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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 13 décembre 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 127) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Hagemans donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Colson demande que la caisse centrale des officiers de l'armée soit autorisée à lui rembourser les sommes qui lui ont été retenues sur ses traitements. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bruxelles demandent une enquête pour constater la dimension réelle du monument de la Bourse dans cette ville, vérifier l'exactitude des cubages, déterminer la valeur réelle de l'édifice et la somme à payer par la ville. »

- Même renvoi.


« Le sieur Delville, ancien sous-lieutenant des douanes, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Van Herenthals, ayant déserté le dépôt de Diest, où il servait en qualité de remplaçant, réclame l'intervention de la Chambre pour être amnistié. »

- Même renvoi.


« Le sieur Bernard demande la rétrocession de la partie du terrain qu'il avait cédée pour l'emplacement de la station de Wasmes et qui n'a pas reçu de destination. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruxelles et de Schaerbeek demandent une loi décrétant le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.


« La cour des comptes transmet à la Chambre son cahier d'observations relatif au compte définitif de 1868 et à la situation provisoire de l'exercice 1869. »

- Distribution aux membres de la Chambre.


« Le comité directeur de la fédération des sociétés d'horticulture de Belgique adresse le premier fascicule de son Bulletin pour 1870. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« MM. Notelteirs et De Moerman, retenus par une indisposition, demandent un congé de quelques jours. »

« M. Van Outryve d'Ydewalle, retenu par un deuil de famille, demande un congé de quelques jours. »

- Ces congés sont accordés.


M. le président. - Messieurs, voici comment le bureau a composé la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi qui déclare libres à l'entrée les denrées alimentaires : MM. Thonissen, Braconier, Gerrits, Balisaux, Cruyt, Demeur, Lelièvre.

Motion d’ordre relative aux mesures de lutte contre l’épizootie

M. Thienpont. - Messieurs, je lis dans le Moniteur, en date d'hier : « Peste bovine. - Dans notre dernier bulletin, nous avons annoncé que le typhus contagieux avait éclaté, le 1er décembre, sur deux points de notre territoire, à Elverdinghe, près d'Ypres, et à Oycke, près d'Audenarde.

« A Oycke, chez le sieur Vandenbogaerde, une bête bovine est morte et quinze ont été abattues. Mais le mal ne s'est pas borné là : un nouveau cas de peste bovine s'est déclaré, le 4 décembre, à Audenarde, chez M. Vandenbossche, distillateur ; trois bêtes y ont été abattues ; le 5 décembre, un troisième cas a été constaté à Leupeghem, chez le sieur Delcoigne, où le sacrifice de sept bêtes bovines a eu lieu, et enfin, un quatrième cas, chez le sieur Holvoet, où une bête a été abattue.

« Les mesures les plus énergiques ont été prises immédiatement par MM. les gouverneurs de la Flandre occidentale et de la Flandre orientale, qui se sont rendus sur les lieux. »

Notez, messieurs, qu'en Russie, les bêtes malades ne sont pas sacrifiées ; moins encore les bêtes saines. Les premières sont soumises à un traitement, et on parvient à en guérir un bon tiers. Ce procédé est raisonnable ; il fait honneur aux vétérinaires russes.

Ah ! certainement, l'occision générale, pratiquée en Belgique, est un remède énergique, efficace, souverain. A coup sûr, le gouvernement fait preuve de zèle. Outre l'occision, il prend de nombreuses mesures de précaution que je considère pour la plupart comme peu rationnelles, non justifiables, basées sur des préjugés et contre lesquelles je crois de mon devoir, malgré le peu de succès qu'aura ma voix, de venir hautement protester.

La doctrine professée par le gouvernement, un zèle outré, une conduite je dirai irréfléchie a inspiré aux populations des campagnes une telle panique, une telle frayeur de la contagion qu'à la vue d'un vétérinaire, bien des personnes ont hâte de se sauver, et cela se comprend de la part de ceux qui adoptent en principe ou auxquels on a fait accroire que rien qu'un vieux chapeau, transporté d'une étable infectée dans une étable saine, peut y propager la maladie.

Je suis loin de nier toute contagion ; mais à l'aide de théories aussi absurdes, on croit trouver la contagion partout.

A Audenarde, je vois des rues entières frappées d'interdiction, militairement occupées, paralysées dans leur commerce et leurs relations. Je connais des habitants qui sont obligés d'introduire chez eux, par fraude, les objets les plus indispensables à la vie. Et cependant, quelle preuve y a-t-il que le cas de maladie, observé en ville, soit le fait de la contagion ?. Le gouvernement n'agirait-il pas sagement en ne surchargeant pas l'influence contagieuse aux dépens de l'influence épidémique, qui étend souvent au loin son action funeste et contre laquelle toutes ces précautions arbitraires, vexatoires, ridicules et absurdes sont complètement inutiles ?

N'agirait-il pas sagement en faisant comprendre aux populations que les meilleures conditions hygiéniques sont les meilleurs préservatifs de la maladie ?

Ma motion, messieurs, a pour but d'engager le gouvernement à s'éclairer sans retard sur les divers modes de contagion, à régler sa conduite sur des principes rationnels et à supprimer au plus tôt toutes les mesures vexatoires qui ne peuvent se justifier.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Messieurs, l'honorable M. Thienpont vient de soulever deux questions : une question de principe, ensuite une question d'application, d'exécution.

L'honorable membre critique particulièrement les mesures adoptées par le gouvernement pour prévenir le typhus contagieux, qui a produit dans les pays étrangers de si graves ravages.

Messieurs, la question de principe me parait résolue par la loi du 7 février 1866 et par l'arrêté royal du 11 mars 1867.

Tout le monde sait comment le typhus contagieux s'est introduit dans la plupart des contrées de l'Europe ; tout le monde sait qu'il s'est répandu (page 128) des steppes de la Russie, à la suite surtout des grands événements de guerre.

Si mes renseignements sont exacts, les principales invasions ont eu lieu en 1711, 1745, 1795 et en 1804 ; elles ont eu toutes la même origine.

Il n'est pas nécessaire de rappeler ici comment le typhus bovin s'est introduit, en 1865, en Angleterre et en Hollande ; ces événements sont trop rapprochés de nous pour que la Chambre les ait oubliés.

Que la peste bovine soit le résultat de la contagion, c'est une vérité d'expérience généralement admise.

Mes honorables prédécesseurs ont tout fait pour arrêter les conséquences de cette terrible épidémie. Je dois déclarer à mon honorable ami M. Thienpont que je persévérerai dans la même voie, car je suis loin de penser comme lui que le typhus bovin ne soit pas contagieux.

M. Thienpont. -- Je n'ai pas dit cela.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Voici un fait tout récent, qui vient a l'appui de mes observations.

Ce matin, j'ai reçu la visite de M. le gouverneur de la Flandre orientale. Il m'a dit qu'il s'était rendu à Audenarde, et que là il avait prescrit les mesures qu'il avait jugées les plus nécessaires et les plus conformes à la loi.

Il m'a dit qu'une bête considérée comme saine avait été transportée dans une étable à Leupeghem, que, le lendemain, la maladie s'était introduite dans une étable voisine et qu'il avait fallu abattre quatre bêtes, je pense, devenues malades.

Ainsi, vous voyez, messieurs, qu'à Audenarde il y avait des dispositions urgentes à prendre ; et je félicite M. le gouverneur de l'énergie et du zèle qu'il a montrés dans cette circonstance.

Je ne m'arrêterai pas à vous signaler les autres mesures que l'administration a l'habitude de prendre dans de telles circonstances ; vous les connaissez ; leur application peut provoquer quelquefois du mécontentement, les réclamations des cultivateurs, mais ces considérations sont trop peu de chose en présence des grands intérêts de l'agriculture et des pertes considérables auxquelles serait exposé le bétail du pays,

Malgré toutes les précautions qui ont été prises, la peste bovine vient de se déclarer à peu près simultanément sur trois points de notre territoire. Depuis le 1er décembre, elle a apparu dans les deux Flandres et dans le Luxembourg : à Elverdinghe, près d'Ypres, dans les environs d'Audenarde et à Corbion, près de Bouillon.

Dès que ces cas eurent été signalés, toutes les mesures nécessaires ont été ordonnées ; la circulation des animaux et des matières suspectes interdite.

Je compte sur le concours actif de toutes les autorités. Mon intention est de maintenir les dispositions existantes dans leur pleine exécution. Ce n'est pas lorsque le mal est à nos portes que le pays doit abandonner le système préventif dont l'expérience a été faite si utilement chez nous.

J'engage de nouveau M. le gouverneur de la Flandre orientale à persister dans la voie où il est entré ; j'engage les autorités à sacrifier un petit intérêt local en vue du grand danger qu'elles ont à conjurer. Elles rendront ainsi un service signalé à l'agriculture et au pays.

M. Vleminckx. - Je demande la parole, non pour engager le gouvernement à abandonner les mesures qu'il a prises, mais pour répondre quelques mots à l'honorable M. Thienpont.

En Russie, dit-il, les vétérinaires traitent les animaux atteints de la peste bovine et en guérissent un grand nombre. J'en demande pardon à l'honorable membre ; en Russie les animaux atteints de cette terrible maladie se guérissent généralement tout seuls, et si nous vivions dans les mêmes conditions, évidemment nous pourrions arriver aux mêmes résultats.

En Russie, les animaux atteints de peste bovine sont répandus dans les steppes et dans les champs, où ils sont pour ainsi dire isolés ; ils respirent un air pur et se nourrissent des aliments que le sol leur livre ; ils guérissent souvent, mais ils ne se guérissent pas par une médication du vétérinaire.

Il ne faut pas, dit l'honorable M. Thienpont, confondre les maladies épidémiques avec les maladies contagieuses. Je suis de cet avis ; je ne crois pas non plus que tout ce que nous avons vu chez nous de cas de peste bovine soit le résultat de l'importation ; la peste bovine peut, d'après moi, naître sur place. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas détruire immédiatement l'animal qui en est atteint et qui devient un véritable foyer de contagion.

M. Thienpont. - Oui, mais pour un animal malade, on en détruit douze et plus qui ne le sont pas.

M. Vleminckx. - Je ne sais pas si l'on détruit des animaux sains ; si cela est, c'est qu'apparemment ils avaient déjà été en contact avec ceux qui étaient atteints de la maladie et qu'ils étaient censés en avoir le germe. Et l'on a bien fait : loin de l'arrêter, il faut encourager le gouvernement à ne pas abandonner la voie dans laquelle il est entré.

Je rappelle qu'aujourd'hui même, dans le Moniteur, on trouve une circulaire du ministre de la justice de France engageant l'autorité judiciaire à être extrêmement sévère à l'égard de ceux, quels qu'ils soient, qui n'exécuteraient pas rigoureusement les mesures ordonnées par le gouvernement.

M. Vandenpeereboom. - Je n'ai pas besoin de dire, je pense, que j'approuve les dispositions de M. le ministre de l'intérieur. Ce qui s'est passé, il y a quelques années, a prouvé qu'on ne peut prendre trop de précautions pour écarter du pays un fléau aussi considérable que celui de la peste bovine.

Ce qui s'est passé alors en Hollande et en Angleterre et ce qui se passe aujourd'hui en France prouve que les précautions prises en Belgique étaient seules efficaces et qu'au contraire les mesures adoptées dans ces pays ne l'étaient pas.

Je crois donc que le gouvernement doit persister dans la marche qu'il a adoptée.

Je suis convaincu aussi que nos cultivateurs, en présence de l'imminence du danger, en présence des pertes énormes qu'ils peuvent subir, supporteront avec résignation des mesures qui, je le reconnais, sont vexatoires, mais qui sont indispensables.

Il est un autre point que je crois devoir signaler à l'honorable ministre.

La contagion nous vient aujourd'hui du Midi, la maladie sévit depuis très longtemps en France. Pourquoi ? C'est, d'après moi, parce qu'on n'y exécute pas convenablement les mesures qui ont été prescrites par le gouvernement français.

Il y a quelques années, la Belgique a préservé la France de la contagion. Je demanderai si aujourd'hui le gouvernement belge, si l'honorable ministre des affaires étrangères qui connaît mieux que personne toute l'importance de cette question, ne pourrait pas insister de nouveau auprès du gouvernement français, pour qu'on fasse exécuter avec autant de rigueur en France qu'en Belgique les mesures qui ont été prises dans les deux pays. Je crois que c'est le seul moyen d'éteindre la contagion dont nous sommes menacés et à laquelle nous avons échappé d'une manière si heureuse il y a quelques années.

MaeAL. - Je prends volontiers l'engagement de faire toutes les démarches possibles auprès du gouvernement français pour obtenir toutes les garanties qu'on st en droit d'attendre d'un gouvernement ami, dans les circonstances qui viennent d'être signalées par l'honorable M. Vandenpeereboom.

M. Hagemans. - Messieurs, on m'a assuré que l'on autorisait le transport des animaux, en transit entre les frontières de Hollande, de Russie et de France, dans les mêmes waggons qui servent au transport des animaux destinés à rester en Belgique.

J'ignore si le fait est exact, mais, dans l'affirmative, il y aurait là un très grand danger, sur lequel j'appelle toute l'attention de M. le ministre de l'intérieur.

M. Kervyn de Lettenhove. - Les observations présentées par l'honorable M. Vandenpeereboom m'engagent à faire connaître à la Chambre que déjà le gouvernement a porté son attention sur tout ce qui pouvait éloigner la contagion de nos frontières.

Dans les derniers temps de mon administration, il y a trois semaines environ, j'ai chargé un honorable professeur de l'école vétérinaire, M. De Rache, de se rendre dans le département du Nord, afin de constater l'état de l'épizootie et de conférer avec les autorités françaises au sujet des mesures qui, en les préservant du développement du fléau, auraient eu en même temps pour résultat de nous en défendre.

Malheureusement les autorités françaises ne voient pas toujours leurs instructions strictement exécutées.

J'espère que M. le ministre des affaires étrangères, en adressant de nouvelles instances au gouvernement français, parviendra à obtenir l'exécution de mesures sévères et rigoureuses dont il doit reconnaître lui-même l'urgente nécessité.

Ordre des travaux de la Chambre

M. de Baets (pour une motion d’ordre). - Messieurs, j'ai eu l'honneur de déposer, dans le courant de la session dernière, un projet de loi qui a été retiré de l'ordre du jour par suite des modifications que la législature a subies.

Il s'agit de la proposition de loi sur la presse et sur les visites domiciliaires. Je prie la Chambre de vouloir bien porter cet objet à son ordre du jour. Ma motion a pour objet de prier la section centrale de vouloir bien déposer son rapport le plus tôt possible.

L'urgence de cette mesure a été déclarée il y a vingt-cinq ans ; eh bien, la question est sur le point de recevoir une solution.

(page 129) J'insiste sur la mise à l'ordre du jour, attendu que, dans les circonstances actuelles, je veux maintenir le projet de loi que j'ai eu l'honneur de déposer quand je faisais partie de l'opposition.

M. le président

Je la convoquerai de nouveau dans le courant de cette semaine ou dans les premiers jours de la semaine prochaine.

J'aurai soin de faire prévenir l'honorable membre, pour qu'il puisse faire acte de présence dans le sein de la commission, en qualité d'auteur de la proposition.

M. de Baets. - Je n'ai pas fait de reproche à la section centrale.

Motion d’ordre relative à la reprise du chemin de fer du Luxembourg

M. Bouvier. - Messieurs, le cabinet précédent avait ouvert des négociations pour la reprise du chemin de fer du Luxembourg. Je demanderai si ces négociations se poursuivront sous le cabinet actuel.

M. le président. - M. le ministre des travaux publics est absent.

M. Bouvier. - L'honorable ministre des finances est présent ; il est très au courant de ces questions-là.

Si donc les négociations se suivent, je demanderai qu'elles soient conduites avec énergie et sans retard, afin qu'il intervienne une convention loyale, juste, équitable entre la compagnie du Luxembourg et le gouvernement.

Il est désirable qu'une solution ne se fasse pas attendre, parce que deux grandes industries de notre pays y sont intéressées : nos établissements de charbonnage et de métallurgie.

Si ces négociations avec la Compagnie ne pouvaient aboutir dans les conditions que je viens d'indiquer, il serait indispensable pour le gouvernement d'accorder, dans un bref délai, la concession du chemin de fer d'Athus à Givet, si vivement sollicitée par trois provinces du pays.

M. Malou, ministre des finances. - Il y a trois jours à peine que je suis chargé de l'administration des finances ; l'un des premiers dossiers qui m'ont été remis se rapporte à l'affaire dont vient de vous entretenir l'honorable député de Virton.

Quelques pourparlers ont eu lieu jusqu'à présent, mais il ne faut pas se dissimuler que la question est très grave, très importante. En cette affairé comme en toute autre, il s'agit, non pas d'aller extrêmement vite, mais dé bien aboutir. L'intention du gouvernement est de poursuivre ces négociations, mais je demande que par des motions analogues à celle-ci on n'affaiblisse pas sa position.

~ L'incident est clos.

Communication gouvernementale sur la formation du nouveau gouvernement

M. Bergé. - Je demanderai d'abord au cabinet la raison qui l'a décidé à se constituer au nombre de sept au lieu d'être six selon l'ancienne tradition.

Ce septième ministre, nous nous en demandons la raison sans pouvoir même l'entrevoir, car le cabinet était composé d'hommes assez anciens, connaissant assez les affaires politiques, ayant suffisamment d'autorité pour n'avoir pas besoin d'un ministre exceptionnel, président du conseil des ministres et sans portefeuille.

C'est là une situation anomale, une situation nouvelle. Nous avons vu, il est vrai, cette situation sous le précédent cabinet ; vous savez qu'elle a donné lieu à un débat dans cette assemblée et que la question est loin d'avoir été éclaircie. Quant à la situation de M. Malou, elle était tellement étrange qu'au bout de peu de temps il a lui-même senti la nécessité de se retirer.

Aujourd'hui, nous voyons une situation analogue se reproduire, et se reproduire avec une présidence du conseil entre les mains, précisément, d'un ministre sans portefeuille. La situation de ce ministre a aussi quelque chose de tout particulier ; tandis que ses collègues, membres de la Chambre, doivent être soumis à réélection, l'honorable M. de Theux ne se soumet pas à une réélection. Il est bien vrai que l'article 36 de la Constitution parle de fonctions salariées confiées à des membres de la Chambre, et l'honorable comte de Theux n'ayant pas un emploi salarié, étant ministre sans portefeuille, s'est dit : Je ne suis pas sujet à réélection, en vertu du texte même de la Constitution. Mais en dehors du texte, il y a l'esprit. Or, l'esprit domine toujours la lettre. Que voyons-nous ? D'après la loi du 11 juillet 1832, relative à la création de l'ordre de Léopold, une simple distinction, le simple droit de porter un petit ruban à la boutonnière, oblige les membres de la Chambre à se soumettre à réélection.

On n'a pas voulu que le pouvoir royal pût ainsi, dans certaines circonstances, peser sur des membres de cette assemblée et l'on a exigé qu'après cette marque de distinction le corps électoral fût appelé à se prononcer. Cette mesure est incontestablement très sage ; on n'a jamais protesté contre la loi de 1832 ; loin de là ; elle a fonctionné régulièrement et elle a reçu une approbation générale.

Ici, il ne s'agit pas d'une décoration, mais d'un poste d'honneur, d'une distinction honorifique qui vaut certainement une simple croix. Il s'agit d'une situation politique importante, puisqu'un membre de la Chambre devient le chef suprême de toute la politique du cabinet.

Dans le cas présent, l'inconvénient n'est pas bien grave.

II est incontestable que l'honorable M. de Theux se représentant devant ses électeurs serait renvoyé dans cette enceinte. Le fait n'est pas douteux. Peu importe donc, si l'on ne considère que le résultat, que M. de Theux soit soumis ou non à réélection. Mais une question de principe est ici en jeu ; nous sommes en face d'un précédent qui pourrait devenir dangereux le jour où l'on prendrait pour chef du cabinet, en dehors des ministres à portefeuille, le représentant d'une localité où les voix sont très partagées, où les partis se disputent un siège dans cette assemblée et où le fait d'une élection au moment de la formation d'un cabinet pourrait amener une crise ministérielle, un bouleversement dans la politique du pays.

Il convient donc de ne pas laisser passer des faits semblables sans les signaler, sans demander des explications et sans protester, au besoin, contre une pareille ligne de conduite.

J'aurais borné là ma demande d'explications, si l'honorable M. Malou, dans la séance d'hier, n'avait employé un langage assez agressif à l'égard de la minorité et n'avait surtout lancé à la gauche une accusation que je considère comme très grave et que je ne laisserai jamais passer sans protestation. L'honorable M. Malou a dit que les derniers événements qui se sont produits dans les rues de Bruxelles auraient eu pour effet d'amoindrir la respectabilité du pays.

Prétendre que ces événements ont porté atteinte à la respectabilité du pays est, à coup sûr, une appréciation complètement erronée, fort heureusement. On sait dans le pays, on sait à l'étranger quelle a été la nature de ces manifestations ; on sait qu'il n'y a pas eu ici ce qu'on peut appeler une émeute ; qu'il n'y a eu que de simples manifestations plus ou moins bruyantes. Il est vrai que certains faits regrettables ont pu se produire ; il est vrai qu'il y a eu quelques dégâts causés aux propriétés, mais dans des proportions insignifiantes.

Ces actes, d'ailleurs, ont été répudiés par tout le monde, par tous les membres de cette assemblée, sans distinction de parti. Ces actes isolés et tout à fait accidentels sont, du reste, la conséquence inévitable des manifestations bruyantes de l'opinion publique.

Ainsi, peut-on rendre l'opinion libérale responsable de quelques carreaux cassés ? Mais, n'avons-nous pas eu un professeur de l'université de Bruxelles victime d'écarts de ce genre ; n'avons-nous pas vu les mêmes faits se produire à l'égard de la propriété de personnes parfaitement inoffensives et n'ayant aucune couleur politique ?

Quel argument pourrait-on donc tirer de faits de cette nature, qui sont inévitables au milieu de manifestations auxquelles se mêlent des gamins et des voyous ? Dans tous les cas, je le répète, on ne peut pas donner le nom d'émeute aux scènes dont nous avons été témoins. Il y a eu, non pas une émeute, mais une manifestation énergique de l'opinion publique, et cette manifestation doit-elle nous effrayer, lorsque nous voyons que dans tous les Etats constitutionnels ces manifestations se produisent ; lorsqu'elles sont si énergiques, si violentes en Angleterre, aux Etats-Unis, en Suisse, partout en un mot, où réellement le peuple s'occupe des affaires politiques.

Je le répète, les manifestations qui ont eu lieu étaient l'expression de l'opinion publique et cela est tellement vrai que c'était l'expression de l'opinion publique réelle. (Interruption.) Cela était tellement vrai... (interruption) que vous avez eu soin de ne pas aller chercher les ministres dans les grandes villes, dans les grands centres, parce que vous avez eu peur de la réélection.

Vous êtes arrivés à ce résultat étrange d'avoir un cabinet représentant un nombre de voix moins considérable que celui qu'il a fallu à un député de l'arrondissement de Bruxelles pour entrer dans cette enceinte. C'est là une situation étrange, une de ces situations qui ne s'est jamais vue dans le pays et qui est bien différente de celle que l'on constatait lorsque l'opinion libérale était sur les bancs ministériels.

(page 130) Alors ceux qui occupaient le pouvoir appartenaient non seulement aux grands centres, mais réunissaient en groupe un nombre de voix considérable.

Ces manifestations de l'opinion publique, bien loin d'avoir porté atteinte à la respectabilité de la Belgique, ont relevé le prestige du pays. (Interruption.)

En voulez-vous une preuve ? Voyez la presse étrangère. (Interruption.)

Voyez ce que dit la presse libérale allemande.

Dans cette Allemagne qui était citée, l'an dernier, avec tant de bonheur par quelques-uns d'entre vous, on a applaudi à ce qui s'est passé dans le pays.

On s'est servi des expressions les plus dures à l'adresse de ceux qui avaient été la cause primitive de ces manifestations. Que disait la presse allemande ?

Lisez les journaux de Berlin, les journaux d'Aix-la-Chapelle ; voyez les journaux de Vienne.

La presse de Vienne disait qu'il était passé par la Belgique un véritable fléau, une véritable épidémie au point de vue moral, un véritable choléra-morbus au point de vue de la moralité et qu'il était nécessaire d'apporter un remède vigoureux à la propagation de ce mal avec toute l'énergie qu'on doit déployer en pareille circonstance ; car ces fléaux-là sont bien plus à craindre que la peste bovine dont on vous parlait tout à l'heure.

Un mot bien malheureux a été prononcé dans cette enceinte et n'a pas peu contribué à déconsidérer la cause qui était soutenue par votre opinion.

Ce mot, c'est la parole prononcée par l'ancien ministre de la justice, lorsque, se préoccupant du commencement de cette manifestation publique, il disait : « Il y a quelque chose qui domine votre prétendue moralité publique : c'est le respect de nos institutions, leur pratique loyale et sincère. » Eh bien, messieurs, non, la prétendue moralité publique, c'est quelque chose qui doit dominer tout. La pratique loyale et sincère des institutions, c'est un mécanisme qu'on doit respecter, mais à une condition, c'est qu'il ne porte pas atteinte à l'honneur...

Il y a, disait Montesquieu, deux genres de corruptions : le premier, c'est quand le peuple n'observe pas la loi, mais la corruption la plus grande, c'est quand la loi est là pour soutenir par la légalité la corruption. C'est celle-là qu'il faut surtout flétrir, c'est à celle-là qu'il faut s'attacher à apporter un remède.

Ce sont bien plus, M. Cornesse, les mœurs qui gouvernent les pays que les lois. Les lois sont des conventions qui changent d'un moment à l'autre ; niais les mœurs ont des racines profondes dans la conscience de tous les hommes. Les mœurs caractérisent les nations, les époques ; les lois n'en portent en elle que l'expression. Vous invoquez la légalité à chaque instant ; vous êtes heureux aujourd'hui d'appeler à votre aide la force pour maintenir cette légalité en toute circonstance. C'est votre droit ; il est bon de faire respecter la loi. Mais il y a eu des temps où ce n'était pas ce langage que vous teniez. Il y a eu des temps où la légalité semblait assez peu vous préoccuper. Il y a eu des temps, qui ne sont pas éloignés de nous, où vous alliez faire des protestations d'attachement, d'amour à l'égard de certaines personnes frappées par la justice, où la légalité recevait ainsi de votre part une sérieuse atteinte. Il y a eu une époque où, à Anvers, il n'y avait pas moyen de faire respecter la légalité dans certaines circonstances, où votre population se livrait à des actes de profanation, à des actes de sacrilège...

- Des membres. - Jamais !

M. Bergé. - ... où l'on allait mutiler, dans un de vos cimetières, un monument élevé à la mémoire d'un de nos peintres célèbres.

Vous n'avez pas toujours fait respecter la légalité quand elle devrait abriter la conscience et la liberté de la pensée qui sont, en définitive, aujourd'hui un droit des sociétés civilisées.

Et vous, M. Gerrits, qui vous êtes vanté d'être un libre penseur pour obtenir certains suffrages, est-ce que votre voix s'est fait entendre à Anvers, lorsqu'il fallait défendre et protéger les libres penseurs ?

Non, vous avez gardé un silence absolu parce que vous ne vouliez pas compromettre ou contrarier ceux qui étaient vos complices et qui devaient faire votre élection ; parce que la division du parti libéral était le seul moyen de vous faire entrer ici et qu'il fallait entretenir la situation fausse que vous avez prise vis-à-vis du corps électoral pour vous y maintenir.

Vous parlez de légalité ; où était cette légalité quand vous pesiez sur les élections de Louvain par l'organisation de vos stockslagers ?

L'opinion publique, dans les manifestations dernières, s'est réveillée ; ces manifestations n'ont été que le cri de la conscience publique protestait contre la corruption qui s'étendait dans les hautes sphères sociales, protestant contre ce souffle empoisonné qui passait sur notre pays, contre ces spéculations qui rappelaient celles qui ont eu lieu il y a un siècle par l'intermédiaire des hauts dignitaires de la compagnie de Jésus, opérations qui avaient leur siège principal à la Martinique.

Ce que voulait l'opinion publique, c'était flétrir les administrateurs avides qui, sous le couvert de la religion, exploitent l'ignorance et la crédulité des populations.

Ce que l'opinion publique a surtout voulu flétrir, c'est l'intervention du pouvoir, venant, en quelque sorte, arrêter la main de la justice au lieu de laisser la justice suivre son cours.

Et, lorsque l'honorable M. Cornesse disait : « Il faut laisser faire la justice et ne rien préjuger », il avait raison, mais il aurait dû s'appliquer la leçon à lui-même ; ce n'est pas nous qui avons préjugé, c'est vous qui avez essayé de devancer l'arrêt de la justice.

L'honorable M. Malou terminait hier son discours en disant qu'il avait confiance dans le pays..

Eh bien, moi aussi, j'ai confiance dans le pays, comme l'honorable M. Malou, et j'espère que les idées que nous représentons de ce cûté de l'assemblée finiront par prévaloir, et que nous verrons bientôt le jour où il n'existera plus, dans nos rangs, ces divisions qui profitent aux membres de l'autre côté de la Chambre.

L'honorable M. de Baets voyait dans certaines paroles prononcées de notre côté une tendance à désunir les membres de la droite. Il s'en plaignait amèrement !

Et cependant si l'on a jeté la discorde dans le sein d'un parti, si l'on a essayé la division, c'est bien la droite qui peut s'en vanter ; elle n'a jamais vécu que de ces divisions, elle n'a jamais fait autre chose que de jeter la zizanie dans les rangs des libéraux.

Aux dernières élections, ce sont ces coalitions mauvaises de toute espèce qui ont amené votre succès. On est allé jusqu'à exploiter le genièvre ; et sur cette question on disait : « Plus de libéraux ; plus de cléricaux ; tous buveurs de genièvre, marchons au scrutin comme un seul homme. » Cette coalition a été exploitée à Gand, et elle a suffi pour faire changer la balance électorale.

Des paroles mielleuses sont souvent parties des bancs de la droite et adressées à une fraction de la gauche ; elles se résument en ceci : « Ce n'est pas à vous que nous adressons des récriminations malsonnantes ; nous nous adressons aux anciens de la gauche. » Quant à moi, ce n'est pas à droite que j'irais chercher des applaudissements, car chaque fois que mes adversaires me donneraient des signes d'approbation, j'en serais profondément humilié. Si vous m'approuviez, (erratum, page 185) je serais tenté de croire que j'aurais mal défendu les principes que je représente ici.

J'ai confiance, comme l'honorable M. Malou, dans le pays, mais dans le pays intelligent et honnête qui a été à même d'apprécier les actes de chacun, dans le pays qui nous connaît, et pour me servir de l'expression de M. Malou, qu'il adressait de ce côté « et qui vous connaît aussi » ; du pays intelligent où l'appréciation de vos actes et de votre politique a pu se faire. Je n'ai pas confiance, il est vrai, dans cette partie du pays où vous avez établi une sorte de cordon sanitaire pour empêcher que la lumière se fasse, où vous avez arrêté la distribution des journaux, où vous empêchez la lecture de tous les documents qui peuvent démontrer la vérité, où vous empêchez la controverse, où il n'y a qu'une seule voix qui puisse se faire entendre, la vôtre.

Là où la lumière ne peut se faire je n'ai pas confiance ; mais partout où les hommes seront à même de pouvoir juger les deux politiques, où ils pourront juger les actes du passé, ainsi que les projets du présent et ceux de l'avenir, partout où les hommes sont éclairés, je n'ai pas peur, parce que le verdict de ces hommes ne sera pas en votre faveur. Ce verdict attestera que l'opinion libérale en Belgique est l'opinion dominante comme elle est l'opinion dominante maintenant dans tous les pays civilisés, comme elle le sera demain par le monde. Nous avons, heureusement, pour nous l'avenir, tandis que vous, vous ne représentez que des lambeaux du passé.

M. de Theux, membre du conseil des ministres. - La discussion sur la communication du gouvernement s'étend énormément ; s'il fallait suivre les errements de l'orateur précédent, il n'y aurait pas de motifs pour qu'une semblable discussion ne dure une quinzaine de jours. Messieurs, je répondrai brièvement aux principaux arguments qui ont été présentés.

Le premier m'est tout personnel ; on me demande pourquoi je suis entré au ministère et si je dois être soumis à une réélection.

Quant à la question de la réélection, je répondrai par un fait décisif, c'est qu'en 1831, dans la première session qui a suivi celle du Congrès national et dont la plupart des membres avaient appartenu à cette (page 131) assemblée, j'ai occupé la position de membre du conseil sans être soumis à réélection.

Pourquoi cette différence entre une décoration et la nomination d'un ministre d'Etat ou d'un membre du conseil ? Elle est bien simple à saisir. On a souvent fait abus des décorations ; mais je ne sache que l'on ait fait abus de nommer des ministres d'Etat ou des membres du conseil pour gagner des voix.

Déjà, la composition d'un ministère est difficile, et tous ceux qui ont eu l'occasion de s'en occuper doivent reconnaître qu'elle est même très difficile. Aujourd'hui, on voudrait néanmoins la compliquer encore par une réélection des ministres sans portefeuille, et on voudrait que les ministres appartinssent à de grands districts.

Sur ce dernier point, je répondrai par l'exemple de l'Angleterre. On a vu des premiers ministres appartenir à de très petits districts et fournir une carrière honorable et brillante.

Je pense donc que les observations que l'on vient de présenter à ce sujet ne sont pas fondées.

Pourquoi ai-je accepté ?

C'est parce que le Roi a fait appel à mon dévouement et j'ai cru devoir donner l'exemple de l'abnégation. Je suis entré ici avec d'honorables collègues, qui ont également fait preuve de dévouement. On a parlé de stockslagers. On a eu grand tort de rappeler ce fait. Pourquoi ces stocklagers ont-ils été choisis ? Uniquement pour protéger des électeurs contre les violences de leurs adversaires. J'ai traité cette question dans cette Chambre d'une façon très développée à l'époque où l'on s'est occupé ici des stockslagers. Cette institution n'a pas eu d'autre but que celui que je viens d'indiquer.

- Un membre. - « Institution » est très joli.

M. de Theux, membre du conseil des ministres. - On a parlé des manifestations, et, je dois le dire, il m'a semblé qu'elles ont reçu une espèce d'approbation, une espèce d'encouragement. Eh bien, ces manifestations ont été tellement graves, tellement contraires à l'ordre public que, si l'on avait opéré quelques arrestations parmi les perturbateurs, il s'en serait suivi des condamnations très graves.

Le code pénal est formel à cet égard, puisqu'il punit les insultes faites aux membres des Chambres dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions.,

Or, je demande si ce n'était pas à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions que des représentants ont été l'objet des insultes, des outrages qui ont été proférés ? Cela est évident pour tout le monde ; à tel point que des membres de la gauche eux-mêmes ont été l'objet des insultes dont je parle ; des membres de la gauche comme des membres de la droite ont été traités de voleurs au sortir de cette enceinte. Ces insultes sont punies de quinze jours à trois mois d'emprisonnement et d'une amende.

Mais, messieurs, ces démonstrations ont une grande gravité et il est bien désirable qu'elles ne se reproduisent plus. Mais il y a eu des démonstrations plus graves encore, ce sont celles qui ont eu lieu devant le Palais.

Or, il est évident que si ceux qui ont proféré ces insultes et ces injures à la royauté avaient été appréhendés au corps et traduits devant les tribunaux, ils eussent encouru la pénalité de six mois à trois années d'emprisonnement et d'une amende pouvant s'élever à 3,000 francs. Il suffisait de mettre la main sur quelques insulteurs, et tout était dit.

En effet, comment assurerait-on les pouvoirs publics, si l'on pouvait venir ainsi attaquer ce qu'il y a de plus auguste dans une nation, le Roi et la représentation nationale ?

Il y a quelquefois, messieurs, des circonstances dans lesquelles on ferme les yeux et l'on n'a pas recours à la justice. Cela dépend de la sagesse des autorités.

Ces manifestations sont réellement les abus les plus graves que l'on puisse commettre dans un pays libre, car il n'y a plus de liberté quand de pareilles manifestations sont tolérées.

Je dirai même qu'on a vu dans certains pays ces manifestations provoquées par les autorités elles-mêmes pour étendre leur pouvoir.

Ces manifestations sont très dangereuses, très blâmables en elles-mêmes, surtout dans un pays où existe la liberté d'association, la liberté de la presse, la liberté de discussion et de pétition.

Et puis, comment sont composées ces manifestations ?

Comprennent-elles quelque chose aux discussions politiques ?

Qu'avons-nous vu pendant nos discussions ici ?

On criait, on sifflait dans la rue et on ne savait pas seulement de quoi il s'agissait,

On supposait qu'il y avait quelque chose dans l'air, mais on ne savait de quoi il s'agissait.

A coup sûr, ce n'est pas là un tribunal formé pour juger des votes de la Chambre. Les affaires Langrand doivent être examinées par les tribunaux, eux seuls sont compétents.

Je crois inutile de prolonger la discussion ; quant à moi, je pense avoir répondu aux arguments principaux auxquels j'étais obligé de répondre.

M. Jottrand. - Messieurs, avant que cette discussion se termine, j'ai un renseignement à demander aux membres de l'ancien ministère. Ces renseignements, j'y ai droit comme représentant de Bruxelles et surtout comme habitant de Bruxelles.

M. Thonissen nous a appris hier que le Roi appréciant, le 28 novembre, la situation, n'y trouvait d'autre solution que : ou la démission des ministres alors en exercice, ou le recours à la force des armes.

Quand alors le Roi, cédant aux mouvements de son cœur, à ses instincts, reculait devant l'extrémité terrible de faire couler le sang dans les rues de Bruxelles ; qu'il préférait se rallier à la première branche du dilemme, à la retraite de son ministère et qu'en faisant appel au patriotisme et au dévouement de l'honorable M. Thonissen, il lui demandait de bien vouloir se charger de remplacer avec quelques hommes, dont on ne nous fait pas connaître les noms, les ministres que Sa Majesté croyait ne plus pouvoir conserver, c'était un appel au patriotisme et au dévouement de la droite que le chef de l'Etat faisait ainsi, car M. Thonissen était chargé d'aller rapporter la parole royale, parole officielle, à la droite tout entière.

A cet appel au patriotisme et au dévouement de Belges, adressé à des cœurs belges par le plus Belge de nous tous, comment la droite a-t-elle répondu ?

Elle avait le choix ; les personnages qui la dirigeaient, qu'elle soutenait, avaient le choix : ou sacrifier des amours-propres personnels ou ensanglanter les rues de ma ville natale. C'est la seconde alternative qui a été choisie.

Vous avez répondu à cet appel qui était fait à votre patriotisme, à votre dévouement, à votre humanité, à votre amour pour vos concitoyens, par une déclaration de guerre, et si votre résolution n'a pas eu la sanction de l'exécution, c'est parce que celui qui vous avait soumis l'alternative, plus sage et plus humain que vous, n'a pas voulu vous laisser entrer dans la voie où vous étiez résolu à vous engager.

Je ne puis pas m'adresser à la droite. La droite est une masse irresponsable. Mais je puis m'adresser aux anciens ministres et c'est à eux que je m'adresse pour savoir quels sont ceux, parmi eux, qui n'ont pas hésité, malgré le conseil royal, à mieux aimer sacrifier au besoin la vie de leurs compatriotes que leurs amours-propres. (Interruption.)

M. Bouvier. - Répondez à cela.

M. Jottrand. - Vous vous expliquerez, messieurs. Mais c'est ainsi, quant à moi, qu'il faut interpréter votre résolution en présence des paroles que nous a rapportées l'honorable M. Thonissen. Ce n'était pas, je suppose, une plaisanterie que cette concentration, dans la capitale et autour de la capitale, de peut-être la moitié de l'armée belge ! Je ne connais pas exactement la proportion dans laquelle on a appelé, autour de Bruxelles et dans Bruxelles, de l'infanterie, de la cavalerie et de l'artillerie.

M. Bouvier. - 7,000 hommes.

M. Jottrand. - L'honorable M. Bouvier dit qu'il y avait 7,000 hommes, je n'en sais rien. Il y en avait, dans tous les cas, une quantité considérable. Car de tous les côtés, jusqu'à une distance qui s'étend à quatre lieues de Bruxelles, des troupes étaient cantonnées dans les villages.

Il y avait des troupes à Assche, il y avait des troupes à Cortenbergh, il y avait des troupes à Vilvorde, il y avait des troupes à Hal, il y avait des' troupes à Etterbeek, à Laeken.

M. Bouvier. - A la Cambre !

M. Jottrand. - Je constate que l'on avait concentré autour de Bruxelles une véritable armée, munie de tout ce qu'il faut pour livrer bataille, dont les canons avaient des gargousses et les fusils des cartouches, une armée qui voyageait avec ses ambulances.

En même temps que l'on agissait ainsi, si les bruits qui ont couru à Bruxelles étaient exacts, on enlevait, autant qu'on pouvait le faire, à la garde civique de Bruxelles, toutes les munitions dont, au besoin, elle aurait pu s'emparer.

Il y avait donc chez vous des intentions bien sérieuses. Ces intentions, je les qualifie de violentes, d'excessives, de cruelles, et je demande à qui, parmi les anciens ministres, revient l'honneur (puisque, à vos yeux, c est un honneur) de les avoir eues. Qui donc était assez infatué de l'orgueil du pouvoir pour ne pas hésiter à faire couler le sang plutôt que de renoncer à son portefeuille ?

(page 132) Ce n'est certes pas l'honorable baron d'Anethan. Nous avons appris hier que, dès le commencement de la crise, il l'avait appréciée comme Sa Majesté ; il avait, lui aussi, pensé sagement que le meilleur moyen et le plus simple de mettre fin aux manifestations de la rue, c'était de sacrifier quelques individualités sans sacrifier le pouvoir.

Qui donc est responsable de ces intentions ? Ce n'est pas l'honorable M. Dumortier, ce n'est pas l'honorable M. Thonissen.

C'est quelqu'un des anciens ministres. Je demande quels sont ceux d'entre eux qui, devant l'histoire, devant la Belgique tout entière, devant Bruxelles surtout, doivent porter la responsabilité des cruelles résolutions qui avaient été prises ?

M. Jacobs. - M. Jottrand vient de combattre des moulins à vent.

Les anciens ministres ont été constamment d'accord pendant la crise. L'honorable M. d’Anethan n'a pas songé plus qu'aucun autre de ses collègues à se retirer volontairement.

Nous avons délibéré, chaque jour pour ainsi dire, sur ce qu'il y avait à faire ; l'honorable M. Anspach avait garanti le maintien de l'ordre, ce qui n'a pas empêché des faits que nous regrettons tous ; M. Anspach avait demandé à la population de Bruxelles de l'aider à dégager sa parole ; nous avons cru, jusqu'au dernier moment où nous sommes restés ministres, qu'il n'y avait pas lieu d'enlever au bourgmestre de Bruxelles la responsabilité de la situation.

Non que nous pensions, et M. Jottrand ne le prétendra pas non plus, qu'il ne puisse arriver un moment où c'est le devoir du gouvernement de faire même répandre le sang pour défendre l'ordre. Ah ! c'est un cruel devoir que celui que l'armée remplissait naguère dans le Borinage ! Mais force doit toujours rester à la loi.

Quiconque raisonne froidement reconnaît qu'il arrive des situations où le gouvernement ne peut laisser le désordre prévaloir, et où il faut recourir à la force. Ces cas peuvent être rares ; et ce n'est qu'à la dernière extrémité qu'il faut y recourir. Mais on ne peut les nier.

Nous ne nous sommes pas crus réduits à cette extrémité.

Jamais, tant que nous avons été ministres, nous n'avons cru que le moment fût venu de faire intervenir l'armée, en passant sur le corps du bourgmestre de Bruxelles. Mais nous avons cru que c'était un devoir pour nous que de mettre des troupes à la disposition du bourgmestre, qui disposait déjà de la garde civique, de la police et de la gendarmerie ; nous avons mis l'armée à sa disposition, et, au besoin, à la nôtre.

Nous avons renforcé la garnison de Bruxelles d'un régiment de cavalerie et d'un régiment d'infanterie.

Il paraît même qu'il y a eu un renfort de quelques artilleurs isolés....

M. Bouvier. - Et les canons !

M. Jacobs. - Il n'y a pas eu un canon d'amené. Au dernier moment, alors que nous allions quitter le ministère, un certain nombre de troupes est encore venu se joindre à celles qui se trouvaient dans la capitale ; je ne saurais dire en quelle quantité, mais j'affirme que, tout en prenant des mesures de précaution, jamais le cabinet précédent, à aucun moment jusqu'à celui où il s'est vu enlever ses pouvoirs, n'a demandé au Roi de se substituer à l'autorité communale et de faire intervenir d'office la force armée.

M. Bouvier. M. Thonissen a dit le contraire.

M. Jottrand. - Que signifie donc la déclaration de M. Thonissen ?

M. Thonissen. - Messieurs, ma position, on le comprendra, est des plus délicates, mais il faut bien que je m'explique.

Il est vrai que le Roi m'a dit que la situation lui paraissait telle, qu'il faudrait ou renvoyer le ministère ou recourir à l'emploi des armes. Mais le Roi n'a pas ajouté que, jusqu'à ce moment, le gouvernement lui eût demandé l'autorisation de faire intervenir l'armée. Il prévoyait simplement le cas où cette éventualité pourrait se présenter.

Voilà une première explication, qui me semble très nette.

J'ai une seconde explication à donner ait sujet du langage que j'ai tenu à l'assemblée générale de la droite.

Là j'ai dit, avec l'autorisation du Roi, que Sa Majesté pensait qu'il était nécessaire de procéder à un changement de personnes pour éviter le recours éventuel aux armes.

On m'a objecté qu'il suffirait d'un peu d'énergie pour faire cesser le désordre, que l'on n'aurait pas besoin de répandre le sang, et que, dans de telles circonstances, le cabinet ne devait pas se retirer. Mais personne n'a songé à dire qu'on devait répandre le sang pour sauver les ministres, pour sauver des portefeuilles. Personne n'a tenu ce langage. Tout le monde était, au contraire, convaincu que l'ordre pourrait être rétabli sans effusion de sang, et voilà pourquoi la droite était d'avis que les ministres devaient conserver leurs portefeuilles.

M. Gerrits. - Tout à l'heure, malgré mes dénégations, l'honorable M. Bergé n'a pas su interrompre la tirade qu'il avait décidé de lancer contre la ville d'Anvers.

Il ne me convient pas de laisser sans réponse la nouvelle calomnie inventée par lui.

- Des membres à gauche. - A l'ordre !

- Un membre à droite. - On s'est servi cent fois, à gauche, de cette expression.

M. le président. - Je vous engage, M. Gerrits, à vous servir d'autres expressions. Il ne faut pas supposer que M. Bergé ait volontairement allégué un fait qui ne serait pas exact.

M. Gerrits. - Je dirai donc que s'il ne l'a pas inventée, il l'a répétée.

M. De Lehaye. - C'est donc une calomnie.

M. Gerrits. - M. Bergé a prétendu qu'a Anvers on avait insulté la mémoire d'un artiste libre penseur. Il a fait allusion à l'artiste Lies, avec lequel j'étais lié d'amitié, amitié dont je m'honore.

Il suffira de donner quelques éclaircissements à la Chambre pour vous montrer combien l'accusation lancée par M. Bergé est fausse.

Jamais funérailles plus magnifiques n'ont été faites à un artiste que celles qui ont été faites à l'artiste Lies. Presque toute la ville d'Anvers y était ; je puis le certifier, car j'y ai également assisté et j'y ai vu des hommes appartenant à toutes les opinions.

Après la mort de Lies, l'administration communale a acheté deux de ses tableaux, qui se trouvent aujourd'hui au Musée. L'administration communale a également placé au Musée le portrait de l'artiste qui, d'après vous, aurait été insulté après sa mort.

Veuillez remarquer, messieurs, que c'est l'administration communale actuellement en fonctions qui a pris cette mesure.

Vous voyez donc combien sont ridicules les accusations que l'on dirige quelquefois contre nous. Toutes se valent.

M. Bergé. - Il est très facile à M. Gerrits d'essayer de faire prendre le change sur sa situation. En effet, il est très commode de venir, à une certaine distance, rendre hommage à la mémoire d'un peintre et de dire que son portrait a été placé à Anvers, dans le musée, par les soins de l'administration communale.

Je n'ai pas parlé du portrait ; je n'ai pas parlé de rapports particuliers, que j'ignore complètement et qui ne m'étonnent pas, d'ailleurs, puisque l'honorable M. Gerrits est un libre penseur (interruption) ; tout au moins il l'était alors.

Mais l'honorable membre nous dit qu'il a assisté aux funérailles de Lies, c'est très possible ; il nous dit qu'elles ont été imposantes ; c'est vrai ; il aurait pu ajouter que la partie intelligente de la population anversoire y assistait. (Interruption.) Mais tout cela ne prouve pas qu'une partie de la population ouvrière, la population inintelligente (interruption) n'ait manifesté, dans cette circonstance, de la manière la plus hostile.

Tout cela ne fera pas disparaître ce fait qu'on a profané au cimetière le monument qui a été élevé à la mémoire de ce peintre. Tout cela n'empêchera pas que, dans bien d'autres circonstances, on n'a pas trouvé, de la part de certains libres penseurs, le concours qu'on était en droit d'attendre d'eux pour exercer l'influence dont ils jouissent sur la population. C'est ce qu'on a constaté à Anvers dans les circonstances que je rappelle ; c'est ce qu'on a constaté à Gand, lors de l'enterrement du commandant des chasseurs-éclaireurs ; et là, messieurs, les catholiques se sont abstenus d'intervenir pour empêcher les profanations qui ont eu lieu.

Il a fallu alors que les chasseurs volontaires de Gand fissent eux-mêmes la police pour disperser une foule hostile ameutée devant le cimetière, pour en empêcher l'entrée.

M. Kervyn de Volkaersbeke. - Nous ne savons absolument rien de cela.

M. Bergé. - Vous savez parfaitement bien qu'on avait prêché, la veille de l'enterrement, afin d'ameuter la population. (Interruption.) Si vous ne savez rien, allez le demander à Gand ; tout le monde vous renseignera.

M. Gerrits. - Messieurs, M. Bergé prend réellement ses rêves pour des réalités.

Il croit qu'il y a eu à Anvers des manifestations hostiles à la mémoire de Lies.

Il n'en est rien. Mais un beau matin, et longtemps après l'enterrement de Lies, on a découvert que l'avant-bras d'une statue placée sur sa tombe était brisé.

La police a fait toutes les démarches, toutes les recherches possibles pour découvrir l'auteur de ce méfait, si méfait il y avait.

(page 133) On n'a rien découvert, et quelques jours après le bras de la statue était restauré.

Il est possible qu'un ivrogne, qu'un enfant, - car on sait que les enfants du quartier jouent près du mur du cimetière, - a jeté une pierre ; mais, je le répète, il n'y a eu aucune manifestation, aucun rassemblement.

Je vous laisse juges de la valeur de l'accusation dont M. Bergé s'est fait l'organe.

M. Anspach. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire. Je veux seulement constater qu'il se passe dans cette Chambre aujourd'hui tout autre chose que ce qui se passait hier.

Hier, tous les orateurs qui se sont succédé n'ont pas manqué d'ajouter, comme explication de l'arrivée du nouveau cabinet, que l'émeute n'avait pas été réprimée.

Voilà la véritable raison du changement de ministère, voilà ce qu'on nous a répété hier pendant toute la séance. Mais aujourd'hui, tout est changé.

M. Jacobs s'est levé au nom de l'ancien cabinet et vient de constater lui-même qu'il n'y a pas eu d'émeute.... (Interruption.)

Que les désordres qui ont eu lieu ont été parfaitement réprimés par le chef de la police locale... (Interruption.)

Je demande ce que cela signifie ?

On reproche à l'ancien cabinet un fait qui m'avait singulièrement ému et qui avait singulièrement ému toute la population bruxelloise. Comment ! Bruxelles était armé comme pour un siège. (Interruption.)

Nos casernes regorgeaient de troupes et là on prenait les précautions les plus extraordinaires, on donnait les ordres les plus incroyables, les plus inouïs, les plus invraisemblables, et ces ordres étaient exécutés.

Les voici : non seulement les troupes étaient consignées, mais il était même défendu aux soldats d'entrer dans les chambrées parce qu'ils devaient être prêts à sortir à chaque instant en ordre de bataille.

Les chevaux de l'artillerie étaient tous attelés à leurs pièces et à côté de chacun des chevaux se tenaient les conducteurs, prêts à partir.

Et dans chaque caisson, messieurs, il y avait 38 coups à tirer ! Et vous croyez que les précautions de ce genre ne m'ont pas ému et n'ont pas ému la population bruxelloise !

Mais détrompez-vous, dit M. Jacobs, M. le bourgmestre avait répondu de l'ordre ; M. le bourgmestre devait dégager sa parole ; il l'a dégagée, l'ordre n'a pas été sérieusement troublé, il n'y a pas eu d'émeute. (Interruption.)

L'honorable M. Jacobs ne vient-il pas de rendre hommage à l'administration communale de Bruxelles en disant... (interruption), en disant qu'il n'est jamais entré dans la pensée du gouvernement de requérir la force armée, que cela n'était pas nécessaire.

Le bourgmestre de Bruxelles était là avec la police, la garde civique et la gendarmerie ; il pouvait rétablir l'ordre, il l'a fait. Loin de nous la pensée de verser le sang ; allons donc, il n'y avait pas d'émeute ; il y avait quelques désordres, mais nous nous en rapportions à M. Anspach. (Interruption.) C'est le seul commentaire qu'on puisse faire aux paroles prononcées par l'honorable M. Jacobs. (Interruption.) Je demande à la loyauté de tout le monde, sans exception de partis, qu'on nous dise ce que M. Jacobs a voulu dire si ce n'est pas ce que je viens d'expliquer à la Chambre.

Messieurs, lorsqu'on voit autour de Bruxelles des forces aussi considérables, lorsque l'on connaît les mesures que je viens de rappeler à la Chambre, nécessairement on devait s'inquiéter, on doit se demander où trouver la vérité, et quand j'entendais hier l'honorable M. Thonissen faire l'aveu à la Chambre que Sa Majesté, à laquelle j'en ai une profonde reconnaissance, n'a pas suivi le dangereux conseil qu'on lui a donné (interruption), puisque Sa Majesté a dit qu'elle ne voulait pas l'emploi de la force et que c'était là véritablement le dissentiment qu'il y avait entre la Couronne et le cabinet... (nouvelle interruption) et que c'est à cause de ce dissentiment que le gouvernement est tombé. (Interruption.)

M. Thonissen. - Je n'ai pas dit cela.

M. Anspach. - Je m'étonne des interruptions. Pourquoi donc le cabinet a-t-il été changé ? Parce qu'on ne voulait pas réprimer l'émeute. Voilà ce que l'honorable M. Dumortier a dit, ce que l'honorable M. Thonissen a donné à entendre ; voilà ce qui résulte même des paroles de l'honorable M. Cornesse dans le discours écrit qu'il vous a lu.

Aujourd'hui tout cela a disparu. Je suis heureux qu'on reconnaisse ainsi, de ce côté de la Chambre, qu'on a fait fausse route et je suis très heureux personnellement d'être ainsi à l'abri, de par l'autorité de la Chambre, de par l'autorité de la majorité, de plus d'une attaque dont je m'étais vu l'objet dans la presse qui soutenait le cabinet tombé.

M. De Lehaye. - Je me suis adressé à quelques-uns de mes collègues, pour leur demander si, parmi eux, il y en avait un seul qui eût connaissance des faits signalés par l'honorable M. Bergé. Tous m'ont répondu qu'ils n'en connaissaient rien.

Quant à moi, j'ai la mémoire assez fidèle, et je puis donner à la Chambre l'assurance la plus positive que si les faits signalés par l'honorable M. Bergé ont eu lieu, ce n'a pas été sous mon administration ; et si ces faits ont eu lieu sous l'administration d'un des amis de nos adversaires, je dois m'étonner qu'il n'ait pas pris les précautions nécessaires pour les prévenir.

Aussi longtemps que j'ai été bourgmestre à Gand, il y a eu des désordres quelquefois, mais jamais la force armée, à laquelle il avait été fait appel, n'a dépassé ses devoirs. Seulement, je me rappelle un fait qui s'est passé avant mon administration. Quelques ouvriers s'étaient, non pas révoltés, mais mis en grève. On a eu recours à la force armée et, malheureusement, un ouvrier a été tué. Eh bien, ce n'est pas moi qui ai commandé cela, c'est un de vos amis à qui incombait la responsabilité.

M. Jacobs. - Messieurs, malgré le désir de l'honorable M. Anspach, je ne puis lui délivrer un certificat de bonne conduite. Je n'ai d'ailleurs pas qualité pour cela. Je m'abstiens en ce moment d'apprécier la part de responsabilité qui revient au bourgmestre de Bruxelles.

Mais je dois des explications à la Chambre sur deux points ! le premier concerne les précautions militaires qui ont été prises.

Eh bien, le détail de ces précautions militaires, qui parait avoir tant ému le bourgmestre de Bruxelles et toute la population, je l'ignorais.

J'avoue que je ne suis jamais entré dans ces détails. La raison en est simple : en pareil cas, l'autorité civile prévient l'autorité militaire de se tenir à sa disposition ; elle ne s'immisce pas dans le nombre de cartouches, de gargousses, etc., à mettre à la disposition des troupes.

Les ministres civils n'avaient pas à s'ingérer dans telle ou telle petite mesure de précaution.

Le chef du département de la guerre et le commandant de la résidence royale sont assez expérimentés pour que le conseil s'en reposât sur eux quant aux détails d'exécution de ses résolutions.

A entendre l'honorable membre, chaque ministre eût dû être non seulement le commandant de la résidence royale, mais encore le colonel, le capitaine, le lieutenant, le sergent et le caporal réglant les moindres dispositions !

M. Jottrand. - Qui donc a dit : Nous comprimerons l'émeute ? (Interruptions.)

M. Bouvier. - Vous avez dit : L'émeute sera réprimée.

M. Jacobs. - Certainement que le désordre devait être réprimé, et toutes les mesures prises par le bourgmestre de Bruxelles ont eu précisément pour but de réprimer le désordre. Les forces que nous avons fait venir avaient le même but.

Mais à quel moment le gouvernement devait-il prendre la direction de la répression et se substituer au bourgmestre ? Voilà le point délicat.

C'est un fait grave que de passer sur le corps de l'autorité communale, et, avant que le gouvernement prît cette résolution, il fallait que des désordres très graves fussent commis.

L'honorable bourgmestre de Bruxelles a été le premier à reconnaître qu'il n'était pas parvenu à empêcher des faits regrettables ; mais bien certainement il fallait, pour que le gouvernement se substituât à lui, que les désordres eussent acquis un degré de gravité extrême.

Telle est la vérité. L'intervention du gouvernement est reculée jusqu'au moment où elle s'impose comme un impérieux devoir, une douloureuse nécessité ; nous n'avons pas cru que ce moment fût déjà arrivé.

M. Thonissen. - Messieurs, la relation que je vous ai faite hier a été rédigée par moi, après l'audience royale, et à l'instant où je suis rentré dans mon domicile. Ce récit est donc parfaitement exact. Or, il n'y est pas dit un mot de ce qu'a avancé l'honorable M. Anspach. Le Roi a dit, il est vrai, que la situation lui paraissait grave ; mais Sa Majesté n'a pas ajouté qu'elle n'avait pas suivi les conseils de son ministère ; elle n'a pas fait la moindre allusion à un tel fait. Le Roi s'est borné à faire connaître son opinion personnelle au sujet de l'état réel de la situation.

Ne parlez donc pas de conseils non suivis, d'insinuations auxquelles je me serais livré. Je n'ai fait aucune espèce d'insinuations, j'ai rapporté l'entretien que j'ai eu l'honneur d'avoir avec Sa Majesté de la manière la plus précise et la plus loyale.

M. Anspach. - Je demande la permission de lire les paroles mêmes de M. Thonissen. Les voici :

« Le Roi me déclara que, toujours fidèle à la Constitution dont il avait (page 134) juré le maintien, il n'entendait pas dénier à la majorité du parlement le droit de posséder et de conserver le pouvoir ; mais il ajouta qu'il lui semblait que le moment était venu d'opérer un changement de personnes. La situation lui paraissait telle, qu'il fallait ou renvoyer le cabinet ou réprimer le désordre par la force des armes. Il était d'avis que ce moyen extrême, qui répugnait à son cœur, à tous ses instincts, ne devait pas être employé dans les circonstances actuelles, où, suivant toutes les probabilités, un simple changement de personnes suffirait pour faire cesser le désordre et réduire la lutte à une discussion vive, mais régulière, au sein du parlement et dans la presse. »

Voilà donc ce que M. Thonissen va rapporter à la droite. Et que lui répond-on ?

Je continue à citer les paroles de M. Thonissen :

« Dans cette assemblée, les propositions que le Roi m'avait faites furent unanimement déclarées inadmissibles. On décida que les ministres devaient conserver leurs portefeuilles et qu'il ne serait ni raisonnable ni digne de reculer devant les clameurs de la rue. »

M. Thonissen. - Cela est parfaitement exact.

M. Anspach. - Oui, mais je demande qu'on en déduise la conséquence.

M. Bergé. - M. De Lehaye s'est levé tout à l'heure pour me dire qu'il ignorait complètement le fait auquel je faisais allusion. Je vais rafraîchir sa mémoire et lui donner le moyen de faire des recherches.

Le fait dont il s'agit est l'enterrement du commandant des chasseurs-éclaireurs de Gand, M. Van Damme, enterré il y a un an. J'affirme que lors de son enterrement il y a eu hors des portes de Gand des attroupements et des manifestations les plus inconvenantes provoquées par le clergé.

J'affirme de plus qu'après avoir fermé les portes du cimetière, cette même troupe, animée de mauvaises intentions, a lancé des projectiles par-dessus les murs du cimetière ; il a même fallu faire évacuer les abords du cimetière pour que la cérémonie pût s'achever. D'autre part, j'affirmerai qu'à Anvers des manifestations hostiles se sont produites, non pas seulement à l'enterrement du peintre Lies, mais dans un très grand nombre de cas, et que même il a fallu faire appel à l'intervention du gouverneur de la province pour obtenir l'appui de la gendarmerie, en vue de faire respecter la décence, la convenance et l'ordre dans les rues d'Anvers, qui n'étaient pas suffisamment protégées par la police locale.

M. De Lehaye. - Si l'affaire a eu lieu il y a un an, il n'est pas étonnant que je n'en sache rien, parce que j'ai quitté la ville de Gand depuis plusieurs années.

Que l'honorable membre me permette d'exprimer la surprise que ses paroles me font éprouver : si des désordres ont eu lieu, pourquoi n'ont-ils pas été réprimés par l'autorité communale ? Elle avait le droit et le devoir d'y mettre un terme.

J'ajouterai que je ne connais pas, à Gand, de cimetière situé en dehors du territoire de cette ville.

L'autorité communale de Gand, qui se trouvait alors entre les mains de vos amis politiques, aurait dû combattre les manifestations qui ont eu lieu. J'engage donc l'honorable membre à s'adresser à ses amis ; c'est à eux qu'incombait le devoir que je viens de signaler ; c'est à eux qu'était imposée l'obligation de comprimer les désordres dont on se plaint.

M. de Baets. - L'honorable M. Bergé a manifesté son étonnement de ce que la députation gantoise ne sût pas le premier mot de ce qu'il vient d'alléguer.

Eh bien, j'ai consulté tous mes collègues et tous sont d'accord avec moi pour dire qu'ils ne savent rien. J'ai eu l'honneur de connaître parfaitement M. Van Damme. Je puis même dire que, quoique nous fussions dans des camps politiques opposés, j'avais ses sympathies personnelles, et lorsque j'affirme que je ne savais rien des faits dont parle l'honorable M. Bergé, je suis sûr que la Chambre me croira sur parole.

Au reste, M. le bourgmestre de Bruxelles a défendu ses prérogatives et ses actes, et je ne comprends pas comment l'honorable M. Bergé vient adresser un compliment aussi peu flatteur au bourgmestre actuel de la ville de Gand qui, il y a quelque temps encore, figurait sur les mêmes bancs que lui.

M. Bergé. - Mais il n'y était pour rien.

M. de Baets. - Je connais le terrain sur lequel je marche. Pourriez-vous me dire où M. Van Damme a été enterré ? (Interruption.) Vous ne le savez pas et vous étiez présent, c'est ainsi que vous mettez en cause l'administration gantoise actuelle.

Maintenant, messieurs, je vais, comme pendant au fait que vous avez si maladroitement évoqué contre le bourgmestre actuel de la ville de Gand, vous dire ce que nous faisions quand nous étions administration communale à Gand.

A l'époque où l'honorable M. De Lehaye était bourgmestre de Gand, les Israélites devaient transporter les cadavres de leurs coreligionnaires à Bruxelles ou dans quelque autre localité où il y a un cimetière particulier à leur culte, parce qu'il y a des prescriptions religieuses sur lesquelles les Israélites ne transigent pas ; et ils ont parfaitement raison ; comme il y a des prescriptions sur lesquelles nous, catholiques, nous ne transigeons pas non plus.

Eh bien, messieurs, j'ai eu l'honneur de faire rapport sur une proposition du collège, présidé par M. De Lehaye, ayant pour objet la création d'un nouveau cimetière exclusivement réservé aux israélites. Ce cimetière existe aujourd'hui.

Vous n'aurez donc pas à nous reprocher des désordres, si désordres il y a eu, que vos propres amis ont tolérés. Vous devriez, au contraire, nous être reconnaissants de ce que nous garantissons à ceux qui ne partagent pas nos convictions le respect et la liberté dont ils ont le droit de jouir et que nous demandons pour nous.

M. Jottrand.—J'ai constaté avec surprise, que l'honorable M. Jacobs, après avoir déclaré fièrement dans cette Chambre : Nous comprimerons les manifestations de l'opinion publique, rejette aujourd'hui bien loin de lui toute responsabilité du chef des mesures de compression qui avaient été préparées et se défend même du soupçon d'avoir eu la moindre idée de recourir à la répression violente.

C'est là une contradiction qui ne peut s'expliquer que par le désir de se tirer, à tout prix, d'un mauvais pas, d'une position fâcheuse, même en reniant les paroles passées les plus claires.

Tout est d'ailleurs contradiction dans la conduite de l'honorable membre au milieu de cette crise.

Dans la séance du 24 novembre, dans cette même séance où l'honorable M. Jacobs affirmait si nettement sa ferme résolution de comprimer l'opinion publique, il s'expliquait ainsi sur la conduite que lui et ses amis avaient résolu de suivre devant les manifestations :

« Le ministère, disait-il, est arrivé par le jeu régulier de nos institutions. Le ministère ne se retirera que lorsqu'il se trouvera en désaccord avec la Couronne, ou avec la Chambre, ou avec le corps électoral. Il ne se retirera pas parce qu'il est en désaccord avec une partie de la population de Bruxelles. »

L'honorable membre espérait sans doute alors voir la Couronne partager ses résolutions impitoyables.

Il me paraît résulter à l'évidence de toutes les explications que nous avons entendues jusqu'ici que le ministère s'est trouvé depuis très nettement et très carrément en désaccord à ce sujet avec la Couronne. Pourquoi cette déclaration si catégorique qu'en cas de pareil désaccord le ministère se retirerait, n'a-t-elle pas été suivie d'effet ? Pourquoi cette attitude si constitutionnelle, si légale et si régulière qu'il déclarait vouloir prendre, l'a-t-il abandonnée le jour où un des trois cas prévus par lui, le désaccord avec la Couronne, s'est produit ?

Il y a encore eu là manque de logique et de sincérité.

M. Jacobs. - Messieurs, en me voyant interpellé si fréquemment, je finirai par me croire encore un peu ministre.

Je me hâte de répondre à l'interpellation de M. Jottrand.

II voit un désaccord entre ma déclaration de tantôt et notre attitude d'autrefois.

Quelques mots lui prouveront le contraire. Lorsque nous avons dit que nous réprimerions le désordre et que nous ne nous retirerions pas devant lui, cela ne voulait dire pour aucun homme qui raisonne que nous aurions recours aux mesures extrêmes dès le premier moment ; nul n'a compris que le gouvernement voulût, sur l'heure, destituer le bourgmestre de Bruxelles, lui enlever des pouvoirs que lui donne la loi ; il fallait lui laisser le soin d'intervenir en premier lieu et ne faire intervenir le gouvernement que lorsque l'impuissance de l'autorité communale aurait été suffisamment constatée.

Eh bien, jusqu'au moment où nous avons quitté le pouvoir, nous n'avons pas cru que l'impuissance de l'administration de Bruxelles fût suffisamment constatée.

Autre reproche de contradiction : Vous avez, nous dit-on, déclaré que vous quitteriez le pouvoir s'il y avait un désaccord entre vous et la Couronne, et vous ne l'avez pas fait quand ce désaccord s'est produit.

(page 135) Entendons-nous ; il s'agissait d'un désaccord, d'un conflit avec la Couronne sur une question déterminée, il ne pouvait s'agir d'un désaccord avec la Couronne sur le point de savoir si nous devions céder devant le désordre. (Interruption.) Comment donc ! nous déclarions d'avance que nous n'abandonnerions pas volontairement le pouvoir en face du désordre, et l'on aurait voulu que nous le lissions !

Ah ! si nous nous étions trouvés en conflit réel avec la Couronne, c'est-à-dire en divergence sur n'importe quelle question politique, sur l'intervention de la force armée, par exemple, nous pouvions honorablement quitter le pouvoir. Mais quitter volontairement le pouvoir précisément parce que nous étions en désaccord avec la Couronne sur le point de savoir s'il y avait lieu de le quitter oui ou non, c'eût été jouer un rôle ridicule.

Nous avons donc déclaré et nous avons maintenu cette déclaration que nous ne reculerions pas devant l'émeute, mais que devant l'un de ces conflits avec la Couronne qui donnent naissance aux crises ministérielles, nous aurions résigné immédiatement le pouvoir conformément au jeu régulier de nos institutions.

Notre attitude a été celle que nous avions annoncée.

- La discussion sur l'incident est close.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre pour l’exercice 1872

Discussion générale

M. Le Hardy de Beaulieu. - La Chambre se rappellera qu'au commencement de la discussion du budget, je lui ai présenté quelques observations. Ces observations ont, sans doute, été emportées dans la bourrasque parlementaire qui a fait disparaître un ministère.

Il est donc probable que peu d'entre vous, messieurs, s'en souviennent.

Cependant, le jour même où j'ai présenté ces observations, M. Van Humbeeck, rapporteur du projet de loi sur l'organisation militaire, a cru devoir répondre. Ne rencontrant aucun de mes arguments, en avocat habile, il a cherché à me mettre en contradiction avec moi-même.

Il ne m'est pas possible d'accepter la position que l'honorable membre a voulu me faire et je viens aujourd'hui vous démontrer que j'étais parfaitement logique dans ma démonstration et que je n'ai été, en aucun point, en contradiction avec moi-même.

Messieurs, qu'avait-je dit ? Que les événements de l'année dernière nous ont fait voir une armée de 130,000 hommes, de plus du double de celle que nos organisateurs militaires espèrent pouvoir mettre en ligne, et commandée par un général expérimenté, tellement expérimenté, paraît-il, que quoi qu'il ait perdu les deux plus grandes batailles de l'année dernière, il est encore celui auquel on confie aujourd'hui la réorganisation de l'armée française ; que cette armée d'élite de 130,000 hommes, dis-je, a, dès le troisième jour de l'entrée en campagne, été détruite, dispersée et mise au néant malgré les fortes et, paraissait-il, inexpugnables positions qu'elle occupait sur les versants des Vosges.

J'ai demandé si, dans l'éventualité que semble prévoir notre organisation militaire, c'est-à-dire d'une guerre étrangère, si, en présence de l'expérience fournie par les événements de l'année dernière, nous ne pouvons pas. affirmer que les faits ont complètement confirmé tout ce que nous avons dit sur ces bancs ; et si nous nous mettons en outre en présence de ce fait que nous n'aurons jamais d'hommes de guerre expérimentés à mettre à la tête de l'armée que nous organisons et maintenons à tant de frais, que nous n'aurons jamais, heureusement pour nous, que des guerriers de cabinet à mettre à sa tête.

Je me suis demandé s'il ne valait pas mieux, avant d'entrer dans la voie funeste d'une guerre étrangère, s'il ne valait pas mieux accepter volontairement, courageusement et dignement la situation que nous a faite l'année dernière le traité conclu par la Grande-Bretagne avec les deux belligérants, traité qui, bien que la conquête de la Belgique fût l'objectif réel de l'un de ces belligérants, nous a mis dans un état de sécurité complète, état que le Luxembourg a partagé avec nous et a conservé, bien qu'il n'eût que 200 hommes pour défendre sa neutralité.

J'ai demandé que le gouvernement portât toute son attention sur cette question et qu'il fît tous les efforts diplomatiques qui sont en son pouvoir pour rendre permanente cette situation sûre, créée par les traités de l'année dernière.

Comme il y a eu un changement de cabinet, j'appelle l'attention du nouveau ministre des affaires étrangères sur cette question grave. C'est une question de la plus haute importance et je ne comprendrais plus quelle serait l'utilité, pour notre pays, d'une diplomatie si elle n'avait pas pour but de nous faire, d'une façon durable et permanente, atteindre à cette sécurité dont nous avons joui pendant les graves événements de l'année dernière.

J'ai donc essayé de vous démontrer dans mon premier discours qu'au point de vue de l'organisation militaire proprement dite, les événements de l'année dernière avaient établi de la façon la plus absolue, la plus évidente, que nous n'étions pas capables de vaincre l'une ou l'autre des deux grandes puissances voisines qui seules peuvent nous menacer. Et je me suis demandé si, en présence de cette impossibilité, il était raisonnable pour nous de continuer les sacrifices considérables que nous imposons à la plus grande partie de nos populations, pour atteindre à un but chimérique.

Je me suis demandé pourquoi, au lieu de nous lancer dans des projets de réorganisation qui ne sont pas faits pour diminuer les charges du pays, nous ne cherchons pas modestement à suivre la même voie que la Suisse ; pourquoi nous ne nous débarrasserions pas de ces vastes armements dont nous ne saurions que faire le jour où nous devrions en faire usage, pour adopter un système qui non seulement, comme je le disais tout à l'heure, a rempli en Suisse le but que l'on s'est proposé, mais qui a, en outre, dans les temps ordinaires, des avantages moraux et matériels considérables ?

Le système suisse, parmi les avantages qu'il présente, en offre un que je veux de nouveau signaler à votre attention, c'est celui de n'imposer aux citoyens du pays que des sacrifices en proportion de leur avoir ; il suit de là que le système suisse tend à unir la nation par des liens solides, durables, qu'on ne peut briser. Au lieu de cela, le nôtre tend à diviser la nation en classes différentes ; il tend à créer, par l'éducation qu'on donne à nos écoles militaires, une aristocratie factice, inutile et dangereuse ; une aristocratie basée sur des intérêts passagers et purement personnels.

Il tend à démontrer à la nation par les sacrifices qu'il demande à la masse que celle-ci est seule appelée à se les imposer. Eh bien, messieurs, est-ce dans cette voie que nous devons persévérer ? Est-ce dans ce système que nous devons continuer à marcher ? Depuis que je suis assis sur ce banc, je n'ai cessé d'appeler toute votre attention sur ce point. Je l'y appelle, de nouveau dans un moment où il s'agit, paraît-il, de renforcer, d'agrandir encore notre système militaire et de le rendre encore plus lourd pour le peuple.

Un mot maintenant de l'organisation contre laquelle j'ai voté, et je m'en félicite.

Au premier abord, d'après ce qui nous avait été dit et soutenu, cette organisation devait nous donner une sécurité complète ; elle devait nous mettre à l'abri de toute éventualité fâcheuse.

L'année dernière, des événements graves ont surgi et plusieurs orateurs nous ont fait voir, par les faits, jusqu'à quel point notre organisation militaire a répondu à l'attente de ses auteurs. Il nous a fallu bien des jours pour rassembler le petit noyau de 30,000 ou 40,000 hommes de campagne, plus ou moins organisés et équipés, alors que quatre ou cinq grandes batailles avaient été livrées à nos frontières, sur un territoire double ou triple du nôtre.

Si nous avions dans ce même laps de temps eu à soutenir le moindre choc, nous n'aurions pas pu mettre quatre régiments complètement organisés en ligne au moment opportun. Mais ce que nous avons appris en même temps, c'est que cette organisation a eu pour résultat très direct, et je crois que l'organisation nouvelle sera poursuivie pour atteindre le même but, de procurer à une partie de nos officiers un avancement plus rapide que n'en ont obtenu ailleurs des officiers ayant fait plusieurs campagnes.

Je connais des officiers de notre armée qui n'ont jamais eu l'occasion - et je les en félicite - de sentir l'odeur de la poudre, et qui ont obtenu un avancement plus rapide que maints confrères qui ont pris une part active à plusieurs batailles.

Je ne conteste pas les avantages d'une pareille situation au point de vue particulier de ceux qui en profitent ; mais j'y trouve un nouveau danger à ajouter à tous les autres pour la solidité et la consistance de notre armée.

Les officiers qui avancent aussi vite n'ont pas le temps, tellement le mouvement est rapide, de se familiariser avec les obligations et les responsabilités de leur position avant d'être appelés à une position plus élevée ; et j'ai entendu des hommes très compétents affirmer qu'il arriverait un moment, quand l'organisation fonctionnerait complètement, où le roulement serait tellement rapide que certains officiers généraux ne pourraient pas passer plus de six mois dans leur grade ; c'est-à-dire qu'ils devraient en sortir avant même de connaître leur besogne. Or, messieurs, je vous demande à quel résultat nous arriverons s'il en est ainsi et si, dans le cas où notre armée devrait entrer en campagne, nous aurions pour diriger nos troupes, pour soutenir la guerre, des hommes capables de remplir les devoirs de leur position ?

(page 136) En présence de toutes ces considérations, je voterai contre le budget de la guerre actuel ; je voterai de même contre toute organisation militaire qui tendrait à augmenter ou même a maintenir les charges qui pèsent actuellement sur le pays. Je ne vois aucune utilité à exiger de la population, et surtout de la partie la plus nombreuse de cette population, les sacrifices qu'on réclame d'elle.

Je vous l'ai dit dans une autre circonstance, la milice est, pour les classes pauvres, l'organisation du paupérisme et la désorganisation de la famille ; elle est la cause la plus grande, la plus active, la plus permanente de l'appauvrissement de nos travailleurs.

Je ne consentirai jamais, tant que je serai sur ces bancs, au maintien du tirage au sort de la milice, ni au maintien de l'organisation actuelle de l'armée.

M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, nous pourrions clore la discussion générale.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, je veux faire observer qu'il est impossible de clore la discussion générale avant que le gouvernement se soit expliqué sur une question que l'ancien cabinet avait laissée en suspens.

Il y a une proposition d'ajournement.

Il faut que le cabinet nouveau nous dise quelle attitude il prend devant cette proposition.

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, je suis le premier à reconnaître que la discussion générale ne doit pas être close en ce moment ; le gouvernement veut s'expliquer. Mais, comme l'heure est avancée, que l'attention de la Chambre est fatiguée, je demande la remise à demain.

- La séance est levée à 4 heures et demie.