(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Tack, vice-président.)
(page 1577) M. Wouters procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Borchgrave donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Les membres du conseil communal de Steenkerke demandent l'exécution de travaux pour mettre cette commune à l'abri des inondations. »
« Même demande des membres du conseil communal d'Oost-Dunkerke. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.
« Des habitants de Léau prient la Chambre d'adopter le tracé du conseil communal de cette ville pour la construction d'un chemin de fer de Tirlemont au camp de Beverloo. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif au chemin de fer de Tirlemont au camp de Beverloo.
« Des propriétaires et cultivateurs de l'arrondissement d'Arlon se plaignent d'une disposition par laquelle l'administration a remis en vigueur la loi du 7 ventôse an XII concernant la largeur des jantes de voitures et prient la Chambre de faire disparaître ou de modifier cette loi. »
- Renvoi a la commission des pétitions.
« La dame Martin réclame l'intervention de la Chambre, pour que son mari, prisonnier à Brest, soit mis en liberté. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Mons prient la Chambre de rejeter les augmentations de l'impôt foncier proposées par le gouvernement. »
« Même demande d'habitants de Huy et de Villers-aux-Tours. »
- Même renvoi.
« Le sieur Haverlain prie la Chambre d'ajourner l'examen du projet de loi sur la contrainte par corps ou du moins d'ajourner la partie relative à ce mode d'exécution en matière de commerce. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Des habitants de Verviers, Hodimont et Taviers demandent le maintien du tarif actuel pour le transport des voyageurs sur les chemins de fer de l'Etat. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le gouverneur de la Flandre orientale transmet à la Chambre 124 exemplaires de l'Exposé de la situation administrative de la province pour l'exercice 1871. »
- Distribution aux membres de la Chambre.
M. David. - Messieurs, les quelques paroles que je vais avoir l'honneur de prononcer auront pour but de demander à la Chambre d'ajourner à la session prochaine la discussion du projet de loi. Je vais vous soumettre les raisons importantes de postposer la discussion du projet de loi à la session prochaine.
Tous les ministères et toutes les législatures qui ont eu, jusqu'ici, à s'occuper des jeux de Spa ont toujours voulu, en supprimant les jeux dans cette ville, faire à Spa une part assez large pour que cette ville de bains restât agréable et amusante pour les étrangers qui la visitent.
Aussi longtemps que les jeux y existent, la société concessionnaire, couvre une très grande partie des frais nécessaires pour l'amusement des étrangers. J'entrerai tantôt dans quelques détails sur les chiffres.
Après la suppression des jeux, la caisse communale de Spa devra supprimer ces dépenses.
Mais il existe un autre genre de dépenses, qui incombent directement et exclusivement à l'administration communale de Spa. Je veux parler des embellissements, des améliorations et des nouvelles constructions qui sont absolument indispensables pour que la ville de Spa devienne habitable, dirai-je, pour la société élégante qui fréquente habituellement les bains en été.
Vous savez, messieurs, que Hombourg, Wiesbaden et Baden-Baden sont déjà de petits paradis terrestres ; la société des jeux y a réalisé des embellissements et des améliorations considérables. Ce sont de véritables séjours enchantés qui ne seront pas désertés, si même on y supprime les jeux.
Mais dans quel état se trouve Spa ? A Spa, jamais la société concessionnaire des jeux ne s'est occupée de l'embellissement ni de l'amélioration de la ville. Ce que cette ville a fait, elle l'a fait avec son argent, et jusqu'à présent en grande partie avec celui touché du chef de la quotité lui allouée dans le bénéfice des jeux.
Il reste immensément à faire à Spa pour que cette ville devienne, en définitive, un séjour aussi agréable que possible pour le touriste, et pouvant rivaliser jusqu'à un certain point avec ses concurrentes d'Allemagne.
J'ai en main une note qui vous a été distribuée ; mais comme l'objet vous intéresse beaucoup moins que moi, qui représente l'arrondissement dans lequel est située Spa, je vais me permettre de vous indiquer quelques-uns des travaux les plus indispensables à exécuter à Spa.
Vous avez d'abord le pavage. Vous ne pouvez pas, dans une ville qui sera dorénavant dénuée de l'attrait des jeux, conserver un pavé en cailloux des rivières, un pavé raboteux ; il faut, sous ce rapport aussi, rendre les rues de Spa aussi splendides que celles des villes d'eaux d'Allemagne.
La ville de Spa demande pour cet objet 80,000 francs.
Ce que dans la note on appelle des routes, des chemins, etc., sont autant de promenades qui doivent relier les différentes fontaines, les différents points les plus intéressants des environs de Spa.
La ville de Spa sollicite de ce chef 16,000 francs.
La construction d'une buvette à la source Marie-Henriette, avec maison d'habitation et la construction de glacières à Barisart, Geronstère et Sauvenière sont indispensables ; ces travaux sont évaluées à 46,000 francs.
Parmi les travaux à exécuter, il en est un de la plus haute urgence. La fontaine minérale la plus renommée de Spa, le Pouhon, que chacun de vous connaît, est aujourd'hui une espèce de ruine. Il entre depuis longtemps dans les intentions des administrateurs de Spa d'établir à cet endroit un kursaal avec trinkhall, salon de lecture et toutes les annexes nécessaires pour l'embellir et le rendre agréable à fréquenter par les étrangers. Pour cela il faut acheter plusieurs immeubles aux alentours, il faut bâtir sur une vaste échelle, d'une manière élégante. L'administration communale estime la dépense à 800,000 francs.
Il est nécessaire, dans une ville spécialement visitée par un public cherchant à rétablir sa santé délabrée, que la salubrité publique y soit à l'abri de tout danger de miasmes et d'émanations délétères. Comme vous le savez, le ruisseau le Wayai traverse la ville de Spa dans presque toute son étendue ; il coule dans bien des endroits à ciel ouvert ; le niveau d'eau est faible en été et de là des émanations, des miasmes viciant quelquefois la pureté de l'air. L'administration de Spa veut voûter cette petite rivière et établir des égouts collecteurs d'une longueur da 400 mètres ; cela (page 1578) occasionnera une dépense de 350,000 francs. Des rues nouvelles sont s percer ; un abattoir doit être construit ; cette dépense e>t évaluée à 140,000 francs.
L'église catholique de Spa qui serait suffisante en hiver, lorsque la population est réduite aux seuls habitants de la ville de Spa, est réellement trop petite, pour le grand nombre de fidèles qui s'y rendent en été ; dans une ville comme celle de Spa, les monuments surtout doivent avoir un cachet de grandeur et d'élégance de nature à flatter l'œil du voyageur cosmopolite qui a tant vu de belles choses ailleurs. Aussi l'administration veut-elle mettre un peu de luxe dans la construction de cette église et elle estime la dépense à 500,000 francs. Beaucoup de dissidents, beaucoup de personnes appartenant à un culte autre que le culte catholique se rendent chaque année à Spa et jusqu'à présent elles n'ont eu qu'un salon du Vauxhall comme temple ; il faut donc mettre un temple convenable à la disposition de ces personnes, toujours très nombreuses pendant la saison, et la ville de Spa demande pour cela 125,000 francs.
La ville de Spa a besoin d'un réservoir pour laver, pour balayer les égouts qui seront construits dans l'avenir. Ce sera encore là une dépense de 100,000 francs.
Pour ouverture de rues, routes, plantations, 105,000 francs.
Enfin pour promenades, carrossables, etc., 60,000 francs, et pour élargissement de rues 60,000 francs, en tout, 2,182,000 francs.
Voilà, messieurs, toutes dépenses indispensables, complètement indispensables pour embellir la ville de Spa et la rendre agréable aux étrangers qui n'y viendront plus attirés par l'appât des jeux, mais seulement dans le but d'y rétablir leur santé. Spa est resté considérablement en arrière de toutes les villes d'Allemagne, tout y est encore à faire.
D'après le calcul de la section centrale, le capital qui formera le fonds de caisse de la ville de Spa en 1880 sera de 1,847,943 fr. 12 c. L'intérêt de cette somme, à 4 1/2 ; p. c., représentera 83,157 fr. 44 c. C'est un peu plus de la moitié de la somme que l'honorable ministre de l'intérieur lui-même indique comme nécessaire aux plaisirs de la saison. Il estime la dépense pour l'amusement des étrangers à Spa à 140,000 francs, et il reste encore de la sorte bien au-dessous de la vérité, car les 140,000 francs étaient la somme dépensée par l'administration des jeux, et la ville de Spa contribuait pour un certain chiffre qu'elle ajoutait à ces 140,000 francs dépensés par l'administration des jeux.
Voici en quoi consistent ces dépenses indispensables pour l'amusement des étrangers :
Subsides à la caisse communale, admis par le gouvernement depuis 1858, pour dépenses afférentes à la saison des eaux : frais de bureau, frais de police supplémentaire ; amélioration du pavé, entretien et amélioration des promenades et jardins publics et des bâtiments des fontaines minérales ; supplément d'éclairage, surveillance de travaux extraordinaires ; frais des écoles de dessin et de musique, 25,000 fr.
Indemnité de logement au pasteur anglais, 400 fr.
Contributions, entretien des locaux et du matériel, chauffage, éclairage, etc., 30,000 fr.
Courses de chevaux, 30,000 fr.
Fêtes intérieures et extérieures, 40,000 fr.
Musique et théâtre, 40,000 fr.
Frais de police des salons, salaire et habillement des gens de service, 10,000 fr.
Total ; 175,400 fr.
Cela fait ensemble 175,400 francs, et pour servir cette dépense, nous ne trouvons, d'après les calculs les plus larges possibles faits par la section, centrale, qu'un revenu annuel de 83,157 fr. 44 c. à partir de 1880 ; ce n'est pas même la moitié de la somme nécessaire.
Comment la commune de Spa pourra-t-elle arriver à exécuter les constructions nécessaires, indispensables, dont je viens d'avoir l'honneur de vous entretenir, constructions estimées à deux millions cent et des mille francs.
Il est donc, sous ce rapport déjà, indispensable que le projet de loi soit révisé, soit amélioré, et que l'honorable ministre de l'intérieur recherche une combinaison qui ne lèse pas autant les intérêts de la ville de Spa.
Vous savez, messieurs, et le rapport de la section centrale, je crois, n'est pas tout à fait exact à cet égard, comment sont dotées les villes d'Allemagne, d'où les jeux vont peut-être disparaître à la fin de 1872 ; car la chose n'est pas encore certaine, je vous le démontrerai tantôt.
La ville de Wiesbaden obtient toutes les promenades à tous les établissements qui appartenaient jusqu'à présent au gouvernement et à la société des jeux.
De plus, Wiesbaden et Ems recevront ensemble, en une seule fois, au commencement de 1875, une somme d'un million de thalers, soit 3,750,000 francs ; Wiesbaden, pour sa part de deux tiers, recevra une somme de 2,666,667 francs et Ems, pour son tiers, une somme de 1,233.233 francs.
Quant à Hombourg, qui vient d'envoyer une députation à Berlin, afin d'obtenir la prorogation du délai de suppression, elle obtient 800,000 thalers, soit 2,860,000 francs.
La deuxième raison pour ajourner le projet de loi, messieurs, c'est que la suppression des jeux n'est pas certaine du tout dans les diverses villes d'Allemagne en 1872. Je pourrais, en recherchant les journaux allemands des derniers jours, vous citer l'article portant qu'une députation formée de magistrats, c'est-à-dire des bourgmestre et échevins de Hombourg se rend à Berlin, afin d'obtenir une prolongation de bail. (Interruption.)
Il est très probable que le gouvernement de Berlin sera traitable après les malheurs qui viennent de frapper l'Allemagne, car si elle a été victorieuse, ce n'a pas été sans beaucoup de sacrifices, beaucoup de pertes et beaucoup de sang versé. Dans cette situation, le gouvernement de l'empire ne voudra pas ruiner les villes de bains, en leur retirant des ressources qui ne coûtent rien à l'Etat ni à personne.
Mais la raison la plus importante pour laquelle je demande l'ajournement, c'est que la société concessionnaire des jeux a rompu la convention intervenue les 29-30 avril 1868 entre elle et le gouvernement.
D'après même les énonciations du rapport de la section centrale, je ne crois pas la chose aussi claire, car s'il ne s'agissait que de la suppression des jeux, elle a été réservée par l'acte de concession et on pourrait supprimer les jeux ; mais la convention des 29-30 avril avait encore un autre objet que la suppression des jeux, elle stipulait une cession immobilière en faveur de la commune de Spa, et je pense que, le premier projet de loi ayant été retiré à la suite de la dissolution des Chambres, la convention qui n'en était qu'une annexe à dû tomber également. C'est là-dessus que la société concessionnaire des jeux se fonde pour rompre l'engagement consenti par elle.
M. Muller. - Que veut la société ?
M. David. - Je n'en sais rien ; conserver, sans doute, la redoute, le théâtre, la salle Levoz, la glacière et tous les meubles. Si nous supprimons la ferme des jeux immédiatement et si la société fait un procès et le gagne, les propriétés ci-dessus resteront à la société ; elles ont une très grande valeur, un million, je crois. La Chambre ne peut pas s'ériger ici en tribunal et empiéter sur le pouvoir judiciaire ; la Constitution s'y oppose ; l'article 92 porte : « Les contestations qui ont pour objet des droits civils, sont exclusivement du ressort des tribunaux. » Et l'article 30 porte : « Le pouvoir judiciaire est exercé par les codrs1 et tribunaux. »
Or, les questions de propriété sont certainement dés questions de droit civil et de la compétence exclusive dès tribunaux.
Alors, messieurs, que nous donnons à Spa une somme complètement insuffisante pour attirer, amuser et retenir les étrangers, et pas un sou pour s'embellir, nous ne voudrons pas lui léguer, en outre, un procès dont nous ne pouvons pas connaître l’issue, qui lui coûtera beaucoup d'argent si elle le gagne et qui, si elle le perd, la privera du Vauxhall, de la redoute avec le théâtre, de la grande salle de danse, de la grande glacière et de tout le mobilier qui garnit le salon de lecture et les autres salons de jeux, etc.
Je vous prie donc, messieurs, de bien peser les observations que je viens de présenter et d'examiner s'il n'y aurait pas lieu de renvoyer la discussion du projet à la session prochaine, afin de donner à M. le ministre de l'intérieur le temps de trouver une autre combinaison qui satisfasse tous les intérêts.
Je propose l'ajournement jusqu'à la session prochaine.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il aux amendements de la section centrale ?
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je demande, M. le président, que la discussion s'établisse sur le projet du gouvernement. J'ajouterai toutefois qu’en maintenant le dernier paragraphe de l'article premier, mon intention est de me rallier à l'amendement de la section centrale en ce qui touche l'article 2.
M. de Clercq. - Une proposition d'ajournement n'a-t-elle pas été faite, M. le président ?
M. le président. - Oui, mais elle n'est pas encore parvenue au bureau.
M. de Macar. - Si l'on ouvre d'abord la discussion sur la proposition d'ajournement, je demanderai la parole.
M. le président. - Je vous inscris, M. de Macar, mais la parole a déjà été demandée par M. Simonis ; je la lui donne.
M. Simonis. - Je ne puis me rallier à la proposition d'ajournement que vient de présenter M. David.
(page 1579) La suppression des jeux de Spa est une question d'intérêt moral et le projet de loi qui nous est soumis a pour but de mettre fin à un état de choses contre lequel l'opinion publique proteste depuis longtemps.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler, messieurs, que des plaintes réitérées ont été soulevées à ce sujet dans cette enceinte même.
Ce sujet est depuis trop longtemps sur le tapis pour que la Chambre consente encore à en postposer la discussion. M. David d'ailleurs doit connaître assez bien les sentiments de la plupart de ses collègues relativement aux jeux de Spa pour supposer qu'en ajournant la discussion on obtiendrait des avantages plus grands pour cette ville.
Je voterai donc contre l'ajournement.
M. de Macar. - Je crois que la Chambre ne peut pas accepter la proposition d'ajournement.
Ainsi que mon honorable collègue, M. Simonis, vient de le dire, la question de la suppression des jeux de Spa n'est pas nouvelle ; deux projets de loi ont été successivement déposés, l'un par le ministère libéral, l'autre par le ministère catholique ; on pourrait même, dire que quatre projets ont été discutés, car les projets amendés des deux sections centrales diffèrent sensiblement des projets déposés par le gouvernement.
Je crois que la question n'est que trop longtemps déjà restée en suspens et qu'il est temps d'en finir. Il est d'autant plus urgent de le faire qu'à Spa même on est enclin encore à se bercer d'illusions. Depuis que le projet est à l'ordre du jour, divers établissements se sont encore fondés avec l'espoir que l'exploitation des jeux continuera. Je crois qu'il faut anéantir ces espérances fallacieuses dans l'intérêt même de Spa.
A l'appui de sa motion, l'honorable M. David nous a dit : Il n'est pas certain que les jeux seront supprimés en Allemagne ; je l'ai interrompu à ce moment en lui disant qu'il pouvait y compter. M. David a mal compris le sens de mon interruption. Bien évidemment elle signifiait que l'on n'avait aucun espoir d'arriver à la réalisation de ce vœu.
Je crois que personne, sans en excepter l'honorable M. David, ne s'est trompé sur le sens de mes paroles.
Quoi qu'il en soit, je crois que l'honorable membre fera bien de renoncer à ses espérances s'il les a réellement conçues. Je crois que le gouvernement de l'empire d'Allemagne ne sacrifiera pas à quelques questions secondaires d'intérêt local le grand intérêt moral qu'il a défendu jusqu'ici. Je crois plutôt qu'il exerce son action sur les gouvernements de l'Allemagne du Sud, pour qu'ils prononcent également la suppression des jeux sur leurs territoires.
Il est donc très probable que d'ici à peu de temps ces foyers d'immoralité qu'on appelle maisons de jeu auront disparu des contrées voisines de nos frontières, dans un rayon très étendu.
L'honorable M. David a encore fait valoir une autre considération ; les actionnaires de la société civile des jeux de Spa ont dénoncé leur convention.
Je crois, messieurs, que l'honorable membre s'est engagé là sur un terrain dangereux, Depuis cinq ans, les actionnaires de la société des jeux de Spa ont touché des sommes véritablement colossales. Ils ont reçu net en 1867 458,000 fr., en 1868 440,000 fr., en 1869 505,000 fr. et en 1870 575,000 fr.
Enfin, pour les deux dernières années, en supposant que l'on atteigne la moyenne du bénéfice net des cinq dernières années, ils recevront encore 194,000 francs par an.
Il est indubitable que, dans de telles conditions, leurs intérêts ont été parfaitement sauvegardés et que personne ne s'avisera de les plaindre de la situation qui leur est faite.
En outre, il est contestable que la conduite de la société ait été parfaitement conforme aux devoirs de la plus exquise délicatesse. Comment ! une convention est faite par laquelle il est stipulé que la société a la latitude de faire jouer, à la condition de céder certains immeubles. Moyennant cette transaction, les jeux dureront pendant quatre années encore.
Deux années se sont écoulées, et alors que pour ces deux dernières années les actionnaires ne touchent plus que 10 p. c, l'on vient dire : Nous avons, joui de la partie favorable de la convention, cela nous suffît ; nous répudions le surplus de nos engagements. Cette conduite ne me semble pas de nature à éveiller une bien grande sympathie dans la Chambre.
L'honorable M. David a touché aussi la question de droit ; je n oserais arguer de ma compétence en la matière, mais je dois déclarer qu'en section centrale, de laquelle faisaient partie plusieurs jurisconsultes, la question de droit a été unanimement tranchée contre les concessionnaires.
M. le président. - Permettez, M. de Macar, vous n'avez la parole que sur la proposition d'ajournement et il me semble que vous discutez le fond.
M. de Macar. - Je me borne, M. le président, à discuter les motifs invoqués par M. David à l'appui de sa motion d'ajournement ; je suis donc parfaitement dans mon droit.
M. le président. - Veuillez ne pas vous écarter de la question.
M. Muller. - Il ne s'en écarte pas.
M. de Macar. - Je répète, qu'en me bornant, comme je le fais, à répondre à l'honorable M. David, je suis parfaitement dans mon droit.
Je dis, messieurs, que lorsque le ministère traite avec des tiers, c'est au nom du gouvernement et non au nom de tel ou tel ministre. Il est évident qu'une convention signée par M. Pirmez comme ministre de l'intérieur est un acte dont son successeur peut se prévaloir et qui engage complètement le tiers vis-à-vis de lui.
Je suis donc d'avis qu'il n'y a pas lieu de s'arrêter aux motifs d'ajournement invoqués par M. David et qu'il y a lieu d'en finir d'une question qui intéresse la dignité de la Belgique.
En terminant, je félicite hautement le gouvernement d'avoir présenté le projet de loi, et je suis prêt à l'appuyer très cordialement en cette circonstance.
M. le président. - M. David, insistez-vous sur votre proposition ?
M. David. - Oui, M. le président,
M. le président. - Je dois vous faire remarquer que, d'après le texte de votre rédaction, vous demandez l'ajournement non pas de la discussion, mais du vote du projet de loi.
M. David. - Les développements que j'ai donnés dans mon discours sont les corollaires de ma proposition,
J'ai dit que je demandais l'ajournement pour permettre à M. le ministre de l'intérieur, d'ici à la session prochaine, de modifier le projet de loi en adoptant une autre combinaison, qui satisfît à tous les intérêts. Je pouvais donc formuler ma proposition en deux lignes, comme je l'ai fait.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, le gouvernement ne peut souscrire à la proposition d'ajournement qui a été présentée par l'honorable M. David ; la Chambre sera certainement du même avis, car elle a, dans toutes les circonstances, exprimé énergiquement le vœu que les jeux de Spa fussent limités à une période la moins longue possible.
C'est ainsi qu'en 1864- notamment, l'honorable M. Vandenpeereboom a pris devant la Chambre l'engagement que les jeux de Spa seraient supprimés en 1870 au plus tard. Cette période a été dépassée, et je crois que la Chambre, fidèle à ses antécédents, voudra aujourd'hui résoudre cette question.
- La proposition d'ajournement faite par M. David est mise aux voix et n'est pas adoptée. En conséquence, la discussion continue.
M. le président. - La parole est à M. Simonis.
M. Simonis. - Messieurs, le cabinet actuel, en tranchant la question des jeux de Spa, en suspens depuis plusieurs années, a posé un acte qui l'honore hautement, je l'en félicite du fond de mon cœur ; ce sera pour lui un titre à la reconnaissance du pays.
Mais, messieurs, si dans l'intérêt de la morale publique, et l'on est généralement d'accord à ce sujet, il est urgent de supprimer les jeux de Spa, il est nécessaire aussi de sauvegarder, dans la mesure du possible, les intérêts de cette dernière ville, afin de la mettre à même d'attirer, comme par le passé, un grand nombre d'étrangers, qui sont, en définitive, une source de revenus pour l'Etat.
Il est incontestable, messieurs, que la nouvelle répartition du subside de 2,000,000 de francs que la section centrale propose, améliore singulièrement la position de la ville de Spa.
Je ne demande pas mieux que de voir accorder à cette ville une. indemnité plus considérable encore ; j'avais moi-même proposé à la 3ème section, dont je faisais partie, un amendement à l'article 4 du projet du gouvernement ; avec cet amendement, celui-ci eût été éventuellement bien plus avantageux pour Spa que la combinaison de la section centrale. Ni le gouvernement ni la section centrale n'ont admis cet amendement, et en présence des dispositions de la grande majorité des membres de la Chambre envers Spa, dispositions qui sont bien connues, le reproduire serait peine perdue.
Le paragraphe 2 de l'article premier du projet du gouvernement autorise celui-ci à proroger indéfiniment, et dans des circonstances indéterminées, le délai fixé (page 1580) pour la fermeture de l'établissement des jeux ; il y a la pour moi un danger réel que je veux éviter.
D'un autre côté, je ne puis me rallier à la proposition de la section centrale, de supprimer purement et simplement le paragraphe dont il s'agit.
Je désirerais que cette prorogation ne fût possible que jusqu'en 1880, époque à laquelle la ville de Spa sera en possession de toute l'indemnité qui doit lui être allouée.
Ma proposition a une raison d'être, car c'est précisément aussi en 1880 que devait expirer le contrat de 1858.
Le paragraphe 2 de l'article premier du gouvernement serait en conséquence libellé comme suit :
« Toutefois le gouvernement est autorisé à modifier cette convention dans le sens d'une prorogation du délai fixé pour la fermeture de rétablissement des jeux, si des établissements de jeux similaires étaient maintenus en Allemagne après 1872. Cette prorogation devra, en tous cas, prendre fin, au plus tard, le 31 décembre 1880. »
- L'amendement est appuyé. Il fera partie de la discussion.
M. Bara (pour une motion d’ordre). - Messieurs, le projet de loi sur la contrainte par corps a été mis à l'ordre du jour. Je viens proposer à la Chambre de décider que ce projet de loi sera discuté en même temps que la proposition de loi des honorables MM. de Baets et Thonissen relative à la juridiction à laquelle, seront déférées les actions en dommages et intérêts pour faits de presse.
La proposition de loi de MM. de Baets et Thonissen a été déposée depuis longtemps ; elle avait déjà été déposée sous l'ancien ministère. Un rapport très long a même été fait par M. Thonissen. Il ma semble qu'il ne faut pas très longtemps pour faire le rapport sur le projet de loi récemment déposé, qui est le même que l'ancien. Le rapporteur de ce projet ne fera sans doute qu'adopter le rapport de M. Thonissen.
Je crois donc qu'on peut activer les travaux de cette commission, obtenir le rapport et le mettre immédiatement à l'ordre du jour, afin que ce projet puisse être discuté en même temps que le projet sur la contrainte par corps.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Messieurs, je ne crois pas qu'il y ait lieu d'accueillir la proposition qui vient d'être faite par l'honorable M. Bara.
Il n'y a pas de connexité entre les deux projets et la preuve en est que M. Bara lui-même n'a jamais établi cette connexité entre la proposition de MM. de Baets et Thonissen, déposée à la Chambre dès 1864, et le projet de loi sur la contrainte par corps, dont la Chambre était saisie par suite du renvoi du Sénat, lorsque la dissolution a été prononcée
Ne perdez pas de vue, en effet, messieurs, qu'à la veille de la dissolution, la Chambre avait à son ordre du jour un projet de loi voté par le Sénat, ayant beaucoup d'analogie avec celui dont elle est saisie aujourd'hui.
Or, jamais on n'a demandé que la discussion de ce projet fût suspendue jusqu'à ce qu'on discutât la proposition de M. de Baets, jamais on n'a établi de connexité nécessaire entre les deux mesures.
Cette connexité n'existe pas, je le répète, et par conséquent la Chambre peut fort bien aborder l'examen du projet sur la contrainte par corps sans s'occuper immédiatement de la proposition de M. de Baets, sur laquelle un rapport n'est pas même encore formulé.
En définitive, la motion qui vient d'être faite par M. Bara ne me paraît être qu'un moyen d'ajourner la discussion et le vote du projet de loi présenté par le gouvernement. Je ne puis donc m'y rallier, et je demande, dans un intérêt d'humanité, que la Chambre, avant de se séparer, s'occupe du projet sur la contrainte par corps que j'ai eu l'honneur de lui soumettre.
M. Coomans. - Messieurs, étant un des auteurs de la proposition de loi en faveur des garanties constitutionnelles de la presse, je désire, autant que l'honorable M. Bara, je puis dire plus que lui, puisque j'ai pris cette initiative, que cette proposition de loi soit discutée le plus tôt possible. Le plus tôt sera le mieux.
Si l'on peut discuter à la fois les deux projets dont on parle, je le veux bien, mais il ne faut pas non plus ajourner l'une des deux réformes sous prétexte que l'autre ne peut pas s'accomplir à la même heure.
Je verrais donc à la proposition de M. Bara, qui me plaît quant au fond, cet inconvénient que ce serait l'ajournement indéfini du projet de loi auquel le gouvernement a apporté toutes ses sympathies. Je suis de ceux qui pensent qu'il faut que la question de la contrainte par corps soit
vidée, qu'il ne faut pas que, à cause de quelques différences théoriques qui existent entre nous, un grand nombre de Belges restent soumis à des pénalités que nous trouvons exorbitantes. Je demande donc, avec l'honorable ministre de la justice, qu'on discute séparément le premier des projets de loi qui sera prêt, et comme celui-ci est à l'ordre du jour, je suis d'avis qu'on en aborde, immédiatement la discussion.
M. Bara. - Messieurs, l'honorable ministre de la justice a dit que, sous l'ancienne administration libérale, on n'avait jamais établi de connexité entre le projet de loi sur la contrainte par corps et le projet de loi déposé par MM. de Baets, Thonissen et consorts. Messieurs, la raison en est simple : c'est que le projet de l'ancien cabinet abolissait la contrainte par corps en toutes matières, même pour les dommages-intérêts qui pourraient être prononcés du chef d'articles de journaux. Or, le cabinet ancien étant décidé, tout au moins en ce qui me concerne, à ne pas signer un projet de loi même voté par la Chambre, où la presse serait soumise à un régime spécial, il est évident que nous n'avions pas à demander à discuter le projet de MM. de Baets et Thonissen en même temps que le projet sur la contrainte par corps.
Si nous l'avions demandé, mais nous aurions, pour ainsi dire, déclaré à l'avance que nous consentions à morceler le projet de loi sur la contrainte par corps, dès qu'on, acceptait le projet de l'honorable M. Thonissen. Mais il n'en est pas ainsi dans le projet présenté par M. le ministre de la justice. Ce projet permet d'exécuter la contrainte contre les journalistes qui, en vertu d'une condamnation civile, devraient payer des dommages-intérêts. Dès lors, nous sommes vivement intéressés, pour la presse, à savoir à quelle sorte de juridiction vous allez déférer ces procès. Car, il est à noter que, d'après le projet du gouvernement, les dommages-intérêts vont être prononcés à titre de peine et vont être mesurés à la gravité de la faute commise. C'est donc une sorte de condamnation pénale que l’on va prononcer contre les journalistes par la voie des tribunaux civils.
Il est donc de la plus haute importance que nous discutions le projet de l'honorable M. de Baets. L'honorable M. Coomans, toujours favorable aux idées progressives, voudrait nous faire croire que c'est sérieusement qu'il désire qu'on discute le projet de MM. de Baets et Thonissen.
M. Coomans. - C'est un peu fort ! Je demande la parole.
M. Bara. - Vous avez déposé ce projet de loi, alors que vous étiez de l'opposition. Vous êtes resté je ne sais combien de temps sans en demander la discussion. Vous n'avez pas voulu pousser, faire arriver cette proposition. Quand vous êtes arrivé au pouvoir, il a fallu les sommations de la presse pour forcer l'honorable M. de Baets à déposer sa proposition de loi qui avait disparu par suite de la dissolution.
M. Coomans. - Tout cela est parfaitement inexact.
M. Bara. - Tout cela est parfaitement exact.
Les journaux qui avaient suivi cette question ont sommé à diverses reprises M. de Baets de reproduire sa proposition ; et l'honorable M. de Baets s'en est expliqué à la Chambre : il a dit les motifs pour lesquels il a tardé aussi longtemps.
Cette question a été parfaitement examinée ; elle a été étudiée par l'honorable M. Thonissen, un des hommes les plus capables de la majorité. Prétendez-vous que vous n'êtes pas en état de discuter cette question ? Non ! Vous voulez escamoter le débat. Vous voulez discuter le projet de loi sur la contrainte par corps et laisser en arrière le projet de M. Thonissen. (Interruption.)
Si vous êtes sincères, discutez les deux projets simultanément. Je ne me prononce sur aucun des projets, mais la loyauté veut qu'on les discute en même temps.
La section centrale chargée de l'examen de la proposition de M. de Baets a été nommée avant la section centrale qui a examiné le projet de loi sur la contrainte par corps. Elle a de plus le travail de l'ancienne sec-lion centrale et le rapport de M. Thonissen.
M. Brasseur. - Elle ne s'est pas réunie.
M. Bara. - Pourquoi ne s'est-elle pas réunie ? Elle n'a qu'à se réunir d'urgence et à faire son rapport. Nous avons à discuter la loi sur les étrangers et la loi relative à l'emprunt. D'ici à la fin de la discussion de ces projets, la section centrale chargée de l'examen de la proposition de M. de Baets peut faire son rapport.
Je ne demande pas que la discussion du projet de loi sur la contrainte par corps soit ajournée à la session prochaine. Au contraire, je veux qu'on le discute de suite. Nous pouvons discuter ce projet dans cette session ; mais je demande qu'on discute en même temps la proposition de M. de Baets.
J'en fais la proposition formelle et je demande qu'on vote par appel nominal sur cette proposition.
(page 1581) M. Cornesse, ministre de la justice. - Je ne comprends pas l'obstination que met l'honorable M. Bara à demander que les deux projets de loi soient discutés en même temps. De quoi s'agit-il en effet dans la proposition de l'honorable M. de Baets ? L'honorable M. de Baets demande une seule chose : c'est qu'on restitue à la presse la juridiction dont elle a été, selon lui, inconstitutionnellement privée. Il supprime, en d'autres termes, l'action civile en matière de presse ; rien de plus, rien de moins. Cette proposition soulève une grave question de droit constitutionnel que la Chambre aura à examiner mûrement, mais qui ne touche en rien à la question de la contrainte par corps.
La proposition de l'honorable M. de Baets n'a trait qu'à une question de compétence, de juridiction pour la presse et ne se rattache que d'une manière très éloignée au projet sur la contrainte par corps. Quel que soit le régime adopté en matière de contrainte par corps, on ne veut pas, j'imagine, faire à la presse une position exceptionnelle, une position privilégiée. Elle doit rester dans le droit commun.
Quoi qu'on en dise, le projet à l'ordre du jour ne concerne pas spécialement la presse ; il maintient la contrainte par corps en matière répressive pour les crimes, délits et contraventions. Il maintient en outre ce qui existe d'après la loi de 1859, c'est-à-dire qu'il laisse les tribunaux civils juges de l'application de la contrainte par corps, lorsque les actions civiles sont poursuivies séparément devant eux pour des faits tombant sous l'application de la loi pénale, ou pour des faits illicites posés méchamment et de mauvaise foi.
En quoi, je vous le demande, la solution qui sera donnée à la contrainte par corps influera-t-elle sur le projet de l'honorable M. de Baets ?
La Chambre, après comme aujourd'hui, pourra discuter en toute liberté la question de compétence en matière d'action civile pour fait de presse, mais, encore une fois, les deux projets sont distincts, ils s'occupent d'objets complètement différents et vouloir les discuter simultanément au moment où beaucoup de membres de la Chambre aspirent à retourner chez eux, c'est aboutira l'ajournement d'une réforme demandée par de nombreuses pétitions en faveur de malheureux incarcérés pour dettes.
La conséquence de la proposition de l'honorable M. Bara serait de tenir sous les verrous une quantité de détenus étrangers et commerçants qui attendent impatiemment leur délivrance.
Je ne crois pas qu'il y ait en ce moment de détenus pour dettes appartenant à une autre catégorie.
M. Coomans. - Je défends ma dignité et celle de la Chambre entière, je pense, en repoussant les reproches aussi inconvenants qu'injustes que l'honorable M. Bara se permet de m'adresser.
Quoi ! je ne suis pas sincère dans les démarches que j'ai faites et dans les discours que j'ai prononcés pour l'extension de la liberté de la presse, et pour l'abolition de la contrainte par corps !
Et pourquoi, s'il vous plaît ?
Quelle est l'ombre d'un fait quelconque qui vous autorise à m'infliger cette injure ?
Vous m'accusez d'escamotage, vous, le plus grand escamoteur parlementaire que je connaisse ! Quel intérêt avais-je d'escamoter ?
Je suis un des premiers, si pas le premier - du reste ma position de journaliste m'y obligeait - qui ont constaté l'inconstitutionnalité de la contrainte par corps contre le journaliste, sous prétexte de responsabilité financière.
J'ai un des premiers conçu la proposition de l'honorable M. de Baets. J'ai voté, au fond, avec l'honorable M. Bara, sur la contrainte par corps...
M. Bara. - Pas jusqu'à la fin.
M. Coomans. -... et il s'en prend à moi. Pourquoi ? Je le lui demande. Je le défie de justifier son indigne accusation.
S'il est une chose à laquelle un honnête homme puisse être sensible, c'est au reproche de manquer de sincérité, c'est de faire de l'escamotage.
Il n'est rien que je déteste autant que l'escamotage et tous les escamoteurs quelconques. Qu'ai-je dit ?
Que je ne voulais pas que l'on maintînt indéfiniment en prison une foule de malheureux pour une divergence théorique entre nous.
Je désirerais que la question de la contrainte par corps fût examinée en même temps et même plus tôt que celle de la liberté de la presse, si c'était possible.
Mais, comme vous savez parfaitement qu'il est peu vraisemblable que la proposition de mon honorable ami de Baets passe dans cette session-ci, quoique j'en sois au regret, vous voulez, vous, ajourner l'autre question.
Voilà ce que je ne puis comprendre ni approuver.
Je vous en prie, descendez au fond de votre conscience et vous reconnaîtrez que vous avez été radicalement injuste envers moi.
M. Baraqza. - L'honorable ministre se trompe en disant que le projet de 1 honorable M. de Baets supprime l'action civile. Ce projet défère l'action civile aux cours d'assises au lieu de la déférer aux tribunaux civils, comme cela existe aujourd'hui.
AI. Cornesse, ministre de la justice. - Vous jouez sur les mots. J'ai dit l'action devant les tribunaux civils.
M. Bara. - Vous avez dit : Le projet de M. de Baets supprime l'action civile. Je l'ai noté.
Le projet de M. Thonissen ne déroge pas aux règles admises. Quant aux dommages-intérêts dus par la presse seulement, la juridiction de la cour d'assises est substituée à celle des tribunaux civils.
L'honorable ministre me demande pourquoi je veux établir une connexité entre le projet de M. de Baets et celui sur la contrainte par corps.
Je veux la discussion simultanée parce que vous établiriez par votre projet un nouveau délit de presse ; vous créez un délit se constituant d'actes illicites commis méchamment et vous punissez en proportion de la gravité de la faute commise. Vous allez créer en quelque sorte une nouvelle espèce de délit et je demande que votre loi ne puisse pas être en vigueur sans que vous ayez statué sur la proposition de M. de Baets.
Dans l'état actuel de la législation il peut n'y avoir aucune espèce de faute, mais par votre projet de loi vous dites qu'il doit y avoir faute.
C'est une sorte de délit que vous instituez et dès lors vous devez décider quelle est la juridiction à laquelle ce délit sera différé.
M. de Naeyer. - On le décidera plus tard.
M. Bara. - Et en attendant, les journalistes seront poursuivis devant les tribunaux civils. Vous voyez bien que cela n'est pas sérieux que de demander le maintien de la contrainte par corps contre les journalistes en leur faisant croire qu'on va modifier la loi des juridictions.
Il est donc certain que la proposition que j'ai faite est la conséquence nécessaire du nouveau projet de loi déposé par M. le ministre de la justice.
M. Coomans dit : J'ai toujours été partisan de la presse, j'ai toujours défendu la presse. Mais, si mes souvenirs sont exacts, quand nous avons voté les dernières dispositions de la loi sur la contrainte par corps, vous vous êtes séparé de nous.
M. Coomans. - J'ai toujours voulu la complète liberté de la presse.
M. Bara. - Vous avez voté contre la proposition de M. Guillery supprimant, pour quelques mois seulement, la contrainte par corps contre la presse.
Vous avez agi ainsi dans l'intérêt de votre parti qui a fait une question politique de la contrainte par corps.
Vous voulez faire croire à la presse que vous êtes soucieux de ses intérêts, seulement vous dites que vous vous en occuperez plus tard. Eh bien, votre « plus tard » ne signifie absolument rien, votre « plus tard » ne se réalisera pas.
Je suis tout aussi désireux que vous de finir cette année le projet de loi sur la contrainte par corps et, pour le prouver, je déposerai la proposition suivante :
« La Chambre décide qu'elle s'occupera dans cette session du projet de loi sur la contrainte par corps et du projet de loi déposé par MM. de Baets et Thonissen. »
M. Nothomb. - Je ne veux pas suivre l'honorable M. Bara dans les développements qu'il vient de donner, car c'est le fond de la question même qu'il discute.
La Chambre se trouve devant une question d'humanité ; le projet de loi sur la contrainte par corps n'est que cela ; c'est cette question qui doit avoir le pas, et qui, selon moi, doit primer toute autre, fût-elle une question de liberté relative, telle que celle..
M. Bara. - Pendant deux ans vous vous y êtes opposé.
M. Coomans. - C'est vous qui vous y êtes opposé.
M. Nothomb. - Quant à moi, je ne me suis opposé à rien du tout ; au contraire. Mais laissez-moi continuer et répéter, puisqu'on m'interrompt, que nous sommes devant une question d'humanité ; c'est celle-là qui doit avant tout être résolue, l'occasion s'en présente : le projet de loi sur la contrainte par corps est prêt, on imprime le rapport. L'autre projet soulève une question de liberté, que je soutiendrai comme je l'ai toujours fait.
Cette question n'est pas en état, elle ne peut l'être pour cette session, (page 1582) la section centrale n'est pas convoquée ; elle est des plus graves, elle soulèvera de sérieux débats dans la section centrale et dans les Chambres.
Ce que je puis dire à l'honorable membre, c'est que je ne serai pas le dernier à défendre l'opinion qui a toujours été la mienne, et que probablement je serai d'accord avec lui ; mais nous aurons des contradicteurs nombreux et je ne voudrais pas garantir une majorité avec nous.
Mais que M. Bara cesse de nous accuser de ne pas vouloir la solution favorable sur la proposition de mon honorable ami M. de Baets. Ne venez pas nous faire aussi injustement un procès de tendance, et dire que nous voulons la renvoyer aux calendes grecques. Je proteste de toutes mes forces contre cette accusation, et je demande à la Chambre de résoudre la question d'humanité, qui doit prévaloir sur toutes les théories, qu'elle peut résoudre immédiatement, et qui est inscrite à son ordre du jour.
M. David. - Messieurs, l'honorable M. Nothomb vient de s'occuper d'une question d'humanité, relativement à la discussion simultanée des deux projets de loi.
L'honorable M. Bara demande que si l'on discute l'un des projets pendant cette session, on discute l'autre en même temps ; nous discuterions ainsi les deux projets simultanément sans froisser aucun intérêt. S'ils sont adoptés, les détenus pour dettes seront mis immédiatement en liberté le jour même et je ne comprends pas que l'on puisse, à ce propos, accuser la gauche d'inhumanité.
M. le président. - La parole est à M. Van Humbeeck.
M. Van Humbeeck. - Je voulais présenter la même observation.
M. le président. - Avec l'assentiment de la Chambre, je donne la parole pour la troisième fois à l’honorable M. Coomans.
M. Coomans. - Messieurs, votre bienveillance m'oblige à être très court.
La proposition de l'honorable M. Bara ne me déplaît pas et je m'y rallie à la condition que les deux projets seront discutées avant notre séparation.
Je veux la solution de l'une et de l'autre question.
M. Jacobs, ministre des finances. - C’est impossible en ce moment.
M. Coomans. - Mais je crains que cela ne puisse avoir lieu.
M. Beeckman. - Nous en aurions pour un mois.
M. Coomans. - Vous venez de m'accusez, M. Bara. Eh bien, je crois que vous ne voulez ni de l'une ni de l'autre solution.
Vous ne voulez pas la solution de la question de la presse, et la preuve, c'est que vous avez intrigué, pendant plusieurs années, pour obtenir l'ajournement indéfini de la question. (Interruption.) Notre proposition date, je crois, de 1864.
Vous étiez les maîtres alors et vous avez agi de manière à nous plonger dans l'impuissance.
Nous étions minorité, nous avons fait preuve de bonne foi et de zèle ; nous avons rédigé notre proposition et nous l'avons développée chaque fois que l'occasion s'est présentée.
Vous l'avez toujours ajournée. Voilà ce qui m'autorise aujourd'hui à croire que vous ne voulez pas de solution sur ce point.
Quant à l'autre question, dont je veux la solution dans le sens le plus libéral, - qui n'est pas toujours le vôtre - je crois avec votre honorable ami, M. Nothomb, que c'est la plus pressante pour le moment.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Elle est à l'ordre du jour.
M. Coomans. - Oui, elle est la plus pressante, non seulement réglementairement, mais aussi au point de vue de l'humanité.
Il y a un grand nombre de malheureux qui sont victimes de nos dissentiments purement théoriques.
Cela n'est pas juste.
On a offert à l'honorable M. Bara de relâcher ces victimes, il ne l'a jamais voulu.
Il aime mieux faire des phrases sur les victimes que de leur ouvrir les portes des prisons, et c'est pour faire des phrases qu'il a maintenu les victimes sous les verrous.
C'est ma conviction, et comme j'exprime toutes celles que j'ai, en voilà encore une.
M. de Rossius. - Avec modération.
M. Coomans. - Si l'on veut, le même jour ou la même semaine, discuter les deux questions, j'accepte la proposition de M, Bara.
Mais, si cela est impossible, il faut bien se rallier à la proposition des honorables MM. Cornesse et Nothomb, c'est-à-dire courir au plus pressé, courir au malheur et, vraiment, nous ne sommes ni logiques ni humains quand nous retenons en prison des misérables (dans le sens plus ou moins honnête du mot), alors que nous sommes unanimes pour reconnaître qu'il faut les relâcher.
Je trouve que toutes vos phrases ne vaudraient pas un bon acte qui serait l'application de votre théorie.
M. Bara. - Il fallait faire cet acte il y a deux ans.
M. Coomans. - Vous ne l'avez pas voulu.
M. Guillery. - Je viens appuyer la proportion de l'honorable M. Bara.
Je suis, je le déclare, favorable au projet du gouvernement ; voici pourquoi : quand ce projet a été présenté, je me suis dit qu'il offrait un avantage certain et qu'il valait mieux l'accepter que de se trouver éternellement devant un ajournement de l'abolition de la contrainte par corps. Quelque défectueux qu'il soit, je l'accepte comme une nécessité. Mais la proposition de M. Bara ne vient en rien contrarier le projet du gouvernement, elle ne vient pas même en retarder l'application et il me paraît extrêmement logique, dans l'intérêt même de ce projet de loi, que le seul argument qu'on puisse invoquer pour le combattre puisse être réfuté en grande partie si pas en totalité, par la solution de la question soulevée par M. de Baets.
M. Nothomb s'apitoie sur le sort des malheureux qui sont en prison ; je partage son sentiment ; mais les malheureux qui sont ou qui seront en prison pour délits de presse me paraissent tout aussi intéressants que ceux qui sont en prison pour dettes.
- Des voix à droite. - Il n'y en a plus.
M. Guillery. - S'il n'y a plus en prison en ce moment des condamnés pour délits de presse, il peut y en avoir d'ici à peu de temps. (Interruption.) Si vous aviez la conviction qu'il n'y en aura plus, je ne vois pas pourquoi vous n'aboliriez pas la contrainte par corps. Je trouve assez singulier que l'on crie d'une part que la loi ne s'applique pas et que l'on dise d'autre part qu'elle est indispensable. Nous sommes d'avis, quant à nous, qu'il n'est pas besoin de contrainte par corps en matière de presse, que c'est au contraire chose nuisible...
M. Coomans. - D'accord.
M. Guillery. -... et contraire à la liberté de la presse, entendue comme elle doit l'être.
La proposition de M. Bara me paraît devoir concilier tous les désirs : de deux choses l'une, ou la proposition de M. de Baets sera acceptée ou elle ne. le sera pas ; si elle est acceptée, combinée avec le projet du gouvernement sur la contrainte par corps elle constituera un projet acceptable pour tout le monde et le plus grand grief contre le système du sénat, système que nous avons combattu, viendra à disparaître ; si, au contraire, la proposition est rejetée par la Chambre nous saurons au moins ce que veulent le gouvernement et la majorité.
Nous saurons ce qui est caché derrière le projet d'abolition de là contrainte par corps. Dans tous les cas, il faut qu'on s'explique sur cette question ; elle est à l'ordre du jour, elle est débattue depuis longtemps dans le Parlement, dans la presse et dans toutes les réunions où l'on s'occupe de politique. Le moment de la solution est arrivé.
Il m'est impossible de terminer sans répondre à une attaque de M. Coomans contre M. Bara. Je trouve que s'il est un point sur lequel M. Bara est inattaquable, c'est précisément sur la manière dont il a défendu le principe de la contrainte par corps, sur la conviction, le talent et l'énergie qu'il a apportés à la défense de ce principe. Vous dites qu'il a fait des phrases, mais qu'il n'a pas posé d'actes ! Mais il a compromis son existence ministérielle sur cette question, il est impossible de faire plus qu'il n'a fait pour faire appliquer le principe qu'il considérait comme inhérent au principe de la liberté de la presse.
Dire, dans ces circonstances, à un adversaire politique qu'il a voulu faire des phrases, cela ne me paraît pas juste, cela ne me paraît pas digne, cela ne me paraît pas à la hauteur des débats sur un sujet de cette importance.
En résumé, la Chambre a à statuer sur la question de la contrainte par corps ; il est impossible de parler de contrainte par corps en matière de dommages-intérêts sans parler aussi de la question de la presse, et il est impossible de parler de la question de la presse sans parler de la juridiction qui convient à la presse. Ces questions sont connexes. La proposition de l'honorable M. Bara me paraît donc parfaitement logique.
Je crois que la Chambre pourrait décider qu'elle s'occupera de ces deux questions avant de s'occuper du projet de travaux publics. De cette manière nous serons certains qu'elles seront discutées avant la clôture de la session.
(page 1583) M. le président. - Voici la proposition de M. Bara :
« La Chambre décide qu'elle s'occupera, avant toute autre question, du projet de loi sur la contrainte par corps et du projet de loi sur la presse déposé par MM. de Baets et Thonissen. » - Des membres. - La division !
M. Bara. - Il ne peut pas être question de division, attendu que je ne m'oppose nullement à ce qu'on discute le projet de loi sur la contrainte par corps cette année ; mais je demande en même temps qu'on discute aussi l'autre projet.
M. Coomans. - Il ne peut pas y avoir ici de vote par division : on ne peut pas diviser une pensée unique.. La pensée unique, c'est que les deux projets soient discutés dans la session actuelle. Si on les divise, il n'y a plus de proposition.
Il faut donc mettre aux voix la proposition telle qu'elle est formulée. On demande l'appel nominal, c'est aussi mon désir.
M. Nothomb. - La division n'est pas nécessaire, mais il reste bien entendu que si la proposition de M. Bara est rejetée, l'ordre du jour conservera son cours et que le projet sur la contrainte par corps sera discutée à son rang.
- Plusieurs membres. - C'est entendu ainsi.
- Il est procédé à l'appel nominal.
75 membres y prennent part.
44 répondent non.
29 répondent oui.
En conséquence, la proposition de M. Bara n'est pas adoptée.
Ont répondu non :
MM. Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Vermeire, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Beeckman, Biebuyck, Boucquéau, Brasseur, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, de Lhoneux, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Dumortier, Gerrits, Hayez, Jacobs, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Magherman, Mulle de Terschueren, Nothomb, Pety de Thozée, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thienpont et Thibaut.
Ont répondu oui :
MM. Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Allard, Bara, Bergé, Braconier, Coomans, Crombez, d'Andrimont, Dansaert, David,, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Macar, Dethuin, de Vrints, Elias, Guillery, Hagemans, Jamar, Janssens Jottrand, Mouton, Muller, Orts et Rogier.
M. David. - La Chambre n'ayant pas adopté ma proposition d'ajournement, je me permettrai de faire valoir encore quelques considérations, dans l'espoir d'améliorer quelque peu la position qui va être faite a la ville de Spa.
D'un bout à l'autre du pays et depuis un grand nombre d'années, nous avons dépensé des sommes considérables dans le but d'assurer le bien-être et la prospérité d'un grand nombre de localités. Chaque point du pays pour ainsi dire a été l'objet de quelque loi spéciale de crédit, chaque localité pour ainsi dire a eu son lot spécial.
Liège, pour la dérivation de la Meuse, a obtenu 8 millions.
Verviers obtiendra, pour les travaux de la Gileppe, 5 à 6 millions.
Qu'a fait l'Etat pour Anvers ? Il a consacré 12 millions au rachat des péages,de l'Escaut sans compter tous les millions payés précédemment et annuellement pour le remboursement de ces droits aux navigateurs qui fréquentaient ce port de mer.
Que ne nous ont pas coûté les Flandres, lors de la crise linière ? Pendant combien d'années n'a-t-on pas porté au budget des subsides très considérables, des quantités de millions pour venir en aide aux populations dès Flandres, si éprouvées et par les mauvaises récoltes de pommes de terre et par la transformation de l'industrie linière à la main, remplacée par la mécanique !
La ville de Bruxelles a déjà obtenu une masse considérable de subventions ; et chaque année elle en reçoit de nouvelles. C'est ainsi que dans le moment actuel l'Etat y fait construire un palais de justice qui coûtera je ne sais combien de millions.
Je crois que l'honorable ministre de la justice lui-même ne pourrait dire à combien de millions se chiffrera la dépende de cette construction.
Il y a d'antres travaux considérables exécutés précédemment qui tous constituent de véritables cadeaux à la ville de Bruxelles.
M. Allard. - Qu'est-ce que la ville de Tournai a obtenu ?
M. David. -. Nous avons Charleroi, ville très importante et très industrielle sans doute, pour laquelle nous avons dépensé des sommes très considérables, pour la canalisation de la Sambre.
Je ne saurais vous citer tout ce qui a été fait ; nous avons, en un mot, fait des dépenses considérables sur toute la surface du pays afin d'amener la prospérité partout ; et nous voudrions ruiner la ville de Spa qui ne demande rien des deniers publics, qui, au contraire, en fournit au trésor sous toutes les formes !
Cette ville n'a ni commerce, ni industrie. Toute sa prospérité provient de la fréquentation des étrangers, et nous voudrions chasser ces étrangers, les refouler vers d'autres villes qui ont jusqu'à présent beaucoup plus d'attraits que Spa n'en a et n'en aura.
J'ai exposé tout à l'heure tous les besoins urgents auxquels il restait à pourvoir à Spa, pour rendre cette ville, je ne dirai pas aussi agréable à habiter que les villes d'Allemagne, mais au moins pour la rendre supportable à la belle et haute société qui l'a visitée jusqu'à présent.
En supprimant les jeux et en donnant à Spa une somme insignifiante non seulement pour couvrir les frais d'amusement des étrangers, mais encore pour faire les travaux d'embellissement et d'agrandissement, nous ne faisons ni plus ni moins que ruiner les finances de l'Etat.
Je ne parlerai pas de la part retirée par le trésor public directement de sa quotité dans les profits des jeux ; mais je vous signalerai les contributions qui ont été payées pendant les dernières années à Spa et qui diminueront considérablement si les étrangers ne fréquentent plus Spa comme ils l'ont fait jusqu'à présent.
Spa, qui a une population de 5,000 et quelques centaines d'habitants, a payé en 1869 :
En contributions et accises, 108,426 fr. 89
Enregistrement et domaines, 37,400 fr.
Postes et télégraphes, 55,583 44 fr.
En tout, 201,410 f. 33 c.
En voici le détail :[ce détail n’est pas repris dans la présente version numérisée, de même que le relevé des expéditions des droits perçus sur les marchandises faites à destination de Spa, pendant l’année 1869 par chemin de fer : 128,316 fr. 41 c.]
(page 1584) Il faut encore ajouter l'accise qui a été payée sur les boissons distillées en destination de Spa, comme vins, eaux-de-vie, genièvre, etc., etc., et qui a été acquittée à l'entrée du pays, soit 128,516 francs. Si vous ajoutez 128,316 francs à 201,000 francs, vous arriverez, à quelques centaines de francs près, à 330,000 francs.
Afin de vous faire toucher du doigt la différence entre Spa livrée à elle-même et Spa fréquentée par les étrangers, je vous rappellerai que dans la période d'été de 1869 la poste a rapporté à Spa 29,507 francs et le télégraphe 15,714 fr. 15 c, ensemble 45,221 fr. 13 c. Quand la poste et le télégraphe n'ont plus affaire qu'aux seuls habitants de Spa, c'est-à-dire en hiver, la poste ne donne plus que 9,374 fr. 81 c. et le télégraphe seulement 987 fr. 50, en tout 10,362 fr. 81 c.
Entre les deux périodes il y a donc 35,000 francs de différence. Cela vous donne, messieurs, une idée de ce que les autres contributions rapporteront en moins. A Spa, cela est évident quand il ne sera plus fréquenté comme il l'est aujourd'hui, la valeur des propriétés diminuera immédiatement de moitié. Je dis de moitié, mais comme j'ai déjà vu Spa à une autre époque dans une position critique comme celle qui se prépare, je puis estimer la différence en moins de la valeur de la propriété foncière à deux tiers.
Quant à la personnelle, elle sera réduite encore infiniment plus. Pourquoi paye-t-on autant aujourd'hui ? C'est que les maisons particulières sont habitées de haut en bas et meublées avec beaucoup de luxe ; tout est transformé en quartiers à louer aux étrangers ; chacun tient des chevaux, etc., etc. Mais les étrangers ne visitant plus Spa, cela est indiscutable, les habitants de Spa vendront leurs meubles, mureront des portes, des fenêtres et des foyers, vendront leurs chevaux afin d'échapper à la contribution personnelle. Quant aux accises, 5,000 ou 5,500 habitants ne payeront plus à l'Etat 142,150 fr. 41 c, leur consommation personnelle de liquide soumis à l'accise se réduira à sa plus modeste expression et beaucoup d'entre eux boiront de l'eau, la somme payée pour droit d'accise sera insignifiante.
Vous voyez donc combien le trésor est fortement intéressé dans la prospérité de Spa. Le chemin de fer n'y est pas moins intéressé. Je n'ai pas le nombre des voyageurs qui circulent sur les chemins de fer en destination de Spa, mais il doit être très considérable ; nous recevons bien les listes d'étrangers mais elles sont très incomplètes ; les habitants des environs, par exemple, ne s'inscrivent jamais, je crois donc qu'en portant à 60,000 le nombre de personnes qui viennent de Liège, de Verviers ou des environs visiter Spa, je resterai encore en dessous de la vérité.
Ajoutez-y tous les touristes nombreux, parcourant nos lignes ferrées d'un bout à l'autre du pays, et séjournant un peu partout en y laissant des traces de leur passage et vous comprendrez l'immense influence de Spa sur les recettes du chemin de fer.
Vous voyez, messieurs, que de ce côté encore il y a une perte pour le trésor public.
J'arrive maintenant à la perte à subir par tous les environs de Spa, car la ville de Spa n'est pas seule à tirer des avantages de la saison des eaux.
Toute la population des environs de Spa vit plus ou moins de la saison des eaux de Spa. Ce sera une ruine complète. La pétition des habitants de Sart, Francorchamps, La Reid, Posseur, Stavelot, etc., vous prouve combien on y est alarmé de la suppression précipitée des jeux.
Si Spa a pu s'agrandir, si Spa a maintenant une quantité de constructions de luxe, ce n'est pas tout à fait avec de l'argent appartenant aux constructeurs qu'ils ont élevé ces belles bâtisses ; beaucoup d'entre eux ont dû faire des emprunts hypothécaires, afin de pouvoir construire leur maison, et cela dans l'attente de bonnes saisons des eaux, dans l'espoir, qu'ils devaient considérer comme fondé, de voir durer ce contrat des jeux jusqu'en 1880.
Eh bien, que va-t-il arriver ? C'est que tous ces propriétaires, qui ont dû engager l'avenir, seront ruinés. Ils seront expropriés et mis sur le pavé.
Vous le voyez, la position de Spa sera des plus précaires, si nous ne venons pas à son aide, en lui donnant une somme suffisante pour procurer encore quelques plaisirs aux voyageurs qui en été visitent les différentes villes d'eaux.
On m'a opposé tantôt l'immoralité des jeux de Spa. Mais je suis à me demander et je crois que vous vous êtes tous demandé si les jeux publics, surveillés qu'ils sont par des fonctionnaires publics spéciaux, ne sont pas moins immoraux que les tripots clandestins ; tous vous aurez été d'accord avec moi sur ce point, car vous n'ignorez pas qu'il existe des tripots sur presque toute la surface de notre pays et beaucoup dans les pays voisins, où l'on plume les badauds sans surveillance aucune. Au moins, dans les jeux publics, comme à Spa, à Wiesbaden et dans tous les endroits où vous avez la roulette et le trente et quarante, le joueur connaît les chances de perte auxquelles il s'expose.
M. Simonis. - C'est très moral que les jeux de Spa dans le voisinage d'une ville industrielle.
M. Muller. - Vous ne deviez pas en demander la prorogation.
M. David. - L'honorable M. Simonis n'a probablement pas lu le relevé des monnaies qui ont été touchées aux jeux de Spa. S'il avait voulu étudier la question d'un peu plus près, il saurait que, dans l'argent exposé et perdu aux jeux de Spa, il y avait en moyenne dans les dernières années, rien qu'en billets de banque français, pour une somme d'un million.
Or, nous ne portons pas ordinairement des billets de banque français dans nos poches, parce que l'on nous fait perdre un agio lorsque nous les échangeons. Ces billets de banque provenaient donc de joueurs français.
Dans cet argent se trouvaient aussi des souverains anglais, des ducats, des roubles, des piastres pour une somme considérable, et l'on peut dire que la fraction à supporter pour la part des joueurs de la Belgique est très infime. J'en ai vu une appréciation, il s'agit de quelques centaines de mille francs que perdrait la fashion belge.
Mais qui sont ceux qui perdent en grande partie cet argent ? Ce sont des gens cherchant des émotions, qui aiment les jeux, qui, s'ils ne jouaient pas à Spa, iraient le faire ailleurs. Pour eux, c'est un amusement, pas autre chose. Quant au danger et à l'immoralité des jeux près d'une ville industrielle, l'honorable M. Simonis aurait dû examiner la liste des personnes qui ont été empêchées de jouer à Spa en 1870, et depuis grand nombre d'années c'est la même chose.
Il y a eu, par les agents de police de Verviers, de Liège et de Spa, placés à l'entrée de la salle des jeux, 752 personnes empêchées de jouer, parce qu'on supposait que c'étaient des ouvriers contre-maîtres, des employés de toutes catégories, des artisans, etc., des personnes, en un mot, auxquelles il était utile de refuser l'entrée.
Donc, messieurs, je conclus que les jeux publics surveillés sont infiniment moins immoraux que les jeux clandestins. On se ruine de toutes les façons.
N'existe-t-il pas beaucoup de personnes se ruinant à la Bourse ? Est-ce que les courses de chevaux n'ont pas amené la ruine de plusieurs lords anglais de la plus haute aristocratie et riches à masses de millions ? Je lisais encore dernièrement que tel lord avait été ruiné par les paris qu'il avait engagés sur les chevaux et perdus ; ses écuries et tout son avoir ont été vendus à l'encan pour couvrir ses dettes. La passion du jeu est dans le cœur humain comme bien d'autres, elle est irrésistible et vous n'empêcherez jamais de jouer. Ne pouvant plus jouer à Spa, on ira autre part.
Plusieurs d'entre vous ont visité l'Italie et ont dû voir jouer à la morra ; là il n'y a ni cartes, ni roulette, ni dés, rien, en un mot, que les quatre mains des deux joueurs ; ils se placent en face l'un de l'autre, se faisant des signes avec les doigts seulement ; ils exhibent simultanément, par exemple, l'un trois doigts, l'autre quatre, et font quantité d'autres combinaisons, et celui des deux qui, au moment de l'exhibition rapide des doigts des quatre mains réunies, a deviné le nombre de doigts exhibés, gagne l'enjeu. Et on se ruine parfaitement en jouant à la morra, jeu bien primitif et bien portatif, insaisissable par la police.
J'ai dit qu'il n'y a pas de probabilité de voir de sitôt supprimer les jeux en Allemagne.
J'ai dit que l'empire d'Allemagne s'occupera de questions locales, et il sera, je pense, très bienveillant pour les populations qui ont été si (page 1585) patriotiques et si éprouvées dans la dernière guerre, et, en ce qui concerne Baden-Baden, il y a une raison de plus pour ne pas y supprimer les jeux.
Baden-Baden est situé dans le grand-duché de Bade et déjà une grande opposition s'est manifestée au corps législatif de Bade les années précédentes.
Le gouvernement de Bade est intéressé lui-même dans les jeux, dont il retire un tantième et comme il est intervenu pour une grande part dans les frais de la guerre de 1870-1871, il a besoin de ressources et de ménager ses contribuables et il agira efficacement à Berlin pour que les jeux ne soient pas supprimés à l'époque supposée de décembre 1872.
Il faut donc, messieurs, que nous cherchions une combinaison qui vienne en aide à la ville de Spa et a toutes les populations qui entourent Spa.
Vous avez entendu tantôt l'honorable M. Simonis vous demander d'amender le paragraphe 3 de l'article premier.
L'amendement de M. Simonis ne me paraît pas suffisant pour sauvegarder les intérêts de la ville de Spa,
Je proposerai donc les amendements suivants :
« Art. 1er. Une convention entre M. le ministre de l'intérieur d'une part et le conseil d'administration de la société concessionnaire des eaux et le collège échevinal de Spa d'autre part, sera conclue sur les bases suivantes :
« les jeux de Spa seront supprimés le 31 octobre 1874.
« Pendant les années 1871 et 1872, les bénéfices se partageront comme suit ;
« 50 p. c. pour la part de l'Etat.
« 30 p. c. pour la part de la ville de Spa.
« 20 p. c. pour la part des actionnaires.
« Pendant les années 1873 et 1874, ces bénéfices se partageront comme suit :
« 90 p. c. pour la part de l'Etat.
« 10 p. c. pour la part des actionnaires.
« Les immeubles et accessoires appartenant à la société des jeux de Spa seront cédés dans leur état actuel à la commune de Spa, le 31 décembre 1874, aux conditions stipulées dans la convention précédente des 29-30 avril 1868. »
Art. 1er, au 3ème alinéa : à partir de l'année 1873, au lieu de 1871.
Au 9ème alinéa : pendant 8 années, à partir de 1873, au lien de 10 années, à partir de 1871, les indemnités suivantes (successivement : à la commune de Spa - aux communes d’Ostende, etc. - au bureau de bienfaisance de Spa) :
1873 : 600,000 - 138,000 - 12,500
1874 : 600,000 - 138,000 - 11,500
1875 : 200,000 - 76,000 - 10,500
1876 : 200,000 - 59,000 - 8,000
1877 : 100,000 - 22,250 - 3,000
1878 : 100,000 - 22,250 - 2,000
1879 : 100,000 - 22,250 - 2,000
1880 : 100,000 - 22,250 - 1,000
Total : 2,000,000 - 500,000 - 50,000
Art. 3, 4ème et 5ème alinéas : en 1873 et en 1874, en vertu de la convention reprise à l'article premier.
Art. 5, 5ème alinéa : supprimer « qui fait l'objet de l'article 3 de ladite convention. »
Voilà, messieurs, les amendements que j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre et je la prierai de les renvoyer à la commission, Car nous ne pourrions pas les examiner convenablement aujourd'hui.
Je ferai observer, messieurs, en terminant, que d'après cette combinaison, le trésor public, non seulement resterait complètement indemne, mais encore qu'il y gagnerait une somme importante.
Je n'ai pas eu le temps de faire le calcul exact, mais depuis trois ou quatre ans déjà, aucune fraction des bénéfices réalisés par le gouvernement sur les jeux de Spa n'a été portée au budget des voies et moyens ; il doit exister dans la caisse du trésor de ce chef au moins 3 millions de francs.
Par ma combinaison, si les bénéfices continuent à rester les mêmes qu'en 1870, l'Etat réalisera, en 1871 et 1872, 1,000,000 chaque année, soit 2,000,000, et les deux dernières années, en 1873 et en 1874, avec les 90 p. c. lui attribués, un bénéfice de 3,600,000 francs.
Avec ces 3,000,000 en caisse, les 2,000,000 de 1871 et 1872 et avec les 3,600,000 francs des deux dernières années, vous le voyez, l'Etat a plus (page 1585) qu'il ne lui faut pour payer 1,000,000 à la ville de Spa, 500,000 francs aux autres villes d'eaux et 50,000 francs au bureau de bienfaisance de Spa.
Je prie la Chambre d'examiner avec bienveillance les amendements que je viens de présenter ; ils tireraient peut-être Spa de la mauvaise position que lui préparent le projet du gouvernement et même celui de la section centrale qui, cependant, vaut un peu mieux.
-- Les amendements de M. David sont appuyés ; ils font, en conséquence, partie de la discussion.
M. Vermeire. - Je n'aurais pas demandé la parole si je n'avais pas entendu l'honorable préopinant comparer les subsides accordés à diverses provinces dans un intérêt général et ceux que la ville de Spa prétend avoir le droit de recevoir du gouvernement.
Je regrette vivement que le gouvernement soit jamais intervenu dans la question des jeux ; je le regrette d'autant plus que les législations anciennes et le code pénal se sont toujours préoccupés de prohiber les jeux. Et les motifs qui en sont donnés par les auteurs sont des plus moraux ; je puis les résumer succinctement.
« Attacher aux jeux de hasard une perte et un gain donne, à ceux qui participent à ces jeux, un attrait d'autant plus puissant et des émotions d'autant plus vives que des sommes considérables, des fortunes entières peuvent être gagnées ou perdues sans peine, sans travail, sans effort.
« Le danger du jeu se manifeste dans ses conséquences économiques les plus regrettables, savoir : détournement du travail, dérangement subit, au préjudice des familles, des fortunes créées par l'économie ; emploi improductif et dispersion des capitaux. »
Si les lois anciennes aussi bien que les lois modernes ont cru devoir sévir contre les jeux de hasard, nous ayons le droit de regretter que le gouvernement par son intervention les encourage encore.
Et maintenant quel est le droit qu'on prétend avoir ? On dit que, puisque la ville de Spa, la ville d'Ostende et d'autres villes encore ont fait des dépenses extraordinaires pour maintenir les jeux, le gouvernement doit intervenir pour les indemniser de ces dépenses.
Eh bien, messieurs, je dis que cela n'est pas vrai, et que le gouvernement ne doit pas intervenir. A mon avis, les sommes qu'il a reçues, qu'if a prélevées sur les gains immoraux de ces jeux publies, prohibés cependant par le code pénal, toutes ces sommes, il aurait dû les restituer ; car, en ce cas, il n'aurait pas donné à ces jeux un encouragement.
- Voix à gauche. - Très bien !
M. Vermeire. - Comment, messieurs, il y a la population ouvrière des villes et des communes qui se trouvent à proximité de Spa qui, par cet encouragement donné par le gouvernement et attirés par l'appât, vont, le dimanche, non seulement perdre au jeu le produit de leur travail de toute une semaine, mais encore ils vont jeter sur le tapis vert leur honneur et tout ce que leur famille à de précieux.
-Voix à droite et à gauche. - Très bien !
M. Vermeire. - Et comment 1 vous direz que cela n'est pas immoral ; et si vous le reconnaissez, au moins ne venez pas indemniser cette immoralité.
Maintenant, messieurs, voyons aussi combien la position des jeux s'est augmentée. Quand on remarque les chiffres de la part qui est attribuée au gouvernement et aux autres participants, on constate que la quote-part des actionnaires s'est élevée de 416,000 francs en 1864 à 628,000 francs en 1870 ; et l'on peut dire que ces sommes seront plus élevées encore dans l'avenir.
D'autre part, la ville de Spa a reçu, sur les bénéfices réalisés par les jeux en 1864, 277,000 francs et en 1870, 419,000 francs.
Il me semble, messieurs, que pour que des bénéfices aussi considérables puissent être obtenus, la chance des joueurs ne doit pas être énorme ; et il faut que ceux qui tiennent des maisons de jeu aient des chances extraordinaires pour réaliser des bénéfices aussi grands que ceux que je viens d'indiquer.
Si les bénéfices ne s'élevaient qu'à 4,000 ou 5,000 francs ce serait déjà beaucoup,, ou si, seulement, les chances étaient égales pour tous, il n'en résulterait pas un préjudice aussi considérable que celui que nous constatons aujourd'hui, mais je le déclare franchement, je ne veux pas consacrer par mon vote la continuation de cette immoralité.
Je regrette vivement même que l'Etat y soit intervenu ; quant à moi, je ne veux pas y participer et, je le répète, appelé à voter sur le projet de loi qui nous est soumis, j'émettrai un vote défavorable.
Mais, dit-on, on joue en Allemagne. Qu'importe ! Si la haute et la petite noblesse, pour être attirée à Spa, doit avoir des émotions, si elle doit y arriver avec des saces d'écus et en sortir entièrement plumée, s'il faut ces (page 1586) émotions pour engager les joueurs, non seulement à perdre leur fortune, mais à perdre quelque chose de plus précieux, l'honneur, et à occasionner le malheur de leurs familles, si tout cela doit être encouragé par le gouvernement, je dis que le gouvernement commet non pas seulement une faute, mais pour ainsi dire un crime contre la société.
Messieurs, je ne veux pas entrer dans de plus longs développements ; je ne veux pas vous rappeler les motifs pour lesquels les législations anciennes, comme les législations modernes, ont toujours sévi très sévèrement contre les jeux de Spa.
Je ne veux pas rentrer dans ce débat. Mais si la discussion doit se prolonger, j'apporterai demain l'opinion de personnes très compétentes, de hauts magistrats qui ont exposé les motifs pour lesquels les sociétés qui se respectent doivent prohiber les jeux de Spa.
M. de Macar. - Messieurs, je demande la parole, en l'absence de l'honorable M. Delcour, non pas au nom, mais comme membre de la section centrale.
Je réclame donc l'indulgence de la Chambre ; je ne m'attendais pas, en effet, a avoir à remplir la tâche qui eût été si bien remplie par l'honorable rapporteur.
Il me semble, messieurs, que dans ce débat il se présente deux questions.
La première, c'est la question de la suppression des jeux elle-même. Cette suppression a été discutée à plusieurs reprises dans cette enceinte ; chaque fois elle a été unanimement résolue, on a été en divergence sur les conditions et l'époque de la suppression ; mais, quant à la question de principe elle-même, pas une voix ne s'est élevée pour demander le maintien du privilège. Il me semble donc inutile de revenir sur ce point ; l'approbation si complètement unanime que les paroles de l'honorable M. Vermeire viennent de rencontrer témoignait à l'évidence au reste que les anciennes opinions de la Chambre ne se sont nullement modifiées.
Mais, à côté de cette question, la principale, il y en a une autre qui offre aussi un intérêt sérieux. Le gouvernement a laissé se maintenir, pendant un temps assez long, un monopole, un privilège immoral, je le concède, mais enfin un véritable privilège en faveur d'une ville.
Cette ville, se fondant sur la possession de ce privilège, a dû nécessairement constituer son existence en conséquence ; elle a dû faire des dépenses en vue de le conserver et de l'exploiter ; les habitants ont dû croire que l'industrie factice que la munificence de l'Etat leur accordait se continuerait longtemps ; dès lors ils ont bâti, ont fait des frais assez considérables pour profiter de cette industrie factice qui leur était octroyée. L'Etat faisant cesser cet état de choses, il y a, évidemment, obligation pour lui d'accorder à Spa une compensation telle que cette ville ne passe pas d'un état très prospère à un état de détresse. Il y a là une question de justice et d'équité qui oblige d'une manière absolue, et la Chambre n'hésitera pas,. j'en suis certain, à accorder à Spa une indemnité telle qu'il lui soit possible de continuer dans de bonnes conditions son existence de ville d'eaux.
Je désire très vivement que la ville de Spa soit aussi prospère que ses concurrentes d'Allemagne ; et je n'hésiterais pas, je le déclare, à lui accorder une indemnité considérable.
Si le chiffre proposé par la section centrale est trouvé insuffisant, je voterai très volontiers pour un chiffre supérieur ; mais ce qu'à aucun prix je ne puis admettre, c'est qu'on recule les délais dans lesquels les jeux de Spa doivent être supprimés.
Voilà la question telle qu'elle doit, je pense, être posée ; c'est dans cette voie que la section centrale l'a fait entrer.
Je passe à l'examen des divers amendements qui ont été présentés ; je pense qu'aucun d'entre eux ne peut être accueilli. L'amendement de l'honorable M. Simonis me paraît notamment s'éloigner des idées que cet honorable membre lui-même professait, il y a peu d'instants, dans une interruption. Il a, en effet, constaté combien la situation de Spa, ville de jeux, à proximité de Verviers, ville industrielle, était fâcheuse pour celle-ci.
Si cela est incontestable, et je pense que personne ne le contredira à cet égard, il est évident que l'honorable membre ne doit pas désirer que cet état de choses, qu'il juge aussi dangereux, subsiste jusqu'en 1880. Il doit se joindre à nous pour demander une augmentation de subsides ; mais il ne peut pas maintenir son amendement, ce serait au détriment de ses principes.
Quant aux amendements de l'honorable M. David, ils demandent eux aussi une prolongation de l'époque des jeux. Les raisons que j'ai opposées à l'amendement de M. Simonis s'appliquent donc également aux siens. Je pense qu'elles suffisent pour que nous devions les rejeter.
Messieurs, avant de terminer je dois exprimer le regret de ce que le gouvernement ne consente pas à se rallier à l'amendement de la section centrale.
L'article premier de cet amendement avait pour but de décider la suppression absolue et sans condition des jeux de Spa dans le terme de deux années et sans laisser la possibilité de les continuer au delà pour des raisons quelconques non précisées. Je reconnais que pour le cabinet actuel la seule hypothèse qui pourrait amener une prolongation serait le maintien des jeux en Allemagne et je ne redoute pas cette hypothèse. L'exposé des motifs de l'honorable M. Kervyn l'atteste parfaitement.
Mais je crois qu'il est dangereux de maintenir cette disposition, parce que si elle engage parfaitement le ministère actuel, si elle engage complètement l'honorable M. Kervyn, elle n'engage pas tout autre ministre qui lui succéderait.
Il est évident que si le texte proposé est admis, le gouvernement sera parfaitement libre, l'année prochaine, de venir dire, sous un prétexte quelconque : Je prolonge les jeux de deux années, alors même qu'ils ne seraient pas continués en Allemagne.
Je crois, messieurs, qu'il est bon de ne pas donner aux populations intéressées des espérances fallacieuses et qu'il est bon de préciser quels sont les pouvoirs qu'on entend laisser au gouvernement.
Notez-le bien, je suis parfaitement d'accord en principe avec l'honorable ministre de l'intérieur, je suis persuadé que jamais, tant que M. Kervyn sera ministre, l'éventualité que je prévois ne se réalisera. Mais les ministres ne sont pas immortels ; les ministres se succèdent parfois assez rapidement, et je juge dangereux d'accorder un pouvoir discrétionnaire qui, en réalité, doit appartenir à la Chambre.
L'amendement de la section centrale n'avait d'autre but que de sauvegarder ce droit.
L'honorable M. David a présenté quelques observations que je crois devoir rencontrer. C'est au sujet de la situation faite à Spa. La ville de Spa, messieurs, va se trouver, je crois, dans des conditions assez bonnes pour pouvoir résister sans péril à la suppression des jeux. (Interruption.)
Mais vous devez, vous aussi, aimer et admirer ce pays, M. David. Moi. qui le connais parfaitement, je le trouve très beau et je crois que beaucoup de personnes partagent ici mon opinion. (Interruption de M. David.)
Vous me dites d'examiner la situation où va se trouver la ville ? Nous allons faire cet examen.
Votre calcul n'est pas exact. D'abord pourquoi ne comptez-vous que 83,000 francs pour l'intérêt de la dotation. En prenant même l'hypothèse la plus défavorable, à 5 p. c, on aurait encore 93,000 francs de revenu, et ce n'est pas la seule ressource que possède Spa ; elle possède encore, entre autres choses, le produit des bains, le revenu de ses forêts, et ces forêts sont assez considérables.
Je connais la localité ; elle a, comme toutes les villes, sa part du fonds communal et si cela ne suffit pas, elle peut, aussi bien que les autres villes, faire quelques sacrifices et créer quelques impositions communales. Voilà ce que Spa peut et doit faire. Je ne vois pas pourquoi il y aurait en Belgique des localités soustraites à toute espèce d'impôts communaux alors que les autres s'imposent des sacrifices assez considérables ; lorsqu'on vient arguer que pour de telles raisons il faut maintenir les jeux, on sert mal, je crois, les intérêts qu'on veut défendre.
J'en viens au chapitre des dépenses. M. David prétend qu'elles s'élèvent à 191,000 francs ; c'est le chiffre présenté par la ville. Je le crois quelque peu exagéré ; le gouvernement estime que le chiffre des dépenses ne dépassera pas 140,000 francs et cela me paraît, quant à moi, être plus conforme à la vérité après un examen très impartial.
S'il ne faut pas plus, le revenu de la dotation s'élevant alors à 115,000 fr. la ville n'a que quelques sacrifices à s'imposer pour avoir son budget normalement établi. Il n'y a, il est vrai, que 5,000 habitants à Spa ; donc peu de ressources à espérer, mais il y a des étrangers et partout aux villes d'eaux d'Allemagne, comme à Ostende et à Blankenberghe, on prélève une espèce de droit de capitation sur les visiteurs. On fait payer le droit d'entrée au Kursaal, aux salons de bals, etc., et ce n'est certes pas le modique impôt prélevé en cette circonstance sur des étrangers qui les empêche de séjourner dans une localité. Je dois reconnaître cependant que l'honorable M. David a dit une chose très exacte, je le constate volontiers : c'est que Spa doit faire quelques travaux pour maintenir sa bonne position ; il est certain que la fontaine du Pouhon doit être considérablement augmentée. Ce monument laisse beaucoup à désirer. A cet égard, si une proposition était faite, je serais disposé à l'appuyer.
Quant à la plupart des autres travaux d'utilité publique indiqués, l'honorable M. David perd de vue que Spa se trouve dans la condition de (page 1587) toutes les autres villes. Ce sont des travaux d'utilité communale. Spa subit à cet égard la loi commune, et elle recevra des subsides du gouvernement comme les autres localités. Au reste, en supposant même qu'elle soit un peu lésée, ce que je ne crois pas, on ne peut sacrifier à cet intérêt la grande question de moralité qui dicte en ce moment la résolution de la Chambre.
J'ajoute que si le gouvernement consent à majorer son intervention en faveur de Spa, j'en serai extrêmement satisfait et que j'y donnerai complètement la main.
Dans la section centrale, j'avais proposé une situation bien meilleure que celle qui est acceptée, et c'est par une véritable transaction et pour être certain d'avoir la majoration très réelle obtenue par la section centrale, que je me suis rallié au chiffre proposé par l'honorable M. Delcour.
A cet égard, je dois déclarer que l'honorable M. Delcour, comme moi, nous avons fait tous nos efforts pour obtenir de l'honorable M. Jacobs une majoration de crédit en faveur de Spa. Nous n'avons pas réussi. Si l'honorable M. David espère être plus heureux devant la Chambre et si un amendement est proposé en ce sens, je suis tout disposé à m'y rallier.
M. le président. - Il vient de parvenir au bureau un amendement de M. Coomans. Il est ainsi conçu :
« A l'article 2, en tête de la deuxième colonne de chiffres, je propose d'écrire : « au fonds communal ; » c'est-à-dire que M. Coomans propose de substituer ces mots : « au fonds communal, » aux mots : « aux communes d'Ostende, etc. »
M. David. - Messieurs, je vais, je crois, répondre d'une manière complètement victorieuse à toutes les allégations de l'honorable M. de Macar.
Il a terminé en disant que Spa était une ville comme toutes les autres, sous le rapport des édifices à ériger. Par conséquent, à Spa, on peut construire une église qui sera à peu près une grange, comme on en construit dans nos communes rurales. On pourra, pour les autres constructions, ne leur donner aucun cachet, aucune élégance et l'on croit qu'on fera ainsi la concurrence à Ems, à Wiesbaden, à Hombourg, à Baden-Baden, où tout est du plus grand luxe, d'une somptuosité orientale.
L'honorable M. de Macar ne peut persister dans une manière de voir aussi erronée que celle-là. Il faut qu'une ville qui désire attirer l'étranger chez elle soit belle et somptueuse et ce n'est pas en construisant comme on construit dans les plus humbles villages qu'on attirera l'étranger à Spa.
Là part de bénéfice que retire Spa, dit l'honorable M. de Macar, est un privilège pour cette ville. Mais je vous demanderai si les dépenses faites par les autres localités, dépenses faites avec l'argent du trésor et dont je vous ai cité quelques-unes, ne constituent pas un privilège pour ces villes. Je vous demanderai encore de répondre à cette question. On dira : Elles sont de l'utilité générale. Mais je vous ai démontré dans mon précédent discours qu'il y avait aussi utilité générale à faire voyager beaucoup l'étranger sur nos chemins de fer et lui faire parcourir le pays, à obtenir beaucoup de contributions des habitants de Spa, à amener cette population à verser beaucoup dans les caisses du trésor et dans les caisses du chemin de fer.
L'honorable M. de Macar vous a dit ; Mais Spa a des ressources ordinaires en dehors de sa part de bénéfice dans les jeux, et il vous a d'abord cité l'établissement des bains. Il n'a pas cité, et il a bien fait, quel était le produit ou revenu de cet établissement en faveur de la caisse communale. Cet argument se serait tourné contre son argumentation, il se serait singulièrement trompé.
Eh bien, messieurs, l'établissement des bains à Spa est une charge pour la commune. La ville de Spa fait, il est vrai, figurer à son budget une recette de 50,000 francs comme produit de son établissement de bains ; mais qu'arrivera-t-il ? Il faut voir les comptes ! La somme la plus forte touchée par la caisse communale de ce chef jusqu'à présent a été de 59,000 francs, et ces 59,000 francs, touchés en 1870, ont été complètement absorbés par les frais et ils le seront encore longtemps ; après la désertion des étrangers, l'hôtel des bains sera une charge écrasante pour les finances communales.
Voici les frais qui restent encore à y faire :
« L'établissement des bains n'est pas achevé, il y manque des baignoires ; les fonds de baignoires, mal faits dans le principe, sont déjà à remplacer ; l'acide sulfureux attaque les jointures, qui sont à renouveler souvent, la gelée brise les statues en pierre trop poreuse. »
Voilà, dirai-je en passant, l'avantage d'employer la pierre blanche de France, au lieu de nos compactes matériaux du pays ; je poursuis maintenant la citation :
« Au captage de la source tout ce qui est en fer (pas fonte) se détruit rapidement ; aujourd'hui déjà les tuyaux sont percés et le tuyau du captage ascendant sera à renouveler ; au lieu de rapporter, l'établissement coûtera à la ville. Je ne voudrais pas entreprendre pour 50,000 francs la couverture des frais de l'usure, des impositions et des réparations. »
Voilà, messieurs, les renseignements qui me sont fournis par le bourgmestre de Spa, l'honorable M. Peltzer, un homme qui n'exagère pas, un homme extraordinairement sérieux, qui, pendant bien des années, a représenté dignement la Belgique à Buenos-Ayres en qualité de consul, un industriel des plus distingués de Verviers.
On est encore revenu sur l'immoralité des jeux, mais je crois avoir démontré qu'on joue partout. On dit même qu'en France il est question d'établir des jeux à Paris et de mettre à charge du concessionnaire la condition de rebâtir une partie de cette ville. C'est une idée qui pourrait se réaliser dans la position de véritable désarroi où se trouve la France en ce moment.
L'honorable M. de Macar trouve mauvais que le gouvernement sa mêle des jeux, mais il s'en mêle pour les moraliser, pour qu'on n'y triche pas, pour sauvegarder l'intérêt du joueur. Du reste, c'est le prince-évêque de Liège, Théodore de Bavière, qui a institué les jeux de Spa, en 1762, et il' était très heureux d'avoir cette ressource. (Interruption.) Je me tromperais très fort, s'il ne s'était pas réservé une part dans les bénéfices ; je l'ai la quelque part. Je ferai des recherches à cet égard.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Vous étudierez la question.
M. David. - Dans tous les cas c'est l'évêque de Liège qui a établi les jeux de Spa et alors comme aujourd'hui les gouvernements avaient toujours besoin d'argent.
On dit : Spa a d'autres ressources encore, il a ses forêts, il a sa part dans le fonds communal, mais il faut faire une sérieuse attention à cette circonstance, Spa a deux budgets ; Spa a son budget ordinaire et son budget spécial des dépenses pour la saison des eaux.
Le budget ordinaire de Spa est couvert au moyen des ressources des forêts, du fonds communal et d'impositions personnelles.
Je n'ai pas sous les yeux le budget de Spa. Si je l'avais, je démontrerais à l'honorable M. de Macar combien il se trompe quand il dit que Spa ne s'est nullement imposé.
Il y a Spa des impôts sur plusieurs objets.
Le budget ordinaire est destiné à couvrir les frais d'administration, de voirie, d'instruction, de police ordinaire, de gardiennat des forêts, etc.
La subvention que l'on vous demande, messieurs, n'a pas pour objet d'intervenir dans ces dépenses ordinaires d'administration et d'amélioration de chemins vicinaux, etc., etc., c'est afin que Spa ait les moyens d'amener et de retenir dans ses murs les étrangers qui viendront encore y chercher la santé après la suppression des jeux.
L'honorable M. Vermeire a énuméré les sommes que Spa a reçues. Il a oublié une chose. Il aurait dû vous dire les dépenses faites pour Spa et devant être déduites de ces sommes.
Spa a acheté une partie des forêts de l'Etat et y a créé des promenades grandioses, décorées et tracées avec goût. Spa a fait des bassins de natation et consacré plus d'un million à la construction du grand hôtel des bains.
Spa a fait tout cela avec ce qu'elle a reçu dans les bénéfices sur les jeux. Il ne lui reste en tout que 670,000 francs et, par contre, il a une forte dette au Crédit communal.
Je vous prie donc, messieurs, d'examiner avec bienveillance la proposition que j'ai eu l'honneur de déposer.
M. de Clercq. - L'honorable M. Vermeire s'est trompé complètement lorsqu'il a attaché au mot « encouragement » la signification de subside. C'est ce qui me détermine à prendre la parole. Les subsides se prennent dans la bourse des contribuables. Il ne s'agit de rien de semblable ici. Cet sont les joueurs qui fournissent les différentes sommes dont il s'agit.
Nous sommes d'accord que la source de ces bénéfices est immorale et qu'ils faut en détourner les yeux.
Seulement, il y a des contrats conclus, des engagements pris ; sur ces conventions, des localités ont pu compter : il faut les exécuter loyalement et ménager ainsi la transition.
Dans l'arrondissement de Bruges, il se trouve deux localités, Blankenberghe et Heyst, qui sont intéressées dans la question. Ces localités ont fait exécuter certains travaux d'agrément, qui les ont entraînées à des dépenses extraordinaires. Sans ces améliorations coûteuses, les étrangers abandonnaient ces villes de bains, et c'était la ruine ; pour éviter cette calamité, elles ont mieux aimé obérer leurs finances.
Leurs budgets ne suffisent pas pour faire face aux dépenses, mais elles comptaient sur des bénéfices qui, indirectement, leur reviendraient encore dans les jeux de Spa. Aujourd'hui, on voudrait brusquement tout leur enlever, cela n'est pas raisonnable et le gouvernement ne l'a pas jugé ainsi.
(page 1588) J'appuierai même les différents amendements que l'honorable M. David a présentés à la Chambre.
M. Coomans. - Messieurs, au sujet de la roulette de Spa, on a fait de la belle et haute morale.
C'est très bien, c'est bon, mais seulement dans les séminaires, dans les universités, dans toutes les maisons honnêtes, où. l'on examine les questions au point de vue de la morale théorique. Mais il me semble qu'une assemblée de législateurs a mieux à faire que de la morale spéculative ; elle a à prendre des décisions et quand j'entends ici faire de la morale sur la roulette et le trente et quarante, il m'est difficile de garder mon sérieux, car on manque à la première règle de la morale qui est la franchise, la loyauté. Il nous est facile de faire des phrases vertueuses sur le Jeu ; nous ferions beaucoup mieux de ne pas en profiter ; quand nous avons pendant de longues années empoché au profit de l'Etat et de quelques communes de très grosses sommes dont nous déclarons tous la source immorale, nous devrions nous abstenir de faire de la morale et nous borner à dire que nous prenons cet argent parce qu'il est à notre convenance. Ce n'est plus de la morale, cela, c'est de la politique financière ou finassière.
Que l'on ne se méprenne pas sur ma pensée.
Si j'avais envie de défendre les jeux de Spa, cela ne me serait pas bien difficile ; je pourrais dire, par exemple, que ce n'est pas à Spa qu'on joue le moins honnêtement ; au contraire, à Spa on joue plus honnêtement que dans toutes les autres localités du pays ; on y joue à la lumière du jour ou du gaz, peu importe, mais avec un contrôle, tandis qu'à Ostende on joue très malhonnêtement, dit-on. (Interruption.)
A Ostende, on joue très malhonnêtement, je le sais ; à Bruxelles, on joue très malhonnêtement aussi, ça et là. Quand on ne jouera plus à Spa, on jouera ailleurs, et le diable n'y perdra rien.
Autre raison que les honnêtes raisonneurs pourraient alléguer en faveur du maintien des jeux de Spa, c'est que si c'est un impôt, c'est un impôt volontaire, c'est à peu près le seul impôt volontaire. Je tiens beaucoup à ce caractère-là dans le payement de l'impôt. Je répéterai ici ce que je n'ai pas hésité à dire plusieurs fois dans cette Chambre et dans la presse, que je voudrais que le gouvernement belge eût, sinon sa roulette, du moins sa loterie à lui.
Je suis convaincu qu'une loterie honnêtement organisée au profit de l'Etat rapporterait de 25 à 30 millions par an. Et je ne suis pas de ceux qui dédaignent de pareilles ressources ; je dis honnêtement organisée, mais bien entendu avec la certitude pour l'Etat de gagner ces 25 à 30 millions. (Interruption.)
Mais cette certitude, tous les organisateurs des jeux l'ont, car ce qu'il y a de plus curieux dans les jeux, c'est qu'il n'y a jamais que le public de joué.
Vous avez vu toutes les loteries du monde prospérer ; cela doit être ; le jeu est dans la nature humaine, il est presque aussi nécessaire à l'homme que le pain, le jeu sous toutes ses formes.
Je n'invoquerai pas le témoignage de César, qui disait que nos pères étaient très joueurs. L'amour du jeu exerce une grande influence dans toutes les affaires de ce monde. Nous ne nous intéressons qu'à l'aléa, même dans nos grandes opérations financières. (Interruption.) Ce sont les combinaisons financières les plus obscures qui ont toujours le plus de succès ; le public ne s'intéresse pas à des sociétés complètement honnêtes qui montrent un succès certain de 5 p. c. à 6 p. c, le public ne s'intéresse qu'à des choses extraordinaires qu'il ne comprend pas ; nulle société n'est prophète dans son pays et nous sommes plus disposés à aller jeter notre argent aux quatre points cardinaux, dans des sociétés dont nous ne comprenons absolument ni l'alpha ni l'oméga qu'à le jeter dans de bonnes bruyères des Ardennes ou de la Campine.
J'ai vu se former en Belgique une société parfaitement honnête qui proposait de défricher avec certitude et avec profit les bruyères de la Campine ; personne n'a jamais donné un sou à cette société-là. Pourquoi ? Parce que c'était trop clair ; tout le monde connaissait cela, et l'on aime généralement beaucoup mieux se lancer dans l'inconnu. L'inconnu, c'est ce qui nous touche le plus, malheureusement pour nous.
Je dis donc que l'on continuera à jouer quand on aura supprimé les jeux de Spa. Mais au point de vue de la moralité dont on parle si souvent ici, très inopportunément souvent, au point de vue de la morale, je le demande à nos amis comme à nos adversaires qui se montrent si unanimement indignés contre les jeux de Spa, comment peuvent-ils concilier cette belle morale avec l'obstination, selon moi, très immorale qu'ifs ont montrée pour conserver la loterie militaire ?
Vous ne voulez pas vous autres, ministres passés, présents et peut-être futurs, vous ne voulez pas qu'un homme qui possède un écu de 5 francs, qui est bien à lui, aille, usant de son droit de propriété, jeter son écu sur le tapis vert à sa guise. Vous ne voulez pas cela, dites-vous, et vous lui permettez bien d'aller le boire au cabaret, fût-il même professeur, mais vous ne voulez pas qu'il aille mettre son argent sur le tapis vert. Cela n'est pas permis, c'est immoral, c'est ignoble ! parce qu'il y a des victimes ! Mais ce sont des victimes volontaires. Et vous trouvez moral - on l'a soutenu, un ministre de la guerre a soutenu que la loterie militaire était parfaitement morale,- et vous trouvez moral, dis-je, qu'on mette en loterie la liberté d'un homme, son avenir, tous les intérêts de sa famille.
Aussi longtemps que vous maintiendrez l'infâme loterie militaire, vous serez les deux pieds hors de la morale et de la logique.
Tous vous regimbez contre la loterie de Spa, mais votre infâme loterie militaire est bien plus immorale que celle de Spa.
Et soyons justes, soyons sincères, qui de nous n'a pas été immoral jusqu'au point d'aller jouer à Spa ou ailleurs ? (Interruption.)
- Un membre. - Je n'ai jamais joué.
M. Coomans. - Vous êtes plus vertueux que moi, car moi j'ai joué. (Interruption.)
J'ai joué, mais peu, très peu, et je ne saurais vraiment dire si j'ai gagné ou perdu, de manière que ce n'est pas le dépit qui me fait parler.
Voilà, messieurs, pour la morale, et il y aurait beaucoup encore à dire sur ce sujet. Je ne demande pas la suppression des jeux ; je voudrais même quenos grandes villes, dont les embarras financiers se compliquent chaque jour davantage, fussent autorisées à ouvrir des jeux de hasard, au moins une loterie.
J'aimerais mieux des loteries, de véritables loteries, des jeux de hasard sous forme de loteries. J'aimerais mieux cela que vos impôts sur la bière ou le genièvre, par exemple, par lesquels vous prélevez sur le peuple des bénéfices bien plus considérables que ceux que l'on fait à Spa aux dépens des imbéciles ou des dupes.
Je déclare que je ne verrais aucune immoralité à remplacer l'impôt sur la bière, même la patente et d'autres impôts par une loterie ouverte par la ville de Bruxelles, par la ville de Gand, par la ville de Liège, etc.
Et je vous prédis une chose, c'est que le jour n'est pas loin où les villes vous demanderont cette réforme-là. Et dans tous les cas, j'aimerais encore mieux cette loterie, cette roulette que le rétablissement de l'octroi.
La ville de Lyon, parmi les sottises qu'elle avait faites, avait au moins posé un grand acte, la suppression de l'octroi ; mais il en est résulté pour elle, en quelque sorte, la banqueroute ; on va rétablir dans cette ville l'octroi ; eh bien, j'aimerais mieux que les Français, qui aiment tant la loterie militaire, qui ont joué à la loterie militaire leurs hommes, leur avenir, j'aimerais mieux les voir recourir à la vieille loterie que de les voir rétablir des contributions vexatoires.
Voilà donc pour la morale. Maintenant un peu de logique.
Je ne vois pas pourquoi, dans le partage de ces sales écus, comme vous les appelez, vous comprenez des villes qui n'ont rien de commun avec les jeux de Spa. C'est Ostende, Nieuport, Chaudfontaine, Blankenberghe... (Interruption.)
Je ne vois pas pourquoi vous donnez un demi-million à quelques localités qui sont complètement étrangères aux jeux de Spa. (Nouvelle interruption.)
Je déclare à mon interrupteur, M. Van Iseghem, qu'il lui serait très difficile de trouver une relation quelconque entre Ostende et Spa.
Vous avez la mer à Ostende, et si vous n'aviez pas la mer, vous ne seriez pas Ostende ; mais puisque vous êtes favorisé par la nature et par la géographie, vous ne devez pas demander une part dans ce gâteau malpropre, comme vous le qualifiez.
Je demande net que ce favoritisme soit supprimé.
Je consens à ce qu'on indemnise Spa ; je reconnais qu'il y a eu là, bien contre mon gré, presque des droits acquis. Spa doit avoir quelque chose.
Puisque Spa a droit à une certaine indemnité, et que toutes les législatures qui se sont succédé ont maintenu les jeux à Spa, eh bien, indemnisons Spa ; mais qu'est-ce qu'Ostende a à voir la dedans ? Je dis que toutes les communes de la Belgique ont le droit de participer au partage du gâteau autant qu'Ostende et peut-être plus, parce qu'Ostende, je le sais, a déjà de mauvais jeux et qu'Ostende n'est nullement fondée à entrer dans le partage du bénéfice des jeux de Spa.
Je demande pourquoi les malheureux aliénés, qui sont au nombre de 1,100 à Gheel et parmi lesquels se trouvent sans doute beaucoup de victimes de la roulette, je demande pourquoi ces malheureux n'auraient pas leur part dans ce gâteau !
Je propose donc - et je prie l'honorable M. David de ne pas insister sur (page 1589) un examen plus approfondi de la question financière quant à Spa. Je propose simplement pour le moment de distribuer l'argent, les sommes énumérées à la deuxième colonne, non pas à Ostende et à quelques autres villes privilégiées, qu'on n'ose pas même nommer dans le projet de loi, car c'est honteux, mais de les distribuer à toutes les communes de la Belgique et de les verser dans le fonds communal.
Et si vous insister, si vous n'approuvez pas cela, je demanderai qu'on verse le tout dans le fonds communal.
Pour Spa, il y a des droits acquis et je le regrette. Mais quant aux autres villes, il n'y a pas de droit, il n'y a absolument rien qu'une erreur parlementaire.
Eh bien, je demande de verser le tout dans le fonds communal et je crois que vous ferez une bonne œuvre.
M. Lelièvre. - Le projet de loi accorde des traitements d'attente aux fonctionnaires et agents qui sont actuellement préposés à la surveillance, des jeux, en vertu d'une nomination du gouvernement. Il est d'autres fonctionnaires qui sont atteints par la mesure générale qui sera édictée par la loi nouvelle.
Je les recommande à la sollicitude du gouvernement et j'espère qu'il fera ce qui sera possible pour atténuer les conséquences fâcheuses qui doivent résulter pour eux du nouvel état de choses.
Du reste, en ce qui me concerne, je me rallie au système d'indemnité consacré par le projet de loi et j'estime que s'il est juste et moral de supprimer les jeux de Spa, il est équitable, d'un autre côté, d'introduire un système qui concilie des droits acquis avec ce que réclament des considérations de haute moralité. Evidemment des intéressés ont dû compter sur l'ancien ordre de choses, il serait de toute injustice de les spolier, sans indemnité, de ce que j'appelle une position qu'ils ont dû considérer comme irrévocable.
Du reste, l'équité exige que tous les fonctionnaires, même ceux qui ne tiennent pas leur nomination du gouvernement, ne soient pas sacrifiés a un régime introduit dans un intérêt public. J’espère donc que le gouvernement ne négligera rien pour leur assurer une équitable compensation.
M. Van Iseghem. - La ville d'Ostende a fait beaucoup de démarches, depuis 1830, pour obtenir, en vertu du décret de 1806, les jeux comme ils existent à Spa. Ces démarches n'ont jamais eu de succès et le gouvernement a refusé d'accorder à Ostende la même faveur qu'on avait accordée, dans le temps, à Spa. Un des motifs de notre demande était que la ville d'Ostende, ainsi que les autres villes d'eaux, étaient obligées de faire des frais considérables pour leur embellissement et pour rendre le séjour agréable aux étrangers, mais les ressources les manquaient. N’oubliez pas que ces villes rendent de grands services au pays.
Convaincu de cette vérité, mon honorable ami, M. Rogier, alors ministre de l'intérieur, fit avec les fermiers des jeux de Spa une convention nouvelle qui accordait aux villes d'Ostende, Blankenberghe et Chaudfontaine 5 p. c. de bénéfices ; plus tard une nouvelle convention fut faite qui comprenait Nieuport et Heyst. En présence de cet accord, les villes dont il s'agit ont pris des engagements ; elles se sont engagées à exécuter des travaux d'embellissement et d'amélioration.
Ces villes ont commencé toute une série de travaux ; il en est résulté pour elles des dépenses considérables. Ces dépenses, vous devez le comprendre, ne peuvent être portées aux budgets ordinaires des villes, car elles sont faites dans l'intérêt des étrangers, qui en profitent.
Ainsi à Ostende, le Casino, des jardins, etc., à l'usage des étrangers ont été construits ; le budget communal n'aurait jamais pu supporter ces dépenses ; en ce moment nous avons commencé les travaux de distribution d'eau tant réclamée par les étrangers.
Maintenant, examinons le chiffre de la proposition de l'honorable M. Coomans ; il propose de transférer au fonds communal ce que le projet contient pour les villes d'eaux 385,000 francs, à recevoir dans dix ans, soit 38,500 francs par an ; en votant cette proposition, vous ne rendrez aucun service au fonds communal, car je demande ce que sera 38,500 fr. par an sur 12,000,000 ; cela ne fera absolument rien, en moyenne 15 francs par commune.
M. de Clercq. - C'est une goutte d'eau dans l'océan.
M. Van Iseghem. - Et vous empêcherez les villes de Blankenberghe, d'Ostende, de Nieuport, de Chaudfontaine et de Heyst de tenir leurs engagements et de continuer les travaux qui sont en voie d'exécution. Réellement ce ne serait pas juste, il ne serait pas équitable de traiter ces villes de la sorte. (Interruption.)
On a fait des promesses à la ville d'Ostende et aux autres, cela est tellement vrai que la convention de 1858, qui allouait des subsides à ces villes d'eaux, a été, par l'honorable M. Rogier, communiquée à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur. Cette convention a été imprimée à la suite du rapport, la Chambre en a eu connaissance, l'a donc approuvé.
Un autre rapport sur les jeux de Spa a été imprimé et annexé au rapport de la section centrale chargée du budget de l'intérieur pour 1866.
Je le répète, quels avantages retireraient les communes du pays de la proposition de l'honorable M. Coomans, alors qu'elle porterait le plus grand préjudice a cinq localités ? Je demande si une pareille proposition est sérieuse.
La convention de 1858 maintient les jeux jusqu'en 1880.
On attaque souvent les villes d'eau. Mais ne voyez-vous pas que ces villes rendent de grands services au pays ? C'est par les embellissements et par les améliorations, par un séjour agréable qu'on attire les étrangers.
Si Ostende, Heyst, Blankenberghe, Spa n'existaient pas, auriez-vous cette foule d'étrangers qui visitent chaque année le pays ? C'est à Ostende que ces étrangers examinent notre législation, apprennent a apprécier nos institutions. Il y a deux ans, un honorable ministre, le comte Eulenbourg, ministre de l'intérieur en Prusse, est venu passer trois semaines a Ostende. Entre autres, il a visité les écoles avec moi, il a vu comment l'instruction primaire était organisée à Ostende ; il en a été très satisfait. Aussi, nous faisons les plus grands sacrifices pour cet enseignement et je compte, pour notre budget scolaire, sur des subsides convenables de l'Etat.
Ensuite, les étrangers qui viennent à Ostende et dans les autres villes d'eaux ne se bornent pas à visiter ces villes. Ils viennent a Bruxelles pendant leur séjour et vont aussi ailleurs, ils achètent les produits de l'industrie belge. Les dépenses que font ces étrangers ne tournent donc pas seulement au profit d'Ostende, mais tout le pays en profite.
L'honorable M. Coomans vous a dit qu'on jouait à Ostende. Oui on joue, dans les sociétés respectables, à l'écarté. (Interruption.)
Je sais bien que l'on a essayé d'organiser un tripot à Ostende, mais il n'a pas duré vingt-quatre heures.
M. Coomans. - Je connais un coq qui a perdu toutes ses plumes sur votre fumier !
M. Van Iseghem. - Messieurs, est-ce qu'on ne joue pas partout ? Ne joue-t-on pas aussi bien dans les autres villes qu'à Ostende, où il y a beaucoup d'étrangers qui y viennent pour s'amuser et qui peuvent se retirer dans un appartement particulier pour jouer. Mais il est une chose certaine, c'est que je suis très sévère et que, comme bourgmestre, je n'ai jamais rien négligé pour empêcher les jeux clandestins à Ostende.
Messieurs, j'espère que la Chambre ne sera pas influencée par les paroles de l'honorable M. Coomans, qu'elle votera le projet et si l'amendement de l'honorable M. David, que j'appuie, en faveur de Spa est adopté, je compte qu'elle votera aussi les propositions de l'honorable membre pour les autres villes.
L'honorable M. David demande que l'on augmente de quelques centaines de mille francs le subside pour la ville de Spa et, comme conséquence, il propose en même temps des augmentations pour les autres villes.
Messieurs, je n'ai pas jusqu'ici pris part à ce débat. Je me suis tu. Ne pouvant faire autrement, je me suis contenté de ce qui nous était proposé. Mais vous comprenez qu'après les observations de l'honorable M. Coomans, je ne pouvais plus garder le silence. Je défends une cause juste, l'exécution d'un, engagement ; j'ai confiance dans le patriotisme de la Chambre (interruption) et je ne doute pas qu'elle vote, à une grande majorité, au moins, les propositions de la section centrale.
M. Simonis. - Je dois reconnaître, messieurs, qu'une partie de l'amendement que j'ai proposé est inutile, attendu que le paragraphe 2 de l'article premier du projet de loi n'autorise, le cas échéant, le gouvernement à maintenir les jeux de Spa que jusqu'en 1880, attendu que la concession de ces mêmes jeux n'est prorogée que jusqu'à cette époque. Mais je dois maintenir la deuxième partie de mon amendement ; par conséquent, j'en dépose sur le bureau de la Chambre un autre ainsi conçu :
« Remplacer dans le paragraphe 2 de l'article premier les mots : « Si des circonstances, dont il sera rendu compte aux Chambres, venaient à justifier cette prorogation, » par ceux-ci : « Si des établissements de jeux similaires venaient a être maintenus en Allemagne après 1872. »
En effet, messieurs, je ne veux accorder au gouvernement ce droit de maintenir éventuellement les jeux de Spa que pour ce cas spécial bien déterminé.
(page 1590) M. de Macar m'a adressé un reproche dont je crois pouvoir me défendre.
Certainement, messieurs, j'applaudis, au point de vue moral, à la suppression des jeux de Spa ; mais il faut avouer aussi que si l'on maintenait les jeux en Allemagne après 1872, la ville de Spa se trouverait dans une position très précaire.
Il y a là une situation qui exige certains ménagements, certains égards.
Je me rallie donc au projet du gouvernement, amendé dans le sens que je viens d'indiquer.
M. Rogier. - Messieurs, comme on m'a fait intervenir dans cette discussion, je dirai quelques mots pour appuyer les observations de mon honorable ami, M. Van Iseghem, bourgmestre d'Ostende. Je ne sais pas si la proposition de M. Coomans a des chances d'être adoptée ; je ne puis pas la considérer comme sérieuse. Il propose d'appliquer à toutes les communes du royaume la portion du produit des jeux de Spa qui, aujourd'hui, est distribuée entre quelques-unes d'entre elles.
Je ne vois pas quelle mauvaise querelle pourrait être suscitée à ces communes, qui, par leur position même, sont obligées de faire des dépenses et qui en ont fait sur la foi des promesses du gouvernement.
Messieurs, voici l'origine de la part du produit des jeux attribuée à d'autres communes qu'à Spa.
La ville d'Ostende, qui attire aussi un grand nombre d'étrangers, affluence dont le pays tout entier profite, la ville d'Ostende avait demandé, à plusieurs reprises, de pouvoir établir des jeux comme ceux qui existent à Spa. Elle donnait, entre autres motifs, celui d'empêcher ces tripots clandestins qu'on lui reproche aujourd'hui.
Après Ostende, venait Chaudfontaine. Chaudfontaine, près de Liège, avait obtenu avant 1830 un établissement de jeux. Ce fut là un des griefs de l'opposition d'alors. Elle demandait la suppression des jeux de Chaudfontaine, attendu que les élèves de l'université de Liège allaient y perdre leur argent.
M. Orts. - Les élèves des universités n'ont pas d'argent.
M. Rogier. - Le peu d'argent qu'ils avaient. Quoi qu'il en soit, les jeux de Chaudfontaine furent supprimés. Qu'a-t-on fait depuis ?
Je ne revendique pas l'idée, mais j'ai concouru à la mettre en pratique en mon temps.
On a dit à Ostende et à Chaudfontaine : Vous ne serez pas autorisées à établir ou à rétablir des jeux, mais nous ferons en sorte, par de nouveaux arrangements, qu'il y ait pour vous une compensation.
On a donc attribué à Ostende et à Chaudfontaine une part dans les bénéfices des jeux de Spa. Blankenberghe a suivi.
Plus tard, on a fait de même pour Nieuport et, en définitive, pour le petit village de Heyst.
Ces différentes localités ont fait, au moyen de ces subsides, des dépenses nécessaires pour attirer et retenir les visiteurs et elles ont pris des engagements en conséquence des subsides qui leur étaient promis.
Ce serait une véritable déloyauté de la part du gouvernement que de leur retirer ces subsides.
M. Coomans prétend qu'on n'a pas osé donner les noms ces localités subsidiées. Elles sont citées nominativement dans le rapport de la section centrale.
En dehors de Spa, les voici : Ostende, Blankenberghe, Chaudfontaine, Nieuport et Heyst.
Je m'oppose fortement à la proposition de M. Coomans et j'espère que ces localités continueront de jouir des subsides sur lesquels elles ont le droit de compter aussi longtemps que dureront les ressources que procurent les jeux de Spa.
M. Braconier. - Messieurs, je viens appuyer les observations présentées par l'honorable M. Rogier relativement à la part attribuée à certaines localités dans le produit des jeux de Spa.
Pour ce qui regarde Chaudfontaine, voici quelle est la position : Chaudfontaine a possédé des jeux dans le temps, ils ont été supprimés ; Chaudfontaine a demandé l'autorisation de les rétablir, ce qui lui a été refusé ; mais en compensation, on lui a accordé quelques milliers de francs annuellement pour l'aider à faire des embellissements ayant pour but d'y attirer les étrangers.
La commune de Chaudfontaine, grâce à ce subside, a contracté un emprunt pour la construction d'un kursaal ; si on lui retire la subvention sur laquelle elle comptait pour satisfaire à ses obligations, elle se trouvera dans le plus grand embarras.
Il me paraît, messieurs, qu'il y a autant de raisons pour continuer à Chaudfontaine le payement de cette subvention, qu'il y en a pour la continuer à Spa.
- Plusieurs voix. - La clôture !
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, je comprends que la Chambre désire ne pas prolonger cette discussion.
L'honorable M. de Macar, parlant tout à l'heure au nom de la section centrale, a rencontré les principales objections présentées par M. David.
Je me bornerai à faire remarquer que, au point de vue du droit de l'Etat, aucun doute n'est possible.
La convention de 1858 a nettement stipulé qu'un acte législatif pouvait modifier la situation.
En ce qui touche la position financière de Spa, le gouvernement a compris qu'il avait un devoir à remplir à l'égard de cette localité si intéressante.
Il n'a pas oublié qu'à côté de la salle de jeu, il y avait là une localité où les étrangers affluent en grand nombre et qu'il était bon de les appeler à profiter de plus en plus de notre hospitalité.
Aussi le gouvernement a-t-il élevé l'indemnité affectée à Spa de 1,100,000 francs, chiffre du projet de loi de 1868, à 2 millions.
Lâ section centrale, allant plus loin encore, a modifié la combinaison des chiffres, afin que, dans un délai rapproché, Spa pût exécuter des travaux urgents et indispensables.
Avant de terminer, je crois, messieurs, devoir revenir en quelques mots sur la question de principe, non pas pour démontrer à la Chambre qu'il ne peut entrer dans l'esprit de personne de défendre les jeux au point de vue moral (l'opinion de la Chambre s'est nettement dessinée tout à l'heure lorsque l'honorable M. David nous a présenté l'apologie des jeux), mais pour faire remarquer à l'honorable M. Vermeire qu'il aurait grand tort de refuser un vote approbatif au projet de loi dont la Chambre est saisie ; car ce projet de loi a précisément pour but de mettre un terme à une situation qu'il blâme et que je blâme avec lui. La principale disposition du projet du gouvernement, tout en accordant une équitable compensation à la ville de Spa, proclame la suppression de ces jeux.
C'est là précisément ce qui répond au vœu exprimé par l'honorable M. Vermeire ; et, si sa pensée est la même que la nôtre, son vote doit être assuré au projet qui consacre la réalisation du but qu'il poursuit.
Je désire aussi expliquer pourquoi le gouvernement maintient le dernier paragraphe de l'article premier, paragraphe dont la pensée se retrouve plus nettement exprimée dans l'amendement qu'a présenté tout à l'heure M. Simonis et qui tend à ce que l'on indique dans ce paragraphe qu'il s'agit de la prorogation, qui pourrait avoir lieu en Allemagne, de jeux similaires.
La Chambre ne saurait perdre de vue que, dans toutes les discussions sur les jeux de Spa, on a toujours considéré l'existence des jeux en Allemagne comme constituant, au détriment de Spa, une position essentiellement fâcheuse.
Ainsi, messieurs, dès 1847, lorsqu'une convention fut conclue à cette époque, lorsqu'une prorogation de quinze ans fut accordée, la faculté de faire disparaître cette prorogation a été expressément réservée dans le cas de la suppression des jeux d'Aix-la-Chapelle.
Dans la convention du 8 décembre 1858, on subordonne le maintien des jeux de Spa à des actes diplomatiques et, à coup sûr, la mention de ces actes diplomatiques se réfère à une entente qui aurait existé entre les gouvernements pour arriver à la suppression des jeux.
Dans la séance du 19 novembre 1864, deux membres éminents de cette Chambre, l'honorable M. Frère-Orban d'un côté, l'honorable M. de Theux de l'autre, s'unissaient sur ce point, qu'il était à désirer qu'une convention internationale intervînt entre l'Allemagne et la Belgique, afin que la suppression des jeux eût lieu simultanément.
Et, en effet, en 1868, lorsqu'un premier projet fut présenté, quelle était la situation ?
L'Allemagne venait de décider la suppression des jeux à partir du 31 décembre 1872, et c'est en présence de ce qui se passait en Allemagne, que le gouvernement apportait à la Chambre un projet de loi qui, pour les jeux de Spa, indiquait le même terme.
Si nous maintenons le dernier paragraphe de l'article premier, si nous acceptons l'interprétation qu'en donne l'amendement de l'honorable M. Simonis, nous espérons néanmoins que l'éventualité qu'il prévoit, ne se réalisera pas. Il est dans le vœu du gouvernement, aussi bien que dans le vœu de la Chambre, que les jeux disparaissent en Allemagne comme en Belgique, en Belgique comme en Allemagne ; mais il est conforme à l'équité de prévoir une situation qui pourrait se produire.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à l'amendement de M. Simonis ?
(page 1591) M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'ai compris que l'honorable M. Simonis demandait que, dans le dernier paragraphe, on mentionnai comme éventualité le maintien des jeux en Allemagne ; je ne vois pas d'obstacle à l'adoption de cet amendement.
Quant à l'amendement de l'honorable M. Coomans, Il me paraît qu'il y a, pour les localités des bords de la mer aussi bien que pour Spa, une situation digue d'intérêt, dont il convient de tenir compte, et je ne puis me rallier à cet amendement.
M. Dumortier. - Je viens certifier ce qu'a dit M. Rogier. Les communes du littoral avaient demandé à pouvoir établir, elles aussi, des maisons de jeu ; on le leur a refusé, mais on leur a donné, à titre d'équivalent, une part dans le produit des jeux. Cette part, on ne peut pas venir la leur enlever aujourd'hui : ce serait souverainement injuste.
M. le président. - La parole est à M. David pour un fait personnel. (Interruption.)
M. David. - Je n'ai que deux mots à dire.
M. le ministre de l'intérieur vient de dire à l'instant que j'avais fait l'apologie des jeux de hasard. Je n'ai rien dit de pareil ; la sténographie est la pour le prouver. Ce que j'ai prétendu, c'est que les jeux, surveillés par un inspecteur du gouvernement et divers autres fonctionnaires, étaient moins immoraux que les jeux qui se pratiquent dans des tripots de toute sorte où l'on triche et où l'on plume les joueurs non initiés aux usages des gens qui s'y rassemblent.
Voilà ce que j'ai dit et ce que je maintiens.
M. Coomans. - Je regrette que le gouvernement ne se rallie pas à mon amendement qui est l'expression d'une idée très modérée.
Il m'est impossible de voter le projet de loi si on ne souscrit pas à la très faible transaction que je propose. Les raisons que M. le ministre et d'autres orateurs ont données pour expliquer la consécration d'un nouveau privilège en faveur d'Ostende et de quelques autres localités sont des plus faibles, des plus insoutenables. Elles se réduisent d'ailleurs à une seule : nous avons privilégié Ostende, Blankenberghe, Chaudfontaine, etc. ; donc il faut continuer à les privilégier.
Eh bien, en bonne logique c'est juste le contraire qui est vrai ; en bonne logique il faut dire : Vous avez obtenu une faveur ; nous ne voulons pas en accorder une seconde.
Or, c'est une seconde faveur que vous demandez à greffer sur la première. Cela est impossible ; c'est un raisonnement qui est contraire à la raison.
On prétend que les communes dont il s'agit se sont obérées en vue du privilège dont elles jouissaient. Cela n'est pas vrai ; ces communes savaient parfaitement, quand elles ont obtenu ce privilège, qu'il allait bientôt cesser. (Interruption.)
Elles le savaient ; il a été entendu depuis de longues années que les jeux de Spa seraient incessamment supprimés. On en avait même annoncé la suppression pour 1870. C'est un privilège in extremis qui a été accordé à quelques communes ; et c'est ce mariage in extremis avec la roulette, mariage illégitime au plus haut point, que vous venez invoquer pour revendiquer un héritage qui ne vous est pas dû. Cela est inadmissible : c'est parce que vous avez obtenu une faveur qu'il ne faut plus vous en accorder une nouvelle.
Quant à l'honorable M. Rogier, je le prie de ne plus répéter des banalités comme celles qu'il s'est permises à mon égard. Ma proposition...
M. Rogier. - Qu'est-ce que c'est ? Veuillez répéter, s'il vous plaît.
M. Coomans. - Vous avez dit que ma proposition n'était pas sérieuse.
M. Rogier. - Certainement, et je le répète.
M. Coomans. - Eh bien, vous n'avez pas ce droit.
M. Rogier. - Je demande la parole. Que voulez-vous dire ?
M. Coomans. - Je dis que vous n'avez pas ce droit, attendu que vous êtes injuste non seulement envers moi, mais encore envers tous les membres de la Chambre qui approuvent ma proposition. Si je ne suis pas sérieux, il y a bien d'autres membres qui ne le sont pas davantage. Vous ne devriez donc pas vous permettre...
M. Rogier. - Je pourrais me permettre bien d'autres choses envers vous, monsieur. (Interruption.) Certainement ; je n'admets pas un pareil langage.
M. Coomans. - Comment ! ma proposition n'est pas sérieuse ? (Interruption.) Il faudrait tout au moins le prouver. Dans tous les cas, elle est l'expression très sérieuse de ma pensée, et je crois avoir produit plus de bonnes raisons à l'appui de ma proposition que vous n'en avez donné pour justifier un acte injuste. Car enfin, je le répète, tout votre raisonnement se réduit à ceci :
Ces localités ont obtenu une faveur, et une faveur purement gracieuse ; donc il leur en faut une seconde. Ce raisonnement n'est donc pas sérieux.
M. Rogier. - L'honorable membre qui vient de se rasseoir et qui a l'habitude d'adresser des paroles très inconvenantes et très injurieuses à ses collègues, ne me permet pas de dire de sa proposition qu'elle n'est pas sérieuse ; mais dans toutes nos discussions, n'arrive-t-il pas maintes et maintes fois qu'un membre dit d'une proposition ou d'une observation d'un de ses collègues qu'elle n'est pas sérieuse ? Et personne ne pousse la susceptibilité au point de réclamer et de dire d'un ton impérieux : « Je ne vous permets pas de telles banalités. »
Eh bien, que M. Coomans me permette ou ne me permette pas d'apprécier, comme il me conviendra ses discours et ses propositions, cela m'est parfaitement égal. Et quant aux banalités qu'il ne me permet pas, je continuerai, chaque fois que l'occasion m'en semblera opportune, de dire très nettement ma pensée.
Quant à recevoir des leçons de convenance, je dirai que et n'est pas à cette source que j'irai les puiser.
M. Coomans a l'art et l'habitude d'injurier ses collègues. Dans cette séance même, il a dit à mon honorable ami, M. Bara, des choses que je trouve M. Bara bien indulgent de n'avoir pas relevées avec plus d'énergie.
Je n'en dirai pas davantage, me réservant d'apprécier, le cas échéant, comme il me conviendra, les propositions, les observations et la conduite politique de M. Coomans.
M. Coomans. - M. Rogier, comme tout autre membre de la Chambre, a certainement le droit d'exprimer son opinion sur ma conduite politique ; non seulement, il a ce droit, mais c'est même un devoir. Pour mon compte, j'use de ce droit envers mes collègues quand je crois devoir le faire.
Tout à l'heure, quand j'ai dit à M. Rogier que je ne lui permettais pas de m'accuser d'avoir présenté une proposition non sérieuse, je crois que personne dans la Chambre ne s'est mépris sur la vraie signification de cette observation ; cela signifiait que j'avais le droit, moi, de repousser ce reproche. J'ai le droit de dire que M. Rogier a été injuste à mon égard et injuste à son égard. Car il n'est pas juste, ni digne de M. Rogier d'injurier un collègue, quand il sait au fond du cœur que ce collègue ne mérite pas cette injure...
M. Rogier. - Je ne m'explique pas à cet égard.
M. Coomans. - Je ne vous demande pas d'explication ; je ne demande aucun certificat sur ma conduite. ; je ne consulte que ma conscience ; je ne suis pas de ceux qui se préoccupent d'autre chose, et si cent mille personnes me disaient que j'ai tort, quand ma conscience me dira que j'ai raison, je répondrai que cela m'est parfaitement égal, M. Rogier figurât-il dans les cent mille.
Je regrette donc que ma proposition n'ait pas été considérée comme sérieuse, elle est au contraire très sérieuse, et M. Rogier a eu tort de ne pas la reconnaître telle.
Je fais un appel à la conscience de la Chambre. La Chambre va prouver en votant sur ma proposition, si elle était sérieuse ou non, et je pourrai renvoyer à tous ceux qui voteront pour cette proposition l'accusation que l'honorable membre a très légèrement formulée contre moi.
M. Muller. - Je demande la parole pour obtenir une explication de M. le ministre de l'intérieur.
Le second paragraphe de l'article premier porte : Toutefois, le gouvernement est autorisé à modifier la convention dans le sens d'une prorogation du délai fixé pour la fermeture de l'établissement de jeux, si des circonstances, dont il serait rendu compte aux Chambres, venaient à justifier cette prorogation.
Je constate, d'abord, que les mots : « dont il serait rendu compte aux Chambres » ne sont pas du tout l'équivalent d'une approbation ou ratification qui devrait être donnée par la Chambre.
Il y a une différence incontestable entre le simple devoir imposé au gouvernement de rendre compte d'une convention qu'on l'autorise éventuellement à conclure, et l'obligation de la soumettre à l'approbation de la législature.
Dans le premier cas, son engagement peut être définitif sans notre intervention ; dans le second, rien n'est fait sans notre concours.
C'est un point qui exige des éclaircissements, et si le texte du deuxième paragraphe de l'article premier devait être maintenu et interprété dans son sens purement littéral et qui ne déclare pas obligatoire l'approbation de la législature, voici une autre observation que je présente. Je suppose qu'à (page 1592) la fin de 1872 les jeux ne soient pat supprimés en Allemagne ; que le gouvernement accorde, par une convention nouvelle, une prorogation a la société des jeux de Spa.
Je demande comment, dans cette circonstance, l'article 2 fonctionnera, c'est-à-dire comment l'échelle de répartition des subsides alloués a Spa et aux autres communes indiquées dans l'exposé des motifs, pourrait continuer a être appliquée. Evidemment, c'est impossible.
Dans cette hypothèse, la nouvelle répartition devra-t-elle être approuvée au préalable par la législature ?
Rien n'est dit à cet égard, et je crois que l'interpellation que j'adresse à M.ie ministre de l'intérieur a son utilité, au double point de vue sur lequel j'ai cru devoir attirer l'attention du gouvernement et de mes collègues.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Dans l'éventualité dont parle M. Muller, il y aurait lieu de conclure une nouvelle convention, et comme l'article 2 a été l'objet d'un vote de la Chambre, il ne pourrait être modifié qu'autant que la législature approuverait les modifications qui y seraient introduites.
M. Vandenpeereboom. - Si on ajoutait « préalablement. »
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il est évident, je le répète, que l'honorable M. Muller ne peut concevoir aucune inquiétude, puisque l'article 2 étant voté par la Chambre ne peut être modifié que par un nouveau vote de la Chambre.
M. Muller. - Il ne s'agit pas ici simplement de l'article 2. Je présume bien que comme il devrait être modifié, vous recourriez à la législature, mais il n'est pas stipulé dans votre loi que la convention ultérieure de prolongation des jeux, que vous prévoyez, devra être préalablement soumise à l'approbation de la législature ; vous dites seulement qu'il en sera rendu compte, ce qui n'est pas du tout la même chose.
Eh bien, je dis que dans cette hypothèse la Chambre doit savoir si la répartition, telle que vous l'avez faite à l'article 2, sera maintenue.
M. Jacobs, ministre des finances. - Mais non.
M. Muller. - Ou si elle sera révisée, et par qui ? En tout cas, à y aura lieu de faire une nouvelle répartition. Or, c'est précisément ce que M. le ministre de l'intérieur ne semblait pas admettre à l'instant même.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Il y aura une nouvelle convention avec la ville de Spa et la société des jeux.
M. Muller. - Et la Chambre sera appelée à statuer, ainsi que sur la nouvelle répartition, avant que le gouvernement puisse appliquer l'une et l'autre.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Précisément.
M. Jacobs, ministre des finances. - L'honorable M. Muller fait cette question : Y. aura-t-il lieu de modifier la répartition de l'article 2 si les jeux sont prolongés ?
Evidemment, messieurs. Dans ce cas, il y aura un contrat nouveau à conclure avec la ville de Spa et avec la société des jeux ; à partir de ce moment, ni la ville de Spa ni les autres villes ne toucheront plus rien au moyen du fonds de réserve que nous instituons. Dans cette nouvelle convention, on spécifierait, comme dans les conventions précédentes, et la part de la ville de Spa, et la part de la société des jeux et la part des autres villes. En un mot, si les jeux étaient maintenus, nous aurions à abandonner le système du fonds de réserve établi à l'article 2, pour revenir, sur d'autres bases peut-être, au système actuellement existant.
M. Vandenpeereboom. - Il faut bien nous entendre. L'article premier, si je comprends bien, et l'amendement de l'honorable M. Simonis laissent au gouvernement la faculté de proroger les délais dans un cas déterminé, si des circonstances venaient à justifier cette prorogation. II me semble que nous ne devons pas laisser le gouvernement seul juge de ces circonstances et que, dans ce cas, la Chambre devrait être saisie.
Ainsi, par exemple, on dit que le délai pour la suppression des jeux de Spa sera prorogé, si les jeux sont maintenus en Allemagne. Mais cela est extrêmement élastique. On peut supprimer les jeux en Allemagne et ne le laisser subsister que dans une seule ville, par suite de considérations locales. Il y a là une question d'appréciation fort délicate et le gouvernement ne devrait pas prendre sur lui la responsabilité de la trancher seul. Car il sera obsédé de réclamations et il aura beaucoup de peine à prendre une décision.
D'un autre côté, si nous trouvons les jeux de Spa mauvais, et tout le monde, je crois, est de cet avis, nous ne devons pas en subordonner la suppression à la volonté d'us gouvernement étranger. Nous ne devons pas nous préoccuper de ce qui se fait à l'étranger, et s'il y avait des circonstances toutes particulières qui pouvaient nécessiter ou justifier le rétablissement des jeux de Spa, je tiendrais essentiellement à ce que le gouvernement nous fît connaître ces circonstances. Je demande donc qu'il nous déclare qu'il ne rétablira pas les jeux de Spa sans l'intervention de la législature.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je n'ai aucune objection à faire aux observations de l'honorable M. Vandenpeereboom. Lorsque, dans notre projet, nous avons inséré cette phrase : « Si des circonstances, dont il serait rendu compte aux Chambres, venaient à justifier cette prorogation, » il est évident que nous avons fait connaître nettement notre intention de ne mettre à exécution les mesures que nous pourrions être appelés à prendre, qu'autant qu'elles obtiendraient l'assentiment des Chambres.
- La clôture est demandée.
M. Van Iseghem. - Je voudrais présenter encore quelques observations. Je n'en ai que pour deux minutes.
- La clôture de la discussion générale est prononcée.
« Art. 1er. La convention ci-annexée, conclue les 29-30 avril 1868, en vue de la suppression des jeux de Spa, entre le ministre de l'intérieur, le conseil d'administration de la compagnie concessionnaire des jeux et le collège échevinal de Spa, est approuvée.
« Toutefois, le gouvernement est autorisé à modifier cette convention dans le sens d'une prorogation du délai fixé pour la fermeture de l'établissement des jeux si des circonstances, dont il serait rendu compte aux Chambres, venaient à justifier cette prorogation. »
- La section centrale propose la suppression du paragraphe 2.
M. de Macar. - Messieurs, je n'ai pas le pouvoir de parler au nom de la section centrale, dont je ne suis pas même rapporteur, mais après les explications de M. le ministre de l'intérieur, je crois que l'amendement de la section centrale n'est plus nécessaire, puisque c'est préalablement que les modifications seraient soumises à la Chambre et que la Chambre aurait le droit de les rejeter.
M. Lelièvre. - Je crois devoir déposer un amendement ainsi conçu : Au lieu des mots : « Si des circonstances dont il serait rendu compte aux Chambres venaient à justifier cette prorogation, » je propose de dire : « Si des circonstances venaient à justifier cette prorogation, la convention nouvelle serait, en ce cas, soumise à la sanction des Chambres législatives. »
De cette manière, la pensée de la Chambre serait nettement exprimée et il serait certain que, conformément aux déclarations du gouvernement, la législature devrait apprécier la convention nouvelle pour qu'elle pût recevoir son exécution.
M. Brasseur. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire. Il est impossible que vous mainteniez la rédaction de l'article premier en présence de la déclaration que vient de faire l'honorable ministre de l'intérieur.
L'article dit précisément le contraire de ce qu'a dit M. le ministre. En effet, cet article dit que le gouvernement est, toutefois, autorisé à modifier la convention dans le sens d'une prorogation de délai, si des circonstances dont il serait rendu compte aux Chambres venaient à justifier cette prorogation.
Ainsi, le ministre aurait le droit de faire une nouvelle convention, sauf à rendre compte aux Chambres des circonstances qui l'ont fait agir.
Le ministre a beau déclarer qu'il compte faire autrement et soumettre à la Chambre la convention elle-même ; il a beau dire qu'il prend cet engagement devant la Chambre ; cela ne suffit pas ; il faut le dire dans la loi.
Quand une loi est votée, elle est loi et il n'y a pas un tribunal au monde qui puisse l'appliquer que selon la teneur du texte formel.
Or, que dit la loi ? Que le gouvernement a carte blanche pour contracter et qu'il ne doit plus faire appel à la Chambre, si ce n'est pour lui communiquer les circonstances qui l'ont fait agir.
Le ministre déclare, au contraire, qu'il soumettra la convention aux Chambres.
Encore une fois, dites-le dans l'article. Je propose en conséquence à la Chambre d'adopter l'amendement de l'honorable M. Lelièvre.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je ne m'y oppose pas.
M. Brasseur. - La proposition de l'honorable M. Lelièvre n'a pas d'autre but et je l'appuie.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Afin de faire disparaître tout doute, je me rallie à la proposition de l'honorable M. Lelièvre.
(page 1593) M. Lelièvre. - Mon amendement répond parfaitement aux déclarations faites par M. le ministre de l'intérieur, qui parassent recevoir l'assentiment général.
Il est évident que, d'après le texte du projet, l'assentiment de la législature n'est pas exigée.
Or, on veut changer cet état de choses : dès lors la teneur de l'article premierr doit subir une modification ; or, tel est le but de mon amendement dont le texte est clair et précis.
M. Muller. - Je ferai remarquer que cette proposition est plus large que l'amendement de l'honorable M. Simonis, qui ne prévoyait que le cas de la suppression des jeux en Allemagne.
- L'amendement de M. Lelièvre est mis aux voix et adopté.
L'amendement de M. David est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'article premier, modifié par l'amendement de M. Lelièvre, est adopté.
« Art. 2. En compensation de la perte de revenu qui résultera de l'exécution de ladite convention, à partir de l'année 1871, tant pour la commune de Spa et pour ses établissements de bienfaisance, que pour les localités où sont établis des bains de mer ou d'eau minérale, il sera alloué, sous la réserve indiquée dans l'article 4 de la présente loi, pendant dix années, à partir de 1871, les indemnités suivantes (successivement : à la commune de Spa - aux communes d’Ostende, etc. - aux bureaux de bienfaisance de Spa- :
« 1871 : fr. 600,000 - 98,000 - 7,000
« 1872 : fr. 600,000 - 98,000 - 6,500
« 1873 : fr. 100,000 - 56,000 - 5,600
« 1874 : fr. 100,000 - 49,000 - 4,900
« 1875 : fr. 100,000 - 14,000 - 4,200
« 1876 : fr. 100,000 - 14,000 - 3,500
« 1877 : fr. 100,000 - 14,000 - 2,800
« 1878 : fr. 100,000 - 14,000 - 2,100
« 1879 : fr. 100,000 - 14,000 - 1,400
« 1880 : fr. 100,000 - 14,000 - 700
Total : fr. 2,000,000 - 385,000 - 38,500. »
M. le président. - Ici vient se placer l'amendement de M. Coomans qui propose de remplacer les mots : « aux communes d'Ostende, etc. » par les mots ; « au fonds communal. »
- Des voix. - L'appel nominal !
- Il est procédé à l'appel nominal.
67 membres y prennent part.
52 répondent non.
15 répondent oui.
En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.
Ont répondu non : MM. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Wambeke, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Allard, Bergé, Biebuyck, Braconier, Brasseur, Cornesse, Couvreur, Cruyt, d'Andrimont, David, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, De Lehaye, de Macar, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Smet, Dethuin, de Vrints, Drion, Dumortier, Elias, Funck, Guillery, Jacobs, Jottrand, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lelièvre, Mouton, Mulle de Terschueren, Muller, Orts, Pety de Thozée, Rogier, Sainctelette, Simonis, Snoy, Thonissen et Tack.
Ont répondu oui :
MM. Vanden Steen, Van Overloop, Vermeire, Coomans, Coremans, Defuisseaux, de Kerckhove, Delaet, Demeur, de Zerezo de Tejada, Gerrits, Rayez, Nothomb, Schollaert et Thienpont.
- L'article 2 est mis aux voix et adopté.
- De toutes parts. - A demain !
M. le président. - La Chambre est-elle d'avis de s'occuper demain de rapports de pétitions ou de continuer la discussion.
- Voix nombreuses. - Continuons la discussion.
M. le président. - Il en sera ainsi. Le projet de loi relatif aux jeux de Spa figurera en première ligne à l'ordre du jour.
- La séance est levée à 5 heures.