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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 21 décembre 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 199) M. de Borchgrave fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Borchgrave présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Draps demande une loi fixant le crédit qui sera alloué pour le parachèvement du parc Léopold, à Laeken, et le délai dans lequel le gouvernement sera tenu de commencer les travaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Martin, secrétaire communal à Bellefontaine, propose des mesures pour améliorer la position des secrétaires communaux. »

« Même pétition des secrétaires communaux de l'arrondissement de Bruges. »

M. Lelièvre. - Je demande un prompt rapport sur ces pétitions comme sur d'autres de même nature. Il importe d'arriver à une solution dans le plus bref délai.

- Adopté.


« Le sieur Delacre demande une loi consacrant le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.


« M. le ministre des finances adresse, en exécution de l'article 46 de la loi sur la comptabilité, les états sommaires des adjudications, contrats et marchés passés par les divers départements ministériels pendant l'année 1870. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Par messages du 20 décembre, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi :

« Contenant le budget du ministère des finances pour l'exercice 1872 ;

« Contenant le budget des recettes et des dépenses pour ordre de l'exercice 1872 ;

« Contenant le budget des dotations pour l'exercice 1872 ;

« Qui fixe le contingent de l'armée pour 1872 ;

« Qui proroge le mode de nomination des membres des jurys d'examen déterminé par l'article 24 de la loi du 1er mai 1857. »

- Pris pour notification.


« M. de Moerman, rappelé chez lui pour affaires, et M. Janssens, empêché, demandent un congé d'un jour. »

« M. Van Cromphaut, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé pour les séances de jeudi et vendredi. »

« M. Magherman, rappelé chez lui pour une affaire urgente, demande un congé de quelques jours. »

- Ces congés sont accordés.

Motion d’ordre relative aux difficultés d’expédition par le chemin de fer de l’Etat

M. David. - M. le ministre des travaux publics étant présent, je demande à faire l'interpellation que j'ai annoncée hier.

Messieurs, à l'une des dernières séances de notre précédente session, j'ai exprimé mon total manque de confiance dans l'administration de l'honorable M. Wasseige. Les faits malheureusement m'ont donné raison au delà de toute prévision humaine. La désorganisation du service des chemins de fer a été et reste encore désastreuse pour tous les intérêts du pays. D'un bout à l'autre du pays, beaucoup d'industries chôment faute de combustible. Les houillères sont obligées de ralentir leur travail, ne pouvant expédier le produit de leur extraction. La métallurgie, ne pouvant ni expédier ni recevoir, est obligée également de ralentir son activité et de renvoyer des ouvriers. D'après les journaux, il existe même des bureaux de bienfaisance qui, pour ne pas avoir reçu leur charbon en temps voulu, n'ont pu faire des distributions aux pauvres de leur administration.

Mais à côté de cette désorganisation générale et de ces embarras dans les expéditions, l'administration des chemins de fer pose des actes exceptionnels vis-à-vis de certaines industries et c'est d'un de ces actes exceptionnels à l'égard de la grande industrie de la filature de mon arrondissement que je désire avoir l'honneur de vous entretenir aujourd'hui.

C'est ainsi, messieurs, que récemment, au commencement de ce mois, il a été interdit pour Verviers, Dolhain, Pepinster, Nessonvaux et Ensival, d'expédier des filatures vers le port d'Anvers.

Ceci a été annoncé au commerce par des articles de journaux. Je trouve, dans la Précurseur d'Anvers du 13 décembre, ce qui suit :

« On nous adresse les questions suivantes : 1° Pourquoi l'administration a-t-elle donné l'ordre à Verviers et à Dolhain de ne plus admettre, jusqu'à nouvel avis, les expéditions pour Anvers ? 2° Pourquoi cet ordre ne s'étend-il pas aux autres stations du pays et de l'Allemagne, dont les expéditions se font sans interruption ? Serait-ce parce que 35 à 40 waggons de filatures expédiés de Verviers, il y a trois semaines, en service anglo-belge pour l'Ecosse, chôment dans nos garages ?»

Le journal l’Union libérale de Verviers a répété le même avis le 15 décembre.

Un négociant expéditeur d'Anvers a donné quelques renseignements à un de mes amis à Verviers sur ce qui se passait à Anvers, et voici ce que portail cette lettre, en date du 13 décembre :

« Je viens vous dire que les expéditions ne sont suspendues que de Verviers, d'Ensival, de Dolhain et de Nessonvaux. Toutes les autres stations du pays et même de l'Allemagne expédient toujours régulièrement à Anvers et n'ont cessé de le faire.

« Cette mesure vis-à-vis de nos arrondissements a été prise par suite des quantités énormes de filatures que les filateurs et négociants de Verviers expédiaient en Anglo-Belge pour l'Ecosse et que le chemin de fer qui s'était chargé de les faire parvenir à Glascow ne parvenait pas à les réexpédier faute de sleaves suffisants avec lesquels il a fait la convention anglo-belge.

« Ces expéditions ont été tellement importantes que 42 waggons se trouvaient encore samedi soir à la station de Borgerhout chargés de filatures dont la grande partie était expédiée depuis trois semaines. »

Ici, messieurs, j'ouvre une parenthèse, j'intercalerai quelques observations.

42 waggons de filatures représentent pour l'industrie de Vervices une valeur de tout près de 1,200,000 francs. Celle valeur est arrêtée à Anvers pour trois ou quatre semaines. Or les fabricants ne peuvent toucher le montant de leurs factures qu'après l'arrivée des marchandises à leur destination. En attendant la fabrication continue, les magasins se remplissent et, au bout de quelques semaines, les industriels de mon arrondissement ont un stock d'une valeur de 3 ou 4 millions de francs, dont la rentrée est retardée par le manque d'expédition régulière.

(page 200) Mais si, pendant que ces filatures chôment à Anvers et dans les magasins des producteurs, il survenait une baisse sur les laines, par exemple, quel désastre n'en résulterait-il pas pour tous les industriels qui ont expédié ? Nécessairement, l'acheteur chicanerait, intenterait des procès, demanderait des rabais, laisserait pour compte ; de là sans doute la nécessité pour le gouvernement d'accorder des indemnités aux expéditeurs.

Les procès pour retards dans l'expédition, pour cause de laisser pour compte, sont déjà très considérables. C'est ainsi qu'à la séance du jeudi il y a quinze jours ou trois semaines, du tribunal de commerce de Verviers, on a appelé dix-huit causes, les unes après les autres, pour réclamer des indemnités de l'administration du chemin de fer.

Je continue la lecture de la lettre du correspondant d'Anvers :

« Dans ces circonstances, pour ne pas jeter le discrédit sur l'Anglo-Belge, l'administration ou plutôt un directeur a pris la décision de suspendre les expéditions en général de Verviers et environs.

« Si cette décision avait été prise pour les marchandises expédiées en Anglo-Belge seulement, alors les industriels auraient pu expédier leurs filatures soit à moi soit à tout autre expéditeur, et avec les fréquents départs que nous avons par d'autres lignes, nous aurions pu faire partir tout ce qu'on nous aurait adressé. Mais c'est ce que l'administration ne veut pas, elle veut conserver le monopole de ces expéditions et forcer l'industriel ou le négociant du pays à passer par ses mains. Avec cela qu'on est déjà si bien servi avec le chemin de fer ! »

D'après cette lettre, il résulterait que l'accumulation des marchandises dans la station de Borgerhout, à Anvers, provient de ce que le gouvernement a fait une convention avec la société maritime que nous appelons Anglo-Belge ; que, selon cette convention, le gouvernement remet à la société toutes les expéditions dans les diverses directions de l'Angleterre ; que probablement la société aura manqué de bateaux, et que, pour ne pas expédier aux frais, risques et périls de la société par d'autres bateaux que le gouvernement aura vraisemblablement conservé les marchandises à Anvers et a interdit les expéditions de Verviers et autres points des environs.

Cet état de choses ne peut durer. Lorsque la société manque de bateaux à vapeur, le gouvernement doit se réserver de pouvoir faire expédier par d'autres bateaux aux frais, risques et périls de la société.

Je lis, dans le Précurseur du 20 décembre courant, que les interruptions ont eu lieu du 6 au 10 décembre, du 10 au 14 et depuis le 19 les interdictions ont recommencé.

Je prie l'honorable ministre des travaux publics ou de faire une nouvelle convention ou d'introduire dans la convention existante une disposition nouvelle qui lui permet, lorsque la société anglo-belge ne peut faire les expéditions par ses steamers, d'employer d'autres bateaux à ces expéditions.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - L'honorable M. David, conséquent avec ce qu'il a dit antérieurement, trouve que le chemin de fer a été désorganisé et qu'il l'est encore. Je crois qu'un chemin de fer désorganisé ne pourrait pas rendre les services que le nôtre rend au pays, et faire, comme nous le faisons, un trafic plus considérable qu'il n'a jamais été en Belgique, ainsi que je le prouverai en temps et lieu ; je crois surtout qu'un chemin de fer désorganisé ne pourrait produire un excédant de recettes aussi important que celui que nous aurons acquis à la fin de l'année.

Grâce aux efforts persévérants du personnel et au dévouement dont chacun fait preuve dans l'accomplissement de ses devoirs, le chemin de fer de l'Etat répond autant qu'il est humainement possible aux exigences d'une situation excessivement difficile ; il n'est nullement désorganisé : il subit, comme tous les chemins de fer du continent, une crise des plus intenses ; depuis quelques jours particulièrement il est arrivé à l'apogée de cette crise ; l'interruption de la navigation résultant des gelées précoces, étant venue se joindre inopinément à toutes les causes d'embarras qu'il fallait déjà combattre.

Je répondrai brièvement à l'interpellation de M. David, car le temps nous presse.

L'honorable membre dit que, d'après ses correspondants de Verviers, l'administration du chemin de fer de l'Etat aurait interdit le transport des laines et des filatures de Verviers, d'Ensival et de Dolhain, à destination d'Anvers, tandis qu'elle aurait permis toute espèce d'autres transports. C'est une erreur de fait complète.

Lorsque des encombrements viennent entraver le service à la station d'Anvers, l'administration est obligée, à son grand regret, de suspendre les transports vers cette ville. Mais la suspension est toujours générale, sauf pour les abonnements,

Ainsi, messieurs, voici ce que porte un ordre spécial du 18 décembre 1871, et j'en ai ici plusieurs qui sont conçus dans des termes identiques ;

« Pour cause d'encombrement, l'acceptation des transports à petite vitesse, transit compris, pour Anvers (Borgerhout) et Anvers (Bassins) est suspendue jusqu'au 21 courant inclus.

« Il n'est fait exception que pour les waggons abonnés. »

Le correspondant de l'honorable M. David lui a dit - si j'ai bien compris - que l'on permettait de faire des expéditions vers Anvers, non. seulement au départ de tous les points du pays, mais même au départ de l'étranger. Il n'y aurait d'exception que pour les colis originaires de Verviers, de Dolhain et de quelques stations voisines de ces deux localités ; d'abord, je ne sais pourquoi ces stations auraient été frappées d'une exception si désastreuse pour elles, mais je me hâte de déclarer que l'affirmation n'est pas fondée.

Quand les transports vers Anvers sont suspendus à l'intérieur du pays, l'interdiction atteint, à plus forte raison, les transports venant de l'étranger. En voici la preuve : c'est un télégramme émanant d'un chef de service du chemin de fer de l'Etat ; il donnera à l'honorable M. David la certitude que ce qu'il a allégué, sur la foi de son correspondant, est inexact. Ce chef de service disait ce qui suit au directeur général :

« Il y a déjà à Welkenraedt trente-huit waggons transit pour Anvers. Veuillez inviter rhénans à ne plus nous en envoyer avant le 15. »

Et qu'a fait l'administration ? Elle a annoncé à la compagnie rhénane que la station d'Anvers ne pouvait plus recevoir aucune expédition de petite vitesse et que tout transport qui nous serait encore présenté en opposition à cet avertissement serait refusé à la gare d'échange.

Lorsque des waggons chargés arrivent de l'étranger et veulent traverser la Belgique, on les arrête. Ce point est donc rectifié. Il n'est pas exact que l'on ait jamais interdit ou suspendu les transports de Verviers, de Dolhain ou d'autres stations de la ligne de la Vesdre, vers Anvers, tandis qu'on les aurait permis d'ailleurs.

La seconde question soulevée par l'interpellation est celle-ci :

Est-il juste que les transports dirigés vers l'Angleterre par Anvers soient confiés de préférence aux steamers appartenant aux services de navigation placés sous le régime de la convention anglo-belge ?

On a fait six conventions avec des compagnies anglaises pour assurer autant que possible à la Belgique le transit de et vers l'Angleterre.

Je crois, messieurs, que ces conventions répondent à un haut intérêt général ; elles sont avantageuses tout à la fois au port d'Anvers, à l'industrie belge et au railway de l'Etat.

On a trouvé ainsi un moyen sûr et économique d'envoyer les produits du commerce belge en Ecosse et en Angleterre, et de recevoir de ces pays les matières premières qui nous sont nécessaires.

Ces conventions ont donc pour premier objet de pourvoir le mieux possible aux besoins de l'industrie ; en outre, elles ont été faites en vue d'empêcher que le transit ne quitte la Belgique pour se porter vers des ports rivaux des nôtres.

Il n'y a, du reste, rien d'exorbitant dans ces conventions ; elles sont identiquement semblables à celles qui se font avec les chemins de fer du continent.

Il s'agit ici de traités qui donnent à nos railways un prolongement à travers la mer jusqu'en Angleterre, de même que nous avons des conventions à la faveur desquelles les chemins de fer belges se prolongent en quelque sorte en France, en Allemagne ou en Hollande. Ces conventions sont toutes basées sur les mêmes principes.

Au surplus, c'est une erreur de dire que les industriels soient fatalement et nécessairement obligés de passer par les mains des compagnies avec lesquelles l'Etat a conclu les traités dont je viens de parler.

Le public peut, s'il le préfère, recourir à l'intermédiaire de toute société quelconque qui est restée étrangère à nos arrangements, et s'il s'abstient de le faire, c'est parce qu'il lui en coûterait beaucoup plus que quand il profite des avantages que lui offrent les services organisés en exécution des conventions.

Il y a, en effet, un grand bénéfice à se servir des tarifs établis ensuite de ces conventions, pour ce qui concerne le parcours fait en Belgique,

La marchandise ne parviendrait à Anvers qu'en payant la taxe du tarif intérieur de l'Etat, qui est sensiblement supérieure à votre part dans les prix perçus par application du tarif direct ; c'est cependant à cette condition seulement qu'il serait possible de remettre la marchandise à des compagnies autres que celles qui sont parties contractantes dans les conventions de trafic direct.

Je ne nie pas, messieurs, que des plaintes aient pu justement se produire à l'occasion de certains faits que je vais indiquer à la Chambre.

(page 201) Il s'est présenté, en effet, une circonstance qui a amené des retards dans les transports et qui a pu provoquer ainsi les réclamations dont l'honorable M. David vient de se faire l'écho ; mais cette circonstance est tout à fait fortuite et exceptionnelle.

Voici à quoi elle est due :

Une quantité considérable de waggons, chargés de produits dits filatures, étaient arrivés à Anvers.

La Cork Steam Ship Company, qui devait enlever cette masse de filatures, les laissait en souffrance à Anvers. L'administration du chemin de fer de l'Etat protesta vivement contre cet état de choses, et le représentant de la société répondit à nos observations par la lettre dont je dois vous demander la permission de lire quelques passages à la Chambre.

« Par suite de la perte successive de deux steamers de la compagnie, le service sur Glascow a dû, pendant quelques jours, se ressentir, comme les autres lignes, d'un manque de moyens de transport qui peut se chiffrer par 2,000 tonnes par semaine. Sur les ordres de ma compagnie, je me suis rendu en Angleterre, pour y affréter d'autres steamers ; j'ai parcouru pendant huit jours les principaux ports et finalement ma société a pu remplacer les bateaux perdus. Dans l'entre-temps, une accumulation de filatures s'était produite à la station, parce que tous les envoyeurs de cette marchandise, profitant du bas prix de cet article par notre convention, il en est résulté une accumulation de colis que je ne pouvais ni prévoir ni empêcher. Pour sauver la situation, ma compagnie a détaché de sa principale ligne, Liverpool, un de ses meilleurs et plus grands bateaux ; elle a détaché, en outre, de la ligne de Belfast à Dublin, le steamer Egrel dont le chargement vient de se terminer et qui a enlevé tout. »

Vous voyez, messieurs, qu'il y a eu ici force majeure.

La perte de deux steamers avait ralenti pendant quelque temps l'enlèvement des filatures arrivées, et c'est là le motif pour lequel elles n'ont pas poursuivi leur route.

C'est, je le répète, un cas de force majeure, un fait tout anomal.

En somme, je crois que les fabricants belges qui se plaignent seront contents d'apprendre que les suspensions sont toujours générales et que s'il y a eu, à Anvers, une interruption momentanée, un retard accidentel dans l'enlèvement de leurs marchandises, ce retard a eu pour cause d'abord l'encombrement général de la station et, en second lieu, la perte de deux des navires qui devaient enlever les colis.

M. David. - Messieurs, la réponse que M. le ministre a bien voulu me faire servira de consolation aux intéressés dans la question soulevée par moi en ce moment. Ils apprendront au moins que la mesure a été générale ; qu'elle est étendue tant aux transports internationaux qu'aux autres stations de Belgique vers Anvers.

Mais, messieurs, il ne reste pas moins vrai que cette société anglo-belge exerce un véritable monopole et que M. le ministre des travaux publics ferait très bien d'introduire dans la convention un article additionnel lui permettant de se servir d'autres bâtiments à voiles ou à vapeur pour les transports vers l'Angleterre. Dans la lettre que j'ai eu l'honneur de vous lire, l'expéditeur d'Anvers dit : Si nous n'étions pas forcés de passer par les mains de l'Anglo-belge, nous avons eu de fréquents départs pour l'Angleterre et nous aurions pu acheminer ces filatures à leur destination.

Il y a encore là quelque chose d'inexplicable pour moi dans la réponse de M. le ministre. M. le ministre a trouvé extraordinaire que je me sois servi du mot « désorganisation des chemins de fer. »

M. Sainctelette. - Je demande la parole.

M. David. - Je veux cependant, messieurs, indiquer un fait qui s'est passé dans la station de Verviers et qui est de nature à faire croire que, bien loin de chercher à obvier aux inconvénients qui existaient, on a cherché à les aggraver. C'était lors du commencement de la dernière vente publique de laines à Anvers, vers le 7 novembre dernier. Le nombre d'ouvriers dans la station de Verviers était déjà complètement insuffisant.

Eh bien, en ce moment, on en a supprimé quatre. Au lieu de supprimer on aurait dû augmenter le nombre de dix ouvriers chargeurs.

Dix ouvriers, messieurs, peuvent charger et décharger 15 waggons par jour. Vous louez chaque waggon 5 francs par jour, ça fait 75 francs par jour. Si vous aviez eu dix ouvriers de plus dans la station de Verviers, les payant 2 fr. 40 c. par jour, ils vous auraient coûté 24 francs et vous auriez réalisé en bénéfice la différence entre 24 francs et 75 francs, non compris la recette à faire sur 15 waggons en marche de plus et l'avantage à en retirer par ceux qui s'en servent.

Eh bien, on ne l'a pas fait ; on a, au contraire, maintenu la suppression des quatre ouvriers au moment où les grands arrivages étaient proches.

Il y a eu contre cette mesure inintelligente des réclamations de l'industrie de Verviers ; on a demandé : Laissez au moins ces quatre ouvriers et donnez-nous-en davantage. Car pour le chargement et le déchargement des waggons, il faut des hommes habitués.

Il ne suffit pas de dire : Industriels, amenez vos ouvriers ; ce sont des gens inexpérimentés qui se font blesser et sont beaucoup plus lents à charger et à décharger les waggons que des hommes qui ne font rien autre chose du matin au soir, qui savent mieux manier les outils et les engins établis dans les stations pour charger et décharger les colis très lourds, comme les balles de laine de Buenos-Ayres qui sont d'un poids excessif.

Donc, je me suis servi à bon droit de l'expression de désorganisation.

M. Sainctelette. - Je me demande si nous allons discuter la question des chemins de fer. (Non ! non !) Il me semble qu'il avait été convenu entre les deux côtés de la Chambre que ce débat serait réservé et reporté à la rentrée des vacances. Autrement, de digression en parenthèse et de parenthèse en incise, nous arriverons à ce résultat d'avoir six ou sept discussions ouvertes à la fois et de n'aboutir dans aucune.

M. Wasseige. - Je ne demanderai à dire que peu de mots et vous comprendrez que c'est pour ainsi dire, pour moi, une question personnelle.

Je n'ai jamais eu la chance d'obtenir l'approbation de l'honorable M. David pendant tout le temps que je suis resté à la tête de l'administration des travaux publics. Je le regrette vivement. Vous le voyez, messieurs, ce mauvais vouloir me poursuit même après ma chute et ce sera certainement un des regrets les plus profonds que j'emporterai dans ma retraite. (Interruption.)

Pour l'honorable membre la crise commerciale et industrielle inouïe que nous traversons n'est due qu'à une cause unique, ma présence à la tête du département des travaux publics. Ce qui se passe non seulement chez nous, mais en France, en Angleterre, en Allemagne, toutes les plaintes qui fourmillent dans les journaux et qui ont été mises en évidence par les récents débats si complets et si intéressants qui ont eu lieu à l'assemblée française et qui prouvent que la situation est beaucoup plus mauvaise en France qu'ici, tout cela ne m'excuse pas. Peut-être même, dans l'opinion de l'honorable M. David, suis-je la seule cause de la désorganisation qui existe en France, en Angleterre et en Allemagne.

Eh bien, malgré le respect que je professe pour l'opinion de mon honorable collègue, je ne puis passer condamnation sans protester. Je dis donc que cette désorganisation n'est pas telle, que nous n'ayons des résultats magnifiques à présenter à la Chambre. Comme le disait à l'instant mon honorable successeur, les derniers mois pour lesquels nous avons eu des comptes établis sont splendides et le dernier, entre autres, le mois d'août, donne 1,650,000 francs de plus que le mois d'août de l'année précédente.

M. David. - Sous le régime des tarifs réduits. Vous prononcez la condamnation de votre réforme.

M. Wasseige. - A la fin de l'année, il y aura plus de 8 millions d'augmentation sur 1870. Il me semble que voilà des résultats assez satisfaisants pour un chemin de fer complètement désorganisé, résultats obtenus au milieu d'une crise sans précédent et de circonstances extérieures sans pareilles. Quant à la question verviétoise, si j'ai eu à subir le mauvais vouloir de l'honorable M. David, j'ai eu au moins quelque compensation ; j'ai pris, en faveur de Verviers et de son industrie, quelques mesures urgentes, exceptionnelles même, qui m'ont valu les remerciements de l'administration, communale de cette ville et une lettre des plus flatteuses de la chambre de commerce.

Je ne prétends pas que ces manifestations soient de nature à me consoler complètement de l'hostilité systématique de l'honorable membre mais il faut bien en convenir, j'y trouve cependant un certain baume à des blessures à peine cicatrisées ; j'espère que la Chambre sera de mon avis.

- L'incident est clos,

Projet de loi relatif aux bourses de voyage

Discussion générale

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Messieurs, le projet de loi soumis à la Chambre est, comme je le disais hier, en rapport avec la loi sur l'enseignement supérieur. Ne modifiant pas les principes organiques qui régissent cette matière, il se borne à augmenter le faux des bourses et leur nombre et à pourvoir ainsi à une nécessité reconnue depuis longtemps.

Dans la séance d'hier, on a paru prétendre que le plus grand nombre des boursiers se rendent à Paris et ne visitent pas les universités allemandes ou les autres universités étrangères. Pour mettre la Chambre à même d'apprécier la véritable situation des choses à cet égard, j'ai fait dresser un état de ce qui a eu lieu depuis 1865, et voici, messieurs, ce qui résulte notamment de cet état statistique :

Un certain nombre de boursiers se sont rendus non seulement dans les (page 202) écoles de Paris, mais aussi dans les universités d'Edimbourg, de Berlin, de Prague, de Vienne, de Paris et de Londres.

M. Sainctelette. - Toujours à Paris !...

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Toujours à Paris ! dit l'honorable M. Sainctelette ; or, voici ce que je trouve dans le dossier :

C'est que la plupart de ces jeunes gens commençaient par visiter des établissements en Allemagne pour se rendre après à Paris ou se rendaient d'abord à Paris pour compléter leurs études en Allemagne. Je remarque encore que les boursiers, et surtout les docteurs en droit et les docteurs en sciences, se sont rendus les uns à l'université de Heidelberg, d'autres à Boon.

Je tiens donc à constater de nouveau, messieurs, que jusqu'à présent le gouvernement a laissé aux boursiers la plus entière liberté, et comme beaucoup d'entre eux vont non pas seulement en France, mais dans d'autres pays étrangers, ils connaissent nécessairement la langue parlée dans ces pays.

Je suis loin de nier l'importance de l'étude des langues modernes. Je tiens à le dire ici, messieurs, cette étude est d'une haute utilité, non seulement pour former les savants, mais pour bien suivre le mouvement actuel des affaires en Europe. Au point de vue scientifique, économique et littéraire même, j'en reconnais toute la valeur.

Ce n'est d'ailleurs pas d'aujourd'hui qu'on se préoccupe de cette question. Ainsi la loi du 27 mars 1861, qui a institué l'examen de gradué en lettres préparatoire à la candidature en philosophie et à celle en sciences, détermine le programme d'un examen supplémentaire pour les récipiendaires qui ne sont pas munis d'un certificat d'études humanitaires complètes ; eh bien, ce programme comprend notamment le flamand, l'allemand ou l'anglais, au choix des récipiendaires. Vous voyez donc déjà que depuis plusieurs années, on a déposé dans notre législation un principe qui tend à développer l'étude des langues modernes.

Messieurs, j'aborderai maintenant d'une manière spéciale l'amendement des honorables MM. Sainctelette et Pirmez. J'ai cru devoir le combattre hier ; il me semblait renfermer des vices fondamentaux. Il y en a deux que je tiens signaler à la Chambre.

En premier lieu, cet amendement tend à diviser les bourses que nous allons créer en deux catégories : une moitié des bourses resterait sous l'empire des dispositions communes ; l'autre moitié ne pourrait être attribuée qu'aux jeunes gens qui justifieront de la connaissance d'une langue moderne autre que le français, le hollandais ou le flamand.

Eh bien, cette partie de la proposition des honorables membres, je ne pourrais, en aucune hypothèse, l'admettre, parce que je ne la trouve pas juste.

Je crois que là disposition doit rester entière, qu'elle doit être appliquée à tous les docteurs. La distinction telle qu'elle est proposée par l'amendement ferait naître, dans l'application de la loi, les plus fâcheux inconvénients.

Supposez, en effet, que pour les six bourses affectées aux jeunes gens connaissant une langue moderne étrangère, il ne se présente pas de docteur dans les conditions voulues par l'amendement, les bourses devront rester vacantes et ne pourront être conférées à d'autres jeunes gens qui seraient dans les meilleures conditions pour en jouir.

ïl me semble qu'il y a, sous ce rapport, un vice radical dans l'amendement.

Il y en a un second, selon moi, comme vous allez le voir.

Ce que nous voulons surtout encourager, c'est l'étude des langues germaniques, c'est-à-dire l'étude de l'allemand et de l'anglais. Parmi les autres langues modernes, il y en a plusieurs qu'on apprend avec facilité lorsqu'on connaît le français et le latin, je citerai notamment l'italien et l'espagnol.

Quel est celui d'entre nous qui, chaque fois qu'il a eu besoin de connaître un peu d'italien, ne s'est pas initié en quelques mois à la connaissance de cette langue ?

J'ai rédigé un nouvel amendement qui, je l’espère, répondra aux vœux exprimés par les honorables MM. Pirmez et Sainctelette ; le voici :

« A partir de 1873, ces bourses seront données de préférence aux docteurs qui justifieront de la connaissance de l'allemand et de l'anglais ou de l'une de ces deux langues.

« Le mode d'examen sera réglé par le gouvernement. »

Vous voyez immédiatement, messieurs, les avantages que présente notre proposition ; nous abrégeons le délai d'un an. C'est à partir de 1873 que la disposition recevra son application. Nous établissons ensuite un principe général qui n'est pas exclusif et absolu comme celui que nous combattons, Nous voulons une préférence en faveur des jeunes gens qui justifieront de la connaissance de l'allemand et de l'anglais ou de l'une de ces deux langues. Mais nous n'établissons qu'une simple préférence.

Permettez-moi de vous rappeler, messieurs, comment les choses se passent aujourd'hui. Pour qu'un docteur puisse jouir de la bourse de voyage, il doit avoir subi l'examen avec la plus grande distinction. Le jury est consulté sur ce point. Voilà une première condition requise : c'est le degré de science constaté par le diplôme. Une autre condition qui tient au fond même de notre organisation universitaire, c'est que les jeunes gens soient docteurs, n'importe dans quelle faculté.

L'amendement ajoute à ces conditions qu'en cas de concurrence, la préférence sera acquise aux docteurs connaissant l'allemand et l'anglais. Comme des jeunes gens ne seront peut-être pas en mesure de justifier de la connaissance de ces deux langues, il suffira de la connaissance de l'une d'elles.

Il y aura là évidemment une justification à faire et qui sera réglée par des dispositions spéciales. Tel est l'objet du dernier paragraphe de l'amendement, ainsi conçu :

« Le mode d'examen sera réglé par le gouvernement. »

La Chambre comprendra qu'en déposant cet amendement nous avons voulu faire un acte de condescendance ; nous désirons sauvegarder les principes tout entiers de la loi organique de 1857 ;

Nous entendons que les bourses de voyage ne puissent être conférées qu'à des jeunes gens réunissant les conditions exigées d'eux à toutes les époques. Mais enfin nous voulons aussi, puisque au moment où je parle l'étude des langues modernes et surtout celle de l'allemand et de l'anglais est considérée, à juste titre, comme une branche d'études presque nécessaire, nous voulons, en introduisant dans la loi une disposition sur ce point, prouver toutes nos sympathies pour la connaissance des langues étrangères.

M. Bergé. - Hier, l'honorable M. Sainctelette a parlé de la possibilité d'accorder des bourses de voyage non seulement aux docteurs, mais encore à tous les jeunes gens qui se seraient distingués dans les études supérieures ; par exemple à ceux qui se seraient distingués à l'école des mines, à l'école du génie civil, à l'école militaire, etc.

Je viens, messieurs, présenter à cette proposition un amendement ayant pour objet d'accorder la même faveur aux pharmaciens que la proposition de l'honorable M. Sainctelette se bornait à entrevoir dans l'avenir en ce qui concerne les études spéciales puisqu'on sortait de la loi sur l'enseignement supérieur. Par mon amendement nous resterions parfaitement dans le cadre de cet enseignement.

Quand tout à l'heure j'ai indiqué l'objet de mon amendement, j'ai cru apercevoir quelques sourires sur les bancs de la droite, qui probablement ont trouvé étrange une demande tendante à accorder la faveur de voyager avec une bourse des jeunes gens qui ont passé leur examen de pharmacien avec la plus grande distinction.

Eh bien, je tiens à développer ma proposition et à démontrer qu'elle n'est nullement de celles qui doivent provoquer les ricanements d'hommes sérieux. (Interruption.)

- Voix à droite. - Personne n'a ricané.

M. Kervyn de Volkaersbeke. - Je trouve votre proposition parfaitement juste.

M. Bergé. - Je me suis donc trompé ; je m'en félicite.

Pour obtenir son diplôme de pharmacien, le jeune homme a dû faire des études très sérieuses ; les examens ne sont pas aussi faciles qu'on pourrait bien le croire ; et il y a même dans ces examens une partie qui est malheureusement trop négligée ; c'est la partie pratique.

Ainsi, dans l'examen de pharmacien, on exige la connaissance des altérations, des falsifications des drogues ; il comprend, en outre, deux préparations pharmaceutiques, deux opérations toxicologiques, une opération propre à découvrir la falsification des médicaments. Ainsi, la chimie pratique fait partie de l'examen de pharmacien.

Cependant, il est assez difficile aux pharmaciens d'obtenir le grade de docteur, de telle sorte que les bourses de voyage ne peuvent leur être accordées, à moins qu'ils ne se décident à faire un effort bien difficile pour obtenir un diplôme scientifique en plus de celui qui est nécessaire pour l'exercice de sa profession.

On compte un très grand nombre de pharmaciens distingués à toutes les époques.

L'histoire de la science enregistre les pharmaciens parmi les hommes qui ont concouru au développement des sciences.

Je citerai, à une époque déjà reculée, un des princes de la science, l'un des créateurs de la chimie, Schéele, pharmacien à Stockholm et plus tard à Upsal.

(page 203) De notre temps, nous trouvons encore des pharmaciens des plus distingués au point de vue scientifique.

Lemcry, Braconnot et Beaumé au siècle dernier ; et de nos jours : Pelletier, Guihour et Soubeiran ont tous laissé un nom dans la science.

La Belgique compte aussi plusieurs pharmaciens distingués qui ont occupé ou occupent des chaires dans nos universités.

Les pharmaciens, quand ils auront fait preuve d'une aptitude spéciale pour la chimie, suivront les cours des universités allemandes.

Indépendamment des universités, on a créé, en Angleterre et en Allemagne, des écoles spéciales de chimie.

Hoffman a constitué à Londres une grande école de chimie et il ne l'a quittée que pour aller fonder une école du même genre à Berlin.

Les universités allemandes ont généralement les laboratoires les mieux montés, et l'on ne trouve pas cela en Belgique.

Les universités de Bonn, de Geisen, de Berlin et de Heidelberg possèdent des écoles de chimie annexées à l'université.

On a dépensé, pour munir ces écoles du matériel nécessaire, plusieurs millions de francs ; on peut par conséquent y donner des cours spéciaux de chimie.

Les jeunes gens peuvent donc y faire des études qu'ils ne pourraient faire en Belgique.

Je ne fais qu'effleurer ce point, sur lequel je reviendrai lors de la discussion du budget de l'intérieur.

Le jeune homme qui aura suivi ces différents cours aura rapporté des connaissances qu'il ne pouvait acquérir ici. Cela est incontestable.

Aussi je me rallie parfaitement à l'amendement proposé par les honorables MM. Pirmez et Sainctelette.

Ainsi, cette connaissance des langues étrangères devient indispensable précisément pour que les bourses d'étude puissent avoir une efficacité réelle.

Il est vrai qu'en France il y a des cours assez sérieux. Je suis bien loin de prétendre qu'il est parfaitement inutile d'aller en France pour y apprendre quoi que ce soit et, ne sortant pas du domaine de la chimie, je rappellerai que Gerhardt et Laurent sont français et ont certainement jeté un lustre énorme sur la science moderne et que leurs noms se trouvent au fronton des écoles de chimie en Prusse.

Je citerai encore les noms de Balard, de Wurtz et de Berthelot qui sont certainement des illustrations de la science. L'enseignement donné à l'école spéciale des sciences est certainement utile et le Belge qui ira là pourra certainement y acquérir des connaissances utiles : il n'aura pas perdu son temps.

Mais cependant, pour le moment, l'enseignement de la science, et particulièrement l'enseignement de la chimie, donné en Allemagne, a une supériorité incontestable sur celui donné dans les autres pays. C'est pourquoi j'appuie de toutes mes forces l'amendement de MM. Pirmez et Sainctelette, et je persiste à le faire malgré les observations présentées par M. le ministre de l'intérieur, observations qui ne m'ont, en aucune façon, fait dévier de ma manière de voir à cet égard. En effet, s'il arrive qu'une année il n'y a aucun élève en état de justifier de la connaissance d'une langue moderne autre que le français, le flamand ou le hollandais, je crois qu'il conviendrait cette année-là de ne pas accorder plus de la moitié des bourses et de rester parfaitement dans les termes de l'amendement, sans quoi on n'arriverait à aucun résultat utile.

MM. Pirmez et Sainctelette ont cru devoir ne réserver que la moitié des bourses à des conditions déterminées. On ne touche donc en aucune façon, en acceptant l'amendement, au principe de la loi sur l'enseignement supérieur. Vous êtes seulement obligés de modifier deux articles relatifs aux jurys d'examen ; vous devez les modifier en prenant le projet du gouvernement et dès lors vous pouvez attribuer à la collation de ces bourses telles conditions que vous jugerez à propos ; vous pouvez aussi étendre ces bourses tant que vous restez dans le cadre de l'enseignement supérieur. Vous pouvez aussi parfaitement les accorder aux pharmaciens.

Dans mon amendement, je ne propose pas de mettre les pharmaciens sur le même pied que les docteurs en médecine et les docteurs en droit.

Le nombre des bourses se trouverait de douze pour la généralité, il y en aurait huit pour les sciences et pour la médecine.

Mais de ces huit bourses, sept seraient réservées pour les études scientifiques et pour les médecins ; une seule pourrait être accordée aux pharmaciens.

Ce n'est pas trop demander que de faire inscrire dans la loi un principe permettant, dans certains cas déterminés, d accorder une bourse de voyage un élève qui se serait distingué dans ses études en pharmacie.

M. le président. - Voici l'amendement de l'honorable M. Bergé :

« Art. 12. Douze bourses de 2,000 francs par an peuvent être décernées annuellement par le gouvernement sur la proposition des jurys d'examen, à des Belges qui ont obtenu le grade de docteur ou de pharmacien avec la plus grande distinction, pour les aider à visiter des établissements à l'étranger.

« Art. 43. Ces bourses sont données pour deux ans et réparties de la manière suivante :

« Quatre pour les docteurs en droit ou en philosophie et lettres, sept pour les docteurs en science et en médecine et une pour les pharmaciens. »

M. Lelièvre. - Le projet en discussion sera certes admis par tous les amis de l’enseignement public. Sous ce rapport, il recevra l'assentiment général. Il s'agit d'encourager les études à l'étranger, et, sans contredit, c'est là un élément puissant de progrès.

Quant à l'amendement de l'honorable M. Sainctelette, j'en adopte le principe et je serai heureux de le voter, lorsqu'il s'agira d'une loi nouvelle sur l'enseignement supérieur. Mais le projet de loi n'a pour objet que d'augmenter le nombre des bourses. Il est donc naturel, avant d'aller plus loin, d'attendre la discussion du projet nouveau.

Dans l’entre-temps, comme l'a promis M. le ministre de l’intérieur, on pourra pourvoir, au moyen de subsides, aux besoins concernant les jeunes gens de la catégorie de ceux dont s'occupe l'amendement ; d'un autre côté, j'espère que le dépôt d'un projet de loi relatif à l'enseignement supérieur aura lieu dans un très bref délai, comme l'a promis l'honorable ministre de l'intérieur.

Ne perdons pas de vue que depuis près de quinze ans nous sommes régis par les dispositions de la loi de 1857 sur les certificats, système condamné par tous les hommes d'expérience et de science.

Il me reste à faire une observation relativement à l'article additionnel proposé par la commission.

Celle-ci pense qu'il faut ajouter : « Les Belges qui ont obtenu des bourses avant la dernière session du jury jouiront du bénéfice de la présente loi pendant tout le temps qu'ils ont encore à passer à l'étranger. »

Cette disposition additionnelle est inutile. Il est évident que, dans le cas qu'elle prévoit, une nouvelle décision ministérielle est indispensable. Par conséquent quelle peut être l'utilité de l'article proposé ?

Les dispositions du projet se suffisent à elles-mêmes. Le gouvernement pourra accorder aux Belges qui ont obtenu des bourses le bénéfice de la loi nouvelle, puisqu'il s'agit de régler le temps futur et, d'un autre côté, il devra, dans tous les cas, intervenir un arrêté nouveau à prendre par le gouvernement.

J'estime donc qu'il faut adopter purement et simplement le projet de loi avec le texte primitif.

M. Vleminckx. - Messieurs, j'ai demandé la parole lorsque l'honorable ministre de l'intérieur disait que, pour jouir d'une bourse de voyage, il fallait avoir subi un examen de doctorat avec la plus grande distinction.

C'est une erreur évidemment, mais j'engage fortement l'honorable ministre à établir les choses dans cette situation.

En ce qui concerne l'amendement de l'honorable M. Bergé, je dois dire à la Chambre que la commission consultative qui s'occupe de la révision de notre législation sur l'enseignement supérieur, a résolu la question dans le sens de l'amendement proposé par mon honorable collègue. Je me rallie donc à l'amendement de mon honorable collègue.

Maintenant, messieurs, j'engage l'honorable ministre à veiller à l'usage qu'on fait de ces bourses. On va, dit-il, à Berlin, à Edimbourg, etc., mais, messieurs, les bourses sont accordées pour un ou deux ans et très souvent les boursiers reviennent au bout de trois ou quatre mois ; ils devraient cependant se rappeler que les bourses de voyage s'accordent dans l'intérêt de la science, dans l'intérêt du pays, mais pas pour leur agrément personnel.

M. Sainctelette. - Messieurs, nous nous rallions à la rédaction proposée par le gouvernement. Nous remercions vivement M. le ministre de l'intérieur de s'être rendu aux observations que nous avons présentées. Nous reconnaissons sans difficulté que sa rédaction est préférable à la nôtre.

Nous espérons que, d'accord sur le premier point, le gouvernement et la Chambre ne refuseront pas d'aider par de nouvelles mesures à la propagation de la connaissance de la langue allemande et de la langue anglaise.

L'Allemagne et l'Angleterre sont aujourd'hui les deux principaux foyers (page 204) du mouvement intellectuel, non pas seulement en Europe, mais même dans le monde entier.

Tout le monde a pu constater à quel degré d'abaissement momentané est descendu le mouvement scientifique en France. Les Français éclairés ne font aucune difficulté à le reconnaître eux-mêmes. Dans la dernière livraison de la Revue des Deux Mondes, vous pouvez lire une page éloquente dans laquelle un des principaux naturalistes français, M. Martins, constate, avec le plus douloureux regret, combien la France est, sous le rapport de l'étude de la nature, complètement au-dessous de son ancienne réputation.

La France, n'en doutez pas, fera effort pour se relever ; mais il lui faudra plusieurs années pour regagner son ancien rang.

Et d'ailleurs, il n'y a de suprématie en matière scientifique et, quoi qu'il arrive, celui qui ne connaîtra qu'une langue et qu'une littérature n'aura jamais qu'une instruction imparfaite.

M. Delaet. - Messieurs, puisque les honorables auteurs de l'amendement se rallient à celui du gouvernement, je ferai de même. J'avais préparé un amendement qui généralisait davantage que ne le faisaient ces messieurs, l'attribution des bourses à ceux d'entre les docteurs qui avaient passé l'examen avec la plus grande distinction.

J'aurais voulu, à cette occasion, insister quelque peu aussi sur l'importance qu'il y a, pour la Belgique, à pousser le plus possible a l'étude des langues étrangères, et surtout des langues germaniques, parce que la Belgique est, par sa position géographique, qui en fait en quelque sorte un centre entre l'Allemagne, l'Angleterre et la France, et, par sa population, à moitié romaine et à moitié saxonne, est naturellement indiquée pour devenir le centre du mouvement intellectuel européen, aussitôt qu'elle saura comprendra son rôle et faire ce qu'il faut pour être à la hauteur de sa grande mission.

L'étude des langues a été beaucoup trop négligée ; l'enseignement donné exclusivement, trop exclusivement, en français a eu pour résultat de faire négliger l'étude des langues étrangères même par des jeunes gens appartenant aux provinces flamandes.

Il en est résulté que la science belge n'a été pour ainsi dire qu'un reflet de la science française, qu'il y a eu, qu'il y a encore pour la Belgique une espèce de vasselage moral et intellectuel, lequel est bien plus dangereux et bien moins honorable encore que le vasselage politique, attendu qu'il domine dans l'homme ce qu'il a de plus élevé, son cœur et son intelligence, et non pas seulement les conditions extérieures de son existence.

Pour amener l'émancipation intellectuelle des Belges, il faut les engager à s'abreuver non seulement aux sources françaises, mais aussi aux sources anglaises, allemandes et même, comme me le faisait observer tout à l'heure l'honorable M. Thonissen, pour certaines sciences, à d'autres sources encore.

Il y a donc non seulement un intérêt scientifique, mais un intérêt politique, un intérêt national à ce que l'étude des langues modernes soit encouragée, favorisée plus qu'elle ne l'a été jusqu'ici.

Mon honorable ami, M. De Lehaye, vous a dit hier que, dans l'amendement de MM. Sainctelette et Pirmez, les Flamands étaient moins favorisés que les Wallons. Je n'en sais rien ; je dirai même que je ne le crois pas, que je le crois si peu que je serais disposé, quant à moi, à formuler l'amendement de façon que la connaissance approfondie de la langue flamande complût comme la connaissance d'une langue étrangère aux jeunes gens nés et élevés dans les provinces wallonnes. (Interruption.)

Je ne parle pas de la question flamande en ce moment, elle viendra à son heure et, je l'espère, à bref délai. En ce moment j'agite une simple question scientifique.

Qu'un jeune homme appartenant aux provinces wallonnes étudie l'allemand, certes il apprendra cette langue ; mais il ne se sera procuré aucune facilité pour se familiariser avec l'anglais. Qu'au contraire il apprenne l'anglais, il se trouvera dans la même situation vis-à-vis de la langue allemande. Remarquez, messieurs, que la connaissance de la langue flamande lui faciliterait à la fois celle de l'allemand et de l'anglais.

Voici pourquoi : les vocables flamands ont une permutation constante de voyelles et de consonnes avec les vocables allemands. On peut résumer ces permutations en une seule page d'écriture. Un Flamand qui les connaît saura lire l'allemand, et en très peu de jours et certainement en peu de semaines, il comprendra lotis les auteurs, en supposant, bien entendu, qu'il ait, sous d'autres points de vue, les connaissances requises pour les comprendre.

Pour l'anglais, qui est une langue saxonne, tous les mois d'origine flamande ont la forme thioise, c'est-à-dire la forme flamande pure. II n'y a donc là aucune transformation à faire. Placée entre l'anglais et l'allemand, la langue flamande, doublée de la connaissance du français, sert de pont entre l'une et l'autre.

Par conséquent il y aurait la plus grande utilité, la question intérieure demeurant tout à fait écartée, à engager les jeunes gens du pays wallon à étudier de préférence la langue néerlandaise, qui leur ouvrirait à la fois l'accès de l'allemand, de l'anglais et des langues scandinaves.

Je ne sais si l'on peut introduire aujourd'hui cet amendement dans le projet de loi ; mais quand la loi de réorganisation universitaire nous sera soumise, j'engagerai l'honorable ministre de l'intérieur à faire une sérieuse attention à ce que je viens d'avoir l'honneur d'exposer devant la Chambre.

Je crois pouvoir borner là, pour le moment, mes observations. Si l'amendement de l'honorable M. Pirmez et de l'honorable M. Sainctelette avait dû être soumis à un vote, j'aurais proposé une modification qu'il peut être intéressant de signaler même en ce moment.

Ces messieurs ont parlé de la langue hollandaise ou flamande. Laissez-moi vous dire qu'il n'y a pas de langue hollandaise ou de langue flamande ; ce ne sont pas là des langues distinctes.

Je ne connais qu'une seule langue, la langue néerlandaise. Malgré ses dialectes différents, la langue néerlandaise est une, de même qu'il n'existe qu'une langue française, quoique les façons de s'exprimer de Montaigne et de Bossuet soient bien différentes l'une de l'autre. La Grèce avait ses dialectes ; le latin de Rome n'était pas celui des provinces ; les formes de l'anglais, celles de l'allemand ne sont point partout rigoureusement identiques. Il en est de même des différents dialectes locaux des Pays-Bas, lesquels n'ont d'importance que pour les philologues, à titre de renseignements.

M. Thonissen. - L'honorable ministre de l'intérieur propose d'accorder la préférence aux docteurs qui justifieront de la connaissance de l'allemand ou de l'anglais. Je voudrais savoir pourquoi la langue italienne a été omise.

Je ne sais pas si l'Italie se distingue des autres nations en ce qui concerne la médecine, les sciences naturelles et les sciences physiques ; mais je puis donner à la Chambre l'assurance formelle que, en ce qui concerne les sciences juridiques, l'Italie se trouve aujourd'hui à la tète des nations de l'Europe. Il y a en Italie des écoles de droit célèbres et des maîtres de premier ordre. Il suffit de citer les universités de Pise, de Bologne et de Naples. Il y a, de plus, en Italie, une vie scientifique des plus remarquables.

Je citerai ce seul fait, que l'Italie compte en ce moment onze revues traitant de la théorie ou de l'histoire du droit, ce qui suppose manifestement un travail littéraire et scientifique des plus importants.

La législation de l'Italie mérite, de son côté, d'être sérieusement étudiée au point de vue scientifique. Elle possède un code pénal qui se rapproche du nôtre ; elle a un code de procédure civile, un code de procédure criminelle, un code civil, qui, dans plusieurs de leurs parties, sont supérieurs aux nôtres. Il y a là incontestablement beaucoup à apprendre.

Je voudrais donc savoir pourquoi ceux de nos jeunes docteurs qui se proposeraient de fréquenter des cours de droit en Italie n'obtiendraient pas une bourse de voyage au même titre que ceux qui connaissent l'allemand ou même l'anglais.

Que trouvons-nous en Angleterre en ce qui concerne l'enseignement du droit ? Nous y trouvons l'enseignement du droit romain, d'une manière très incomplète ; puis l'enseignement du droit coutumier anglais, qui n'a aucun rapport avec le droit enseigné et appliqué sur le continent.

Remarquez, en outre, messieurs, que ce droit coutumier lui-même n'est pas commun à toute l'Angleterre ; il varie, en quelque sorte, de comté à comté. En réalité, il n'y a pour nos jeunes docteurs aucun enseignement important à puiser dans le droit anglais, tandis que le droit privé de l'Italie a les plus grandes analogies avec le nôtre.

Je vous le demande, messieurs, où est aujourd'hui, pour la théorie et pour l'histoire du droit, la véritable vie scientifique ? Il faut bien le dire, cette vie brille aujourd'hui surtout en Italie. Je vous demande où sont, pour le droit criminel surtout, depuis Beccaria et Filangieri jusqu'à nos jours, les plus grands jurisconsultes, les maîtres les plus éminents ? Encore une fois, c'est en Italie.

En un mot, l'Italie tient, en ce moment, le haut de l'échelle pour les études juridiques.

Il me semble, messieurs, qu'il y a donc lieu de compléter l'amendement de M. le ministre de l'intérieur, auquel je me rallie, en ajoutant le mot « italien » après le mot « anglais ».

- Plusieurs membres. - Appuyé ! appuyé !

M. le président. - M. Thonissen propose de placer, après le mot : (page 205) « anglais »,dans l'amendement de M. le ministre de l'intérieur, le mot : « italien ».

- L'amendement est appuyé.

M. Rogier. - M. le ministre de l'intérieur a déposé un amendement auquel je me rallie en principe. Je me rallie également au sous-amendement présenté par son ancien collègue, M. Thonissen, mais l'amendement de M. le ministre demande une explication.

Il dit :

A partir de 1873, ces bourses seront données de préférence aux docteurs qui justifieront de la connaissance de l'allemand, etc.

Est-il entendu que cette disposition ne s'applique qu'aux docteurs qui ont obtenu leur grade avec la plus grande distinction ?

M. Thonissen. - Cela se trouve dans le paragraphe premier.

M. Rogier. - Mais cela n'est pas indiqué dans le paragraphe additionnel.

Je propose un amendement à ce paragraphe.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Je vais chercher, messieurs, à répondre d'abord aux observations générales qui viennent d'être présentées.

L'honorable M. Vleminckx a critiqué le règlement général sur les bourses de voyage. Il l'a considéré comme n'étant pas en harmonie avec la loi elle-même.

La loi ne permet d'accorder des bourses de voyage qu'aux docteurs qui ont subi l'examen avec la plus grande distinction.

Vous savez qu'aujourd'hui l'épreuve du doctorat en droit comprend deux examens et le doctorat en médecine, trois.

Le règlement organique de 1857, d'accord en cela avec les précédents règlements, a établi la disposition suivante : Pour que l'élève puisse profiter de la bourse, s'il s'agit du droit, il faut qu'il ait obtenu au moins la distinction dans un de ses examens et la plus grande dans l'autre, et s'il s'agit de la médecine, il est indispensable que le docteur subisse avec la plus grande distinction au moins un de ses examens et qu'il ait obtenu au moins la distinction dans les deux autres.

Ce n'est pas là un principe nouveau.

Messieurs, veuillez-le remarquer, il avait déjà été établi, en exécution de la loi de 1849 qui, la première, a organisé les deux examens de doctorat en droit comme les trois examens du doctorat en médecine.

Seulement, sous l'empire de la loi de 1849, il existait un grade scientifique qui a été supprimé en 1857 : c'était la grande distinction.

Le gouvernement a pensé, en 1857, qu'il fallait maintenir les principes antérieurs et qu'il devait suffire d'avoir obtenu la plus grande distinction dans un des examens et la distinction dans les autres.

Mais veuillez remarquer, messieurs, que les jurys étant appelés à émettre leur avis sur les demandes de bourses qui sont formées par les récipiendaires, ont soin de recommander en première ligne ceux qui ont obtenu la plus grande distinction dans tous leurs examens ; ensuite ils proposent en seconde et en troisième ligne, suivant le mérite de l'examen, ceux qui se trouvent dans les conditions que je viens d'indiquer, c'est-à-dire ceux qui ont subi un seul examen avec la plus grande distinction et l'autre ou les autres avec distinction.

En fait donc, voici ce qui arrive : c'est que la plupart des jeunes gens qui jouissent d'une bourse de voyage ne l'ont obtenue qu'après avoir remporté la plus grande distinction dans leurs divers examens. La raison en est bien simple : il y a toujours concurrence entre un assez grand nombre de postulants et je dois dire que j'ai eu plusieurs fois l'occasion de m'assurer que toujours c'était la règle de conduite de mes honorables prédécesseurs.

Il n'y a donc aucune raison pour modifier l'arrêté de 1857, qui facilite l'accès des bourses de voyage aux jeunes docteurs sans rien enlever aux prérogatives du gouvernement, celui-ci restant toujours le maître d'apprécier les titres de ceux qui sollicitent cette faveur.

En résumé, je pense que sous ce rapport il n'y a rien à modifier pour le moment à notre législation. Nous verrons plus tard les changements qu'il convient d'y apporter, lorsque nous nous occuperons de la loi de réorganisation.

J'ai à vous parler, en second lieu, de l'amendement de l'honorable M. Bergé.

L'honorable M. Bergé voudrait qu'une bourse au moins fût affectée aux pharmaciens. Ce serait là, messieurs, une modification plus profonde encore que celle qui nous était demandée, dans la séance d'hier, par les honorables MM. Sainctelette et Pirmez. En effet, d'après la législation organique, les bourses de voyage ne sont accordées qu'aux docteurs. Or, n'est-il pas manifeste que le pharmacien, considéré à ce titre seul, n’est pas un docteur ?

Sans doute, messieurs, il y a des pharmaciens qui peuvent obtenir une bourse de voyage : ce sont ceux qui ont continué leurs études jusqu'au grade de docteur en sciences naturelles.

Messieurs, vous devez connaître à cet égard la véritable situation.

L'examen de pharmacien est sérieux ; mais il est bien moins important que l'épreuve requise des docteurs en sciences naturelles et voici entre autres une considération qui fera comprendre à la Chambre pourquoi il me sera difficile, je dirai même impossible, de me rallier à l'amendement de l'honorable M. Bergé.

Sous la loi de 1849, le grade de pharmacien était assimilé au grade de candidat en sciences ; aussi, cette loi disait en termes formels que les pharmaciens pourraient être admis au doctorat en sciences sans être obligés de passer par l'examen de candidature : le grade de pharmacien équivalait donc au grade de candidat en sciences.

En 1857, la chose a été changée ; on a abrogé cette disposition de la loi, apparemment parce qu'on a reconnu que l'examen de pharmacie, au point de vue général dés études, ne présente pas les garanties qu'offre l'épreuve de candidature en sciences.

Vous voyez donc que la proposition de l'honorable M. Bergé présente une importance réelle ; elle modifie le projet même, dans un point fondamental.

Si, comme je l'ai dit tout à l'heure, j'ai pu me rallier en partie à l'amendement des honorables MM. Pirmez et Sainctelette, c'est que cet amendement n'entame pas la législation organique. Il ajoute seulement une condition nouvelle pour l'application des principes de la loi.

Je ne dis pas, messieurs, qu'il n'y a pas à tenir compte de ces éléments de la question, mais je suis d'avis qu'il faut en réserver l'examen jusqu'au moment où la Chambre s'occupera d'une manière approfondie de la réorganisation projetée.

Il me reste, messieurs, à fournir quelques explications à l'honorable M. Thonissen au sujet de la rédaction nouvelle que j'ai eu l'honneur de vous soumettre tantôt.

Il est vrai que mon amendement ne comprend pas la langue italienne parmi les langues étrangères que les docteurs devront connaître, mais, messieurs, si vous admettez la langue italienne, pourquoi ne pas ajouter également l'espagnol, le portugais, le danois, toutes les langues de l'Europe en un mot ?

D'un autre côté, messieurs, nous savons que tous ceux qui connaissent la langue française, tous ceux qui ont fait des humanités complètes arrivent facilement à la connaissance de l'italien.

Loin de moi, messieurs, la pensée de nier le progrès que les études juridiques ont fait, en Italie ; cependant il faut bien reconnaître que ce n'est pas la législation italienne qui a servi de guide aux auteurs de la législation qui nous régit. J'ai étudié le code civil sarde, il renferme des dispositions d'une grande importance et très intéressantes sans doute à consulter, mais je crois qu'il n'est pas d'homme qui se soit occupé d'études juridiques qui ne puisse parfaitement dire en quoi le code italien diffère du nôtre.

Comme je l'ai dit, messieurs, notre véritable raison est celle-ci : L'étude de la langue italienne est une étude facile tandis que celle de l'allemand et de l'anglais exige une longue application.

L'honorable M. Sainctelette et l'honorable M. Pirmez vous ont dit, hier, que ces dernières langues présentent surtout de l'intérêt pour une partie du pays ; eh bien, c'est aussi une raison pour laquelle nous avons cru pouvoir nous rallier à leur proposition.

M. Thonissen. - L'honorable ministre de l'intérieur m'a demandé pourquoi je proposais d'ajouter à l'amendement l'italien et non pas l'espagnol, le danois ou le suédois.

La raison en est bien simple, bien élémentaire : c'est qu'il y a en Europe quatre grandes langues scientifiques, le français, l'allemand, l'anglais et l'italien, quatre langues sans lesquelles il est aujourd'hui radicalement impossible de devenir un savant tant soit peu distingué. Si je ne parle ni du danois ni du suédois, ce n'est pas qu'il n'y ait des savants dans ces pays, mais parce qu'on ne peut pas tout apprendre et que, dès lors, il est sage de se borner aux quatre grandes langues scientifiques.

L'honorable ministre de l'intérieur ajoute que l'Italie n'avait rien à nous offrir. Ici il se trompe complètement, et je vais lui en fournir la preuve à l'instant même.

Le dernier cabinet libéral a présenté à la Chambre, il y a deux ans, un projet de code de procédure civile qui réalisait bien des améliorations. Or, ce code renfermait une foule de dispositions empruntées au code de procédure civile en vigueur en Italie.

Je vais plus loin : le gouvernement présentera bientôt à la Chambre un (page 206) nouveau code d'instruction criminelle. Eh bien, sans être prophète, je lui prédis que, cette fois encore, il sera forcé de faire de nombreux emprunts au code d'instruction criminelle italien.

Il en sera de même plus tard pour d'autres codes.

J'ai donc indiqué, d'autre part, une langue scientifique, d'autre part, un pays où règne l'esprit scientifique, un pays auquel nous avons déjà fait de nombreux emprunts, et auquel nous pourrons encore en faire de très utiles.

Je ne veux pas. remarquez-le bien, louer l'Italie sans réserve. Mais l'Italie, malgré tous ses malheurs, malgré toutes ses erreurs, est restée animée d'un esprit scientifique immense.

Elle a conservé de grands professeurs, de grands maîtres dans toutes les branches des sciences juridiques. Pourquoi ne pas aller à leurs écoles, comme à toutes les autres ?

Il faut avoir le courage de l'avouer, la Belgique semble vouloir s'engager sur la pente d'une véritable décadence scientifique. Je l'ai déjà dit, dans cette enceinte, il y a un an, en repoussant une attaque, que l'honorable M. Julliot avait dirigée contre l'enseignement supérieur belge, et je n'ai, malheureusement, rien à rétracter sous ce rapport.

Dès lors que devons-nous désirer ? Que nos jeunes jurisconsultes, envoyés à l'étranger avec une bourse de voyage, se rendent là où existe le véritable esprit scientifique, afin qu'ils deviennent les auteurs d'une régénération prochaine.

Nous donnons une bourse à ceux qui connaissent l'anglais. Veuillez, encore une fois, me dire ce que l'étudiant belge peut apprendre en Angleterre, en matière de droit privé !

On y enseigne le droit romain. Oui ; mais on enseigne également le droit romain chez nous et d'une manière beaucoup plus complète ; et, quant au droit coutumier anglais, veuillez me citer une seule disposition dont on puisse tirer parti en Belgique. Que faire chez nous d'un droit coutumier qui varie de comté en comté, souvent même de village en village ? Et cependant vous accordez une préférence à ceux qui connaissent l'anglais. (Interruption.)

Mais, a-t-on dit, on apprend si facilement l'italien. Je n'en suis pas convaincu. Sans doute, on apprend sans peine l'italien vulgaire, mais il n'en est pas de même de la langue savante, de la langue littéraire. Cela est tellement vrai que le comte de Cavour, qui avait une intelligence très remarquable, n'a jamais parlé correctement l'italien. (Interruption.) C'est ainsi, et cela est parfaitement connu en Italie.

On n'apprend donc pas si aisément l'italien. D'ailleurs que signifie cette objection ?

Je ferai remarquer au gouvernement qu'un Flamand, connaissant le latin et le français, apprend encore bien plus facilement l'anglais. Si la facilité d'apprendre une langue est un motif d'exclusion, il faut, sous peine d'inconséquence, vous hâter de biffer l'anglais.

Je persiste donc dans mon amendement. Je me rallie, il est vrai, à l'amendement de M. le ministre de l'intérieur ; je trouve cet amendement rationnel ; mais je veux que nos jeunes docteurs se familiarisent avec les quatre grandes langues scientifiques. Je ne demande pas qu'on y ajoute le danois, le norvégien, le polonais, le hongrois ; je ne sors pas des quatre langues scientifiques, et comme l'italien en est une, je demande qu'on la mette sur la même ligne que l'anglais et l'allemand.

- La discussion est close.

Vote de l’article unique

M. le président. - Voici l'article unique du projet de loi :

« Article unique. Les articles 42 et 43 de la loi du 1er mai 1857 sur les jurys d'examen chargés de conférer les grades académiques, sont modifiés de la manière suivante :

« Art. 42. Douze bourses de 2,000 francs par an peuvent être décernées annuellement par le gouvernement, sur la proposition des jurys d'examen, à des Belges qui ont obtenu le grade de docteur avec la plus grande distinction, pour les aider à visiter des établissements étrangers.

« Art. 43. Ces bourses sont données pour deux ans et réparties de la manière suivante : quatre pour les docteurs en droit et en philosophie et lettres, et huit pour des docteurs en sciences et en médecine. »

M. Bergé propose d'ajouter les mots : « ou des pharmaciens » après ceux-ci : « et huit pour des docteurs en science et en médecine. »

- Cet amendement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le président. - La suite de l'amendement de M. Bergé vient à tomber par suite du rejet des mots « ou des pharmaciens. »


M. le président. - Nous passons maintenant à l'amendement de la section centrale, qui est ainsi conçu :

« Art, 43. § 2. Les Belges qui ont obtenu des bourses avant la dernière session du jury, jouiront du bénéfice de la présente loi, pendant tout le temps qu'ils ont encore à passer à l'étranger. »

- Cet amendement est mis aux voix et adopté.


M. le président. - Vient ensuite l'amendement présenté par M. le ministre de l'intérieur : « ceux qui justifieront de la connaissance de l'allemand, de l'anglais, ou de l'une de ces deux langues. »

- Cet amendement est adopté.


M. le président. - M. Thonissen propose d'ajouter à ce paragraphe le mot « italien » après le mot « anglais ». Il faudrait donc dire : « ceux qui justifieront de la connaissance de l'allemand, de l'anglais, de l'italien ou de l'une de ces trois langues. »

- Cet amendement est mis aux voix et adopté.

Second vote et vote de l’article unique

M. le président. - La Chambre veut-elle remettre à une autre séance le second vote du projet de loi ?

- De toutes parts. - Non ! non !

- L'amendement de M. Thonissen est mis aux voix et définitivement adopté.

M. le président. - L'amendement de M. le ministre de l'intérieur, complété par celui de M. Thonissen, serait donc ainsi conçu :

« A partir de 1873, ces bourses seront données de préférence aux docteurs qui justifieront de la connaissance de l'allemand, de l'anglais, de l'italien ou de l'une de ces trois langues ».

- Cet amendement est mis aux voix et définitivement adopté.


Il est procédé à l'appel nominal ; le projet de loi est adopté à l'unanimité des 87 membres présents.

Ce sont :

MM. Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewallz, Van Overloop, Van Wambeke, Verbrugghen, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Allard, Balisaux, Bara, Bergé, Biebuyck, Boulenger, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Cornesse, Couvreur, Cruyt, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, Defuisseaux, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, De Lehaye, de Lexhy, de Lhoneux, de Macar, Demeur, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, Dethuin, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hermant, Jacobs, Jottrand, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Le Hardy e Beaulieu, Lelièvre, Lescarts, Mascart, Mouton, Mulle de Terschueren, Muller, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Pirmez, Puissant, Reynaert, Rogier, Sainctelette, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Thienpont, Thonissen, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt et Thibaut.

Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Projet de loi décrétant la libre entrée des denrées alimentaires

Discussion générale

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, votre commission spéciale propose un amendement à l'article premier du projet.

Pour abréger la discussion, je crois utile de donner immédiatement une explication sur ce point.

L'amendement consiste à décréter la libre entrée de la choucroute et des fromages communs, mous et blancs.

L'article « fromage » n'est pas une rubrique particulière de notre tarif des douanes ; il est compris dans l'article « Conserves alimentaires ».

Puisqu'on entame cet article des conserves, je demande que le sens des mots soit bien défini.

Il doit être entendu - et c'est à cette condition seulement que je pourrai me rallier à la proposition de votre commission - que l'on n'entend par là que les fromages que j'appellerai populaires et qui ont divers noms dans notre pays : la caillie boite, la maquée, le stoffé, le plattekees... (Interruption.)

- Un membre. - Et le pottekees. (Interruption.)

M. Malou, ministre des finances. - Non, pas le pottekees.

Restreinte à ces termes, la proposition de votre commission laisse subsister le droit sur les autres catégories de fromages qui, la plupart, sont des denrées alimentaires de luxe.

La chose étant ainsi entendue et les instructions pouvant être données dans ce sens, je ne fais nulle difficulté d'admettre l'amendement.

J'ajouterai un mot sur la pétition des meuniers, laquelle est discutée dans le rapport de votre commission.

L'objet de la loi, sans préjuger aucun principe permanent, est de recourir à tous les moyens que la législature peut employer pour amener la (page 207) baisse des denrées alimentaires de grande consommation et faciliter l'approvisionnement du pays.

On ne peut évidemment adopter cette mesure, et établir simultanément un droit protecteur au profit de l'industrie des meuniers. Ce serait une contradiction dans la loi.

Lorsque les intéressés se sont adressés à moi, j'ai fait remarquer que la question demeurerait ouverte et pourrait se rattacher à la loi de principe dont la Chambre pourra, sans doute, s'occuper avant le 1er mai prochain.

Par le même motif, je me suis attaché à reproduire dans le projet de loi sous l'article grains les différentes espèces énumérées au tarif. Je demande que la Chambre ne s'engage pas aujourd'hui dans la discussion des intérêts permanents. Ce débat pourra se présenter plus tard.

M. Balisaux. - Messieurs, au nom de la commission spéciale qui a été chargée de faire rapport sur le projet de loi en discussion, j'ai proposé à l'honorable ministre des finances un amendement qu'il déclare approuver. Un des membres de la commission avait proposé de comprendre parmi les denrées à exempter du droit d'entrée en Belgique la choucroute. Cette proposition n'a donné matière à aucune discussion. La question de l'entrée libre des fromages mous ou blancs a été introduite par moi ; j'ai déjà eu l'occasion, faisant rapport au nom de la commission permanente d'industrie, d'examiner cette question dans le courant de la session dernière, et M. le ministre des finances d'alors m'avait opposé une fin de non-recevoir consistant à dire que les douaniers reconnaîtraient bien difficilement les qualités de fromage pour savoir ceux qui seraient dispensés des droits à l'entrée.

Je n'ai pas, messieurs, l'intention de vous faire un discours sur les fromages ; pour vous faire sentir la force de mon argumentation, il me faudrait des échantillons que je n'ai pas.

J'ai dit alors que cette question ne pouvait donner lieu à de sérieuses difficultés : que les douaniers qui, en Belgique, ont la réputation d'avoir le nez fin feraient facilement les distinctions nécessaires.

La question d'abolition du droit d'entrée sur les fromages communs a été agitée à la suite d'une pétition des habitants de Fayt-le-Franc, village voisin de la frontière française.

Ce sont les classes ouvrières des villages voisins de cette frontière française qui demandent avec instance l'abolition d'un droit qui est exorbitant, en ce sens que le fromage commun est mis sur la même ligne que le fromage fin, et qu'il est conséquemment frappé d'un droit de 10 francs par 100 kilogrammes, tandis que le fromage commun ne se vend en France que 15 à 20 centimes le kilogramme. C'est donc un droit d'environ 60 p. c. de la valeur.

C'est par erreur, je crois, que M- le ministre des finances a dit que le fromage n'est pas compris dans notre tarif de douanes.

M. Malou, ministre des finances. - J'ai dit qu'il n'y avait pas de rubrique spéciale : fromage.

M. Balisaux. - Des tarifs sont annexés à nos traités de commerce. Dans le tarif annexé au traité de commerce avec la France, il y a un article spécial pour le fromage. Mais le mot « fromage » est employé d'une manière générale : le droit est de 10 francs par 100 kilogrammes et s'applique aux fromages de toutes qualités. Il y a aussi un article spécial pour le beurre, que j'ai considéré comme une denrée de luxe ; c'est pourquoi je n'ai pas pu le comprendre dans la catégorie des denrées qui tomberaient sous l'application du projet de loi.

Je ne puis considérer que comme, une denrée de luxe celle qui coûte 3 ou 4 francs le kilogramme et dont la classe ouvrière ne fait, à cause de ce prix élevé, qu'une minime consommation.

- Des membres. - C'est une erreur.

M. Balisaux. - Toute denrée qui se paye 4 francs le kilogramme doit, à mon avis, être considérée comme denrée de luxe, et le projet n'a pour but que de faciliter les moyens d'alimentation des classes ouvrières. Son but n'est pas de favoriser les classes riches au détriment du trésor.

Le projet de loi de novembre dernier a une portée beaucoup plus large, en ce sens qu'il propose l'application d'un grand principe économique : la liberté commerciale ; mais le projet actuel n'a qu'un but, c'est celui-ci : les denrées alimentaires en Belgique manquent ; le déficit dans les récoltes a été considérable ; on peut l'estimer à 10 millions d'hectolitres de froment et de seigle pour 1871.

Nos approvisionnements ne sont pas importants, il demande aux Chambres de faciliter l'importation en Belgique de toutes les denrées alimentaires, de manière à mettre nos classes ouvrières dans une position meilleure que celle dont elles sont menacées si le système actuel reste en vigueur.

Voilà donc la position.

M. Bergé. - Messieurs, le projet qu'on propose mérite d'être considéré très sérieusement, car il doit avoir pour effet de diminuer les ressources du trésor, sans établir aucune espèce de compensation, ni en droits nouveaux, ni en économies sur les dépenses. Si vous privez le trésor de ressources, il faut combler le déficit, c'est la seule façon d'administrer les finances d'une manière convenable.

Il est facile de faire des réformes démocratiques ; il est facile de proposer l'abolition de droits de toute espèce, mais ce qui est plus difficile c'est de savoir administrer un pays de manière à faire face à tous les besoins.

On dit que le projet a uniquement pour but d'améliorer la situation des travailleurs, que c'est en vue des classes nécessiteuses que l'on a présenté le projet de loi ; que c'est afin qu'elles puissent traverser l'hiver avec moins de difficultés. Eh bien, je nie complètement cet effet utile du projet de loi. Qu'est-ce en réalité qu'un droit de 60 centimes par 100 kilogrammes de froment ou de seigle ? Quelle influence cela peut-il exercer sur le prix des denrées ? De combien le pain sera-t-il diminué ? Vous ne pourriez pas répartir la diminution par unité de pain.

Vous n'arriverez pas même à un demi-centime par pain. Je nie que cet abaissement puisse avoir un effet utile. Est-il même possible que cet effet puisse se faire sentir, soit chiffré d'une façon quelconque ?

En Hollande, en France, en Italie, en Suisse, on a maintenu ce droit ; et cependant la crise alimentaire que ces pays éprouvent est aussi grave que celle que nous subissons.

Totalisez tous les impôts sur les denrées alimentaires et vous arriverez à peine à 50 centimes par tête d'habitant.

En 1866, on a laissé subsister le droit, malgré la crise alimentaire, et personne n'a réclamé. Preuve évidente que personne n'y trouvait d'inconvénient sérieux.

Si cette somme était payée par les classes pauvres, elle présenterait une certaine importance ; mais, en réalité, il faut en déduire au moins la moitié payée uniquement par les classes riches ou les classes moyennes.

Je vois, messieurs, dans les sommes dont on fait l'abandon, des taxes qui ne sont pas payées par les pauvres. C'est ainsi que l'orge, l'escourgeon, la drêche forment un import de 380,000 francs ; ces denrées ne servent en aucune façon à l'alimentation du pauvre.

- Voix à droite. - La bière est un aliment du pauvre.

M. Bergé. - Si vous voulez être logiques, proposez immédiatement alors l'abolition du droit d'accise. Vous maintenez un droit d'accise considérable sur les bières, et vous voulez, sous prétexte de démocratie, sous prétexte de venir en aide aux classes pauvres, vous venez proposer d'abolir un droit minime sur des denrées qui peuvent servir à la fabrication de la bière. Encore une fois, soyez logiques.

Il y a 200,000 francs pour les avoines. Les avoines servent à la nourriture des chevaux. Les chevaux n'appartiennent pas aux nécessiteux. C'est donc une somme de 200,000 francs que le trésor abandonne au profit des personnes riches.

Je trouve encore un droit de 1 fr. 20 c. les 100 kilogrammes sur le gruau, l'orge perlé, les biscuits, le macaroni, la semoule, la pâte d'Italie, le vermicelle, le pain d'épice ; toutes denrées de luxe.

Car évidemment ce sont là des denrées que l'on peut considérer comme des denrées de luxe, comme des denrées qui ne sont pas consommées par les nécessiteux, par les prolétaires et par conséquent c'est encore là une somme dont le trésor fait abandon sans aucune utilité réelle.

Peut-on parler de réforme démocratique à propos de l'abandon d'un droit sur le bétail qui s'élève à 40 centimes par tête pour les moutons, les agneaux, les porcs ? Qu'est-ce que ce droit peut exercer d'influence sur le prix de la viande ? Essayez de diviser ces 40 centimes par l'unité où l'on vend la viande, c'est-à-dire le demi-kilogramme, à quel résultat arriverez-vous ? Le droit de 1 franc sur le bœuf sur pied peut-il même exercer une influence sur le prix de la viande de bœuf ? Cette influence est d'autant moindre si l'on considère que ce ne sont pas les nécessiteux qui en font grand usage.

Mais il y a autre chose ; parmi ce que l'on considère comme viande, nous trouvons le gibier et la volaille ; de telle sorte que les sangliers, les chevreuils, les perdreaux, les bécasses et d'autres gibiers se trouvent du même coup exemptés de tout droit ; mais d'autre part, le saucisson populaire, qui est consommé par le pauvre, continuera à payer des droits très élevés, de même que les gelées et les extraits de viande qui entrent (page 208) aujourd'hui pour une large part dans l'alimentation publique. Eh bien, je vois là une véritable injustice et un sacrifice fait par le trésor sans que ce sacrifice puisse exercer un effet utile sur la diminution du prix des denrées.

Il est bien vrai que, dans l'exposé des motifs du premier projet M. Jacobs nous disait, en parlant des droits minimes, que ces droits constituent des entraves au commerce et que, par conséquent, il peut être bon au point de vue de l'alimentation, de faire disparaître ces droits. A ce point de vue, je me rallie à l'abandon de droits semblables sur les denrées alimentaires. Cependant, je dois faire remarquer que cette entrave n'a pas été si considérable qu'on pourrait bien le croire, car, jamais, à aucune époque, nous n'avons eu une quantité aussi considérable de grains qu'en ce moment. Outre les grands entrepôts publics, il y a 645 entrepôts fictif» à Anvers, et tous ces entrepôts regorgent de grains.

Donc, voilà des denrées qui sont arrivées malgré l'existence de l'impôt. Quoi qu'il en soit, j'admets parfaitement, au point de vue du développement du commerce de grains, au point de vue du commerce de transit, qu'on abolisse ce droit.

Mais j'aime les réformes sérieuses et non les réformes momentanées, que l'on peut croire faites pour les circonstances, en vue peut-être de favoriser tels ou tels groupes, telles ou telles personnes intéressées dans ces opérations.

Il ne faut pas que les lois aient un caractère provisoire ; elles doivent avoir un caractère définitif, surtout lorsque des opérations financières, des opérations de bourse peuvent s'abriter derrière ces lois provisoires, dans le seul intérêt de quelques spéculateurs.

Les détenteurs de marchandises qui n'ont pas acquitté le droit de 60 centimes, qui ont fait des marchés à des prix déterminés, ne baisseront pas d'un centime, le prix de leurs marchandises. Ils les livreront à l'intérieur, au prix convenu depuis longtemps et en vertu des contrats conclus : ils n'acquitteront pas le droit de 60 centimes au profit de l'Etat. La remise du droit s'effectuera au profit de ces individus, et la classe ouvrière n'en profitera pas. Le trésor subira une perte, tandis que quelques spéculateurs réaliseront de jolis bénéfices. On ne peut les empêcher de profiter de la circonstance. A certains moments, quand on abolit un droit, il y a toujours certaines personnes qui bénéficient de cette abolition. Mais ce que je désire, je le répète, c'est que l'on ne donne pas à une loi un caractère provisoire.

Il ne faut pas venir nous dire : Ce projet de loi est fait en vue de traverser une crise alimentaire. Je dénie complètement à la présente loi la puissance d'exercer un effet quelconque sur la crise alimentaire. Ce que veut le commerce, c'est de savoir à quoi s'en tenir sur les conditions de transit, c'est de ne pas être exposé à voir rétablir au bout de quelques mois un droit aboli aujourd'hui.

On propose de supprimer le droit en question jusqu'au mois de mai ; à cette époque les approvisionnements dont on parle seront-ils complets ?

Est-ce que les navires qui doivent nous venir de la Baltique et de la mer Noire auront le temps d'arriver jusqu'à nos ports ; ne seront-ils pas retenus, retardés ? Et alors que ferez-vous ? Vous présenterez de nouveau un projet prorogeant pour un mois ou deux la libre entrée des céréales ; mais vous laisserez toujours le commerce des grains sous le coup d'un rétablissement de ce droit. A la loi écrite, vous substituerez le bon vouloir d'un ministre.

Eh bien, messieurs, n'espérez pas qu'aucune relation sérieuse et suivie, s'établisse avec la Belgique, dans de pareilles conditions. Personne ne voudra s'aventurer à diriger des grains vers nos ports, s'il y a lieu de craindre que le droit momentanément supprimé serait rétabli dans quelques vous.

Il faut, messieurs, que les lois de douane aient un caractère de grande fixité ; et si je demande qu'il en soit ainsi, en ce qui concerne les grains, ce n'est pas dans la pensée que cela puisse améliorer en rien le prix du pain ; mais parce que je comprends parfaitement que la suppression du droit aura pour effet utile de favoriser le commerce des grains en Belgique, de nous amener des approvisionnements plus considérables, de favoriser le transit et, par conséquent, notre commerce en général.

Mais si je demande que la suppression de tout droit d'entrée sur le froment, sur l'épeautre, sur le méteil, sur le seigle soit décrétée à partir de la promulgation de la loi ; d'autre part, je demande l'ajournement de l'abolition des droits à l'entrée sur le bétail et les autres articles que j'ai énumérés tout à l'heure.

Je le demande, d'abord, parce que cette abolition ne peut exercer aucun effet utile pour l'ouvrier ; parce qu'elle ne diminuera en rien le prix des denrées ; tandis qu'il en résultera un déficit considérable pour le trésor sans aucune utilité pour le pays.

Je repousse cette suppression avec d'autant plus de raison qu'il faudra continuer à faire exercer une surveillance active sur le bétail entrant en Belgique, afin de s'assurer s'il se présente dans des conditions de santé convenables. Eh bien, le commerce ne saurait éprouver aucune influence nuisible d'un droit de 40 centimes par tête de bétail pour couvrir la dépense que cette surveillance occasionnera.

Pour les grains, il y a les approvisionnements et le commerce de transit. Mais, pour le bétail, ces approvisionnements sont impossibles. On l'amènera au fur et à mesure des besoins.

Le transit ne sera pas arrêté par cette formalité parce que, dans toute espèce de cas, le bétail transitant sera soumise à la visite.

En proposant d'abolir définitivement le droit d'entrée sur certains articles, j'arrive à ce résultat que la perte pour le trésor est réduite de moitié si je m'en rapporte au tableau qui nous a été présenté.

En effet, je maintiens tous les chiffres de recette, excepté ceux provenant de l'entrée du froment, de l'épeautre et du seigle, du riz en paille, pelé ou non pelé.

Au total, j'arrive à une diminution de produit de 1,228,000 francs.

Comme diminution sur l'ensemble du projet de loi qui vous est soumis, c'est une économie de 1,200,000 francs.

Ce résultat est atteint sans qu'en aucune façon les classes nécessiteuses soient lésées et sans que le système puisse donner lieu à aucune objection de la part du commerce.

J'espère donc que mon amendement sera adopté.

- L'amendement est appuyé.

M. Malou, ministre des finances. - Je m'attendais, je l'avoue, dans les circonstances où le pays se trouve, à ne point rencontrer de contradicteur sur le principe du projet de loi.

Cette mesure avait été demandée, réclamée récemment encore dans cette Chambre lorsqu'on a examiné le budget des voies et moyens.

Comment, en effet, est-il possible d'attaquer ce projet lorsque nous avons eu une récolte tout à fait anomale, qui laisse un découvert dont je ne veux ni apprécier ni exagérer l'importance, mais qui est considérable, lorsque les prix sont arrivés à un chiffre très élevé, à l'entrée de l'hiver, lorsque en définitive, si nous avons des approvisionnements venus ou attendus de l'étranger, il y a cependant dans ces derniers temps quelque ralentissement.

Messieurs, l'honorable membre prend l'un après l'autre chaque article du tarif. C'est déplacer complètement et par suite c'est fausser l'objet réel de cette discussion.

Il s'agit de l'alimentation publique qui se compose de tous ces éléments réunis, en ce sens qu'il y a une réaction nécessaire du prix d'une denrée sur le prix des autres, et que chacune concourt à l'ensemble. La situation générale aujourd'hui est celle-ci.

Dans l'état de notre législation, nous pouvons avoir pour les articles de grande consommation le prix moyen de l'Occident de l'Europe, puisque la liberté existe dans les pays qui sont les entrepositaires ou les producteurs de céréales.

Mais, messieurs, à ce prix moyen de l'Europe occidentale, si nous maintenons des droits fiscaux et surtout des formalités bien plus fâcheuses que les droits fiscaux, nous devons dire que nous ne payerons pas le prix moyen des autres nations, mais bien ce prix augmenté et des droits que nous percevons et des frais plus élevés que les droits que la perception occasionne. Cela me paraît d'une palpable évidence et je n'insisterai pas.

Le projet qui vous est soumis imposera au trésor très probablement, et je l'espère, un sacrifice une fois fait d'un million de recettes.

L'honorable membre me reproche de faire subir au trésor sa part des conséquences de notre situation alimentaire générale, mais accidentelle, que vous connaissez tous ; il m'accuse de renoncer à cette recette et en même temps, il vous propose de décréter définitivement et sans avoir de compensation pour le trésor, la renonciation à une recette annuelle de 1,200,000 francs. Cela ne heurte pas seulement, à mon sens, les intérêts publics, mais cela heurte bien plus encore la logique.

Qu'est-ce que 60 centimes par hectolitre ? dit-on. Ce n'est rien si vous voulez décomposer pour un pistolet ou pour un pain.

Mais le but de la loi est de donner au commerce toutes les facilités d'approvisionnement et d'amener dans notre pays, à son profit, un mouvement qui ne soit soumis à aucune gêne et qui nous assure toujours la plénitude en toutes circonstances de l'approvisionnement dont nous pourrions avoir besoin. Décomposez ce droit, très bien ; mais ajoutez-y, je vous prie, quels sont les frais qu'occasionne la perception de ce droit : les frais accessoires, l'entreposage, la déclaration, les formalités, les gênes.

(page 209) Messieurs, supposons que ces formalités et ces gènes dont le trésor ne profite pas et dont le commerce souffre, continuent à subsister ; lorsque les prix seront à peu près équilibrés, les navires, au lieu de venir en Belgique, iront dans d'autres ports, de sorte que, lorsque vous décomposez les 60 centimes pour savoir si cela fait un demi-centime par kilogramme pour le pain, ce n'est pas là un argument, et je ne sais comment on pourrait maintenir l'observation à ce titre.

On nous dit : Mais l'orge, l'escourgeon, l'avoine, etc., coûtent tant. Je répète ce que je disais tout à l'heure, qu'il y a une sorte de solidarité dans tous les éléments qui concourent à l'alimentation publique. L'honorable membre prend d'ailleurs les chiffres d'une année, et la proposition qui vous est soumise, sans préjuger aucun principe, n'emporte que quatre mois.

Tout à l'heure, au Sénat, on s'entretenait précisément de ce qui concerne l'avoine. On me demandait le maintien du droit sur cet article et on donnait une raison qui serait admissible, si la raison supérieure d'intérêt général ne devait prévaloir. Nous avons eu, l'année dernière, une récolte d'avoine très exceptionnelle comme qualité et comme quantité. On pourrait donc dire que lorsque l'agriculture est appelée seule à faire les sacrifices que nous lui demandons par ce projet, il serait assez naturel de lui laisser une compensation quant à l'avoine.

J'ai répondu qu'il était impossible d'isoler un des termes du problème, qu'il fallait les prendre tous. J'ai ajouté, et je regrette que l'honorable membre ait perdu cet objet de vue, que l'avoine, dans certaines parties de notre pays, ne sert pas seulement à la nourriture des chevaux, mais qu'on fait du pain de gruau, sans compter les mélanges qui échappent à notre examen ; ainsi il se pourrait qu'on vendît quelquefois comme farine de froment pure de la farine, contenant un faible mélange, d'avoine.

C'est sans doute un mauvais bruit qui circule parfois ; je ne m'en porte pas garant, mais enfin il n'y a rien qui ressemble plus à de la farine que de la farine.

L'honorable membre suppose encore que le projet peut avoir pour but ou pour résultat de favoriser des spéculations ou des opérations de bourse et autres choses analogues.

Rendons-nous compte de la réalité de la situation.

Si la Chambre, comme je l'espère, adopte le projet avec le caractère transitoire que nous y donnons, il est bien entendu que. le projet général permanent sera discuté avant le 1er mai prochain et qu'à cette occasion on pourra examiner s'il faut faire une différence entre le froment, le méteil et l'épeautre et les autres denrées.

Il y a un motif, par exemple, d'exempter, comme le reste, le pain d'épice ; c'est d. ne pas devoir maintenir un certain nombre de bureaux-frontières dont le personnel pourrait être beaucoup plus utilement employé contre l'extension de la peste bovine.

On ne doit pas, parce que le pain d'épice est un objet de luxe, s'assujettir à une dépense de personnel, uniquement pour maintenir cet article dans le tarif.

Le commerce saura donc parfaitement que, dans la pensée du législateur (et je me propose bien de défendre ce principe), il y a lieu de maintenir, d'une manière absolue, la liberté du commerce des grains. Je ferai tous mes efforts pour que cette liberté soit décrétée avant le 1er mai.

Pourquoi ai-je fixé cette date du 1er mai ?

Lors de l'invasion de la maladie et de la destruction complète, en 1845, de la récolte des pommes de terre... (Interruption.)

- Un membre. - C'était en 1846.

M. Malou, ministre des finances. - Pardon, c'était en 1845. J'ai des souvenirs assez douloureux de ce temps-là pour ne pas me tromper.

En 1845, dis-je, nous avons pris les mêmes mesures que je vous propose aujourd'hui. Nous y ajoutions une seconde qui était conforme à l'état des choses à cette époque, c'est-à-dire les prohibitions à la sortie.

Depuis lors le monde a marché ; les législations des autres peuples ont changé ; nous vous proposons aujourd'hui comme remède à cette situation la liberté commerciale à l'entrée, sans prohibitions à la sortie.

Je demande donc à la Chambre de conserver à ce projet de loi le caractère que nous lui avons donné, c'est-à-dire de l'accepter comme loi qui correspond aux nécessités actuelles.

Il y aura pour chacun de nous un post-scriptum à écrire plus tard : la liberté définitive, avant le 1er mai.

Je prie l'honorable M. Bergé de vouloir bien réserver pour ce moment-là les questions qu'il a soulevées tout à l'heure. Nous verrons s'il faut établir des distinctions entre les catégories. Mais aujourd'hui, lorsqu'on motive la loi sur la nécessité de faciliter par tous les moyens possibles l'approvisionnement du pays, il n'y a aucune distinction qui puisse être faite. La loi doit être générale, ou bien, elle ne doit pas exister.

- Des membres. - Aux voix !

M. Vermeire. - Messieurs, je n'abuserai pas des moments de la Chambre. Les observations qui ont été présentées par l'honorable ministre des finances me dispensent en quelque sorte d'entrer dans de longs détails. Cependant si, avant le premier mai prochain, la loi qu'on se propose de nous faire examiner pour cette époque ne peut être présentée à temps, il faudra cependant que le projet de loi en discussion soit prorogé, car nous ne pouvons pas, d'un moment à l'autre, passer de la liberté commerciale entière à la prohibition.

Il ne faut pas rendre les approvisionnements difficiles, la moindre gêne imposée au commerce exerce toujours un résultat fâcheux sur les approvisionnements qui doivent se faire d'une manière permanente.

On prétend que la perte du trésor ne sera pas compensée par les avantages du projet ; pour moi, cette considération est sans valeur aujourd'hui, car nos ressources présentent sur les prévisions budgétaires un excédant considérable.

- Des membres. - Aux voix !

- D'autres membres. - La clôture !

M. Bergé. - J'ai demandé la parole...

M. le président. - M. le rapporteur est inscrit avant vous. La Chambre entend-elle continuer la discussion ?

- De toutes parts. - Oui ! oui !

M. le président. - La parole est à M. Balisaux, rapporteur.

M. Balisaux, rapporteur. - Après la réplique si concluante de M. le ministre des finances, il ne me reste rien à dire.

M. le président. - La parole est alors à M. Bergé.

M. Bergé. - L'honorable ministre des finances a commencé son discours par un étonnement, celui de trouver des contradicteurs ; je commencerai le mien en m'étonnant de la faiblesse de l'argumentation qu'il a présentée, faiblesse d'autant plus étrange qu'elle vient de la part de M. Malou, dont le talent est bien connu. Cela prouve que j'avais frappé juste et qu'il n'y a rien à objecter à ce que j'ai dit.

M. le ministre des finances nous a parlé de la nécessité de pourvoir à l'alimentation publique, cette nécessité n'a été contestée par personne ; je suis d'accord avec lui de donner au pays toutes les facilités possibles pour les approvisionnements, seulement M. le ministre des finances a dû reconnaître que si l'on décomposait l'impôt on arriverait à un résultat tout à fait négatif. Cet aveu me suffit.

Lorsque l'on a proposé l'abolition de l'impôt sur le sel, on en a proposé l'abolition complète. Qu'auriez-vous dit alors si des partisans de l'impôt du sel étaient venus demander de diminuer l'impôt de 50 centimes par 100 kilogrammes ?

Est-ce qu'en réalité cette diminution aurait pu avoir un effet quelconque ? Non, parce que répartie sur l'unité, le kilogramme, elle aurait été tout à fait nulle.

L'honorable M. Malou a été quelque peu embarrassé de mon objection relative à la douane. Il a essayé de démontrer à la Chambre que les hommes consommaient l'avoine, que l'on en faisait différentes choses alimentaires et notamment du pain. Je répondrai à l'honorable M. Malou que celui qui se livre à cette fabrication est tout simplement un falsificateur. Par conséquent, si l'honorable M. Malou a l'occasion de rencontrer de ces falsificateurs, il fera bien de leur dire de faire, en sorte que je ne reçoive pas du pain de cette espèce, parce que je serais obligé, en ma qualité de chimiste, de demander des poursuites contre ces industriels.

On met toute espèce de choses dans le pain, même du sulfate de cuivre. On ne peut pas dire pourtant que le sulfate de cuivre serve à l'alimentation, l'avoine doit servir à l'alimentation du cheval et non à celle de l'homme.

Le déficit de la récolte, dont a parlé l'honorable M. Malou, a été constaté dès le mois de juin. Si l'on voulait favoriser les approvisionnements, pourquoi M. le ministre n'est-il pas venu déposer son projet de loi à la Chambre à cette époque ? On pouvait déjà apprécier le déficit et c'est alors que les approvisionnements pouvaient se faire. Aujourd'hui, il est bien tard pour présenter le projet de loi et faire arriver ainsi de grands approvisionnements de grains dans le pays.

II n'en arrivera que très peu ; et ceux qui profiteront de votre loi, ce sont les spéculateurs anversois qui ont des grains dans les entrepôts.

Je le répète : ce que je trouve mauvais, c'est le caractère provisoire du projet de loi. L'honorable M. Malou n'a pas justifié ce provisoire, Il espère que le projet de loi deviendra définitif au 1er mai prochain mais il n'en est pas sûr. L'honorable M. Vermeire entrevoit déjà la nécessité de proroger la loi que l'on veut voter aujourd'hui. Si l'honorable M. Malou et ses amis sont réellement si partisans de cette liberté (page 210) absolue du commerce, s'ils veulent faire que les approvisionnements de grains soient sérieux dans le pays, qu'ils donnent un caractère définitif à la loi. Tant que la loi n'aura qu'un caractère provisoire, vous n'aurez fait que favoriser quelques intérêts privés. Qu'ils aient donc en vue l'intérêt général et qu'ils demandent la liberté absolue, c'est-à-dire la libre entrée des grains, comme je le propose, et qu'ils renoncent à conserver des droits d'entrée sur des matières qui ne servent pas à l'alimentation du peuple, comme je le disais en commençant.

Je persiste donc dans l'amendement que j'ai proposé. Cet amendement me parait de nature à donner toute satisfaction au pays.

Faites des lois définitives et ne restez pas constamment dans un provisoire qui semble être le caractère dominant de vos actes : bourses d'étude, questions de chemins de fer, questions militaires, questions d'impôts. Il semble véritablement que nous vivions sous un ministère provisoire lui-même, car tous ses projets ont ce caractère.

En toute matière on cherche à éloigner le plus possible les solutions. On ajourne indéfiniment et on vit au jour le jour sans arborer une politique franche qu'on puisse discuter, sans oser dire, par exemple : Nous proposons l'abolition de tel impôt et, d'autre part, nous proposons telle autre mesure fiscale à titre de compensation.

Non, on dit : C'est un projet provisoire ; on verra plus tard ; et on laisse la porte ouverte à toutes les éventualités, désirant ainsi gagner, non pas le mois de mai, mais le mois de juin.

- Voix nombreuses. - La clôture !

M. Malou, ministre des finances. - Je comprends l'impatience de la Chambre ; mais je ne puis cependant pas laisser sans réponse les derniers mots prononcés par l'honorable préopinant.

Il paraît que, même à propos de farine et de grain, nous devons parler politique.

L'honorable membre, en terminant, me lance le trait du Parthe. Vous voulez, nous dit-il, atteindre le mois de juin et non le mois de mai. Or, messieurs, que demande-t-on ? On se borne à demander la liberté provisoire, parce qu'on ne peut pas décréter la liberté définitive

M. Balisaux, rapporteur. - C'est ce que fait remarquer le rapport de la commission.

M. Malou, ministre des finances. - Et pourquoi fixons-nous le mois de mai ? Parce que, d'après l'expérience acquise, c'est vers le 1er mai qu'on connaît suffisamment les résultats probables de la récolte future. On dira tout ce qu'on voudra, il n'y a point dans cette loi le moindre grain de politique. C'est une question d'humanité ou du moins de sage prévoyance : rien de plus.

- Voix nombreuses. - La clôture !

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - M. Bergé, où se place votre amendement ?

M. Bergé. - Il remplacerait l'article premier.

- Cet amendement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

M. le président. - Je mets aux voix l'article premierdu projet de loi. Il est ainsi conçu :

« Sont, déclarées libres à l'entrée les marchandises suivantes :

« 1° Bestiaux : taureaux, bœufs, vaches, bouvillons, taurillons, génisses et veaux ; moutons, agneaux et porcs ;

« 2° Viandes ;

« 3° Grains : froment, épeautre mondé et non mondé, méteil, seigle, maïs, sarrasin, orge, drêcehe, avoine, pois, lentilles fèves (haricots), féveroles et vesces ; gruau, orge perlé, farines et moutures de toute espèce, son, amidon, fécules et autres substances amylacées ; pain, biscuit, macaroni, semoule, vermicelle et pain d'épice ;

« 4° Riz de toute espèce. »

M. le président. - II faudrait mettre l'amendement après le numéro 4. L'article est donc conçu comme suit :

« 1° Bestiaux : taureaux, bœufs, vaches, bouvillons, taurillons, génisses et veaux ; moutons, agneaux et porcs ;

« 2° Viandes ;

« 3° Grains : froment, épeautre mondé et non mondé, méteil, seigle, maïs, sarrasin, orge, drêcehe, avoine, pois, lentilles fèves (haricots), féveroles et vesces ; gruau, orge perlé, farines et moutures de toute espèce, son, amidon, fécules et autres substances amylacées ; pain, biscuit, macaroni, semoule, vermicelle et pain d'épice ;

« 4° Riz de toute espèce, choucroute et fromages communs mous et blancs. »

- L'article est adopté.

Article 2

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication.

« Elle cessera de sortir ses effets le 1er mai 1872. »

- Adopté.


M. le président. - Avant de passer au vote, je désire que la Chambre fixe l'ordre du jour de la séance de demain.

Je propose aussi à l'assemblée de se réunir demain à 1 heure.

M. Allard. - J'engage la Chambre à fixer sa séance à 2 heures. Nous avons fait l'expérience. Quand on fixe la séance à 1 heure, la Chambre n'est jamais en nombre.

- La Chambre décide qu'elle se réunira à 2 heures.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

78 membres y prennent part.

77 répondent oui.

1 s'abstient.

En conséquence le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van, Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Verbrugghen, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Wouters, Allard, Balisaux, Bara, Beeckman, Biebuyck, Boulenger, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Cornesse, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, Defuisseaux, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, De Lehaye, De Lhoneux, de Macar, Demeur, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, Dethuin, de Zerezo de Tejada, Drion, Dumortier, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Jacobs, Jottrand, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lescarts, Mouton, Mulle de Terschueren, Muller, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Rogier, Sainctelette, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Thienpont, Thonissen, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt et Thibaut.

S'est abstenu : M. Bergé.

M. le président.—M. Bergé, qui s'est abstenu, est prié de faire connaître les motifs de son abstention.

M. Bergé. -Je les ai fait connaître dans le cours de la discussion.

- La séance est levée à 5 heures.