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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 16 décembre 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 161) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Hagemans donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Vanhamme demande un congé illimité ou du moins un congé de quelques mois pour son fils unique Jean-Baptiste Vanhamme, milicien de la classe de 1871, en activité de service au 5ème régiment d'artillerie. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Jules-Edouard-Ambroise Blanchard, receveur des contributions directes et accises à Charleroi, demande la place de conseiller vacante à la Cour des comptes. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Les directeurs de charbonnages du Couchant de Mons prient la Chambre d'ordonner une enquête publique sur toutes les questions qui intéressent l'exploitation des chemins de fer de Belgique et de décider que cette enquête sera faite par une commission composée de membres de la Chambre et de représentants du commerce et de l'industrie. »

- Renvoi à la commission de l'industrie, avec demande d'un prompt rapport et dépôt sur le bureau pendant la discussion du crédit spécial de 12,080,000 francs au département des travaux publics.


« MM. d'Andrimont, Defuisseaux et de Kerckhove demandent un congé d'un jour. »

- Accordé.

Projets de loi rendant disponibles certains crédits du budget du ministère de la guerre

Rapports des sections centrales

M. Van Cromphaut. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau : 1° le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ayant pour objet de rendre disponible, pour les exercices 1872, 1873 et 1874., le crédit de 14,461,170 francs, alloué par la loi du 8 mai 1861 ; 2° le rapport de la section centrale, sur le projet de loi ayant pour objet de rendre disponible, pour les exercices 1872 et 1873, la somme de 732,000 francs, formant le montant du reliquat que présentera l'article 20 du budget de la guerre de l'exercice 1871 (matériel de l'artillerie).

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif à la libre entrée des denrées alimentaires

Rapport de la commission

M. Balisaux. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission spéciale qui a examiné le dernier projet de loi concernant la libre entrée des denrées alimentaires.

- Impression et mise a l'ordre du jour à la suite du budget du ministère de la guerre.

Projet de loi portant le budget de la dette publique pour l’exercice 1872

Rapport de la section centrale

M. Amédée Visart. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de la dette publique pour l'exercice 1872.

M. Malou, ministre des finances. - Je crois qu'il importe que le budget de la dette publique soit discuté avant le 1er janvier si la chose est possible.

Je me réserve de proposer, au besoin, une interversion à l'ordre du jour.

Projet de loi prorogeant le mode de nomination des jurys d’examen

Rapport de la commission

M. Vleminckx. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi relatif à la prorogation du mode de nomination des jurys d'examen.

Si la Chambre le désire, je donnerai lecture de ce rapport ; on pourrait ensuite passer d'urgence à la discussion du projet. (Adhésion.)

- M. Vleminckx donne lecture de ce rapport. Nous le publierons dans les documents parlementaires.)

M. Vleminckx. - La section centrale conclut à l'adoption du projet de loi, sauf un amendement au paragraphe premier, qu'elle propose de rédiger comme suit :

« Le mode de nomination des membres des jurys d'examen déterminé par l'article 24 de la loi du 1er mai 1857 est prorogé pour les sessions de 1872 et de 1873. »

Vote de l’article unique

M. le président. - Conformément à la décision qui a été prise tout à l'heure, la discussion est ouverte sur l'article unique du projet de loi.

M. le ministre de l'intérieur se rallie-t-il à cet amendement ?

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Oui, M. le président.

- La discussion générale est ouverte ; personne ne demandant la parole, l'assemblée passe au vote de l'article unique, amendé par la section centrale.

Il est ainsi conçu :

« Le mode de nomination des membres des jurys d'examen déterminé par l'article 24 de la loi du 1er mai 1857 est prorogé pour les sessions de 1872 et de 1873.

« Est prorogé pour les mêmes sessions le système d'examen établi par ladite loi, tel qu'il a été modifié par l'article unique, paragraphe 2, de la loi du 30 juin 1865, en ce qui concerne les certificats de fréquentation des cours universitaires. »

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté à l'unanimité des 78 membres présents.

Ont pris part au vote :

MM. Demeur, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Smet, de Theux, Dethuin, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Hagemans, Hermant, Jacobs, Janssens, Jottrand, Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Magherman, Mulle de Terschueren, Muller, Nothomb, Pety de Thozée, Pirmez, Puissant, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sainctelette, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Tesch, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Wambeke, Verbrugghen, Vermeire, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Wouters, Anspach, Balisaux, Bara, Beeckman, Biebuyck, Bouvier-Evenepoel, Coremans, Cornesse, Couvreur, Dansaert, David, de Baillet-Latour, de Clercq, De Fré, de Haerne, Delaet, de Lehaye et Thibaut.

- Le projet de loi sera soumis au Sénat.


M. le président. - Je viens de recevoir un télégramme de l'honorable M. de Macar qui, rappelé par l'indisposition d'un membre de sa famille, demande un congé d'un jour.

- Accordé,

Projet de loi fixant le contingent de l’armée pour l’année 1872

Discussion générale

(page 162) M. Le Hardy de Beaulieu. - Je ne viens pas discuter le projet de loi qui nous est soumis ; je l'ai fait assez souvent pour que mon opinion soit connue et que je puisse me dispenser de répéter ce que j'ai dit plusieurs fois dans cette Chambre. Je voterai contre le projet de loi parce que je continue à le considérer comme un élément de perturbation funeste dans l'économie de la plus grande partie des classes laborieuses ; comme mettant à la charge de ces classes la plus forte partie du fardeau de cette institution ; enfin parce qu'il est en quelque sorte admis que le système du tirage au sort doit être abandonné ; il est condamné même par le gouvernement.

La raison pour laquelle j'ai demandé la parole est celle-ci : depuis l'ouverture de la discussion du budget de la guerre, je me suis aperçu que la tactique parlementaire du moment tend à forcer ceux des membres de cette Chambre qui, en grand nombre, ont été nommés pour voter contre les charges militaires, à les forcer, dis-je, à voter maintenant ces mêmes charges et ainsi à jeter dans le pays l'incertitude, le trouble sur les mandats qu'il a donnés à ses représentants.

J'engage fortement tous les membres de cette Chambre à porter leur sérieuse attention sur ce point. Si le pays ne peut pas avoir la certitude que, quand il nomme des représentants, il verra se réaliser le but qu'il a poursuivi, s'il voit que par suite de tactiques et de manœuvres parlementaires ses intentions sont faussées, il perdra confiance dans la représentation nationale et vous serez devant l'un des plus grands dangers que puissent courir nos institutions.

Dans aucun pays constitutionnel, il n'est admis que les représentants puissent voter contre l'intention de leurs mandants.

En Angleterre, notamment, un homme qui voterait contre les promesses qu'il a faites à ses électeurs serait perdu politiquement sans rémission.

Lorsque Robert Peel s'est vu, par suite du changement survenu dans l'opinion publique, forcé de changer d'opinion par rapport aux lois-céréales, il a remis son mandat à ses électeurs et il leur a demandé une nouvelle consécration.

C'est ainsi que se maintient la confiance dans les institutions, tandis que par la tactique que l'on semble vouloir employer, la confiance s'en va et la représentation nationale perdra bientôt tout prestige.

J'engage donc fortement tous les membres de cette Chambre, quelles que soient leurs opinions, libéraux ou catholiques, à voter pour le budget s'ils sont militaristes et contre s'ils sont antimilitaristes,

M. Van Hoorde. - Messieurs, comptant persister dans l'attitude que j'ai prise l'année dernière, et accepter encore le statu quo, je crois devoir dire pourquoi, en quelques mots.

La loi qui nous est proposée n'est plus présentée, ainsi qu'elle l'était autrefois, comme une œuvre parfaite.

A part l'ancien cabinet libéral, mû par un sentiment de tendresse paternelle fort excusable, et ses amis les plus zélés, tout le monde est d'accord sur la nécessité de modifier, plus ou moins profondément, un système qui, soumis à l'épreuve des faits, n'a pas donné tous les résultats satisfaisants que ses partisans en attendaient. (Interruption.)

Vous le niez ? Mais, alors, pour quels motifs est-il l'objet d'un nouvel examen complet et détaillé, chez nous de même qu'en France, où il a été calqué ?

Il résulte de cette situation que nous ne sommes plus dans l'alternative de rejeter absolument les lois qui sont l'application du système, ou de le déclarer bon, contrairement à notre conviction, en votant ces lois. En d'autres termes, un vote affirmatif sur les lois de budget et de contingent ne comporte plus, dans les circonstances actuelles, la signification qu'il avait dans des circonstances normales.

Sans doute, il y a l'abstention jusqu'à la réalisation des changements entrevus, ou la constatation officielle de l'impossibilité pratique qui existe peut-être d'améliorer sensiblement l'état de choses d'aujourd'hui. C'est le parti que j'ai pris, ainsi que plusieurs honorables membres, lors du vote du budget en 1867, pendant les délibérations de la commission instituée à la fin de 1866.

Mais en y réfléchissant un peu, l'on doit reconnaître que le temps n'est plus où l'on pouvait sans danger manifester ainsi ses répugnances. Sans aller jusqu'à dire, que nous ne sommes plus sûrs du lendemain, il me semble évident que la carte de l'Europe s'est trop transformée depuis dix-huit mois, pour que nous ayons le droit de ne pas nous préoccuper de certaines éventualités qui auraient, maintenant, des conséquences incalculables. (Interruption.)

D'ailleurs, un fléau redoutable, les menées d'une société puissante, et des événements récents, je fais allusion aux événements du second siège de Paris, démontrent combien il est nécessaire d'avoir toujours une forcé armée suffisante pour assurer à l'intérieur le maintien de l’ordre et l’application des lois d'intérêt général. Il faut donc choisir, et entre deux maux, je choisis le moindre.

M. Jottrand. - Messieurs, les motifs qui déterminent l'honorable orateur qui vient de se rasseoir à voter pour la loi de contingent, sur laquelle il s'abstenait il y a quelque temps, me déterminent, moi, à voter contre cette loi, alors que, l'année dernière, je me suis contenté de m'abstenir.

Le silence calculé que persiste à garder le gouvernement sur ses intentions relativement à l'organisation militaire me force à voter contre la loi sur le contingent, parce que je suis convaincu que l'on ne pourra arriver à contraindre le gouvernement à s'expliquer qu'en lui enlevant des mains l'instrument qu'il nous demande de lui donner encore pour une année.

J'ai, l'année dernière, motivé mon abstention comme suit : Ennemi du système de recrutement conservé par la loi de 1870, ennemi du remplacement, je ne pouvais pas consacrer par mon vote ce que je croyais un abus. Mais l'année dernière, j'étais convaincu qu'il était indispensable que le gouvernement conservât dans ses mains, aussi puissante qu'elle pouvait l'être alors, notre organisation militaire. Elle ne l'était pas beaucoup ; les événements et le rapport de M. le ministre de la guerre nous l'ont démontré ; mais enfin, telle qu'elle était, il fallait qu'elle fût conservée intacte dans les mains du gouvernement, nous étions dans une crise intense, dont la solution nous échappait encore, nous pouvions d'un moment à l'autre être menacés.

Aujourd'hui la situation n'est plus la même. Je crois que jamais, à aucune période de notre histoire depuis 1830, notre sécurité extérieure n'a été mieux garantie qu'elle ne l'est en ce moment. C'est pourquoi le moment est plus favorable qu'il ne l'a jamais été et qu'il ne le sera peut-être jamais pour procéder à une réorganisation complète, radicale, sans nous occuper des circonstances extérieures qui, en cette matière comme en beaucoup d'autres, ont jusqu'ici trop pesé sur nos décisions.

Quant à la situation intérieure, je ne crois pas que ce fantôme terrible de l'Internationale, que l'on voit surgir ici et ailleurs à propos de tout et à propos de rien, pour servir les causes les plus différentes, doive nous effrayer considérablement,

Si l'Internationale, dont il ne me paraît pas opportun de traiter aujourd'hui ni théoriquement ni pratiquement, a eu les armes à la main, elle a été, heureusement, forcée de les déposer, et je ne crois pas que ce soit précisément le moment spécial de s'en préoccuper. Comme menace violente, il en est, en ce moment, de l'Internationale comme de beaucoup d'autres qui ont pu être considérées en d'autres circonstances comme pouvant troubler la tranquillité de la Belgique.

D'ailleurs, nous avons, quoi qu'il arrive une force armée organisée, suffisante pour l'ordre intérieur. Nous avons dans notre armée, y compris les gendarmes, une dizaine de mille volontaires et ces volontaires resteront toujours au service du gouvernement quand même le gouvernement n'aurait pas à sa disposition le contingent de 1872.

D'après ces considérations, messieurs, les motifs qui m'empêchaient l'année dernière d'écouter complètement mes convictions et mes instincts et de voter contre le contingent, ces motifs n'existant plus, je repousserai maintenant le projet de loi et je le repousserai aussi longtemps que la loi du contingent sera basée sur le système de la conscription avec faculté de remplacement à prix d'argent, sera l'application de la loi actuelle sur le recrutement, de la loi de 1870.

M. le président. - M. Elias, obligé de s'absenter pour un devoir de famille, demande un congé,

- Accordé.

Discussion des articles

Articles 1 à 3

« Art. 1er. Le contingent de Tannée pour 1872 est fixé à cent mille (100,000) hommes. »

- Adopté.


« Art. 2, Le contingent de la levée de milice pour 1872 est fixé au maximum de douze mille (12,000) hommes qui sont mis à la dispostlion du gouvernement. »

- Adopté.


« Art. 3. Ce dernier contingent est divisé en deux parties : l’une active de onze mille (11,000) hommes, l'autre de réserve de mille (1,000) hommes, assignée à l'infanterie. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

(page 163) Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de lof,

77 membres sont présents.

64 répondent oui.

13 répondent non.

En conséquence, le projet de loi est adopté.

Il sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Smet, de Theux, Dethuin, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Frère-Orban, Funck, Houtart, Jacobs, Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Magherman, Mulle de Terschueren, Muller, Nothomb, Pety de Thozée, Pirmez, Puissant, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sainctelette, Santkin, Schollaert, Snoy, Tack, Tesch, Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Wambeke, Verbrugghen, Vermeire, Amédée Visart, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Wouters, Anspach, Bara, Beeckman, Biebuyck, Bouvier-Evenepoel, Cornesse, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, de Haerne, De Lehaye et Thibaut.

Ont répondu non :

MM. Demeur, Gerrits, Hagemans, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Simonis, Léon Visart, Coremans, Couvreur, Dansaert, David et Delaet.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre pour l’exercice 1872

Discussion générale

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Messieurs, au point où en est arrivée la discussion générale de mon budget, je demande à la Chambre la permission de lui faire connaître les motifs qui m'engagent à prier les honorables auteurs de la proposition d'ajournement, de la retirer.

Le budget de la guerre est l'application de la loi organique de l'armée ; l'ajournement du vote du budget remet donc en question la loi organique elle-même. Je demande pourquoi cette loi serait remise en question et qui demande qu'elle le soit ?

- Un membre à gauche. - Mais c'est vous.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Messieurs, je réclame de votre générosité de ne pas m'interrompre ; je n'entends éviter aucune objection et j'espère pouvoir les rencontrer toutes.

Je crois que personne n'a émis l'opinion qu'il y a lieu de remettre en question la loi organique de l'armée ; ce n'est pas le gouvernement puisque mon honorable collègue, M. le ministre des finances, a déclaré très nettement que l'intention du gouvernement est d'exécuter complètement et loyalement l'organisation de 1868.

Ce n'est pas non plus le ministre de la guerre personnellement, car en toute circonstance j'ai déclaré que je trouvais la loi organique bonne, pourvu qu'elle fût exécutée complètement.

Je ne crois pas non plus que ce soient les honorables membres qui ont proposé l'ajournement du budget de la guerre, car il paraît résulter de ce qu'ils ont dit jusqu'à présent qu'ils sont convaincus que la loi est excellente et qu'ils la défendraient si elle était menacée.

On vient de me dire, dans une interruption, que c'est moi qui demande la révision de la loi, et hier l'honorable M. Frère disait que le ministre de la guerre remettait la loi en question puisqu'il attaquait les bases mêmes de l'organisation de l'armée en émettant le vœu que les bases du recrutement fussent modifiées. Messieurs, je vous prie de remarquer que la loi organique de l'armée et la loi sur le recrutement sont deux lois parfaitement distinctes. On peut trouver que la loi organique est bonne et n'avoir pas la même opinion sur la loi de recrutement, sans que cette opinion implique contradiction.

Qu'est-ce que la loi organique de l'armée telle qu'on l'a toujours entendue dans cette enceinte ? C'est la loi, ce sont les arrêtés d'exécution basés sur des considérations politiques et militaires qui déterminent le maximum des forces qui sera consacré à la défense du pays, qui déterminent le rapport qui doit exister entre les différentes armes ; enfin qui déterminent l'organisation, la composition, l'encadrement des unités de ces différentes armes. Quant à la loi sur le recrutement de l'armée, elle trace simplement les règles suivant lesquelles on lève des soldats. Or, quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir sur le mode de recrutement en vigueur en Belgique, cela n'implique pas l'idée qu'on n'approuve pas la loi organique de l'armée.

La loi sur le recrutement exerce de l'influence sur la loi du contingent, mais elle n'en exerce pas sur la loi organique, On comprend, en effet, que selon que les éléments fournis par la loi de recrutement sont plus ou moins sûrs, le contingent annuel sera plus ou moins élevé. Il est évident que le contingent annuel doit être établi de telle façon qu'au bout de dix ans, par exemple, il fournisse la totalité de l'effectif de l'armée déterminé par la loi. Si les mêmes faits qui se sont produits cette année devaient se représenter sous l'empire de la nouvelle loi sur le recrutement, si nous devions encore voir 1,500 remplaçants et substituants déserter dans le cours d'une seule année, il faudrait nécessairement augmenter le chiffre du contingent annuel. Mais, encore une fois, cela n'a aucune influence sur la loi organique elle-même de l'armée.

Ainsi donc l'honorable M. Frère-Orban me semble avoir été dans l'erreur quand il a conclu de mon désir qu'on introduise successivement des modifications dans les bases du recrutement, que j'attaquais la loi organiques de l'armée.

On a prétendu que j'avais attaqué la loi dans le rapport que j'ai présente à la Chambre. Mais, messieurs, je crois qu'on n'a pas assigné à ce document son véritable caractère.

Qu'est-ce que ce rapport, dans sa première partie surtout, dans sa partie principale ? C'est l'inventaire, le procès-verbal des faits que j'ai été amené à constater lorsque, au lendemain du jour où je suis entré au département de la guerre, j'ai dû mobiliser l'armée.

Or, je le demande, peut-on conclure des faits constatés et signalés à l'attention de la Chambre, qu'il faille modifier la loi organique de l'armée ? Pas le moins du monde.

Qu'ai-je constaté en premier lieu ? Quel est le fait dominant que j'ai signalé ? C'est l'insuffisance des effectifs.

J'ai constaté qu'au lieu de trouver, comme la législation sur l'armée me le faisait espérer, une armée de 100,000 hommes derrière laquelle il devait y avoir une réserve de 30,000 hommes pour garder les forteresses, je n'avais trouvé que 83,000 hommes, chiffre duquel il faut déduire 14,000 à 15,000 hommes qui n'étaient pas encore incorporés. De manière qu'après avoir pourvu à la défense des forteresses, au lieu d'une armée de 100,000 hommes, je n'ai pu mettre en ligne que 50,000 hommes.

Ces faits sont fâcheux. Ce n'est pas le moment d'en rechercher la cause ; mais je constate qu'ils n'attaquent en rien la loi organique de l'armée. (Interruption.) Je ne dis pas non, mais je constate que ces faits sont indépendants de l'organisation proprement dite de l'armée ; et que l'on ne peut prétendre que j'attaque la loi organique de l'armée en constatant que les effectifs que j'ai réunis n'ont pas été ceux sur lesquels j'étais en droit de compter.

Or, ce fait est incontestable. Toute l'armée le connaît parfaitement, et vous-mêmes, messieurs, vous devez l'avoir appris par les relations que vous avez nécessairement avec beaucoup d'officiers.

L'effectif de l'armée en ligne n'a donc pas dépassé 50,000 hommes.

L'honorable M. Pirmez a fait remarquer que, si nous n'avons pu réunir que 83,000 hommes, il est juste de tenir compte de 12,000 à 14,000 hommes qui étaient en congé ou empêchés de se rendre sous les drapeaux ; il en a conclu qu'avec plus de soin de la part de l'administration de la guerre on aurait pu trouver des hommes que les ordres de rappels n'ont pas rencontrés.

Si ce reproche était fondé, il ne pourrait s'adresser à mon administration, parce que j'ai trouvé la situation telle qu'elle était, mais, je me hâte de dire qu'il n'y a de reproche à faire à personne.

L'honorable M. Pirmez se fait complètement illusion, s'il croit que, lorsque 100,000 hommes figurent dans les situations d'une armée, ces 100,000 hommes arriveront sous les armes au premier son de trompette.

Dans tous les pays du monde, dans toutes les armées, il y a une certaine quantité de non-valeurs dont il faut tenir compte quand on fixe le contingent.

M. Pirmez. - Il y a 120,000 hommes.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - On ne m'en a pas donné 120,000. On n'en avait incorporé que 104,000 ; il n'en existait plus, d'après la situation de l'armée, que 95,000, et je n'ai pu en réunir que 83,000.

Je constate le fait, sans rien critiquer.

En parlant de l'incorporation de 120,000 hommes, l'honorable M. Pirmez fait allusion à l'avenir ; l'honorable membre m'a aussi fait l'objection que je n'avais pas tenu compte des améliorations que la nouvelle loi sur le recrutement doit procurer. Selon lui, on aura désormais de meilleurs éléments et les déchets seront moins considérables.

C'est là, messieurs, un autre ordre d'idées, (page 164) Vous parlez de l'avenir, moi je parle du présent, c'est-à-dire de ce qui existait au moment de la mobilisation.

Je ne conteste pas que la nouvelle loi sur le recrutement puisse produire quelques améliorations ; je dois cependant faire remarquer que jusqu'à présent les auteurs de cette loi n'ont que des espérances d'améliorations, mais aucun fait ne prouve que ces espérances soient légitimes ; si je devais m'en rapporter aux résultats constatés depuis la première application de la nouvelle loi, je serais autorisé à dire que ces espérances sont des illusions.

Au surplus, ce que je tenais à établir, c'est que les faits que j'ai constatés, et qui ne sont relatifs qu'au recrutement, n'impliquent nullement, de ma part, l'idée de critiquer la loi organique ; que, dès lors, j'ai pu déclarer, comme je déclare encore, que celle-ci est bonne, sans encourir le reproche de contradiction.

Messieurs, j'ai fait d'autres observations dans mon rapport. J'ai signalé que les magasins étaient pauvrement approvisionnés, que le matériel de couchage était insuffisant, que l'intendance manquait de moyens de transport, qu'il avait fallu beaucoup de temps pour faire la remonte et bien d'autres choses de ce genre,

M. Bouvier. - Et les cadres.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - J'y viendrai, monsieur.

Je dis donc, messieurs, que les faits que j'ai constatés, que les critiques que j'ai soulevées se rattachent à l'ordre administratif et ne se rapportent en aucune façon à la loi organique.

. L'honorable M. Bouvier m'a interrompu pour me dire : Et les cadres ? L'honorable membre fait allusion, sans doute, aux cadres des quatrième et cinquième bataillons. Eh bien, messieurs, je reconnais que cette observation a sa valeur.

Mais constater la nécessité de mettre un sous-lieutenant de plus par compagnie, par exemple, dans ces bataillons, est-ce là demander le renversement de la loi organique ?

Il y a un autre fait que j'ai signalé et qui est beaucoup plus grave que celui-là. J'ai dit que l'expérience qui venait d'être faite nous avait révélé que notre artillerie n'est pas, comme nombre, en rapport avec les autres armes.

Si ce fait est bien démontré, si par suite de la constatation de cette infériorité relative, on est amené à devoir créer quelques batteries d'artillerie, eh bien, encore une fois, est-ce que cette addition impliquera le bouleversement de la loi organique. ? Evidemment non ; ce n'est pas attaquer une loi que de proposer d'y rattacher quelques dispositions pour la compléter.

Il résulte de ces explications que jamais, en aucune circonstance, je n'ai rien affirmé qui pût dénoter, de ma part, la pensée que la loi dût être révisée.

Je pense donc, messieurs, que la proposition d'ajournement qui est faite ne peut pas être adoptée en vue d'une révision de la loi organique, puisque personne ne met cette loi en question et que le gouvernement est décidé à la maintenir et à l'exécuter complètement et loyalement.

Je passe, à un autre ordre de faits.

Un des motifs qui font proposer un ajournement sur le vote du budget, c'est la question du service personnel.

L'opposition (non, je retire le mot « opposition » ; il n'y a pas d'opposition dans cette Chambre quand il s'agit d'une question nationale), le but des honorables membres qui proposent l'ajournement est d'obliger mes honorables collègues de se prononcer, à bref délai, sur la question du service personnel. On leur dit : Vous devez avoir une opinion arrêtée, faites-la connaître.

On veut par ce moyen, je crois, nous mettre dans cette position ; c'est que si dans deux mois mes honorables collègues viennent déclarer qu'effectivement ils veulent établir le service personnel, on leur dira : Vous voulez prendre une mesure violente à laquelle l'opinion publique n'est pas préparée ; et c'est un thème sur lequel on peut dire beaucoup de choses. Si, au contraire, mes honorables collègues viennent dire : Nous ne sommes pas d'avis qu'il y ait lieu de décréter le service personnel, on constatera immédiatement qu'il y a dissentiment dans le cabinet.

Eh bien, je crois être parfaitement d'accord avec mes collègues ; ils sont convaincus, comme moi et comme vous l'êtes tous, de l'indispensable nécessité d'améliorer, par un moyen quelconque, le recrutement de l'armée. Voilà un point sur lequel tout le monde est d'accord.

M. Vleminckx. - Nous l'avons amélioré.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. – Il faut l'améliorer encore, il s'agit de trouver le meilleur moyen.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est vous qui l'avez trouvé. Ne reculez pas.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. Je ne recule jamais.

M. le président. - Je demande de nouveau qu'on n'interrompe pas.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Je dis donc, messieurs, qu'on est d'accord sur la nécessité d'améliorer le recrutement de l'armée, de l'améliorer encore, si vous prétendez qu'on l'a amélioré. Mais, je disais tout à l'heure qu'à cet égard votre espoir était tout à fait incertain et je suis autorisé à croire, en me basant sur les faits de cette année, que votre espoir est une illusion.

En effet, en quoi avez-vous amélioré la situation ancienne ? Est-ce que ce ne sont pas toujours les mêmes classes de la société qui composent exclusivement l'armée ? Est-ce que les facilités extrêmes accordées au remplacement par la nouvelle loi n'ont pas cette conséquence ? Vous avez amélioré la loi en supprimant la substitution, mais les éléments que vous avez éliminés par cette mesure sont rentrés par une autre porte, par la porte du remplacement.

C'est tellement vrai que cette année-ci le nombre des remplaçants est double de ce qu'il était précédemment.

A peine l'incorporation de la classe de 1871 avait-elle été faite, que de nombreuses désertions se sont produites parmi les remplaçants. Je m'en suis ému.

J'ai fait faire une enquête et j'ai constaté que par des moyens frauduleux on a éludé les garanties de la loi ; j'ai déjà dénoncé au procureur du roi soixante-neuf cas de fraude, dans l'admission des remplaçants, ce qui prouve que les garanties données par la nouvelle loi sont loin d'être complètes.

Je maintiens, messieurs, que les éléments de recrutement n'ont pas été réellement améliorés ; ce sont toujours les dernières classes de la société qui composent l'armée,

Messieurs, je disais tout à l'heure que tous les membres du cabinet sont unanimes pour reconnaître qu'il est hautement désirable qu'on améliore les éléments du recrutement. Quel moyen faut-il employer pour atteindre ce but ? Mes collègues ne le savent pas.

En ce qui me concerne, j'ai indiqué un moyen : c'est le service personnel. Je me suis rallié à ce système qui a été préconisé par la commission que j'ai instituée, c'est après que la commission l'a indiqué, que je m'en suis fait le défenseur.

Ai-je obligé la commission à arriver à cette conclusion ? Pas le moins du monde. Je vais vous lire la question telle que je l'ai posée à la commission, et vous verrez que si elle a proposé le service personnel, c'est bien certainement qu'elle n'a pas trouvé de solution meilleure que celle-là.

La commission a été instituée pour examiner les différents points que j'avais signalés dans le rapport dont j'ai eu l'honneur de saisir la Chambre,

Le premier point à examiner était « le déchet, qui fait que le nombre d'hommes dont nous disposons n'est pas celui voulu par la loi ».

Lorsque j'ai eu l'honneur d'installer la commission, voici comment je me suis exprimé, en lui rappelant les points sur lesquels elle avait à délibérer.

« L'examen de la première question, qui est de beaucoup la plus grave, selon moi, conduira probablement la commission à rechercher s'il n'est pas devenu indispensable de modifier complètement les principes d'après lesquels se fait aujourd'hui le recrutement de la force publique. De nos jours, les méthodes de guerre exigent que les éléments des années soient plus intelligents ; d'autre part, les idées de justice et d'égalité, que l'esprit moderne cherche à faire prévaloir dans nos lois, condamnent le mode actuel de recrutement qui décharge trop facilement les classes élevées de la société du devoir de défendre la patrie. Ces considérations font désirer que l'obligation du service militaire s'étende et se généralise de plus en plus. Votre patriotisme et votre expérience, messieurs, vous inspireront, je n'en doute pas, la meilleure solution à adopter ; je me borne, ainsi que je l'ai fait dans mon rapport, à émettre le vœu que vous examiniez cette question au triple point de vue de la force de l'armée, de sa moralité et de son intelligence. »

Voilà ce que je disais à la commission, et c'est après de longues délibérations qu'elle est arrivée à reconnaître que le meilleur moyen de porter remède à la situation actuelle, c'est d'adopter le service personnel.

J'ai cru et je crois encore que c'est la meilleure, solution, et c'est pour cela qu'au début de la discussion générale du budget de la guerre, je l'ai indiquée à la Chambre.

Mais, messieurs, dans quels termes ai-je fait cette communication à la (page 165) Chambre ? Ai-je dit, comme le prétendait hier l'honorable m. Bouvier, que le pays était perdu si on ne supprimait pas le remplacement ?

M. Bouvier. - Vous l'avez dit devant la commission,.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Je viens de vous lire ce que j'ai dit devant la commission, je n'y ai pas dit autre chose puisque je me suis borné à l'installer sans assister à ses délibérations.

M. Bouvier. - Vous l'avez dit dans d'autres commissions.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Je n'ai pas à rendre compte de ce que j'ai dit dans des commissions antérieures ; d'ailleurs, je prouverai que, même à cet égard, vos souvenirs ne sont pas exacts.

Lorsque j'ai eu l'honneur d'ouvrir la discussion générale sur le budget de la guerre, j'ai lu ce que je voulais faire savoir à la Chambre. Je me suis plaint des exagérations qu'on me prêtait. (Interruption.) Il paraît que je suis tellement exagéré, que l'on ne peut plus trouver de mots français pour caractériser mon extra-militarisme. On a inventé le mot de « prussification. »

Je me plaignais donc des exagérations qu'on me prêtait et je disais que je considérais comme un acte de loyauté de ma part de faire connaître quel était le maximum de mes aspirations personnelles. En ce qui concerne le point spécial qui nous occupe en ce moment, c'est-à-dire le service personnel, je disais :

« Je désire vivement, je l'avoue, que le pays et la Chambre reconnaissent que la suppression du remplacement serait une mesure éminemment équitable, morale et opportune. Je n'hésite pas à déclarer que la force publique offrirait bien plus de garantie qu'aujourd'hui si l'on décrétait, non pas le service obligatoire, mais le service personnel, c'est-à-dire l'abolition du remplacement. »

Voilà comment je me suis exprimé.

Je ne suis donc pas venu en quelque sorte mettre la Chambre en demeure de se prononcer immédiatement sur une question de cette importance. Je comprends parfaitement qu'on ne pouvait pas arriver au résultat que je désirais sans que l'opinion publique y eût été préalablement préparée.

L'honorable M. Bouvier dit que, dans certaines commissions, j'ai parlé autrement.

J'ai constaté, dans des commissions, que l'armée renferme de mauvais éléments, mais ce qui prouve qu'à l'époque dont parle l'honorable membre je n'ai pas indiqué le service personnel comme la seule solution possible, c'est que j'en avais proposé une autre : l'exonération avant le tirage.

Par cette combinaison, je cherchais surtout à rendre le remplacement moins facile, de manière que les fils de la bourgeoisie ne fussent pas tous en position de se soustraire au service personnel. Je poursuivais évidemment le but que je poursuis encore aujourd'hui, celui d'améliorer les éléments du recrutement. J'avais donc indiqué un autre moyen et on ne peut pas dire qu'au sein de commissions quelconques j'ai déclaré qu'il fallait immédiatement décréter le service personnel.

Je maintiens que. le service personnel est le remède le plus efficace, à la situation, mais je pense qu'il n'est pas raisonnable - pardonnez-moi ce mot - d'exiger que mes honorables collègues, qui n'ont, du reste, pas été saisis de la question, qui n'étaient pas mêmes présents aux déclarations que j'ai faites, le 28 novembre dernier ; il n'est pas raisonnable, dis-je, d'exiger qu'ils s'expliquent immédiatement ou à bref délai sur la meilleure solution à donner à ce problème difficile.

Je. finis. Mon honorable collègue et ami, M. le ministre des finances, disait, il y a quelques jours, avec cette éloquence que je voudrais posséder pour vous convaincre : « Les questions militaires ne sont pas des questions de parti ; ce sont des questions nationales. » Il aurait pu ajouter : C'est l'honneur du parlement belge que depuis quarante ans, malgré les luttes les plus acharnées des partis, il s'y soit toujours trouvé une majorité assez intelligente et animée d'assez de patriotisme pour ne jamais marchander à l'armée son existence et pour témoigner en toute circonstance ses sympathies aux défenseurs de la patrie.

Permettez-moi, messieurs, d'espérer que ces sympathies que toutes les majorités, sans distinction de partis, ont témoignées en tout temps à l'armée ne se démentiront pas à l'occasion du premier budget qui vous est présenté à la suite des événements si graves, dans lesquels l'attitude militaire de la Belgique a mérité à notre patrie les applaudissements et les félicitations de toute l'Europe.

M. Frère-Orban. -J'aurais désiré que M. le ministre des finances, qui a annoncé des explications, les donnât avant que je prisse la parole. Ce serait un moyen d'abréger le débat. Si l'honorable ministre des finances ne croit pas devoir parler maintenant, je céderai mon tour de parole à l'honorable M. Pirmez, qui doit nécessairement répondre à M. le ministre de la guerre.

M. Pirmez. - Le rapport de M. le ministre de la guerre, s'il a un objet sérieux, tend évidemment à faire apprécier quelles sont les réformes à apporter à nos lois militaires.

Les critiques que j'ai dirigées contre ce rapport sont parties de cette idée.

Or, aujourd'hui M. le ministre de la guerre nous déclare qu'il a exposé la situation sans se préoccuper en aucune façon des changements déjà apportés à notre législation militaire.

Ainsi, par exemple, il nous dit qu'au lieu d'avoir 100,000 hommes, il n'en a obtenu que 83,000 ; or, ce renseignement ne nous apprend pas ce que sera votre armée lorsque les lois récemment votées auront fonctionné.

Je comprends parfaitement qu'avec huit classes de 10,000 hommes et deux seulement de 12,000 hommes, vous n'ayez pas obtenu 100,000 hommes. Mais attendez donc l'effet des lois votées pour déclarer que nos lois militaires sont insuffisantes ; on n'eût pas élevé le contingent à 12,000 hommes si celui de 10,000 eût suffi.

M. le ministre de la guerre me prête l'idée que si 100,000 hommes ont été réunis au département de la guerre, au premier son de trompette les cent mille hommes sur lesquels on compte se rendent sous les armes. Mais non, jamais je n'ai professé une telle hérésie.

Je dis seulement qu'avec un contingent annuel de 12,000 hommes et une durée de service de dix années, ce qui vous donnera 120,000 hommes, vous pourriez certainement compter sur 100,000 hommes quand vous en auriez besoin. J'admets donc un déchet de 20 p. c. sur dix classes, c'est-à-dire la proportion qui est admise dans presque toutes les armées de l'Europe.

Je crois, messieurs, que la dernière loi de milice a introduit de grandes améliorations dans le régime des remplacements. Il a été fait droit, quand on a voté cette loi, à tout ce que le chef du département de la guerre et ses bureaux ont demandé pour que l'institution du remplacement ne fournît à l'armée que de bons sujets.

Mais pour qu'une loi, quelque bonne qu'elle soit, produise tous ses effets, il faut que ceux qui sont chargés de l'exécuter emploient tout leur zèle, toute la bonne volonté à faire qu'elle produise tous ses effets. Eh bien, je crains fort que la position que le gouvernement prend aujourd'hui ne produise des conséquences inférieures à celles que nous aurions si l'on exécutait convenablement la loi.

M. le ministre de la guerre proclame que la loi est mauvaise ; il réunit une commission pour avoir son avis ; mais avant qu'elle ait émis une opinion, il déclare que le remplacement est mauvais, que c'est une institution détestable.

La commission s'assemble ; elle a son thème fait. La réponse lui est dictée d'avance.

Voilà donc le remplacement déclaré mauvais. Et l'on veut que des officiers inférieurs s'efforcent de relever le niveau moral du remplacement. Ceux qui parviendront à faire que les remplaçants soient aussi bons que les miliciens n'auront pas l'approbation de leurs chefs ; ceux qui donneront des arguments contre le remplacement, au contraire, auront l'avantage d'abonder dans le sens des idées émises par leurs supérieurs.

Il est donc impossible d'avoir un bon remplacement dans l'état actuel des choses.

Quand on fait une loi, on n'a pas la prétention d'atteindre l'idéal. je suis loin de prétendre que la loi que nous avons votée réalise la perfection.

Ce qu'il faut faire, c'est un travail de comparaison relativement à presque toutes les lois.

Avant de démolir ce qui existe, il faut que vous me montriez l'institution que vous entendez mettre à la place de celle que vous voulez détruire.

Nous sommes loin d'en être là ; si l'honorable ministre de la guerre a une opinion, il déclare que le gouvernement n'a aucune espèce d'idées. Le cabinet précédent n'en avait pas plus.

Comment ! l'honorable ministre de la guerre a eu pour collègue l'honorable M. Kervyn qui s'est occupé pendant des années de rechercher un système de recrutement et qui a trouvé, je ne dirai pas un, mais plutôt une série de systèmes.

Les honorables membres ont siégé ensemble pendant dix-huit mois, et lorsqu'on leur demande : Qu'allez-vous faire ? ils répondent : Nous n'en savons absolument rien, mais nous trouvons mauvais ce qui existe.

Eh bien, de tous les mauvais systèmes, le plus mauvais, messieurs, c'est de trouver défectueux ce qui existe sans savoir ce que l'on veut mettre à la place.

(page 166) L'honorable ministre de la guerre dit encore : Nous désirons que le pays nous propose un nouveau système. Est-ce sérieux ?

Est-ce que le cabinet se figure que ce qu'il déclare ne pas savoir collectivement, les comices électoraux vont le lui apprendre, qu'ils vont lui donner un système d'organisation complète ? Je le demande, cela est-il possible ?

M. le ministre de la guerre a, comme M. le ministre des finances, insisté sur ce qu'il était important que les questions militaires ne fussent pas des questions de parti..

Mais puisqu'on a introduit ces questions de parti dans le débat, je vais dire un mot d'une question qui a soulevé il y a quelque temps de très vives et de très longues discussions, une question où la majorité d'aujourd'hui a certainement mêlé aux questions militaires les questions de parti.

Il y a quelques années, messieurs, lorsque nous avons discuté la loi de milice, j'ai proposé, comme ministre de l'intérieur, le système qui a été adopté par les deux Chambres sur les exemptions à accorder aux ministres des cultes et aux étudiants en théologie.

Mais lorsque après la loi de milice, sont arrivées la loi du budget et la loi du contingent, la droite, presque unanime, a voté contre le budget de la guerre et contre la loi de contingent ou au moins-elle s'est abstenue. Il y a eu, je crois, deux membres de la droite seulement qui ont voté le budget de la guerre : M. Van Overloop et M. Van Cromphaut.

M. Van Cromphaut. - Et je le voterai encore.

M. Pirmez. - Il faut donc bien reconnaître, messieurs, que là au moins on a mêlé la grande question d'indépendance nationale à une question de parti.

Ces discussions, en présence de ce qui s'est passé depuis, méritent attention, Je voudrais savoir s'il y a eu autre chose, dans les déclarations qui ont été faites à cette époque, qu'une espèce de mise en scène politique ; si l'on était sincère lorsqu'on invoquait les grands principes de la liberté des cultes, de la liberté de l'enseignement, de la liberté de conscience et de l'indépendance religieuse.

On a déclaré alors qu'il y avait incompatibilité absolue entre la conscience de la majorité actuelle et le budget de la guerre et la loi du contingent reposant sur la loi de milice,

Pour que deux choses incompatibles cossent de l'être, il faut que l'une se modifie. Or, la loi de milice est restée : le budget de la guerre et la loi de contingent n'ont pas changé ; si cette organisation n'est plus aujourd'hui incompatible avec la conscience de la majorité, il faut qu'il se soit fait un changement dans cette conscience.

Je désire avoir quelques explications à cet égard.

Si les déclarations que je rappelle ont été sincères, il y a changement de conscience ; si elles ne l'ont pas été, je demande qu'on l'avoue.

Comme je suppose que l'honorable chef du cabinet ou l'honorable M. Delcour me feront l'honneur d'une réponse, je ne veux pas les prendre au dépourvu. Je vais leur rappeler quelques parties de ces discussions.

Voici ce que disait M. Delcour, après avoir discuté les amendements de M. Orts et de M. De Fré, qui ont été repoussés :

« Il me reste à discuter l'amendement du gouvernement, celui que je considère comme le principal.

« Moins radical que celui de l'honorable M. De Fré, il consacre deux principes que ma conscience se refuse à admettre...

« Ce sont ces deux conditions que je combats. La première est contraire à l'égalité constitutionnelle des cultes ; elle est essentiellement dirigée contre le culte catholique, qui est celui de la presque unanimité des Belges. La seconde conduit à des recherches, à des inquisitions incompatibles avec nos mœurs. »

Cela reste encore vrai aujourd'hui. L'honorable M. Delcour voudra bien me dire s'il considère sa conscience comme toujours engagée à voter contre la loi du contingent et contre le budget de la guerre, ou si, pour la dégager, il va proposer immédiatement une modification de la loi de milice.

- Un membre. - Il y a deux ans de cela.

M. Pirmez. - Oh ! je sais bien qu'il y a deux ans, mais je suppose que pour les questions de conscience la prescription est bien de cinq ans. (Interruption.)

J'engage l'honorable ministre de l'intérieur à bien réfléchir avant de maintenir un pareil état de choses. En finissant, il déclarait que le gouvernement s'exposait à une grande responsabilité vis-à-vis du pays. Evidemment la responsabilité est la même aujourd'hui qu'alors ; M. Delcour ose-t-il bien 'assumer ?

L'honorable abbé de Haerne voyait dans ce débat une grande question de justice et il s'écriait en terminant par ce mot célèbre : « Vous voulez être libres et vous ne savez pas être justes ! » Est-ce que l'on va rester injuste ?

L'honorable M. Schollaert nous disait : « Croyez-moi, adopter la réservé de la section centrale, c’est introduire dans nos communes un nouvel élément de discorde, un nouveau motif de division et de haine, sans profit sensible pour l'Etat, mais avec une perte sensible de force réelle. »

Or, le ministère d'apaisement que nous avons le bonheur de posséder, ne voudra-t-il pas supprimer ces ferments de discorde et de haine ?

Mais, messieurs, tout cela est assez peu de chose lorsqu'on le compare à l'éloquence passionnée de l'honorable M. Dumortier. Je serais tenté de relire en entier ce qu'il disait dans cette circonstance, mais je me borne à citer quelques extraits :

M. Dumortier débutait ainsi :

« Je ne puis garder le silence, car il s'agit aujourd'hui de la discussion la plus grave à laquelle j'aie assisté depuis 1831. Il s'agit d'anéantir le plus grand principe sur lequel repose toute l’œuvre de 1830. »

Rien de plus, rien de moins.

« Quel a été le grand principe de 1830 ? L'émancipation des cultes. Le culte catholique avait été persécuté pendant seize ans par le gouvernement hollandais ; la révolution a émancipé les cultes, et c'est contre cette émancipation des cultes, c'est contre la liberté des cultes que vous vous levez aujourd'hui, car il n'y a plus de liberté des cultes lorsque le culte catholique n'a plus la faculté de recruter son sacerdoce.

« J'ai entendu dire à plusieurs reprises que la Belgique était malade ; j'ai entendu dire qu'il y avait des points noirs à l'horizon du côté de l'étranger. Eh bien, mais je vous le dis, les points noirs les plus sérieux, les plus dangereux ne sont pas ceux que vous apercevez à l'étranger, ce sont ceux qu'on soulève dans cette enceinte contre les grands principes de 1830.

« Vous voulez faire de la Belgique actuelle l'antithèse de la Belgique de 1830. Et en agissant de la sorte, savez-vous ce que vous faites ? Vous affaiblissez sans le vouloir, le sentiment national, car il n'y a de sentiment national dans un peuple que quand chacun peut se dire : Je suis tellement heureux dans mon pays que je ne saurais être plus heureux sous aucun autre régime.

« Eh bien, est-ce là ce que vous faites quand vous nous persécutez ?

Je désire savoir si l'honorable M. Delcour sera mon successeur dans la persécution organisée contre les catholiques ?

Mais, messieurs, tout cela est encore très peu de chose. (Interruption de M. le ministre de l'intérieur.) Pardon, M, le ministre, cela entre dans vos attributions ; c'est le ministre de l'intérieur qui est chargé de l'exécution des lois sur la milice ; c'est donc vous qui allez persécuter les catholiques.

« L'honorable ministre de l'intérieur, continuait M. Dumortier, vient vous faire une troisième proposition qu'il présente comme l'œuvre d'une parfaite modération. Cette modération, c'est comme, celle des brigands de la Calabre, de la Sicile, des Marches et des Légations qui prennent un fils de famille et, au lieu de lui couper la tête, se bornent à lui couper les oreilles et les envoient à son père, pour obtenir, une bonne rançon en disant : Voyez comme nous sommes modérés ! Nous aurions pu lui couper la tête et nous nous sommes bornés à lui couper les oreilles. »

Voilà M. Delcour qui va devenir un brigand calabrais opérant en Belgique.

M. Dumortier continue :

« Savez-vous ce que vous avez fait ? Vous avez recommencé la persécution de 1825 contre les catholiques ; vous avez refait les maximes orangistes que nous avons anéanties en 1830. Ces maximes, qui ont amené la révolution et qui ne peuvent que faire renaître la désaffection du pays, ce sont les vôtres et ce sont elles que votre politique réactionnaire veut faire dominer de nouveau dans le pays.

« Et si vous vous imaginez qu'en agissant de la sorte, vous rendrez à la nation cette virilité, cette vigueur dont elle a besoin, je dis que vous êtes les démolisseurs de la société, et que, quand un jour on écrira l'histoire de notre pays, on dira : Les catholiques, en 1830, ont constitué la Belgique ; par leur violence contre les catholiques, les libéraux, en 1869, l'ont anéantie. »

La disposition existe depuis deux ans ; et cependant la Belgique subsiste toujours ! Nous sommes toujours sous le coup d 'cette menace d'anéantissement, et le gouvernement ne la conjure pas ! M. Dumortier lui-même a oublié le danger !

Nous avons vu M. Delcour soulever la question de conscience ; mais M. Jacobs a encore bien mieux précisé ce point.

(page 167) L'honorable membre nous disait : « Si c'était l'esprit de conciliation qui guidait M. le ministre de l'intérieur, en présence dit scrupule de conscience qui arrête les catholiques, il devrait leur accorder dix fois cette petite concession qui se chiffrera par quelques milliers de francs. Je sais bien que M. Pirmez trouve qu'il n'y a pas de question de conscience pour les catholiques, mais comme il n'est pas leur directeur spirituel, il me permettra de ne pas m'en rapporter à lui à cet égard. »

Il paraît que les directeurs actuels de la conscience de la majorité s'en rapportent parfaitement à mon sentiment,

Je pourrais citer d'autres passages encore, mais même de ce qui est bon comme ceci il ne faut pas abuser.

Voici ce qu'on disait lors du vote du budget de la guerre :

M. Coomans disait : « Oui, le principe de l'affranchissement du prêtre de la corvée militaire suffit pour nous faire repousser et la loi de milice et le budget de la guerre qui en est la conséquence.

« II y a là une violence inconstitutionnelle et nos évêques unanimes ont parfaitement raison de la signaler à notre attention, »

La Chambre se rappelle, en effet, qu'il y a eu une pétition de l'épiscopat demandant que la proposition qui a été adoptée par la Chambre ne fût pas accueillie.

M. Vermeire disait : Cette attitude nous est commandée, par notre conviction intime et notre conscience. Dès lors nous pourrons dire : Advienne que pourra. »

M. Wasseige faisait à son tour la menaçante déclaration suivante : « Je le répète avec mon honorable ami, M. Vermeire, c'est à nous à vous dire : Vous êtes sur une pente glissante ! »

Or, l'honorable membre s'est mis sur cette pente ; il y est resté plus d'un an ; mais il est vrai qu'il a fini par glisser. (Interruption.)

Mais je continue la citation ; « Nous sommes aussi bons patriotes que vous, nous sommes encore aussi dévoués que vous, plus que vous peut-être à notre dynastie ; mais ni nous poussez pas à bout, et prenez garde ! »

Ainsi cette fameuse question de l'exemption des ministres des cultes était une question de la plus haute gravité, une question qui pouvait non pas soulever quelques cris, mais qui nous faisait tout simplement menacer d'une révolution ! On pouvait être poussé à bout sur cette question et cependant aujourd'hui nous voyons le calme le plus complet, personne ne s'occupe plus de la question, pas même les évêques qui ont signé la pétition.

Je dois cependant être juste vis-à-vis de M. Wasseige ; il a fait le discours très pathétique que je viens de vous lire, mais il a fait aussi une interruption d'un genre tout différent ; son naturel est revenu. « Ce n'est pas l'armée, s'est-il écrié, que nous voulons renverser, c'est le ministère. »

C'était vrai et c'est réellement ce qui a été dit de plus naïvement sincère ; j'en fais compliment à l'honorable membre.

M. Wasseige. - Ne pourrais-je pas prétendre qu'il y a en ce moment entre nous deux ce point de contact ?

M. Pirmez. - L'honorable M. Jacobs jugeait parfaitement la situation ; il se réjouissait et je le comprends : il en avait des motifs très sérieux ; il voyait en effet la droite sur le point de le suivre dans sa campagne antimilitariste.

« J'espère bien que dans l'avenir, disait-il, si vous repoussez toute transaction, si vous tenez la dragée haute, vous allez forcer la droite entière à voter contre le budget.

« Vous jouez notre jeu ; j'espère que vous continuerez. »

Mais il paraît que l'honorable M. Jacobs a changé de vues ; depuis il a voté le budget de la guerre, il l'a présenté ; il a demandé ainsi à la droite entière de voter ce budget que son espoir était de voir repousser par elle.

Du reste, la décision de la droite a été formulée à cette époque avec toute la solennité possible. L'honorable M. de Theux, le vénérable chef de la droite, a lui-même pris la parole et il a annoncé la résolution prise par tout son parti. J'espère que l'honorable comte de Theux voudra bien nous dire ce qui a modifié son opinion. Je suppose qu'il ne se bornera pas à crier avec nous : Que les temps sont changés !

Vous êtes en présence de choses que vous avez déclaré ne pouvoir pas voter ; que votre conscience, les principes constitutionnels et religieux vous défendaient de voter et vous allez tous les voter.

M. Vermeire. - Je demande la parole.

M. Pirmez. - Si l'honorable M. Malou veut que l'on croie sérieusement que le cabinet a l'intention de mettre les affaires militaires en dehors des questions de partis, il doit faire deux déclarations. Ces aveux ne lui coûteront pas personnellement parce qu'il n'a pas donné dans ces extravagances, mais ils déplairont peut-être à son parti ; et cependant il vaut mieux, pour lui, avouer ses fautes que de maintenir des déclarations qui font si étrange figure aujourd'hui, en les laissant en perpétuelle discordance avec ce que l'on fait.

Je demande d'abord à l'honorable ministre des finances de déclarer que toute cette affaire de l'exemption ecclésiastique n'avait rien de sérieux, que c'était, comme je l'ai dit en commençant, une mise en scène destinée à entraîner les électeurs, tendant à faire croire à une persécution et à appeler sur des martyrs imaginaires l'intérêt que les victimes attirent toujours,

C'est la première déclaration que vous avez à faire ; vous serez alors parfaitement à l'aise pour l'avenir ; vous serez débarrassé d'un mauvais antécédent, qui sans cela vous gênera longtemps.

Je demande une seconde déclaration à M. le ministre des finances ; je la demande à l'honorable ministre des finances, sans vouloir exclure ses collègues, parce qu'il doit prendre la parole et qu'il jugera sans doute convenable de répondre à mon interpellation.

Je demande donc à M. le ministre des finances de déclarer que le parti catholique n'a plus dans son programme ce qui a été proclamé à l'égard des dépenses militaires dans la réunion conservatrice, dont l'honorable M. Frère a parlé dans la dernière séance, dans cette grande assemblée triomphale de la fin de juin 1870.

On a, dans cette réunion, érigé en principe qu'il faut une diminution graduelle, des charges militaires.

M. Frère-Orban. - Qu'elle était urgente,

M. Pirmez. - Oui, elle était urgente ; et cela se disait au mois de juin 1870i

Quelle perspicacité politique et quel bonheur que l'urgence n'ait pu se réaliser !

Eh bien, je demande que M. le ministre des finances déclare que le ministère répudie absolument ce principe ; je lui demande de déclarer que ce n'a été là qu'une machine électorale (interruption), qu'il n'est en mesure de rien réaliser de cette déclaration (interruption), que tout cela est une vaine fumée qui a pu obscurcir le sens des électeurs, mais dont il ne restera rien. (Interruption.)

Oh ! je le reconnais ; ce que je demande est un peu dur à avouer, mais quand on a commis une faute, il faut savoir en subir les conséquences ; c'est une loi de justice, vraie en politique comme ailleurs. Quand on a eu recours aux petits moyens, quand on a fait de cette politique misérable qui cherche à exciter dans le pays les sentiments les plus contraires aux grands intérêts de la patrie et de la société, qu'on prend ensuite le pouvoir, on a le devoir de répudier hautement un pareil passé ; quoi qu'il en coûte, il faut le faire.

Vous avez dit aux électeurs : Ne vous occupez pas du maintien de l'ordre social, ne vous occupez pas de l'indépendance nationale. (Interruption.) Si ce n'est pas ce qui a été dit, c'en est au moins la traduction fidèle.

Vous avez voulu qu'on ne vît plus rien de ce que commandent ces grands intérêts ; méconnaissant les nécessités du gouvernement que vous subissez aujourd'hui, vous avez supporté les charges en hommes et en argent du budget de la guerre ; vous avez excité contre les charges en vous présentant au corps électoral, vous avez dit : « Nous supprimerons ou nous réduirons le budget de la guerre et vous ne payerez que peu de contributions. Nous supprimerons le contingent ; il n'y aura plus de conscription. »

Voilà ce que vous disiez alors.

Ceux des électeurs qui n'apprécient pas les maux qu'entraîne pour un pays l'absence d'une force armée suffisante, vous ont suivis, et il y en a beaucoup.

Mais aujourd'hui vous ne pouvez, dans la majorité et au banc ministériel, tenir le même langage, vous êtes obligés de reconnaître, qu'il faut être à même de défendre l'indépendance du pays, de maintenir l'ordre public ; vous êtes dans la nécessité de laisser protester vos promesses !

Vous êtes obligés de tenir le langage que je tenais la veille du scrutin pour mes amis et pour moi, et que vous exploitiez contre nous !

Quelle en est la conséquence pour vous ? C'est d'avoir à faire une humiliante palinodie.

Comment l'expliquer ?

L'année dernière, on avait les événements de la guerre, épouvantables événements, mais heureux pour les antimilitaristes.

C'est l'honorable M. Cornesse qui a commencé le passage sur le pont des événements extérieurs par une lettre très bien faite adressée à l'honorable M. Simonis, et que j'ai déjà eu l'honneur de lire dans cette Chambre.

(page 168) Les antimilitaristes disaient alors : Les événements nous contraignent ; mais s'ils n'étaient pas là, nous voterions contre le budget de la guerre.

L'aveu était peu fier, car il faut bien reconnaître que si l'on proclamait la nécessité du budget de la guerre à raison des événements, on avouait qu'on avait été coupable de l'avoir voulu détruire avant la guerre.. C'était une petite humiliation. On l'a subie.

Aujourd'hui il en faut une autre.

La situation extérieure n'est pas plus menaçante que celle des premiers mois de 1870. Ce prétexte manque.

Nous voyons les honorables membres qui votent aujourd'hui ce qu'ils ont repoussé naguère (je ne parle pas de ceux qui ne votent pas) faire d'incroyables efforts pour colorer décemment leur changement de front.

Nous avons vu tantôt un de nos honorables collègues, jadis opposant aux budgets militaires, nous déclarer qu'il les voterait ; et pourquoi ? Uniquement parce que le gouvernement déclare qu'il examinera s'il n'y avait pas quelque chose de meilleur que ce qui existe ! (Interruption.)

Certainement, tout le monde s'expliquera, mais toute la droite votera, elle votera contre la conscience de 1869, mais d'accord avec la conscience de 1871.

Le gouvernement veut mettre les questions militaires en dehors des partis ; je le désire avec lui, mais que la majorité commence par prendre une position franche et honnête.

.le suis prêt, pour ma part, à voter le budget de la guerre, mais je veux que ceux qui gouvernent aient assez de courage pour le défendre, je veux qu'ils s'interdisent les moyens de recommencer, devant le corps électoral, le jeu de fausses promesses auquel nous avons assisté.

Si je puis résumer cette situation par des expressions peu relevées, je dirai que nous ne voulons pas tirer du feu les marrons militaires pour que le gouvernement catholique les croque et qu'après les avoir croqués il ait l'ingratitude de nous reprocher de les lui avoir remis.

M. de Theux, membre du conseil des ministres. - Messieurs, la question de partis est née en Belgique après le traité de paix avec la Hollande. Sous le gouvernement des Pays-Bas, c'était l'union qui dirigeait l'opinion publique et c'est elle qui a amené notre révolution et notre indépendance nationale. Mais, après 1840, on s'est divisé et l'initiative a été prise non pas par nous, mais par nos adversaires d'aujourd'hui. (Interruption.) Cela est positif ; c'est alors que la gauche s'est ralliée avec l'ancien parti, les orangistes, qui en voulaient aux catholiques, leurs anciens adversaires.

Voilà la vérité historique ; elle n'est pas autre ; c'est un fait constaté par l'histoire de la Belgique et que vous ne sauriez nier.

Messieurs, on fait aujourd'hui de la loi de milice une question de parti ; autrefois il n'en était pas ainsi ; la gauche ne faisait pas de cette question une question de parti : elle disait seulement que nous étions exagérés. Mais, messieurs, on n'était pas du tout exagéré, et ce que j'ai dit alors, je suis prêt à le redire encore aujourd'hui et à le mettre en pratique, si 'l’occasion s'en présentait.

De quoi s'agissait-il ? Il s'agissait de l'exemption des ministres des cultes du service militaire. On exigeait que les études fussent faites dans les séminaires exclusivement. On restreignait l'exemption aux étudiants qui n'avaient pas les moyens de se racheter.

Eh bien, après une guerre acharnée qu'on avait faite à l'opinion catholique pendant plusieurs années, pendant lesquelles une revue, la Revue libérale, avait pris l'initiative de déclarer que les catholiques ne devaient plus aspirer au gouvernement, qu'ils pouvaient faire un parti dans la Chambre, mais un parti qui eût été l'humble serviteur de la gauche.

Cette revue était encore modérée ; plus tard, les prétentions de nos adversaires ont été au delà. On a été jusqu'à soutenir que, d'après nos principes religieux, nous ne pouvions plus faire partie de cette Chambre ni du gouvernement. (Interruption.) Cela a été soutenu bien des fois. On nous a dit que nous étions condamnés par le souverain pontife, que notre Constitution était condamnée par lui.

Eh bien, nous avons cru que tout cela n'avait aucune espèce d'importance, que c'était simplement un thème qu'on adoptait pour nous exclure des Chambres et du gouvernement.

On a été plus loin encore. Non seulement on a soutenu cette exclusion en ce qui concerne le gouvernement ; mais on l'a étendue aux plus simples emplois. On ne pouvait plus légitimement aspirer aux emplois, du moment qu'on professait publiquement son culte.

Voilà jusqu'où on allait et si un catholique voulait aspirer à un emploi, il devait avoir soin de se munir de la recommandation d'un libéral.

M. Frère-Orban. - Allons donc !

M. de Theux, membre du conseil des ministres. - C'est ainsi.

Vous vous étonnez de ce que, dans cette circonstance, nous étions susceptibles aux atteintes qu'on portait ou qu'on cherchait à porter successivement à nos lois constitutionnelles et autres lois organiques et nous avons soutenu, sur la question de milice, que l'état ecclésiastique était incompatible avec le service militaire, que c'est sur ce principe que reposait l'exemption des étudiants en théologie et qu'en exigeant de ceux qui se trouvaient dans l'aisance qu'ils missent un remplaçant, on portait atteinte au principe, car du moment qu'il y a incompatibilité absolue dans la nature des choses, on ne peut pas exiger un remplaçant.

Nous nous rappelons que dans le temps, une loi avait été présentée, qui supprimait l'exemption des séminaristes sans distinction aucune d'aisance, ce qui avait fortement ému le peuple ; mais, à la suite d'une dissolution de la Chambre, ce projet était tombé et n'a plus été représenté.

Nous voyons cependant reprendre une partie de ce projet ; c'est ce qui nous a alarmés et à juste titre, et nous avons voté, à l'unanimité, moins des voix, contre le principe déposé dans la loi et contre la première application du principe.

Je comprenais très bien qu'on pouvait voter une loi par laquelle les exemptions étaient restreintes aux élèves jouissant d'une fortune suffisante.

Je concevais très bien qu'on pouvait voter le budget de la guerre puisqu'il faut une armée. II y aurait eu plus de conscience à rejeter le budget de la guerre pour ce motif, qu'à le voter et à priver le pays d'une armée nécessaire. Mais il n'y avait aucun danger pour l'armée, c'était donc une simple protestation contre une mauvaise disposition déposée dans la loi.

Je ne rappellerai pas, messieurs, tous les dissentiments. qui ont existé entre la droite et la gauche ; cela nous mènerait beaucoup trop loin. C'est une discussion qui pourrait durer plusieurs jours ; mais ni moi ni mes amis, n'avons oublié ce qui a existé dans cette longue période. Successivement, d'année en année, on a cherché à porter atteinte à nos droits, et c'est ce qui a fait notre constante opposition ; et je suis porté à croire que cette constante opposition et ces attaques réitérées qu'on dirigeait contre nous ont amené la situation présente.

Quant à moi, je n'oserais pas exprimer le vœu du rétablissement de l'union. J'aime à croire qu'un jour cette union se rétablira ; mais malheureusement je ne puis la considérer comme prochaine. Quand je vois ce qui s'est passé dans ces derniers temps, je ne puis me faire illusion ; mais au moins nous ne ferons rien qui puisse provoquer la désunion. Nous désirons sincèrement pour le pays que l'union puisse se rétablir avec le temps, comme beaucoup de choses se rétablissent et se détruisent avec le temps.

M. Jacobs. - Messieurs, j'ai demandé la parole hier pour répondre à des attaques de M. Bara. Je me ferais scrupule de couper par cet incident la discussion si la Chambre n'avait pas l'habitude de finir les séances du samedi de meilleure heure ; prenant la parole aujourd'hui vers la fin de la séance, je ne fais pas tort à la discussion.

D'après M. Bara, j'aurais proposé de réviser le code civil pour donner la mainmorte aux couvents.

Il s'appuie sur un article de la Belgique judiciaire dont l'auteur, M. Albéric Allard, professeur à l'université de Gand, un de ses amis, combat ma proposition.

J'ai proposé de permettre les stipulations d'indivision pendant trente ans, au lieu de cinq ; je l'ai proposé pour tout le monde, parce que ces stipulations offrent des avantages, aussi bien aux sociétés d'agrément, aux sociétés scientifiques et aux sociétés littéraires qu'aux sociétés religieuses.

Que m'a répondu M. Allard ?

« Oui, m'a-t-il dit, la législation laisse à désirer...

« Mais ce qui vraisemblablement fera toujours reculer le législateur, c'est précisément la crainte fondée que les ordres religieux ne s'emparent abusivement de facilités qui ne seraient pas faites pour eux.

« Voilà, dira-t-on (c'est toujours M. Allard qui parle), voilà bien le parti pris ! Pourquoi ce qui serait licite en politique, en littérature, etc., deviendrait-il illicite et funeste en religion ? Pourquoi ? A cause de la différence capitale qui sépare les sociétés religieuses de toute autre espèce de société, différence qu'en 1845 M. Dupin a si fortement caractérisée dans son discours contre les jésuites. »

Si le libéralisme de MM. Allard et Bara en 1871 est à la hauteur du libéralisme de M. Dupin en 1845, alors qu'on mettait les jésuites hors le droit commun, je leur déclare que je n'envie pas ce libéralisme-là. Les lois doivent être faites pour tout le monde sans distinction. Chacun doit pouvoir profiter des stipulations qu'elles autorisent.

Pendant que j'étais au département des finances, il m'est arrivé des plaintes contre la législation sur la matière et les inconvénients auxquels (page 169) donne lieu le régime actuel des communautés. Ces plaintes n'émanaient pas des couvents, elles émanaient de sociétés laïques, de sociétés d'agrément et notamment de la société militaire de Liège. On a si bien compris que la situation faite à ces sociétés est mauvaise qu'on y a remédié par des expédients. On a été jusqu'à conférer l'anonymat à des jardins zoologiques ; on a considéré le jardin Zoologique de Bruxelles et le jardin Zoologique d'Anvers comme des sociétés commerciales ! Evidemment, ce sont là des expédients.

Mais, me dit M. Bara, si vous continuez à professer l'opinion que vous avez émise au sujet des pactes d'indivision, pourquoi, étant ministre, n'avez-vous pas présenté de dispositions à cet égard ?

J'ai vu, messieurs, à l'accueil fait à ma proposition par M. Allard et la section centrale de la Chambre qu'on était disposé à monter encore à ce propos une grande machine cléricale et je n'ai pas cru qu'il valût la peine, pour donner quelques facilités aux sociétés d'agrément et aux couvents, si vous le voulez, de susciter un nouveau brandon de discorde ; c'eût été jouer dans vos cartes.

Lorsque le temps aura passé sur les passions qui s'agitent, on examinera froidement la question et l'on reconnaîtra que permettre l'indivision pour un terme de plus de cinq années, n'est pas favoriser la mainmorte, mais accorder une facilité pour tout le monde.

M. Bara. - Nous examinerons.

M. Jacobs.- Ce point vidé, j'en viens aux décorations qui ont donné lieu à l'échange d'explications entre M. Bara et moi.

M. Bara persiste à déplorer qu'on ait décoré mon collègue d'Anvers, M. d’Hane-Steenhuyse, non pas à sa demande, comme M. Bara l'a déclaré - je crois que l'on n'a jamais décoré un membre de la Chambre à sa demande - mais spontanément.

L'une des raisons mises en avant est que « M. d'Hane est un homme qui a appartenu au parti de la libre pensée. »

L'année dernière, nous n'avons pas décoré M. d'Hane seul.

Nous avons décoré plusieurs membres de la gauche, MM. Couvreur, Dethuin et d'autres, sans nous préoccuper des opinions religieuses de ces honorables membres. Nous avons vu une carrière parlementaire sérieuse, des services rendus au pays et nous avons cru devoir, sans enquête sur l'orthodoxie, reconnaître ces services, attendu que l'ordre de Léopold n'est pas fait exclusivement pour les catholiques.

- Un membre à droite. - Ils ne l'ont que trop prouvé !

M. Jacobs. - Mais M. Bara, faisant un parallèle entre M. d'Hane-Steenhuyse et M. Metdepenningen, a essayé de démontrer que le second figure à plus juste titre que le premier dans l'ordre de Léopold.

Le mouvement anversois, d'après lui, a eu un caractère hostile à Léopold Ier.

« Ne vous êtes-vous pas plaints amèrement, dit-il, de la manière dont le roi Léopold vous a reçus ? N'avez-vous pas fait là-dessus les caricatures les plus incroyables ? »

M. Bara parle des choses anversoises sans les connaître. Ceux qui ont été reçus par Léopold Ier n'étaient pas nos amis. C'étaient nos adversaires, c'étaient M. Loos et le conseil communal ancien ; les membres de ce conseil ont cru avoir à se plaindre de la réception, et à leur retour de Laeken ils ont donné leur démission.

Telle a été leur protestation contre l'accueil qui leur avait été fait, accueil dont ils ne rendaient responsable que le ministère et non le Roi.

On a fait à ce sujet une caricature ; je l'ai vue. Quel en était le but ?

Etait-elle hostile au Roi ? Non, elle était hostile aux membres de l'ancien conseil communal d'Anvers. On s'y moquait d'eux, on cherchait à y montrer que, si le mouvement anversois n'était pas en odeur de sainteté, les doctrinaires anversois n'étaient pas mieux traités.

Second point : la statue du Roi.

« Vous avez placé sa statue dans un endroit impossible, pour ne pas dire plus. » C'est M. Bara qui parle et qui se trompe. Ce n'est pas nous qui l'avons placée en cet endroit ; ce sont nos adversaires politiques.

Je ne trouve pas l'endroit aussi impossible que M. Bara, surtout à titre d'emplacement provisoire ; mais encore une fois ce n'est pas nous qui y ayons placé la statue.

- Un membre. - Le conseil communal lui a refusé une place.

M. Jacobs. - Le conseil communal a refusé, en effet, mais dans quelles circonstances ?

Nos adversaires à Anvers ne font plus partie d'aucun corps politique ; ils trônent encore à la chambre de commerce, corps qui se recrute à peu près lui-même et qui a conservé son personnel d'autrefois.

La chambre de commerce a voulu, à propos de la statue, faire la loi au conseil communal en lui fixant l'époque à laquelle la statue devait être inaugurée. (Interruption.)

M. Bara. - C'est le prétexte.

M. Jacobs. - Vous prétendez que c'est un prétexte ; je dis, moi, que c'est la raison. Suivant moi, le vrai moment d'inaugurer la statue de Léopold Ier est nettement indiqué ; c'est le jour où Léopold II fera son entrée à Anvers.

On ne peut convenablement inaugurer cette statue en l'absence du Roi.

On critique surtout la décoration de M. d'Hane en raison de quelques paroles irrévérencieuses prononcées dans les meetings qu'il présidait.

Eh bien, si, dans l'histoire du mouvement anversois, vous rencontrez quelques paroles regrettables, désavouées par les hommes politiques, dans le mouvement orangiste gantois il y en a bien d'autres et qui n'ont jamais été désavouées.

Chacun sait que M. Metdepenningen était le chef de l'orangisme à Gand. Il a été l'âme de toutes les petites conspirations orangistes ; il a même été mêlé à l'équipée du général Vandermeren.

Ce fait est constaté notamment par une personne en position de le savoir, par M. P. Lebrocquy, dans ses Souvenirs d'un journaliste. (Interruption.) M. Lebrocquy était avec M. Metdepenningen au Messager de Gand ; il a été son collaborateur ; il est le meilleur témoin qu'on puisse invoquer.

Depuis bientôt trente ans que son livre a paru, je ne sache pas que M. Metdepenningen en ait démenti aucun détail.

« Je remarquai, écrit M. Lebrocquy, que presque tous les hommes qui, en 1831, s'étaient montrés comme chefs de parti, comme directeurs, conseillers ou collaborateurs du Messager s'étaient, en 1838, retirés de la scène, restant inactifs ou n'agissant plus qu'à l'ombre. Le premier rôle était ostensiblement et exclusivement joué par M. Metdepenningen ; en lui seul le public saluait le coryphée de l'orangisme, en lui seul il voyait le guide du conseil communal, du comité des Amis de l'ordre et des loges maçonniques. On croyait aussi qu'il donnait l'impulsion au Messager de Gand et des Pays-Bas, et cela était vrai, plus vrai même qu'on ne le croyait. »

Cela est de notoriété publique ; je ne pense pas qu'on contestera que M. Metdepenningen fût la cheville ouvrière du Messager de Gand et du mouvement orangiste.

Eh bien, quel langage tenait le Messager de Gand, organe de l'orangisme gantois ?.

Je prends l'Histoire de Léopold Ier par notre honorable collègue M. Thonissen, et j'y lis :

« La presse orangiste ne pouvait rester étrangère à cette agitation antiministérielle. Passant en revue les hommes et les œuvres de la révolution, le rédacteur du Messager de Gand poussait au désordre avec une audace approchant du délire. La feuille gantoise, dont les diatribes étaient aussitôt accueillies par les autres organes de l'orangisme, affectait de braver toutes les haines et d'insulter à toutes les sympathies des masses, avec une âpreté de langage qui devait infailliblement amener une réaction violente. La représentation nationale était « une assemblée d'idiots, nommés par des idiots, à charge de représenter la partie idiote de la nation. » Les ministres étaient « des laquais impudents, des faquins subalternes». Aux yeux des hommes du Messager, les problèmes qui passionnaient les Belges se réduisaient aux proportions mesquines d'une lutte ouverte entre la Cour et l'Eglise, c'est-à-dire, entre des intrigants et des imbéciles, deux races domestiques également méprisables, dont l'une rampe au «palais et l'autre à la sacristie. A les entendre, la révolution qui avait soulevé toutes les basses passions, provoqué tous les monstrueux appétits de la canaille était en fonds pour tous les crimes et tous les assassinats du monde. Les hôtes illustres des Tuileries et du château de Laeken étaient des vampires couronnés. Le roi Léopold était un usurpateur fainéant.

« Dans les premiers jours du mois de mai, le Roi entreprit un voyage dans les Flandres, afin de s'assurer par lui-même des besoins et des vœux du peuple. Cette excursion, dans laquelle le Messager affectait de voir une manœuvre électorale, valut au chef de l'Etat une véritable avalanche d'injures et de cynisme. Qualifiant le Roi des Belges de commis voyageur électoral au profit du cabinet Lebeau, le journal orangiste poussa la haine et l'oubli de toutes les convenances au point de l'apostropher dans les termes suivants : « Comment votre temps sera-t-il employé parmi nous ? Quel honnête homme appellerez-vous à vous entretenir ? D'anciens coupe-jarrets devenus courtisans serviles, des bandits qui ont passé de l'assassinat à l'escroquerie, des jacobins qui, sortis de la boue des carrefours, (page 170) s'honorent aujourd'hui de la poussière des antichambres, des hommes sans portée, sans lumières, sans probité, telle est la cour qui vous attend et dont vous recevrez les révélations sur la situation du pays !... Tibère se retirant à Caprée se réservait le droit de persécuter les Romains du fond de sa solitude ; mais ce monstre impérial n'était pas assez stupide pour venir s'épancher au milieu d'eux, comme un bon père de famille. Il se faisait sentir, mais ne se faisait pas voir ».

M. Rogier. - On en lit bien d'autres dans vos journaux.

M. Jacobs. - Rien de pareil, rien qui en approche ; j'attends vos citations.

M. Bara. - Lisez la Patrie de Bruges.

M. Jacobs. - Vous la citerez.

Je ne lirai pas les chansons extraites du Messager, qui sont reproduites en note dans l'ouvrage de M. Thonissen, et qui sont fort irrévérencieuses.

Aussi, messieurs, la situation que M. Metdepenningen s'était faite rendait sa réconciliation avec la dynastie nationale impossible. M. Lebrocquy, à la page 92 de son ouvrage, s'en exprimait en ces termes :

« Metdepenningen, comme tout homme qui se sent quelque portée, est ambitieux. Mais il a trop de perspicacité pour ne pas voir que tout raccommodement entre lui et le régime nouveau est impossible ; il se sent trop compromis cette fois pour espérer de faire la paix avec le gouvernement belge, comme cela lui a réussi avec le gouvernement des Pays-Bas, qui, après tout, n'avait à lui reprocher que des péchés véniels. D'un autre côté, les circonstances nouvelles l'ont fait grand : il est devenu le chef des chefs d'un parti, et l'esprit de parti, toujours exagéré, l'a proclamé un être extraordinaire, un demi-dieu. Ces louanges quelque hyperboliques qu'elles soient, sont douces au cœur de l'homme, et Metdepenningen les a trouvées délicieuses. Il veut s'en abreuver toujours ; il veut rester à tout jamais la divinité adorée de sectaires idolâtres. Il sait fort bien que la reconstruction du royaume des Pays-Bas n'est plus possible... mais il lui suffit qu'on fasse semblant d'y croire et d'y travailler. Tout ce qu'il demande, c'est d'être encore encensé, peu lui importe que ce soit par des hypocrites. »

M. Metdepenningen avait assez de perspicacité pour voir que tout raccommodement était impossible entre lui et le régime nouveau ; des relations privées et de clientèle pouvaient s'établir ; mais, si l'on avait dit, à cette époque, à M. Metdepenningen que les insignes de l'ordre de Léopold, institué en 1832, alors qu'il était le chef de toutes les conspirations orangistes, orneraient un jour sa poitrine, il aurait protesté avec indignation.

M. Bara disait hier que M. d'Hane eût dû refuser la décoration ; je dis, moi, que M. Metdepenningen eut dû décliner la rosette d'officier.

II n'y a que M. Bara qui pût croire à un raccommodement possible entre cet homme et l'ordre de Léopold.

Lorsqu'on a fait une décoration pareille, on ne peut plus venir en reprocher aucune à personne.

M. Bara. - Messieurs, je ne parlerai pas de l'article du code civil dont je me suis occupé hier : la discussion de ce point viendra en temps opportun, mais je dois répondre un mot à M. Jacobs relativement à ce qu'il a dit de M. Metdepenningen.

Je prends toute la responsabilité, et je m'honore de cette responsabilité, de la nomination de M. Metdepenningen au grade d'officier de l'ordre de Léopold, je persiste à croire que jamais la croix de cet ordre n'a été placée sur une poitrine plus digne de la porter. (Interruption.) Messieurs de la droite, ce ne serait pas à vous de vous récrier contre mon langage, car les attaques de M. Jacobs n'ont pas pour but d'incriminer la nomination de M. Metdepenningen, mais d'obtenir la justification de la nomination de M. d'Hane par celle qui a été accordée à M. Metdepenningen.

Par conséquent, vous ne pouvez pas protester quand je dis que M. Metdepenningen était, sous tous les rapports, digne de la croix de notre ordre national.

Au surplus, messieurs, comment l'honorable M. Jacobs a-t-il attaqué M. Metdepenningen ? Nous savons que M. Metdepenningen était orangiste, qu'il a combattu le gouvernement et la dynastie belge aussi longtemps que la lutte des orangistes contre cette dynastie et contre le gouvernement était possible. Mais était-il le seul ? A la tête du Sénat, comme président, se trouve M. le prince de Ligne, qui a signé pour le rachat des chevaux du prince d'Orange. Quelqu'un dans cette Chambre oserait-il contester l'estime dont jouit avec raison M. le prince de Ligne ?

M. Jacobs. - Mais qui n'a pas conspiré.

M. Bara. - Qui n'a pas conspiré, mais M. Metdepenningen a-t-il conspiré ? Quand et où M. Metdepenningen a-t-il été poursuivi comme conspirateur ?

Vous invoquez M. Lebrocquy.

M. Lebrocquy se présente comme ayant servi M. Metdepenningen dans sa campagne contre le gouvernement issu des événements de 1830. Mais vous savez ce que M. Lebrocquy est devenu depuis. Vous voulez nous faire accepter son opinion.

Je récuse complètement son témoignage et vous savez pourquoi ; il a passé dans vos rangs. Et vous voulez que nous acceptions les faits tels qu'il les rapporte. Cela n'est pas possible.

Citez des faits précis à charge de M. Metdepenningen, des faits personnels, et alors vous aurez donné à vos critiques une base moins contestable que celle des écrits de M. Lebrocquy.

Vous invoquez les articles d'un journal, le Messager de Gand, Mais est-ce qu'un homme qui a écrit des articles dans un journal ou a eu des relations avec ce journal est responsable de tout ce qui y paraît et surtout des excès auxquels ce journal peut se livrer ?

L'honorable M. Jacobs, à qui l'on attribue des relations avec le Journal d'Anvers, voudrait-il accepter tout ce qui s'est écrit dans ce journal ? Voudrait-il accepter que le jugement de sa conduite politique fût prononcé d'après tout ce qu'a pu publier le Journal d'Anvers ? Et quel est l'homme politique, messieurs, qui accepterait la responsabilité directe de tout ce qui paraît dans la presse de son parti ?

Vos appréciations sont donc complètement sans fondement. Vous n'avez rien à alléguer contre M. Metdepenningen. Vous avez ce seul fait qu'il est resté orangiste un des derniers, je le veux bien. Mais parce qu'on a été dans le mouvement orangiste, ce n'est pas là une cause d'exclusion et d'indignité, et des faits nombreux le prouvent, surtout depuis que les meilleurs rapports sont rétablis entre la Belgique et la Hollande.

Pour M. d'Hane, c'est bien autre chose. M. d'Hane avait, dans un écrit signé par lui, accusé le roi Léopold Ier' de déloyauté.

M. Jacobs. - Pas du tout.

M. Frère-Orban. - Dans un écrit signé de son nom.

M. Bara. - Il a dit que l'érection de la citadelle du Nord avait été le produit de la plus insigne déloyauté.

M. Jacobs. - Est-ce qu'il a dit que les fortifications d'Anvers fussent l'œuvre du Roi ?

M. Bara. - Cela se disait en réponse à un discours du Roi, et c'est alors que cette attaque était encore récente, alors que le roi Léopold Ier venait de descendre dans la tombe, c'est alors qu'on vient demander au fils de Léopold Ier de décorer M. d'Hane de Steenhuyse qui avait été à la tête du mouvement anversois comme président de la commission des servitudes !

Ne venez donc pas comparer cette décoration à celle de M. Metdepenningen, décernée après quarante ans depuis la révolution de 1830.

Quant aux attaques contre la royauté qui auraient eu lieu sous le mouvement orangiste, elles ont été et elles sont plus fortes actuellement qu'elles ne l'étaient alors.

Vous avez parlé hier, M. Jacobs, de quelques cris poussés par de rares personnes dans les dernières manifestations et vous avez oublié que ce sont vos amis qui ont pris l'initiative des attaques les plus indignes à l'égard de la royauté. Vous oubliez que la Patrie de Bruges a dit que lé Roi était une machine à signer et que le peuple pourrait bien songer à s'en passer. Vous oubliez que, récemment encore, M. Neut appelait une lâcheté l'acte par lequel le Roi vous a donné votre démission. Vous parlez dans votre presse d'un septième ministère. Vous oubliez que tous les journaux catholiques, pendant le ministère libéral, ont cherché constamment à exercer sur le Roi la plus grande pression et l'intimidation la moins déguisée.

Vous oubliez que, même dans le monde aristocratique, on cherchait à peser sur le Roi, que toutes vos influences environnaient le Roi et cherchaient à l'influencer. Nous savons tout cela, et nous pourrions en dire plus si cela était utile.

Ne venez donc pas accuser le parti libéral d'avoir attaqué la royauté. Quand vos prétentions cléricales sont en jeu, vous vous moquez de la royauté comme vous vous moquez de toutes nos institutions ; vous ne connaissez qu'une chose, c'est votre intérêt de parti, l'intérêt clérical, l'intérêt romain. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - A mardi !

Ordre des travaux de la Chambre

M. Delcour, ministre de l'intérieur (pour une motion d’ordre). - Je demande que la Chambre veuille bien mettre en tête de l'ordre du jour de mardi prochain le projet de loi sur les bourses de voyage. L'objet est urgent.

- La proposition de M. le ministre de l'intérieur est mise aux voix et adoptée.

La séance est levée à quatre heures et demie.