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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 12 juillet 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1675) M. de Borchgrave fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Borchgrave présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« La chambre de commerce et des fabriques de. Bruges demande le maintien du tarif actuel des voyageurs appliqué aux longues distances sur le chemin de fer de l'Etat et l'extension du prix réduit aux petites distances. »

« Même demande de la chambre de commerce de Mons. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.


« Des habitants d'Ath demandent le maintien du tarif actuel des voyageurs sur les chemins de fer de l'Etat.

« Même demande d'habitants de Chênée, Herstal, Cachtem, Baudour et d'autres communes du pays. »

- Même dépôt.


« Des instituteurs des cantons de Dour et de Pâturages prient la Chambre : 1° de faire adopter pour base de la liquidation de leurs pensions les statuts de la caisse de prévoyance des instituteurs urbains, sauf a fixer à cinquante-cinq ans l'âge de l'admission à la pension ; 2° d'obliger les communes à subsidier cette caisse dans la même proportion qu'elle subsidie celle des secrétaires communaux ; 3° en cas d'insuffisance de revenus, de faire intervenir également l'Etat et les provinces. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires.


« Par deux pétitions, des habitants de Bruxelles prient la Chambre d'ordonner une enquête pour constater la dimension réelle du monument de la bourse en construction dans cette ville, pour vérifier l'exactitude des cubages et subsidiairement pour déterminer la valeur réelle de l'édifice et la somme à payer par la ville. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bercheux demandent la concession d'une roule de Bercheux à Wideumont-Bercheux. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Marion, président et Daveluis, secrétaire de la société dite : Hoop in de Toekomst à Ostende, demandent qu'avant la fin de la session, le gouvernement fasse connaître ses intentions au sujet des réclamations des populations flamandes, »

- Même renvoi.


« Le sieur Marsschalck, né à Nimwrkerke, et demeurant à Mons, ayant été domicilé successivement dans diverses communes pendant un terme de moins de 8 années, demande à quelle administration il doit s'adresser pour obtenir des secours. »

- Même renvoi.


« Le sieur Colson demande le remboursement de ce qu'il a versé aux caisses, s'il ne peut être mis en jouissance de sa pension. »

- Même renvoi.


« La chambre de commerce d'Alost prie la Chambre de terminer promptement la discussion du code de commerce. »

« Même demande de la chambre de commerce d'Audenarde. »

- Même renvoi.


« Il est fait hommage a la Chambre, par M. S. Plessens-Landrien, d'un exemplaire d'un ouvrage intitulé : L'éducation des enfants mise à la portée de tous les parents, par C.-H. Vansleusen.

- Dépôt à la bibliothèque et mention au procès-verbal.


« MM, Boucquéau, d'Hane-Steenhuyse, Royer de Behr et Funck demandent des congés. » Accordé.

Projet de loi accordant un crédit spécial de 205,000 francs au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. Delcour dépose un rapport sur le projet de loi allouant au département des travaux publics un crédit spécial de 205,000 francs.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et le projet de loi mis à l’ordre du jour avant la loi de travaux publics.

Projet de loi relatif à la contrainte par corps

Discussion des articles

Article premier

La discussion est reprise sur l'article premier.

M. Nothomb, rapporteur. - Comme rapporteur, je prie la Chambre de me permettre de lui soumettre quelques observations qui seront très courtes ; je n'ai l'intention de refaire ni mes discours passés ni mon rapport ; d'ailleurs la Chambre connaît parfaitement une question dont la discussion me paraît à peu près épuisée.

Je ne veux, pour le moment du moins, retenir dans le débat que deux points seulement : d'abord, la question posée hier par l'honorable M. Thonissen au gouvernement et à la section centrale ; en second lieu, l'attitude que je compte prendre vis-à-vis de la proposition de l'honorable M. Guillery.

La question posée par l'honorable M. Thonissen est celle-ci : l'article 3 du projet de loi suppose l'introduction d'une action civile à fin de dommages-intérêts, et admet que cette action est recevable devant la juridiction civile.

Mon honorable ami demande si, par cette disposition, on entend préjuger d'une manière quelconque la décision ultérieure, à prendre sur la proposition de loi connue dans la Chambre sous le nom de proposition de Baets.

Le gouvernement a répondu hier, par l'organe de M. le ministre de la justice, et a déclaré que, dans son opinion, l'article 3 laissait cette question entière.

Il ne pouvait évidemment pas faire d'autre réponse. C'est ainsi également que l'a entendu la section centrale ; pour elle l'article 3 du projet actuel adopté ne change en rien la destinée future de la proposition de M. de Baets ; elle reste intacte ; la question de juridiction, la question de compétence est absolument réservée. Et non seulement tel est l'avis de la section centrale qui a examiné le projet de loi que nous discutons, mais c'est ainsi le sentiment de la section centrale qui a examiné la proposition de loi formulée par l'honorable député de Gand.

C'est la meilleure preuve que je puisse donner à la manière de voir de différents membres de cette chambre, réunis en section centrale.

(Page 1676) Nous avons examiné en section centrale le système de M. de Baets ; pas un membre n'a pensé que la question fût préjugée, de la manière même la plus éloignée, par l'article 3 du projet ; et si la proposition de l'honorable membre y rencontre une sérieuse contradiction, il est également certain qu'elle y trouve de très énergiques défenseurs.

Quant à moi, je n'hésite pas dans mon opinion sur cette question ; je l'ai maintes fois fait connaître ici ; je l'ai défendue dans la section centrale, et, selon moi, la proposition de l'honorable M. de Baets devrait être adoptée dans sa teneur. A mon sens, messieurs, aujourd'hui comme dans toutes les discussions que nous avons eues, tout ce qui touche à la presse, soit par le côté délictueux, soit même par le côté simplement dommageable, relève essentiellement de l'opinion publique.

Ce sont pour la plupart des délits d'opinion publique, si je puis me servir de cette locution ; dans tous les cas, ce sont des questions que l'opinion publique doit apprécier. Or, la seule expression de l'opinion publique que je connaisse en matière de juridiction, c'est le jury. Suivant moi, c'est donc du jury que la presse doit relever ; ainsi le veut la saine interprétation de nos lois et de nos principes constitutionnels.

Voilà ce que j'avais à dire quant à la question posée par l'honorable M. Thonissen.

J'arrive maintenant à l'examen de la proposition de l'honorable M. Guillery.

Messieurs, pour juger équitablement d'un projet de loi, il faut, selon moi, le considérer bien plus par les choses qu'il concède que par celles qu'il refuse ; c'est bien plus par les bons côtés, si je puis parler ainsi, qu'il faut apprécier un projet de loi que par les côtés incomplets.

Si l'on n'agissait pas ainsi, on arriverait à des conséquences que je dois signaler : c'est que l'extrême logique, la recherche de l'absolu en matière légale, comme en toute autre, conduisent très souvent, en pratique, à l'injustice dans les faits et dans les applications.

C'est, selon moi, ce qui résulterait si, se plaçant au point de vue d'une idée absolue, inflexible, d'une théorie inexorable, on voulait traduire incontinent dans ce projet de loi les diverses opinions que chacun de nous peut avoir en matière de dommages-intérêts et de contrainte par corps.

Deux questions me paraissent dominer le débat ; la première est celle-ci : Qu'est-ce que le projet accorde en fait ? La seconde : Dans l'état actuel des opinions, dans la situation parlementaire présente, le projet pourrait-il aller au delà ?

Voyons rapidement ces deux questions.

Ce que le projet de loi concède, tout le monde le sait, on l'a fait ressort tir des différents côtés : l'exposé des motifs, le rapport de la section centrale et les discours de l'honorable M. Thonissen et de M. le ministre de la justice. Je me bornerai donc à retracer à grands traits quelle serait la situation faite à la question de la contrainte par corps, si la loi nouvelle était votée,

Comme concessions, le projet de loi abroge, au fond et dans la plupart des cas, la loi du 23 mars 1859 qui régit la matière, et qui, elle, constituait déjà un véritable progrès à l'égard de la législation antérieure.

Le projet supprime la contrainte par corps en matière de commerce, en matière civile et contre les étrangers ; il la supprime dans tous les cas, un seul excepté, où elle était maintenue par la loi de 1859.

Veuillez-vous reporter à cette loi, et vous verrez combien étaient nombreux encore les cas où l'emprisonnement pour dettes pouvait être prononcé ; vous vous assurerez combien la différence en moins sera grande par le projet de loi actuel.

D'après l'article premier de la loi de 1859, il y avait trois catégories de faits où la contrainte par corps devait être prononcée ; trois numéros de l'article premier, y sont consacrés. D'après le projet de loi, les trois numéros disparaissent.

D'après l'article 6 de la loi de 1859, il y avait six cas où la contrainte par corps devait être appliquée ; ces six cas disparaissent par le projet de loi.

Enfin, d'après l'article 4 de la loi de 1859, la contrainte par corps était facultative dans dix cas qui y sont énumérés, mais que, pour abréger, je ne rappelle pas à la Chambre.

Eh bien, d'après le projet, sur ces dix cas, neuf disparaissent et la contrainte par corps n'est conservée facultativement que pour les dommages-intérêts pouvant résulter de faits illicites.

Telle est la situation que le projet fait en matière de contrainte par corps. On a donc eu raison de dire qu'en fait c'en est la suppression dans les neuf dixièmes des cas. Cela est si vrai qu'en section centrale des membres ont vivement critiqué le projet à ce point de vue.

Mais ce n'est tout ; le projet va plus loin. Ainsi, d'après l'article 46 du code pénal, la contrainte par corps peut être facultativement appliquée à ceux qui sont civilement responsables. Le projet supprime cette application de la contrainte.

En matière répressive, conformément au code pénal, les femmes et les filles étaient soumises à l'emprisonnement du chef de dettes ; eh bien, le projet les affranchit complètement, dans tous les cas, en toute matière, de l'application de la contrainte par corps. Il en est de même des mineurs et des héritiers des contraignables par corps.

Voilà quelles sont les personnes qui, d'après le projet, seraient désormais libérées de la coercition corporelle et qui y sont encore soumises aujourd'hui d'après la loi qui nous régit et qui déjà cependant, je le répète, constituait un progrès réel.

Enfin, messieurs, vous le savez, le projet subordonne, dans tous les cas, l'applicabilité de la mesure en toute matière à la condition essentielle sine qua non que la somme qu'il s'agit de récupérer dépasse 500 francs ; en dessous de cette somme, l'application de la contrainte n'est pas possible. Finalement, la durée de la contrainte par corps, qui était de cinq ans d'après la législation actuelle, est réduite à un an.

Le projet modifie donc radicalement la législation existante ; il renferme, à côté d'atténuations considérables, des innovations non moins étendues, non moins importantes et des améliorations que personne ne peut contester.

Maintenant je me demande s'il faut subordonner tous ces avantages, tous ces bienfaits à la satisfaction absolue, exclusive d'un seul intérêt qui est en jeu, s'il faut les sacrifier à une théorie respectable, - ce n'est certes pas moi qui le nierai, puisque je la professe ? Je ne le crois pas.

Veuillez encore considérer que le projet renferme dans l'article 3 une condition extrêmement libérale, extrêmement équitable : la faculté laissée au juge d'appliquer ou de ne pas appliquer la contrainte.

Je sais que cette disposition a été critiquée, qu'on a dit : Mais c'est la variation dans l'application : ici on appliquera avec rigueur, là avec une certaine indulgence ; c'est l'arbitraire.

Cela peut se dire, mais si cela était vrai pour l'article 3, ce serait vrai en d'autres situation. Les tribunaux sont investis de la faculté la plus large presque en toute matière. Ils peuvent appliquer l'emprisonnement, isolément ou avec l'amende ; ils peuvent appliquer l'amende sans l'emprisonnement ; ils peuvent cumuler les deux peines. Les tribunaux ont une latitude considérable dans l'échelle des pénalités et bien plus, ils acquittent.

C'est là une garantie efficace et cette garantie n'est pas inventée par le projet de loi ; il ne faut pas oublier qu'elle date de 1859. La faculté d'appliquer la contrainte par corps aux dommages-intérêts résulte de la loi de 1859. L'article 4 le porte formellement.

Les dommages-intérêts résultant de faits délictueux étaient facultativement recouvrables par la contrainte par corps. Eh bien, je demande qu'on nous cite quels sont les abus qui sont résultés de ce pouvoir discrétionnaire laissé à la magistrature belge. Quant à moi, je n'en connais pas. J'ai autant de confiance dans la magistrature, quant à l'usage qu'elle fera de l'article 3, que j'en ai quant à l'application de toutes les lois pénales, de toutes les lois civiles.

J'examinerai rapidement la seconde question que j'ai posée tantôt et qui est celle-ci : Le projet, dans l'état actuel des esprits, pouvait-il aller plus loin ? Pouvait-il résoudre la question, comme je l'eusse désiré, absolument et radicalement ?

Messieurs, le gouvernement, interpellé à cet égard, a répondu, par l'organe de M. le ministre de la justice, d'une manière catégorique. Il a dit : Non, je n'aurais pas pu aller au delà sans risquer de compromettre le projet lui-même. La réforme pourrait échouer et je ne m'engage pas, quelle que soit la décision ici, à aller au delà. Voilà la déclaration formelle et loyale dont il faut que la Chambre tienne compte, à moins de vouloir ajourner indéfiniment la solution de cette question, qui termine cette odyssée législative qui dure depuis trois ans.

Je sais bien quelle est la difficulté au fond : c'est l'affaire de la presse. Je me suis assez expliqué à cet égard, tant dans mes discours que dans mon rapport, pour que je n'aie pas besoin d'insister sur ce point. Je crois que la presse aurait dû être exemptée de la disposition de l'article 3, que l'affranchissement aurait dû être complet, qu'elle ne doit pas être sujette à des dommages-intérêts devant les tribunaux civils par voie civile. Je défendrai cette opinion lorsque nous discuterons la proposition de loi de l'honorable M. de Baets.

Mais qu'il me soit permis de faire, en cette circonstance, un appel à la presse elle-même. Je demande si elle ne doit pas ici se mettre au-dessus d'un intérêt qui paraîtra lui être personnel ; si elle ne doit pas rejeter loin (page 1677) d'elle de ce qu'on pourrait considérer comme un calcul d'égoïsme. J'ai meilleure opinion des organes importants et sérieux de la presse belge. Je tiens pour certain qu'ils s'élèveront au-dessus de cette question d'intérêt et qu'au fond, ils applaudiront à la réforme que nous prions la Chambre de voter.

C'est un conseil que je me permets de donner a la presse. Ce n'est pas le conseil d'un flatteur, c'est celui d'un ami sincère. A montrer ce désintéressement, cette abnégation, à laisser de côté cet intérêt, si respectable qu'il soit, je suis convaincu que la presse grandira en influence et gagnera en considération publique. Ce rôle me paraît digne d'elle et je ne concevrais pas qu'elle voulût continuer à exercer une espèce de contrainte morale vis-à-vis de ceux qui sont les partisans de l'abolition absolue de cette rigueur.

Et, d'ailleurs, il n'y a pas, en ce moment, un intérêt actuel en jeu dans la question. Il n'y a pas aujourd'hui un seul écrivain soumis à l'emprisonnement pour dette. II n'y a pas un journaliste en prison, à l'heure qu'il est, du fait de dommages-intérêts, du fait de presse.

D'après un renseignement officiel que je tiens, à la date du 1er mai il y avait dans les prisons du royaume treize personnes colloquées du chef de dettes, y compris trois étrangers ; les dix autres sont la plupart des négociants ; il y a un commis négociant, un cultivateur et un journalier.

Voilà quelle est la statistique des personnes soumises en ce moment à l'emprisonnement pour dettes ; vous le voyez, pas un journaliste n'y figure, et je crois qu'il se passera du temps avant que la contrainte par corps soit exercée pour faits de presse.

On y regardera à deux fois avant de recourir à ce moyen contre lequel l'opinion de cette Chambre proteste, contre lequel réagit l'opinion publique, et dont, j'aime à le croire, l'adoption de la proposition de M. de Baets fera bientôt justice.

Je ne puis donc, dans cette situation, voter l'amendement de M. Guillery.

C'est un amendement qui, au lieu d'assurer la réforme, la compromet ; qui, au lieu de hâter cette réforme, l'éloigne.

L'amendement de M. Guillery, sans qu'il le veuille, fait, en définitive, échec à la réforme et l'ajourne indéfiniment. J'ajoute, messieurs, que pour ceux qui, comme moi, veulent cette réforme immédiatement, il y aurait inconséquence actuelle et présente à ne pas admettre le projet tel qu'il est et à voter l'amendement.

Si j'avais à choisir entre deux inconséquences, j'aimerai mieux celle qui se rattache au passé que celle qui existe tout entière à l'heure présente. Je suis persuadé que la presse sérieuse voudra la partager avec nous.

Je ne veux pas retarder la solution d'une question d'humanité et de justice, entraver une grande et belle réforme ; je tiens à écarter de moi une telle responsabilité et c'est pourquoi je vote purement et simplement le projet du gouvernement. J'engage mes amis à le voter avec moi, certain que je suis de me conformer par là au bon sens comme aux aspirations généreuses du pays.

M. Rogier. - Messieurs, les débats ayant déjà duré quelque temps, je tâcherai d'être court. Je tiens à motiver mon vote.

Je n'ai pas de profession de foi à faire en faveur de la liberté de la presse ; j'ai eu l'honneur, pendant sept années avant mon entrée dans la vie parlementaire, d'être rédacteur d'un journal politique ; je suis donc un ancien confrère et je respecte beaucoup cette liberté que j'ai aidé, pour ma part, à introduire dans la Constitution après l'avoir décrétée comme membre du gouvernement provisoire.

Plus j'apprécie la liberté de la presse, plus j'ai de sympathie pour elle, plus je voudrais lui voir une position acceptée et respectée par tous, plus je voudrais voir, à côté de son indépendance et de son courage à signaler les abus, plus je voudrais lui voir de dignité, de modération, de loyauté dans ses attaques.

La presse est, dit-on, un quatrième pouvoir dans l'Etat. Je ne sais si c'est un pouvoir, mais certes la presse est une puissance, une puissance plus ou moins despotique, une puissance devant laquelle s'inclinent souvent les esprits les plus résolus. Oui, la puissance de la presse, telle qu'elle s'exerce aujourd'hui encore, est grande. Mais parce que la presse exerce une grande puissance, parce qu'elle est, en Belgique, plus libre peut-être que dans aucun autre pays, voudrait-elle revendiquer pour elle le privilège de l'impunité ? Je sais qu'il y a dans la presse bon nombre d'hommes estimables qui ne reculent pas devant la responsabilité de leurs opinions ou de leurs attaques ; je les en félicite publiquement et je désirerais beaucoup que leur exemple fût suivi par tous leurs confrères.

Mais il est aussi dans la presse des hommes qui font métier de leur plume, qui infligent sciemment, méchamment de graves dommages soit à la réputation, soit aux intérêts des autres membres de la société belge,

Lorsque la presse est en pareilles mains, qu'arrive-t-il ? Elle peut ruiner un homme, une famille moralement et matériellement.

Les personnes lésées auront recours aux tribunaux, les tribunaux alloueront des dommages-intérêts, mais l'écrivain qui a causé le mal mettra à sa place le premier va-nu-pieds venu, auquel il payera la responsabilité qu'il lui endosse.

Les personnes, lésées, ruinées, déshonorées, en possession d'un arrêt de justice qui leur accorde des dommages et intérêts, se trouveront en face de cet individu insolvable, elles le feront emprisonner, il ira en prison, il sera logé, nourri aux frais des personnes lésées. Mais enfin il sera en prison.

Or, d'après ce qu'on propose, cet individu postiche, cet entrepreneur de scandale, cet être vil, salarié afin de faire, pour compte d'autrui, une mauvaise action, échapperait à la fois et aux dommages-intérêts et à la prison, il ne payera pas les dommages-intérêts il évitera l'emprisonnement, et le lendemain il recommencera son métier. Il est impossible que la presse sérieuse puisse soutenir un pareil système.

Je le reconnais, il y a eu certaines affaires de presse où les tribunaux civils se sont montrés sévères pour des attaques dirigées contre des fonctionnaires publics. Il y a vingt-cinq ans que, de cette même place, je me suis prononcé, dans les cas de délits de presse, contre le système du recours aux tribunaux civils, que je considérais comme une atteinte à la Constitution.

J'ai soutenu alors que les délits commis par la presse, et par suite les dommages infligés par la presse, devaient être exclusivement justiciables du jury.

Avec quelques-uns de mes amis politiques d'alors, j'ai signé une proposition qui avait pour but d'attribuer au jury le jugement des délits de presse. Cette proposition n'a pas eu de suite. Depuis, j'ai reproduit à diverses reprises la même opinion ; je la conserve, je crois que l'esprit de la Constitution, sinon le texte formel, est que les délits et les dommages commis par la voie de la presse soient soumis à l'appréciation du jury.

Et si la proposition des honorables MM. de Baets et Thonissen avait été mise en discussion, comme je crois qu'elle eût dû l'être avant ou en même temps que le projet en discussion, je l'aurais soutenue de toutes mes forces.

Supposons admis le système du jury en matière de presse. Le procès se plaide ; la partie lésée se réserve de demander des dommages-intérêts ; elle les obtient par la décision même du jury, car, dans mon système, le jury aura à se prononcer sur la question.

Eh bien, avec la proposition trop absolue de l'honorable M. Guillery, la décision du jury sera inopérante. Il y aura des dommages-intérêts alloués, mais ils ne seront pas payés ; le condamné défaillant ne sera pas mis en prison et il se moquera tout à la fois de la partie lésée, de l'arrêt et du jury. (Interruption.)

Il sera frappé d'une peine !

Mais, messieurs, je suppose qu'il ne soit pas puni, que le fait ne soit pas trouvé criminel, mais simplement dommageable et que le jury attribue des dommages-intérêts. Si la contrainte par corps est supprimée, quel recours aura la partie lésée pour en obtenir le payement, pour récupérer tout au moins les frais du procès ? Là est la question.

Messieurs, s'il ne nous répugnait pas de voir se prolonger cette situation qui, à défaut d'une loi nouvelle, expose les détenus actuels, parmi lesquels il n'y a, d'ailleurs, aucun détenu journaliste, à être maintenus en prison, ce qu'il y aurait de mieux à faire, ce serait d'ajourner le vote du projet de loi. Mais il y aurait quelque chose de pénible pour ceux que nous voulons tous rendre à la liberté, d'être retenus en prison par suite des atermoiements de la Chambre. Je le reconnais, et je ne suis pas un partisan fanatique de la contrainte par corps.

Mais ne pourrions-nous pas tout au moins consacrer par la loi actuelle le principe que je voudrais faire prévaloir ? Ne pourrait-on pas, par un amendement, réserver au jury l'appréciation des délits de presse ou d'autres délits d'un caractère public qui porteraient dommage à autrui ?

Si une pareille disposition était admise dans la loi actuelle, nous atteindrions deux buts : nous ferions sortir de prison ceux qui sont maintenant détenus et nous donnerions à la presse une garantie qu'elle réclame, une garantie que je considère comme constitutionnelle, celle d'être jugée par le jury.

En conséquence, et d'accord avec quelques honorables amis, je déposerai sur le bureau un amendement ainsi conçu :

« La contrainte par corps est supprimée.

« Elle est maintenue en matière criminelle et correctionnelle pour (page 1678) exécution des condamnations aux restitutions, aux dommages-intérêts et aux frais. »

Cette disposition implique, dans ma pensée, l'intervention du jury en matière de presse.

De cette manière, lorsque des dommages-intérêts seront réclamés par une partie lésée à un journaliste, il y aurait pour celui-ci une garantie qui lui échappe aujourd'hui.

Les plaintes que soulève la juridiction civile, en ce qui concerne les dommages-intérêts résultant d'attaques de la presse, viendraient à cesser. Les délits de la presse rentreraient exclusivement dans les attributions du jury, qui pourrait se prononcer sur les dommages-intérêts, recouvrables, au besoin, par la contrainte par corps. Voilà le système.

Je crois, messieurs, que la presse devrait accueillir ma proposition avec empressement. Je ne suis en aucune manière disposé à flatter la presse. Mais, lorsque je la mets dans la loi commune, en ce qui concerne la réparation des dommages matériels et moraux qu'elle cause, je rends ainsi, du haut de cette tribune, un hommage à la presse indépendante, honnête, courageuse, qui dénonce les méfaits quand elle est assurée de leur réalité, qui ose attaquer les spéculateurs politiques, financiers ou autres dont la mauvaise foi révolte, qui ne craint pas de dénoncer les abus de quelque haut qu'ils tombent, à quelque cercle d'influence qu'ils appartiennent.

S'il y a une pressé vénale que l'on méprise, il est aussi une presse qui se respecte, une presse qui n'est que l'asile et l'organe de la vérité ; qui cherche à faire triompher les bons, les vrais principes. A celle-là toutes nos sympathies, tous nos hommages. Ce n'est pas dans cette presse que vous trouverez jamais ce scandale d'un écrivain qui, après avoir attaqué un concitoyen dans son honneur ou ses intérêts, recule devant son œuvre et met en avant, pour se préserver, un misérable qui doit répondre pour lui.

La presse a un grand rôle à jouer. Aujourd'hui, au milieu du grand mouvement des intérêts matériels, il se crée souvent de scandaleuses spéculations auxquelles on ne voit guère de remèdes que dans les dénonciations de la presse.

Si les attaques de la presse sont imprudentes, légères, injustes, si elles vont trouver un honnête homme, un homme délicat, loyal en affaires politiques ou financières, qu'arrive-t-il ? C'est que tout ce qu'il y a de mauvais spéculateurs, d'agioteurs de mauvaise foi s'abrite derrière cet honnête homme outragé. La presse, disent-ils, né respecte personne ; voyez comme elle traite MM. tel et tel ; nous sommes absolument sur la même ligne ; nous nous moquons donc de la presse ; qu'elle dise ce qu'elle voudra ; nous continuerons nos opérations.

Or, messieurs, il ne faut pas qu'on se moque de la presse ; il faut qu'on la craigne dans une juste mesure ; il faut qu'elle tienne en échec les gens pervers, afin qu'ils ne se mettent pas à l'abri des attaques légitimes dont ils peuvent être l'objet derrière les braves gens à qui l'on inflige le même traitement qu'à eux-mêmes.

Il est très regrettable, sous ce rapport, que les attaques injustes dirigées contre les honnêtes gens finissent par assurer l'impunité à des individus qui mériteraient d'être livrés à la justice.

Ce n'est pas à des attaques dirigées contre les honnêtes gens que le jury fera grâce. Chaque fois que la presse frappera juste, le jury lui donnera raison.

Messieurs, mon amendement, je le répète, implique l'attribution au jury du jugement des délits de presse et, le cas échéant, la fixation des dommages-intérêts.

Nous parlons des délits commis par la voie des journaux, mais il est encore une autre façon de porter, par la parole ou la plume, préjudice à autrui, et, sous ce rapport, c'est à tort que le décret du 20 juillet 1831 est intitulé : décret sur la presse.

Ce décret s'occupe d'autres délits que ceux commis par la voie de la presse. Il s'occupe des discours prononcés dans des lieux publics en présence d'un certain nombre d'auditeurs ; il s'occupe de placards, d'affiches imprimées et même d'écrits non imprimés.

Veut-on, pour les délits commis par ces divers modes de publicité, déclarer l'impunité des auteurs ?

L'auteur réel ou supposé du fait dommageable pourra-t-il donc, pour échapper aux conséquences de sa mauvaise action, se retrancher derrière son insolvabilité qui deviendra pour lui une inviolabilité ?

Je ne saurais donc accepter la proposition de mon honorable collègue qui supprime la contrainte par corps d'une manière trop absolue,

J'engage l'honorable M. Guillery à lire ma proposition et s'il pouvait s'y rallier, je crois que nous obtiendrons un nombre d'adhérents beaucoup plus considérable que si son amendement était maintenu dans sa forme première.

- La discussion est close.

M. le président. - L'amendement de M. Guillery se substitue complètement au projet de loi. C'est celui qui s'écarte le plus du projet. Celui de M. Rogier remplace les articles 1, 2 et 3.

Je dois donc mettre d'abord aux voix l'amendement de M. Guillery.

M. Guillery. - Je me rallie à l'amendement de l'honorable M. Rogier.

M. de Baets. - Je déclare reprendre l'amendement de M. Guillery.

- Des membres. - L'appel nominal !

- L'amendement de M. Guillery, repris par M. de Baets, est mis aux voix par appel nominal.

75 membres répondent à l'appel nominal.

28 votent pour l'amendement.

43 votent contre.

4 s'abstiennent.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption. MM. Allard, Bara, Bergé, Couvreur, Crombez, David, de Baets, De Fré, Defuisseaux, de Lhoneux, de Macar, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, Dupont, Elias, Guillery, Hagemans, Houtart, Le Hardy de Beaulieu, Pety de Thozée, Sainctelette, Thonissen, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem et Vermeire.

Ont voté le rejet :

MM. Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Biebuyck, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, Delcour, De Lehaye, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Dumortier, Hermant, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Magherman, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Nothomb, Rembry, Reynaert, Rogier, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Overloop, Verwilghen et Thibaut.

Se sont abstenus :

MM. Coremans, Delaet, de Moerman d'Harlebeke et Hayez.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Coremans. - Je désire l'abolition complète de la contrainte par corps ; je ne pouvais donc voter contre l'amendement de M. Guillery. Je n'ai pas voté pour cet amendement, parce que le Sénat a prouvé qu'il ne l'accepterait pas, et que le conflit entre le Sénat et la Chambre retient en prison des malheureux que je veux immédiatement libérer.

M. Delaet. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs.

M. de Moerman d'Harlebekeù. - Je me suis abstenu pour les motifs que j'ai développés hier dans mon discours et qui sont dans le rapport de l'honorable M. Nothomb.

M. Hayez. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. Coremans.

- L'amendement de M. Rogier est mis aux voix par appel nominal.

77 membres sont présents.

44 rejettent.

29 adoptent.

4 s'abstiennent.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté le rejet :

MM. Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Biebuyck, Brasseur, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Hayez, Hermant, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Magherman, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Overloop, Verwilghen et Thibaut.

Ont voté l'adoption :

MM. Allard, Anspach, Bara, Bergé, Couvreur, Crombez, David, de Baets, De Fré, Defuisseaux, de Lhoneux, de Macar, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, Dupont, Elias, Guillery, Hagemans, Houtart, L. Hardy de Beaulieu, Muller, Rogier, Sainctelette, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem et Vermeire.

(page 1679) Se sont abstenus :

MM. Drubbel, Nothomb, Thonissen et de Moerman d'Harlebeke.

M. Drubbel. - Messieurs, je suis, en principe, partisan de la compétence exclusive du jury pour tout ce qui concerne la presse. Je n'ai donc pas pu voter contre l'amendement proposé par l'honorable M. Rogier, puisque cet amendement, autant que je puis le comprendre, a pour but de restituer au jury la connaissance de tous les fails dommageables commis par la voie de la presse.

Je n'ai pu voter pour l'amendement, messieurs, parce que j'avoue en toute franchise n'en avoir pas saisi la portée. Il a été introduit au milieu de la discussion et le temps ne m'a pas été donné pour l'examiner et en saisir la portée pratique.

M. Nothomb. - Comme mon honorable voisin et ami, je n'ai pas saisi la portée de la proposition de l'honorable M. Rogier et dès lors je n'ai pu voter cette proposition.

Je n'ai pas voté contre, parce que je n'ai pu apprécier jusqu'à quel point elle rentre dans la proposition de M. de Baets, dont je reste un partisan décidé et convaincu.

M. Thonissen. - L'amendement présenté par l'honorable M. Rogier se rapproche des idées que j'ai défendues dans cette enceinte. Si on l'admettait, les journalistes ne pourraient plus être soumis à la contrainte par corps, si ce n'est après une déclaration de culpabilité par le jury. Mais, d'autre part, l'amendement maintient la contrainte par corps, dans les matières ordinaires, pour les condamnations aux dommages-intérêts, aux restitutions et aux frais, prononcées par les tribunaux criminels. Or, j'ai prononcé hier un discours pour repousser la contrainte par corps en ces matières. L'amendement rentrait ainsi dans mon système en un sens, mais il s'en éloignait dans un autre. J'ai donc été forcé de m'abstenir.

M. de Moerman d’Harlebeke. - Je me suis abstenu par les motifs qu'a développés l'honorable M. Nothomb.

- L'article premier est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Elle est maintenue en matière criminelle, correctionnelle et de police, pour l'exécution des condamnations aux restitutions, aux dommages-intérêts et aux frais. »

M. Lelièvre. - Pour l'interprétation de cet article, je pense qu'il est bien entendu que notre disposition n'est pas applicable aux amendes ex causa civili qui sont prononcées par les tribunaux civils, par exemple contre les notaires du chef d'infraction à la loi du 25 ventôse an XI et contre les officiers de l'état civil. Notre article est restreint taxativement aux matières criminelles, correctionnelles et de police. C'est ainsi que doit être interprétée la disposition dont nous nous occupons et j'ai proposé mon observation afin qu'il ne pût s'élever aucun doute à cet égard.

- L'article 2 est adopté.

Article 3

« Art. 3. Elle peut être prononcée en toute autre matière pour les restitutions, dommages-intérêts et frais, lorsqu'ils sont le résultat d'un fait prévu par la loi pénale ou d'un acte illicite commis méchamment ou de mauvaise foi. »

M. Drubbel. - Messieurs, j'ai demandé la parole uniquement pour motiver le vote approbatif que je vais donner à l'article et expliquer en même temps le vote négatif que tout à l'heure j'ai eu l'honneur d'émettre sur la proposition de l'honorable M. Guillery

Ainsi qu'on a déjà pu le pressentir, je suis, moi aussi, un adversaire de la contrainte par corps. Je la considère comme illégitime. A mes yeux, ce n'est pas un principe de justice, ce n'est pas une idée chrétienne qui lui sert de base.

Mais, d'autre part, il est moralement certain, à mes yeux, que la situation actuelle des esprits dans le Sénat rend la suppression radicale de la contrainte par corps ou même la suppression de l'article 3 du projet impossible dans cette assemblée.

Dès lors, il faut bien accepter la situation telle qu'elle s'impose à nous.

Je me suis posé la question que s'est posée l'honorable M. Thonissen. Seulement, je suis arrivé à une solution toute contraire : faut-il contribuer par son vote à faire passer le projet, quelque répugnance qu'on éprouve à maintenir la contrainte par corps en matière de presse ?

Car, il faut bien le dire, l'article 3 n'a en vue que les dommages-intérêts occasionnés par la presse ; comme l'a très bien dit l'honorable M. Bara, en dehors des faits de presse, je ne parviens pas à imaginer des faits à la fois dommageables et doleux qui ne constituent pas des délits.

Eh bien donc, je le dis, quelque répugnance qu'on éprouve à voter cet article, il faut cependant choisir : ou bien consentir à un ajournement de toutes les dispositions généreuses que renferme le projet de loi et qui sont d'une application plus générale et plus habituelle, ou bien maintenir pour la presse le statu quo.

Dans ces circonstances, je n'ai pas voulu contribuer par mon vote à ajourner le projet de loi et je voterai pour l'article par les motifs pour lesquels j'ai voté contre l'amendement de l'honorable M. Guillery.

M. de Baets - Je veux en deux mois motiver mon vote. Je voterai pour la suppression de l'article et, s'il est adopté, je voterai contre la loi. Voici pourquoi :

Je suis convaincu que la contrainte par corps est un abus d'un autre âge, qu'il faut faire disparaître. Je n'entends pas enlever à mes collègues de la Chambre leur liberté d'appréciation pleine et entière, mais je n'entends pas non plus, vis-à-vis de mes collègues et même vis-à-vis du Sénat, abdiquer ma liberté d'appréciation. Je ne veux pas de la contrainte par corps, je voterai donc contre la loi.

A mon sens, nous n'avons pas à régler notre conduite sur la conduite du Sénat ; nous sommes ici l'expression primitive et certainement plus populaire de l'opinion publique que les membres du Sénat. Je ne puis donc pas, dans une question de cette nature, abdiquer mon opinion devant le Sénat.

M. Van Humbeeck. - Il m'est impossible de souscrire à l'article 3, qui, à mon avis, constitue le vice capital du projet.

On a fait ressortir hier le caractère de cet article au point de vue constitutionnel ; on a montré qu'il était surtout dirigé contre la presse, qu'il lui faisait une position exceptionnelle, mais à rebours de celle que le Congrès avait voulu lui assurer.

Indépendamment du point de vue constitutionnel, l'article serait encore inadmissible ; en 1859, on considérait, avec raison, comme un progrès de ne plus voir dans la contrainte par corps qu'une épreuve de solvabilité.

(erratum, page 1704) En présence de l'article 3 et de l'article 5 qui en est le corollaire, elle ne sera plus une épreuve de solvabilité, mais une véritable peine. Pour que l'assimilation soit complète, on admet, comme pour les peines, une gradation entre un minimum et un maximum et comme à propos des peines encore, on veut que la gravité de la faute soit un des éléments qui guideront le juge appelé à se prononcer sur la durée de la contrainte par corps.

Eh bien, la contrainte par corps comme peine est tout à fait impossible à justifier ; ce serait dans votre article 3 une peine qu'on serait libre d'appliquer ou de ne pas appliquer, une peine arbitraire, ce qui nous reporte à l'enfance des législations criminelles ; ce serait une peine destinée à être appliquée lorsque le juge trouvera qu'il y a méchanceté ou mauvaise foi, une peine dont l'application sera ainsi déterminée uniquement par des appréciations de fait échappant à toute détermination légale ; une peine à propos de laquelle il n'y aura jamais de recours en cassation ni de recours en grâce.

Ce qui est moins admissible encore, c'est que la peine soit inégale ; et votre contrainte par corps est inégale à l'égard de ceux qu'elle frappe, inégale aussi à l'égard de ceux en faveur de qui vous prétendez la décréter. Cela saute aux yeux. Le pauvre sera frappé ; le riche échappera à la peine moyennant un sacrifice pécuniaire qui pour lui sera peut-être léger ; s'il est animé de sentiments de haine, il pourra même calculer à peu près d'avance combien de fois la loi lui permettra de les satisfaire.

La peine est inégale aussi à l'égard de ceux en faveur de qui vous prétendez la décréter.

Il faut, en effet, posséder des ressources pour se passer la fantaisie de mettre cette peine à exécution. (erratum, page 1704) Le pauvre ne pourra pas user des dispositions édictant cette peine contre l'auteur d'un acte illicite ; le riche seul sera admis à en profiter. C'est là une inégalité nouvelle.

Et voyez, messieurs, à quelles conséquences déplorables on aboutit avec un pareil système. Ce sont des malfaiteurs (le mot a été prononcé dans une. discussion précédente) que vous voulez frapper.

Or, parmi ces malfaiteurs, quels sont ceux que vous pourrez atteindre ? Mais uniquement ceux qui auront été arrêtés à moitié chemin de leur œuvre. Qu'un journaliste - puisque ce sont les journalistes qu'on craint surtout, - qu'un journaliste prenne à partie un négociant ; qu'il organise contre lui un système suivi de calomnie, qu'il l'attaque sans relâche ; s'il ne réussit qu'à faire perdre au négociant un ou deux clients, la victime pourra user de la contrainte par corps parce qu'il lui restera des ressources.

Mais si ce journaliste est parvenu à ruiner complètement le négociant, celui-ci ne trouvera plus dans votre loi qu'un moyen de réparation illusoire.

Ainsi, le malfaiteur arrêté à moitié chemin dans son œuvre de calomnie (page 1680) sera puni ; celui, au contraire, qui l'aura accomplie jusqu'au bout aura le bénéfice de l'impunité.

Ce sont là, messieurs, les considérations qui m'empêcheront de voter cette disposition ; je la considère comme véritablement monstrueuse. Elle ne me permet pas d'accepter le projet de loi tel qu'il est conçu.

Si, malgré les efforts que je tente en ce moment, cette disposition passait dans la loi, je me réserve d'arriver à en corriger au moins l'application en présentant un amendement à l'article 3.

M. Cornesse, ministre de la justice. - L'honorable M. Van Humbeeck remet en question un point qui a été décidé tout à l'heure par la Chambre, dans le vote sur l'amendement de l'honorable M. Rogier.

L'honorable M. Rogier, en effet, avait proposé à la Chambre de ne maintenir la contrainte par corps qu'en matière criminelle et correctionnelle, pour l'exécution des condamnations aux restitutions, dommages-intérêts et frais.

L'honorable M. Van Humbeeck s'élève contre la sanction de la contrainte pour les condamnations qui peuvent être prononcées par les tribunaux civils lorsqu'il s'agit de faits prévus par la loi pénale ou de faits illicites, commis méchamment ou de mauvaise foi.

II prétend qu'en introduisant cette disposition, nous dénaturons la contrainte par corps et que nous faisons de ce moyen d'exécution une véritable peine.

Mais, messieurs, je répète à la Chambre ce que j'ai déjà eu l'honneur de dire : nous n'innovons guère en cette matière ; nous n'introduisons pas de nouveauté ; nous maintenons purement et simplement la disposition de l'article 4, n°3 de la loi de 1859.

Déjà aujourd'hui en matière civile les tribunaux civils peuvent prononcer la contrainte par corps pour des faits prévus par la loi pénale en cas de dol, de fraude ou de violence. Nous maintenons cette disposition en la corrigeant, comme je le disais hier, en l'atténuant, en l'améliorant. On prétend que nous altérons la nature de la contrainte par corps en permettant au juge d'en fixer le terme d'après la gravité de la faute commise et l'étendue du dommage à réparer.

Mais, messieurs, c'est une profonde erreur. (Interruption.)

S'il y a ici quelqu'un qui dénature cette disposition, - que l'honorable M. Van Humbeeck me permette de le lui dire, - c'est M. Van Humbeeck lui-même. Il la dénature en attribuant son introduction dans la loi à une pensée, à une intention qui n'est pas la nôtre. Ce n'est pas pour aggraver la position du débiteur et le frapper plus rigoureusement que nous avons investi le juge du droit de déterminer la durée de la contrainte par corps d'après la gravité des faits, d'après les circonstances ; au contraire, messieurs, c'est pour faire disparaître un des reproches les plus justes qui aient été formulés jusqu'à présent contre l'exécution par corps.

Que disaient, en effet, les adversaires de la contrainte par corps ? Ils disaient ! N'est-il pas souverainement injuste de remettre à un créancier parfois passionné, vindicatif, cupide, le soin de fixer lui-même le temps pendant lequel il aura la faculté de détenir sort débiteur en prison ? N'est-ce pas armer un citoyen d'un pouvoir exorbitant dans un intérêt privé ?

Cette objection avait touché les membres du Sénat ; car la disposition dont il s'agit en ce moment fut formulée par la commission du Sénat. Nous l'avons adoptée dans un esprit de bienveillance pour les débiteurs. Nous avons cru ainsi améliorer considérablement la situation actuelle ; nous avons cru faire une chose excellente, dans l'intérêt des contraignables par corps en laissant aux tribunaux le soin de déterminer eux-mêmes, d'après l'appréciation du litige, le temps pendant lequel le créancier aura la faculté de détenir son débiteur en prison.

Messieurs, ce n'est pas du tout, comme on l'a dit, une disposition monstrueuse » que celle de l'article 3.

Du moment que l'on admet et tout le monde semble d'accord à cet égard, que les faits tombant sous l'application de la loi pénale exigent une garantie plus efficace de la réparation due à la victime, on doit admettre aussi cette garantie pour les créanciers, en matière de délits civils, en matière de faits illicites posés méchamment et de mauvaise foi.

N'y a-t-il pas une foule de faits extrêmement répréhensibles qui ne sont pas prévus par la loi pénale et qui peuvent entraîner la ruine d'un citoyen ? La justice et l'équité n'obligent-elles pas à admettre, dans ce cas, que l'individu qui a posé méchamment et de mauvaise foi un fait illicite, quoique ne tombant pas sous l'application de la loi pénale, doit être soumis, quant à la réparation du préjudice causé, aux mêmes règles que celui qui a commis un crime ou un délit caractérisé ? (Interruption.)

Celte sanction, quoi qu'on en dise, n'est pas une peine ; ce n'est qu'une épreuve, un moyen d'exécuter plus efficace d'assurer la réparation complète du dommage causé,

Messieurs, la contrainte existe aujourd'hui d'une manière générale, en vertu de la loi de 1859, en matière commerciale, en matière civile, contre les étrangers, en matière de deniers et effets publics, etc.

Tout cela va disparaître. Nous ne la maintenons plus que pour des faits prévus par la loi pénale et pour des faits illicites posés méchamment ou de mauvaise foi. Et ce maintien n'a lieu qu'avec de nombreuses atténuations quant au chiffre de la dette, quant à la durée de l'emprisonnement, quant à l'arbitraire du créancier, quant aux personnes qui y sont soumises. Et l'on nous accuse d'introduire dans la loi des dispositions monstrueuses !

Messieurs, ne perdez pas de vue que nous ne faisons pas ici une œuvre de théorie pure, que nous sommes liés par des précédents législatifs dont il est impossible de faire abstraction.

Sans doute, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. de Baets, il ne faut pas toujours et absolument tenir compte de l'opinion de l'une ou de l'autre Chambre pour proposer une mesure ; mais en toute matière et spécialement dans celle qui nous occupe, il importe de ne vouloir que ce qui est possible, pratique.

Ici, le gouvernement, pour arriver à un résultat immédiat et pratique, a dû s'inspirer de la composition des Chambres.

Eh bien, dans l'état des esprits, en présence de tout ce qui s'est passé, avec la composition actuelle du Sénat, nous avons la conviction qu'on ne peut guère espérer de voir triompher la cause des détenus pour dettes en toutes autres matières, si l'article 3 n'est pas adopté. Le conflit renaîtrait entre les deux Chambres et le statu quo serait maintenu.

Je crois donc que la Chambre fera preuve de sagesse et d'esprit pratique, en votant l'article 3.

M. Bara. - Messieurs, j'ai pris la parole pour demander ait gouvernement quelques explications sur l'article 3.

Je voudrais bien savoir ce que le gouvernement entend par « actes illicites. » L'article 3 dit : « Elle peut être prononcée en toute autre matière pour les restitutions, dommages-intérêts et frais, lorsqu'ils sont le résultat d'un fait prévu par la loi pénale ou d'un acte illicite commis méchamment ou de mauvaise foi. »

Il est évident que s'il y a lieu à des dommages-intérêts, l'acte doit être illicite. Si l'acte est licite, il ne peut donner lieu à des dommages-intérêts. Le mot « illicite » est donc parfaitement inutile.

Je demande quels sont les actes dont M. le ministre a voulu parler. Est-ce que les tribunaux de commerce vont encore avoir à prononcer la contrainte par corps ? On a dit constamment dans la discussion que la contrainte par corps était abolie en matière commerciale.

- Un membre. - Incontestablement.

M. Bara. - Incontestablement. Eh bien, je vais prendre la concurrence déloyale. Elle est un acte illicite, qui donne lieu à des dommages-intérêts, un acte commis méchamment et de mauvaise foi.

Vous maintenez la contrainte par corps dans ce cas ?

M. Cornesse, ministre de la justice. - Oui.

M. Bara. - Donc les tribunaux de commerce auront encore à prononcer la contrainte par corps.

Maintenant je suppose que, dans l'exécution d'un contrat, un particulier use de dol ou de fraude ou se refuse méchamment à payer alors qu'il avait promis payement à date fixe.

Ce sont encore des actes illicites, puisqu'on ne peut user de dol dans l'exécution d'un contrat et qu'on doit payer conformément à ses engagements. Y aura-t-il lieu à la contrainte par corps ? (Interruption.)

Mais alors il y aura encore contrainte par corps dans tous les cas. (Interruption.)

Messieurs, il s'agit de bien fixer le sens de la loi. Voilà une disposition qui va être appliquée. Eh bien, je suis commerçant, j'achète quelque chose, je dois de ce chef payer autant à telle date ; par toute espèce de dol, en dissimulant mes biens, je ne paye pas ; je commets un acte illicite, méchamment et de mauvaise foi pour ne pas payer. C'est le cas le plus fréquent du débiteur qui refuse de payer ; c'est le cas notamment de tous les effets de commerce de circulation. De telle sorte que vous avez aboli la contrainte par corps dans l'article premier et vous la rétablissez dans l'article 3. Vous vous êtes imaginé que vous aviez supprimé la contrainte par corps. Elle renaît tout entière par l'article 3. Pourquoi ? Parce que vous ne sauriez dire ce que c'est que votre acte illicite commis méchamment. (Interruption.)

II est positif que quand il y a deux plaideurs en présence, il y en a très souvent un qui est de mauvaise foi. Dans beaucoup de jugements et d'arrêts vous trouvez que telle partie a agi de mauvaise foi, en matière commerciale, donc vous pouvez être convaincu que pour un très grand nombre de cas, les commerçants resteront soumis à la contrainte par corps.

(page 1681) Si tel est votre projet, si vous n'avez pas voulu interdire aux tribunaux de commerce de prononcer la contrainte par corps, la disposition que vous proposez permettant aux tribunaux de commerce de prononcer la contrainte par corps, je dis que vous rétablissez la contrainte par corps pour un grand nombre de cas ; car les avocats demanderont la condamnation par corps du débiteur en invoquant des faits de dol, de fraude et on sera obligé de constater par enquête le dol et la fraude.

Voilà, messieurs, un premier point.

Voyez maintenant combien la réforme qu'on nous propose va être nuisible aux négociants. Actuellement, les négociants défendaient, leur droit devant les tribunaux de commerce et ils n'avaient pas besoin d'invoquer le dol ni la fraude pour obtenir la contrainte. Désormais, le demandeur sera obligé de le faire ; le défendeur contestera et on sera obligé de faire des enquêtes. Vous allez donc multiplier les procédures et vous allez introduire une procédure qui aura pour effet de multiplier les condamnations pour dol et pour fraude. Une personne qui aura contesté de mauvaise foi un poste d'un compte sera condamnée pour dol et pour fraude, sera flétrie par un jugement, ce qui actuellement n'était pas nécessaire.

Je vais signaler à la Chambre une singularité de la disposition que nous discutons :

Voici un journaliste qui cumule le journalisme et le commerce, il y a des gérants de journaux qui sont en même temps négociants ; le journaliste qui se trouve dans cette position est, par un article, condamné de la contrainte par corps ; il dépose donc son bilan et les portes de la prison lui sont ouvertes, tandis que le journaliste non-commerçant reste en prison. (Interruption.)'

Et vous appelez cela une législation ! Je dis que c'est une législation pour rire. (Interruption.)

Voici un journaliste commerçant ; il commet tous les faits prévus par votre loi ; il a encouru des condamnations à la contrainte pour une année de prison ; il dépose son bilan et tout est dit, car on ne peut plus exercer la contrainte par corps contre un commerçant en faillite, c'est-à-dire que votre loi n'est pas applicable à celui qui cumule les actes de mauvaise foi avec la faillite.

C'est un encouragement à la presse, à faire entrer dans le journalisme des gens qui joindront à leur profession un petit commerce quelconque. C'est une nouvelle catégorie d'exempts ajoutés aux septuagénaires, aux filles et aux femmes. (Interruption.)

On n'a jamais vu une loi plus contraire à tous les principes. Elle prétend punir le mal et elle ne s'applique pas à la moitié de ceux qui peuvent le commettre.

Que dirait-on d'un code pénal qui punirait l'assassinat commis par les hommes et ne punirait pas l'assassinat commis par les femmes ? Un pareil code ne serait-il pas la risée de l'Europe ?

Eh bien, messieurs, on ne commine contre des actes méchants la peine de la contrainte que contre les hommes.

M. Cornesse, ministre de la justice. - Cela existe déjà aujourd'hui.

M. Bara. - Pas dans les mêmes conditions ; c'est comme épreuve de solvabilité.

Votre observation dérive de l'erreur dans laquelle vous versez constamment.

Dans la loi de 1859, on ne supprime pas la contrainte par corps. On la maintient en en restreignant l'application en matière civile, mais on la maintient comme épreuve de solvabilité.

Mais aujourd'hui, on supprime la contrainte par corps et vous la rétablissez uniquement en vue de certains délits que vous appelez civils. Et quand vous la rétablissez pour punir des actes mauvais, illicites, vous ne devez pas vous inquiéter du sexe de la personne qui a commis ces actes, puisque la contrainte n'est plus une épreuve de solvabilité, mais une peine à graduer selon la méchanceté de l'acte.

Je comprends la loi de 1859, mais, dans votre système, M. le ministre, Vous faites de la contrainte par corps une véritable peine que vous graduez selon la méchanceté de l'acte, et alors vous ne pouvez pas en exempter les femmes.

Et si vous en faisiez réellement une épreuve de solvabilité, vous devriez graduer la peine selon l'état de fortune présumée du condamné.

En effet, si vous êtes devant un homme qui a 10,000 francs de rente, et qui ne peut pas payer, vous devriez le condamner à une peine plus forte que celui qui n'a pas de fortune du tout ; ce serait le seul moyen de le faire payer.

Vous ayez donc, comme le disait l'honorable M. Van Humbeeck, fait de la contrainte par corps une peine au lieu d'un moyen d'obtenir le payement des dommages-intérêts.

Je dis qu'il est triste de voir un pareil article faire son entrée dans la législation pénale.

Si l'honorable ministre de la justice avait voulu, les passions étant calmées au Sénat, discuter de nouveau cet article, j'ai l'intime conviction qu'il aurait obtenu une modification qui aurait rendu cet article meilleur,

Mais la loi qui nous est soumise n'est pas digne du législateur.

Prétendre que la disposition que nous discutons est nécessaire pour garantir l'honneur des citoyens et soustraire à son application les femmes, les faillis et les septuagénaires, cela n'est pas admissible.

Je demande que M. le ministre de la justice réponde aux questions et aux observations que je lui ai posées et je propose le renvoi de l'article 3 la section centrale pour qu'il puisse être revu.

M. Guillery. - Messieurs, j'étais favorable quant à moi, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, à l'idée du projet de loi, parce que je croyais qu'il en sortirait une transaction acceptable pour tout le monde.

C'est dans cet ordre d'idées que je m'étais rallié à l'amendement de l'honorable M. Rogier, parce que je le considérais comme pouvant amener cette transaction si désirable entre les deux branches de la législature.

Mais si nous faisons un pas et un pas qui nous coûte, on ne fait pas un seul pas vers nous. Non seulement on ne veut rien concéder, mais on désespère du Sénat, même avant de lui avoir soumis la question. Le Sénat n'est plus l'assemblée qui a rejeté le projet primitif ; on pouvait donc, avant de se déclarer vaincu, tenter au moins une conciliation. Au lieu de cela, on nous propose, à un changement insignifiant près, le système adopté par le Sénat avant sa dissolution.

J'ai demandé la parole surtout parce que j'ai entendu M. le ministre de la justice dire : Nous n'innovons pas, nous maintenons ce qui existe aujourd'hui à l'égard de la presse. Je ne puis laisser passer aucune occasion de protester contre cette assertion. Au contraire, le projet actuel est une innovation ; ce sera la première fois en Belgique que la presse aura été l'objet d'une mesure exceptionnelle contre elle.

L'honorable M. Drubbel a reconnu avec beaucoup de loyauté, de même que l'honorable rapporteur de la section centrale, que l'article est maintenu contre la presse spécialement. Il n'y a pas de doute à cet égard. Eh bien, alors que nous vivons sous l'empire d'une Constitution qui a établi un régime exceptionnel en faveur de la presse, proscrivant l'arrestation préventive en cette matière, ordonnant la juridiction par le jury, modifiant, en faveur de la presse, les règles de la complicité ordinaire, nous allons voter une loi qui renverse ce système, qui fausse complètement l'esprit de la Constitution, qui va faire directement le contraire de ce qu'elle a ordonné. Voilà en quoi vous innovez.

Autrefois et aujourd'hui encore, sous l'empire de la législation qui nous régit, on a eu au moins l'apparence de la raison puisqu'on invoquait contre la presse le droit commun. On ne pourra plus le faire désormais, c'est un droit exceptionnel qu'on vous propose de formuler dans la loi.

Telle était l'observation que je désirais faire. Mais puisque j'ai la parole, je désire revenir sur une observation faite maintes fois déjà, mais que je crois nécessaire de reproduire.

De deux choses l'une : ou il s'agit d'une peine ou il ne s'agit pas d'une peine. D'après M. le ministre de la justice, il s'agit d'une peine nécessaire contre les auteurs d'un fait illicite commis méchamment. S'il faut une peine, établissez-en une, mais établissez-la avec les garanties qui entourent, pour les prévenus et pour les condamnés, les condamnations à une peine ; établissez une peine pour un délit qui sera défini avec un peu plus de précision que celui-ci ; établissez une peine avec le recours en cassation et le recours en grâce comme l'a fait remarquer tout à l'heure mon honorable ami M. Van Humbeeck.

Au lieu de cela, au moyen d'un texte d'un vague effrayant, d'un texte qui permet tout, vous établissez ce que vous reconnaissez vous-mêmes être une véritable peine, mais une peine à l'usage du pauvre, une peine contre les gens dont le premier crime est de ne pas avoir de quoi payer.

On divise les Belges, qui sont déjà divisés en beaucoup de catégories ; il y avait déjà des Belges de première classe, les éligibles au Sénat ; des Belges de deuxième classe, les électeurs et des Belges de troisième classe qui ne sont rien du tout.

Eh bien, au point de vue du délit spécial que nous allons créer, les Belges vont être divisés en deux autres catégories.

Je proposerais volontiers un amendement ainsi conçu, qui aurait au moins le mérite de la franchise :

« La présente loi n'est applicable qu'aux Belges qui ne sont pas favorisés de la fortune. »

(page 1682) On nous demande, au nom de la justice et de l'égalité, de revenir sur la loi relative au remplacement. Soit. Ce serait supprimer un privilège. Mais on nous propose, comme compensation sans doute, d'établir un autre privilège : celui de ne pas être soumis aux lois répressives quand on jouit d'une certaine position sociale.

Il me sera impossible, dans ces conditions, de voter l'article 3.

M. Cornesse, ministre de la justice. - M. Bara a employé des expressions extrêmement vives pour qualifier la disposition de l'article 3 et la loi tout entière.

Il a dit que c'était un projet pour rire, dont l'adoption rendrait le parlement belge la risée de l'Europe, etc., etc.

L'honorable M. Bara a l'habitude d'employer ces expressions colorées et cette longue habitude enlève à ses qualifications et à ses appréciations le crédit que sa qualité d'ancien ministre et sa position dans cette Chambre pourraient leur donner. Que M. Bara soit coutumier de ces écarts de langage, c'est ce qu'il me sera facile de démontrer en ne portant pas des débats sur la matière qui nous occupe.

M. Bara a qualifié de gâchis l'œuvre que le Sénat avait élaborée ; il a traité avec une hauteur et un dédain superbes les idées de l'honorable M. Barbanson, l'une des gloires du barreau belge et certainement l'un des jurisconsultes les plus éminents du pays.

M. Bara. - Je maintiens mon mot.

MjC. - Quand la question est venue devant la Chambre, le rapport de la section centrale était l'œuvre commune des jurisconsultes les plus savants et les plus distingués ; dans cette section siégeaient notamment, pour ne prendre que deux noms, MM. Tesch et Delcour ; eh bien, comment M. Bara traitait-il ces honorables membres qui ne partageaient pas ses vues et combattaient ses propositions radicales ?

Il allait jusqu'à accuser ces hommes éminents de n'avoir pas même compris ce qu'ils faisaient, d'avoir élaboré une œuvre qui, pour me servir d'une expression triviale, n'avait ni queue ni tête ; ils n'avaient pas compris son projet ; ils n'en avaient pas saisi le ressort juridique ni la base rationnelle.

M. Bara. - J'ai répondu à cela.

M. Cornesse, ministre de la justice. - Je sais que vous avez réponse à tout. Mais je constate simplement que vous avez employé souvent des expressions exagérées, dans le genre de celles dont vous vous servez aujourd'hui, vis-à-vis des hommes les plus dignes de respect et de considération, et que dès lors vos qualifications sont sans portée et sans valeur vis-à-vis de celui qui tient aujourd'hui la place que vous avez occupée pendant cinq années.

Aux yeux de M. Bara, lui seul est logique, conséquent, intelligent ; lui seul comprend la question et tous ses adversaires ne sont que des ignorants.

Mais laissons là, messieurs, ces qualifications qui devraient être proscrites de nos débats ; tâchons de nous respecter et de nous estimer les uns les autres ; ne nous jetons pas à la tête ces reproches d'ignorance, d'inintelligence, peut-être même d'hypocrisie et de mauvaise foi, qui finiraient par dénaturer et irriter à l'excès les discussions, si ces procédés entraient dans nos mœurs parlementaires. Restons polis et convenables ; nous ne pouvons qu'y gagner en respect, en dignité et en prestige.

Je suis d'autant plus étonné d'avoir entendu les qualifications de M. Bara appliquées à l'article actuellement en discussion que cet article a été accepté par un homme à qui M. Bara ne refusera sans doute ni l'intelligence, ni la perspicacité, ni les connaissances juridiques, par l'honorable M. Frère-Orban lui même, qui, au Sénat, dans la séance du 12 juin 1869, a proposé un article qui est textuellement conçu dans le même sens que l'article 3.

Je lis dans les Annales :

« M. le président. - M. le ministre des finances propose un article 3 nouveau ainsi conçu :

« Il en sera de même pour les condamnations à des restitutions ou dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par tout acte illicite, commis méchamment ou de mauvaise foi, et pour les sommes excédant 300 francs. »

M. Bara. - Quelle page ?

M. Cornesse, ministre de la justice. - Page 279, in fine. Annales parlementaires du Sénat ; séance du 12 juin 1869.

Nous voilà, messieurs, il faut en convenir, en assez bonne société pour être la risée de l'Europe entière. (Interruption.)

Et nous serions la risée de l'Europe, messieurs, non seulement avec le Sénat belge, avec l'honorable M. Frère qui faisait sienne cette proposition du Sénat, mais aussi avec la législation d'une nation libre qui nous avoisine, la législation hollandaise ; cette législation contient précisément les expressions qui sont reproduites dans notre projet. Elle maintient la contrainte par corps comme un moyen nécessaire pour assurer la réparation civile du dommage causé par des méfaits ou des actes illicites.

Voilà donc encore une fois l'acte illicite, qui effarouche si fort l'honorable M. Bara, consigné dans un document législatif d'une nation prudente et libre dont les institutions se rapprochent beaucoup des nôtres, et je n'ai pas appris, ni M. Bara non plus apparemment, que cette disposition ait produit en Hollande les inconvénients que l'on redoute.

Au surplus, quel doute peut-on concevoir sur la signification des mots « acte illicite » ? Il est évident, que ces mots n'ont pas besoin de définition. Chacun les comprend aisément.

On a dit souvent que toute définition est dangereuse, omnis definitio periculosa. Ici, elle est inutile. Il y a bien des locutions juridiques qui ne sont pas définies et cependant les lois qui les contiennent sont appliquées tous les jours. Ainsi, le dol, la fraude, la violence, les manœuvres en matière d'escroquerie, les actes contraires aux bonnes mœurs, etc.

L'appréciation des faits qui constituent le dol, la fraude, les manœuvres, messieurs, est abandonnée à la sagesse et à la prudence des tribunaux. Il en sera de même pour l'acte illicite.

Est-ce qu'on est la risée de l'Europe parce qu'on introduit une disposition dont tout le monde saisit la signification et que les tribunaux sont chargés d'appliquer ?

Aux mots « acte illicite » nous ajoutons « commis méchamment et de mauvaise foi. » Ce mot « méchamment » n'est-il pas employé à chaque instant dans le code pénal sans que nulle part il en existe une définition ?

M. Bara pourrait-il définir la méchanceté ?

Néanmoins, les tribunaux n'éprouvent jamais de difficulté à se prononcer sur le caractère des actes qu'ils ont à apprécier et sur l'application de la loi aux faits.

Voilà, messieurs, ma réponse à la première observation présentée par l'honorable M. Bara.

L'honorable membre m'a posé une autre question. Il me demande si la contrainte par corps existera encore en matière de commerce.

Messieurs, la contrainte par corps existera en toutes matières, le texte le dit, lorsque les conditions spécifiées dans la loi seront remplies.

M. Bara s'en plaint.

Mais je trouve la prétention de l'honorable membre vraiment singulière ! Aujourd'hui la contrainte par corps existe en matière de commerce à raison de la nature de la dette ou de la profession des contractants ; il suffit qu'une opération soit commerciale ou faite entre commerçants pour que la contrainte par corps vienne sanctionner les engagements. Nous ne maintenons la contrainte en matière de commerce que quand il y a dol, fraude, acte illicite posé méchamment ou de mauvaise foi et l'honorable M. Bara se récrie ! Mais s'il n'en était pas ainsi, vous établiriez, en matière de commerce, un privilège à rebours. Le commerce, qui a aujourd'hui, dans tous les cas et pour toutes dettes, la garantie de l'emprisonnement corporel, ne jouirait même plus du droit commun ! Cela ne peut pas être.

En le faisant, nous rendrions aux commerçants et au commerce, M. Bara, un détestable service qui, à coup sûr, nous exposerait à être la risée de l'Europe commerciale tout entière. Ce serait une véritable absurdité, ce serait donner une prime à la mauvaise foi, en matière de commerce, que de couvrir les relations commerciales d'une impunité absolue en cas de dommages causés par des actes coupables et répréhensibles : ce serait permettre aux commerçants de marcher en toute liberté sur la lisière du code pénal, de commettre les actes les plus répréhensibles sans que la réparation de leurs méfaits fût sanctionnée par la contrainte par corps.

On me demande aussi, messieurs, si lorsque, dans l'exécution d'un contrat, un individu se rendra coupable d'un fait illicite, méchamment et de mauvaise foi, la contrainte par corps viendra également sanctionner les dommages-intérêts qui seront alloués à la victime. Ici encore, je n'hésite pas à répondre affirmativement. Il doit en être ainsi, et c'est ce qui différencie quelque peu le projet du gouvernement de l'amendement qu'avait présenté l'honorable M. Watteeu.

La commission de la Chambre des représentants, dans le rapport qu'elle a fait le 27 mai 1869, caractérisait parfaitement la position sur ce point.

« L'amendement de l'honorable M. Watteeu se place en quelque sorte, disait le rapport, entre le projet du gouvernement et le projet de la section centrale. Il rejette la contrainte par corps en matière de contrat, mais il la maintient pour assurer le recouvrement des condamnations prononcées à titre de réparation d'un préjudice matériel ou moral procédant d'un fait indépendant de toute convention, si l'auteur du fait est convaincu d'avoir agi de mauvaise foi ou dans le but de nuire.

(page 1683) « L'article 3 du projet du Sénat sa rapproche de l'amendement de notre honorable collègue ; il s'en sépare en deux points. La contrainte par corps pourra être prononcée encore : 1° contre celui qui, s'étant rendu coupable de dol ou de fraude dans un contrat, est condamné de ce chef à des dommages-intérêts ; 2° contre le débiteur qui, postérieurement au contrat, a eu recours à des moyens doleux ou frauduleux pour échapper à l'exécution de la convention.

« Cette différence n'a pas, aux yeux de la majorité de la commission, une bien grande importance. La majorité a donné la préférence au projet du Sénat, parce qu'il prévoit une hypothèse dans laquelle il s'agit moins de l'exécution du contrat que d'un fait doleux et coupable. Mais nous ne saurions assez répéter que les deux projets rejettent la contrainte par corps comme moyen d'exécution des conventions. »

Ce passage contient la réponse a fa question de l'honorable M. Bara.

L'honorable M. Bara a posé un cas, celui où un individu débiteur vend son patrimoine et se soustrait ainsi à l'exécution du créancier ; l'honorable membre demande si la contrainte par corps sera prononcée dans ce cas. Franchement, messieurs, cette question ne me paraît avoir aucun caractère sérieux.

Si, par collusion ou fraude, le débiteur soustrait ses biens à la poursuite de son créancier, celui-ci pourra faire annuler ces actes collusoires ou frauduleux et il récupérera ainsi ce qui constituait son gage. Il n'y a pas lieu à dommages-intérêts. Mais si la collusion et la fraude exercées méchamment causent un préjudice donnant ouverture à une action en dommages-intérêts, la sanction de la contrainte existera. Si le débiteur n'a fait qu'aliéner ses biens, il a usé de son droit, s'il n'existait aucune cause de préférence en faveur du créancier, et dans ce cas il ne serait pas possible de le faire tomber sous l'application de la loi.

M. Drubbel. - Messieurs, j'avais demandé la parole tout à l'heure, à propos de l'interprétation donnée par l'honorable M. Bara à l'article 3. Je voulait faire observer que le mot « illicite » était loin d'être une redondance ; que le mot « illicite » était indispensable dans la loi.

Ainsi que j'ai toujours entendu l'article 3, cette disposition prévoit et ne prévoit que le cas prévu par l'article 1382 du code civil, mais accompagné de méchanceté ou de mauvaise foi. Aux termes de cet article 1382, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

Le mot « faute », dans cet article, suppose nécessairement un fait illicite ; car il est logique, naturel, il va de soi que celui qui ne fait qu'user de son droit ne peut, juridiquement parlant, nuire à personne. Le mot « illicite » est donc indispensable.

L'article 3, d'après lès termes dans lesquels il est conçu, ne s'applique pas, à mon avis, aux contrats ou aux conventions proprement dites.

Si je me trompais, si je faisais erreur dans mon appréciation, je prie à mon tour M. le ministre de la justice de s'expliquer à cet égard, pour qu'il n'y ait point d'équivoque.

M. Lelièvre. - La disposition qui fait l'objet du débat me semble la conséquence de l'article 2 déjà voté, et on ne pourrait, à mon avis, sanctionner une autre prescription sans introduire dans la législation une anomalie injustifiable.

En effet, l'article 2 prononce la contrainte par corps en matière criminelle, correctionnelle et de police ; ainsi même lorsqu'il ne s'agit que de faits présentant le caractère de l'imprudence ou de la simple faute, les dommages et intérêts résultant d'une contravention de police pourront être adjugés sous peine de la contrainte par corps.

Or, s’il en est ainsi, est-il possible de ne pas rendre au moins facultative la contrainte par corps, lorsqu'il s'agit d'un acte illicite, commis méchamment ou de mauvaise foi ?

Evidemment un acte illicite commis avec mauvaise foi ou intention méchante ne peut jouir d'une faveur que l'on dénie à une simple contravention de police.

Le vote de l'article 3 est donc indispensable pour maintenir l'harmonie entre les diverses dispositions du projet. Du reste on sait ce que signifient les expressions « actes illicites. » Ce sont les faits dont s'occupe l'article 1382, du code civil et aussi tous actes de dol qui seraient commis même par l'une des parties dans l'exécution d'un contrat.

Ainsi, je suppose qu'un débiteur commette dès actes doleux, soit à l'occasion, soit dans l'exécution de la convention, si de pareils faits engendrent dés dommages et intérêts, il y aura faculté pour les tribunaux de prononcer la contrainte par corps pour garantir l'exécution du jugement.

Notre article sera donc applicable même aux valeurs commerciales, lorsque l'une des parties aura commis des faits de dol et de fraude ou tous autres actes illicites ayant donné lieu à des dommages et intérêts.

Voilà qui résulte de notre disposition et je maintiens que ce résultat est conforme aux principes.

M. Bara. - Je me permettrai d'abord de protester contre le droit que s'est arrogé M. le ministre de la justice de censurer, bien à tort, les paroles que j'ai prononcées dans cette enceinte. Je ne crois pas que le cabinet soit en situation pour donner de pareilles leçons. Il y a des faits trop récents qui devraient rappeler au cabinet que ce n'est pas à lui à prêcher les convenances dans cette enceinte. (Interruption.)

Messieurs, le procédé de M. le ministre de la justice, de plus, n'est pas convenable. Il a agi sans aucune espèce de justice. Il a cité des paroles que j'avais prononcées dans la discussion de 1869 au sujet de l'œuvre de la commission de la justice du Sénat. Mais M. le ministre de la justice à oublié de dire, quoiqu'il ait dû les lire aux Annales, à quelles espèces d'injures je répondais. Quand j'ai qualifié de gâchis l'œuvre du Sénat, je répondais à un rapport du Sénat qui avait qualifié de la manière la plus incroyable et la plus outrageante, j'en appelle à. l'honorable M. Thonissen, du projet de loi voté par la Chambre. La commission avait traité l'œuvre de l'abolition de la contrainte par corps que vous aviez votée en grande majorité, que presque toute l'Europe a adoptée, comme une œuvre improvisée, irréfléchie, résultant d'une franchise brutale, cynique, défendue par un langage adieux, révoltant pour toutes les consciences.

Voilà comment nous avions été traités dans un document parlementaire, sans aucune espèce de protestation de la part des membres, du Sénat. Je répondais à ce document, et le mot « gâchis » dont je me suis servi, et qui du reste est parlementaire, était bien au-dessous des outrages qu'on avait prodigués au gouvernement et à la Chambre,

M. le ministre de la justice aurait dû indiquer dans quelles circonstances je me suis servi de cette expression, et vous auriez trouvé que l'expression n'était pas déplacée ; c'était l'expression de la juste indignation dont j'étais animé en présence d'attaques imméritées et de la dernière violence dont nous avions été l'objet. (Interruption.)

Mais, messieurs, l'honorable ministre de la justice se plaint ; je ne sais vraiment pourquoi il intervient dans le débat. La question ne lui est pas personnelle. Quel mérite a-t-il dans ce projet ? Il n'a pas eu d'autre mérite que de l'avoir mis sous son bras et de l'avoir déposé sur le bureau. Ce projet n'est pas son œuvre, elle a été rédigée au Sénat. Votre article 3 se trouve dans le projet de M. Barbanson ; il s'y trouve absolument dans les mêmes termes. Seulement il a admis la contrainte facultative ; il a substitué aux mots : « la contrainte est prononcée », les mots : « la contrainte peut être prononcée. » « Peut » au lieu de « est », voilà toute votre part dans le projet. Mais est-ce ce changement qui fait l'objet des critiques que j'ai dirigées contre l'article 3 ? Ce que nous attaquons, c'est le système et vous ne l'avez pas inventé ; c'est au Sénat qu'il est dû.

Mais ce qu'il y a de curieux, c'est que M. le ministre de la justice prétend que c'est l'honorable M. Frère-Orban qui est le rédacteur de cet article. Je me demande comment il a pu produire dans cette enceinte une pareille assertion.

Voici ce qui se trouve à la fin de la page 279 des Annales parlementaires du Sénat :

« M. le président. - M. le ministre des finances propose un article 3 nouveau ainsi conçu :

« Il en sera de même pour les condamnations à des restitutions ou dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par tout acte illicite, commis méchamment de mauvaise foi et pour les sommes excédant 300 francs. »

Et parce que vous avez vu cela dans les Annales parlementaires, vous n'êtes pas allé vérifier si M. Frère était réellement l'auteur de cette rédaction.

Mais si le ministre des finances avait proposé cela, comment y aurait-il eu conflit ? Si le ministre des finances avait proposé ce texte, qui est l'amendement de M. Barbanson, nous aurions été d'accord avec le Sénat. (Interruption.) Mais cela est clair.

M. Cornesse, ministre de la justice. - Cela n'est pas clair du tout. M. Frère a proposé spontanément cette disposition, non pas comme conforme à la manière de voir qu'il aurait voulu faire admettre, mais comme moyen de conciliation. (Interruption.) Voici ce que porte le compte rendu des Annales :

« M. Frère-Orban, ministre des finances. - Nous, messieurs, qui sommes animés, non pas simplement en paroles, mais en actes, d'un vrai et sincère désir de conciliation, nous qui croyons que, dans les (page 1684) circonstances actuelles, il importe qu'il y ait accord entre les pouvoirs publics nous voulons nous montrer conciliants et nous faisons des propositions nouvelles qui sont de nature à donner satisfaction à tous les hommes raisonnables.

« On a dit, messieurs, que, d'après le texte qui avait été adopté par la Chambre des représentants, ceux qui auraient été victimes d'un crime ou d'un délit ne sauraient plus récupérer les dommages-intérêts qui leur seraient alloués par la voie de la contrainte par corps. Cette situation fait, en grande partie, les frais du rapport de l'honorable M. Barbanson.

« Eh bien, messieurs, nous ne verrions, pour notre part, aucun inconvénient à faire acte de modération et de conciliation, en modifiant l'article 2 du projet de loi, qui serait rédigé en ces termes :

« Les jugements et arrêts portant condamnation à des restitutions ou à des dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé par des crimes ou délits, seront exécutés par la voie de la contrainte par corps, pour les sommes excédant 300 francs, lorsque les crimes ou délits auront été reconnus par la juridiction criminelle,,

« M. le baron d'Anethan. - C'est la loi française..

« M. Frère-Orban, ministre des finances. - C'est la loi française. Viendrait ensuite l'article 3, comme dans le projet amendé, sauf que la rédaction devrait être changée par suite de la modification des termes de l'article 2.

« On dirait : « Il en sera de même pour les condamnations à des restitutions ou à des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par tout acte illicite commis méchamment ou de mauvaise foi pour les sommes excédant 300 francs. ».

Ainsi donc, en termes de conciliation, M. Frère faisait au Sénat la proposition d'accepter les termes de la disposition de l'article 3, et l'honorable M. Bara ne trouvait pas alors que ce texte, qui est le même que celui du projet soumis à vos délibérations, dût-nous rendre la risée de l'Europe. C'est la seule chose que j'aie voulu établir.

M. Bara. - Ainsi, messieurs, vous le voyez, la conduite de l'honorable ministre de la justice est réellement impardonnable. Vous avez tronqué le discours de M. Frère...

M. le président. - M. Bara, je vous prie de retirer cette expression.

M. Bara. - Je n'inculpe pas les intentions, mais je dis que le langage de M. le ministre de la justice dénature ce qu'a dit au Sénat l'honorable M. Frère.

Que s'est-il passé ici ?

J'ai attaqué l'article 3 comme vicieux en tous points, M. le ministre de la justice me répond : « L'auteur de cet article c'est M. Frère-Orban » et il prend pour le prouver un lambeau des Annales parlementaires. Or, qu'a fait M. Frère-Orban ? II a dit au Sénat : J'accepte comme transaction (Interruption à droite). Vous avez peur qu'on explique ce qui s'est passé au Sénat.

M. Frère-Orban dit : Devant un projet de loi qui contient quatre articles nous allons voter l'article 2 et là j'admets que vous prononciez la contrainte par corps pour dommages-intérêts résultant de crimes et de délits, et alors, ajoutait-il, par suite de ce vote il y a lieu de faire une modification à l'article 3 ; et M. le ministre de la justice part de là pour dire que c'est M. Frère-Orban qui a proposé l'article 3. La rédaction de l'article 3 est l'œuvre du Sénat ; vous le trouvez dans les documents parlementaires. Eh bien si vous apportez dans cette enceinte une pareille manière de discuter, je ne vous en félicite pas. Venir prétendre que le ministre des finances a proposé lui-même l'article du projet qui faisait l'objet de toutes nos résistances, que nous avons combattu avec énergie, il faut avouer que c'est un peu fort ! M. le ministre de la justice averti sans doute, en lisant isolément ce lambeau des Annales parlementaires, nous mettre en défaut et dans l'impossibilité de réfuter ce qu'il disait.

Mais, messieurs, l'honorable ministre veut persuader à l'opinion publique que sa disposition n'est pas un gâchis, ce que je maintiens, car je ne retirerai pas ce que j'ai dit sur l'article 3 au Sénat et à la Chambre.

Mais M. le ministre ferait bien de répondre au discours que j'ai prononcé. Il n'a pas répondu à mes objections. Il est aussi en complète contradiction avec l'honorable M. Drubbel et d'autres membres ; dans l'esprit desquels c'était seulement aux faits de l'article 1782 du Code civil commis méchamment que s'appliquait la contrainte par corps.

C'étaient des délits civils de mauvaise foi que l'on voulait atteindre.

Mais les actes doleux, dans l'exécution des contrats, échappaient à la contrainte par corps.

J'ai toujours dit qu'il était impossible de trouver une rédaction convenable en se plaçant à côté des principes.

La vérité est que l'on voulait atteindre la presse.

J'ai demandé à l'honorable ministre de la justice de me dire si le journaliste, condamné à des dommages-intérêts recouvrables par la contrainte par corps, et qui se met en faillite, échappe à la contrainte.

M. le ministre ne répond pas, et il n'explique pas cette incroyable exception.

Je lui demande pourquoi les femmes, les filles échappent à la contrainte par corps, du moment que c'est une peine. Il ne répond pas.

M. le ministre me dit : Retirez votre critique de l'article 5. Ce sont les honorables MM. Tesch, Barbanson et Delcour qui ont rédigé l'article 3.

Mais il me dirait que ces honorables membres ont formulé une disposition qui punit l'assassinat par les hommes et ne punit pas l'assassinat par les femmes, que je lui répondrais que cela est en dehors de tous les principes. Je n'attaque pas les hommes, je critique le texte de loi qu'on nous soumet.

Une dernière observation.

On vient de voir que le désaccord le plus complet existe, dans cette Chambre, sur la portée de l'article 3 ; il y a un dissentiment important entre les honorables MM. Drubbel et Lelièvre.

Et cette disposition va être livrée aux tribunaux sans que les débats de la Chambre en aient fixé le sens précis.

Je demande si cela est digne du législateur.

Je demande s'il ne vaudrait pas mieux renvoyer l'article à la section centrale pour en déterminer la portée et formuler une rédaction claire et précise..

- Voix nombreuses. - La clôture !

M. Dupont (contre la clôture). - Je ne viens pas prendre part au débat ; mais M. Bara a posé des questions importantes qui devraient, il me semble, avoir une réponse.

Il a demandé au gouvernement s'il maintenait son appréciation en présence de la divergence d'opinions qui s'est manifestée entre M. Drubbel et M. Lelièvre sur l'interprétation à donner à l'article.

Si la Chambre ne sait pas elle-même ce qu'elle vote, à coup sûr les tribunaux seront fort embarrassés d'interpréter la loi.

Il est impossible que dans ces conditions la clôture soit prononcée.

Le gouvernement doit déclarer d'une façon catégorique quelle est l'interprétation que le projet doit recevoir.

M. Nothomb, rapporteur. - L'attention de la section centrale n'a pas été attirée spécialement sur l'interprétation de. l'article 3. Mais dans mon opinion l'interprétation qu'il sied de lui donner est celle que viennent d'énoncer M. le ministre de la justice et M. Lelièvre.

Je crois que l'intention du projet est de rendre facultative la contrainte par corps pour les faits illicites posés méchamment et de mauvaise fol.

La disposition est une sanction de plus contre la mauvaise foi, et à ce point de vue ceux qui veulent le maintien de la contrainte par corps doivent la désirer dans ce sens, puisque c'est le seul moyen d'assurer la répression véritable et réelle des manquements et des actes de mauvaise foi de toute nature.

! Du reste, je l'ai toujours compris ainsi, et j'y suis confirmé en me rappelant que c'est comme mesure et preuve de conciliation qu'elle à été présentée au Sénat par le chef du précédent cabinet. J'ai donc interprété cette disposition dans l'esprit où elle a été adoptée au Sénat.

Pour moi, je ne vois pas l'utilité du renvoi de la disposition à la section centrale.

M. Cornesse, ministre de la justice. - Je partage l'interprétation que vient de donner l'honorable rapporteur de la section centrale.

- La discussion est close.

La proposition de renvoi à la section centrale est mise aux voix et n’est pas adoptée.

M. le président. - Nous avons à voter sur l'article.

- Voix à gauche. - L'appel nominal !

- Il est procédé au vote par appel nominal.

84 membres y prennent part.

45 répondent oui.

35 répondent non.

4 s'abstiennent.

Ont répondu oui :

MM. Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Biebuyck, Brasseur, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, Delcour, De Lehaye, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Dumortier, Hermant, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Magherman, Mulle de Terschueren, Notelteirs, (page 1685) Nothomb, Reynaert, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Overloop, Verwilghen et Thibaut.

Ont répondu non :

MM. Allard, Anspach, Bara, Bergé, Boulenger, Couvreur, Crombez, David, de Baets, De Fré, Defuisseaux, de Lhoneux, de Macar, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, Dupont, Elias, Guillery, Hagemans, Houtart, Jamar, Le Hardy de Beaulieu, Mouton, Muller, Orts, Pety de Thozée, Rogier, Sainctelette, Thonissen, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem et Vermeire.

Se sont abstenus :

MM. Coomans, Delaet, Gerrits et Hayez.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à donner les motifs de leur abstention.

M. Coremans. - Je me suis abstenu pour les motifs qui m'ont engagé à m'abstenir tantôt.

M. Delaet, M. Gerrits et M. Hayez déclarent s'être abstenus pour les mêmes motifs.

Article 4

« Art. 4. Elle n'a lieu que pour une somme excédant 300 francs. »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5. La durée de la contrainte par corps est déterminée par le jugement ou l'arrêt, d'après la gravité de la faute commise et l'étendue du dommage à réparer.

« Elle ne peut excéder une année. A l'expiration du terme fixé, la contrainte par corps cesse de plein droit. »

M. Bara. - La plupart des membres de cette Chambre ont manifesté des intentions très bienveillantes pour la presse. Je crois donc répondre à leurs sentiments en proposant de réduire d'un an à trois mois le maximum de la durée de la contrainte par corps. Trois mois me paraissent bien suffisants pour les actes en vue desquels on veut maintenir la contrainte par corps.

L'article 444 du code pénal ne commine qu'un emprisonnement de huit jours à un an pour des actes beaucoup plus graves ; la calomnie, la dénonciation calomnieuse n'est punie elle-même que d'un emprisonnement de huit jours à six mois, et les tribunaux peuvent même n'y appliquer que des peines légères par suite de circonstances atténuantes.

Je crois donc que trois mois sont plus que suffisant pour la contrainte par corps.

Les injures au titre des contraventions ne sont punies, en cas de récidive, que d'un emprisonnement maximum de douze jours. Eh bien, je demande si mon amendement ne doit pas être adopté par quiconque ne veut pas soumettre la presse à un régime de rigueur tout à fait exceptionnel.

Il est bien entendu qu'on ne m'accusera pas plus tard, à cause de la modification que je propose à l'article 4, d'avoir été partisan de la contrainte par corps réduite à trois mois, comme on accusait tout à l'heure l'honorable M. Frère d'être partisan de la contrainte par corps pour les dommages-intérêts en matière de presse, pour avoir modifié un article dont ses adversaires étaient les auteurs, par suite de modifications à un autre article. (Interruption.)

M. Van Humbeeck. - En combattant tout à l'heure l'article 3, j'ai annoncé que si je ne parvenais pas à le faire repousser par les Chambres, je proposerais un amendement à l'article 5. Mon intention ayant été prévenue par l'honorable M. Bara, il ne me reste plus qu'à me rallier à son amendement.

J'ajouterai toutefois une raison à celles que l'honorable membre a données en faveur de sa proposition.

La peine de la contrainte par corps, - car c'est ce terme qu'il faudra désormais employer, - telle que l'établit l'article 3 du projet, a la plus grande analogie avec une mesure consacrée par le nouveau code pénal belge ; je veux parler de l'emprisonnement subsidiaire en cas de non-payement d'une amende.

Or, l'article 40 du code pénal limite le maximum de l'emprisonnement subsidiaire, en cas de non-payement des amendes, à six mois s'il s'agit d'un crime, à trois mois s'il s'agit d'un délit, et à trois jours s'il s'agit d'une contravention.

L'article 3 du projet actuel permet d'aller jusqu'à un an pour la contrainte par corps, même pour des faits qui n'ont pas la gravité d'une simple contravention. C'est évidemment une durée exagérée. En s'arrêtant au terme de trois mois, qui est la durée de l'emprisonnement subsidiaire e, cas de délit, on aura pris une mesure juste, et puisque la contrainte par corps doit passer dans nos lois, à titre de peine, corrigeons-en du moins autant que possible l'application, en adoptant l'amendement de l'honorable M. Bara.

M. Cornesse, ministre de la justice. - Messieurs, la contrainte par corps existe surtout comme moyen d'exécution, et à certains égards comme épreuve de solvabilité ; or, il est évident que si on ne laisse pas au juge le soin de la prononcer pour un terme assez important, elle n'aura plus d'efficacité réelle.

A mon sens, le délai de trois mois serait absolument insuffisant. Il enlèverait à la disposition sa valeur préventive, sa valeur d'intimidation.

Les tribunaux ont, aujourd'hui, la faculté de déterminer la durée de la contrainte par corps. C'est une garantie très sérieuse. L'arbitraire du créancier ne fixe plus la mesure de l'emprisonnement. Confions-nous aux tribunaux, qui sauront toujours tenir compte des circonstances et proportionner la durée de l'épreuve à la gravité du fait.

Je ne puis donc me rallier à l'amendement de l'honorable M. Bara.

M. Bara. - Je m'étonne que M. le ministre parle d'épreuve de solvabilité. L'article que nous votons dit le contraire. Il prescrit au juge de graduer la contrainte selon l'étendue de la faute. Le juge ne doit donc pas s'occuper de la solvabilité, mais de la gravité de la faute. Il prononce une peine.

Je maintiens mon amendement ; je demande formellement que le maximum de la contrainte par corps soit fixé à trois mois. Vous voulez punir d'un emprisonnement d'un an un homme qui n'a pas d'argent ! Trois mois me paraissent déjà une peine exorbitante pour un acte qui n'est pas un délit, alors que pour des faits plus graves, punis par la loi pénale, la durée de la contrainte par corps peut n'être que de quelques jours au maximum. «

Je le répète, j'insiste sur mon amendement et je demande l'appel nominal.

- La discussion est close.

Le premier paragraphe de l'article 3 est mis aux voix et adopté.

Il est procédé au vole par appel nominal sur l'amendement proposé par M. Bara au paragraphe 2 du même article.

83 membres y prennent part.

41 répondent non.

38 répondent oui.

4 s'abstiennent.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont répondu non : MM. Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Biebuyck, Brasseur, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, Delcour, De Lehaye, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Hermant, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Magherman, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Reynaert, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Overloop, Verwilghen et Thibaut.

Ont répondu oui :

MM. Allard, Anspach, Bara, Bergé, Boulenger, Couvreur, Crombez, David, de Baets, De Fré, Defuisseaux, de Lhoneux, de Macar, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, de Rossius, Descamps, Dethuin, Drubbel, Dupont, Elias, Guillery, Hagemans, Houtart, Jamar, Le Hardy de Beaulieu, Mouton, Muller, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Rogier, Sainctelette, Thonissen, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem et Vermeire.

Se sont abstenus : MM. Coremans, Delaet, Gerrits et Hayez.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Coremans. - Je me suis abstenu sur l'amendement de M. Bara pour les mêmes motifs qui m'ont empêché de me prononcer sur celui de M. Guillery. J'espère que l'abolition complète de la contrainte par corps ne tardera pas à être inscrite dans nos lois. En attendant je tiens à réaliser le bien dans la mesure du possible.

M. Hayez, M. Delaet et M. Gerrits se sont abstenus pour les mêmes motifs.

- Le paragraphe 2 de l'article 5 est mis aux voix et adopté.

Article 6

« Art. 6. La contrainte par corps ne peut, en aucun cas, être prononcée : 1° contre les personnes civilement responsables du fait ; 2° contre ceux qui ont atteint leur soixante et dixième année ; 3° contre les femmes et les mineurs ; 4° contre les héritiers du contraignante par corps. »

- Adopté.

Article 7

(page 1686) M. le président. - Nous sommes arrivés à l'article 7 ; ici M. le ministre de la justice propose de supprimer le chiffre 27, paragraphe premier ; l'article serait ainsi conçu ;

« Sont maintenus : les dispositions de l'article 47 du code pénal et des articles 17 à 20, 21, paragraphes, 1, 2, 4, 22 à 24, 26, 28 à 34, 36 et 39 de la loi du 21 mars 1859, celles qui concernent la procédure en matière d'emprisonnement pour dettes et la consignation d'aliments pour la nourriture des débiteurs de l'Etat détenus en prison, ainsi que les dispositions relatives a la contrainte par corps contre les témoins défaillants.

« Sont abrogés : les autres articles de la loi du 21 mars 1859 et toutes dispositions contraires à la présente loi. »

M. Cornesse, ministre de la justice. - Messieurs, c'est par erreur que le n°27 figure dans l'article 7 du projet. En effet, le paragraphe premier de l'article 27 est ainsi conçu :

« Dans aucun cas, la contrainte par corps ne peut être exercée simultanément contre le mari et la femme. »

Or, comme l'article 6 supprimé la contrainte par corps contre la femme, il en résulte que le maintien de ce n°27, paragraphe premier, dans l'article 7, est parfaitement inutile.

M. Lelièvre. - Il s'est glissé une faute d'impression dans le projet : au lieu de : « sont maintenus », il faut énoncer : « sont maintenues. » Cela résulte de la simple lecture de l'article.

M. le président. - M. Lelièvre propose d'ajouter un « e » au mot « maintenus. »

- L'article, ainsi modifié, est adopté.

Articles 8 et 9

« Art. 8. En dehors des exceptions prévues aux articles précédents, les jugements rendus ne seront plus exécutés en ce qui concerne la contrainte par corps ; toute exécution déjà pratiquée sera abandonnée et la liberté rendue immédiatement aux débiteurs incarcérés.

« Les contestations qui s'élèveront à ce sujet seront portées devant le tribunal civil de première instance du domicile du débiteur ou devant celui du lieu où il est détenu. »

- Adopté.


« Art. 9. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

82 membres y prennent part.

53 répondent oui.

19 répondent non.

10 s'abstiennent.

En conséquence, le projet de loi est adopté.

Il sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Biebuyck, Brasseur, Coremans, Cornesse, de Borchgrave, de Clercq, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Lhoneux, de Macar, Demeur, de Moerman d’Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Magherman, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Reynaert, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Verwilghen et Thibaut.

Ont répondu non :

MM. Allard, Anspach, Bara, Bergé, Couvreur, Crombez, David, de Baets, De Fré, Defuisseaux, de Rossius, Descamps, Dethuin, Dupont, Elias, Houtart, Jamar, Mouton et Sainctelette.

Se sont abstenus :,.

MM. Boulenger, Dumortier, Guillery, Hagemans, Le Hardy de Beaulieu, Muller, Orts, Rogier, Van Humbeeck et Vermeire.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire valoir les motifs de leur abstention.

M. Boulenger. - J'aurais volontiers voté le projet de loi parce qu'il réalise un progrès sur la législation actuelle, mais je l'ai rejeté parce qu'il maintient la contrainte par corps dans des cas pour lesquels je voudrais la voir supprimer.

M. Dumortier. - Je suis, en principe, opposé à la suppression de la contrainte par corps et je l’ai vivement combattue lorsqu'il en a été question dans cette Chambre. C'est vous dire que, fidèle à mes principes, s'il n'y avait pas eu une autre question, j'aurais voté contre la loi ; mais il s'agit de faire cesser une division qui régnait entre les deux Chambres et dans cette situation je n'avais qu'une chose à faire : m'abstenir, et c'est ce que j'ai fait.

M. Guillery. - Je n'ai pas voulu voter contre une loi dont les bienfaits sont incontestables et qui aura pour conséquence de faire mettre en liberté de malheureux détenus et d'éviter que dans l'avenir, pour les mêmes cas, la contrainte par corps puisse encore être prononcée contre des condamnés pour dette.

D'un autre côté, la position exceptionnelle faite à la presse me paraît contraire à la Constitution et j'ai craint, en votant pour la loi, de consacrer une disposition contre laquelle ma conscience et mon serment m'obligent, de protester.

C'est pour ces motifs que je me suis abstenu.

M. Hagemans, M. Le Hardy de Beaulieu et M. Orts se sont abstenus pour les mêmes motifs que M. Guillery.

M. Muller. - Je me suis abstenu pour les motifs énoncés par M. Boulenger.

M. Rogier. - Pour les mêmes motifs.

M. Vermeire. - Je me suis abstenu pour tel mimes motifs que M. Boulenger.

M. Van Humbeeck. - Les articles, dont je n'ai pu obtenir la modification, m'ont empêché de voter pour la loi ; le souvenir des débiteurs, dont elle assurera la mise en liberté, m'a empêché de voter contre.

Projet de loi allouant des crédits supplémentaires au budget du ministère de la justice

Discussion générale

La discussion générale est ouverte.

M. Lelièvre. - Je me bornerai à présenter une simple observation, elle a pour objet de prier le gouvernement de présenter, dans la prochaine session, un projet de loi relatif au domicile de secours. Sous l'empire de la législation actuelle, les communes et surtout celles de second ordre sont grevées de charges qu'elles peuvent à peine supporter et qui leur font une position financière devenue intolérable.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

‘Art. 1er. Le budget des dépenses du ministère de la justice, pour l'exercice 1870, fixé par la loi du 28 juin 1869, Moniteur n°183, est augmenté :

« 1° D'une somme de 2,750 fr. qui sera ajoutée à l'allocation, chapitre premier, article 3, matériel de l'administration centrale ;

« 2° D'une somme de 9,300 fr. qui sera ajoutée à l'allocation, chapitre VI, article 21, publication d'un Recueil des anciennes lois, etc. ;

« 3° D'une somme de 27,000 fr. qui sera ajoutée à l'allocation, chapitre VIII, article 29, clergé inférieur du culte catholique ;

« 4° D'une somme de 3,000 fr. qui sera ajoutée à l'allocation, chapitre. XII, article 61, dépenses imprévues non libellées au budget.

« Total de l'article : fr. 42,050.

M. le président. - A cet article, M. le ministre propose, après le n°3, uj n°3bis, augmenté d’une somme de 39 fr. 35 c., qui sera ajoutée à l’allocation du chapitre IX, article 44, « écoles de réforme. »

Au même article, il propose un numéro pour augmenter d'une somme de 15,000 francs, qui sera ajoutée à l'allocation du chapitre IX, article 38, « Frais d'entretien et de transport d'indigents. »

(erratum, page 1704) Si personne né s'oppose à l'article ainsi modifié, je le déclare adopté.

Article 2

M. le président. - Nous passons maintenant à l'article 2.

« Le budget des dépenses du ministère de la justice pour l'exercice 1871 fixé par la loi du 14 mai 1870, Moniteur n°138, est augmenté :

« 1° D'une somme de 20,000 francs qui sera ajoutée, comme charge extraordinaire, a l'allocation, chapitre premier, article 3, « Matériel de l’administration centrale. »

(page 1687) « 2° D'une somme de 1,000 fr. qui sera ajoutée, comme charge extraordinaire, au chapitre II, article 7, matériel de la cour de cassation ;

« 3° D'une somme de 1,500 francs à ajouter au chapitre II, article 8, personnel des cours d'appel ;

« 4° D'une somme de 8,400 fr., à ajouter au chapitre II, article 10, personnel des tribunaux de première instance »

Ici M. le ministre propose un n°4bis pour augmenter d’une somme de 10,000 francs, comme charge extraordinaire, l'allocation du chapitre V, article18, destinée à des subsides aux provinces et aux communes, afin de les aider à fournir des locaux convenables au service des tribunaux et des justice de paix.

(erratum, page 1704) Il propose également d'augmenter le chiffre de l'article 2 d'une somme de 200 francs comme charge extraordinaire à l'allocation chapitre XII article 25 : « Secours à des employés ou veuves et enfants mineurs d'employés de l’administration centrale du ministère de la justice et des établissement s'y ressortissants. »

(erratum, page 1704) « 5° D'une somme de 100,000 fr., qui sera ajoutée à l'allocation, chap. IX, article 39, subsides ; 1° à accorder extraordinairement à des établissements de bienfaisance et a des hospices d'aliénés ; 2* etc. ; »

Je vais donner lecture des paragraphes du chapitre XIII qui forment le développement du 6° de l'article :

« Chapitre XIII.

« Paragraphe premier. Frais de justice.

« Art. 61. Frais de justice en matière criminelle, correctionnelle et de police en 1869 et années antérieures : fr. 1,642 05.

« Paragraphe II. Etablissements de bienfaisance.

« Art. 62. Frais d'entretien et de transport d'indigents dont le domicile de secours est inconnu ou qui sont étrangers au pays, en 1869 et années antérieures : fr. 15,000.

« Paragraphe III. Prisons.

« Art. 63. Frais d'impression et de bureau concernant l'exercice 1869 : fr. 1,746 07.

« Art. 64. Honoraires et indemnités de route aux architectes en 1869 : fr. 1,722 66.

« Paragraphe IV. Dépenses diverses.

« Art. 65. Dépenses diverses de toute nature, mais antérieures à 1870 : fr. 4,889 22.

« Total du chapitre XIII : fr. 25,000. »

- Adopté.

Articles 3 et 4

« Art. 3. Les allocations qui font l'objet de la présente loi, s'élevant ensemble à deux cent quarante-trois mille sept cent quatre-vingt neuf francs (erratum, page 1704) trente-cinq centimes (fr. 243,789 35) seront couvertes au moyen des ressources ordinaires des exercices 1870 et 1871.

- Adopté.


« Art. 4. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

76 membres prennent part au vote.

75 votent l'adoption.

1 vote le rejet.

En conséquence le projet de loi est adopté.

Il sera transmis au Sénat.

Ont voté l'adoption : MM. Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Allard, Anspach, Biebuyck, Boulenger, Brasseur, Coremans, Cornesse, Crombez, Cruyt, de Baets, de Borchgrave, de Clercq, Defuisseaux, Delaet, Delcour, de Lehaye, de Lhoneux, de Macar, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, de Smet, de Theux. Dethuin, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Dumortier, Dupont, Elias, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Jamar, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Magherman, Mouton, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Reynaert, Rogier, Sainctelette, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Vermeire, Verwilghen et Thibaut.

A voté le rejet : M. Demeur.

Projet de loi accordant un crédit de 1,100,000 francs au budget du ministère des affaires étrangères

Rapport de la section centrale

M. Magherman dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de allouant au département des affaires étrangères un crédit de 1,100,000 francs.

Projet de loi accordant une pension à la veuve du général Niellon

Rapport de la section centrale

M. Brasseur dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ayant pour objet d'accorder une pension à la veuve du général Niellon.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports.

Projet de loi allouant un crédit supplémentaire au budget du ministère des affaires étrangères

Vote de l’article unique

« Article unique. Il est ouvert au département des affaires étrangères un crédit supplémentaire de cent cinquante-cinq mille huit cent quatre-vingt-quatre francs soixante-quinze centimes (fr. 155,184 75), imputable sur le budget de 1870.

« De cette somme :

« Seize mille francs seront ajoutés à l’article 5 ;

« « Trois mille francs à l'article 25 ;

« Quatre-vingt-onze mille francs à l'article 26 ;

« Trois cent neuf francs soixante-quinze centimes à l'article 38 ;

« Quarante-cinq mille deux cents francs à l'article 41 ;

« Trois cent soixante-quinze francs formeront l'article 41bis.

« Le crédit dont il s'agit sera couvert au moyen des ressources ordinaires du budget de 1870. »

Cet article est mis aux voix par appel nominal et adopté i l'unanimité des 71 membres présents.

Ce sont :

MM. Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Allard,, Biebuyck, Boulenger, Brasseur, Coremans, Cornesse, Crombez, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, Defuisseaux, Delaet, Delcour,, De Lehaye, de Lhoneux, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Dumortier, Dupont, Elias, Gerrits, Guillery, Hagemans, ayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Magherman, Mouton, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Reynaert, Rogier, Sainctelette, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Vermeire, Verwilghen et Thibaut.


M. le président. - Je propose à la Chambre de placer comme premier objet à l'ordre du jour de la séance de demain, là concession d'un chemin de fer de Tirlemont par Diest au camp de Beverloo et d'aborder l'examen de l'objet suivant :

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi allouant des crédits supplémentaires au budget du ministère de l’intérieur

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Le budget du ministère de l'intérieur pour l'exercice 1870 fixé par la loi du 15 juin 1869, Moniteur n°169, est augmenté de la somme de quatre-vingt-treize mille trois cent quarante et un francs (fr. 93,341), pour payer les dépenses suivantes :

« 1° Frais d'exécution d'une statistique des biens de mainmorte. Trois cent quatre-vingt-neuf francs quatre-vingt-huit centimes, pour payer des dépenses d'impression restant dues : fr. 389 88

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 9 du budget de 1870.

« 2° Administration provinciale de Liège. - Dix-sept mille deux cent vingt-trois francs soixante et dix centimes, pour payer des dépenses relatives au matériel de la province de Liège : fr. 17,223 70.

« Cette somme doit être ajoutée a l'article 27 du budget de 1870.

« 3° Milice. Cinq mille trois cent treize francs cinquante-neuf centimes, pour payer des dépenses restant dues pour le service de la milice en 1870 et années antérieures : fr. 5,313 59.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 41 du budget de 1870.

« 4° Service vétérinaire. Vingt-huit mille quatre cent dix sept francs quatre-vingts centimes, pour payer des dépenses du service vétérinaire dues pour les exercices 1869 et 1870 : fr. 28,417 80.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 52 du budget de 1870. »

(page 1688) « 5° Jurys d'examen. Quatre mille cinq cents franc», pour payer des dépenses restant dues pour le service des jurys d'examen en 1870 : fr. 4,500. »

Cette somme doit être ajoutée à l'article 77 du budget de 1870.

« 6° Enseignement primaire. Douze mille trois cents francs, pour payer des indemnités dues aux inspecteurs cantonaux civils du chef des conférences et des concours, ainsi que des tournées extraordinaires ; et trois mille cent quatre-vingt-dix-sept francs, treize centimes, pour payer un excédant de dépenses à l'école normale de Nivelles : fr. 15,497 13.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 101, littera g, du budget de 1870.

« 7° Festival donné en 1869 dans la gare du Midi. Quatre mille cinq cents francs pour payer le prix de cession, faite à l'Etat par la commission organisatrice du premier grand festival de musique classique, des transcriptions des parties des œuvres qui composaient le programme de cette solennité : fr. 4,500.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 120, littera e, du budget de 1870.

« 8° Commission royale des monuments. Neuf cents francs, peur payer des dépenses restant dues pour le service de la commission royale des monuments : fr. 900.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 128 du budget de 1870.

« 9° Commission médicale provinciale de la Flandre orientale. Soixante-deux francs quarante centimes, pour payer des frais de voyage et de vacations : fr. 62 40.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 131 du budget de 1870.

« 10° Caisse des veuves et orphelins des professeurs de l'enseignement supérieur. Seize mille cinq cent trente-six francs cinquante centimes, pour rembourser à ladite caisse les parts des pensions payées en 1870 à la décharge de l'Etat : fr. 16,536 50

« Cette somme formera l'article 137 du budget de 1870.

« Total : fr. 93,34. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Le budget du ministère de l'intérieur pour l'exercice 1871, fixé par la loi du 24 mai 1871, Moniteur n°145, est augmenté de quarante-deux mille trois cent cinquante francs (fr. 42,350), pour payer les dépenses ci-après énumérées :

« 1° Hôtel du ministère de l'intérieur. Huit mille francs, pour l'appropriation et l'ameublement de certains appartements : fr. 8,000.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 3 du budget de 1871.

« 2° Jardin Botanique de l'Etat. Vingt-cinq mille francs, pour renouveler les appareils de chauffage des grandes serres de cet établissement : fr. 25,000.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 61 du budget de 1871.

« 3° Universités de Liège et de Gand. - Deux mille cinq cents francs, pour payer l'impression du catalogue de la bibliothèque de l’université de Liège ; et mille francs pour l'acquisition d'ouvrages techniques destinés à l'école des arts et manufactures qui fait partie de l'université de Gand : fr. 3,500.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 76 du budget de 1871.

« 4° Musée royal d'histoire naturelle. Mille cinquante francs, pour l'acquisition d'une collection entomologique délaissée par M. le professeur Lacordaire : fr. 1,050.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 107 du budget de 1871.

« 5° Commission royale des monuments. Douze cents francs, peur rémunérer le concierge de cette commission : fr. 1,200.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 126 du budget de 1871.

« Recueil de jurisprudence en matière électorale. Trois mille six cents francs pour payer les subsides dus a l'éditeur du Recueil de jurisprudence en matière électorale : fr. 3,600. »

Cette somme formera l'article 134 du budget de 1871.

« Total : fr. 42,350. »

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J’ai un amendement à propnser à l'article 2.

Ces jours derniers, l'occasion s'est offerte au gouvernement d'acquérir, à des conditions très avantageuses, un important herbier délaissé par mademoiselle Libert, de Malmedy.

Le prix «'est que de 2,000 francs.

Je pense que la Chambre approuvera cette dépense et j'ai l'honneur de proposer la rédaction suivante pour le 2° de cet article :

« A. Jardin Botanique de l'Etat, etc. (comme au projet).

« B. 2,000 francs pour l'acquisition d'une collection botanique, délaissée par Mlle Libert. »

Je ferai également remarquer qu'il y a une erreur d'impression dais le 5°. Au lieu de : « Cette somme doit être ajoutée à l'article 126 du budget de 1871, » il faut : « Cette somme doit être ajoutée à l'article 125, etc. »

- Les deux propositions de M. le ministre de l'intérieur sont mises aux voix et adoptées.

M. Sainctelette. - Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s'il ne trouverait pas l'occasion opportune d'expliquer à la Chambre pourquoi il n'a pas acheté la bibliothèque musicale de Félis.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Le gouvernement n'a pas perdu de vue cette question fort intéressante ; je me suis mis en rapport avec les héritiers de M. Fétis.

Je ne puis donner des explications plus complètes en ce moment.

- L'article est adopté.

Article 3

« Art. 3. Il est ouvert au ministère de l'intérieur un crédit spécial de soixante et un mille deux cent vingt-quatre francs soixante-deux centimes (fr. 61,224-62), formant le restant disponible de l'allocation de 100,000 francs votée au budget du ministère de l'intérieur de 1865 pour la formation des tables générales des registres des paroisses avant 1792.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Il me semble que cet article est en opposition avec l'article 115 de la Constitution qui exige que toutes les dépenses soient annuellement inscrites au budget. (Interruption.) On nous propose de voter une somme qui sera dépensée par portions et qui ne figurera plus au budget. Cela est contraire à la Constitution.

M. le président. - Est-ce que vous proposez un amendement ou le rejet de l'article ?

M. Le Hardy de Beaulieu. - Je demande que M. le ministre de l'intérieur nous dise la somme qu'il juge devoir être dépensée en 1871. Nous voterons cette somme et nous répartirons le reste sur les budgets.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je ferai remarquer à l'honorable préopinant qu'il s'agit d'un crédit extraordinaire qui ne se rattache pas à un budget et dont l'emploi, par conséquent, n'est pas limité à un exercice budgétaire.

M. Le Hardy de Beaulieu. - L'article 115 de la Constitution est formel ; le voici :

« Toutes les recettes et dépenses de l'Etat doivent être portées aux budgets et dans les comptes. »

Nous ne pouvons donc pas voter en bloc une somme qui devrait être répartie sur plusieurs exercices et figurer dans plusieurs budgets.

Nous devons voter pour 1871 la somme qui sera dépensée en 1871, sans quoi nous serions amenés à voter des budgets décennaux ou quinquennaux. Voici l'explication que la section centrale a donnée dans son rapport :

« La formation des tables générales des registres de l'état religieux, avant 1792, se continue dans un grand nombre de communes. Sur le crédit de 100,000 francs alloué pour cet objet au budget de 1865, 61,224 fr. 62 e. restent disponibles. Maintenant, qu'après une période de cinq années, un transfert ne peut plus s'opérer, on sollicite un crédit spécial de pareille somme, non rattaché au budget, afin de ne plus devoir recourir à des demandes de report, à la fin de chaque exercice, »

Eh bien, s'est contre ce système que je m'élève, comme étant complètement contraire à l'article 115 de la Constitution.

M. Jacobs, ministre des finances. - L’honorable M. Le Hardy de Beaulieu se trompe ; il s’agit ici d’un crédit spécial qui se trouvera dans les conditions de tous les crédits spéciaux, c’est-à-dire qu’il ne sera rattaché spécialement à aucun exercice et qu’il en sera disposé pendant plusieurs exercices. Ce n’est que pour des dépense budgétaires qu’il faut une spécification des exercices auxquels elles se rapportent.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Eh bien, c'est contraire à l'article 115 de la Constitution.

(page 1639) M. Jacobs, ministre des finances. - M. Le Hardy ne fera croire à personne que tous les crédits spéciaux votés par la Chambre depuis 1830 l'ont été en violation de l'article 115 de la Constitution.

- L'article 3 est adopté.

Articles 4 à 6

« Art. 4. Il est ouvert au ministère de l'intérieur un premier crédit spécial de cent vingt mille francs (fr. 120,000), destiné à couvrir, en partie, les dépenses d'ameublement des nouveaux locaux construits au musée royal d'histoire naturelle. »

- Adopté.


« Art. 5. Il est ouvert au ministère de l'intérieur un crédit spécial de trente-trois mille cinq cents francs (fr. 33,500), pour l'ameublement du musée royal d'armures et d'antiquités, ainsi que pour la restauration de l'ancien mobilier.

- Adopté.


« Art. 6. Les crédits mentionnés dans la présente loi seront couverts au moyen des ressources ordinaires des exercices 1870 et 1871. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

67 membres y prennent part.

64 répondent oui.

3 répondent non.

En conséquence, le projet de loi est adopté.

Il sera transmis au Sénat,

Ont répondu oui :

MM. Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Allard, Biebuyck, Boulenger, Brasseur, Coremans, Cornesse, Crombez, Cruyt, David, de Borchgrave, de Clercq, Delaet, De Lehaye, de Lhoneux, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, de Smet, de Theux, Dethuin, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Dumortier, Elias, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Lelièvre, Magherman, Mouton, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Reynaert, Rogier, Sainctelette, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Iseghem. Van Overloop, Vermeire, Verwilghen et Thibaut.

Ont répondu non :

MM. Defuisseaux, Demeur et Le Hardy de Beaulieu.

Proposition d’enquête parlementaire

Dépôt

M. le président. - Une proposition d'enquête a été déposée sur le bureau. Elle sera renvoyée aux sections, pour savoir si elles en autorisent la lecture.

- La séance est levée à 5 heures.