(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Tack, vice-président.)
(page 1559) M. Reynaert procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart et donne lecture du-procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est adoptée.
M. de Borchgrave présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des instituteurs communaux dans les cantons de Menin et de Moorseele prient la Chambre de réunir les caisses de prévoyance en une seule caisse centrale ; d'accorder, pour la retraite, aux instituteurs ruraux les mêmes avantages qu'aux instituteurs urbains et de modifier, pendant la session actuelle, le règlement sur la caisse de prévoyance. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires.
« Les sieurs Willems, président et Siffer, secrétaire de la société : Met tijd en vjijt prient la Chambre de s'occuper, pendant la session actuelle, des réclamations relatives à la langue flamande. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Par deux pétitions, des habitants de Clavier prient la Chambre de rejeter les augmentations de l'impôt foncier proposées par le gouvernement. »
« Même demande d'habitants de Huy et d'une commune non dénommée. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'Orsmael prient la Chambre d'appuyer le tracé du chemin de fer adopté par la ville de Léau. »
« Même demande d'habitants de Halle-Boyenhoven et Melckweser. »
- Même renvoi.
« Il est fait hommage à la Chambre par M. le ministre de la justice :
« 1° De deux exemplaires du nouveau volume publié par la commission royale des anciennes lois et ordonnances de la Belgique, comprenant le tome second des coutumes d'Anvers ;
« 2° De deux exemplaires du premier cahier du tome VI des procès-verbaux des séances de la commission royale des anciennes lois et ordonnances de la Belgique ;
« Par la députation permanente du conseil provincial du Luxembourg, d'un exemplaire de l’exposé de la situation administrative de la province. »
« M. de Liedekerke, retenu pour affaires urgentes de famille, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. Nothomb. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur la contrainte par corps.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et l'objet qu'il concerne mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Thibaut. - Messieurs, je regrette que l’honorable M. Frère-Orban ne soit pas présent ; c'est à son discours que je me propose de répondre.
Je disais hier à cet honorable membre, en sortant de la séance, que je ne comprenais pas comment lui, homme d'Etat, ancien ministre, chef d'un grand parti, il s'était aventuré à prendre, contre l'honorable ministre de l'intérieur, la défense des trois professeurs de l'école moyenne de Rochefort, déplacés et séparés par mesure de discipline.
Je ne le comprends pas plus aujourd'hui. L'honorable M. Frère-Orban a méconnu, dans cette circonstance, le droit incontestable de l'autorité et les devoirs impérieux qui lui incombent. En même temps il a favorisé, contre ses intentions, je le veux bien, l'esprit d'insubordination et de révolte. Cela est grave et profondément regrettable.
Messieurs, j'interviens dans le débat qui a été soulevé par l'honorable M. Frère-Orban, parce que Rochefort appartient à l'arrondissement dont je tiens mon mandat et parce que je m'honore de compter au nombre de mes amis plusieurs membres du bureau administratif de l'école moyenne de Rochefort.
L'honorable M. Frère n'a pas dit de qui il tenait les renseignements qui l'ont engagé à interpeller M. le ministre de l'intérieur.
Je dis la source où j'ai puisé ceux sur lesquels je m'appuie. L'honorable M. Frère aurait pu s'adresser - comme moi - aux membres du bureau administratif de l'école moyenne de Rochefort. Il en est un tout au moins qu'il connaît autant que moi ; mieux que moi, devrais-je dire, et il sait que personne ne mérite plus que lui estime.et confiance.
L'honorable M. Frère, voulant expliquer le caractère des luttes et des divisions intestines de Rochefort, a dit qu'elles ont pour objet une question d'enseignement et remontent à un quart de siècle. Il a parlé, à ce propos, de la fondation connue sous le nom de fondation Jacquet et il n'a pas craint d'affirmer que les frères de la doctrine chrétienne avaient pris possession de l'école appartenant à cette fondation, malgré le vœu de l'administration locale.
Il faut rétablir l'exacte vérité sur ces points.
La fondation de Mgr Jacquet a pour but l'enseignement primaire gratuit. Elle comprend des bâtiments spacieux, des jardins, des terres et des rentes. L'enseignement, d'après l'acte testamentaire qui établit la fondation, doit être donné par un maître d'école, prêtre, de bonne vie, mœurs, fort et réputation.
Voilà l'intention formelle du testateur. Ce qu'il veut, c'est une école religieuse.
Je passe tous les événements qui s'accomplirent depuis 1765, date de la fondation, jusqu'à 1843.
En 1843, le conseil communal de Rochefort prit la délibération dont je vais donner lecture à la Chambre :
« Séance du 7 octobre 1843...
« Présents : MM...
« Le conseil dûment convoqué et assemblé à l'effet de prendre une mesure relative à l'instruction de la jeunesse,
« M. D... expose qu'avec les ressources qu'offre la fondation de Mgr Jacquet, évêque d'Hippone, il y aurait lieu de monter l'instruction sur une base large et surtout religieuse ; il rappelle que déjà il a été question d'avoir les petits frères pour l'instruction des garçons ; il demande que cette question soit de nouveau mise aux voix, et que, dans le cas d'adoption, il soit fait une proposition aux administrateurs de la fondation Jacquet, pour les engager à se charger en majeure partie de la dépense concernant l'instruction.
« Cette proposition est adoptée, et la question de frères est ainsi posée : L'instruction des garçons sera-t-elle confiée à des frères de l'école chrétienne ou restera-t-elle entre les mains d'un instituteur laïque ? Avant de répondre à cette question, M. P. demande qu'il soit fixé une époque éloignée, au moins de deux ans à dater du 1er courant, pour faire les démarches et laisser à l'instituteur actuel un temps suffisant pour se pourvoir d'une autre place ; il demande en même temps qu'il soit donné connaissance à ce dernier de la résolution qui aura été prise. (Adopté.)
(page 1560) « Après cette observation, la question ci-dessus concernant les frères de l'école chrétienne est mise aux voix et adoptée par six voix contre deux.
« La validité de la résolution ci-dessus concernant les frères n'aura d'effet qu'autant que les propositions ci-après seront adoptées par les administrateurs de la fondation Jacquet et que ces instituteurs seront agréés par le gouvernement.
« A dater de l'installation des frères de la doctrine chrétienne pour l'instruction des garçons :
« 1° La commune se chargera du payement de six cents francs, formant le tiers du traitement des trois frères de la doctrine chrétienne ;
« 2° La commune donnera à la fondation Jacquet un nouveau titre pour la rente de 270 florins de Brabant-Liège qu'elle doit à cette fondation ;
« La commune sera déchargée de tous autres frais relatifs à l'instruction, et cette dernière devra être gratuite pour les jeunes gens des deux sexes ayant un domicile réel dans la commune.
« En attendant l'organisation précitée, la commune restera chargée de payer l'entièreté du traitement de M. L..., instituteur primaire, et des 200 francs lui accordés pour le chauffage ; la fondation se chargera des autres frais.
« 3° Dans le cas où le subside du gouvernement soit continué aux frères de l'école chrétienne, il viendra en déduction des 600 francs à payer par la commune.
« Copie de la présente sera adressée à M. le président des administrateurs de la fondation Jacquet, à l'effet d'acceptation. »
Cette proposition, faite au conseil communal, fut donc adoptée par 6 voix contre 2, et elle fut transmise à la commission des fondations qui l'accepta, le 27 février 1844, par une résolution dont je ne vous lirai pas le texte ; elle est un peu longue, je la mettrai aux Annales.
« Séance du 27 février 1844.
« Les administrateurs de l'école de Rochefort et de la fondation Jacquet, dûment assemblés sous la présidence de M. J..., curé doyen :
«Vu les propositions faites par le conseil communal dans sa délibération du 7 octobre 1843, tendante à ce que l'instruction des garçons soit confiée aux frères des écoles chrétiennes, à partir au plus tôt du 1er octobre 1845, aux conditions suivantes :
« 1° Que l'école à diriger par les frères soit soumise au régime d'inspection établi par la loi organique de l'instruction primaire de 1842 ;
« 2° Que la commune contribuera au traitement des frères pour une somme de 600 francs annuellement ;
« 3° Que la commune donnera titre nouvel à la fondation de la rente annuelle de 270 florins B. L. constituée au profit de l'école ;
« 4° Qu'au moyen de la somme de 600 francs.et du service de la rente annuelle de 270 francs, la commune sera déchargée de tous frais quelconques relatifs à l'instruction des enfants des deux sexes et que le surplus de la dépense sera supporté par la fondation de l'école et des bourses d'études créées par M. Jacquet ;
« 5° Que l'institution sera gratuite pour les deux sexes ;
« 6° Qu'en attendant l'établissement des écoles chrétiennes, et à partir du 1er janvier 1844, la commune restera chargée du traitement de l'instituteur en chef des garçons et de la dépense du chauffage de cette école et que le traitement du sous-maître et des institutrices sera à charge des fondations Jacquet, ainsi que de la dépense du chauffage de l'école des filles.
« Sont d'avis d'accepter, comme de fait ils acceptent par les présentes, la proposition du conseil communal du 7 octobre 1843.
« Fait en séance à Rochefort, le 27 février 1844. »
La commission des fondations s'adressa ensuite à la députation permanente de la province pour demander l'homologation de la résolution qu'elle avait prise. cette homologation lui fut accordée.
On était donc parfaitement d'accord à cette époque à Rochefort, et voici, messieurs, ce qu'écrivait, le 30 avril 1845, le bourgmestre libéral de Rochefort à M. le doyen, président de la commission des fondations.
« Rochefort, 30 avril 1845
« A M. le doyen, président de la fondation de Mgr Jacquet.
« Monsieur, par sa dépêche en date d'hier, M. le commissaire d'arrondissement me fait connaître que la députation du conseil provincial approuve la délibération du conseil communal (du 7 octobre 1843), qui décrète que l'instruction des garçons sera confiée aux frères des écoles chrétiennes, et qu'elle ne voit aucun inconvénient à ce qu'une partie des revenus de la fondation soit affectée à payer les instituteurs et les institutrices des écoles communales.
« Je me fais un plaisir de porter cette résolution à votre connaissance et de vous exprimer, M. le président, qu'elle est toute dans l'intérêt de la commune, vous assurant, ainsi que les autres membres de l'administration, que vous avez des droits à la reconnaissance des habitants, pour leur avoir procuré la faveur de pouvoir faire donner de l'éducation à leurs enfants en leur épargnant des sacrifices pécuniaires.
« Agréez, etc. »
Cette convention, messieurs, fut exécutée jusqu'au mois d'octobre 1845. En 1845, le 8 octobre, le conseil communal de Rochefort revint sur la résolution prise en 1843. M. le bourgmestre (c'était le même qui avait écrit la lettre dont je viens de donner lecture) posa au conseil la question suivante :
« La délibération du 7 octobre 1843 par laquelle le conseil a décidé que l'instruction des garçons serait confiée à des frères des écoles chrétiennes est-elle maintenue ? »
Cinq membres répondirent non, quatre répondirent oui.
La convention de 1843, approuvée par la députation permanente, fut donc anéantie à la majorité d'une voix, par le conseil communal en 1845. Néanmoins les frères des écoles chrétiennes furent installés le 13 octobre, quelques jours après cette délibération, dans la maison d'école appartenant à la fondation Jacquet.
De la naquit un procès, procès au possessoire devant le juge de paix ; condamnation de la commune ; appel devant le tribunal de Dinant ; plaidoiries, conclusions du ministère public et jugement en date du 14 août 1850, par lequel la commune était déboutée de ses prétentions.
Ce jugement était rendu le 14 août (veuillez remarquer la date) ; mais un autre arrêté royal, qui a paru au Moniteur le 25 et qui portait la date du 12 août 1850, anéantit le jugement en supprimant l'une des parties plaidantes.
Cet arrêté confiait l'administration de la fondation Jacquet à l'autorité communale ; celle-ci s'empressa de signifier par huissier aux frères de la doctrine chrétienne qu'ils avaient à déguerpir, dans les trois jours, de la maison appartenant à la fondation.
A cette époque, l'administration communale de Rochefort était donc libérale.
Maîtresse de la fondation Jacquet, elle demanda et obtint du gouvernement une école moyenne.
Celle-ci fut établie en 1852 dans le local appartenant à la fondation Jacquet, local qui avait été occupé antérieurement par les frères.
Quant aux frères, ils ouvrirent une école libre pour l'enseignement primaire.
L'école moyenne fut donc une école exclusivement libérale ; les divers professeurs qui s'y succédèrent furent choisis parmi les libéraux et chargés de faire de la propagande libérale.
Cependant, s'il faut en croire un correspondant anonyme (qui se dit l'ami des persécutés) d'un journal auquel l'honorable M. Frère a emprunté une pièce dont je parlerai tantôt, les professeurs qui viennent d'être déplacés trouvèrent, à leur arrivée à Rochefort vers 1865, une école déserte, sans réputation aucune et dans laquelle on n'avait pas la moindre confiance.
Ce sont les termes dont se sert l’« ami des persécutés. »
Après dix ans d'existence, l'école moyenne ne comptait que six élèves.
Les catholiques n'avaient donc guère à se préoccuper des résultats de l'enseignement donné, dans l'école moyenne, à ce petit nombre d'élèves ; ils n'avaient guère à se préoccuper de l'école moyenne si ce n'est au point de vue des finances communales.
A partir de 1863, l'école fit des progrès, grâce au directeur actuel de l'école moyenne de Couvin.
Les professeurs étaient instruits, capables, et leur mérite scientifique, que personne ne conteste, attira les élèves.
On ne conteste pas non plus la capacité et le zèle des professeurs dont il est question dans le débat.
Dans le principe, d'ailleurs, leur conduite était réservée et prudente. Mais bientôt ils jetèrent le masque, et, dès 1863, le corps électoral donna un avertissement au conseil communal, qui ne prévenait pas leurs écarts.
En 1865, deux places de conseillers devinrent vacantes par suite de démissions.
Les candidats catholiques réunirent les deux tiers des suffrages.
En 1866, ces deux conseillers, qui appartenaient à la série sortante, furent réélus, et en même temps le corps électoral leurs adjoignit trois nouveaux conseillers catholiques.
(page 1561) L'honorable M. Frère a dit hier que le triomphe des catholiques, en 1866, n'avait pas été assez complet pour leur permettre de prendre la direction des affaires.
C'est une erreur.
Ils se trouvaient au conseil communal 5 contre 4 ; mais le gouvernement choisit le nouveau bourgmestre et le nouvel échevin dans la minorité.
Dans les deux élections dont viens de parler, les professeurs de l'école moyenne avaient été transformés en courtiers électoraux et leurs efforts aboutirent à des échecs successifs.
Néanmoins, le bureau administratif de l'école moyenne restait libéral.
En 1869, nouvelle lutte. Cette fois encore, le bourgmestre et l'échevin, avec les deux conseillers sortants, sont remplacés par des catholiques ; il fallait bien appeler des catholiques dans le conseil échevinal et des catholiques aussi dans le bureau administratif.
La lutte, a dit M. Frère, portait sur l'existence ou la suppression de l'école moyenne ; ce sont, je crois, ses paroles.
M. Frère-Orban. - Pas précisément.
M. Thibaut. - Je n'ai pas recherché vos paroles aux Annales parlementaires, mais je crois que ce sont exactement celles que j'ai notées pendant votre discours.
Eh bien, je réponds que c'est encore là une erreur. Les libéraux voulaient que l'école moyenne restât exclusivement libérale, les catholiques demandaient que cette école profitât à tous et que les pères de famille catholiques pussent y mettre leurs enfants sans avoir à craindre pour les principes religieux qu'ils tiennent a leur inculquer. Ils demandaient que les biens de la fondation Jacquet, qui sont affectés aux besoins de l'école moyenne, ne fussent pas détournés du but que se proposait le fondateur, au point de former de petits incrédules qui deviennent plus tard des citoyens dangereux.
Les candidats catholiques, avant l'élection de 1869, annoncèrent dans leurs circulaires qu'ils maintiendraient l'école moyenne et que lorsqu'on les représentait comme les adversaires de cette école, on se livrait à une manœuvre électorale.
M. Frère-Orban. - Ils voulaient supprimer l'école préparatoire pour faire adopter l'école des frères.
M. Thibaut. - Il ne s'agissait pas de cela.
M. Frère-Orban. - Lisez les circulaires électorales.
M. Thibaut. - Permettez : aussi longtemps que dura l'administration libérale à Rochefort, la loi de 1842 n'a pas été exécutée ; il n'y avait pas d'enseignement primaire communal ; il n'y avait à Rochefort qu'une école libre pour l'enseignement primaire. Mais en 1866 quand les catholiques se trouvèrent en majorité dans le conseil communal (5 contre 4), le bourgmestre insista près de ce conseil et obtint de lui la nomination d'un instituteur primaire communal.
C'est depuis lors que l'enseignement primaire communal est donné à Rochefort, conformément à la loi de 1842.
Du reste, messieurs, les habitants de Rochefort étaient encore divisés sur d'autres questions que celle de l'école ; il y avait, par exemple, la question de remplacement de la nouvelle église. Les catholiques et quelques libéraux voulaient qu'on construisît la nouvelle église sur l'ancien emplacement qui est plus au centre de la commune ; certains libéraux désiraient que l'on choisît un autre emplacement, ils demandaient qu'on construisît l'église à un endroit où la plupart d'entre eux possédaient des propriétés assez considérables, qui auraient nécessairement, par la construction de l'église, acquis une plus-value.
M. Braconier. - Les libéraux avaient donc un quartier à eux ?
M. Thibaut. - J'ajoute qu'en 1869, au moment de l'élection, il était certain que si les catholiques l'emportaient, ils demanderaient le déplacement des trois professeurs dont il a été question.
On a dit que jusqu'en 1870 il n'y avait pas eu de plaintes contre ces professeurs. Cela n'a rien d'étonnant ; le ministère était libéral, le bureau administratif était libéral. A quoi bon dès lors se plaindre ?
M. Frère-Orban. - Mais non ; pas depuis le 1er janvier 1870.
M. Thibaut. - Nous y viendrons ; je parle d'une époque antérieure à 1870.
On a donc reproché aux catholiques de ne pas avoir formulé de plainte avant le 1er janvier 1870. Je viens de dire pourquoi ; mais j'ajoute que je suis d'avis qu'après les élections de 1866 et malgré la composition du bureau administratif, la majorité du conseil aurait dû faire connaître au gouvernement les griefs qui existaient à charge des professeurs. Je trouve, en effet, dans le dernier rapport triennal sur l'enseignement moyen que le prédécesseur de M. le ministre actuel savait sévir contre les professeurs qui manquaient à leurs devoirs.
Voici ce que je lis à la page 66 de ce document ;
« A la fin de 1867, le directeur d'une école moyenne fut chargé de recommander à un instituteur, qui oubliait trop que l'exercice de sa profession est incompatible avec la fréquentation assidue des estaminets, de se montrer à l'avenir beaucoup plus circonspect dans sa conduite. »
M. Pirmez. - Certainement.
M. Thibaut. - Je vous en fais compliment.
M. Pirmez. - Mon observation ne s'applique pas à Rochefort.
M. Thibaut. - Dans le même rapport, je lis encore ceci :
« A la suite d'un excès de table, un instituteur d'une école moyenne s'oublia jusqu'au point d'invectiver dans un lieu public un échevin de la localité.
« Prenant en considération que le mérite de cet instituteur comme professeur est incontestable, et que sa conduite, en dehors du fait incriminé, avait toujours été irréprochable, le gouvernement a cru pouvoir se borner à lui adresser des recommandations pressantes sur la réserve qu'il devra mettre désormais dans sa conduite en public et notamment dans ses rapports avec les membres du bureau administratif ou de l'autorité locale. Le lendemain de l'incident, par une démarche spontanée, l'instituteur avait été offrir ses excuses à l'échevin précité. » (Interruption.)
Je lis le rapport tel qu'il est.
Mais voici ce que je suis en droit de conclure : c'est que la fréquentation assidue des cabarets est considérée par l'honorable M. Pirmez comme incompatible avec les fonctions d'instituteur.
M. Pirmez. - Mais certainement.
M. Thibaut. - Il blâme le manque de respect de la part d'un professeur à l'égard d'un membre de l'administration communale, fût-il accidentel, et le professeur qui s'en est rendu coupable eût-il spontanément offert ses excuses.
M. Pirmez. - Sans doute ; j'ai toujours maintenu fermement cette ligne de conduite.
M. Thibaut. - Alors, nous devrions être d'accord pour approuver l'honorable ministre de l'intérieur, car à Rochefort les faits sont bien plus graves.
M. Frère-Orban. - Pas du tout : les faits sont contestés.
M. Thibaut. - Vous blâmez l'honorable M. Kervyn parce qu'il ne s'est pas borné à donner un avertissement.
M. Pirmez. - Du tout ; il n'a pas même donné d'avertissement.
M. Thibaut. - Mais M. le ministre a déplacé trois professeurs.
M. Pirmez. - Et il a donné de l'avancement à l'un d'eux.
M. Thibaut. - Pourquoi donc M. Frère se plaint-il ?
Mais, messieurs, mettez-vous d'accord : si l'on pouvait adresser un reproche à l'honorable ministre de l'intérieur, ce serait, en effet, d'avoir agi avec une excessive douceur, avec une excessive modération.
Je ne lui adresse pas ce reproche ; mais quand on le représente comme un homme barbare, comme un homme intolérant, et les professeurs comme des victimes, j'ai bien le droit de dire que ces expressions ne sont pas excusables.
L'honorable M. Frère a vu dans l'enquête du bureau administratif et dans les résolutions prises par M. le ministre de l'intérieur tout autre chose que ce qui s'y trouve. Il a dit et répété dans plusieurs endroits de son discours que toute cette affaire révèle une fois de plus les prétentions de l'épiscopat et la faiblesse du gouvernement devant ses exigences.
L'honorable M. Frère se trompe évidemment : mais c'est chez lui une conviction enracinée.
Des ministres catholiques ne peuvent être, selon M. Frère, que les humbles serviteurs du clergé, ses demandes fussent-elles déraisonnables. Voyons cependant les faits.
Le bureau administratif composé de catholiques, entre en fonction au 1er janvier 1870. Pourquoi, demande l'honorable M. Frère-Orban, ne réclame-t-il pas immédiatement le déplacement de ces trois professeurs ? Il aurait dû le faire sans doute. Mais deux motifs l'en ont empêché : d'abord, les cours étaient commencés depuis trois mois. On n'aurait pas manqué de faire observer que le bureau voulait désorganiser l'école. Ensuite, le ministère de l'époque n'aurait certainement pas accordé aux réclamations une attention bien sérieuse. La discussion à laquelle nous assistons le démontre suffisamment.
(page 1562) Cependant, le 24 mai 1870, le bureau se réunit pour examiner la plainte d'un de ses membres contre deux professeurs, et l'honorable M. Frère, en faisant connaître le résultat de la délibération, soutient que les pièces ont été brûlées, parce que les allégations étaient reconnues fausses. Cela n'est pas exact.
De part et d'autre des témoignages écrits avaient été produits, et il était difficile de prendre sur des pièces contradictoires une résolution pour ou contre ces professeurs. C'est le membre du bureau, libéral, mais ami de la conciliation, qui proposa de les anéantir, et il fut convenu qu'on engagerait les professeurs à demander leur changement : c'est ce qui explique les termes du rapport du 7 août suivant.
Le bureau administratif a voulu ménager des jeunes gens qui pouvaient encore se modifier, et ne rien faire pour briser irrévocablement leur carrière.
Quelle était la conduite de ces professeurs ? Leur conduite politique, vous la connaissez par les pièces qui ont été lues ; elle est passionnée, elle est presque grossière ou tout au moins inconvenante envers ceux qu'ils combattent. Cela ne peut être contesté.
Sous le rapport religieux, elle est plus mauvaise encore. L'honorable M. Frère prétend qu'il n'existe que des allégations vagues ; il suppose que ces professeurs ont pu s'abstenir d'arborer des drapeaux le 16 juin et qu'antérieurement on ne peut rien leur reprocher de plus grave.
L'honorable M. Frère traite ces choses trop légèrement. Croyez-vous que le professeur qui blasphème en public est capable d'inspirer dans l'école le respect de la religion ? Croyez-vous qu'il soit agréable pour le père de famille catholique d'apprendre que le professeur de ses enfants traite la religion comme une bêtise.
Mais on produit en faveur des professeurs de Rochefort un certificat de moralité. MM. Moreau, ancien bourgmestre, Biron et Delcour, anciens échevins, dans un certificat de bonne conduite qui a été lu par M. Frère, déclarent que ces professeurs conduisaient les élèves de l'école a l'église et les surveillaient pendant les offices. Cela est vrai, mais ils auraient eu besoin eux-mêmes d'être surveillés et rappelés au respect du lieu où ils se trouvaient.
Voulez-vous, messieurs, avoir une idée de la susceptibilité de ces professeurs à l'égard de tout ce qui a une apparence d'autorité religieuse ?
Je vous ai parlé tantôt de la construction d'une nouvelle église sur l'emplacement même de l'ancienne, qui a été démolie. En attendant que les travaux soient terminés, les offices religieux sont célébrés dans un bâtiment provisoire qui est assez restreint.
Il a fallu que le bureau des marguilliers prît des mesures pour que le plus grand nombre d'habitants possible puisse assister a la messe. Le bureau a publié un règlement pour la distribution des places dans le bâtiment. Un paragraphe de ce règlement est ainsi conçu : « Les professeurs et les institutrices accompagneront et surveilleront leurs élèves. »
Les professeurs de l'école moyenne se sont effarouchés de ce règlement ; ils ont écrit à M. le directeur de l'école moyenne pour protester contre cette décision illégale.
« D'après cela, disent-ils, le bureau des marguillers s'arroge le droit de nous commander d'accompagner et de surveiller nos élèves.
« D'un autre côté, il nous semble que les élèves de l'école moyenne doivent avoir une place à part qui permette d'exercer convenablement la surveillance.
« Nous protestons donc, M. le directeur, contre l'arbitraire de ce règlement et, à notre grand regret, nous nous voyons dans la nécessité de refuser d'accompagner et de surveiller nos élèves dans le hangar précité pendant les offices.
« Ce serait manquer à notre dignité d'homme et de professeur que de concourir à l'exécution de cet arrêté. »
Tout commentaire sur une telle lettre est superflu.
Sous le rapport moral on ne pouvait certes pas donner ces professeurs comme exemple aux jeunes gens de Rochefort. L'honorable M. Frère désire-t-il qu'une enquête ait lieu ? Je le préviens qu'elle sera accablante pour ceux dont il a pris la défense.
Pour moi, je ne la demande pas ; je dis seulement que le bureau administratif de l'école moyenne de Rochefort aurait manqué à tous ses devoirs, s'il n'avait pas cherché à éloigner des professeurs dont la conduite était des plus légères et qui s'entretenaient mutuellement dans de mauvaises habitudes. Isolés et placés dans un autre milieu, ils peuvent changer. Etant réunis, ayant les mêmes idées, désirant les mêmes plaisirs, il n'était pas possible qu'ils s'amendassent à Rochefort.
Je ne vous lirai plus, messieurs, le rapport du bureau administratif du 7 août 1870. L'honorable M, Frère prétend qu'il ne contient pas une plainte formelle contre les professeurs. Il l'a qualifié d'acte hypocrite. Et il faut bien que l'honorable M. Frère refuse le caractère de plainte et d'acte sérieux au rapport. Sans cela, toute son argumentation sur l'ingérence du clergé dans les affaires qui concernent l'instruction publique à Rochefort vient à tomber.
M. Frère-Orban. - Pas du tout.
M. Thibaut. - Je vous le montrerai.
La plainte, où est-elle ? s'écrie l'honorable M. Frère, et il a lu lui-même le passage du rapport où il est dit :
« En ce qui concerne le corps enseignant, MM. les professeurs... ayant pris une part active aux divisions et aux luttes locales, leur position à Rochefort est devenue impossible, beaucoup de parents ne pouvant leur confier l'éducation de leurs enfants. Il est donc nécessaire, dans l'intérêt de l'école, de la commune et des professeurs eux-mêmes, que leur changement de résidence leur soit accordé. »
Vous vous êtes égayés sur ce mot « accordé. » Mais il se rapporte à ce qui s'était passé au mois de mai ; il avait été entendu, en effet, après la séance du 14 mai, qu'on ferait des démarches pour les engager eux-mêmes à demander leur changement de résidence.
Eh bien, l'honorable M. Frère, si habile lorsqu'il lit, à faire ressortir les moindres mots qui lui conviennent, n'a rien trouvé dans ce rapport qui ressemble à une plainte et il somme M. le ministre de l'intérieur de lui communiquer la plainte, la vraie plainte. Et lorsque le bureau administratif réclame de nouveau, le 19 novembre, le déplacement des professeurs, et lorsque, le 8 décembre, à la demande de M. le ministre de l'intérieur, il précise les faits, et lorsque le 24 juin il donne de nouveaux renseignements, l'honorable M. Frère dit que tout cela n'a aucune signification, si ce n'est une complaisance pour le clergé. On a demandé, a-t-il dit, le déplacement de trois professeurs pour complaire au clergé.
Eh bien, je déclare que j'ai de l'honorable M. Frère assez bonne opinion pour affirmer que s'il avait été bourgmestre de Rochefort, il n'aurait pas hésité à agir comme a agi l'homme honorable qui remplit ces fonctions et qui est président de la commission administrative de l'école moyenne.
L'honorable M. Frère soutient que la conduite des trois professeurs a toujours été irréprochable. Il cite une attestation des anciens membres du bureau administratif. Mais ces messieurs pouvaient-ils la refuser ? Ce sont eux surtout qui ont lancé les professeurs dans la lutte des partis, en leur faisant accroire que l'existence de l'école moyenne était menacée.
L'honorable M. Frère a produit aussi avec éclat un témoignage de quarante pères de famille. Permettez-moi de vous lire ce paragraphe du discours de l'honorable M. Frère.
« Et enfin, messieurs, pour couronner l'œuvre, lorsque ces professeurs ont été déplacés, quarante pères de famille, ce qui est bien considérable pour une aussi petite localité, quarante pères de famille exposés à toutes les vengeances qui peuvent résulter de pareils actes, quarante pères de famille ont spontanément exprimé leurs regrets aux professeurs déplacés, parce que les professeurs ont contribué à faire de l'école de Rochefort une des meilleures écoles moyennes du pays. »
Hier, à la fin de la séance, je me suis permis de demander à l'honorable M. Frère communication de cette pièce ; j'aurais voulu connaître les noms de ces quarante pères de famille ; M. Frère a eu l'obligeance de me communiquer un journal, et quel journal ? l'Organe de Namur, dans lequel la pièce est publiée, mais les noms des quarante pères de famille ne s'y trouvent pas.
M. Frère-Orban. - Vous ne m'avez pas demandé cela hier.
M. Thibaut. - Les avez-vous ?
M. Frère-Orban. - Oui.
M. Coomans. - Alors donnez-les.
- Un membre. - Pourquoi les avez-vous refusés ?
M. Frère-Orban. - Je n'ai rien refusé puisqu'on ne m'a rien demandé. On m'a demandé l'adresse et je l'ai communiquée.
M. Coomans. - C'était de l'adresse.
M. Thibaut. - J'ai eu l'honneur de vous demander l'adresse des quarante pères de famille et vous m'avez donné un journal, mais les quarante noms ne s'y trouvent pas, et dans l'adresse on ne dit pas qu'un seul d'entre eux ait placé son enfant à l'école moyenne.
Je trouve, du reste, que le nombre, de quarante pères de famille est bien mesquin. En 1869, M. Moreau l'ancien bourgmestre, qui a été éliminé du conseil communal, a obtenu plus de 50 voix ; l'adresse aurait dû réunir au moins un même nombre de signatures.
(page 1563) Un mot encore, messieurs, sur la prétendue intervention du clergé dans cette affaire.
A Rochefort, il n'était pas le moins du monde douteux que si les catholiques l'emportaient dans les élections, ils demanderaient le déplacement de trois professeurs de l'école moyenne.
Le 7 août, le bureau administratif, dans son rapport, formule une résolution dans ce sens.
Le 11 août, le bureau administratif décide, d'accord avec le conseil communal, à l'unanimité, que l'on fera des démarches pour obtenir que l'instruction religieuse soit donnée par un prêtre.
Le 29 août, Mgr l'évêque de Namur écrit à M. le bourgmestre de Rochefort, en ces termes :
« M. le bourgmestre, j'ai appris...
ML Frère-Orban. - J'ai appris !
ML Thibaut. - Est-ce un crime ?.
M. Frère-Orban. - Non, ce n'est pas un crime. Mais il y avait donc eu des rapports avant ?
M. Thibaut. - « J'ai appris par M. votre doyen que vous songez à appliquer la convention d'Anvers à votre école moyenne et que vous seriez bien aise d'en conférer avec moi.
« Je vous entendrai volontiers, M. le bourgmestre, et je ferai ce qui dépendra de moi pour faire réussir un projet qui ne peut tourner qu'au bien religieux de vos jeunes gens.
« Je serai à votre disposition vendredi ou samedi de cette semaine, dans la matinée, si ces jours peuvent être à votre convenance.
« Agréez, etc. »
Enfin, messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur a fait connaître la lettre de Mgr de Namur au gouverneur de la province du 25 novembre.
Vous avez, maintenant, connaissance de tous les éléments d'appréciation. Vous jugerez si les accusations de l'honorable M. Frère ont une ombre de fondement.
Pour moi, je dois exprimer le regret que l'honorable M. Frère se soit livré aux exagérations de langage que vous avez entendues hier et je déploré sincèrement l'attitude qu'il a prise.
Quant à l'honorable ministre de l'intérieur, il a rendu un service signalé à l'école moyenne de Rochefort. Le déplacement des professeurs a déjà porté des fruits. Plusieurs membres du bureau administratif, et ils ne seront pas les seuls, ont, depuis lors, placé leurs enfants à l'école moyenne.
Quant aux professeurs, messieurs, l'honorable M. Pirmez disait tout à l'heure qu'ils avaient obtenu de l'avancement.
Ils n'ont donc rien à regretter. Ces professeurs sont jeunes, et transportés dans un autre milieu, ils peuvent se modifier, ils comprendront alors que la mesure de discipline prise à leur égard leur est tout à fait avantageuse.
M. Frère-Orban. - C'est pour leur bien.
M. de Rossius. - Qui aime bien châtie bien.
M. d'Hane-Steenhuyse. - Messieurs, je suis resté simple auditeur, simple spectateur du débat qui a été engagé hier sur la question de Rochefort.
Mon intention n'était point d'y prendre part. J'ai écouté, avec beaucoup de patience et d'attention, les développements de l'interpellation de l'honorable M. Frère, ainsi que ceux de la défense de M. le ministre de l'intérieur.
J'étais donc décidé, je le répète, à attendre la fin du débat pour me faire une opinion, lorsque j'ai entendu l'honorable M. Frère dire, en parlant des professeurs de Rochefort : si les faits qu'on leur impute sont exacts, il faudrait, non pas les déplacer, mais bien les révoquer.
C'est en entendant prononcer ces mots par l'honorable M. Frère que j'ai demandé la parole.
Je ne viens pas ici discuter la question même de Rochefort ; je. ne veux pas me mettre sur le terrain religieux parce que les choses dont j'ai à parler ne touchent pas à la religion ; je ne veux m'occuper que de la question de justice, de dignité, d'impartialité, au point de vue du gouvernement et de toutes les autorités chargées de la surveillance de l'instruction publique.
J'ai trouvé la théorie préconisée par M. Frère très belle. Ainsi, si les faits avancés par l'honorable ministre de l'intérieur sont vrais, il aurait fallu, non pas déplacer, mais destituer les professeurs.
Je suppose, j'aime à croire que l'honorable M. Frère en avançant pareille théorie joindrait, s'il était encore au pouvoir, la pratique à la théorie.
Eh bien, j'ai demandé la parole pour prouver que si le ministère dont M. Frère était l'âme et le chef soutient cette théorie à la Chambre, il ne la mettait nullement en pratique. Aussi ne puis-je me rallier aux éloges que lui a adressés tantôt mon honorable ami, M. Thibaut, et j'espère qu'après avoir mis sous les yeux de la Chambre des pièces dont l'importance est réelle, irréfutable et incontestable, elle sera de mon avis.
Messieurs, il s'est passé à Anvers, en 1868 et en 1869, des faits bien plus graves que ceux que l'on dit s'être passés à Rochefort. Les faits qui se sont passés à Anvers sont d'une nature telle qu'après en avoir entendu l'exposé, la Chambre sera d'avis que le ministère précédent a manqué à tous ses devoirs.
En 1868, messieurs, il y avait à l'école moyenne d'Anvers un professeur dont je ne citerai pas le nom et que je me bornerai à désigner par la lettre X.
M. Bara. - M. Lenaerts.
M. d'Hane-Steenhuyse. - C'est vous qui l'avez dit.
M. Bara. -Un de vos anciens amis.
M. d'Hane-Steenhuyse. - Il s'agit donc de M. Lenaerts.
M. Lenaerts s'était déjà fait, à cette époque, une certaine réputation par des conférences populaires dont il sera parlé tout à l'heure dans un rapport du directeur de l'école moyenne.
Cette réputation pouvait être appréciée à différents points de vue par la population anversoise ; elle le fut assez sévèrement par la majorité de cette population, pour que le bureau administratif crût nécessaire de s'adresser au directeur de l'établissement dans le but de lui demander un rapport sur son personnel. Voici, messieurs, la lettre qui fut envoyée par le bureau administratif à M. S..., directeur de l'école moyenne d'Anvers :
« Il nous serait agréable de recevoir de votre part, le plus tôt possible, un rapport général sur la manière dont les divers membres du personnel enseignant, placé sous votre direction, se sont acquittés de leurs fonctions pendant l'année scolaire 1867-1868.
« Nous désirons délibérer à ce sujet dans notre séance qui aura lieu tout au commencement de la semaine prochaine. »
Remarquez, messieurs, que le bureau administratif donnait ainsi satisfaction aux exigences d'une situation que devait indispensablement prendre ce bureau, pour déterminer, d'une manière exacte, quelle était la conduite de quelques-uns des professeurs de l'école d'Anvers.
Voici la réponse du directeur de l'école moyenne :
« Pour satisfaire au désir exprimé dans votre lettre du 21 de ce mois, de recevoir, le plus tôt possible, un rapport général sur la manière dont les divers membres du personnel enseignant se sont acquittés de leurs fonctions pendant l'année scolaire 1867-1868, j'ai l'honneur de vous informer que, le 18 de ce mois, j'ai envoyé, sur le personnel enseignant, à M. le ministre de l'intérieur, un rapport spécial dont je prends la liberté d'extraire la partie concernant les sieurs Lenaerts, etc.
« M. L.., instituteur assez capable et aspirant professeur agrégé de l'enseignement moyen du second degré. Il s'occupe trop de choses étrangères à ses fonctions pour qu'il puisse s'acquitter convenablement de ses devoirs. Habituellement il arrive trop tard et parfois il est très préoccupé, ce qui provoque souvent de grands désordres et des plaintes amères de la part des parents. A cause des nombreuses occupations qu'il cherche ailleurs, et qui sont étrangères aux leçons dont il est chargé, il n'a pas le temps de faire ses rapports mensuels ni de me fournir à temps certains renseignements qui me sont indispensables pour tenir les parents au courant de la conduite de leurs enfants. En outre, des pères de famille m'ont déclaré qu'ils préfèrent retirer leurs fils de l'école moyenne plutôt que de les voir entrer dans la classe de M. L... : ils ne veulent pas que leurs fils s'inspirent des principes de ce professeur qui, dans ses conférences, excite les ouvriers à la révolte, prêche le mépris de la religion et émet des doctrines subversives de l'ordre social établi. Ces principes sont développés dans les comptes rendus imprimés des conférences populaires qu'il a données. Inutile d'ajouter qu'il compromet tout le personnel et qu'il est indispensable de le remplacer. »
A la suite de ce rapport, le bureau administratif d'Anvers adressa à M. le ministre de l'intérieur la lettre suivante :
« Le bureau administratif de l'école moyenne a pris récemment connaissance, dans deux séances subséquentes d'un rapport qui lui a été adressé à sa demande, par M. le directeur de l’établissement et dont ci-joint se trouve une copie textuelle.
« Ce rapport démontre à l'évidence que l'intérêt bien entendu d'une école dont la prospérité nous tient à cœur ne permet pas d'y conserver plus longtemps deux membres du personnel enseignant : MM. L... (page 1364) second instituteur dédoublant, et J.., régent spécial, chargé d'enseigner l'anglais et l'allemand,
« Je crois inutile de répéter ici ou de développer ce que ce rapport contient ; je me borne à le confirmer en tous points, et je me joins à M. le directeurs.., avec les membres de notre bureau administratif pour demander avec instance, en acquit de notre devoir, que MM. L... et J... soient éloignés, le plus tôt possible, pour les motifs consignés dans le rapport, d'un établissement dont l'administration et la surveillance sont confiées a nos soins.
« Le bureau administratif ne saurait accepter la responsabilité des conséquences graves que leur maintien, surtout celui de M. L..., pourrait entraîner.
« Je joins à la présente une requête d'un second régent de l'école moyenne de Termonde, qui demande une place à l'école moyenne de notre ville.
« Si, comme nous, le gouvernement a des renseignements favorables au sujet de ce candidat, le bureau est d'avis qu'il pourrait être nommé, sans retard, en remplacement de M. L...,dont le maintien est devenu une impossibilité aux yeux de tous ceux qui s'intéressent à la bonne réputation de notre école moyenne.
« Je satisfais a un désir formel du bureau, M. le ministre, en vous priant de vouloir bien me faire savoir votre résolution avant le 1er octobre, date de la rentrée des classes. »
À cette lettre, s'appuyant sur un rapport très formel du directeur de notre école moyenne, M. le ministre de l'intérieur jugea bon de ne pas répondre. (Interruption.)
Le 19 décembre 1868, après que M. Lenaerts eut persisté dans son ancienne ligne de conduite, après qu'il se fût lancé très ouvertement dans l'arène politique, le bureau administratif, toujours ému des plaintes qui lui arrivaient, adressa la seconde lettre que voici à M. le ministre de l'intérieur :
« Le bureau administratif de l'école moyenne d'Anvers, se basant sur les plaintes émanées de M. S..., directeur de ladite école, vous a demandé, par lettre en date du 21 septembre dernier, le déplacement de M. L......, second instituteur dédoublant à cet établissement.
« Jusqu'à ce jour, aucune suite n'a été donnée à cette demande.
« Entre-temps, M. l'inspecteur Vinçotte a dû constater de nouveau la négligence de l'instituteur L.., puisqu'il a déclaré à notre président qu'il avait été dans le cas de réprimander itérativement cet instituteur au mois de novembre dernier.
« Il n'y a pas lieu de s'en étonner, M. le ministre, le sieur L... a toute autre chose à faire, en ce moment, que de s'occuper de sa classe et de l'enseignement primaire. Il se lance ouvertement dans la politique et brave journellement, en s'efforçant de la déconsidérer, l'autorité de ses chefs immédiats, ainsi que le prouve surabondamment l'article inséré au numéro ci-joint de l’Opinion, en date du 9 de ce mois ; cet article a pour titre les mots : Liberale vlaamsche Bond, meeting contre les impôts.
« En agissant ainsi, le sieur L... brave non seulement, l'autorité communale, mais encore celle du gouvernement, dont il méconnaît les prescriptions, puisqu'il est formellement défendu au personnel des athénées et des écoles moyennes de l'Etat de tenir une conduite aussi blâmable, aussi anarchique.
« La circulaire ministérielle du 8 avril 1852 (insérée au premier rapport triennal de l'enseignement moyen, p. 167 et 168) ne saurait laisser le moindre doute à cet égard.
« Vous comprendrez aisément, M. le ministre, qu'en présence de pareils faits qui énervent l'autorité dont le bureau administratif est investi de par la loi, celui-ci s'étonne à bon droit de l'inaction du gouvernement, et qu'il regrette profondément, au point de vue de nos institutions constitutionnelles, l'espèce d'impunité dont semble jouir M. L... La situation exceptionnelle qui lui est faite à cette occasion constitue un exemple désastreux, tant pour le personnel que pour les élèves de nos deux établissements d'enseignement moyen.
« En vous faisant parvenir une nouvelle preuve incontestable de la conduite inconvenante de M. L.., Je bureau administratif, dont le collège échevinal fait partie, s'efforce de sauvegarder sa dignité et en même temps celle du gouvernement. Nous espérons, M. le ministre, que, mieux renseigné, vous reconnaîtrez, à votre tour, la nécessité de sauvegarder l'une et l'autre. »
Peu de temps après, - j'arrive, messieurs, à la dernière lettre, - le bureau administratif fut obligé, d'écrire, une fois de plus encore, au ministre de l'intérieur à cause de la conduite tenue par M. Lenaerts dans des assemblées politiques.
Comme le dit le directeur de l'école moyenne, il n'avait pas le temps de s'occuper de ses élèves ; il négligeait même très fréquemment son cours à l'école moyenne, sous prétexte que l'état de sa santé ne lui permettait pas de donner sa leçon ; il prétendait parfois avoir une extinction de voix et le soir même ou le lendemain il était un des principaux orateurs de nos clubs politiques. (Interruption.)
M. Jacobs, ministre des finances. - On en a même fait un candidat pour la Chambre. (Interruption.)
M. d'Hane-Steenhuyse. - Le bureau administratif d'Anvers avait presque fait son deuil d'une réponse du ministère. Nous nous étions déjà aperçus - je dis nous parce que, en ma qualité d'échevin, je fais partie du bureau administratif, - nous nous étions aperçus, dis-je, que le ministère se tenait dans un silence prudent et qu'il ne paraissait pas lui être désagréable que M. Lenaerts tînt à Anvers la conduite qu'il y tenait.
Aux élections communales de 1869, M. Lenaerts, président d'un club politique à Anvers, prononça les paroles suivantes que je retrouve dans les journaux de nos adversaires et dont, par conséquent, mes honorables contradicteurs ne contesteront pas l'exactitude.
M. Lenaerts ouvre la séance en disant :
« Messieurs, nous avons convoqué la population d'Anvers afin de parler de l'élection communale du 26 courant. Elle est la plus importante que nous ayons eue depuis bien des années.
« Depuis quelque temps il y a à Anvers des événements qui impriment une flétrissure sur le front de notre ville natale ; le peuple d'Anvers a été administré d'une manière indigne et il est temps que le peuple d'Anvers se relève de cette oppression et de cet avilissement.
« Prenons, messieurs, le taureau par les cornes. La lutte que nous, libéraux, engageons, nous la livrons à l'administration communale, que nous voulons renverser.
« Pourquoi ? Parce qu'elle s'est rendue coupable de faits qui l'ont rendue méprisable devant tout le pays, parce qu'elle a froissé tous nos intérêts et violenté ses subordonnés, parce que ses amis ont été flétris par la justice. Ce n'est pas nous qui avons à nous défendre, bien que prêts à répondre à toutes les interpellations.
« Il y a des conseillers sortants qui se soumettent à réélection, c'est à eux qu'il incombe de s'expliquer. Nous avons le droit de les interpeller et de leur demander compte de leur gestion.
« Que font-ils pour se justifier, pour expliquer leurs gaspillages et leurs tripotages, et le déficit dans les finances ?
« Ils font comme ce capitaine de navire, qui avait à bord une cargaison de nègres. La longueur du voyage ayant dépassé les prévisions, le pain fit défaut. Bientôt les nègres murmurèrent. Mais le capitaine avait quelques polichinelles qui, manœuvres par l'équipage, dansèrent si bien devant les nègres, que ceux-ci trouvèrent le spectacle amusant et oublièrent qu'ils avaient faim. »
En terminant (et cette partie de la séance est tirée d'un journal flamand dont je me permettrai de joindre le texte au Moniteur, pour que personne ne puisse contester l'exactitude de ma traduction), en terminant, M. Lenaerts dit :
« Y a-t-il quelqu'un qui veuille répondre aux accusations portées ici contre l'administration communale ? Y a-t-il quelqu'un qui veuille contester un ou plusieurs des points traités par les orateurs précédents, à charge du parti de l'hôtel de ville ? Personne !
« Il me reste donc à constater que, parmi les milliers de personnes qui composent cette assemblée, l'administration communale d'Anvers n'a pu trouver un seul défenseur. »
L'orateur donne ensuite quelques éclaircissements et dit que nos adversaires ont distribué de faux bulletins de vote, notamment des billets devant servir pour le premier jour d'élections ; ces billets portaient plus de quinze noms et étaient, par conséquent, nuls.
Il prie également les électeurs présents de ne pas déposer dans l'urne des bulletins portant le nom de Van Honsem, puisque celui-ci, a retiré sa candidature.
Enfin, il leur recommande de bien faire attention au bureau dans lequel ils doivent voter et de ne déposer dans l'urne aucun billet maculé déchiré ou mal plié.
(Je vous ferai remarquer que M. Lenaerts se trouvait peut-être devant un auditoire de 200 à 300 amis parfaitement disposés à adhérer à tout ce qu'il leur disait.)
« Messieurs, dit l'orateur, il est inutile de proclamer ici les noms des candidats. Nous ne voulons point jouer la comédie, comme le fait, dans ses meetings, la commission des servitudes militaires, avec des candidats soi-disant choisis par le peuple, et qui, plusieurs jours auparavant, ont été pétris et cuits dans la rue Saint-Paul.
« Chacun de vous votera selon ses sentiments et sa conviction, et il est (page 1565) hautement désirable que, mardi et mercredi prochain, le corps électoral d'Anvers prononce, sur le parti de l'hôtel de ville, un jugement qui trouvera de l'écho dans tout le pays. » [Le texte original du journal en question se trouve en note de bas de page. Il n’est pas repris dans la présente version numérisée.
(Une liste avait été arrêtée à l'Association libérale, et la Vlaamschc-Bond s'était rallié, d'avance, aux candidats de l'association libérale.)
Messieurs, je bornerai là la lecture des discours de M. Lenaerts, ce sont ces discours qui ont exigé de la part du bureau administratif une correspondance avec le ministre de l'intérieur et qui malheureusement est restée sans résultat. Si je voulais vous lire tous les discours qui ont été prononcés par cet instituteur, abstraction faite de questions religieuses, et qui ne renferment que des attaques calomnieuses qu'il a adressées au conseil communal, j'en aurais au moins pour trois heures.
A la suite de ces faits, le bureau administratif se décida à envoyer un. nouvelle lettre à M. le ministre de l'intérieur. Cette lettre était ainsi conçue :
« Monsieur le ministre,
« Le sieur L..., deuxième instituteur dédoublant à l'école moyenne de cette ville, dont le bureau administratif s'est déjà plaint à deux reprises en se basant sur les rapports de M. le directeur S... et de l'inspecteur M. Vinçotte, continue de négliger ses fonctions, au grand détriment de l'école, placée sous notre surveillance. Depuis le 1er octobre, date de la rentrée des classes, après sept semaines de vacances, il se dit malade et n'a pas reparu dans l'établissement sous le prétexte que son médecin lui a défendu de reprendre ses leçons.
« Il oblige ainsi ses collègues et son directeur à faire sa besogne, et entre-temps il passe des soirées entières dans des réunions électorales, dont il est un des orateurs les plus infatigables.
« Le soin de sa santé ne peut donc être invoqué sous aucun rapport par M. L..., puisque des occupations étrangères à l'enseignement absorbent la majeure partie de son temps.
« Nous constatons avec regret, M. le ministre, que c'est pour la troisième fois que le bureau administratif vous signale la déplorable conduite de ce professeur. Vous comprendrez sans peine que ses membres ont lieu de se trouver blessés dans leur dignité. En contrevenant aux instructions existantes, le sieur L... méconnaît à la fois l'autorité du gouvernement et la nôtre. Il est superflu d'insister sur le tort qu'il occasionne ainsi à l'école, dont nous avons à sauvegarder les intérêts.
« Nous croyons devoir vous déclarer, M. le ministre, que tolérer plus longtemps des abus de la nature de ceux que nous vous signalons, est d'un exemple plus que dangereux et tendrait facilement à la désorganisation du corps enseignant de l'école moyenne. Nous sommes convaincus que le mal en est arrivé à ce point que le maintien de M. L.. dans ses fonctions de professeur est de nature à porter la plus grande atteinte à la prospérité de l'établissement. »
M. le ministre de l'intérieur ne daigna pas répondre plus à cette troisième lettre qu'aux deux autres.
M. Coomans. - Ah !
M. d'Hane-Steenhuyse. - Aucune réponse n'arriva ni au bureau administratif, ni à l'administration communale, et, je le répète, nous avions fait non seulement noire deuil d'une réponse, mais nous avions, pour ainsi dire, fait notre deuil de la présence de M. Lenaerts dans l'école moyenne.
Messieurs, le bureau administratif, en demandant le déplacement de Lenaerts, s'appuyait sur des circulaires qui ont été formulées et promulguées par des ministres qui appartiennent à l'opinion libérale.
Ainsi, par exemple, l'honorable M. Rogier disait en avril 1852, quant à la conduite à tenir par les professeurs au point de vue politique : « Il va de soi qu'ils doivent jouir de la plénitude de leurs droits comme citoyens, mais ils doivent en même temps s'abstenir avec soin de se mêler activement aux luttes des partis. »
Un peu après, une note ou instruction générale, rédigée par M. l'inspecteur Cugnière, sous l'inspiration de cette sage idée, est plus explicite encore.
Cette note, du 14 novembre 1862, fut approuvée par M. Piercot, qui était alors ministre de l'intérieur. M. le ministre ajouta qu'il engageait l'inspecteur à inviter de nouveau les professeurs à se conformer ponctuellement aux prescriptions de cette note.
Dans cette note nous lisons :
« 1° Conduite privée des professeurs...
« Tous apporteront le plus grand soin à s'abstenir de toute action, de toute parole, qui puisse devenir un prétexte apparent d'accusation contre le corps dont ils sont membres.
« Ils n'oublieront pas qu'un particulier aliène une partie de sa liberté, du moment qu'il entre dans un corps.
« 2° Conduite au point de vue politique :
« Les professeurs sont fonctionnaires de l'Etat ; et ce titre leur impose des devoirs particuliers. Ainsi ils comprendront que toute manifestation de leur part qui serait hostile au gouvernement ne pourrait pas être tolérée.
« Cependant il va de soi qu'ils doivent jouir de la plénitude de leurs droits comme citoyens ; mais ils doivent, en même temps, s'abstenir avec soin de se mêler activement à la lutte des partis (lettre précitée du 8 avril 1852).
« Ils apporteront la même réserve dans les questions purement locales, sur lesquelles les parents des élèves peuvent être divisés d'opinion. »
Comme les faits et gestes de M. Lenaerts étaient très favorables au gouvernement, je suppose que c'est pour ce motif que le gouvernement n'a pas tenu à faire exécuter les prescriptions contenues dans cette circulaire.
M. Coomans. - Au gouvernement pas, mais au ministère. Ce sont deux choses différentes.
M. d'Hane-Steenhuyse. - Mais M. Piercot ne s'est pas borné à cette mention ; il a fait mention également des administrations communales et il a trouvé que, si les instituteurs devaient respecter l'autorité gouvernementale, ils avaient aussi à respecter l'autorité communale. Il a pris soin d'ajouter : « Ils apporteront la même réserve dans les questions locales sur lesquelles les parents des élèves pourraient être divisés. » C'est ce qui avait lieu à Anvers, et vous avez pu voir que L... prenait en très faible considération les prescriptions qui lui étaient indiquées.
Messieurs, je l'ai déjà dit, mon but, en prenant la parole, a été d'établir des faits en toute vérité. Ceux que M. le ministre de l'intérieur a portés à la connaissance de la Chambre me semblent graves. J'attendrai jusqu'à la fin de la discussion pour me former une opinion. Je le répète, si j'ai demandé la parole, c'est qu'après les observations de l'honorable M. Frère, je me suis dit que ses attaques n'étaient pas logiques, qu'il y avait là une inconséquence que je ne m'expliquais pas...
M. Coomans. - Si ! si !
M. d'Hane-Steenhuyse. - ... que je ne m'expliquais pas, et j'ai tenu à soumettre à la Chambre des pièces d'une valeur incontestable, des pièces officielles.
Je serais curieux de savoir pourquoi, lorsque l'honorable M. Frère trouve mauvais que M. le ministre de l'intérieur actuel ait fait ce que j'appelle son devoir vis-à-vis des professeurs de Rochefort, il ne le remplissait pas, lui, alors que l'autorité communale d'Anvers était insultée par un des professeurs de l'école moyenne de cette ville ? Les lettres que j'ai lues prouvent suffisamment que M. le ministre était instruit des faits. Or, messieurs, le ministère précédent n'a pas démissionné M. Lenaerts ; c'est M. Lenaerts qui a donné lui-même sa démission pour cause de santé ou pour d'autres motifs que je n'ai pas à rechercher.
Le ministère n'a pas cru alors devoir défendre la dignité du conseil communal d'Anvers, ni la dignité de la commission administrative de l'école d'Anvers, ni la sienne propre, et M. Lenaerts n'est sorti de l'école (page 1566) moyenne que parce qu'il a bien voulu prendre cette détermination à son jour et à son bon plaisir.
M. le président. - La parole est à M. Bara.
M. Pirmez. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président. - Il n'y a rien qui vous soit personnel dans ce qui a été dit. Cependant, si M. Bara veut vous céder son tour de parole...
M. Bara. - Oui, je parlerai après.
M. le président. - La parole est à M. Pirmez.
M. Pirmez. - Messieurs, l'incident que l'honorable M. d'Hane vient de rappeler me paraît l'être dans de bien singulières circonstances. Il s'agit de faits qui se sont passés il y a deux ou trois ans, lorsque nous étions au ministère. L'honorable M. d’Hane était alors membre de cette Chambre. Ces faits sont graves, d'après lui ; ces faits méritent, aujourd'hui encore après plusieurs années, d'être soumis à la Chambre et jamais M. d'Hane n'a pensé à les signaler !
M. d'Hane-Steenhuyse. - A quoi bon ? Vous ne m'auriez pas répondu.
M. Pirmez. - Aujourd'hui le ministère ne répond pas. Mais alors il répondait et jamais une interpellation, une question n'est restée sans réponse. Parcourez les Annales parlementaires, vous ne verrez pas une seule question adressée à un ministre, à laquelle il n'ait été immédiatement répondu.
M. Jacobs, ministre des finances. - Mais les lettres restaient sans réponse.
M. Pirmez. - On discutait, pendant des mois, des détails sur les fondations de bourses, sur l'affaire de Saint-Genois, on cherchait tous les incidents possibles et jamais vous n'avez parlé de M. Lenaerts.
Pourquoi avez-vous attendu ? Je vais vous le dire. Vous avez pensé que vous me prendriez au dépourvu en venant ainsi soulever cette question sans m'avoir prévenu ; et vous avez su que si je demandais à M. le ministre de l'intérieur les pièces pour me défendre, comme toujours il me les refuserait. (Interruption.)
Vous vous êtes dit que vous me prendriez à l'improviste et sans armes, mais j'ai assez bonne mémoire pour vous répondre immédiatement.
Vous avez une autre raison encore pour faire aujourd'hui ce que vous ne faisiez pas alors.
Celui que vous accusez aujourd'hui, M. Lenaerts, votre ancien ami, était vivant. Aujourd'hui il est mort. Il ne vous convenait pas d'attaquer un vivant. Il vous convient d'attaquer un mort. (Interruption.)
M. d'Hane-Steenhuyse. - Je ne l'ai pas nommé ; c'est vous qui l'avez nommé.
M. Pirmez. - J'aime ces distinctions ! On parle d'un professeur à l'école moyenne d'Anvers, mêlé au mouvement politique, orateur de réunions publiques, chef d'une association électorale. On cite ses discours, on cite des lettres du bureau administratif qui ne s'appliquent qu'à lui ; il n'est pas un habitant d'Anvers qui ne reconnaisse M. Lenaerts, et après cela on dit : « Je ne l'ai pas nommé, c'est vous qui l'avez nommé ! »
M. Coomans. - Il ne faut pas plus respecter les morts que les vivants.
M. Pirmez. - Vous ne respectez ni les vivants ni les morts, mais il me convient de croire que quand on a quelqu'un à attaquer, il vaut mieux l'attaquer quand il est vivant que d'attendre qu'il soit mort.
- Un membre. - C'est le ministre qu'on attaque.
M. Pirmez. - La réponse du ministre sera complète.
Tout le monde connaît, messieurs, l'agitation politique dont la ville d'Anvers a été le théâtre et les excès de discussion auxquels on s'est livré dans cette ville.
On sait que le parti dont M. d'Hane est l'un des représentants se livrait contre le gouvernement à des attaques d'une violence telle, que jamais nulle part elle n'a été atteinte. Ne parlait-on pas de mettre un ministre à la bouche d'un canon ? Mais ce n'est pas seulement aux ministres qu'on s'attaquait, on visait plus haut et l'on n'épargnait pas le chef de la dynastie.
A l'époque où M. d'Hane se reporte, on avait à Anvers fait une statue du Roi ; on demandait à pouvoir la placer ; le conseil communal refusait un emplacement, comme manifestation antidynastique.
M. Jacobs, ministre des finances. - Pas du tout.
M. Pirmez. - II y avait, à Anvers, une opposition qui se livrait à tous les excès, une opposition factieuse, puisqu'elle s'attaquait non seulement aux choses mobiles du gouvernement, mais aux choses immuables de la Constitution.
M. Coomans. - Une excellente opposition !
M. Pirmez. -- Et cette opposition, telle que je viens de la définir, elle était, à Anvers, parmi ceux qui représentaient l'autorité ; or, quand l'autorité se livre à de semblables excès, il n'est pas étonnant que les subordonnés commettent aussi des excès de discussions ; l'exemple qui vient d'en haut est toujours suivi en bas. M. Lenaerts était le subordonné du conseil communal, il fut indigné, et, avec un talent incontestable, il combattait le parti que je viens de signaler.
Je reçus alors les plaintes dont l'honorable M. d'Hane a parlé ; je compris tous les motifs d'excuse que M. Lenaerts pouvait invoquer, mais je compris aussi que je ne pouvais pas favoriser l'insubordination.
Je fis venir M. Lenaerts dans mon cabinet et je lui dis que, tout en comprenant ses intentions et l'indignation dont il avait été saisi, je devais lui interdire de la manière la plus absolue la polémique qu'il avait engagée et je lui déclarai que, s'il continuait, je serais forcé de le révoquer.
M. Coomans. - Il a continué.
M. Bara. - Qu'en savez-vous ?
M. Coomans. - Je le sais et vous aussi.
M. Pirmez. - M. Coomans sait tout ; il se rappelle même le temps où il était rapporteur du budget de la guerre.
M. Allard. - Et il ne l'a jamais été.
M. Coomans. - C'est un jeu de mots.
M. Pirmez. - On m'envoya à cette époque des extraits des discours de M. Lenaerts. Je ne les ai plus ; l'honorable M. d'Hane le sait bien. Je ne puis donc m'en servir.
Les plaintes de l'administration communale d'Anvers, fondées sur certains points, étaient d'une intolérance excessive sur d'autres.
Quoi qu'il en soit, j'ai déclaré à M. Lenaerts qu'il m'était impossible de tolérer qu'il continuât contre l'administration d'Anvers, dont il était le subordonné, la polémique qu'il avait entreprise.
Je n'ai pas répondu au conseil communal, parce que la lettre que l'on demandait eût été exploitée contre M. Lenaerts.
On voulait des armes contre une association puissante que M. Lenaerts présidait ; je ne voulais pas donner ces armes ; je ne donnai pas la lettre, mais je voulais maintenir avec énergie le principe de la subordination, et M. Lenaerts dut s'engagera cesser ses attaques.
Il y a, dans une lettre que l'honorable M. d'Hane a eu le courage de lire, des choses vraiment tristes à entendre. On y disait que M. Lenaerts avait manqué à son cours sous le prétexte que sa santé était altérée et, quelques mois après, votre ancien ami mourait. Sa mort prématurée n'a que trop prouvé l'altération de sa santé, qu'on traitait de vain prétexte !
M. Coomans. -Vous l'avez fait trop travailler. Voilà la vérité.
M. Pirmez. - Vous vous permettez une plaisanterie bien funèbre.
M. Coomans. - Très funèbre. (Interruption.)
M. Pirmez. - Riez sur sa mort et sur les causes qui l'ont amenée. Mais vos plaisanteries ne m'empêcheront pas de dire que c'est une perte que la mort de M. Lenaerts.
M. Coomans. - Pour vous.
M. Pirmez. - C'était un homme de. cœur et de talent, et quand vous en perdrez de pareils dans votre parti, je m'associerai à vos regrets et je ne plaisanterai pas sur leur mort.
Messieurs, la décision que j'avais prise a été maintenue et exécutée.
M. Lenaerts était à la tête d'une association électorale puissante de nos amis qui comptait, si ma mémoire est fidèle, 800 membres, peut-être 800 électeurs sur lesquels il exerçait la plus grande influence.
L'empêcher de donner l'impulsion active qu'il imprimait à cette association, c'était une perte pour le parti libéral.
J'ai pensé cependant qu'il y avait autre chose en jeu que l'intérêt politique et qu'il fallait maintenir la subordination avant l'intérêt de parti, et je ne lui ai pas caché, qu'il devait cesser ou partir.
Qu'a fait M. Lenaerts ? Honnêtement fidèle à l'engagement pris envers moi, il a donné sa démission. Il a opté pour son départ de l'école.
J'ai donc maintenu l'ordre et la subordination dans l'école, et voilà les faits que l'on produit pour nous accuser de mauvaise administration.
Nous risquions de compromettre un intérêt de parti et nous ne reculions pas, parce que notre devoir était de maintenir les membres du corps enseignant dans la réserve qui leur est commandée.
Que M. d'Hane trouve, après cela, qu'il a fait une utile diversion aux tourments de M. le ministre de l'intérieur quant à l'affaire de Rochefort, (page 1567) soit ; mais singulière coïncidence ! quand j'entendais tantôt M. Thibaut rappeler que les prédécesseurs de M. Kervyn punissaient aussi les instituteurs qui n'avaient pas une conduite digne et réservée, je lui disais que je m'applaudissais d'avoir agi ainsi et j'ajoutais à mes voisins que j'avais été bien plus loin pour maintenir le respect hiérarchique dans l'enseignement ; je leur rappelais précisément que j'avais exigé d'un de nos amis qu'il cessât d'être professeur plutôt que d'attaquer ses chefs, qui étaient nos plus implacables adversaires.
M. Coomans. - Quand c'était fait.
M. Pirmez. - Non, M. Coomans, cela n'est pas ; je vous donne le démenti le plus formel.
M. Coomans. - Je vous le rends.
M. Jacobs, ministre des finances. - Il y a des dates.
M. Pirmez. - Oui, il y a des dates et je vous affirme que c'est très longtemps avant la démission de M. Lenaerts que je lui ai indiqué l'option à faire par lui : rester à l'école sans faire de politique contre l'administration communale ou sortir de l'école.
M. Jacobs, ministre des finances. - Et il y est resté encore longtemps.
M. Pirmez. - Je ne puis citer les dates par mois et jour, parce que je suis pris à l'improviste d'une manière si délicate par M. d'Hane ; mais je puis indiquer les époques.
Voici ce qui s'est passé et voici la différence des époques.
Il y a eu deux périodes d'agitation. C'est lors de la première, après la réception dès premières plaintes, que j'ai fait appeler M. Lenaerts et qu'il s'est engagé à ne pas continuer. Cette première période était terminée. A un certain temps de là, il y avait des élections ; M. Lenaerts, qui savait ce que je lui avais dit, a donné sa démission pour se jeter dans la lutte et tenir des meetings contre l'administration communale.
M. Gerrits. - Il a donné sa démission lorsqu'il a été candidat pour le conseil communal, huit jours avant l'élection.
M. Pirmez. - C'est ce que j'ai dit.
M. Coomans. - Vous vous trompez.
M. Pirmez. - Je ne me trompe pas du tout. (Interruption.) Mais je viens de dire que c'est avant les élections qu'il a donné sa démission et l'interruption confirme ce que j'ai dit.
J'engage l'honorable ministre de l'intérieur à suivre l'exemple que nous lui avons donné avec M. Lenaerts ; jamais je n'ai sacrifié aucun de mes adversaires, mais jamais, quand il s'est agi de maintenir la bonne administration, je n'ai ménagé un de mes amis. (Interruption.)
J'engage l'honorable ministre à ne pas sacrifier ses adversaires et à ne pas ménager ses amis. Qu'il fasse comme nous et il fera de l'administration féconde pour l'enseignement.
M. le ministre a parlé de la nécessité du respect de l'autorité ; pour que l'autorité obtienne ce respect, elle doit se montrer respectable ; il faut qu'elle soit juste, impartiale et vraie. Elle ne l'obtiendra pas en n'avouant pas franchement ce qu'elle fait, en frappant en cédant à certaines influences et en cherchant des preuves après les actes consommés. (Interruption.)
Dans l'affaire de Cherscamp, j'ai montré M. le ministre annonçant ici qu'il sévirait contre le bourgmestre et entendant ce fonctionnaire quatre jours après. A Rochefort, il déplace des professeurs et il recherche, après, un rapport de la gendarmerie destiné à lui donner raison.
Il y a quelque temps, un savant professeur de droit, au sein de l'Académie, rapportait que, d'après d'anciens criminalistes, lorsqu'il s'agissait de faits très graves, on commençait par exécuter l'accusé et qu'ensuite on faisait une enquête, non dans l'intérêt de l'accusé qui n'était plus, mais dans l'intérêt du pouvoir, pour prouver que l'autorité avait bien fait de frapper.
On croirait que M. le ministre de l'intérieur est partisan de ce système : on frappe les professeurs, puis on offre de faire une enquête, et en attendant on demande à un brigadier de gendarmerie son opinion sur l'acte de M. le ministre de l'intérieur, et le brigadier répond : Vous avez raison ! (Interruption.)
Et quand on a cela, on trouve qu'on est parfaitement blanc ; on apporte cette pièce et on croit avoir confondu ses adversaires.
On dit aux membres de l'opposition : Vous avez soulevé une mauvaise querelle ; le brigadier l'a dit. (Interruption.)
M. Muller. - Il ne l'a même pas dit.
M. Pirmez. - Non, mais il aurait pu le dire (interruption) ; et cela suffit à M. le ministre de l'intérieur, tant l'autorité est imposante.
En terminant, messieurs, je désirerais faire une question à M. le ministre de l'intérieur. Je voudrais savoir si tous les professeurs sont également soumis à la surveillance de la police
Nous savons maintenant à quoi nous en tenir, quant aux professeurs de l'enseignement moyen ; aussi, je ne demande pas de réponse quant à eux. Mais je désire savoir si les professeurs de l'enseignement supérieur sont, comme les repris de justice et les professeurs de l'enseignement moyen, sous la surveillance de la police. (Interruption.)
M. le président. - La parole est à M. Bara.
M. d'Hane-Steenhuyse. - Je demande la parole pour un fait personnel. (Interruption.)
Il me semble qu'après avoir permis à l'honorable M. Pirmez de dire que j'ai eu le triste courage de venir parler de M. Lenaerts, la Chambre doit me permettre de répondre quelques mots à mon contradicteur.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. d'Hane-Steenhuyse. - Je me permettrai d'abord de faire remarquer à la Chambre, que je n'ai pas attaqué M. Lenaerts. J'avais commencé par ne pas citer son nom. (Interruption.)
J'aurais pu le citer, mais comme il entrait dans mes intentions de n'apporter ici que des faits et non des personnalités, j'avais pris l'exemple de M. Lenaerts comme j'aurais pu prendre celui de Pierre ou de Paul. Cela était indispensable pour la thèse que je voulais soutenir et qui est appuyée sur des faits officiels incontestables émanant du bureau administratif et du directeur de l'école moyenne. Je n'ai point songé un seul instant à attaquer la vie privée de M. Lenaerts.
J'ai dit, en commençant, que je ne voulais traiter la question qui nous occupe qu'au point de vue de la dignité des diverses autorités que tout le monde, en Belgique, doit respecter.
L'honorable M. Pirmez n'a pu contester aucune des pièces que j'ai soumises à la Chambre ; il reste parfaitement établi que M. Lenaerts, au point de vue du respect qu'il devait à ses supérieurs, se trouvait dans une situation que le ministère d'alors ne devait pas permettre, ne devait pas tolérer. Voilà ce qui résulte du débat.
Mais l'honorable M. Pirmez s'est empressé de se mettre sur un autre terrain et de s'attaquer aux excès du mouvement anversois. Je comprends que le mouvement anversois ne soit pas tout à fait du goût de l'honorable M. Pirmez, et je crois que ce mouvement est pour quelque chose dans les modifications qui se sont produites dans l'ordre politique en Belgique.
Mais quant aux excès que vous accusez le mouvement anversois d'avoir commis, il n'en est rien.
A l'époque où ces excès se seraient commis - je l'ai déjà dit il y a quelques années - vous étiez gouvernement, vous étiez pouvoir ; vous pouviez, vous deviez réprimer ces excès.
Citez-moi une pièce émanant soit du ministère, soit du procureur du roi, soit du gouverneur de la province... (interruption), soit de la gendarmerie même, constatant qu'à Anvers il avait été commis des excès dont l'autorité dût s'émouvoir ?
M. Frère-Orban. - M. le ministre des finances a désavoué ces excès.
M. le président. - Pas de conversations particulières ; continuez, M. d'Hane.
M. d'Hane-Steenhuyse.- L'honorable M. Pirmez s'est apitoyé sur le sort de M. Lenaerts, et il l'a appelé mon ami. Je connaissais M. Lenaerts de vue, mais je ne lui ai jamais adressé la parole. M. Pirmez, dis-je, s'est apitoyé sur le sort de M. Lenaerts. Qu'est-il arrivé ? M. Lenaerts, ainsi que le ministère de l'époque, comptait sur le succès de ses amis à Anvers, à telle enseigne que, s'il faut en croire les on-dit, on avait promis a M. Lenaerts la place d'inspecteur des écoles primaires d'Anvers. (Interruption.)
Je sais bien, M. Pirmez, que vous n'étiez pour rien dans cette promesse ; car il est évident que le conseil communal seul pouvait donner cette place.
Comme l'a fait très bien observer mon honorable ami, M. Gerrits, M. Lenaerts a donné sa démission huit jours avant les élections pour lesquelles il était candidat.
M. Frère-Orban. - Il n'était pas obligé de la donner.
M. d'Hane-Steenhuyse. - C'est vrai ; mais à Anvers on avait réclamé contre cette situation ; et même des deux côtés on avait trouvé qu'il y avait quelque chose d'irrégulier dans cette double position de professeur à l'école moyenne et de candidat aux élections communales.
Je ne puis pas supposer que ce soit à l'influence de M. le ministre de l'intérieur que M. Lenaerts ait cédé, mais enfin il donna sa démission et après cela il ne fut pas élu conseiller communal. Il s'est trouvé, je l'ai regretté énormément pour lui, car évidemment M, Lenaerts était un (page 1568) homme de moyens, il s'est trouvé, ensuite, dans une situation assez précaire.
Eh bien, messieurs, êtes-vous venus à son aide ? Mais pas le moins du monde.
M. Coomans. - Ah !
M. d'Hane-Steenhuyse. - Le parti qui l'avait poussé en avant l'a parfaitement laissé là. (Interruption.)
Maintenant, messieurs, qu'il me soit permis de revenir sur une autre question qui a fait l'objet ici de bien des discussions, qui a donné lieu à des accusations incessantes lancées contre le mouvement d'Anvers, accusations que nous avons déjà réfutées, mais que je veux encore réfuter aujourd'hui en deux mots.
Il s'agit de prétendues attaques contre le chef de l'Etat. Eh bien, messieurs, c'est l'absurdité la plus grande, c'est l'absurdité, si j'ose m'exprimer ainsi, la plus absurde que vous puissiez avancer ici. Jamais le chef de l'Etat n'a été attaqué dans les meetings que par un seul homme.
M. Coomans. - Oui, par un seul, votre intime ami.
M. le président. - N'interrompez pas, M. Coomans.
M. d'Hane-Steenhuyse. - Cet homme, vous le connaissez tous et bien que, comme M. Lenaerts, il soit mort, je citerai son nom ; cet homme, c'est M. Van Ryswyck.
Van Ryswyck a lancé des paroles portant atteinte au chef de l'Etat.
M. Coomans. - Et que nous avons blâmées. (Interruption.)
M. le président. - Veuillez ne pas interrompre continuellement, M. Coomans.
M. Coomans. - Je demande la parole,
M. d'Hane-Steenhuyse. - Van Ryswyck avait fait partie du mouvement anversois ; j'avais l'honneur de présider le meeting, et je rappelai Van Ryswyck à l'ordre. Je le répète, un seul homme a porté atteinte à la dignité du chef de l'Etat et cet homme vous en avez fait votre ami. (Interruption.) Il est sorti du mouvement anversois, où l'on n'avait jamais insulté le roi et il est entré dans vos rangs où il a été l'un de vos plus fermes soutiens.
M. Jacobs, ministre des finances. - Vous lui avez élevé un monument.
M. d'Hane-Steenhuyse. - Vous lui avez élevé un monument, comme le dit parfaitement M. le ministre des finances. On s'est servi du nom de Van Ryswyck comme d'un drapeau, ce que nous n'avions jamais fait. Il nous a quittés, il est passé dans vos rangs, et celui que nous appelons, et que tout le monde à Anvers appelle le seul insulteur du roi, est mort entouré de toutes vos sympathies.
J'espère, messieurs, qu'après cette nouvelle déclaration que je fais catégoriquement, cette question ne sera plus soulevée à la Chambre, et qu'on n'accusera plus désormais le mouvement anversois d'avoir insulté le roi.
(page 1571) M. Bara. - Messieurs, avant d'entrer dans la question relative aux professeurs de Rochefort, je ne puis m'empêcher de dire quelques mots sur la diversion qu'a voulu produire M. d'Hane-Steenhuyse.
M. d'Hane-Steenhuyse s'est imaginé qu'en citant l'affaire de M. Lenaerts il allait disculper M. le ministre de l'intérieur des griefs formulés contre sa conduite au sujet du déplacement des trois professeurs de Rochefort.
Mais cette diversion, messieurs, ne peut produire cet effet, attendu que les questions sont complètement différentes. Dans l'affaire de Rochefort, il s'agit d'accusations portées contre des personnes à raison de leur vie privée, d'actes touchant à leur moralité d'homme.
On les accuse d'avoir fréquenté les cabarets la nuit, de s'y être livrés à des discours contre l'administration communale, d'avoir passé la nuit dans de mauvais lieux, d'avoir organisé un bal, qui s'était terminé, par une orgie à laquelle ils avaient pris part, et de beaucoup d'autres faits ; et l'on invoque contre eux le témoignage de la gendarmerie nationale. (Interruption.)
Mais qu'y a-t-il de semblable dans l'affaire de M. Lenaerts ? M. Lenaerts a été votre adversaire politique ; M. Lenaerts s'est maintenu sur le terrain politique, et c'est pour raison politique que vous demandiez sa destitution. Car vous n'oseriez plus invoquer, aujourd'hui que M. Lenaerts est mort dz la maladie dont il se plaignait, que son absence de sa classe ne provenait pas de raisons de santé.
M. d'Hane-Steenhuyse. - Il ne remplissait pas son devoir.
M. Bara.- Il ne remplissait pas son devoir, parce qu'il était malade. Nous en connaissons beaucoup d'autres qui ne remplissent pas leur devoir et qui touchent des traitements, et nous connaissons, dans certaines sociétés, des hommes qui n'ont jamais rien fait, sinon des victimes, et qui ont touché de gros traitements et d'énormes dividendes. (Interruption.)
Vous attaquez M. Lenaerts ? Pourquoi ? Parce qu'il combattait les jésuites ; parce que, dans des conférences à Anvers et à Malines, il attaquait les jésuites. Et c'est bien à vous, M. d'Hane, qui avez dit que toutes les religions étaient d'institution humaine, vous qui avez nié la divinité du Christ, de venir aujourd'hui poursuivre de vos accusations celui qui n'a fait que critiquer les jésuites ! (Interruption.)
C'est avec une véritable tristesse que je vous vois prendre ce rôle. Vous auriez dû avoir au moins encore quelque réserve pour la mémoire de cet homme qui avait servi vos anciennes idées, idées que vous avez quittées je ne sais pourquoi. (Interruption.)
Vous croyez atteindre la mémoire de M. Lenaerts, vous n'y parviendrez pas. M. Lenaerts a eu tort, lui fonctionnaire, du gouvernement, étant dans l'enseignement, de se livrer à des luttes et à des polémiques. Mais en dehors de cet ordre, qui est purement politique et professionnel, sa vie privée était irréprochable et vous n'avez pas à lui reprocher les faits invoqués par M. le ministre de l'intérieur à l'égard des professeurs de Rochefort.
M. d'Hane a insinué que si, à Anvers, des excès ont été commis, ils ont été provoqués par nos amis, et du banc ministériel on nous a jeté à la face le nom de Van Ryswyck.
Van Ryswyck ! qui donc le premier s'est servi de lui ? qui, le premier, a été le chercher pour faire de l'agitation dans le pays ? qui a été son premier associé pour attaquer le pouvoir ? Je le demande. N'est-ce pas vous et vos amis, M. d'Hane ? N'est-ce pas par ses mains que vous avez été introduit dans l'hôtel de ville d'Anvers ? Il était votre associé. Et l'honorable M. Coomans disait dans cette Chambre : J'honore ce tribun ; je lui serre la main. Je me porte garant pour lui. Il est pauvre, donc il est honnête. (Interruption.)
Mais, plus tard, voyant vos excès, connaissant mieux vos hommes et vos actes, M. Van Ryswyck, à qui nous n'avons jamais rien promis, à qui nous n'avons jamais rien donné, que vous n'accusez aujourd'hui que parce qu'il a cessé de vous défendre, s'est tourné contre vous. M. Van Ryswyck n'est pas arrivé à notre appel ; il vous a abandonné, parce qu'il a trouvé qu'il ne pouvait plus vous défendre. Il vous a dit : Je ne veux plus de cette administration d'Anvers ; je ne veux pas défendre ce qui se passe dans cette administration. Il en est sorti écœuré, l'âme brisée et il a dû se résigner à combattre les idoles qu'il avait contribué à élever. (Interruption.)
On lui a élevé un monument, disait M. le ministre des finances ; on n'a pas élevé un monument à l'homme politique, on a élevé un monument à la victime d'une erreur judiciaire, erreur judiciaire provoquée, vous savez bien par qui, M. le ministre des finances. Ne parlez donc point de ce monument : il est élevé au respect de la justice, à laquelle on avait déplorablement manqué, et en réparation d'une injustice dont l'auteur vous est connu. (Interruption.)
Van Ryswyck ! mais vous avez vécu de ses attaques, de ses écrits, et vous avez accepté les votes de ses amis. Vous avez usé et abusé de toutes les influences qu'il pouvait avoir sur certaines classes d'électeurs, même hostiles à nos institutions. Vous dites qu'il a attaqué la royauté, mais votre parti était alors avec lui.
Vous niez ! mais croyez-vous que nous ayons oublié les longues luttes que vous avez soutenues pour empêcher l'érection d'un monument au Roi Léopold Ier sur une place d'Anvers ? Croyez-vous que je n'ai pas dans mes dossiers les photographies et les gravures immondes que l'on distribuait dans tout Anvers et par lesquelles on insultait à la mémoire du fondateur de notre dynastie ?
C'était à la veille des élections et l'on prodiguait l'insulte et l'outrage pour influencer certains électeurs. Oui, plus tard, vous avez protesté ; verba et voces ! mais dans certaines classes inférieures de la société, vous avez, grâce au langage de Van Ryswyck, recueilli un appui que vous désavouez après en avoir profilé.
Et vous n'avez pas même le mérite de la sincérité, car quand votre parti les progressistes d'Anvers, attaquait le ministère libéral, M. d'Hane, c'était non point parce que vous le disiez hostile au clergé, car jamais vous n'auriez osé mettre en avant ce motif, c'est parce qu'il était réactionnaire.
Votre parti promenait mille réformes, il promettait la réduction des charges militaires, l'abolition de la conscription, on allait marcher vers une rénovation politique et sociale. Vous êtes arrivés à quoi ? A vous mettre à la queue, vous prétendu progressiste, ancien négateur de la divinité du Christ, à la queue d'un ministère épiscopal. (Interruption.)
Messieurs, il est une singulière façon d'agir admise dans la droite : aujourd'hui M. d'Hane-Steenhuyse vient demander des comptes à l'honorable M. Pirmez parce qu'il n'a pas révoqué sur l'heure M. Lenaerts, pour hostilité au conseil communal d'Anvers, et lorsque nous étions au pouvoir, la droite, nous reprochait de ne point avoir nommé dans la magistrature les hommes politiques qui, dans des meetings, au congrès de Malines, dans les associations catholiques et dans les réunions des membres de l'Internationale unis aux catholiques, avaient attaqué le gouvernement de la manière la plus grave et la plus violente.
On nous a fait un grief de ne pas avoir nommé conseiller à la cour un magistrat qui s'était mis sur les rangs dans la Flandre occidentale et qui avait combattu de la manière la plus vive un des membres de l'ancien cabinet.
M. Wasseige disait : Vous violez le droit qui appartient à chacun de défendre ses opinions ; il n'y a plus de places pour les catholiques ! Et aujourd'hui, parce que M. Pirmez n'a pas destitué sur l'heure M. Lenaerts (car il l'a obligé à donner sa démission), M. Lenaerts qui était hostile à la minorité, M. Pirmez encourt les tardifs reproches de la droite.
Hier vous vouliez, pour tous ceux qui manifestaient des opinions politiques, même violemment hostiles au pouvoir, le droit d'arriver aux fonctions publiques ; aujourd'hui, vous n'en voulez plus ; et vous, M. d'Hane-Steenhuyse, vous qui accusez M. Lenaerts, vous aviez dans votre conseil communal l'exemple contraire ; vous y aviez un conseiller communal qui prenait sa large part à l'opposition la plus violente que jamais gouvernement ait subie.
M. Jacobs, ministre des finances. - C'est un homme très honorable et très modéré.
M. Bara. - Je ne dis pas qu'il n'est pas honorable ; mais quand vous reprochez au gouvernement de n'avoir pas destitué M. Lenaerts, je vous dis que vous aviez dans le conseil communal un homme des plus violents et des plus agressifs, et que vous l'avez encouragé, loué, exalté dans la lutte à laquelle il se livrait.
M. Dumortier. - Il était inamovible.
M. Bara. - Soit ; mais vous avez applaudi à ses actes, et vous ne le blâmez pas encore.
M. Jacobs, ministre des finances. - Il était en fonctions depuis dix ans, longtemps avant le mouvement anversois.
M. Bara. - Qu'est-ce que cela prouve ? Que vous avez deux poids et deux mesures.
(page 1572) Il fallait destituer M. Lenaerts, hostile aux catholiques, et vous exaltiez le juge parce qu'il était hostile au ministère et favorable aux cléricaux.
Au surplus, vous l'avez récompensé dès votre arrivée au pouvoir. Vous avez immédiatement nommé son fils juge de paix, en récompense évidemment de la conduite que le père avait tenue.
M. Jacobs, ministre des finances. - Son fils avait tous les titres du monde.
M. Bara. - Nous verrons cela, s'il y a lieu, au budget de la justice.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Je vous attends.
M. Bara. - C'est évident, vous y êtes obligé. (Interruption.)
M. Jacobs, ministre des finances. - Ce fils était président du conseil des hospices et avocat, et il avait été nommé par l'administration des hospices elle-même.
M. Bara. - Hier donc, on voulait des places pour tons les hommes politiques ennemis du cabinet libéral. Aujourd'hui, on nous blâme de n'avoir pas été assez prompts à déplacer des fonctionnaires qui avaient attaqué la minorité cléricale à Anvers. (Interruption.)
Je ne m'étais pas levé, messieurs, pour parler de l'affaire d'Anvers, que par pudeur l'on n'aurait jamais dû introduire dans ces débats.
Je m'étais levé pour m'occuper de l'affaire de Rochefort, assurément très grave, très importante et qui intéresse, au plus haut point, le pays.
L'honorable M. Thibaut a commencé par vous faire un historique de la fondation Jacquet à Rochefort, pour démontrer que tout se trouve dans la meilleure situation et qu'il n'y a absolument rien à faire.
Mon intention n'est pas, messieurs, d'imiter M. Thibaut, de vous faire un exposé complet de ce qui concerne cette fondation d'instruction.
Mon intention est de répondre quelques mots à l'honorable M. Thibaut et d'adresser une interpellation au gouvernement.
M. Jacquet, messieurs, a fait une fondation d'école et une fondation de bourses d'étude. Il avait institué des administrateurs spéciaux.
Ces administrateurs ont été rétablis en 1838 et ont fonctionné jusqu'en 1865, époque de la mise en vigueur de la loi de 1864 sur les fondations d'enseignement et de bourses d'étude.
En 1865, le gouvernement ayant nommé la commission provinciale de Namur pour administrer les bourses d'étude de la fondation Jacquet, cette commission n'est point parvenue à se mettre en possession des revenus de la fondation et l'on a dit que le pape s'était emparé de la fondation Jacquet et en avait, par un rescrit, confié l'administration à Mgr, Dechamps, alors évêque de Namur. Les biens étaient situés à Rome, et il fut impossible d'en percevoir les revenus.
J'ai engagé la commission des bourses de Namur à nommer un représentant à Rome pour toucher les revenus des biens. La fondation Jacquet était une fondation créée par un Belge pour des Belges, avec une administration belge instituée par le fondateur. C'était donc un établissement belge avec des immeubles à Rome.
Ce représentant n'a pas accepté la mission qui lui avait été confiée et nous avons appris de M. Moncheur, dans une discussion qui a eu lieu en 1869, que depuis 1865 les fonds étaient envoyés en Belgique à des personnes que M. Moncheur n'a pas voulu ou pu nommer et qui les distribuaient très convenablement, d'après l'honorable député de Namur. Mais on assure d'autre part que ces fonds sont donnés à une école de petits frères qui s'est approprié le nom d'école Jacquet.
Nous avons vivement réclamé à Rome pour obtenir que les fonds de cette fondation soient remis à l'administration provinciale des bourses, administration composée de catholiques et qui les réclamait.
Le cardinal Antonelli a bien voulu répondre au gouvernement que la fondation Jacquet était une œuvre pie et que les œuvres pies appartenaient au saint-père, qui en disposait. Or, voici ce que le pape en avait fait : il avait attribué la fondation à l'évêque de Namur. Cette fondation devait, d'après l'acte émané du bienfaiteur, être administrée par des personnes par lui désignées et nullement par l'évêque de Namur. Le saint-père a, sans aucune difficulté, révisé le testament ; il a donné l'administration de la fondation à l'évêque de Namur et de plus il lui a dit : Vous en ferez ce que vous voudrez. Les fonds avaient été donnés pour une école communale gratuite ; le saint-père dit à l'évêque de Namur, vous en ferez ce que vous pourrez, selon l'opportunité. C'est bien là ce qui s'appelle réviser et refaire les testaments ! Si un jour ou l'autre nous nous avisons de refaire une loi comme celle de 1864, on ne nous dira plus que la religion et la morale défendent de refaite les testaments. Nous avons maintenant l'exemple du saint-siège. (Interruption.)
Nous avons donc réclamé à Rome, nous avons échoué. Je viens demander au cabinet de vouloir bien reprendre la thèse que nous avons soutenue vis-à-vis de la cour de Rome.
Le ministère actuel est évidemment au mieux avec le gouvernement italien. M. le ministre des affaires étrangères ne me démentira pas. (Interruption.) Les biens de la fondation Jacquet sont sur le territoire romain occupé par les Italiens et incorporé à l'Italie ; en conséquence, ils sont aujourd'hui sous la puissance et la domination du roi Victor-Emmanuel et en possession du gouvernement italien.
Or, messieurs, nous savons par les journaux et les déclarations de M. d'Anethan que le cabinet est en excellents termes avec le ministère italien. (Interruption.) Et pourquoi ne serait-il pas bien avec le cabinet de Florence ? Il doit avoir bien plus d'influence que nous n'avons jamais pu en avoir sur le gouvernement du roi Victor-Emmanuel ; nous, nous étions des libéraux, nous suivions les principes constitutionnels, mais sans grand mérite, car il ne nous coûtait pas de rester neutres entre Rome et l'Italie. Mais le ministère actuel a, pour nous imiter, risqué sa popularité ; sa conduite bienveillante doit donc être hautement appréciée par les hommes d'Etat du roi Victor-Emmanuel.
Ainsi les honorables ministres n'ont pas illuminé le 18 juin, premier bon point ; ils ont, paraît-il, donné pour instruction à M. Solvyns de suivre le roi d'Italie à Rome, second bon point. Il me semble que, dans de pareilles conditions, on peut obtenir quelque chose d'un gouvernement à qui l'on fait tant de sacrifices d'anciennes opinions, de popularité et de conscience. (Interruption.)
C'est quelque chose, en effet, pour notre cabinet, de s'exposer vaillamment aux vives remontrances des évêques, aux objurgations des lettres pastorales et des manifestes diocésains, et de laisser dans l'oubli des cartons des milliers de pétitions. (Interruption.) Je crois donc que le ministère est dans une excellente position pour faire respecter par le gouvernement italien les droits belges et pour faire rentrer dans les caisses belges l'argent qui appartient à des Belges.
Jamais gouvernement ne se sera trouvé dans une meilleure situation pour parler haut et ferme et obtenir une satisfaction qu'on s'empressera de lui accorder. (Interruption.) Vous voyez qu'à quelque chose malheur est bon, car si le ministère libéral a disparu, ses successeurs pourront au moins recouvrer les fonds de la fondation Jacquet, que nos efforts n'ont pu ramener en Belgique. (Interruption.)
M. le ministre de la justice ne soutiendra pas que la fondation Jacquet instituée par un Belge pour des Belges, à l'effet de créer une école à Rochefort, à fréquenter par des Belges, n'est pas une fondation belge. Que M. Wasseige soutienne cela, je le comprends, mais M. le ministre de la justice n'oserait pas le soutenir. (Interruption de M. Wasseige.)
Je dis que l'honorable M. Wasseige se le permettrait et ce n'est pas une plaisanterie : il se l'est permis en 1869, quand il nous a dit ici même. : Les biens sont à Rome, c'est donc une fondation romaine. (Interruption.)
Mais, quand je dirais au ministre de la justice : Il s'agit, il est vrai, de biens situés à Rome, mais ils appartiennent à une fondation belge, créée par un Belge, pour une école belge et administrée par des Belges, à coup sûr, il n'ira pas prétendre que c'est là une fondation romaine.
Il est donc clair que M. le ministre de la justice et M. le ministre des affaires étrangères, que je regrette de ne pas voir ici en ce moment, car il aurait pu confirmer ce que je disais tout à l'heure des bons rapports que notre gouvernement entretient avec le gouvernement italien ; il est donc clair, dis-je, que M. le ministre de la justice devra reprendre la thèse que j'ai soutenue et qui est développée dans les documents de la Chambre, n°137 de la session de 1868-1869. Il verra que nous avons soutenu vis-à-vis le cardinal Antonelli que c'était une fondation belge et qu'il n'était pas honnête de garder l'argent appartenant à autrui.
Je sais bien que l'honorable M. Moncheur nous a dit que l'argent était renvoyé par Rome en Belgique ; mais à qui ? Qui est-ce qui en dispose ? Qui est-ce qui en profite ? Ce sont des tiers, crue nous ne connaissons pas. Et savez-vous ce que prétendent les libéraux de Rochefort ? Ils prétendent que cet argent romain sert à faire des cabaretiers et, par des cabaretiers, de faux électeurs. On prétend que le pape renvoie cet argent en Belgique pour y faire de faux électeurs catholiques. Je ne dis pas que c'est vrai. Je cite ce fait pour prouver qu'il est temps de régulariser cette affaire de la fondation Jacquet.
M. Moncheur. - Je demande la parole.
M. Bara. - L'honorable M. Moncheur est ici dans une position très délicate. Dans la discussion de 1868, en effet, l'honorable membre s'est avancé très imprudemment en faisant remarquer que l'argent de la fondation Jacquet était bien placé, bien donné, selon le vœu du testateur. (page 1573) Aussitôt je me suis levé et j'ai dit : Je suis heureux d'entendre ce que vient de dire l'honorable M. Moncheur ; j'espère qu'il voudra bien compléter ses renseignements et me dire qui reçoit cet argent. Mais il s'en est bien gardé ; car si l'honorable membre m'avait répondu d'une manière satisfaisante, j'aurais immédiatement engagé les autorités compétentes à assigner la personne qu'il m'aurait désignée devant les tribunaux en restitution de fonds qu'elle détenait illégalement et dont elle disposait illégalement.
On a dit que l'administration communale nouvelle de Rochefort n'avait agi qu'en vue de l'intérêt de l'école moyenne. Pour bien des gens, une allégation de l'honorable M. Thibaut suffit ; mais on me permettra de rectifier les faits.
Il y a à Rochefort une école de petits frères ; il s'y trouve également une école moyenne. Avant l'arrivée des catholiques à l'administration communale, les élèves ne payaient rien pour fréquenter l'école moyenne, par la raison fort simple que l'acte de la fondation Jacquet porte que l'école doit être gratuite. Que fait le bureau administratif, une fois l'administration devenue catholique ? Il commence par imposer aux élèves une cotisation de 8 ou 10 francs, tandis que la fréquentation de l'école des petits frères est gratuite et qu'on donne à cette école les revenus de la fondation Jacquet.
Le bureau administratif a pris une décision aux termes de laquelle les enfants qui fréquentaient l'école moyenne devaient payer une rétribution, et l'argent qui devait être donné à l'école était attribué à l'école des petits frères par l'intermédiaire de Rome.
Voilà pourquoi les professeurs ont pris l'attitude dont vous vous plaignez ; s'ils n'avaient pas été hostiles à un pareil programme, ils auraient manqué à leur devoir.
Et le ministre, lui qui doit être le défenseur des écoles de l'Etat, lui qui dit professer tant de respect pour les anciens testaments, s'empresse de céder ; et malgré le testament, je ne sais s'il l'a lu, il permet d'exiger des enfants une rétribution scolaire.
Messieurs, l'honorable M. Thibaut et l'honorable -M. Kervyn, en terminant hier leur discours, ont fait un grand grief à l'honorable M. Frère d'avoir porté ce débat devant la Chambre.
Comment ! avoir l'audace de soutenir des professeurs qui sont en rébellion contre un bureau administratif ! mais c'est prêcher l'insubordination !
L'honorable M. Thibaut a répété le mot et a ajouté : « C'est de l'anarchie ; c'est détruire l'enseignement dans ses bases. Il n'y aura plus de personnel enseignant digne et convenable. »
Mais comment pouvez-vous faire entendre de telles doléances ! Vous avez donc tout oublié ! Il vous est arrivé bien autre chose ! Vous souvenez-vous de l'affaire de Saint-Génois ? (Interruption à droite.) Je sais que cette affaire vous brûle quand on en parle. (Interruption.) Vous souvenez-vous de l'affaire de Saint-Genois ? Eh bien, un vicaire avait été traduit devant la justice et condamné par la cour d'appel. Il y avait chose jugée. Que faites-vous ? Quand ce prêtre a terminé sa peine, qui avait été légère, un sénateur vient le chercher aux confins de la commune ; l'honorable M. Tack, qui préside en ce moment la Chambre, en sait quelque chose ; on offre à ce prêtre une voiture, des cadeaux en argent, des sérénades, un banquet, et l'évêque vient de lui donner la belle cure de Lophem, en récompense de sa condamnation par la justice du pays ! (Interruption.)
Je souhaite qu'il soit plus modéré, dans l'intérêt des propriétés de ses paroissiens.
Eh bien, croyez-vous que de pareils exemples qui descendent d'en haut ne soient pas pernicieux ? C'est bien autre chose que l'autorité qui doit exister dans un personnel d'école. C'est l'autorité de la justice, un des plus grands freins pour les masses, que vous avez affaiblie.
Dans l'opposition, vous protestiez contre ce pouvoir de l'Etat, cette base inébranlable sans laquelle les droits des citoyens n'ont pas de garanties.
Ce n'est pas la première fois que vous avez cherché à détruire le prestige et la force de la justice ; dans d'autres circonstances, n'avez-vous pas fait de condamnations ou décisions judiciaires un piédestal à certains de vos amis politiques, cherchant ainsi à abaisser la magistrature et à détruire l'effet moral de ses verdicts ? (Interruption.) Et vous viendrez nous parler d'insubordination ! Regardez en arrière ; rappelez-vous votre passé, et nous attendrons que vous l'ayez déploré...
M. Simonis. - E les émeutes de 1857, c'est vous qui les avez suscitées.
M. Bara. - Je souhaite que vous n'en essuyiez jamais de plus graves. (Interruption.)
M. Simonis. - Vous avez semé le vent et vous recueillez la tempête.
M. Bara. - Quand vos amis s'associent à l'Internationale, quand ils vont dans les meetings de Liège prêcher l'abolition de la conscription et la réduction des charges, quand on promet au peuple de lui donner ce qu'il ne peut avoir, quand on lui dit que le gouvernement est injuste pour les classes malheureuses, on prépare des émeutes que les hommes modérés et sages ne sauront pas arrêter. C'est ce que vos amis ont fait, M. Simonis. (Interruption.)
Mais vous-même, qui parlez de subordination et de respect dû à l'autorité, savez-vous ce qui arrivait quinze jours après la scène où un sénateur de Courtrai avait été chercher dans sa voiture le vicaire Van Hecke à sa sortie de prison ? Quinze jours après cette scène, dans votre propre ville de Verviers, les membres de l'Internationale la renouvelaient. Ils allaient chercher à la porte de la prison les ouvriers qui avaient été condamnés pour résistance à la loi de la conscription et les ramenaient chez eux en triomphe. Ces ouvriers avaient sans doute entendu à Liège le cri de vos amis : « A bas la conscription ! » (Interruption.)
M. Simonis. - C'est votre faute et pas la nôtre.
M. Bara. - C'est notre faute, dites-vous ! Oui, vous chercherez peut-être à démontrer un jour que c'est ma voiture qui a conduit en triomphe le vicaire Van Hecke à la cure de Saint-Genois, et que c'est moi, et non vos amis, qui ait promis aux meetings de l'Internationale l'abolition de la conscription. (Interruption.)
Messieurs, je dis que mon honorable ami, M. Frère, a eu parfaitement raison de défendre ici les professeurs de Rochefort.
Si M. le ministre de l'intérieur s'était levé et avait dit : Oui, je les ai déplacés parce que c'étaient des libéraux, parce que l'évêque de Namur ou le clergé m'avait demandé de les déplacer, que c'était la condition de son concours, on n'aurait plus parlé des professeurs. (Interruption.) Nous n'aurions plus parlé des professeurs. (Interruption.) Oh ! ne riez pas ; car tout à l'heure je demanderai aux rieurs de me répondre.
M. Coomans. - Nous répondrons.
M. Bara. - Je le sais ; pour vous, toutes les thèses sont possibles. Vous avez défendu les dépenses militaires et vous les avez attaquées. Vous avez été favorable à la loi des étrangers et vous avez été contre. J'ai de vous toutes les opinions imaginables. (Interruption.)
M. Coomans. - C'est du radotage !
M. Bara. - C'est précisément ce que j'allais dire sur votre compte, mais j'en étais retenu par les convenances parlementaires. (Interruption.)
Je dis-donc que mon honorable ami, M. Frère, a eu parfaitement raison de défendre ces professeurs. Pourquoi ? Parce qu'on les a attaqués dans leur moralité privée et qu'on a pris pour prétexte de leur déplacement des motifs qui entachent leur honneur et peuvent compromettre leur avenir. Et une chose incroyable, c'est que M. le ministre de l'intérieur, le protecteur obligé de l'honneur de ses subordonnés, vient se porter dans cette enceinte le garant de cancans, d'accusations, dont il n'a aucune espèce de preuves.
Voilà les griefs que je formule contre M. le ministre de l'intérieur. Je lui dis : Vous avez déplacé ces professeurs en vue de satisfaire l'épiscopat et parce que c'étaient des libéraux ; c'est un acte politique ; en âme et conscience, nous sommes convaincus qu'il en est ainsi ; c'est dans les habitudes, du reste, des ministères cléricaux, nous en avons pour garant les paroles d'un homme modéré, M. Nothomb, qui, lorsqu'il fut dans l'administration a été obligé aussi de sacrifier des professeurs pour plaire à l'épiscopat.
Voici ce qu'il disait, ce qu'il était obligé d'avouer et voici ce qu'on trouve dans un dossier du ministère de l'intérieur : « Un père de famille habitant Renaix s'y livrait, avec succès, à l'enseignement depuis plus de trente ans, estimé de tous les habitants, fortement appuyé par l'autorité locale. Il a été sacrifié au protégé de Votre Grandeur et cependant il est impossible d'articuler un seul fait contre la moralité de M. Williquet. Personne ne voudrait prendre la responsabilité d'une accusation de ce genre : des membres influents de la législature, parmi lesquels je citerai l'honorable M. de Decker, se sont, au contraire, portés garants pour ce père de famille. »
L'honorable M. Nothomb déplaçait, sacrifiait, mais il ne déshonorait pas ; il ne détruisait pas la réputation de ceux qu'il frappait. Il reconnaissait leur honorabilité. Il ne les attaquait pas ; il ne produisait pas contre eux des certificats de gendarmerie et il venait dire nettement : Je les sacrifie parce que l'épiscopat l'exige. (Interruption.)
M. Dumortier. - Le professeur dont vous parlez était instituteur particulier et il est resté instituteur particulier.
M. Bara. - Vous êtes dans l'erreur la plus complète. On organisait alors l'instruction et M. Williquet pouvait être nommé. On l'a sacrifié. (page 1574) Et voulez-vous la preuve que M. Nothomb en agissait ainsi en matière de nomination d'instituteurs ? Voici ce qu'il écrivait à l'évêque de Bruges :
« Loin d'avoir négligé de consulter l'autorité ecclésiastique sur le choix du personnel des écoles supérieures, je puis dire que c'est, en quelque sorte, sur ses propositions que tous les choix ont été faits. »
Voilà donc la conduite de M. Nothomb, et il l'avoue.
M. Dumortier. - Il a raison.
M. Bara. - Il a raison ! Voilà le mot. (Interruption.)
C'est de la vérité et de la franchise au moins.
Ne venez donc pas avec des artifices et des hypocrisies, prétendre que vous frappez les fonctionnaires à raison de leur conduite privée, alors que vous ne faites qu'exécuter les basses œuvres de l'épiscopat. (Interruption.)
Eh bien, messieurs, c'est ce point de vue que je veux traiter.
Je n'ai pas l'ombre d'un doute que c'est pour satisfaire le clergé que le déplacement de ces trois professeurs de Rochefort a été décidé. Vous avez entendu la correspondance.
Le 7 août, on demande à M. le ministre de l'intérieur de déplacer ces professeurs, et le 11 août on décide de s'entendre avec l'évêque de Namur pour obtenir le concours du clergé.
Au mois d'octobre, le conseil communal se réunit et l'on montre au conseil communal une lettre du doyen par laquelle on l'informe que l'évêque ne donnera pas son concours si ces trois professeurs ne sont pas déplacés.
La preuve de ce que j'avance se retrouve encore dans une lettre du mois de novembre du bureau administratif, lettre que M. le ministre de l'intérieur nous a lue hier, dans laquelle il est dit : « En outre, la présence de ces professeurs est incompatible avec celle d'un prêtre réclamé pour donner l'enseignement religieux. »
Qui a décrété cette incompatibilité ? Ce n'est pas le bureau administratif, ce n'est pas le conseil communal, ils sont incompétents sur ce point ; c'est donc l'évêque qui a dit qu'il y avait incompatibilité.
Vous saviez donc, M. le ministre, au mois de novembre 1870, qu'il y avait incompatibilité entre la présence du prêtre et celle des trois professeurs. Vous saviez que le déplacement de ces professeurs était l'ultimatum de l'évêque de Namur.
Que deviez-vous faire alors, M. le ministre ? Si vous aviez été soucieux de l'indépendance du pouvoir civil, vous auriez dit : « Je ne ferai pas cela. Je ne veux pas déplacer ces professeurs devant vos exigences. Vous entrerez d'abord dans l'école sans condition aucune. Mais je ne déplacerai pas ces professeurs uniquement pour satisfaire à des exigences contraires a la loi. Je ne m'humilierai pas devant vos ordres. »
Mais non, vous avez courbé la tête. Vous avez déplacé les professeurs pour obtenir l'entrée du prêtre dans l'école. (Interruption.) Mais quand l'affaire a été portée au Parlement, vous avez cherché des prétextes, vous avez cherché des arguments pour vous défendre et voici où est votre injustice. Vous avez tenté de déshonorer les professeurs que vous aviez sacrifiés en les faisant passer pour des hommes peu dignes de donner l'enseignement. Si vous étiez un simple particulier, on pourrait vous attraire en justice et vous faire condamner. Si vous osiez dire en dehors de cette Chambre ce que vous avez dit ici contre ces professeurs, je vous réponds qu'on aurait vite justice, de vos paroles. (Interruption.)
Oui, la loi est formelle. Sur quoi vous appuyez-vous pour dire que. ces professeurs sont des coureurs de cabarets ? Nous allons le voir, car il n'est pas bon, il est dangereux de laisser croire dans le public que tous les fonctionnaires vont rester à la merci de M. le ministre et qu'il lui sera libre de se livrer à leur égard à toutes les accusations.
Ah ! vous dites que c'est prêcher l'insubordination que de défendre les fonctionnaires dans cette enceinte ; nous croyons, nous, que. c'est fortifier l'administration et la discipline que de défendre des hommes injustement attaqués, de les relever devant le pays et de faire voir que les fonctionnaires ne resteront pas sans défense contre des attaques appuyées sur aucune preuve.
Nous leur disons hardiment : « Remplissez votre devoir et vous n'aurez rien à craindre. L'opinion vous protégera et, au besoin, vous vengera contre les rancunes du ministère. » (Interruption.)
Nous allons voir quelle est la justice de M. le. ministre, de l'intérieur et je vous réponds qu'on ne trouvera nulle part une pareille justice de cadi. (Interruption.)
Quand vous preniez la mesure attaquée, M. le ministre de l'intérieur, vous n'aviez en main que la lettre du bureau administratif du 18 novembre. Vous n'aviez pas autre chose, si ce n'est des conversations particulières, dont je ne puis pas faire état. Du 18 novembre au 18 avril, il n'y a pas autre chose ; s'il y a autre chose, M. le ministre le produira.
Eh bien, messieurs, presque tous les faits de la plainte du 18 novembre sont relatifs à une affaire qui avait été jugée par le bureau administratif au mois de mai précédent. Les professeurs avaient été appelés devant ce bureau administratif, ils avaient répondu, on était convenu de ne donner aucune suite à l'affaire et on avait brûlé les papiers. C'est sur les cendres de cet autodafé que M. le ministre se place pour faire justice. Mais il me semble que cet autodafé prouve précisément qu'il n'y a aucun fait répréhensible. Comment ! ce sont des adversaires de ces professeurs qui les appellent à leur barre ; ces adversaires décident que la plainte sera sans suite et brûlent les pièces, peut-être même dans l'intérêt du plaignant.
N'est-ce point une justification absolue, complète ?
Vous venez, aujourd'hui, prétendre que les professeurs avaient promis de demander leur déplacement. Pourquoi ne nous avez-vous pas dit cela il y a trois mois ? Vous auriez eu une excuse. Vous auriez pu dire que ces professeurs avaient manqué à leur promesse et que c'était pour ce fait que vous les aviez déplacés.
C'est dans votre discours d'hier seulement que vous parlez de cette promesse des professeurs et une des pièces que vous avez lues, qui est postérieure à cette réunion du bureau administratif, dit que le directeur de l'école a été chargé par le bureau administratif de demander la démission de ces messieurs, ce qui prouve bien que le bureau n'avait pas obtenu directement la promesse de cette demande.
Vous n'avez donc pas fourni la preuve qu'ils s'étaient engagés à donner leur démission. Ils ne s'étaient engagés à rien de semblable et votre allégation ne repose sur rien.
Il ne reste donc que les faits suivants : Ils ont fréquenté les cabarets, ils sont restés tard dans les cafés, ils ont blasphémé, comme dit l'honorable M. Thibaut. Eh bien, messieurs, voyons ce qui en est.
Vous est-il permis de lancer des accusations de ce genre sans preuve aucune, M. le ministre ?
Ainsi, parce que vous viendrez dire à la Chambre : Tel fonctionnaire a fait cela, ce. sera dit. Nous devrons accepter le fait et l'opinion publique devra le tenir pour vrai ?
Quelles sont vos preuves ? Voilà la demande que nous ne cesserons de répéter au nom de la justice.
C'est l'allégation du rapport de cinq membres du bureau administratif, tous adversaires des professeurs et dont plusieurs faisaient partie de l'ancienne fondation Jacquet et sont accusés de recevoir les fonds de cette fondation ; par conséquent, partie intéressée au débat.
Vous avez, à côté de cela, les déclarations des membres de l'ancien bureau administratif, qui dit que ces professeurs sont parfaitement honorables, que les faits mis à leur charge sont inexacts.
Vous avez, de plus, l'invraisemblance de l'accusation, car les faits se seraient passés en 1870 et ce n'est qu'en 1871 que cette prétendue enquête a été faite par les amis de M. le ministre de l'intérieur.
En 1870, le conseil administratif dit qu'il n'a pas à se plaindre de ces professeurs, qu'ils sont honorables, qu'ils remplissent leurs fonctions avec zèle, que l'école prospère et qu'elle a obtenu des succès dans les concours de l'enseignement moyen.
Ainsi, affirmation de cinq hommes politiques intéressés dans l'affaire ; dénégation de cinq autres hommes politiques. Et, là-dessus, vous avez jugé, vous avez condamné.
Je vous le demande, a-t-on jamais vu, dans les pays les moins civilisés, une pareille justice ? (Interruption.)
M. le minière de l'intérieur a dû lui-même reconnaître qu'il n'avait pas de preuves. Il a compris qu'il lui fallait un document quelconque, un témoignage non politique pour justifier son acte, et c'est pourquoi, triomphant, il a produit dans le débat ce qu'il a appelé « le procès-verbal de la gendarmerie ». (Interruption.)
Cet expédient, messieurs, fait beaucoup d'honneur à l'esprit inventif de l'honorable ministre de l'intérieur.
Il se sera dit : A qui pourrais-je bien recourir pour avoir des renseignements ? Adressons-nous au brigadier de la gendarmerie de Rochefort ; ce sera le deus ex machina. Quand on verra son bonnet à poil, la gauche sera battue. (Interruption.)
Je voudrais bien savoir comment ce rapport de gendarmerie, dont nous examinerons tout à l'heure le fond, le rapport du 21 juin 1871, a fait son entrée dans le dossier de M. le ministre. (Interruption.)
Le gendarme est évidemment un acteur que l’on a fait entrer en scène pour le besoin de la cause.
M. Braconier. - C'est l'armée de réserve. (Interruption.)
M. Bara. - Je voudrais savoir comment cette pièce a pu se trouver dans le dossier de M. le ministre de l'intérieur. C'est très intéressant, au point de vue administratif.
(page 1575) La gendarmerie a des rapports avec le ministre de l'intérieur par le gouverneur, avec le ministre de la guerre par l'autorité militaire, avec le ministre de la justice par le procureur général.
M. le ministre a-t-il écrit à M. le gouverneur de la province de Namur ? Dans ce cas, je l'en prie, qu'il veuille bien nous remettre la correspondance échangée à ce sujet.
Je suis certain que l'honorable M. Frère donnerait bien les noms des 40 signataires de Rochefort pour la correspondance échangée avec le gouverneur de Namur, le brigadier de la gendarmerie et M. le ministre de l'intérieur. (Interruption.)
Remarquons ensuite le texte du prétendu procès-verbal. Le gendarme ne se borne pas à répondre qu'il n'y a pas de procès-verbal. Il raconte des choses qu'on lui aurait dites et qui ne le regardent pas, c'est anomal. Car un gendarme, quand on lui demande s'il n'y a pas de procès-verbal à charge de tel individu, n'a qu'une chose à répondre : il en existe ou il n'en existe pas. Mais que fait le gendarme de M. le ministre de l'intérieur ? Il dit qu'il n'existe pas de procès-verbal à charge des professeurs, mais il ajoute : J'ai entendu dire que ces professeurs fréquentaient les cabarets et qu'ils y restaient tard, ce qui peut arriver à des personnes très honorables Je ne dis pas qu'il soit très convenable, surtout pour des professeurs, de s'attarder dans des cafés, mais il n'y a pas lieu, je pense, de les destituer pour ces légères incartades.
Et d'ailleurs ce fait est-il exact ? Un gendarme le rapporte comme un on-dit. Mais comment la déclaration de ce gendarme at-elle été obtenue ? Je demande donc si ces renseignements ont été obtenus par le gouverneur de Namur. (Interruption.) A-t-elle passé par le département de la guerre ? Cela devient plus grave. (Nouvelle interruption.) Le corps professoral placé sous la surveillance du ministre de la guerre, ce serait un peu fort ! (Interruption.) Si c'est militairement qu'on a demandé une déclaration à un brigadier, il aura pris une invitation pour un ordre.
Troisième hypothèse. M. le ministre de la justice a-t-il correspondu par l'intermédiaire du procureur général ? Je ne le suppose pas, cela n'entre pas dans les habitudes du département de la justice de réclamer de la gendarmerie de petits services politiques. (Interruption.)
Quatrième et dernière hypothèse. Y a-t-il eu correspondance directe de M. Kervyn au brigadier ? (Interruption.) Pour moi, je ne puis le croire. Mais enfin, je voudrais bien savoir comment ce document est venu dans ses mains. Est-ce que par hasard la gendarmerie de Rochefort aurait été déplacée pour permettre au brigadier de venir faire sa déclaration à Bruxelles ? (Interruption.)
J'espère que l'honorable ministre voudra bien nous donner quelques renseignements à cet égard ; car, sous une forme plaisante, mes arguments sont sérieux.
Les professeurs sont placés sous l'autorité du bourgmestre, sous l'autorité d'inspecteurs, sous l'autorité d'un directeur, vous croyez que ces hommes sont consultés ? Nullement. On prend le premier brigadier de gendarmerie venu, on lui fait donner une déclaration, et là-dessus les professeurs sont jugés et condamnés sur l'heure. Mais il y a plus ; des bruits circulent : on prétend que le directeur de l'établissement, qui est un homme très modéré, a été consulté par M. le ministre de l'intérieur et qu'il aurait répondu que tout ce qu'on disait sur le compte de ces professeurs était une calomnie.
Voilà ce qu'on prétend et une pareille déclaration vaut mieux que le rapport d'un brigadier de gendarmerie qui n'a rien vu et qui ne sait rien par lui-même.
L'honorable ministre de l'intérieur ne pourrait-il pas nous dire s'il a interrogé le directeur ?
M. Pirmez. - Et s'il ne l'a pas interrogé, pourquoi il ne l'a pas fait ?
M. Bara. - Oui. M, le ministre ne pourrait-il pas nous dire quelle est l'opinion des inspecteurs sur ces professeurs ? S'il ne le fait pas, nous demanderons comment, sans preuves, il se permet de prétendre que ces professeurs sont des attardés de cafés, fréquentant de mauvais lieux, donnant des bals se terminant par des orgies dans lesquelles ils se sont compromis, enseignant des doctrines telles que leurs élèves parcouraient les rues en criant « A bas la crapule ! à bas la calotte ! » (Interruption.)
M. le ministre de l'intérieur, je le dis en toute sincérité, vous avez déconsidéré ces professeurs dans leur vie privée, vous avez nui à leur avenir ; vous n'avez pas fait comme M. Nothomb, qui disait : C'est la volonté du clergé : vous, vous avez dénigré vos victimes.
Je demande quelle autorité pourront avoir ces professeurs si vous ne venez pas détruire l'effet de vos discours en avouant vous-même que vous n'avez aucune preuve contre eux ? (Interruption.)
Oseriez-vous soutenir que ce soit une preuve qu'une accusation émanant d'un adversaire politique ?
Mais vous, M. le ministre, dans l'affaire de Cherscamp, que disiez-vous, s'il vous plaît ? Vous disiez que vous aviez défendu le droit des instituteurs contre le bourgmestre et le conseil communal. Vous preniez le rôle inverse de celui que vous avez tenu dans l'affaire de Rochefort.
Vous disiez :
« On est allé plus loin. On a attaqué à la fois sa capacité et son honneur. On dit qu'il ne donne pas ses soins aux élèves ; on va jusqu'à refuser des certificats de moralité à ce père d'une nombreuse famille, qui a parcouru une longue et honorable carrière.
« Il ne faut pas, messieurs, que, sous de tels prétextes, on frappe les instituteurs et qu'on les empêche d'accomplir leur mission. »
Ainsi, parce qu'il s'agissait d'un catholique à Cherscamp, vous preniez la défense de l'instituteur ; vous disiez : Je n'accepte point les accusations de l'autorité communale et de toutes les autres autorités ; il faut des preuves ; j'en veux ; je n'agirai point sans preuves. Ainsi le veut mon rôle de ministre.
Et ici que faites-vous ? Alors que vous avez tout l'ancien bureau administratif qui proteste ; alors que l'enquête a été brûlée par les propres accusateurs des professeurs ; alors que les cinq membres du bureau administratif disent : Ce sont d'honnêtes gens ; tout ce qu'on dit d'eux est faux, après que le directeur de l'école vient, dans votre cabinet, à ce qu'on dit, vous dire : Tout cela est calomnieux ; en présence de tous ces faits vous frappez sans preuve ; vous frappez en invoquant un simple rapport posthume d'un brigadier de gendarmerie qui même déclare ne rien savoir par lui-même ! Est-ce digne, est-ce convenable ; est-ce que le corps professoral peut rester sous le coup de l'humiliation qu'on lui inflige ?
Quant à moi, je proteste contre vos actes. Non seulement vous avez fait acte d'injustice à l'égard des professeurs de Rochefort, mais vous avez ravalé la dignité du pouvoir à un point sans exemple dans nos fastes politiques. Et pour donner une forme précise à cette protestation, j'ai l'honneur de proposer l'ordre du jour suivant :
« La Chambre, regrettant la mesure prise par M le ministre de l'intérieur à l'égard des professeurs de l'école moyenne de Rochefort, passa à l'ordre du jour. »
- Voix à gauche. - Très bien !
(page 1568) Voix à droite. - La clôture ! la clôture !
M. le président. - La parole est à M. Coomans.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je demande la parole.
M. le président. - On crie : La clôture ! mais on ne la demande pas régulièrement. M. Coomans a la parole.
M. Coomans. - Je demande à garder la parole que M. le président m'avait accordée, parce que j'ai deux mots à dire, tout au moins sur ce qui m'est presque personnel dans les observations que vous venez d'entendre.
- Des membres. - Parlez ! Parlez !
M. Coomans. - Depuis neuf ans, je me suis engagé à défendre le mouvement d'Anvers ; chaque fois qu'on attaquera ce mouvement que je considère comme glorieux pour Anvers et le pays, comme ayant peut-être sauvé la Belgique... (Interruption.)
Oh, messieurs, prenez-y garde ! Il vous convient aujourd'hui, espérant sans doute que nous avons perdu la mémoire, de soutenir que ce mouvement d'Anvers a été une manœuvre cléricale. Eh bien, tous les faits donnent un démenti à ce mensonge de notre histoire parlementaire, telle qu'on voudrait la fabriquer.
Le mouvement d'Anvers a été unanime, et c'est là votre crime à vous autres d'y avoir résisté si longtemps.
Vous avez voulu déshonorer non seulement cette généreuse et intelligente population d'Anvers qui faisait revivre la liberté en Belgique ; mais vous avez aussi voulu déshonorer et écraser nos institutions démocratiques.
- Voix à droite. - Très bien !
M. Coomans. - Je viens de dire que le mouvement anversois a été unanime. En effet, il a été tel pendant plusieurs années. J'y ai pris part et je m'en glorifie ; mais je n'ai pas été suivi par tous mes amis politiques. Je le regrette pour eux ; je m'en honore, moi.
Dans les discours que je croyais devoir prononcer dans ces affreux meetings d'Anvers que vous vilipendiez, j'ai été applaudi par les libéraux autant et plutôt que parmi les amis politiques. (Interruption à gauche.)
Oui, j'ai été félicité, publiquement embrassé par les chefs du parti libéral, par les chefs de la franc-maçonnerie d'Anvers ; et moi, moins intolérant que. vous, j'en étais heureux, je m'associais à vos amis, parce que je savais que la Belgique, hébétée, endormie sous le mancenillier du doctrinarisme, ne pouvait se réveiller et respirer honorablement que par suite du triomphe des bonnes et justes idées soutenues par les Anversois. (Interruption.)
Ah ! vous en voulez beaucoup au mouvement d'Anvers ! je sais bien pourquoi ; et c'est aussi pourquoi je le respecte et que je me félicite chaque jour davantage d'avoir contribué à ce mouvement qui a amené votre chute, messieurs les doctrinaires, ce que les organes les plus autorisés de la presse libérale ont appelé le soulagement général de la Belgique. (Interruption.)
Oui, je veux parler de la chute du doctrinarisme ; et sous ce doctrinarisme malfaisant, la Belgique aurait péri peut-être, s'il avait vécu encore quelque temps.
Et ces meetings, auxquels vous trouviez mauvais que j'assistasse, auxquels plusieurs de mes amis n'approuvaient pas que je prisse part ; ces meetings-là, vous avez fini par les trouver bons ; vous qui les aviez tant critiqués, vous y avez figuré à votre tour ! Mais si ces meetings ont eu du bon, c'est un peu grâce à nous qui en avons pris l'initiative.
Messieurs, on s'est permis ce que j'appelle une vraie calomnie ; on s'est permis de dire que la personne royale avait été insultée par les meetings d'Anvers. Elle l'a été plus ou moins, mais par qui ? Par un seul meetinguiste que vous avez depuis accepté pour votre ami, et à qui vous avez élevé un piédestal. (Interruption.)
- Un membre. - Qu'avez-vous fait à Liège ?
M. Coomans. - Nous parlons d'Anvers aujourd'hui, et j'ai le droit d'en parler ; M. Braconier, j'étais à ces meetings, et vous n'y étiez pas.
Eh bien, si cette indignation, que je qualifierai de sui generis, avait été réelle, si les paroles prononcées par M. Van Ryswyck vous avaient paru si injurieuses, pourquoi nous avez-vous pris Van Ryswyck pour l'exalter dans vos rangs ? (Interruption.) Oui, pris, je l'affirme...
- Un membre à droite. - Acheté.
M. Coomans. - Peut-être. Du reste, une fois pris par vous, nous ne l'avons pas regretté, nous vous l'avons très volontiers laissé.
On s'est permis encore de dire que nous avions approuvé ce langage de Van Ryswyck. J'affirme que non. Quand il l'a tenu, je suis de ceux qui lui ont dit : « Vous nous compromettez. »
Nous n'en voulions pas à la personne royale, ni à nos institutions ;. nous en voulions à cet odieux militarisme qui nous est imposé.
Voilà quel était notre seul but. Nous en voulions aussi à la conscription. (Interruption.) Nous demandions la démolition des forteresses d'Anvers, et je dois le dire, de toutes les autres, en même temps que l'abolition de la conscription.
Tantôt, je pense, M. Bara a dit que j'ai professé toutes sortes d'opinions. A coup sûr, je n'ai pas professé les siennes, il doit le reconnaître, et je le mets au défi de me prouver son assertion. Mais il a changé, lui, au sujet du militarisme. (Interruption.) S'il me prouve que ses opinions ont été les miennes, je ferai amende honorable et m'en repentirai ; mais à coup sûr, pour ce qui me concerne, je n'ai pas varié sur la question militaire.
Et puisque c'est un peu à titre de question personnelle que je parle, je puis rappeler encore une chose que je considère comme un honneur de ma vie modeste : c'est que le premier article de journal que j'ai fait il y a 57 ans, c'est-à-dire depuis plus longtemps que ne vit M. Bara, c'est que le premier article de journal que j'ai publié réclamait l'abolition de la conscription ; et que le premier discours que j'ai prononcé dans cette enceinte, il y a plus de 25 ans, réclamait aussi l'abolition de ce que j'appelais déjà l'odieux et infâme impôt du sang.
Est-ce à moi que vous pouvez reprocher d'avoir varié sur les questions militaires ?
Mais regardez tout autour de vous, plongez dans votre propre conscience et vous verrez là toutes les capitulations que vous avez faites avec vos opinions et avec la justice !
(page 1569) M. Bara. - J'ai toujours voté le budget de la guerre depuis mon entrée dans cette enceinte.
M. Coomans. - Mais vous n'avez pas toujours approuvé les fortifications d'Anvers.
Je puis démontrer que vos collègues ont blâmé la grande enceinte d'Anvers.
Eh bien, je vous le déclare, c'est là mon plus grand grief contre les doctrinaires : c'est d'avoir militarisé la Belgique, c'est d'avoir embastillé la ville qui devait l'être le moins, le port d'Anvers ; c'est d'avoir jeté là peut-être 100,000,000 de francs pour construire un appareil militaire qui non seulement ne servira jamais à rien de bon, mais qui perdra peut-être la ville d'Anvers et la Belgique.
M. Allard. - On vous a donné une médaille pour avoir proposé la grande enceinte. Après le discours que vous venez de prononcer, vous feriez bien de la rendre. (Interruption.)
M. Coomans. - Grande erreur, M. Allard. Voici ce qui s'est passé. Quand on a voulu embastiller étroitement la ville d'Anvers, aux dépens des contribuables, j'ai soutenu qu'il ne fallait pas dépenser un centime pour Anvers, et qu'il fallait démolir toute la vieille et absurde enceinte et la remplacer par un vaste mur en terre que M. Keller s'offrait à construire gratis sans que le trésor belge dépensât un seul centime.
Eh bien, cette proposition a été adoptée par mes amis d'Anvers, toujours à la condition formelle qu'il n'en coûterait pas un sou au trésor. Là-dessus, on a frappé six ou sept médailles qu'on a remises aux membres de la section centrale qui, comme moi, avaient admis le principe de la grande enceinte. M. Rogier, qui a voté à peu près dans le même sens que moi, en a également reçu une pour s'être montré favorable à une grande enceinte qui ne coûterait rien.
M. Rogier. - J'ai reconnu que l'enceinte que vous proposiez ne valait rien.
M. Coomans. - Elle ne valait rien du tout, je le reconnais, mais c'était précisément parce qu'elle n'était pas bonne que je la demandais. (Interruption.)
Mais certainement, c'est parce que Paris a eu ses fortifications qu'il s'est perdu et la France avec lui. Sans fortifications à Paris, vous n'auriez pas eu de guerre, vous n'auriez pas eu le premier siège,, vous n'auriez pas eu le second siège, plus terrible encore, et la France était sauvée. Je ne pardonnerai jamais à M. Thiers d'avoir ouvert ce gouffre-là.
Messieurs, il est à peu près 5 heures ; je ne veux pas entretenir plus longuement la Chambre ; j'ai assez démontré, je pense, qu'on a calomnié le mouvement d'Anvers et que ce mouvement-là est ce qui s'est passé de plus honorable en Belgique dans le cours de ce siècle et même des précédents.
- Voix nombreuses. - La clôture !
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Le discours que vient de prononcer l'honorable M. Bara, renferme des exagérations de langage et des interprétations de faits si étranges, si complètement inexactes qu'il est de mon devoir de leur opposer une réponse immédiate.
L'honorable M. Bara semble avoir confondu, et non sans préméditation, des faits qui appartiennent à des ordres d'idées complètement différents.
J'avoue d'abord que je suis profondément étonné qu'on me reproche d'avoir frappé ces professeurs de Rochefort, d'avoir compromis leur avenir, d'avoir attaqué leur moralité, d'avoir en quelque sorte livré leurs noms à la discussion en présence du pays tout entier.
Messieurs, que s'est-il passé à Rochefort ? Le bureau administratif n'avait-il pas, en vertu de la loi, une mission à remplir ? Et le devoir du gouvernement n'était-il pas de s'appuyer sur le bureau administratif ?
Lorsque vous prétendez que le gouvernement a failli à sa mission, lorsque vous soutenez qu'il n'a été que l'instrument de haines politiques, savez-vous ce que vous faites ? Vous accusez de mensonge, de calomnie, de haine politique les membres du bureau administratif qui ont signalé les faits ; et, à coup sûr, messieurs, parmi ces membres, il en est dont l'honneur serait attesté, au besoin, par des membres de cette Chambre. Je citerai au premier rang M. Delvaux-Orban, bourgmestre de Rochefort.
Et lorsque vous les accusez d'une partialité odieuse vis-à-vis de ces professeurs, ne perdez-vous pas de vue quelle a été leur longanimité, quelle a été ce que j'appellerai leur bienveillance ?
Le 14 mai, une plainte était déposée. Je suppose que cette plainte n'était pas favorable aux professeurs, qu'elle révélait certains faits qui pouvaient leur nuire. Eh bien, c'est ce bureau administratif, composé de conservateurs, d'adversaires politiques selon vous, qui consent à anéantir cette plainte, à oublier tout ce qui a été dit, tout ce qui a été fait, parce qu'il espère que les professeurs, comprenant leur position à Rochefort, s'éloigneront sans éclat, sans que rien se répande au dehors sur le conflit qui a eu lieu.
Au mois d'août, quelle est encore la conduite du bureau administratif ? Il se borne à signaler une opposition publique des trois professeurs à l'administration communale ; il garde le silence sur les faits personnels. Ce qu'il désire, ce qu'il appelle de ses vœux, c'est qu'un déplacement leur soit accordé, c'est-à-dire que ce déplacement se fasse d'un commun accord avec eux.
Au mois de novembre, il insiste sur les mêmes griefs. Et qu'ai-je fait alors ? Et de quel droit vient-on me reprocher ma conduite ? J'ai fait exactement ce que me conseillait tout à l'heure l'honorable M. Pirmez. Je n'ai pas voulu prononcer avant de connaître les faits. J'ai écrit au bureau administratif de l'école de Rochefort, pour avoir des détails sur la plainte qu'il avait présentée. Ce n'est qu'au mois de décembre, alors qu'un nouveau rapport du bureau administratif m'avait été adressé, qu'en présence de faits clairement énoncés, j'ai résolu d'éloigner ces professeurs de Rochefort. Pouvais-je faire autrement ? Qu'il s'agisse de catholiques ou qu'il s'agisse de libéraux, la conduite du gouvernement pouvait-elle être un instant douteuse ?
On dit que, dans ces trois rapports, il n'y avait pas de faits graves, que rien ne m'obligeait à adopter la ligne de conduite que j'ai suivie.
Quoi, messieurs ! lisez le dernier rapport et vous verrez que le bureau administratif y déclare que le maintien de ces professeurs est un affront sanglant vis-à-vis de lui ! Et ce bureau administratif s'est prononcé ainsi à l'unanimité.
Je le répète, le bureau administratif a, en vertu de la loi, une mission à remplir, et le devoir du gouvernement est de prendre en sérieuse considération les observations du bureau administratif, lorsque, à l'unanimité, il lui dénonce des faits graves, lorsque le gouvernement n'a pas de motifs de douter de l'honorabilité de ceux qui lui dénoncent ces faits. (Interruption.)
M. Pirmez. - Vous avez fait tout le contraire dans l'affaire de Cherscamp.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Dans l'affaire de Cherscamp, il n'y avait pas de témoignages semblables à ceux qui ont été produits dans l'affaire de Rochefort. A Cherscamp il y a eu une enquête de la députation permanente et je m'y réfère. Ici nous avons les rapports du bureau administratif, et le gouvernement déclare qu'il a pleine confiance dans ces rapports du bureau administratif.
J'ajoute qu'en toute circonstance lorsqu'un bureau administratif viendra déclarer que le maintien de tel ou tel professeur constitue un sanglant outrage à son égard, en indiquant des faits aussi précis, le gouvernement considérera toujours comme un devoir d'agir comme il a agi en ce qui touche les professeurs de Rochefort.
Qu'a donc fait le gouvernement ? Il a cherché patiemment comment il pourrait trouver une autre position pour ces professeurs ; l'un d'eux a été déplacé au mois de février 1871, un autre au mois d'avril, le troisième au mois de mai dernier ; et ils ont obtenu une position tout à fait convenable.
C'est qu'il était conforme au vœu du gouvernement que cette affaire ne fît aucun bruit.
Il désirait que l'avenir de ces professeurs ne fût pas compromis, et j'affirme, que lorsque ces mesures ont été prises je ne connaissais rien des faits si graves que j'ai appris depuis lors. Je déclare que si la lettre du 24 juin 1871 m'avait été transmise l'année dernière, j'aurais ordonné une enquête, et si ces professeurs ne s'étaient pas expliqués d'une manière satisfaisante, au lieu d'un déplacement j'aurais pris une mesure plus sévère.
La mesure prise par le gouvernement a été extrêmement bienveillante. Il y avait eu à Rochefort des scènes regrettables, des scènes qui pouvaient peut-être trouver une excuse dans l'ardeur des luttes politiques : le gouvernement espérait que ces professeurs, éloignés de Rochefort, se seraient consacrés exclusivement à l'enseignement.
Les éloigner de Rochefort, c'était servir à la fois l'intérêt de l'école moyenne et leur propre intérêt.
Je demanderai à mon tour : Qui a nui à ces professeurs ? Qui est venu interpeller le gouvernement sur la mesure la plus naturelle, la plus simple, la plus conforme aux usages administratifs, le déplacement de ces professeurs sans aucune diminution de traitement ? Cette affaire a été introduite à la Chambre dans la discussion du budget (page 1570) de l'intérieur. M. Frère en a parlé le 22 mars ; il y est revenu six jours après et encore dans d'autres séances ; je crois que c'est la cinquième ou ma sixième fois que l'arène parlementaire en retentit.
Mais n'est-il pas aisé de comprendre qu'en présence d'une si vive insistance de l’honorable M. Frère, le bureau administratif de Rochefort, qui se voyait incriminé, a voulu se justifier et développer ses griefs?
Je le déclare encore une fois : rien n'était moins dans la pensée du gouvernement que le bruit qui s'est fait autour de ce débat ; il voulait jeter un voile sur les scènes qui s'étaient passées à Rochefort. Mais aujourd'hui que l'affaire a pris ce grand retentissement, il ne s'agit plus de l'intérêt isolé de quelques professeurs, il s'agit de savoir si l'on maintiendra l'ordre dans l'enseignement ou si l'ordre du jour proposé par M. Bara sera une déclaration publique et solennelle d'anarchie.
C'est ainsi que je pose la question ; et pour repousser l'ordre du jour, j'invoquerai l'opinion de M. Pirmez et l'opinion de M. Bara lui-même.
M. Pirmez a déclaré qu'il a toujours maintenu l'ordre dans l'enseignement.
M. Frère-Orban. - Il n'a pas frappé sans entendre.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je n'ai pas frappé, j'aurais peut-être dû frapper. Aujourd'hui, après la lettre du 24 juin, j'aurais eu à peser des faits plus graves. (Interruption.)
L'honorable M. Pirmez disait tout à l'heure que le devoir du gouvernement était d'empêcher que les professeurs n'intervinssent dans les luttes communales. Or, les professeurs de Rochefort sont activement intervenus dans les luttes communales.
M. Frère-Orban. - Vous ne citez aucun fait.
M. le président. - Vous n'avez pas la parole, M. Frère.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'honorable M. Frère nie ! Il y a donc un parti pris de nier ce qui est évident, ce qui est incontestable.
L'honorable M. Bara, parlant de M. Lenaerts, disait aussi qu'il avait eu tort de se mêler aux discussions électorales d'Anvers. (Interruption.)
M. Bara lie le niera point : j'ai pris note de ses paroles.
Si M. Lenaerts a eu ce tort, les professeurs dont nous nous occupons, ont eu le même tort à Rochefort. L'honorable M. Pirmez disait à M. Lenaerts : « Relirez-vous ou vous serez révoqué. » J'ai été plus indulgent que l'honorable M. Pirmez, puisque je me suis borné à déplacer les professeurs de Rochefort sans nuire à leur position. Si, aujourd'hui, par les discussions qui viennent de se produire, leur position se trouve compromise, j'en laisse retomber la responsabilité sur ceux qui ont suscité ce débat.
Un dernier mot, messieurs.
Tout à l'heure l'honorable M. Bara reprochait au gouvernement de ne pas tenir assez compte des forces sur lesquelles s'appuie la société.
Il y a, messieurs, dans une société autre chose que des forces matérielles. Il y a aussi des forces morales, et ce sont celles-là surtout que le gouvernement ne peut point laisser impunément ébranler.
Dans la situation où nous nous trouvons et dont chacun de nous ressent la gravité, beaucoup de membres de cette Chambre, dans leurs discours, signalent la tempête qui monte.
Ceux qui sont les plus coupables, tout au moins les plus imprudents, ce sont ceux qui, alors qu'ils découvrent la tempête qui monte, sapent les digues qui doivent nous protéger.
- A droite. - Très bien !
- Voix nombreuses. - La clôture !
M. Bara. - Je demande la parole contre la clôture.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Bara. - J'avais adressé une question à M. le ministre. C'est dans son intérêt que je le lui rappelle. Je lui avais demandé s'il n'était pas exact que le directeur de l'école de Rochefort lui avait déclaré qu'il n'y avait rien à dire contre les professeurs incriminés.
M. Dumortier. - M. le président, je suis inscrit, c'est mon tour de parler ; je demande que personne ne parle avant moi.
M. Bara. - Je constate que M. le ministre de l'intérieur ne répond pas. C'est donc vrai.
M. Frère-Orban. - Ainsi l'on ne répond pas à cette question. On n'oserait pas nier !
M. le président. - M. Frère, vous n'avez pas la parole.
- Voix nombreuses. - La clôture !
- Il est procédé au vote, par assis et levé sur la clôture.
La clôture est prononcée.
M. le président. - Nous nous trouvons en présence de deux propositions : l'une de M. Bara, l'autre de M. De Lehaye.
M. Sainctelette. - J'ai une autre motion d'ordre du jour à proposer.
M. le président. - Je ne puis vous accorder la parole, M. Sainctelette. La clôture est prononcée.
M. Sainctelette. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. Muller. - Il ne peut y avoir, dans ce cas, qu'un seul ordre du jour, celui de M. Bara.
M. Pirmez. — La majorité paraît vouloir rejeter l'examen de l'ordre du jour qui vient d'être envoyé au bureau par l'honorable M. Sainctelette.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. Pirmez. — Or, l'ordre du jour qu'un membre de la droite, l'honorable M. De. Lehaye, vient d'envoyer, n'a pas plus été soumis à la Chambre avant la clôture que celui de M. Sainctelette. (Interruption.)
Par conséquent, si l'on refuse de recevoir son ordre du jour, celui de M. De Lehaye doit disparaître également.
M. De Lehaye. - La proposition d'ordre du jour pur et simple que j'ai formulée a été déposée pendant le discours de M. Bara.
- Des voix à gauche. - Il n'en a pas été donné connaissance.
M. De Lehaye. - II est bien entendu que le rejet de la proposition de M. Bara entraîne avec soi non pas seulement le rejet du blâme, maïs encore une approbation de ce qui a été fait.
- Voix à droite. - Oui ! oui !
M. De Lehaye. — C'était la portée de ma proposition. Du moment qu'on est d'accord sur ce point, je n'ai plus de raison de maintenir mon ordre du jour et je le retire.
M. le président. - Nous sommes donc en présence d'une seule proposition, celle de M. Bara : je la mets aux voix.
- Voix nombreuses à gauche. - L'appel nominal !
- Il est procédé à l'appel nominal.
101 membres y prennent part.
60 membres répondent non.
41 membres répondent oui.
En conséquence, l'ordre du jour proposé par M. Bara n'est pas adopté.
Ont répondu non : ' MM. Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Wasseige, Wouters, Beeckman, Biebuyck, Brasseur, Coomans, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, De Lehaye, de Moerman d'Harlebeke, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Drubbel, Dumortier, Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn dé Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre,. Lelièvre, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Royer de Behr, Schollaert, Simonis, Snoy et Tack.
Ont répondu oui :
MM. Tesch, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Allard, Anspach, Balisaux, Bara, Berge, Boulenger, Braconier, Bricoult, Couvreur, Crombez, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Macar, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Houtart, Jamar, Jottrand, Lescarts, Mascart, Mouton, Muller, Pirmez, Puissant, Rogier et Sainctelette.
M. le président. - M. de Montblanc obligé de s'absenter demande un congé.
- Accordé.
M. Wouters. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission des naturalisations sur une demande de naturalisation ordinaire.
- Impression et distribution.
La séance est levés à 5 heures.