canon avaient parfaitement résisté au tir d'épreuve de 500 coups tirés à la charge de 25 kilog. de poudre imprimant à ces projectiles emplombés de 122 à 125 kilog. une vitesse initiale de 400 mètres. Après ce tir, aucune trace de flexion, d'allongement ni de refoulement permanent n'avait été constatée sur les cercles, ni sur l'appareil de fermeture.

« 1Ilrésulte donc de ces expériences que le canon belge en fonte cerclé de frettes d'acier vaut autant, si pas mieux que le canon Krupp en acier fondu. »

Or, messieurs, je tiens à le faire remarquer à la Chambre, il y a une énorme différence entre le prix des canons en acier et le prix des canons en fonte cerclés de frettes en acier. Ainsi tandis que le canon belge du calibre de 9 pouces ne coûte que 16,000 francs, le canon Krupp en acier fondu revient à 100,000 francs.

Le gouvernement belge a fait couler cette année, à la fonderie royale de canons à Liège, deux pièces de. 80, semblables à celles qui avaient si brillamment résisté aux épreuves, et, d'autre part, il commandait à M. Krupp des canons en acier fondu d'un plus fort calibre, du calibre de 14 pouces. Ces pièces d'artillerie coûteront la somme énorme de 160,000 francs pièce ; tandis que les canons en fonte cerclés de frettes en acier ne nous reviendraient pas à plus de 25,000 francs.

Je me demande donc pourquoi M. le ministre de la guerre ne fait pas comme il a été procédé en 1868, c'est-à-dire des expériences comparatives entre ces canons de fort calibre, en acier fondu d'une part et en fonte cerclée de frettes en acier d'autre part.

Il est bien évident que si ces canons résistent aussi bien que les canons Krupp, il ne faut plus employer pour nos forteresses que des canons belges et laisser là les canons en acier qui coûtent six fois plus cher.

À l'appui de ce que je viens de dire, je citerai ce fait que le gouvernement suédois a fait fondre sept canons en fonte à la fonderie de Finspong, en Suède, et qu'il a commandé à Seraing des frettes en acier pour les cercles.

Le gouvernement suédois s'est décidé à adopter ce genre de canons à la suite d'expériences qui ont été tout aussi sérieuses, tout aussi concluantes que celles qui ont été faites au camp de Brasschaet.

Vous comprenez, messieurs, que cette question intéresse vivement notre industrie sidérurgique.

Depuis un certain temps, la fabrication de l'acier a pris un grand développement dans la province de Liège, et la construction des frettes en ce métal serait un excellent débouché pour ces produits.

Notre fonderie de canons voit de jour en jour diminuer les commandes de l’étranger par suite de la faveur exceptionnelle dont jouissent les canons en acier fondu de Krupp.

Le gouvernement ferait donc chose utile à la ville de Liège, à l'industrie sidérurgique si, abandonnant l'acier Krupp pour la construction des gros canons, il n'employait plus à cet effet que la fonte cerclée avec frettes en acier. Il réaliserait de plus d'immenses économies.

En agissant différemment, il compromet de plus en plus la bonne renommée de la fonderie royale des canons de Liège.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Messieurs, je commence par déclarer que je n'ai fait aucune commande de canons à l'étranger. Je n'entends pas cependant blâmer celle qui a été faite avant mon entrée aux affaires. Voici ce que je sais :

On a essayé un canon en fonte cerclée ; après 85 coups, on a constaté certains désordres dans le canon ; ces désordres ont exigé des modifications assez importantes. Ces modifications effectuées, on a repris le tir et, (page 236) après un certain nombre de coups, il s'est produit de nouveaux désordres, qui ont fait considérer le canon par certains artilleurs comme se trouvant dans un état critique.

Quand on m'a rendu compte de cette situation, j'ai pensé que l'épreuve n'était pas concluante et qu'elle n'était pas de nature à faire adopter ou rejeter ce canon, puisqu'il avait subi des transformations pendant les épreuves. J'ai alors ordonné la confection de nouveaux canons en fonte, qui seront soumis à des épreuves sérieuses.

Quant aux canons en acier, ils ont subi tontes les épreuves, et ils ont répondu parfaitement à leur destination.

J'ajoute que, de l'aveu de tous les artilleurs, les canons en fonte frottés ne peuvent pas toujours remplacer les canons en acier.

Lorsque l'artillerie doit produire de très grands effets à de longues portées, par exemple lorsqu'il s'agit de battre un fleuve d'enfilade, il est indispensable d'avoir des canons en acier, parce qu'il supportent de bien plus fortes charges que les canons en fonte, même frettés.

S'il s'agit de battre le fleuve en travers, on peut se contenter de canons en fonte, parce que les portées sont évidemment très courtes.

Ce dernier cas se présente très fréquemment ; si donc les expériences auxquelles nous nous livrons réussissent, nous pourrons armer de canons en fonte frettés la plupart de nos batteries de côte.

Je dois déclarer que, jusqu'ici, les frettés se sont parfaitement comportées ; j'en ai fait mon compliment à l'établissement qui les a livrées.

Les désordres auxquels j'ai fait allusion se sont déclarés dans la fonte et non dans les frettés.

- L'article est adopté.

Chapitre VII. Matériel du génie

Article 21

« Art. 21. Matériel du génie : fr. 700,000. »

- Adopté.

Chapitre VIII. Pain, viande, fourrages et autres allocations

Articles 22 et 23

« Art. 22. Pain et viande : fr. 4,486,000. »

- Adopté.


« Art. 23. Fourrages en nature : fr. 2,966,000. »

- Adopté.

Article 24

« Art. 24. Casernement des hommes : fr. 645,500. »

M. Lelièvre. - Je recommande à M. le ministre de là guerre l'examen d'une question qui intéresse plusieurs villes et notamment la ville de Namur. Les casernes de notre cité appartiennent à celle-ci, niais à charge de les mettre en tout temps à la disposition du département de la guerre. En conséquence, c'est le gouvernement qui en a la propriété utile, de sorte que la propriété de la ville n'est que purement nominale.

Cependant, ces bâtiments tombent en ruine par cause de vétusté. Nous pensons, conformément à l'opinion de MM. de Brouckere et Tielemans, que la reconstruction incombe au moins, en partie, au gouvernement.

Aussi, à l'égard d'autres villes, notamment Tournai, le gouvernement est-il intervenu dans la dépense par des subsides. La ville de Namur ne peut être traitée plus défavorablement. Il est d'ailleurs de toute justice que la dépense nécessaire pour la reconstruction soit supportée, au moins dans une certaine proportion, par l'Etat, qui, étant propriétaire des bâtiments servant au casernement, doit intervenir dans les travaux de reconstruction qu'une cause de vétusté rend indispensables. J'espère que le gouvernement ne perdra pas de vue cet acte de justice envers la ville de Namur.

- Adopté.

Articles 25 à 29

« Art. 25. Renouvellement de la buffleterie et du harnachement : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 26. Frais de route et de séjour des officiers : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 27. Transports généraux : fr. 75,000. »

- Adopté


« Art. 28. Chauffage et éclairage des corps de garde, etc. : fr. 58.000. »

- Adopté.


« Art. 29. Remonte : fr. 685,990. »

- Adopté.

Chapitre IX. Traitements divers et honoraires

<Articles 30 et 31

« Art. 30. Traitements divers et honoraires : fr. 108,124 08.

« Charge extraordinaire : fr. 775 92. »

- Adopté.


« Art. 31. Frais de représentation : fr. 30,000. »

- Adopté.

Chapitre X. Pensions et secours

Article 32

« Art. 32, Pensions et secours : fr. 93,026 14.

« Charge extraordinaire : fr. 2,973 86. »

M. Houtart. - La Chambre a été saisie d'une pétition des musiciens des guides, je désire connaître le sort que M. le ministre de la guerre réserve à cette pétition.

Vous savez, tous, messieurs, que les musiciens des guides, arrivés à l'âge de la retraite, n'ont que la pension de simple soldat, tandis que leurs camarades de l'infanterie jouissent de la pension de sous-officiers. C'est la, selon moi, une injustice.

M. Bouvier. - Et une anomalie.

M. Houtart. - Je sais bien que M. le ministre de la guerre me répondra qu'il n'en peut être autrement en présence de la loi d'organisation. Mais il me semble que lorsqu'il s'agit d'un corps de musique qui fait l'admiration générale, on pourrait bien faire une exception.

Il faut considérer, messieurs, qu'outre le talent qui les distingue les musiciens des guides ont un service plus difficile que les autres musiques de. l'armée ; plus souvent que. celles-ci, la musique des guides est appelée à rehausser l'éclat des fêtes publiques, des fêtes de la bienfaisance ; il leur faut en outre plus d'études, plus d'assiduité pour soutenir une réputation enviée par toutes les musiques de l'Europe.

Je prierai donc M. le ministre de la guerre d'ajouter quelques centaines de francs à son budget. Au besoin, j'emploierai le moyen préconisé par M. d'Anethan dans une autre enceinte et qui consisterait à faire usage de mon initiative parlementaire pour soumettre à la Chambre une proposition accordant aux musiciens des guides, arrivés à l'âge de la retraite, la pension dont jouissent les sous-officiers de l'armée belge.

J'espère que la Chambre accueillera cette proposition avec bienveillance.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Je n'ai pas connaissance de la pétition à laquelle vient de faire allusion l'honorable membre ; mais puisque j'en connais l'objet, je dirai à la Chambre qu'il ne m'est pas possible de faire, pour le régiment des guides, ce qui ne serait pas fait pour les autres régiments de cavalerie.

L'organisation des régiments de cavalerie ne comporte pas de musique. Dans différents pays étrangers et de tout temps en Belgique on n'a pas cru devoir s'astreindre à donner des corps de musique aux régiments de cavalerie.

Quant aux artistes auxquels l'honorable membre a fait allusion, il est à remarquer que ce ne sont pas des militaires proprement dits. La plupart sont des artistes qui ne quittent pas Bruxelles et qui font un contrat avec le colonel du régiment.

Ils savent à quelles conditions ils le signent ; or, ces conditions ne leur donnent droit ni à une pension, ni à une position exceptionnelle. Dans tous les cas je me réserve d'examiner le rapport qui sera fait sur cette question.

M. Houtart. - Je ne veux pas engager de discussion sur ce point. Mais M. le ministre de la guerre se trompe lorsqu'il dit que les musiciens des guides n'ont pas de pension. Ils jouissent, à l'âge de retraite, de la pension des simples soldats.

Je demande qu'ils obtiennent la pension des sous-officiers, de même que les musiciens de l'infanterie.

Si M. le ministre de la guerre veut étendre cette faveur aux autres régiments de cavalerie, je ne m'y oppose pas.

M. Muller. - Ce serait une nouvelle dépense assez considérable.

M. Houtart. - Ce sera une légère dépense parfaitement appliquée. Je. ne veux pas assister sans protester à la désorganisation d'une des premières musiques de l'Europe.

Je parle donc en faveur de la musique particulière des guides et j'espère que la Chambre voudra bien s'associer à moi pour réparer une injustice qui dure depuis trop longtemps.

- L'article 32 est mis aux voix et adopté.

Chapitre XI. Dépenses imprévues

Article 33

« Art. 33. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 16,323 60. »

- Adopté.

Chapitre XII. Gendarmerie

Article 34

« Art. 34. Traitement et solde de la gendarmerie : fr. 2,173,000. »

M. Sainctelette. - M. le ministre sollicite une augmentation de 6,000 francs pour l'établissement d'une brigade de gendarmerie à Nassogne.

(page 237) Je demande si, depuis que M. le ministre de la guerre a cessé d'être le collègue de l'honorable M. Kervyn de Lettenhove, il persiste dans cette demande.

Il y a, dans cette affaire quelque chose de tout à fait inexplicable. Généralement, on se plaint dans notre pays du manque de gendarmes. Les centres industriels, les grandes villes réclament à cor et à cri une augmentation du personnel de la gendarmerie ; et, vous-mêmes, messieurs, vous avez pu constater l'insuffisance de ce personnel. Ainsi, il est évident que si, lors des manifestations qui ont eu lieu récemment a Bruxelles, M. le ministre de la guerre avait eu à sa disposition un escadron de gendarmes de plus, il aurait pu éviter cette concentration de troupes qui vous a occupés tout à l'heure.

D'un autre côté, s'il y avait un peu plus de gendarmes disponibles dans le Hainaut, il est très probable que l'honorable membre qui témoignait hier ses inquiétudes sur l'attitude possible de la garde civique île Charleroi, serait complètement rassuré.

Cependant, quand on s'adresse au département de la guerre, on reçoit invariablement cette réponse : Les gendarmes manquent ; nous ne savons aujourd'hui plus en trouver. Et voici qu'on en trouve pour Nassogne, petite localité d'environ 5,800 âmes, population inoffensive, composée en grande partie d'ouvriers sabotiers et de bûcherons, c'est-à-dire des gens les plus paisibles, les plus pacifiques qu'il y ait au monde et à deux ou trois lieues tout au plus de trois autres brigades de gendarmerie.

Depuis que, l'honorable M. Kervyn a quitté le département de l'inférieur, les attributions des gendarmes sont simplifiées.

Je demande pourquoi l'honorable ministre de la guerre a besoin de cette nouvelle brigade de gendarmerie.

Qu'il en eût besoin lorsqu'il fallait surveiller le corps professoral, cela s'expliquait, mais est-ce que l'honorable M. Delcour partage, sur ce point, l'opinion de son prédécesseur ?

L'honorable M. Delcour appartient à l'enseignement. J'aime à croire que, sous son administration, la gendarmerie verra définitivement cette attribution disparaître de son programme.

Je demande donc quelle est la cause de la création d'une brigade nouvelle à Nassogne. Je prie M. le ministre de la guerre de vouloir bien me donner une explication à cet égard.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Je n'ai pas bien saisi la portée des observations de l'honorable membre. Je ne connais pas les faits qui se rapportent à Nassogne, mais je ferai remarquer que jamais une brigade de gendarmerie n'a été créée sans qu'une instruction complète eût été faite par les départements de l'intérieur, de la justice et de la guerre.

Si l'honorable membre le désire, je lui donnerai des explications dans une autre séance quant au fait de Nassogne.

M. Pirmez. - Messieurs, je crois que l'on pourrait ajourner la question de Nassogne ; la Chambre n'est pas éclairée.

Je désire présenter à M. le ministre de la guerre deux observations sur la gendarmerie.

La gendarmerie rend des services incontestables et il est évident qu'elle n'est pas assez nombreuse.

Je demanderai à M. le ministre s'il ne pourrait convertir un escadron de cavalerie en un escadron de gendarmerie ; je crois qu'il n'y aurait à cela aucune difficulté.

Cet escadron pourrait, en temps de guerre, rendre les mêmes services qu'un escadron de cavalerie et, en temps de paix, se rendre très utile en concourant au service de la police.

Messieurs, la seconde observation que j'ai à faire est celle-ci : je crois que l'armement de la gendarmerie est encore extrêmement imparfait. Les gendarmes à cheval n'ont qu'un mousqueton se chargeant difficilement et qui ne constitue pas une arme sérieuse. Ce serait, je crois, une dépense très minime que celle qu'il faudrait faire pour donner à la gendarmerie une arme convenable, un revolver, par exemple, qui rassurerait le gendarme sur sa sécurité et qui, au besoin, imposerait aux malfaiteurs.

Je prie M. le ministre de la guerre de donner satisfaction à la demande que je viens de faire.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - J'examinerai la double proposition de l'honorable M. Pirmez. La Chambre comprendra que je ne puis me prononcer hic et nunc sur une question de ce genre.

M. de Baets. - Messieurs, l'observation qui vient d'être présentée par l'honorable M. Sainctelette me suggère une réflexion que je soumets à l'appréciation de M. le ministre de la guerre.

La gendarmerie, comme tout le monde en convient, rend de très grands services au pays. Mais je trouve que les emplacements sont quelquefois très mal choisi. Je connais des communes très importantes, composées de fractions de communes, qui, en définitive, seraient, dans certaines provinces, des communes distinctes.

Eh bien, on a concentré la gendarmerie au chef-lieu, et dans un canton de l'arrondissement de Gand, que j'ai l'honneur de représenter, à Everghem, vous avez le conseil communal, vous avez le juge de paix, qui est un officier de police judiciaire, vous avez deux gardes champêtres et vous avez toute la brigade de gendarmerie. Tout ce luxe de police se trouve à un seul endroit, tandis qu'aux extrémités de l'aggloméré il n'y a point de représentant de l'autorité publique. Il y a évidemment là quelque chose à faire. Mes honorables collègues de Gand comprennent parfaitement bien l'observation.

Il me semble qu'il faudrait répartir un peu mieux la force publique pour qu'elle exerce son action partout.

Cet article me suggère une autre réflexion. La gendarmerie se recrute en général assez difficilement. Il y a à cela une première cause, c'est qu'on ne la paye pas assez bien. Il faudrait faire de la gendarmerie un poste d'honneur, et il faudrait que les gendarmes fussent parfaitement bien rétribués. Alors vous attireriez les jeunes gens solides qui pourraient se créer là une carrière.

Il faudrait aussi, dans les Flandres, permettre d'être gendarme sans savoir le français. Bien qu'on ait dit un jour qu'il n'y avait plus dans les Flandres de fonctionnaires ne sachant pas le flamand, nous en sommes réduits au régime d'avoir, dans presque toutes les localités, des gendarmes ne sachant pas un mot de flamand. Il résulte de là des conséquences tellement absurdes, tellement ridicules, que si un jour on voulait égayer les membres de la Chambre, on n'aurait qu'à prendre une collection de procès-verbaux.

Je ne vois pas pourquoi dans les Flandres un garde champêtre ne peut pas faire la police, ne sachant pas le français, pourquoi un gendarme ne peut pas faire la police, ne sachant pas le français. En exigeant que tous les procès-verbaux soient rédigés en français, on nous impose forcément des gendarmes sachant le français. Or, nous savons quel français nous parlons quelquefois ici. Comment voulez-vous que ces messieurs, revêtus de l'uniforme, parlent d'après Bitaubé ?

Il y a là une réforme à faire. Il est impossible de recruter le corps de la gendarmerie dans les circonstances actuelles et il est certain qu'un gendarme peut, sans savoir le français, présenter les conditions nécessaire» pour rendre les services qu'on a à en attendre.

M. Hagemans. - Je demanderai à M. le ministre de la guerre s'il n'y aurait pas moyen de simplifier le costume de la gendarmerie. Ce costume est extrêmement lourd, surtout en été, pendant les tournées dans les campagnes, et il est en même temps très onéreux.

Je crois qu'il sera plus facile de trouver des gendarmes quand ils auront moins à payer pour leur uniforme, qui est à la fois et très cher et très gênant.

M. Sainctelette. - Je propose de réduire le chiffre de l'article 34 à 2,167,000 francs.

- Ce chiffre est mis aux voix et adopté.

Discussion des articles

Article premier

La Chambre passe à l'article premier du projet de loi :

« Art. 1er. Le budget du ministère de la guerre, pour l'exercice 1872, est fixé à la somme de 37,128,985 francs, conformément au tableau ci-annexé. »

M. Vleminckx. - Je demanderai d'abord à M. le ministre de la guerre s'il est nécessaire d'imposer une retenue plus forte aux officiers pour améliorer la situation de la caisse des veuves du département de la guerre.

Il est un second point sur lequel je désire obtenir des renseignements de l'honorable ministre. On nous a fait connaître dans le temps qu'il y avait entre le département de la guerre et celui des finances une difficulté portant sur une somme de quelques centaines de mille francs que la caisse des veuves de l'armée prétendait lui être due. On ajoutait que le département de la guerre était parfaitement d'avis que cette somme est bien due à la caisse.

Je demanderai à l'honorable ministre de la guerre où en est cette affaire ?

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Messieurs, à la première question posée par l’honorable M. Vleminckx, la question de savoir si la caisse des veuves est dans des conditions telles, qu'il ne faudrait pas augmenter la retenue des officiers, je réponds que oui. L'année dernière, la Chambre a voté une loi autorisant le gouvernement à augmenter cette retenue, afin de faire face aux dépenses de la (page 238) caisse. Cette augmentation a en lieu d'après l’expérience faite pendant les six premiers mois de 1871, non seulement les recettes ont suffi pour couvrir les dépenses ; mais, il y a eu un certain excédant qui a servi à l’extinction d'une partie de la dette de la caisse.

Quant à la somme que la caisse réclame du gouvernement, l'affaire est encore entre les mains des jurisconsultes. Des avocats ont été consultés ; mais, comme cela arrive assez souvent, ils ne sont pas parvenus à se mettre d'accord. Je crois, pour ma part, que la réclamation de la caisse des veuves est fondée, et j'espère qu'une transaction à l'amiable interviendra entre les deux départements, afin de satisfaire à la juste demande du conseil d'administration de la caisse.

M. Vleminckx. - Ce qui est préférable à un procès.

Article 2

« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à prélever, sur les crédits ouverts aux articles 10, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 24, 26, 27, 28, 30 et 32 du budget, les sommes nécessaires pour pourvoir à l'insuffisance de crédit qui pourrait résulter du renchérissement du froment, de la viande et des denrées fourragères, sur les articles 6, 7, 8, 22, 23 et 34. »

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Je prie la Chambre de vouloir ajouter à cet article le paragraphe suivant :

« Le gouvernement est également autorisé à prélever, sur les crédits que présenteront éventuellement les divers articles du budget, les sommes nécessaires pour renforcer les articles 8 et 16, afin de couvrir les dépenses résultant de l'entretien du personnel qui existe encore en sus de l'effectif normal du pied de paix dans le corps de l'intendance et le bataillon d'administration. »

J'ai fait connaître à la Chambre qu'il existe encore un certain nombre d'intendants et d'officiers d'administration en sus du pied de paix. Si la Chambre ne m'autorisait pas à employer les reliquats de certains articles à couvrir la solde de ces officiers, je serais obligé de demander un crédit spécial.

- L'article, amendé par M. le ministre de la guerre, est mis aux voix et adopté.

Articles 3 et 4

« Art. 3. Lorsque le gouvernement jugera nécessaire, dans l'intérêt du trésor, d'assurer dans quelques localités le service de la viande par la voie de la régie directe, les déchets, issues, peaux, suif, etc., provenant des bêtes bovines abattues, seront vendus par les soins de l'administration de la guerre, et le produit sera porté en déduction du montant des achats de bétail. »

- Adopté.


« Art. 4. Le ministre de la guerre est autorisé à disposer, jusqu'à concurrence d'une somme de 300,000 francs, des excédants que laissera éventuellement le budget de l'exercice 1872 de son département, pour l'affecter à l'amélioration du casernement des troupes.

« Les dépenses à imputer sur ces excédants pourront être engagées jusqu'au 1er avril 1873. »

- Adopté.

Second vote et vote sur l’ensemble

Les articles amendés sont successivement remis aux voix et définitivement adoptés.

Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du budget.

94 membres y prennent part.

61 répondent oui.

26 répondent non.

7 s'abstiennent.

Ont répondu oui :

MM. Biebuyck, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Cornesse, Cruyt, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, de Haerne, de Kerckhove, De Lehaye, de Macar, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Dumortier, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Magherman, Mulle de Terschueren, Nothomb, Pety de Thozée, Pirmez, Rembry, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Santkin, Schollaert, Snoy, Tesch, Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Verbrugghen, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Allard, Balisaux et Thibaut.

Ont répondu non :

MM. Bergé, Boulenger, Coremans, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, Defuisseaux, Delaet, de Lexhy, de Lhoneux, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, de Rossius, Dethuin, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Houtart, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Thienpont, Vander Donckt et Vleminckx.

Se sont abstenus :

MM. Bara, de Baets, Frère-Orban, Muller, Sainctelette, Van Humbeeck et Anspach.

Le budget sera transmis au Sénat.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.

M. Bara. -Je n'ai pas voté contre le budget de la guerre, parce que les dépenses sont restées les mêmes que les années précédentes et que j'ai voté jusqu'à présent ce budget.

Je n'ai pas voté pour, parce que le gouvernement n'a pas voulu donner les explications qui lui ont été demandées, afin de ne pas faire tort à ses amis politiques dans les prochaines élections. J'ai cru devoir protester contre ce manque de franchise, et je ne pouvais le faire qu'on m'abstenant cette année du vote du budget de la guerre.

M. de Baets. - J'aurais voulu, par un vote négatif, protester contre les tendances ultra-militaristes qui se développent dans le pays, ou tout au moins dans une partie du pays. Mais je n'ai pas voulu le faire pour ne pas prêter les mains à ce que je considérais comme une machination politique contre le cabinet.

M. Frère-Orban. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. Bara.

M. Muller. - Je n'ai pas voté contre le budget de la guerre, parce qu'il était l'application de la loi actuelle. Je n'ai pas voulu voter pour, parce que je ne puis donner un vote approbatif aux tendances de l'honorable ministre de la guerre, qui a, selon moi, touché imprudemment à l’'ensemble de notre organisation militaire qui n'était en vigueur que depuis deux ans.

M. Sainctelette. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs.

M. Van Humbeeck. - Mon abstention ne doit pas être considérée comme une marque d'hostilité contre le budget de la guerre. Je me souviens que j'ai pris une part active à l'adoption de la loi organique. Je crois avoir rendu, en cette circonstance, service à mon pays. Mais dans la situation actuelle, l'attitude qui a été prise par le gouvernement appelait une protestation. On nous a dit que l'on voulait toujours tenir cette question au-dessus des intérêts de parti. Nous n'avons cependant réussi, à la suite de cette déclaration, qu'à obtenir des explications insuffisantes qui nous ont donné le droit de croire que si on tenait cette question au-dessus des intérêts de partis quand il s'agissait d'obtenir nos votes, on la laissait au rang des questions électorales quand il s'agissait de favoriser les amis du cabinet.


Députation chargée de complimenter leurs majestés à l'occasion du renouvellement de l'année

Il est procédé au tirage au sort des noms des membres chargés, avec MM. les membres du bureau, de composer cette députation.

Sont désignés :

MM. Thienpont, Van Overloop, De Lehaye, Le Hardy, Couvreur, de Macar, Wouters, Hagemans, Pety de Thozée, Bouvier et Frère-Orban.

- La séance est levée à 4 heures et demie.