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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 22 juin 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1499) M. Wouters procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Borchgrave donne lecture du procès-verbal de là séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

' « Des détenteurs de chevaux de troupes étrangères désarmées à leur entrée sur le territoire belge demandent que le gouvernement autorise ceux qui en exprimeront le désir, à garder les chevaux contre payement du prix de l'estimation consignée au procès-verbal de la remise et que les autres ne soient pas obligés de les conduire à Blandain. »

M. de Borchgrave. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

On a demandé aux cultivateurs belges tout ce que l'on pouvait exiger en vertu du contrat qui a été passé avec eux. Ce sont en général des fermiers du Limbourg et de la province de Liège qui ont repris des chevaux au camp de Beverloo, et aucun d'eux n'a pensé qu'il leur serait imposé l'obligation onéreuse de ramener ces chevaux à l'extrême frontière opposée.

Je demanderai aussi subsidiairement que la pétition soit renvoyée à MM. les ministres des travaux publics et de la guerre pour qu'ils examinent s'il n'y aurait pas moyen d'organiser des trains spéciaux aux stations d'Ans, de Liège ou de Landen ; les chevaux y seraient rassemblés et de là conduits à destination par des soldats, bien entendu moyennant indemnité.

Si les cultivateurs étaient astreints à reconduire les chevaux jusqu'à Blandain, ils subiraient un préjudice véritable.

Déjà maintenant les frais qu'ils ont dû faire pour les nourrir jusqu'à ce jour sont fort élevés par rapport aux services qu'ils ont pu en obtenir. Remarquez, messieurs, que le prix des fourrages est fort majoré depuis quelque temps et que les cultivateurs ont dû souffrir de cette circonstance.

Je demande donc un prompt rapport sur la pétition, car c'est le 27 que les chevaux doivent être renvoyés ; et subsidiairement je demande que la pétition soit renvoyée à MM. les ministres des travaux publics et de la guerre.

M. le président. - M. de Borchgrave demande un prompt rapport sur cette pétition. Il demande, en outre, le renvoi à MM. les ministres des travaux publics et de la guerre. Ce renvoi ne peut avoir lieu qu'après le rapport de la commission des pétitions ; actuellement, je ne puis consulter la Chambre que sur la demande d'un prompt rapport.

- Le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, est ordonné.


« Le sieur Dutonneau demande la suppression du régiment des grenadiers et son remplacement par un 13ème régiment de ligne.

« Même demande des sieurs Schoeft, président, et Bieberstein, secrétaire de la société des sciences militaires. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Moxhe et d'Avin prient la Chambre de rejeter les augmentations de l'impôt foncier proposées par le gouvernement.

« Même demande d'habitants d'Antheit, Jehay-Bodegnée, Hannesche, Neufville, Ouffet et d'une commune non dénommée. »

(page 1500) - Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi qui apporte des modifications aux lois d'impôts.

« Des fermiers du canton d'Ath et de Chièvres demandent l'abaissement, dans des proportions tout exceptionnelles, du prix de transport des matières fertilisantes telles que déchets de laine, guano, tourteaux et engrais en général. »

M. Bricoult. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission permanente de l'industrie, avec prière de faire un prompt rapport. Je demande également que ce rapport soit présenté à la Chambre en même temps que celui relatif à une pétition concernant l'interdiction, à la sortie, des déchets de laine. »

- Adopté.


« Les administrations communales de Rothem, Dilzen, Eelen, Neeroeteren et Opoeteren, demandent la construction d'un pont sur la Meuse à Maeseyck dont la concession est sollicitée par les sieurs Flechet et Claes.»

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur une pétition identique.


« Le sieur Duval, soldat volontaire au 11ème régiment de ligne, demande remise de la peine de la privation de la cocarde à laquelle il a été condamné le 21 mars 1870, par le conseil de guerre de la province de Flandre occidentale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Delmol demande qu'il soit pris des mesures pour empêcher la publication des journaux qui glorifient les actes ignobles de la commune. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal d'Oudecappelle demandent l'exécution de travaux pour mettre cette commune à l'abri des inondations. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.


« Des habitants de Wanfercée-Baulet demandent que la loi consacre le principe.de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »

« Même demande d'habitants de Bruxelles. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.


« Le sieur Vandendoren, sous-officier pensionné, demande que le projet de loi sur les pensions militaires soit étendu aux sous-officiers. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner ce projet de loi.


« La section agricole du canton de Wavre présente des observations sur l'augmentation de l'impôt foncier proposée par le gouvernement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi qui modifie les lois d'impôts.


« Le sieur Vande Larville présente des observations contre le projet de loi qui apporte des modifications aux lois d'impôts.

- Même dépôt.


« M. Louys fait hommage à la Chambre de cinq exemplaires du petit opuscule en vers intitulé : Un souvenir de Surlet de Chokier, ancien régent de la Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« La commission provinciale d'agriculture du Limbourg adresse deux exemplaires du rapport sur l'état de l'agriculture dans le Limbourg, pendant l'année 1870. »

- Même dépôt.


« M. le capitaine Weimerskirch adresse cent vingt-quatre exemplaires d'un opuscule traitant du principe du service obligatoire pour tous. »

- Mime dépôt.


« M. le ministre de la justice fait connaître que le sieur Elzewyck renonce a sa demande en obtention de la naturalisation ordinaire. »

- Pris pour information.

Projet de loi portant le budget du ministère des finances pour l’exercice 1872

Rapport de la section centrale

M. Vermeire. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des finances pour l'exercice 1872.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Guillery. -J'ai l'honneur de déposer sur le bureau trois rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

Projet de loi prorogeant la loi sur les étrangers

Rapport de la section centrale

M. Pery de Thozée. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant prorogation de la loi du 7 juillet 1865 relative à l'expulsion des étrangers.

- Ces rapports seront imprimés et distribués et les objets qu'ils concernent mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi apportant des modifications aux lois d’impôts

Discussion générale

M. Dumortier. - La loi actuellement en discussion et spécialement la question des débitants de boissons alcooliques a donné lieu à de grandes contestations, et l'avant-dernier orateur qui a parlé, l'honorable M. Frère, s'est élevé fortement contre la loi qui vous est présentée.

Suivant lui, cette loi consacre un immense ridicule, celui de supprimer 11,000 électeurs ; selon lui encore, ce sont les cabaretiers que l'on attaque, que l'on déclare indignes ; en un mot la loi est détestable sous tous les rapports.

J'ai cru qu'il était indispensable de prendre la parole pour rétablir la question sur son véritable terrain et faire justice de ces accusations.

Qu'est-ce que la loi sur le débit de boissons ? Est-ce que cette loi consacre le droit électoral, oui ou non ?

L'impôt sur les débits est-il un impôt direct ou un impôt indirect ; y a-t-il ou n'y a-t-il pas privilège pour ceux que cet impôt constitue électeurs ? Voilà toute là question ; elle n'est pas ailleurs.

Quand la loi sur l'abonnement au débit de spiritueux fut présentée en 1836, le pays était dans une situation financière exceptionnelle : on avait, en 1832, modifié radicalement les bases de l'impôt sur le genièvre.

L'impôt qui jusqu'alors, en vertu de la loi des Pays Bas, avait été établi sur le produit, fut, par cette loi, établi sur la cuve-matière. Et comme on craignait que cette manière de procéder n'amenât une fraude considérable, on avait réduit démesurément l'impôt.

Le produit de l'accise sur le genièvre qui, si ma mémoire est fidèle, devait être de 8 à 10 millions, ne s'éleva pas même à 2 millions. Et cela se présentait, messieurs, à une époque où nous avions le plus grand besoin d'argent, parce que nous avions alors sous les armes une armée de 112,000 hommes et que, par suite de l'insuffisance des recettes, il fallait pourvoir à son entretien au moyen des emprunts.

C'est dans cette situation que l'on songea à augmenter un peu ce produit. Ce n'était pas du tout pour diminuer le nombre des cabaretiers, comme l'a dit l'honorable M. Frère.

Bien certainement la Chambre, pas plus alors qu'à aucune époque, n'avait aucune sympathie pour l'ivrognerie et pour l'extension indéfinie des débits de boissons alcooliques ; mais je constate que le but principal que poursuivaient alors l'abbé Andries et d'autres membres de cette Chambre était de combler le déficit du produit de l'accise sur le genièvre.

Le ministère d'alors, composé de M. de Theux, à l'intérieur, M. d'Huart aux finances, etc., vint proposer un projet de loi établissant un droit de consommation sur les débits de boissons distillées, droit perçu par voie d'abonnement.

Dans l'établissement de ce droit, veuillez bien le remarquer, messieurs, on ne faisait aucune distinction d'après l'importance des débits ; on se bornait à établir trois catégories de débitants, d'après l'importance des localités : le droit était fixé à 30 francs dans les villes de premier rang, à 25 francs dans celles de second rang et à 20 francs dans les communes rurales, quelle que fût l'importance relative des débits d'une même localité. C'est cette particularité qui a donné naissance aux grandes discussions qui ont eu lieu à cette époque. La section centrale, voyant qu'il ne s'agissait point d'un impôt proportionnel à l'importance du débit, prétendit que c'était un impôt direct et que, par conséquent, il conférerait le droit électoral à ceux qui le payeraient, et, pour cette raison, elle proposa le rejet de la loi.

La discussion s'engage et, le jour de l'ouverture de la discussion, le ministère déclare que si la loi devait avoir pour résultat de créer les cabaretiers électeurs, il la retirerait immédiatement, et il engage la Chambre à examiner la question de savoir si l'impôt doit, oui ou non, compter dans le cens électoral.

Une grande discussion s'ensuivit, et, il faut bien le dire, la Chambre a été convaincue par les observations présentées alors par M. d'Huart, ministre des finances, par M. Duvivier, ancien ministre des finances, et par M. Mercier, administrateur général des douanes et accises.

Ces messieurs ont démontré jusqu'à la dernière évidence, en prenant les lois financières à leur origine et d'après la définition qui y avait été donnée sous le gouvernement de la République française, que cet impôt était un véritable impôt de consommation.

En effet, disent les documents de l'époque, « les contributions indirectes sont tous les impôts établis sur la fabrication, la vente, le transport, l'introduction des objets de commerce ou de consommation. »

Comme il fallait une formule, l'honorable M. Devaux proposa d'inscrire dans la loi : « Cet impôt ne comptera pas dans le cens électoral. » La loi (page 1501) portait donc que c'était un droit de consommation, et elle ajoutait que l'impôt ne compterait pas dans le cens électoral.

Comme le chiffre était excessivement élevé pour les petites communes, on établit un certain nombre et non pas, comme l'a prétendu l'honorable M. Frère, un très grand nombre de débits clandestins.

Mais il était toujours arrêté par la loi qu'il s'agissait là d'un impôt indirect et que, dans aucune hypothèse, il ne pouvait donner lieu au droit électoral.

En 1848, à la suite de l'arrivée de l'honorable M. Frère au ministère des finances, il vint proposer un changement de répartition de l'impôt.

Ce changement, quant à sa donnée principale, était parfaitement raisonnable. Il ne fallait plus que dans chaque localité, quel que fût le débit, on payât le même impôt. A la suite de nombreuses réclamations, le gouvernement vint proposer une modification de l'impôt en établissant un droit proportionné au débit présumé du débitant.

Dès lors l'objection principale qu'on avait présentée en 1830 venait à tomber et la qualité d'impôt de consommation devenait plus évidente. Au lieu de cela, qu'a-t-on fait ? M. Frère est venu prétendre que l'impôt était un impôt direct et que, comme tel, il devait compter dans le cens électoral.

Mais, dans les sections et dans la section centrale, la majorité d'alors crut qu'il ne suffisait pas d'une déclaration ; que les lois ne se faisaient pas par des déclarations, mais par un vote formel. Eh bien, dans le rapport présenté par M. Moreau et par M. Verhaegen, président, on vint proposer une formule ainsi conçue et sur laquelle j'appelle votre attention.

Remarquons qu'il y avait deux questions ; la première, celle de savoir si le droit devait être compté pour le cens électoral ; la seconde, si la loi pouvait agir rétroactivement, ce qui évidemment ne pouvait pas être. Ecoutons sur ces deux questions le rapport de la section centrale présidée par M. Verhaegen :

« Il a paru à la section centrale que la question (la seconde question) devait être résolue négativement, parce que l'on ne pouvait donner un effet rétroactif à la loi de 1839 et que décider autrement les cas dont il s'agit, ce serait, en effet, déclarer que tel citoyen aurait payé les années précédentes le cens électoral en impôt direct, y compris l'abonnement, sans avoir été toutefois électeur. Cependant, elle a cru qu'il était nécessaire, pour faire disparaître tout doute, d'insérer dans la loi une disposition transitoire qui trancherait toute difficulté, tant sur la nature du droit à établir sur le débit des boissons alcooliques que sur les effets des sommes payées à ce titre jusqu'à ce jour.

« La section centrale propose donc de formuler un article additionnel ainsi conçu :

« Le droit de débit dont il s'agit dans la présente loi sera compris dans le cens électoral ; néanmoins, l'électeur ne pourra se prévaloir, pour la formation du cens, de ce qu'il a payé en vertu de la loi du 18 juin 1839. »

Ainsi, la section centrale venait faire décider par la loi que l'impôt de débit des boissons distillées compterait dans le cens électoral, sans cependant que les intéressés pussent se prévaloir des sommes qu'ils avaient payées antérieurement à la loi, parce qu'auparavant la loi portait que l'impôt ne compterait pas pour le cens électoral.

Eh bien, voilà la question nettement posée devant le Parlement : cet impôt comptera-t-il ou ne comptera-t-il pas dans le cens électoral ? On arrive à la discussion.

M. Verhaegen, président de la Chambre, qui ni se contentait pas d'une équivoque, met aux voix l'article proposé par à section centrale dont je viens de donner la teneur.

M. Fère-Orban se lève et dit que l'article est inutile ; ce qui s'applique à la seconde partie. M. Moreau répond que c’est juste. Vous croyez que l'article va être retiré par la section centrale ? Pas le moins du monde. M. Verhaegen, président, met l'article aux voix et l’article est rejeté par la Chambre.

Le Moniteur est formel à cet égard : la proposition de la section centrale est mise aux voix et elle est rejetée. Mais M. Frère-Orban s'est bien gardé hier de parler de ce vote. La Chambre, par son vote, a donc rejeté la proposition de la section centrale qui portait que l'impôt aurait compté dans le cens électoral. Eh bien, dès lors la question restait entière et il n'est pas étonnant que, dans un pareil état de choses, la loi ait été votée à l'unanimité. Elle devait l'être. Plus tard M. H. de Brouckere est venu proposer l'abrogation de la loi de 1836, mais cela ne change rien à la chose.

Il y a ici, messieurs, veuillez-le remarquer, une question très grave : celle de savoir si un droit électoral accordé à un citoyen peut se donner par une subtilité, par un subterfuge, ou bien s'il doit se donner par un texte formel de loi. Quant à moi, je n'admets pas le premier système. Quand on accorde un droit aussi important que l'électoral, il faut qu'un texte formel le déclare et ce texte soumis au vote de la Chambre a été rejeté.

Messieurs, pourquoi ne voulait-on pas mettre cela aux voix ? C'est qu'il y avait alors dans la Chambre tous ceux qui avaient déclaré huit ans auparavant que l'impôt ne compterait pas dans le cens électoral. Il y avait MM. Devaux, Dolez, Rogier, tous les membres qui avaient voté que l'impôt ne compterait pas dans le cens électoral. Il aurait fallu qu'ils se désistassent, et pour qu'ils ne se désistassent pas, on a fait des électeurs par un moyen que je ne veux pas qualifier, mais que vous apprécierez.

Maintenant, comme, aux termes des lois électorales, il fallait que le citoyen eût payé l'impôt pendant trois ans avant d'arriver à pouvoir s'en prévaloir comme cens électoral, ce n'est que trois années après le vote de la loi que la question a été soulevée.

Une circulaire a été lancée alors par M. Rogier qui disait aux administrations communales qu'il fallait compter le droit de débit dans la formation du cens électoral et c'est alors seulement, je le répète, que la question a été soulevée. La Chambre avait rejeté la proposition de la section centrale par un vote formel. (Interruption.)

Si on le conteste, je ferai venir le Moniteur.

M. Orts. - Faites plutôt venir alors les arrêts de la cour de cassation.

M. Dumortier. - Nous y viendrons ; mais je crois pouvoir dès à présent établir que, malgré tous les égards qu'on doit à la cour de cassation, les arrêts qu'elle porte sont du domaine de la discussion et j'ajoute que celui qu'elle a porté à cet égard n'est aucunement fondé.

C'est ce que je vais établir.

Messieurs, il y avait dans le droit de débit deux injustices : la première que j'ai signalée moi même dans la discussion de 1836, c'est de faire payer au cabaretier un impôt pour pouvoir exercer le commerce qu'il exerce.

Comme tout industriel, le cabaretier a sa patente et en vertu de cette patente, il doit pouvoir vendre les objets pour lesquels il est patenté.

Si l'impôt ne suffisait pas, il fallait augmenter le droit sur la fabrication. Mais c'était une iniquité, une véritable iniquité de faire payer au pauvre cabaretier un impôt spécial pour exercer sa profession, lorsque déjà il payait sa patente.

Une seconde iniquité, c'est un privilège. Après avoir frappé les cabaretiers injustement et contre tout droit, on créait un privilège électoral en leur faveur ; on faisait, de ce qui était un impôt indirect, un impôt direct. Et que vous a dit l'honorable M. Frère ? La première loi portait : Il y aura un droit de consommation. La loi de 1849 portait : Il y a un droit de débit.

Ainsi, parce que le mot « de consommation » est remplacé par le mot « de débit », l'impôt a changé de nature ; l'impôt qui était indirect, lorsque la loi portait « droit de consommation », est devenu un impôt direct,, parce qu'on a mis dans la loi les mots « droit de débit. »

En vérité, messieurs, cela n'a pas même le mérite d'être sérieux. Le droit de débit n'est-il pas un droit de consommation en matière d'accise ? C'est la même chose. Vous ne mettez pas le droit sur celui qui consomme, vous le mettez sur celui qui vend l'objet consommé. Dès lors, c'est la même chose.

Contre ce système de créer des électeurs par un impôt indirect, des réclamations très vives ont été faites. Les députations permanentes de Gand, de Bruges et d'autres provinces ont protesté contre cet abus. La Chambre elle-même en a été émue. Il est arrivé que de tous côtés, et surtout en matière communale, une multitude de faux électeurs ont été créés au moyen de cet impôt.

L'honorable M. Jacobs vous l'a dit hier, quand vous voyez cet impôt doubler le nombre des cabaretiers, quand vous voyez que de 50,000 débitants de boissons distillées, vous arrivez en quelques années à 100,000, après que M. Frère eut fait de cet impôt un moyen électoral, je vous laisse à juger s'il n'est pas démontré à l'évidence que la fraude a la plus grande part dans cette affaire. La loi faite pour réprimer l'ivrognerie est devenue l'élément le plus puissant pour la développer. L'ivrognerie s'est développée en vertu de la loi que vous avez faite et nous en avons eu des preuves à plusieurs reprises. Il suffit de lire le rapport de l'honorable M. Sabatier pour se convaincre que cette loi est devenue dans toutes les communes une plaie sociale.

Nous avons demandé à l'honorable M. Frère, à l'honorable M. Sabatier et beaucoup de membres de la gauche lui ont demandé de restreindre de refréner le droit de débit.

L'honorable M. Frère a répondu : Pour la commune, je n'y vois pas d'inconvénient, mais pour les élections générales, réfléchissez bien que si (page 1502) vous supprimez le droit de débit sur les cabaretiers, vous perdez 11,000 à 12,000 électeurs.

Car, ajoutait-il, comme le disait hier un honorable membre, il y a 11,000 à 12,000 électeurs qui parfont leur cens électoral au moyen de l'impôt sur le droit de débit.

Cela était donc clair.

A partir de ce moment, il y a eu beaucoup de modification dans l'exaltation qui existait parmi les membres de la gauche contre les débitants électeurs. On voulait bien faire cesser l'abus, mais on voulait conserver à son profit l'abus des faux électeurs.

Bientôt des députations permanentes, la députation de la Flandre orientale, la députation de la Flandre occidentale, celles d'autres provinces ont examiné la question et ont décidé que le droit de débit était un impôt indirect et que, par conséquent, il fallait rayer des listes électorales les cabaretiers qui avaient parfait leur cens électoral au moyen de cet impôt.

L'affaire a été déférée à la cour de cassation et un arrêt de la cour de cassation s'est prononcé contrairement à la résolution des députations permanentes.

Ici qui avait raison ? Etaient-ce les députations permanentes de plusieurs provinces ? Etait-ce la cour de cassation ?

Quant à moi, je n'hésite pas un seul instant à dire que la raison pleine et entière est du côté des députations permanentes et que l'arrêt de la cour de cassation est un arrêt qui doit être contesté et qui ne ltent pas.

La cour de cassation a basé son arrêt exclusivement sur la prétendue volonté du législateur.

Eh bien, comment la volonté du législateur s'exprime-t-elle ? Elle s'exprime par la loi et jamais elle n'a été exprimée d'une manière plus formelle que lorsque la Chambre des représentants avait rejeté la disposition portant :

« Le droit de débit dont il s'agit dans la présente loi sera compté dans le cens électoral. »

M. Orts. - Elle a été rejetée comme inutile.

M. Dumortier. - Vous avez été dire à la cour de cassation que j'avais voté en ce sens.

M. Orts. - Avez-vous voté la loi, oui ou non ?

M. Dumortier. - Je l'ai votée après l'adoption de la disposition qui établissait que cet impôt est un impôt indirect, jamais autrement.

M. Orts. - Plus l'amendement de -M. de Brouckere qui levait toute espèce de doute.

M. Dumortier. - C'est donc sur votre témoignage inexact qu'est basé l'arrêt de la cour de cassation, c'est sur des conversations parlementaires !

Eh bien, c'est là une chose tout à fait insolite ; je le répète, la Chambre n'a qu'un moyen de fixer le sens de la loi, c'est son vote ; or, la Chambre avait fixé le sens de la loi le jour où elle avait rejeté la disposition portant que l'impôt compterait dans le cens électoral.

En effet, la Constitution porte que le cens se forme au moyen des impôts directs, et qu'est-ce que le Congrès a eu en vue quand il a parlé d'impôts directs ?

Pour répondre à cette question, il suffit de consulter la loi de principe du 12 juillet 1821 qui a déterminé, de la manière la plus formelle, quels étaient les impôts directs et quels étaient les impôts indirects. C'est cette loi que le Congrès avait en vue lorsque, neuf ans plus tard, il déclarait, dans la Constitution, que le cens électoral reposait sur l'impôt direct. Eh bien, cette loi principe du 12 juillet 1821 porte ce qui suit :

« Art. 2. Ce système (d'impositions) se compose des impôts suivants :

« I. Impôts directs, A. Sur les propriétés bâties et non bâties. B. Sur le personnel calculé sur les six bases suivantes : 1° la valeur locative, 4 p. c. de la valeur locative ; 2° les portes et fenêtres ; 3° les foyers ; 4° le mobilier ; 5° les domestiques ; 6° les chevaux. C. Sur les patentes.

« IL Impôts indirects. - D. Enregistrement, timbre, hypothèques ; - E. Successions.

« III. Accises. - F. Sel ; - G. Mouture ; - II. Abatage ; - I. Vin ; - K. Boissons distillées à l'intérieur ; - L. Boissons distillées à l'extérieur ; - M. Bières et vinaigre ; - N. Sucre ; 0. Timbre collectif. »

Voilà la classification des impôts établie par la loi principe du 12 juillet 1821, loi que le Congrès avait sous les yeux quand il écrivait dans la Constitution que pour être électeur il faut payer l'impôt direct. Dans ces impôts vous ne voyez pas figurer l'abonnement pour les boissons distillées, mais vous y voyez figurer l'abonnement pour la mouture. L'impôt sur les boissons pas plus que l'abonnement à la mouture n'a pas été classé dans la catégorie des impôts directs parce qu'il est de sa nature indirect, puisqu'il s'applique à des matières de consommation.

On est venu soutenir cependant que c'était un impôt direct, et se basant sur ce principe, on a fait des électeurs de ceux qui payaient ce droit. Et vous êtes surpris des réclamations qui se sont produites à ce sujet ! Ces réclamations ont été considérables ; vous les avez repoussées parce que vous profitiez de l'abus contre lequel on protestait. Eh bien, nous qui en avons souffert pendant vingt ans, aujourd'hui que nous avons la majorité, nous sommes tenus, c'est notre devoir impérieux de faire disparaître cet abus.

J'examine si, en droit constitutionnel, vous pouvez admettre que l'impôt sur le débit de boissons distillées est un impôt direct et je dis que non, que la loi de 1821, la loi principe considérant l'impôt mouture comme un impôt indirect, vous ne pouvez pas considérer autrement l'impôt sur le débit de boissons. Est-ce que vous oseriez soutenir que celui qui payait l'impôt mouture dans les villes payait un impôt indirect et que celui qui en était frappé dans un village par voie d'abonnement payait un impôt direct ?

Eh bien, voilà l'arrêt de la cour de cassation ; voilà où l'on arrive quand on fait des arrêts, non sur des lois, mais sur des conversations en dehors des lois.

Encore une fois, il faut que le texte soit clair. Quand il s'agit de créer des électeurs, il ne faut pas procéder par voie de subterfuge ; une telle façon d'agir est indigne d'un pouvoir législatif, et cependant c'est ce qui a eu lieu.

De même qu'en 1836 le Parlement avait déclaré que l'impôt ne compterait pas dans la supputation du cens électoral, de même, en 1849, il eût fait la déclaration contraire s'il avait cru devoir adopter la proposition de MM. Verhaegen et Moreau. Or, la Chambre a rejeté cette proposition et elle a ainsi parfaitement prouvé par là qu'elle n'entendait pas que l'impôt comptât dans le cens électoral.

Néanmoins, vous avez maintenu l’abus parce qu'il vous profitait. Quant à nous, conséquents avec nous-mêmes, nous voulons supprimer l'abus par le double motif qu'il est un abus contre les cabaretiers et un abus contre le corps électoral.

Mais j'entends l'honorable M. Frère me dire : Vous avez un moyen bien plus simple de parvenir à votre but ; dites dans la loi ce que le législateur a dit dans celle de 1836 : cet impôt ne comptera pas dans le cens électoral.

Voilà le conseil qu'on veut bien nous donner.

Mais nous ne sommes pas assez niais pour le suivre ; car, le jour où vous reviendriez au pouvoir, vous feriez la même chose qu'en 1849. Or, c'est ce que nous voulons éviter et c'est pour cela que nous nous garderons bien de suivre votre conseil.

Nous avons été à l'école ; cela nous suffit : nous préférons supprimer purement et simplement l'impôt, et je forme des vœux bien ardents pour que les conseils provinciaux ne le reprennent pas pour eux. Les cabaretiers ont le droit de réclamer la suppression de cet impôt et je ne crois nullement que cette mesure aurait pour effet d'augmenter le nombre des débits.

Quant à moi, je suis profondément convaincu que la supputation de cet impôt dans le cens électoral a été la cause principale de l'accroissement du nombre des cabarets ; et que le jour où l'impôt ne comptera plus dans le cens électoral, vous verrez diminuer considérablement le nombre des cabarets. Ce que je crains, messieurs, c'est que si l'impôt ne disparaît pas, s'il est repris par les provinces, vienne le jour où nos adversaires reprendront le pouvoir et leur premier soin sera de transférer de nouveau l'impôt à l'Etat.

Si, au contraire, l'impôt disparaît aujourd'hui, on se gardera bien de le rétablir au profit de l'Etat.

M. Crombez. - Vous lirez à boulets rouges sur le ministère ; c'est un argument contre le projet.

M. Dumortier. - Je prends la loi telle qu'elle est et il doit bien m'être permis, je pense, de ne point partager toutes les opinions de mon honorable ami, M. le ministre des finances.

Quant à moi, messieurs, ce que je demande avant tout, c'est une mesure qui rende désormais impossibles les abus scandaleux qui vous ont maintenus pendant vingt ans au pouvoir.

C'est au moyen de la loi actuelle que vous avez pu faire pendant si longtemps de véritables fournées d'électeurs. Vous-mêmes avez déclaré qu'il y avait 12,000 cabaretiers qui étaient électeurs au moyen de l'appoint de leur impôt comme débits de boissons ; c'est-à-dire que ce scandaleux abus crée 12 p. c. du corps électoral. Je vous le demande, y a-t-il une élection contestée en Belgique où l'écart des votants soit de 12 p. c. ?

Et quand vous avez 12 p. c. d'électeurs que vous avez fabriqués à votre manière et qui votent pour vous, nous comprenons parfaitement (page 1503) pourquoi vous avez maintenu ce scandaleux abus : c'était pour rester majorité, quand le pays était contre vous.

Hier j'ai entendu l'honorable M. Frère contester les chiffres qu'il nous avait lui-même indiqués. Il nous disait : « Faites-y attention ; vous pouvez supprimer l'impôt pour la commune ; je n'y vois pas de grande difficulté ; mais pour les élections aux Chambres, c'est sérieux ; car il y a 11,000 à 12,000 électeurs qui parfont leur cens électoral au moyen du droit de débit. »

Voilà donc 11,000 à 12,000 électeurs qui parfont leur cens électoral au moyen du droit de débit.

Or, c'était une erreur ; l'honorable membre a reconnu qu'il s'était trompé, puisqu'il n'y avait que 12,000 cabaretiers en Belgique. (Interruption.)

Cabaretiers électeurs aux Chambres, cela s'entend ; il y a 100,000 cabaretiers électeurs pour la commune.

Je parle ici des électeurs pour les Chambres.

Voyons les faits. Il nous est impossible d'aller faire une enquête dans tous les districts du pays ; mais un de mes honorables amis du district de Bruges a fait avec un soin extrême le récolement des cabaretiers électeurs dans son district, récolement qui est très facile, quand on a sous les yeux les listes électorales où ce détail se trouve. Voyons le résultat auquel mon honorable ami est arrivé.

D'après les documents statistiques qui nous ont été distribués dernièrement, tome XII, page 186, il y a 2,854 électeurs en tout dans le district de Bruges, dont 505 débitants de boissons, c'est-à-dire 17 p. c. d'électeurs débitants de boissons. Voilà certes un privilège effrayant, alors qu'il s'agit d'une classe qui n'a, si nous nous servons de l'expression employée par les honorables MM. Devaux et Dolez, aucun droit pour jouir d'un pareil privilège dans le corps électoral : elle forme, je le répète 17 p. c. du corps électoral.

Ce n'est pas tout. Il résulte d'un relevé fait avec le plus grand soin, par un de mes honorables amis, sur les listes électorales que dans le district de Bruges, il se trouve 1,252 électeurs, dont 408 débitants de boissons dans les communes rurales seules, c'est-à-dire le tiers des électeurs. Voilà le résultat de votre loi.

Oui ; nous sommes les députés des débitants de boissons ; l'agriculture, c'est la mère nourricière des populations ; qu'en faites-vous ? Elle est exclue du corps électoral. La propriété y est admise. Mais le fermier-locataire est déchu du droit électoral ; vous rejetez du corps électoral cet homme honnête ; tandis que vous l'excluez du corps électoral, vous arrivez à avoir dans le corps électoral 32 p. c. de cabaretiers.

Est-ce ainsi que doivent se constituer les assemblées délibérantes dans un pays ?

Dans les villes du même district, sur 1,590 électeurs, il y a plus de 200 débitants de boissons.

Vous voyez donc combien cette statistique est fautive et combien peu on peut y ajouter foi.

On a donné le droit électoral pour un impôt indirect par sa nature, indirect en vertu de la loi de 1821. Qu'avez-vous fait pour l'agriculture ?

Pas un seul fermier locataire n'est électeur. Occupât-il une ferme considérable, payât-il 500 francs, 1,000 francs d'impôt, il n'est pas électeur parce qu'il est censé payer son impôt au profit de son propriétaire.

Cette question a été soulevée hier, et l'honorable M. Frère, l'a traitée de chimère.

Jusqu'en 1829, les impôts indirects qui n'étaient pas personnels étaient censés payés par le propriétaire.

Ainsi, non seulement l'impôt foncier était censé payé par le propriétaire, mais l'impôt sur les portes et fenêtres, l'impôt sur la valeur locative était aussi censé payé par le propriétaire.

C'est l'article 6 de la loi du 28 juin 1822 qui a dit que l'impôt portes et fenêtres et l'impôt sur la valeur locative serait payé par le locataire.

Qu'y aurait-il à faire ?

La chose la plus simple : une loi en une ligne. L'article 6 de la loi du 28 juin 1822 est applicable à l'impôt foncier, et vous aurez réparé l'injustice en faveur du fermier locataire.

Je veux bien aussi augmenter le corps électoral, mais je veux nommer électeurs ceux qui payent réellement l'impôt, ceux qui représentent surtout l'agriculture. (Interruption.)

Oh ! je sais que ceux-là vous les refusez ! Vous voulez des cabaretiers et pourquoi ? Parce que les gens qui représentent l'agriculture, c'est la partie morale de la société, parce que c'est la partie qui donne la vie à la société, parce que c'est la partie qui a le plus de rapport avec nous. Vous voulez des cabaretiers électeurs parce que vous avez été maintenus, pendant vingt ans, au pouvoir, malgré la Constitution, malgré le vœu du pays, par ce moyen qui était indigne, qui était une fraude véritable, qui était une violation scandaleuse de la Constitution.

Je dis donc que la loi actuelle est à la fois la réparation d'une grande injustice commise envers les cabaretiers et la réparation d'une grande injustice commise contre le principe constitutionnel, en empêchant qu'à l'avenir un impôt indirect ne vienne parfaire le cens électoral, et sous ce rapport je lui donnerai mon appui, je la voterai dès demain de grand cœur et je remercie M. le ministre des finances et le gouvernement de l'avoir présentée.

M. le président. - Il n'y a plus personne d'inscrit dans la discussion générale ; quelqu'un demande-t-il encore la parole ?

M. Tesch. - Messieurs, je ne prends pas la parole pour répondre à M. Dumortier. Je crois la discussion qu'il vient d'engager à nouveau assez inutile sous plus d'un rapport.

D'abord, la question de savoir s'il fallait ou s'il ne fallait pas compter l'impôt dont étaient frappés spécialement les cabaretiers pour la formation du cens électoral a été décidée par la plus haute autorité judiciaire du pays.

Je n'ai pas besoin de défendre ici l'arrêt de la cour de cassation. Cet arrêt se défend de lui-même et tout ce qu'a dit l'honorable M. Dumortier n'a certes pu ébranler la conviction de personne.

Aussi, sans vouloir, en rien, dire quelque chose de désagréable pour M. Dumortier, je crois que les membres de la cour de cassation, sous le rapport de l'impartialité et des lumières, peuvent lui être considérés comme supérieurs.

La discussion de M. Dumortier n'est, du reste, qu'un véritable jeu de mots.

S'il avait voulu discuter sérieusement, il aurait dû rechercher dans les Annales parlementaires les textes formels dont M. Frère-Orban a donné lecture dans la séance d'hier ; les déclarations faites par M. de Brouckere, par M. Moreau, par M. le ministre des finances lui-même et qui indiquent de la manière la plus claire, la plus précise et la plus péremptoire que si l'article qui a été mis aux voix a été rejeté, c'est exclusivement parce qu'on le regardait comme inutile.

M. Dumortier. - Mais pas du tout.

M. Tesch.- Vous avez, M. Dumortier, un mode d'interpréter les lois à vous spécial. Tous ceux qui s'occupent d'étudier les lois recherchent dans les discussions quelles ont été les intentions du législateur et se servent précisément de ces discussions pour donner aux lois leur véritable sens.

M. Dumortier, lui, introduit un mode nouveau ; je doute que ce mode trouve beaucoup d'imitateurs.

J'ai demandé la parole, messieurs, pour motiver mon vote ; je sais à l'avance que la loi sera votée ; je sais que je ne changerai la conviction de personne, je me bornerai donc à dire le plus brièvement possible pourquoi je voterai contre la loi.

J'ai pour cela deux raisons : la première, c'est la nature même de l'impôt qu'on abolit. Il n'est point contestable que la grande consommation des boissons alcooliques est un fléau de notre époque ; il est tout aussi incontestable que la multiplication des cabarets ne peut être que favorable à cette consommation, ne peut que la développer davantage.

Eh bien, supprimer, dans ces conditions, l'impôt qui frappe les cabaretiers et qui est de nature à en restreindre le nombre, c'est là une idée que n'aurait jamais dû avoir un gouvernement qui a le moindre souci de la moralité du pays. Et si le système développé par l'honorable M. Dumortier est vrai, s'il est vrai que le droit de débit est par sa nature un impôt indirect, qu'il ne devait pas, par la nature des choses et les dispositions de la Constitution, compter dans le cens électoral, rien n'était plus facile que de faire disparaître le prétendu abus que l'on invoque pour proposer l'abrogation de la loi de 1849.

Si c'était un moyen de fabriquer de faux électeurs, des électeurs qui viennent indûment prendre part à la nomination des membres de la Chambre, des membres des conseils provinciaux, des membres des conseils communaux, il fallait faire cesser l'abus.

Et tout ce qu'a dit l'honorable M. Dumortier est pour moi une raison de plus de voter contre la loi et de regretter très vivement et très sincèrement qu'au lieu de corriger les abus qui existent, on ait fait disparaître la loi elle-même, qui évidemment avait un but moral et social incontestable..

Mais, messieurs, j'ai beaucoup entendu parler de ce moyen de fraude électorale, et je dois avouer que jusqu'à présent personne ne m'a convaincu. Je ne crois pas que ce soit la fraude électorale, le désir de créer (page 1504) de faux électeurs qui ait ainsi multiplié à l'infini les cabaretiers. Il y a à cela d'autres raisons.

Le développement de la prospérité d'une part, la multiplication des chemins de fer qui a augmenté la circulation dans le pays, le désir des hommes de se procurer des moyens d'existence sans être assujettis à un labeur aussi dur que celui auquel sont astreints les ouvriers et les cultivateurs eux-mêmes, voilà trois raisons qui ont contribué à augmenter les cabarets, beaucoup plus que le prétendu désir de faire participer à l'élection des individus qui, sans cela, n'avaient aucun droit d'y prendre part.

Messieurs, toutes les statistiques qu'on a faites jusqu'à présent n'ont pu me donner la conviction que ce soit exclusivement ce dernier motif qui ait fait doubler le nombre des cabarets. Pour me convaincre, il faudrait une statistique toute spéciale ; il faudrait me montrer, par exemple, que c'est dans les arrondissements où les luttes électorales sont les plus vives, où les réclamations électorales sont les plus nombreuses, que l'on trouve à un plus haut degré la multiplication des cabarets.

Cette statistique, je doute qu'on fait faite et je crois que si on la faisait on trouverait que dans les arrondissements où il n'y a pas de lutte électorale, la multiplication des cabarets a été aussi forte que dans les arrondissements où il y a eu lutte.

Cette opinion est fondée sur des faits qui sont à ma connaissance personnelle.

J'habite un arrondissement, j'habite un village où jamais personne n'a songé à faire un faux électeur ni pour la commune, ni pour la province, ni pour les Chambres. Je ne pense pas même qu'il y ait eu jamais de réclamation électorale dans mon arrondissement, au moins il n'y en a jamais eu de formée à un point de vue politique.

Dans tous les cas, il n'y en a jamais eu dans le village dont je parle.

Eh bien, ce village, je l'ai connu avec 2 ou 3 cabarets. Il y en a de 10 à 15 aujourd'hui et j'affirme, sur l'honneur, que l'élément politique y est complètement étranger ; que jamais, je le répète, il n'y a eu de faux électeurs ; que jamais même il n'y a eu de réclamations électorales politiques.

Voilà donc, dans un village de 1,200 âmes, le nombre des cabarets non pas doublé, mais quintuplé ; dans un village, je le dis encore, où il n'y a eu aucune espèce de lutte qui pût engager quelqu'un à user de ce moyen très peu loyal, je le reconnais, de faire participer aux élections ceux qui n'en ont pas le droit.

Je ne crois donc pas, le moins du monde, à cette énorme influence dont on parle. Je ne veux pas contester que, par-ci, par-là, on ne se soit servi du droit de débit comme du droit de patente, comme de l'impôt personnel, comme de tout autre moyen, pour créer de faux électeurs. Mais on ne s'en est certainement pas servi dans la proportion dont on parle.

Dans tous les cas, messieurs, le devoir du gouvernement est d'appliquer son intelligence à rechercher les moyens de faire disparaître les abus et non pas de faire disparaître la loi elle-même.

Je le répète encore une fois, cette loi avait un caractère moral et social qu'il fallait, avant tout, respecter.

Voilà donc la première raison pour laquelle je voterai contre la loi.

La deuxième raison, ce sont les moyens que l'on propose pour remplacer cette loi dont on demande l'abrogation.

Comme premier moyen de combler le vide du trésor, le gouvernement demande une augmentation de la contribution foncière. Je ne saurais, à aucun prix, donner mon assentiment à une pareille mesure. La propriété foncière est déjà frappée de trop de charges ; en Belgique, aucune branche de la fortune publique n'est frappée de charges aussi élevées que la propriété foncière.

On demande aujourd'hui à la propriété foncière 7 p. c. de son revenu. Quels sont les autres revenus qui payent 7 p. c. à l'Etat ? Les capitaux diment-ils le trésor dans de semblables proportions ? Ils ne payent rien. Le commerce, l'industrie, payent-ils par le droit de patente une somme aussi élevée ? Pas la moitié, pas le quart.

Et remarquez-le bien, messieurs, la contribution foncière n'est pas, à beaucoup près, la seule charge qui pèse sur la propriété foncière ; vous avez l'enregistrement, vous avez les hypothèques, vous avez les droits de succession, vous avez une foule d'impôts qui atteignent la propriété foncière, elle est frappée de toutes verges.

Tout cela ne vous suffit pas, il vous faut encore de nouvelles charges, de nouveaux centimes additionnels. Or, les centimes additionnels, c'est très facile, c'est le pont aux ânes de tous les financiers.

Il fallait chercher comment vous atteindriez les capitaux qui ne payent rien, comment vous feriez payer ceux qui aujourd'hui ne contribuent pour ainsi dire en rien aux charges de l'Etat.

- Un membre. - Les sociétés anonymes, les compagnies d'assurances.

M. Tesch. - L'honorable ministre des finances nous disait dernièrement : Mais en Belgique la propriété foncière ne paye pas autant qu'en France.

En Belgique, a-t-il dit, la propriété foncière paye 4 francs par tête d'habitant et en France elle paye 4 fr. 50 c. par tête d'habitant.

Assurément, messieurs, il n'y a pas d'argument moins sérieux, moins concluant que de répartir la contribution foncière par tête d'habitant et d'établir là-dessus une comparaison. Sur quoi repose la contribution foncière ? Mais sur l'étendue territoriale et la qualité des terres, sur les quantités possédées et leur puissance productive.

Si donc vous voulez savoir qui paye plus et qui paye moins, il faut voir quelle est l'étendue territoriale de la France et quelle est l'étendue territoriale de la Belgique ; il faut voir ce que chaque habitant possède en supposant le territoire divisé en parties égales, et alors, abstraction faite de la valeur des terres, nous saurons si l'on paye plus en France qu'en Belgique. Eh bien, messieurs, ce calcul est très facile et je vais vous démontrer qu'en Belgique on paye le double de ce qu'on paye en France.

En Belgique, il y a trois millions d'hectares, et la contribution foncière est de vingt millions.

Eh bien, je divise d'abord les 20,000,000 que produit la contribution foncière par les 3,000,00 d'hectares, et j'arrive à ce résultat que l'on paye en Belgique 6 fr. 66 c. par hectare.

M. De Lehaye. - Il faut déduire les bruyères.

M. Tesch. - N'allez pas si vite ; vous avez l'intelligence trop rapide ; j'y viendrai.

Je dis donc qu'on paye en Belgique 6 fr. 66 c. par hectare.

En France, il y a, si je ne me trompe, 52 millions d'hectares. La contribution y est de 172 millions, plus 8 millions de centimes additionnels sans destination spéciale, ce qui fait 180 millions.

Si vous divisez ce chiffre par 52 millions d'hectares, vous arrivez à 3 fr. 50 c. par hectare, tandis qu'en Belgique l'impôt est de 6 fr. 66 c. par hectare, c'est-à-dire à peu près le double.

Voulez-vous maintenant faire un calcul sur le nombre d'habitants, vous arriverez au même résultat, c'est-à-dire qu'en Belgique on paye juste le double de ce qu'on paye en France en tenant compte des quantités possédées. 3 millions d'hectares et 5 millions d'habitants, cela fait, si le sol était réparti également entre tous les habitants, 60 ares de terre par tête. Chaque habitant pour 60 ares payerait donc 4 francs.

En France, si vous répartissez le sol d'une manière égale, vous arrivez à ce résultat que chaque habitant possède un hectare et demi et qu'il ne paye de ce chef que 4 fr. 40 c, de sorte qu'il paye moins que la moitié de ce que l'on paye en Belgique.

L'argument de M. le ministre des finances équivaut à ceci : celui qui possède un hectare et demi, et qui paye 4 fr. 50 c, est grevé plus fort que celui qui, pour soixante ares, paye 4 francs, ce qui n'est pas sérieux. Quand l'agent producteur n'est que de la moitié, la contribution ne doit également être que de moitié.

Mais, dit l'honorable M. De Lehaye, il faut défalquer les landes et les terres incultes.

Je le veux bien. Croyez-vous qu'en Belgique il n'y ait pas de landes, qu'il n'y ait que des terres de première classe, et que nous ne soyons pas à peu près dans la même situation qu'en France ? (Interruption.)

Si je demandais à ceux qui m'interrompent combien il y a d'hectares par province, il y en a beaucoup qui ne sauraient me répondre.

Nous avons 3,000,000 d'hectares. Combien y en a-t-il rien que dans la province de Luxembourg ? Il y en a 450,000, le sixième de notre sol.

Quelqu'un prétendra-t-il que dans le Luxembourg il y ait beaucoup de terres de première qualité, que l'on n'y trouve ni landes ni bruyères ?

Eh bien, le Luxembourg renferme au moins 150,000 hectares incultes et toutes les terres qui y existent sont de la troisième classe, comparée aux bonnes terres de Belgique.

Et dans la Campine anversoise, et dans la Campine limbourgeoise, et dans la province de Namur, pouvez-vous considérer toutes les terres comme étant de première qualité ?

Je dis que si l'on prenait la moyenne des terres en Belgique, nous ne serions pas aussi éloignés de la situation de la France que vous le pensez.

Mais je vous rends attentifs à ceci : c'est que vous devez admettre que les terres en Belgique valent partout, et en général, le double de ce qu'elles valent en France pour prétendre que nous ne payons pas des contributions foncières beaucoup supérieures à celles que l'on paye en France.

Il est encore un point dont il faut tenir compte au point de vue de l'établissement de l'impôt.

(page 1505) De toutes les branches de l'activité humaine les produits les moins favorisés et les moins protégés sont évidemment les produits agricoles.

Ces produits entrent en franchise de droit en Belgique ; je ne parle pas du simple droit de balance qui existe sur ces produits.

Tous ces produits sont donc livrés à la concurrence la plus absolue ; eh bien, le prix de revient des choses ne se compose pas seulement du travail et du capital ; il se compose encore de l'impôt qu'on paye. Or, quand tous les produits des différents pays peuvent être introduits en Belgique, quand, d'un autre côté, tous les pays qui nous environnent payent infiniment moins d'impôt foncier que nous, en Allemagne on ne paye pas le quart de ce que l'on paye en Belgique, si l'on tient compte des droits de diverse nature qui frappent la propriété, il est manifeste que nous sommes dans des conditions de concurrence impossible et que vous écrasez l'agriculture et surtout l'agriculture des provinces qui, comme le Luxembourg, ne cultivent que les produits ordinaires des blés et ne peuvent se livrer à la culture des plantes industrielles.

A ce titre-là encore et au point de vue de votre régime douanier, l'impôt nouveau et l'impôt tel qu'il existe est une iniquité que je ne puis accepter.

J'ai un mot à dire sur un autre objet.

Il y a un article qui augmente l'impôt des patentes des sociétés anonymes ; je n'ai aucune objection à faire à cette augmentation, mais je me demande pourquoi on n'augmente pas d'autres patentes. Il y a un droit maximum pour les banquiers, je me demande pourquoi on n'augmenterait pas ce maximum.

Un banquier peut gagner tant qu'il veut, il ne payera jamais au delà de telle somme ; un banquier peut gagner plus que des sociétés anonymes, plus que d'autres patentables, et il ne dépassera pas telle limite. Je me demande comment cela se justifie.

Il y avait là une source de revenus dont on pouvait tirer parti pour combler le déficit qu'on ouvre avec tant de complaisance, et qui eût pu remplacer le nouvel impôt foncier que l'on crée. On n'en a pas voulu.

Je voterai contre la loi.

M. Bergé. - Après les nombreux discours que vous avez entendus et surtout après l'éloquente dissertation de M. Frère-Orban, il est assez difficile de produire dans le débat des arguments nouveaux, et si je demande la parole, c'est uniquement pour motiver mon vote et rencontrer quelques-unes des observations parties des bancs de la droite.

Comme on vous l'a déjà dit et malgré les dénégations contraires de l'honorable ministre des finances, le projet qui nous est soumis aura pour effet inévitable d'augmenter considérablement les débits de boissons. Vous en verrez surgir partout, sous toutes les formes ; les boissons alcooliques seront débitées non plus seulement dans les établissements exclusivement destinés à cet usage ; mais dans les moindres échoppes, dans les moindres petites boutiques ; on les vendra avec les légumes, avec l'épicerie, avec le pain ; on établira des débits dans les marchés, dans les rues, partout et on facilitera ainsi l'abus des boissons ; les femmes trouveront de la sorte des facilités de se livrer à des habitudes mauvaises et finiront par s'adonner à l'ivrognerie, dont heureusement elles étaient jusqu'ici restées plus éloignées que les hommes.

L'abus des liqueurs fortes est évident ; tout le monde l'a constaté ; en Angleterre on a fait les efforts les plus persistants pour cherchera le déraciner. Et quels moyens y emploie-t-on ? Ce sont les taxes comme étant l'obstacle le plus efficace.

Supprimer ces impôts, c'est en réalité, et sous une forme déguisée, accorder une véritable prime à l'ivrognerie et favoriser ce vice.

Il est vrai que l'honorable ministre pense que la suppression de la taxe aura pour effet de diminuer les débits de boissons.

Mais c'est là une idée qui appartient à M. le ministre des finances, et qui bien certainement ne sera point partagée.

Je ne sais pas même si, au fond, il compte bien sérieusement sur cette diminution, car ce serait là un phénomène tellement étrange qu'il n'est réellement pas vraisemblable qu'il se produise.

Il est vrai que l'honorable ministre des finances compte sur le transfert de l'impôt à la province ou à la commune pour refréner les débits de boissons.

Mais, messieurs, quels sont les moyens pratiques de rétablir l'impôt ? On parle des provinces, on parle des communes ; mais on ne précise rien ; on ne sait pas, d'abord si l'impôt sera repris, et ensuite si, dans l'affirmative, ce seront les provinces ou les communes qui reprendront l'impôt ; ou enfin, dans quelle proportion elles se partageront l'impôt. Car enfin, si une province reprend l'impôt en entier, sera-t-il encore permis aux communes de se l'attribuer également ? Si ce sont les communes qui s'en emparent, la province pourra-t-elle encore le rétablir à son profit ? Vous le voyez, messieurs, nous sommes sur tous ces points dans une incertitude complète ; c'est un véritable chaos.

Et puis, comment pouvez-vous prévoir que les provinces ou les communes reprendront le droit de débit à leur profit après que, dans cette Chambre même, on a déclaré qu'il était injuste, qu'il consacrait une criante iniquité, comme l'a dit l'honorable M. Dumortier ?

En tenant ce langage, l'honorable M. Dumortier était parfaitement logique, puisque, en même temps, il exprimait l'espoir que ni les provinces, ni les communes ne reprendraient l'impôt à leur profit.

L'honorable membre est logique ; M. le ministre des finances ne l'est pas.

Si l'impôt est injuste dans les mains de l'Etat, il le sera également en passant aux mains des provinces ou des communes ; comment donc peut-on espérer que les provinces ou les communes reprendront à leur profit un impôt déclaré injuste et abandonné par l'Etat ? Comment, d'ailleurs, admettre que le cabaretier, déjà exclu du corps électoral par le fait de la suppression de l'impôt, consentira sans résistance à payer ce même impôt à la province ou à la commune ?

Les cabaretiers invoqueront non seulement les arguments qui ont été produits dans la discussion actuelle ; mais ils en invoqueront encore un autre extrêmement sérieux. Aujourd'hui la plupart des grandes villes et quelques communes ont établi une taxe spéciale sur les constructions nouvelles ; le produit de cette taxe est affecté à la construction d'importants travaux d'utilité publique. Eh bien, n'est-il pas juste de demander cette taxe précisément à ceux qui profitent le plus directement de ces travaux ? Aussi la justice de cette taxe n'a-t-elle jamais été contestée. Mais si, au contraire, vous allez faire payer par une seule catégorie de citoyens, par les cabaretiers, le déficit qui se produira dans la caisse communale par suite de la suppression de la taxe dont je viens de parler, vous aurez créé une injustice flagrante qui soulèvera les plus vives et les plus justes réclamations.

Que faites-vous, en effet, pour compenser le produit de l'impôt sur les débits de boissons ? Vous augmentez les droits de patentes et vous augmentez l'impôt foncier, payé en grande partie par le cultivateur.

Et vous ne trouverez, - si tant est que l'ayez cherchée, - aucune formule convenable pour frapper la fortune. Puisque vous vous occupez d'une réforme d'impôt, puisque pendant si longtemps on a réclamé contre certains impôts existants dont on a signalé les vices, c'était à coup sûr le moment de chercher des formules nouvelles de manière à frapper directement et efficacement la fortune. Il doit en exister cependant et l'honorable M. Tesch indiquait, il y a quelques instants, un moyen d'arriver à ce résultat.

Est-ce ainsi qu'a procédé M. le ministre des finances ? En aucune façon ; il a préféré une solution infiniment plus commode et n'exigeant aucune étude ; il ne s'est pas même préoccupé du point de savoir s'il y avait ici une question de justice, d'équité en jeu.

L'honorable M. Cruyt nous disait hier que, dans les circonstances graves que nous traversons, les propositions du gouvernement étaient parfaitement légitimes, et que le pays ne se plaindrait pas.

Quant à moi, messieurs, je cherche vainement où sont ces circonstances graves, et je me demande sur quoi l'on se fonde pour affirmer que le pays ne se plaindra pas.

Je crois, au contraire, que le pays aura parfaitement le droit de se plaindre et que les circonstances où nous sommes ne justifient nullement les propositions du gouvernement.

L'honorable M. Cruyt, plaidant en faveur de ces propositions, nous disait : Mais si la loi devait avoir pour conséquence de renverser les administrations libérales, ce serait donc à des administrations cléricales élues en leur remplacement qu'incomberait le devoir pénible et dangereux de rétablir l'impôt que vous allez supprimer.

Et il voulait ainsi justifier la loi d'être une manœuvre électorale.

Non, les administrations cléricales qui seraient élues, en vertu de la loi nouvelle, ne se trouveraient pas dans une position embarrassée. D'abord, elles pourront parfaitement faire ce qu'a déjà fait le cabinet : renier les principes soutenus avant les élections, et prétendre que les circonstances ont changé.

Les communes qui seront administrées par des autorités cléricales élues grâce à la taxe communale sur les boissons trouveront bien le moyen de s'arranger s'il s'agit de créer des ressources ; eh bien, ces administrations communales, favorables au cabinet, entreront dans cette voie-ci : elles diminueront les dépenses inutiles.

(page 1506) Mais qu'est-ce qu'elles entendront par dépenses de luxe ? Les dépenses relatives à l'enseignement seront considérées comme dépenses inutiles ; on considérera comme parfaitement inutile la construction d'une école. Voila comment on pourra dégrever les cabaretiers.

Messieurs, on a fait valoir ce grand argument que le nombre des cabarets a augmenté en raison même de l'ardeur des luttes électorales ; et l'honorable M. Tesch a déjà établi que cela n'était pas exact pour certaines communes.

Il en est de même dans beaucoup d'autres villes. En effet, à Liège, y a-t-il des luttes électorales si vives ? L'opinion libérale y est maîtresse du terrain.

Peut-on supposer que l'opinion libérale y ait fait de faux électeurs, alors qu'elle dispose d'un corps électoral suffisant. Pour le parti catholique, c'est possible ; mais je doute fort que le parti catholique l’ait fait à Liège, et cependant le nombre des cabarets a augmenté dans cette ville.

A Mons, y a t-il des luttes électorales ? Non ; le nombre des cabarets a augmenté à Mons.

A Bruxelles, y a-t-il donc des luttes si vives entre le parti libéral et le parti catholique ? Et cependant le nombre des cabarets augmente.

Il en est de même dans les communes voisines de l'arrondissement. A Saventhem, par exemple, le nombre des cabarets est augmenté dernièrement d'une façon énorme ; est-ce par des raisons électorales ? Pas le moins du monde ; cette commune agricole est devenue industrielle ; il s'y est établi de grandes fabriques et le nombre des cabarets a augmenté.

On a parlé de statistique ; eh bien, il y a une statistique qui établit que l'augmentation du nombre des cabarets n'est pas en raison des luttes électorales.

A Namur - on sait que le district de Namur n'envoie à la Chambre que des représentants appartenant l'opinion catholique, - tout le monde sait combien la lutte y est peu sérieuse, pour ne pas dire nulle ; ainsi aux élections qui ont eu lieu dernièrement, les libéraux ont même abandonné totalement la lutte ; eh bien, nous y trouvons un nombre considérable de débits de boissons. On y compte un débit par 37 habitants.

Mais que voyons-nous à Anvers, là où la lutte est formidable, là, où depuis si longtemps, surtout dans ces dernières années, il y a une compétition continuelle entre les deux partis, ; là où chaque parti cherche à exclure un électeur du corps électoral et à y en faire entrer un à son profit ; que voyons-nous à Anvers ? On compte, dans cette province un débit, de boissons par 74 habitants,.

Dans les provinces de Flandre orientale et. de Flandre occidentale où l'opinion libérale dispute pied à pied avec l'opinion catholique, où les luttes sont très énergiques, on compte un débit par 70 à 74 habitants.

Le Limbourg, où les candidats, sont généralement élus sans lutte depuis un grand nombre d'années, il y a un cabaretier par 55 habitants.

Il est donc clairement établi qu'il n'est nullement exact, comme on l'a prétendu, que le nombre de débits est en raison, de la vivacité des luttes électorales.

Mais, messieurs, est-il donc facile, de créer un faux électeur, à l'aide d'un débit de boissons ? L'honorable M. Dumortier disait :

« Il suffit d'avoir une bouteille et un verre pour constituer un électeur. » Mais encore faut-il une bouteille, faut-il un verre et faut-il l'endroit pour débiter sa boisson. Mais dans d'autres industries il ne faut pas même cette bouteille et ce verre ; il suffit de prendre une patente quelconque, d'être voyageur ou colporteur, tout en voyageant et en ne colportant pas, pour être électeur : rien n'est plus facile.

Si ces abus existent, s'il y a d'autres moyens de fraude, à quoi sert-il d'aller se donner tant de peine çe de jeter la perturbation dans les finances du gouvernement et des communes, et cela en vue d'éviter une fraude qui pourra être déplacée, ?

Le droit des communes à l'impôt foncier est incontestable quand elles font des dépenses considérables au point de vue de leur développement et cela s'applique aussi bien aux villes anciennes qui se transforment qu'aux communes nouvelles qui sont en voie de formation. Dans les unes, ce sont des quartiers anciens qui disparaissent à l'aide de grandes dépenses ; on y élève des édifices nécessaires, à la généralité ; on y crée de grandes voies à l'aide d'énormes sacrifices ; dans les nouvelles communes aussi, il faut au fur et à mesure du développement de la population, et pour favoriser ce développement, créer des voies nouvelles, faire des constructions d'utilité publique, etc.

Demandez aux populations, une certaine somme pour faire ces travaux, c'est très juste, mais il convient de faire payer ceux des habitants de la commune qui ont profité immédiatement de cette transformation.

C'est pourquoi on a vu surgir ces demandes d'impôt foncier à percevoir sur la propriété exonérée par la loi de 1828.

On a fait valoir dans les différentes pièces soumises à la Chambre quelques chiffres qui ont été critiqués. C'est ainsi que les chiffres produits par le gouvernement ont été trouvés n'être pas exacts par l'administration communale de la ville de Gand et par l'administration communale de la ville de Bruxelles.

Des rectifications ont été faites, et tous les membres de la Chambre ont reçu une pétition adressée à la législature et dans laquelle ces chiffres étaient rectifiés.

Mais parmi les communes qui semblent devoir bénéficier de la transformation, se trouve citée entre autres la commune de Schaerbeek. Eh bien, là encore je trouve que les chiffres du gouvernement sont des chiffres en quelque sorte de fantaisie.

Ainsi la commune de Schaerbeek établit sur la propriété exonérée de l'impôt foncier, un impôt de 2 1/2 p. c. et le gouvernement présume que les nouvelle bases d'impôt donneront une recette de 9,235 francs ; la recette renseignée par M. le ministre est de 5,287 francs. Ce qui porte le boni à la somme de 3,948 francs. Mais en 1869, la commune de Schaerbeek portait à son budget 8,000 francs de recette et elle a effectué en réalité une recette de 7,785 fr. 27 c. au lieu de 5,287 francs, de telle sorte que le boni n'est plus que de 2,050 francs, au lieu des 4,000 francs estimés par le gouvernement.

Aussi, je déposerai un amendement au projet de loi, amendement qui pourrait parfaitement s'appliquer à l'article 7 et qui serait ainsi conçu :

« Ajouter à l'article 7 :

« Toutefois les communes pourront percevoir à leur profit exclusif la taxe foncière d'après la classification établie par la loi du 28 mars 1828, sur toutes les constructions nouvelles, à la condition de justifier par leur budget qu'elles consacrent aux travaux publics ou d'assainissement une somme double du produit présumé de l'impôt foncier à percevoir sur les constructions nouvelles. »

Malheureusement la loi d'impôt qui nous est présenté est due à une préoccupation de parti et M. le ministre des finances l'a lui-même avoué. Il s'agit avant tout non pas d'établir un autre moyen de perception de l'impôt, mais d'exclure les cabaretiers du scrutin. Nous avons vu tout à l'heure que cette exclusion des cabaretiers n'empêchera certainement pas la fraude, et que par conséquent ce n'est véritablement qu'un procédé de parti, que ce n'est qu'avec l'intention de se maintenir plus solidement et plus longtemps au pouvoir que la majorité actuelle soutient le projet de loi.

Vous diminuerez par votre projet le nombre des électeurs et à ce point de vue tous ceux qui soutiennent une extension de suffrage doivent incontestablement combattre votre projet. Il est vrai que l'honorable M. B. Dumortier disait : L'impôt foncier pourra être compté aux locataires. Pour moi personnellement, je ne serais pas éloigné d'appuyer une semblable proposition si elle était déposée. Seulement, l'honorable M. Dumortier se préoccupe assez peu du sort du Sénat. Incontestablement le nombre des sénateurs serait assez difficile à trouver, si l'on arrivait à appliquer le projet de l'honorable M. Dumortier. Il n'y aura plus qu'un très petit nombre de personnes payant véritablement le cens obligatoire.

Il est vrai qu'on aura le biais indiqué par l'honorable M. Dumortier, mais ce sera en réalité porter une atteinte à l'esprit de la Constitution, dont l'honorable M. Dumortier se montre le si grand défenseur.

A propos de Constitution, l'honorable M. Cruyt a éprouvé le besoin de démontrer que la situation des cabaretiers électeurs était chose illégale, que leur inscription sur les listes ayant un caractère d'inconstitutionnalité, rien empêchait de les rayer.

C'était une démonstration dont l'honorable Mt Cruyt aurait pu se passer. La majorité a déjà démontré que lorsqu'il s'agissait de rayer des électeurs, elle se préoccupe assez peu si cela se fait en vertu d'un droit et, si cela est légitime ou non.

Ainsi lorsque j'ai eu l'honneur de présenter un amendement tendant à maintenir sur les listes électorales des personnes qui étaient portées sur ces listes électorales en vertu de la loi de 1870, la majorité, a parfaitement voté contre ma proposition.

A entendre les honorables membres de la majorité, on croirait véritablement qu'ils ont le monopole de la moralité politique, qu'il n'y a que de notre côté qu'il peut se passer des fraudes, et que, de leur côté, ils ont en toutes circonstances le mérite de la sincérité du vote. Cependant, ils devraient bien savoir que, de leur côté, dans plus d'une circonstance, on a eu recours à des moyens qui ont favorisé les élections ; moyens qui certes n'étaient pas frappés au coin de la plus stricte moralité.

(page 1507) Sans doute tous nous devons chercher a réprimer les fraudes et pour ma part j'irais beaucoup plus loin que les membres de la majorité, j'en suis convaincu, dans ce système de moralisation des élections.

Mais faut-il se montrer sévère, exigeant à l'égard d'une catégorie de citoyens ? Faut-il en quelque sorte flétrir une catégorie de personnes exerçant une profession, les exclure du corps électoral, les frapper d'indignité, alors qu'on en conserve tant d'autres, moins dignes peut-être, et alors qu'on laisse les portes ouvertes à toute espèce de fraudes ?

C'est pourquoi je ne vois pas dans le projet un système qui puisse garantir véritablement la pureté, la sincérité des élections ; c'est pourquoi j'y vois un coup de majorité ; c'est parce que j'y vois un système qui aura pour effet de jeter la perturbation dans les finances de beaucoup de communes ; c'est pour ces motifs que je voterai contre le projet de loi et que je ferai tous mes efforts pour que ce projet de loi soit frappé d'impopularité dans tout le pays.

M. Anspach. - Messieurs, dans une séance précédente j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre des arguments pour démontrer qu'il est injuste et dangereux de ravir aux grandes communes une ressource qui était entrée, depuis quelques années, dans leur patrimoine.

L'honorable M. d'Andrimont l'avait dit avant moi et hier une partie du discours de l'honorable M. Frère est venue démontrer de plus près que l'abrogation de la loi du 28 mars 1828 troublera profondément les finances des grandes villes. Tout cela a été dit dans la discussion générale et nous n'avons pas obtenu la moindre réponse du gouvernement. Je sais bien que, dans son premier discours, l'honorable M. Jacobs a annoncé qu'il se réservait d'examiner la question lors de la discussion des articles.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je l'ai dit aussi dans mon deuxième discours.

M. Anspach. - Eh bien, je viens protester contre cette déclaration. Il y avait un grand intérêt à ce que cette question fût examinée dans la discussion générale.

A quoi sert donc la discussion générale, si ce n'est à traiter toutes les questions importantes ? Je conçois que, pour les questions de détail, on se donne rendez-vous après la discussion générale et qu'on les renvoie à la discussion des articles, mais c'est traiter avec un singulier dédain... (Interruption.)

Je ne dis pas le moins du monde que telle soit l'intention de l'honorable ministre des finances, mais je répète qu'on pourrait le croire. Dans tous les cas, en fait on nous prive de l'un des moyens de discuter la question que nous avons soulevée. Cette question est grave et je ne pense pas que sur les bancs du gouvernement on prétende qu'elle est tellement peu importante qu'il n'y ait pas à l'examiner dans la discussion générale.

Messieurs, quand nous arriverons à l'article 7, les articles 1 et 2 seront votés ; vous aurez aboli le droit de débit des boissons distillées et le droit de débit des tabacs et l'on nous opposera un argument qu'on ne pourrait pas nous opposer dans la discussion générale, à savoir que le vide est fait dans la caisse de l'Etat et qu'il faut le combler.

Messieurs, je n'attache pas à mes observations une importance telle que je veuille contrarier les dispositions de la Chambre si elle désire clore la discussion générale. Mais je crois qu'il est sage de ne pas poser ce précédent, de ne pas examiner les questions de cette importance dans la discussion générale.

M. Jacobs, ministre des finances/ - Messieurs, c'est précisément parce que la question a une importance plus grande que les autres détails de la loi, que j'ai proposé, comme cela avait, été fait à propos du budget des travaux publics pour la question des chemins de fer, de discuter séparément cette question à l'article 3.

Je pense que c'est dans l'intérêt de tout le monde, quand je l'ai déclaré hier, l'honorable M. d'Andrimont, mon principal contradicteur pour le moment, m'a fait des signes d'assentiment accentués.

L'objection de l'honorable M. Anspach n'est pas sérieuse, nous ne comptons pas sur le produit des constructions neuves pour remplacer le droit de débit des boissons.

Cette disposition pourrait être écartée sans que le droit de débit perdît sa compensation.

Les constructions neuves ne donneront rien avant 1874, et nous avons déclaré qu'au fur et a mesure que les rentrées se produiraient, elles seraient employées à des réductions d'impôts.

Nous aurons donc, à l'article 3, une seconde discussion générale en quelque sorte, tout à fait indépendante de la première, et je puis garantir aux honorables membres que les réponses ne leur feront pas défaut.

-La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Le droit de débit en détail de boissons alcooliques, établi par la loi du 1er décembre 1849, et le droit de débit de tabac en feuilles, poudre, cigares ou autrement fabriqué, établi par la loi du 10 décembre 1851, sont abolis à dater du 1er octobre 1871. »

M. le président. - M. Cruyt propose un amendement consistant à ajouter à la fin de l'article le paragraphe suivant :

« A partir de la prochaine révision des listes électorales, ces impôts ne seront plus comptés pour la formation des listes. »

M. Rogier. - Messieurs, j'ai renoncé à la parole dans la discussion générale, me réservant de la demander sur l'article premier, et tout en me renfermant d'ailleurs dans l'examen de cette disposition à laquelle je ne pourrai accorder un vote approbatif.

Je dois dire, messieurs, que j'ai été surpris de voir apporter à la Chambré une pareille proposition.

Depuis des années, l'on signale dans le pays les tristes conséquences de l'abus des boissons alcooliques, conséquences qui n'ont fait que s'aggraver de jour en jour.

Il n'est personne, dans cette Chambre, qui ne voté avec un profond regret les progrès incessants que fait l'ivrognerie dans les classes ouvrières par suite de l'usagé immodéré des boissons alcooliques.

Je ne pensais pas que le parti qui s'attribue volontiers le monopole de la morale viendrait prêter la main a un système qui doit avoir nécessairement pour conséquence de faciliter de plus en plus les abus que l'on déplore.

Comment ! messieurs, dès 1838, on a signalé dans cette Chambre les abus ; on a recherché les moyens de les réprimer. On en a trouvé un : c'était de restreindre autant que possible les débits en les frappant d'une taxe spéciale et parce qu'un certain nombre d'individus ont abusé de ce droit pour transformer en électeurs les débitants de boissons, que fait-on ?

On supprime toute espèce de droit, on ouvre la porté toute large aux vendeurs et aux amateurs de boissons alcooliques et on fait cela au nom de la morale publique. Il est temps, dit-on, de mettre un terme à la création de ces électeurs qui ne figurent sur les listes qu'au moyen de patentes simulées ou payées par d'autres électeurs.

Si l'on voulait sincèrement travailler à restreindre cet abus, il fallait courageusement doubler, tripler le droit de débit. Vous obteniez par là un double résultat : vous réduisiez le nombre des débits de boissons, et vous rendiez plus difficile l'achat des patentes à l'aide desquelles on fabriqua des électeurs.

Triplez la patente, vous restreignez le nombre des débits de boissons. Au lieu de cela, on les supprime et on leur permet de se multiplier à l'infini. Je ne veux pas faire à M. le ministre des finances l'injure de croire qu'il a voulu chercher la popularité dans les rangs des débitants de boissons qu'il va exonérer ; je ne veux pas croire qu'il se réserve de leur dire plus tard : Vous étiez astreints à un droit de débit, nous vous avons affranchis ; mais je trouve le rôle qu'il prend inexplicable.

Il y a eu un grand intérêt public, il y a une leçon de moralité publique à donner à tout le monde, il y a pour le gouvernement un grand devoir à remplir. Eh bien, que fait le gouvernement et que vous dit-il ? De l'abus des boissons, je ne m'en inquiète plus ; quant au remède à employer pour combattre ces abus, ce n'est plus mon affaire, ce n'est plus le devoir du gouvernement ni des Chambres législatives ; nous laissons ce soin aux provinces et aux communes.

Eh bien, messieurs, je dis, moi, que c'est là un devoir social qui appartient avant tout à l'Etat et aux Chambres. Les Chambres, messieurs, se composent d'hommes indépendants et j'aime à croire qu'aucun de nous ne reculerait devant la perspective de s'attirer quelque impopularité dans la classe qu'il s'agirait d'atteindre par un accroissement d'impôt.

Il nous arrive parfois de céder à des considérations secondaires, mais ici je crois qu'aucun de nous ne combattrait la mesure, si elle nous était proposée. Le ministère l'abandonne aux provinces et aux communes. Mais, messieurs, croit-on sincèrement que les conseils provinciaux nommés par les électeurs des cantons oseront prendre sur eux, après que le gouverneur y a renoncé, d'établir un droit quelque peu énergique et efficace sur les débitants de boissons ? Vous dites qu'ils le feront, mais au nom de quels conseils parlez-vous ainsi ?

Ce que je dis des conseils provinciaux, à plus forte raison le dirai-je des conseils communaux. Combien comptez-vous de conseils communaux dans le pays qui oseront combattre avec énergie, par des droits élevés, tous ces petits établissements, alors que l'Etat les exempte ; combien y en a-t-il ?

Donc, messieurs, il est mal de la part du gouvernement de se décharger, (page 1508) sur des corps inférieurs, du soin de veiller à la conservation de la santé et de la morale publique, et en fait il n'atteindra pas son but.

Messieurs, je ne m'occupe pas du système d'impôt qu'on veut substituer à l'impôt restrictif moral qu'on propose de supprimer. Je ne veux pas rentrer dans la discussion générale. Je déclare que je serai toujours prêt à fournir à l'Etat les ressources qui lui seront nécessaires pour faire face à des besoins sérieux et bien constatés. Que le gouvernement augmente le droit sur les boissons distillées ; que le gouvernement augmente les impôts sur d'autres bases encore. Je voterai ces mesures si elles sont démontrées nécessaires. Mais, messieurs, supprimer une barrière jugée utile depuis des années pour restreindre autant que possible l'abus des liqueurs fortes et le nombre des établissements qui les débitent, c'est évidemment s'engager dans une voie que je dois qualifier de désastreuse.

Quelles sont, messieurs, les objections contre l'augmentation de la patente qui aurait pour effet de rendre beaucoup plus difficiles les fausses déclarations en vue du droit électoral et de restreindre le nombre des débits ?

La fraude, dit-on, s'exercera en grand par la création de débits clandestins. Remarquez d'abord, messieurs, que ce genre d'établissements est soumis à la surveillance de la police administrative et locale. Mais le nombre des établissements clandestins égalera-t-il jamais celui des établissements qui s'ouvriront n'importe où et comment, à la suite de la suppression des droits ?

Messieurs, ou il faut renoncer à toutes les déclarations, je ne veux pas dire à toutes les déclamations, il faut renoncer à toutes les déclarations que nous entendons faire chaque jour, au nom de la morale et de l'hygiène, contre l'abus trop réel, hélas ! des boissons fortes ; ou il faut prendre énergiquement les moyens de restreindre, autant que possible, cet abus. Voilà notre devoir et celui du gouvernement.

Je ne sais si la proposition de porter au triple le droit actuel trouvera de l'accueil ; mais je serais prêt, quant à moi, à la signer des deux mains. Nous ne ferons en cela qu'imiter d'autres pays parlementaires, et où le gouvernement n'endosse pas à des administrations inférieures une mission qu'il doit être le premier à remplir.

Messieurs, je n'admets pas qu'on tienne pour des réprouves, pour des brebis galeuses tous les débitants de boissons, par cela seul qu'ils exercent cette industrie.

Parmi les débitants de boissons, on peut rencontrer beaucoup d'honnêtes gens ; ceux-là sans doute continueront, en tous cas, à exercer loyalement, en vertu de leur patente augmentée, les fonctions électorales.

Le seul but avoué de la loi, c'est de supprimer l'abus qui résulte de l'admission d'électeurs sans titre réel.

Et, pour atteindre ce but moral, que je dirai relativement insignifiant, que fait-on ? On émancipe tous les débitants de boissons présents et futurs ; l'on provoque, on encourage tout le monde, débitants et consommateurs.

Il y avait certes pour réformer les abus des moyens à trouver, si on avait voulu les chercher sérieusement. Imposer, comme je l'ai dit, une patente plus élevée aux débitants de boissons ; ou établir un droit de consommation proportionné aux quantités débitées dans chaque établissement : est-ce impossible ? Pour moi, je pense que ce système est au contraire très simple et très pratique.

Messieurs, je n'en dirai pas beaucoup plus à ce sujet. Tout le monde en parle, tout le monde s'indigne ou s'alarme ; et en présence de ce sentiment général, que faisait-on ?

Il y a une loi qui stipule des garanties plus ou moins efficaces contre l'abus. On la supprime. Voilà de quelle manière procède le gouvernement.

Me sera-t-il permis en finissant de soumettre au gouvernement une idée que je n'ai pas été à même de mettre en pratique ?

Sans doute, c'est avec raison que nous déplorons l'abus des boissons fortes, tant pour la moralité que pour la santé des ouvriers. Que répondent à cela les ouvriers ? Ils disent : C'est notre boisson à nous ; vous avez une boisson plus délicate et plus agréable ; vous usez de vins généreux. Eh bien, la boisson que vous voulez proscrire, c'est notre vin à nous, c'est notre consolation ; voulez-vous nous priver de cette consolation ?

Eh bien, messieurs, serait-il impossible de faire étudier une question, que je dirai scientifique et sociale, est-il impossible de trouver une boisson qui, offrant un stimulant agréable et réconfortant à ceux qui en font usage, ne produirait pas les conséquences fatales que l'abus des liqueurs alcooliques exerce sur la santé ut sur la moralité de l'individu. Est-ce impossible ? Quant à moi, si j'étais gouvernement, je proclamerais qu'il y a un prix de 100,000 francs, de 200,000 francs pour le savant, pour l'industriel qui inventerait, qui découvrirait, qui confectionnerait une liqueur nouvelle propre à remplacer jusqu'à un certain point, les liqueurs alcooliques, sans produire leurs effets désastreux. (Interruption.)

Mon idée, messieurs, ne me semble pas justifier ni mériter les rires qu'elle excite. Je la crois honnête, sérieuse et dans une certaine mesure très pratique. Dans tous les cas, elle ne pourrait, étant mise à l'essai, que témoigner de la sollicitude réelle des pouvoirs publics pour les classes inférieures.

En ce qui concerne l'article premier de la loi, si l'on proposait un amendement ayant pour but de doubler, de tripler, de quadrupler le droit de débit actuellement en vigueur, je le voterais de grand cœur.

M. le président. - Je dois réparer un oubli et demander à M. Le Hardy de Beaulieu à quel article il rattache l'amendement qu'il a déposé.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Je viens d'annoncer ici et je déclare à la Chambre que je maintiens l'amendement qui a pour objet de doubler le droit de débit de boissons alcooliques ; quant aux autres parties de mon amendement, l'honorable ministre des finances en a ajourné la discussion au budget des voies et moyens de la session prochaine. Il a ainsi rendu hommage à la proposition que j'avais faite, au commencement de la discussion, d'ajourner la discussion de toute loi au moment du budget des voies et moyens. En effet, cette discussion devra se renouveler, car l'article 111 de la Constitution nous interdit de voter dans ce moment une loi établissant de nouveaux impôts. Cet article décide ce qui suit : « Les impôts au profit de l'Etat sont votés annuellement. Les lois qui les établissent n'ont de force que pour un an si elles ne sont renouvelées. »

J'ajourne donc toutes les propositions que j'ai faites au prochain budget des voies et moyens et je me charge d'établir alors qu'elles sont parfaitement pratiques et que nous avons un devoir impérieux à remplir : c'est de décharger, autant que possible, les classes laborieuses et agricoles des impôts qui pèsent sur elles.

M. le président. - Vous proposez donc, comme amendement à l'article premier, les deux derniers paragraphes de votre amendement ?

M. Le Hardy de Beaulieu. - Oui, M. le président.

M. Bara. - Est-ce que l'amendement de M. Cruyt est adopté par le gouvernement ?

M. Jacobs, ministre des finances. - Je ferai à cet amendement une modification de nature à lui rendre sa véritable portée.

Le rapport de la section centrale déclare que l'article 7 de la loi du 30 mars 1870 aurait ce résultat que le droit de débit des boissons de 1871 ne compterait pas pour la formation du cens électoral.

En effet, messieurs, l'article 7 porte : « Ne sont comptés à l'électeur pour la formation du cens que les seules contributions directes dont le montant est établi et acquitté pour une année entière. »

Si le droit n'existe que pendant trois trimestres, que ce soient les trois premiers ou les trois derniers, l'article 7 de la loi du 30 mars 1870 ne permet pas de compter l'impôt dans la formation des listes électorales.

Cependant, messieurs, comme un doute a été exprimé à cet égard, doute qui n'existe pas pour moi, mais qui pourrait exister dans l'esprit de certaines juridictions électorales et serait de nature à établir une confusion dans les décisions, je pense qu'il y a avantage, bien que cela soit inutile, à l'insérer dans la loi. Mais ce serait la formule suivante qui devrait être adoptée :

« Les droits de débit afférents à l'année 1871 ne compteront pas dans la formation du cens électoral. »

M. Bara. - Messieurs, je n'entrerai pas dans le fond du débat. Je désire présenter quelques observations sur l'amendement de l'honorable M. Cruyt que vient de modifier M. le ministre des finances.

Il me paraît impossible que la Chambre adopte cet amendement. Il est en opposition formelle avec toutes les déclarations de M. le ministre des finances et il a pour but d'enlever, contrairement à la Constitution, le droit électoral à des citoyens qui, d'après le gouvernement lui-même, possèdent légitimement ce droit.

En effet, messieurs, quelle est la situation ? Il s'agit de contribuables, qui ont payé, l'année dernière, l'impôt sur le débit de boissons, un droit qui résulte d'un impôt direct, ainsi que le dit la loi, interprétée par la cour de cassation.

Ils l'ont payé encore pour 1871, et au 1er août de cette année on va réviser les listes électorales. Eh bien, à ces citoyens qui ont payé le droit l'année dernière et qui le payent encore maintenant, qui sont dans les conditions voulues pour être inscrits sur les listes électorales qui seront dressées le 1er août 1871, on vient dire : Vous ne serez pas électeurs ; vous ne pouvez être inscrits sur les listes électorales.

Messieurs, c'est aller contre l'article 47 de la Constitution, qui est formel. L'article 47 de la Constitution dispose que la Chambre des (page 1509) représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 florins d'impôt direct ni être au-dessous de 20 florins. Il en résulte à toute évidence, et l'interprétation législative est là pour dire qu'il doit en être ainsi, que tout citoyen doit être mis sur les listes électorales quand il paye la quotité d'impôt fixée par la loi électorale, et qu'il ne peut en être éliminé si ce n'est à titre d'indignité, à titre d'exclusion, comme ne pouvant exercer le droit d'électeur ; mais s'il n'est pas exclu, s'il n'est pas jugé indigne, il doit jouir de ses droits électoraux.

Et, messieurs, c'est ce que M. le ministre des finances a déclaré lui-même ; aussi je m'étonne vivement de le voir adopter le principe de l'amendement de l'honorable M. Cruyt.

M. le ministre des finances, examinant la portée de l'article 47 de la Constitution, disait que la Constitution n'était pas défavorable à l'opinion qui empêchait d'exclure tel ou tel impôt direct des impôts formant le cens., Il disait : « C'est là un point sur lequel j'hésiterais à me prononcer. Je la crois très difficile et je pense que plutôt que de résoudre par un vote arbitraire une difficulté pareille, mieux vaut chercher une autre solution, celle que le gouvernement vous présente. »

Ainsi donc, messieurs, il soutenait que décider qu'un impôt direct ne comptera pas dans le cens électoral, c'est émettre un vote arbitraire.

Eh bien, on vient demander à la Chambre de décider que ce qui est jusqu'à présent un impôt direct ne comptera pas dans le cens électoral. Mais s'il en est ainsi, pourquoi n'avez-vous pas dit, en faisant votre loi, que l'impôt sur le débit des boissons est désormais un impôt indirect ?

Vous avez déclaré que vous aviez des scrupules, que si vous abolissiez l'impôt c'était parce que vous n'étiez pas bien certain de pouvoir décider que le droit de débit est un impôt indirect et voilà que pour l'année 1871 vous décidez ce que vous ne croyez pas pouvoir décider, d'une manière générale ! Eh bien, de deux choses l'une, ou bien l'argument que vous avez donné en prétendant que c'est un scrupule constitutionnel qui vous empêchait de décider que le droit de débit est un impôt indirect, ou bien cet argument n'est pas sérieux et alors vous supprimez l'impôt sans nécessité ; ou bien votre argument est sincère et alors vous ne pouvez pas admettre l'amendement de M. Cruyt.

Quant au motif que vous avez donné que l'impôt ne pourrait pas être facilement rétabli parce qu'il vous convient de le supprimer, je ne m'y arrêterai pas ; si les lois que vous faites ne pouvaient plus être révoquées, le pays serait bien malheureux, surtout lorsqu'il s'agit de lois aussi morales que celles qu'on nous présente et qui ont pour but d'augmenter la consommation des boissons alcooliques et le nombre des cabarets. (Interruption.)

Je dis donc que vous n'êtes pas sincères quand vous parlez de votre scrupule constitutionnel alors que vous allez voter l'amendement de M. Cruyt qui décide que le droit de débit est un impôt indirect pour l'année dernière et pour l'année actuelle.

M. Jacobs, ministre des finances. - L'amendement ne se rapporte pas à l'année dernière.

M. Bara. - C'est absolument la même chose, puisque vous admettez que, pour l'année dernière et pour six mois de cette année, la Chambre peut décider que le droit de débit est un impôt indirect...

M. Dumortier. - C'est un impôt indirect.

M. Bara. - Vous pouvez décider que, pour l'avenir, c'est un impôt indirect, mais ce que vous ne pouvez pas décider, c'est que l'impôt sur le débit de boissons considéré comme impôt direct par une loi interprétée par la cour de cassation, sera considéré comme impôt direct. (Interruption de M. Dumortier.)

Je sais, M. Dumortier. que vous avez une grande autorité, mais vous ne pouvez vous mettre au-dessus de la cour de cassation, et c'est fort heureux pour les lois. (Interruption.)

M. Dumortier. - Vous vous êtes bien mis au-dessus de la Constitution à propos de l'inamovibilité des magistrats !

M. Bara. - Dites cela à M. le ministre de la justice qui, tous les jours, met des magistrats à la retraite en vertu de la disposition dont vous parlez.

Il ne fallait pas dix minutes pour rayer cette loi de nos codes. Mais non, on continue à appliquer une disposition que l'on dit inconstitutionnelle.

M. Dumortier. - On le fera.

M. Bara. - Vous oubliez une chose, M. Dumortier, c'est que les honorables MM. Jacobs et d'Anethan ont déjà déclaré qu'ils ne le feraient pas.

La loi est bonne à garder. Il y a quelques bonnes petites places à donner et il est probable que quelques-uns de vos protégés seront placés à la faveur de la loi que nous avons faite.

Je convie l'honorable membre à être logique, et je reviens à mon sujet.

Vous pouvez donc décider que l'impôt est indirect, mais de grâce ne vous mettez pas au-dessus de la Constitution en déclarant que certains impôts directs ne compteront plus aux citoyens.

L'amendement de l'honorable M. Cruyt tranche la controverse qu'a indiquée l'honorable ministre des finances et sur laquelle il n'a pas voulu se prononcer, pour ne pas émettre un vote arbitraire.

L'honorable ministre des finances a déclaré que la controverse sur la question de savoir si l'on avait le droit d'enlever le droit électoral à un citoyen lorsqu'il payait tel ou tel impôt direct, était très grave ; que le législateur avait toujours tranché ce point en faveur des citoyens et que l'honorable M. du Dus, tout en déclarant que c'était possible, disait qu'il ne fallait pas user de ce droit.

Que faites-vous ? Vous poursuivez un but électoral.

Il y a des élections en 1872 dans les Flandres. Il faut qu'il n'y ait plus de cabaretiers.

Peu importe le vote arbitraire, peu importe la disposition constitutionnelle, peu importe la palinodie du cabinet, la disposition sera votée.

Vous devriez nous dire pourquoi vous aller abandonner une opinion très raisonnable, qui a toujours été admise jusqu'à présent et pourquoi vous allez émettre le vote arbitraire que vous vouliez éviter hier.

Mais le siège est fait. Nous avons beau avoir mille fois raison, vous voterez la loi telle qu'elle est.

Je pense donc qu'il est impossible d'admettre l'amendement de l'honorable M. Cruyt, ou plutôt l'amendement de l'honorable ministre des finances ; car sa proposition reproduit la même pensée sous une forme différente.

M. Jacobs, ministre des finances. - Le discours de l'honorable membre, à part les digressions que j'éloigne, a été une confusion perpétuelle entre l'amendement de l'honorable M. Cruyt et la modification que j'y ai apportée.

Si je n'avais eu à y apporter que des changements de forme, je me serais abstenu, attendu que la forme est bonne ; mais il y a entre nos deux propositions une différence de fond essentielle.

Je laisse en dehors du débat la question de savoir si le droit de débit de boissons est un impôt direct ou un impôt indirect. Je reste conséquent avec moi-même et je demande à la Chambre de ne pas se prononcer sur cette question. Je ne lui demande que d'interpréter une disposition de loi, l'article 7 de la loi du 30 mars 1870.

Cet article ne déclare pas qu'il y a des impôts directs qui ne compteront pas dans le cens électoral, que telle nature d'impôt en sera exclue, mais détermine dans quelles conditions tous les impôts directs indistinctement sont compris dans le cens ; il déclare que n'importe quel impôt n'est compté pour la formation du cens électoral que lorsqu'il est établi et acquitté pour l'année entière.

Il en résulte par voie de conséquence logique, et c'est ce que fait observer le rapport de la section centrale, que, si le droit de débit est aboli après les trois premiers trimestres de cette année, il ne pourra plus compter dans le cens électoral de cette année.

Le droit de débit de 1870 pourra continuer à y figurer si la jurisprudence persiste à décider que c'est un impôt direct, mais les trois trimestres de 1871 ne pourront compter parce qu'il y a une disposition qui porte que les impôts doivent être acquittés pour l'année entière.

Il serait donc inutile, comme je le disais, d'établir une disposition qui ne fait qu'appliquer l'article 7, si certains doutes ne s'étaient manifestés. Nous avons voulu qu'il n'y eût aucune hésitation dans l'application de l'article 7 et c'est pourquoi nous avons interprété cet article dans un sens qui est évidemment le sien.

Nous n'excluons aucun impôt, nous ne décidons pas le point de savoir si l'impôt de débit des boissons est un impôt direct ou indirect ; nous appliquons tout simplement l'article 7 de la loi du 30 mars, en déclarant que l'impôt des trois premiers trimestres de 1871 ne sera pas compté pour la formation du cens électoral, attendu que la règle est que l'impôt annuel seul peut compter pour la formation de ce cens.

Celte règle doit s'appliquer dans le cas actuel, car on ne peut pas prétendre que le payement de l'impôt des trois premiers trimestres suffise plus que celui des trois derniers. Nous sommes dans le cas de l'article 7.

Voilà la seule question que la Chambre ait à résoudre et celle dont l'honorable membre s'est occupé n'a rien à voir dans le débat.

M. Bara. - L'argument de M. le ministre des finances n'est qu'une subtilité.

(page 1510) M. Jacobs, ministre des finances. - Comme l'article 7.

M. Bara. - Si un pareil système pouvait être admis législativement il n'y aurait plus de loyauté dans le régime électoral. (Interruption.)

Certainement vous pourriez, au milieu de l'année, déclarer que l'impôt foncier et la patente ne sont pas des impôts directs et agir rétroactivement après avoir traité des citoyens comme électeurs pendant une partie de l'année et les avoir fait payer, vous viendriez par une manœuvre leur enlever leur qualité d'électeur, (Interruption.)

Il y a une chose plus grave, c'est que des débitants de boissons ont payé leurs contributions entières.

M. Jacobs, ministre des finances. - On restituera.

M. Bara. - On restituera ! Vous voyez donc bien que votre système est un système de violence et d'absurdité.

Vous restituerez, mais vous n'avez pas moins touché de gens qui par cet impôt devaient être électeurs. II vous faudra pour cela une disposition dans la loi.

M. Jacobs, ministre des finances. - Pas le moins du monde.

M. Bara. - Pour faire sortir l'argent de la caisse de l'Etat, votre article n'est pas suffisant ; il dit que le droit ne sera pas touché pour le quatrième trimestre ; il ne dit pas que l'on restituera les sommes touchées pour ce troisième trimestre.

M. Jacobs, ministre des finances. - Cela n'est pas nécessaire.

- Une voix. - La contribution entière n'était pas due au 1er janvier.

M. Bara. - On avait le droit de payer au 1er janvier la contribution entière et certains l'ont payée. (Interruption.)

M. Jacobs, ministre des finances. - C'est un payement indu.

M. Bara. - Vous ne sauriez pas démontrer que c'est un payement indu, puisque les percepteurs l'ont reçu conformément à la loi.

Le contribuable avait le droit de payer, le 1er janvier, toute sa contribution et le receveur avait le droit et même l'obligation de la recevoir.

Il n'y a donc pas eu payement indu ; l'impôt a été payé très régulièrement et conformément à la loi.

Que porte l'article 7 de la loi invoqué par M. le ministre des finances ? « Ne sont comptés à l'électeur pour la formation du cens que les seules contributions directes dont le montant est établi et acquitté pour une année entière, sans toutefois que le payement de l'année courante doive être fait anticipativement. » Or, qu'est-ce que les contributions établies et acquittées pour l'année entière ? Ce sont évidemment celles qui devaient être payées pour toute l'année en vertu de la loi existante et non d'après une loi ultérieure.

Or, le payement devait être et a été fait pour l'année entière et par conséquent des faits postérieurs ne peuvent exercer aucune influence sur les effets d'une loi existante.

Prétendre le contraire, c'est en vérité raisonner au rebours de tous les principes. (Interruption.)

Je dis donc, messieurs, que vous ne pouvez pas voter l'amendement de l'honorable M. Cruyt, car, au fond, celui de M. le ministre des finances est absolument le même. L'un et l'autre déclarent que les contributions directes, établies et acquittées pour l'année ne compteront pas aux citoyens qui revendiqueront le droit électoral dont ils ont joui jusqu'à présent. Cet amendement est un soufflet donné par M. le ministre des finances à sa propre déclaration, que s'il ne s'est pas rallié à la proposition tendante à décréter que le droit de débit de boissons est un impôt indirect, c'est à cause d'un scrupule constitutionnel et parce qu'il ne croyait pas qu'il fût permis de trancher ainsi la question de savoir si un impôt est direct ou indirect. Quand à moi, messieurs, je ne puis considérer cette proposition que comme un acte de violence contre des citoyens qui ont le droit de figurer dans le corps électoral.

M. Coomans. - Il est vraiment curieux d'entendre l'honorable M. Bara invoquer les principes, défendre la Constitution, nous accuser de subtilité, lui qui mérite tous les reproches qu'il nous adresse injustement : il invoque des principes qu'il n'a pas respectés ; il défend la Constitution qu'il a violée ; il nous reproche d'être subtils lorsque lui l'est à l'excès. Voilà une observation générale.

L'honorable membre demande qu'on lui oppose de bonnes raisons. Comme les siennes ne le sont guère, cela ne serait pas bien nécessaire ; mais en voici une que j'ajoute à toutes les bonnes raisons qu'on lui a déjà données.

M. Bara ne veut pas seulement que les cabaretiers restent électeurs ; II veut encore qu'ils continuent à figurer dans le corps électoral après qu'ils auront cessé de payer l'impôt dans lequel ils puisent leur droit suspect. Voilà, me paraît-il, une véritable monstruosité.

Ainsi, les cabaretiers dont je parle ne sont devenus électeurs que par l'appoint de leur droit de débit, cesseront de payer ce droit dans le courant de l'année actuelle, et M. Bara veut qu'ils exercent leur droit électoral en 1872 !

Puisqu'on parle de Constitution, j'ai bien le droit, je pense, de faire remarquer que ceci est tout à fait inconstitutionnel.

Je sais que vous pouvez m'objecter la permanence des listes ; mais ceci n'est qu'une fiction, et ce qui n'est pas une fiction, c’est le principe constitutionnel qu'il faut payer une somme de... en impôt direct pour être électeur.

Or, il serait par trop fort qu'un électeur dont le droit est déjà contesté, dont le droit, selon moi, est nul, parce qu’il repose sur un impôt indirect, que cet électeur exerçât le droit de suffrage quand à ne paye plus cet impôt douteux.

Cette seule considération me paraît suffisante pour faire rejeter les conclusions de l'honorable député de Tournai.

M. Cruyt. - Je ne puis pas me rallier au sous-amendement de M. le ministre des finances, par la raison que vient de développer l’honorable membre ; je n'ai eu qu'un but en présentant mon amendement, c'est de rendre la loi claire et nette.

Nous avons voulu en proposant la loi, en supprimant l'impôt, que les cabaretiers, que les débitants de boissons n'eussent plus le droit de vote s'ils ne l'avaient qu'en vertu de cet impôt. Or, que pourrait-il arriver ? C'est que, ainsi que vient de l'observer l'honorable M. Coomans, les listes électorales dressées cette année ne devant servir que l'année prochaine, certaines personnes auront le droit de voter en vertu de l'impôt sur le débit des boissons, tandis que par les raisons qui ont été longuement développées, cet impôt aura été supprimé avec l'intention de leur enlever le droit électoral ; il y aurait là une véritable contradiction.

M. Jacobs, ministre des finances. - C'est une erreur. Voulez-vous me permettre de donner une explication ?

M. Cruyt. - Si vous me donnez de bonnes raisons, je me rallierai à votre rédaction. (Interruption.)

Je croyais, d'après vos premières explications, à un résultat contraire.. M'apercevant maintenant que par votre sous-amendement, on atteint le but que j'avais en vue, je déclare m'y rallier.

- La discussion est close sur l'article premier et sur les amendements.

M. Cruyt déclare se rallier à l'amendement de M. le ministre des finances.

M. le président. - L'amendement de M. Le Hardy de Beaulieu est retiré, sauf les deux derniers paragraphes. Ces deux paragraphes s'éloignant du projet de loi beaucoup plus que tous les autres amendements, doivent être mis aux voix les premiers. Ils sont ainsi conçus :

« Le droit de débit de boissons distillées est remplacé-par une licence variable d'après l'importance des localités et des établissements ; le taux actuel pourra être doublé.

« Le droit de débit de tabac est porté au double. »

- L'amendement n'est pas adopté.

M. le président. - Je mets aux. voix le paragraphe premier de l'article premier du projet de loi, qui est ainsi conçu :

« Le droit de débit en détail de boissons alcooliques, établi par la loi du 1er décembre 1849, et. le droit de débit de tabac en feuilles, poudre, cigares ou autrement fabriqué, établi par la loi du 20 décembre 1851, sont abolis à dater du 1er octobre 1871. »

- Des membres. - L'appel nominal !

M. le président. - On pourrait ajouter alors le paragraphe 2 ainsi conçu. :

« Les droits de débit afférents à l'année 1871 ne compteront pas dans la formation du cens électoral. »

On voterait en même temps sur les deux paragraphes. (C’est cela.)

- Voix nombreuses. - L'appel nominal !

- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article premier.

90 membres y prennent part.

57 répondent oui.

38 répondent non.

1 s'abstient.

En conséquence l'article est adopté.

Ont répondu oui :

MM. Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d’Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Biebuyck, Brasseur, Coomans, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, (page 1511) de Kerckhove, Delaet, De Lehaye, de Liedekerke, de Moerman d'Harlebeke, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, d'Hane-Steenhuyse, Drubbel, Dumortier, Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre et Thibaut.

Ont répondu non ;

MM. Lescarts, Mascart, Mouton, Muller, Orts, Puissant, Rogier, Tesch, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Vleminckx, Anspach, Balisaux, Bara, Bergé, Boucquéau, Boulenger, Braconier, Bricoult, Crombez, d'Andrimont, David, de Baillet-Latour, Defuisseaux, de Lexhy, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Dupont, Elias, Funck, Guillery, Hagemans, Jamar, Jottrand et Le Hardy de Beaulieu.

S'est abstenu :

M. Lelièvre.

M. le président. - Le membre qui s'est abstenu est prié de faire connaître les motifs de ion abstention.

M. Lelièvre. - Je me suis abstenu parce que je n'aurais voulu abolir le droit de débit en détail de boissons alcooliques comme impôt direct et au point de vue électoral que pour la partie de l'impôt qui, dans l'esprit de la législation actuelle, constituait une pénalité.

Article 2

« Art. 2. Le montant de la contribution foncière au profit de l'Etat est fixé à 7 p. c du revenu cadastral imposable. »

- Voix nombreuses. - L'appel nominal !

- Il est procédé à cette opération.

94 membres y prennent part.

54 répondent oui.

39 répondent non.

1 s'abstient. En conséquence l'article est adopté;

Ont répondu oui :

MM. Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Yan Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Biebuyck, Brasseur, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, De Lehaye, de Liedekerke, de Moerman d'Harlebeke, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, d'Hane-Steenhuyse, Drubbel, Dumortier, Gerrits, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre et Thibaut.,

Ont répondu non :

MM. Lescarts, Mascart, Mouton, Muller, Orts, Puissant, Rogier, Tesch, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Vleminckx, Anspach, Balisaux, Bara, Berge, Boucquéau, Boulenger, Braconier, Bricoult, Crombez, d'Andrimont, David, de Baillet-Latour, Defuisseaux, De Lexhy, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Dupont, Elias, Funck, Guillery, Hagemans, Jamar, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu et Lelièvre.

S'est abstenu :

M. Coomans.

M. le président. - Le membre qui s'est abstenu est invité à donner les motifs de son abstention.

M. Coomans. — Malgré les discours prononcés par divers opposants au projet de loi, je tiens pour évident que la combinaison ministérielle ne constitue pas une augmentation d'impôt. Toutefois, je n'ai pas pu émettre un vote approbatif, parce qu'il ne m'est pas démontré que la compensation que vous venez de voter était nécessaire et que je persiste à croire que, même dans les circonstances actuelles, des économies sont réalisables.

Article 3

« Art. 3. Les maisons et autres bâtiments construits ou reconstruits sont imposables à la contribution foncière à partir du 1er janvier de la seconde année, qui suit l'occupation de la construction. La même règle est applicable, quant à l'augmentation éventuelle de la contribution foncière, aux maisons et bâtiments partiellement renouvelés ou agrandis au moyen de constructions nouvelles.

« Le sol sur lequel les constructions sont élevées continue d'être imposé comme propriété non bâtie, d'après le revenu cadastral. »

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, je viens tenir la promesse, que j'ai faite aux honorables membres qui se sont occupes spécialement de la question de l'article 3.

La loi du 28 mars 1828 exemple de la contribution foncière les maisons nouvelles pendant huit ans, pendant cinq ans, pendant trois ans, suivant, qu'il s'agit de constructions établies sur un sol vierge ou sur un sol antérieurement bâti, ou seulement d'augmentations des constructions existantes. Mais le point de départ de ces exemptions de huit, de cinq, de trois années n'est pas le même. Les exemptions de huit et de cinq ans parlent du 1er janvier de l'année de l'occupation de la maison. L'exemption de trois ans, au contraire, part du 1er janvier qui suit l'achèvement des bâtisses. C'était la, messieurs, le système de la loi française du 3 frimaire an VII qui, dans son article 88, accorde, dans tous les cas énumérés, une exemption de deux ans seulement, à partir de l'année de la construction.

La loi de 1828 a étendu notablement le bénéfice de la loi de l'an VII qui n'a pas été modifiée en France jusqu'à présent.

Celte extension a été décrétée dans l'intérêt de la bâtisse. Elle n'a pas été faite a cette époque (personne ne songera à le soutenir), pour permettre aux grandes villes de s'emparer de la contribution foncière à laquelle l'Etat renonçait. Elle l'a été, à la demande des villes et des particuliers, pour favoriser les bâtisses. On a fait, en 1828, ce qu'avait fait primitivement en Hollande la loi du 21 avril 1807, relative aux endiguements et aux dessèchements. Cette loi accorde des exemptions de dix et de vingt ans d'impôt foncier pour les bâtiments construits sur les terres endiguées ou desséchées.

Le principe de la loi de 1828 a été étendu en Belgique par la loi du 25 mars 1847, qui accorde exemption de 15 années d'impôt foncier pour toutes les constructions élevées sur des terrains vagues appartenant aux communes ou aliénés par elles à la suite de cette loi. C'a été une mesure en faveur du, défrichement des terrains communaux et des constructions à établir sur ces terrains.

Dans ces dispositions, aussi bien dans la disposition générale de la loi de 1828, que dans les dispositions spéciales des lois de 1807 et de 1847, il ne s'est agi d'autre chose que de favoriser la bâtisse.

Cette loi, messieurs, a pu être jugée nécessaire en 1828, à' l'époque où elle a été faite. Elle a pu surtout l'être eu égard aux provinces septentrionales, dans lesquelles les constructions sont fort onéreuses, parce qu'elles doivent souvent être établies sur pilotis et que les matériaux, les pierres notamment, sont rares en Hollande.

Cela n'a jamais été jugé nécessaire en France, d'où nous venait la loi de l'an VII et cependant vous savez que nulle part on n'a poussé aussi loin qu'en France l'exagération de la bâtisse.

L'exemple de nos voisins est de nature à nous démontrer que la protection de la loi de 1828 est une protection inutile comme beaucoup d'autres.

Le royaume des Pays-Bas s'est divisé en trois tronçons, la Hollande, la Belgique et le grand-duché de Luxembourg; dans le Luxembourg, la loi de 1828 a été abolie ; on y a jugé la protection absolument inutile et la loi du 14 novembre 1850 y a rétabli la loi de frimaire an VII, substituée à son tour à celle de 1828, qui l'avait remplacée elle-même.

On est revenu dans le Luxembourg à la loi primitive. Or, les dispositions que nous proposons sont plus favorables que la loi de l'an VII.

Ni dans le Luxembourg, ni en Hollande jusqu'à présent, l'Etat n'a permis à aucune commune d'annihiler l'effet de la loi en établissant une taxe équivalente à l'impôt que la loi abandonne.

La loi a continué à subsister, non seulement en droit mais en fait,dans le Luxembourg jusqu'en 1850, en Hollande jusqu'à présent. En Belgique, il n'en a pas été ainsi; depuis un certain nombre d'années l'Etat a reconnu que le but poursuivi par le législateur de. 1828 ne réclamait pas l'usage des moyens établis alors, la protection de huit, cinq et trois ans ; il a permis que dans quatorze de nos communes, aussi bien dans les grandes villes comme Bruxelles, Gand, Anvers, que dans des communes de moindre importance comme Grivegnée qui a six mille âmes et Ensival qui n'en a que quatre mille, les exemptions de la loi de 1828 fussent anéanties en fait.

L'Etat a donc reconnu l'inutilité de ces exemptions, mais il n'a pas fait dès ce moment comme le Luxembourg qui, en 1850, les a abolies ; il s'est contenté d'en autoriser la suppression indirecte dans les communes qui la demandaient.

Il a été reconnu aussi bien en Belgique qu'en France et dans le Luxembourg, que le but du législateur de 1828 est suffisamment atteint sans le secours de la loi.

La loi est inutile. Dès lors il faut l'abroger, comme on l'a fait ailleurs.

Il y a d'autant plus de raison de l'abroger aujourd'hui que l'impôt foncier est devenu un impôt de quotité. L'impôt de répartition ne perdait rien à l'exemption ; si certaines maisons se trouvaient exemptes, c'étaient les maisons voisines qui se trouvaient un peu plus imposées.

Au contraire, depuis que l'impôt est devenu un impôt de quotité, toute matière imposable, enlevée par une exemption, est une perte sèche pour le trésor. La preuve, c'est que du chef des maisons qui sont actuellement exemptées, la loi procurera à l’Etat un bénéfice de plus de 600,000 francs, (page 1512) sans que les champs et les autres maisons aient un sou de plus à payer.

Le bon sens commande de supprimer une exemption qui n'a plus de raison d'être et qui cause une véritable perte à l'Etat dans le système d'impôt que nous avons adopté depuis quatre ans.

II semble donc qu'il n'y ait qu'a l'abroger, puisque toutes les raisons concordent pour l'abolition de la loi de 1828.

Mais (il y a toujours un mais) il se fait que, précisément, une partie de ces 14 communes en faveur desquelles l'Etat a toléré la perception d'une taxe communale équivalente à l'impôt foncier auquel il renonçait et qui se sont emparées de cette ressource, trouve dur de voir l'Etat la reprendre., Cela paraît d'autant plus dur aujourd'hui que cela était plus commode autrefois.

Mais, messieurs, ces communes peuvent-elles prétendre qu'une disposition légale, déclarée inutile par le gouvernement, soit maintenue dans 2,540 communes qui n'en retirent aucun bénéfice, pour 14 qui en profitent.

Si elles venaient nous dire : Abandonnez cette recette au profit de toutes les communes, accordez à toutes l'équivalent pendant quelques années de l'impôt foncier, des constructions qui s'élèvent sur leur territoire ; si elles nous présentaient une combinaison dans ce sens, il vaudrait la peine de discuter ; mais, assurément, si la protection est absolument inutile dans les 2,540 communes où elle est maintenue, s'il y a là un impôt qu'il est juste de percevoir et qui ne se perçoit pas, nous ne pouvons renoncer à cette perception parce que 14 communes la recueillent à leur profit.

M. d’Andrimont. - Et qui font le dixième de là population belge.

M. Jacobs, ministre des finances. - Fissent-elles la moitié de la population, il ne faut pas maintenir, en leur faveur, un système mauvais dans le pays entier.

Messieurs, comment le gouvernement a-t-il été entraîné à accorder son. autorisation à ces quatorze communes ? C'est toujours petit à petit que ces situations s'établissent.

La première autorisation fut accordée, en 1859, à la ville de Liège. Elle passa alors à peu près inaperçue. En effet, ce n'était pas précisément le cas qui nous occupe. Il ne s'agissait que d'autoriser, pour un an d'abord, une taxe de 2 p. c. sur le revenu cadastral. Il y avait à cette époque, à Liège, 20 centimes additionnels à l'impôt foncier.

Or, 2 p.c. sur l'ancien revenu cadastral, c'était précisément l'équivalent de ces 20 centimes.

La ville de Liège ne demandait pas à cette époque à s'emparer de l'impôt de l'Etat ; elle demandait à percevoir l'équivalent des centimes additionnels communaux sur toute matière imposable nouvelle qui s'établissait sur son territoire ; il ne s'agissait pas encore de profiter de l'impôt que l'Etat aurait pu établir à son profit.

Cela fut retardé jusqu'en 1863.

A cette époque, la taxe fut élevée de 2 à 10 p. c, et en même temps, les centimes additionnels de la commune de Liège furent élevés de 20 à 50 p. c.

Ces 10 p, c. se décomposent en 5 p. c, équivalent des 50 centimes additionnels communaux et 5 p. c. pris sur le revenu cadastral qui était alors d'environ 10 p. c.

On ne confisquait, en 1865, que la moitié de l'impôt à percevoir au profit de l'Etat.

L'absorption complète fut retardée jusqu'en 1868. C'est alors que la ville de Liège porta l'impôt à 12.60 p. c. ; 12.60 p. c. du nouveau revenu cadastral c'était l'ensemble des impôts perçus au profit de l'Etat, de la province et de la commune sur la généralité des constructions.

6.70 d'une part pour l'Etat, la moitié de 6.70 pour la commune, plus encore les centimes provinciaux, tolat 12.60.

Il en a été fait autant du reste par différentes communes, par Anvers notamment.

Vous voyez, messieurs, la progression ; 1859 d'abord, puis 1833, enfin 1868.

Ce ne fut pas par rapport à la ville de Liège que la question fut examinée à fond par le gouvernement.

Elle fut examinée à propos de la ville de Bruxelles.

A la fin de 1865, cette ville avait demandé l'autorisation d'établir une taxe de ce genre. La députation permanente, consultée, émit, sur le rapport de M. Fizenne, par 5 voix contre une, un avis défavorable. Elle conseilla au gouvernement de ne pas autoriser la ville de Bruxelles à percevoir cette taxe. Le ministre de l'intérieur de cette époque, l'honorable M. Vandenpeereboom, à la suite de l'avis défavorable de la députation, écrivit le 2 décembre 1865 à son collègue des finances :

« Vous remarquerez que l'avis de la députation est motivé sur cette considération que la taxe proposée tend à détruire complètement pour la capitale les effets de l'exemption accordée par la loi du 28 mars 1828.

« L'objection est évidemment fondée ; mais est-elle de nature à nécessiter un refus d'approbation ?

« C'est sur ce point que je crois devoir vous consulter avant de prendre une décision.

« Il est à remarquer que la proposition n'est qu'une nouvelle application d'un mode d'imposition déjà introduit à Liège ; cette dernière ville a été autorisée, par arrêté du 5 mars 1863, à percevoir une taxe communale de 10 p. c. du revenu cadastral des propriétés exemptées temporairement de la contribution foncière ; or, le principe est le même, l'expression de la quotité est seule différente. »

Cette question fit l'objet d'un examen attentif au département dès finances et le 29 décembre M. Frère-Orban répondit par la dépêche suivante à son collègue de l'intérieur :

« Monsieur le ministre,

« J'ai l'honneur de répondre à la dépêche que vous m'avez adressée sous la date du 2 de ce mois, concernant la délibération du conseil communal de Bruxelles, établissant une taxe locale sur les propriétés bâties qui sont temporairement exonérées de la contribution foncière en vertu de la loi du 28 mars 1828.

« L'article 88 de la loi du 3 frimaire an VII exemptait pendant trois ans de la contribution foncière les maisons, fabriques, etc., nouvellement construites.

« La loi du 28 mars 1828, dans le but d'encourager la construction de maisons ou autres bâtiments, porte cette exemption à 8, 5 ou 3 années suivant les cas.

« La ville de Bruxelles demande aujourd'hui à percevoir une taxe égale à l'ensemble des contributions dont les constructions nouvelles sont exonérées.

« La députation permanente n'a pas approuvé cette proposition, diamétralement contraire à la loi de 1828, suivant l'opinion du rapporteur, par le motif qu'elle tend à détruire complètement, pour la ville de Bruxelles, les effets de l'exemption accordée par cette loi. Cette objection vous paraît fondée ; néanmoins vous émettez des doutes, M. le ministre, sur le point de savoir si elle est de nature à nécessiter un refus d'approbation.

« Si une commune a le droit d'établir des impositions locales, elle ne peut cependant pas faire abstraction de la législation sur les impôts perçus par l'Etat, en demandant l'abrogation, à son profit exclusif, des effets d'un bénéfice qu'elle a consacré jusqu'ici, dans l'intérêt général, en faveur des constructions nouvelles. La perception d'une taxe locale, établie comme la ville de Bruxelles le propose, aurait pour conséquence de léser les droits acquis, que le législateur lui-même devrait respecter s'il jugeait à propos d'abroger la loi de 1828, et de constituer une injustice à l'égard de certains habitants qui ne contribueraient pas également aux charges locales. Les uns ne supporteraient que 25 centimes additionnels au principal de la contribution foncière, soit 0.02 33/1000 p. c., tandis que les autres verseraient dans la caisse communale le montant de l'impôt qui devrait être perçu au profit de l'Etat, de la province et de la commune, soit environ 15 p. c.

« Quelques localités (Bruxelles, Alost et Liège entre autres) ont été autorisées, il est vrai, à percevoir une certaine quotité d'impôt basée sur le revenu cadastral des propriétés bâties jouissant temporairement de l'exemption ; mais ces perceptions ne sauraient être placées sur la même ligne que la taxe qui nous occupe ; il ne s'agit pas là d'une taxe ayant pour résultat de faire supporter par les habitants de ces localités l'équivalent de l'impôt qu'il n'est pas permis à l'Etat de prélever sur les nouvelles bâtisses ; elle a seulement pour but de frapper ces dernières, qui ne figurent pas dans la matière imposable, d'une imposition à peu près égale à celle qui atteint les maisons évaluées et imposées, au moyen de centimes additionnels au principal de la contribution foncière. J'ai déjà eu l'honneur, M. le ministre, de vous faire remarquer que 1 p. c. du revenu cadastral équivaut à 10 p. c. du principal de l'impôt foncier ; ainsi, quand la ville de Liège demande 10 p. c. du revenu cadastral des propriétés exemptées temporairement de l'impôt, elle ne perçoit en définitive que l'équivalent des centimes additionnels perçus à son profit sur le revenu imposable compris dans le rôle foncier.

« Il n'y a donc pas lieu de se prévaloir des précédents consacrés par le gouvernement pour justifier la nouvelle proposition du conseil communal de Bruxelles.

(page 1513) « Mais, en principe, abstraction faite des précédents et sous réserve d'examiner les conséquences que pourrait avoir la quotité de la taxe après la révision des évaluations cadastrales, ne peut-on pas invoquer certaines considérations en faveur de la proposition qui vous est soumise ?

« La ville de Bruxelles semble avoir erronément cité la foi de 1828 à l'appui de sa demande ; cette manière de procéder a fait naître l'idée de refuser à l'autorité communale le droit d'annihiler une disposition législative et d'empêcher le gouvernement et les Chambres de décréter la perception de cet impôt au profit de la généralité.

« Cette opinion ne paraît pas fondée. Le gouvernement ne conserve-t-il pas toute sa liberté d'action ? Ne peut-il pas, avec le concours des Chambres, rapporter la loi de 1828 du jour au lendemain ? Seulement, s'il le faisait, la commune de Bruxelles perdrait instantanément cette ressource nouvelle, car il ne s'agit que d'une taxe égale à celle dont on est exonéré, ce qui rend superflue l'observation dernière du rapporteur à la députation permanente.

« Là n'est donc pas la question.

« Il s'agit de savoir si la ville de Bruxelles peut valablement décréter une taxe sur les constructions nouvelles et si le gouvernement a des motifs sérieux pour s'y opposer.

« On peut dire, en faveur de la solution affirmative de la première question, qu'il n'y a rien de contraire à l'intérêt général du royaume à ce qu'une commune décrète une taxe semblable ; c'est à elle à savoir si cette taxe lèse ou non ses intérêts particuliers.

« On peut dire, pour la solution négative de la seconde question, que la loi de 1828 s'applique au royaume entier et que son but n'en sera pas moins atteint, alors que dans quelques communes on jugera que les nouvelles constructions peuvent être soumises à une taxe locale temporaire.

« En proposant les dispositions de la loi de 1828, le gouvernement n'a eu d'ailleurs en vue que d'exonérer de son impôt ; il n'a pas voulu eh outre affranchir des taxes locales établies ou à établir.

« Lorsque avant la perception des octrois la ville percevait des droits élevés sur les matériaux de construction, on n'a jamais songé à prétendre que ces droits étaient en opposition avec la loi de 1828, et cependant ils donnaient les mêmes résultats que la taxe nouvelle.

« Il semble donc, M. le ministre, que, malgré les objections sérieuses que soulève la taxe projetée, il n'y a pas lieu de la repousser, en se bornant, d'ailleurs, à l'approuver pour une année seulement. L'an prochain, les évaluations cadastrales nouvelles seront probablement arrêtées, et, dans ce cas, pour obtenir un même produit, la quotité de l'impôt devra nécessairement être modifiée. »

Messieurs, la ville de Bruxelles fut autorisée à percevoir la taxe, mais non à ce moment-là. Je ne sais comment un retard d'une année se produisit ; une nouvelle délibération de l'administration communale de Bruxelles fut prise à la date, du 10 novembre 1866 et un arrêté royal du 16 décembre suivant l'autorisa à percevoir une taxe sur les constructions nouvelles à partir du 1er janvier 1867.

(I n'y a plus trace, dans le dossier administratif, d'une discussion sérieuse de la question à partir de cette époque.

Petit à petit 14 communes obtinrent ce que Liège et Bruxelles avaient obtenu, à concurrence de chiffres différents. De ces 14 communes la moitié environ se trouvent lésées par le projet de loi et réclament contre les articles 3 et suivants. Elles réclament contre l'abrogation de la loi de 1828, non pas en faveur des bâtisses et des bâtisseurs, mais en faveur d'elles-mêmes, en faveur de leur caisse.

Je le disais tout à l'heure, messieurs, telle que leur demande est formulée, il est impossible de l'accueillir ; il est impossible, parce que sept communes du royaume perdent le produit de cette taxe, de maintenir dans les 2.540 autres communes de la Belgique une exemption injuste et non justifiée. Une loi ne peut continuer à fonctionner dans certaines localités au profit de la commune et dans la plupart des autres au profit des particuliers.

C'est là une véritable anarchie qui ne peut continuer.

Le but des communes qui réclament n'est pas tant d'obtenir le maintien à leur profit de l'anéantissement de la loi de 1828, alors qu'elle continuerait à être en vigueur pour toutes les autres communes. cette thèse n'est pas soutenable.

Ce que voudraient ces communes, c'est qu'on leur fournît, à l'occasion du projet de loi, un dédommagement, un nouveau préciput comme celui établi en faveur des communes à octrois sur le fonds communal.

Ce qu'elles veulent, ce n'est pas le maintien d'une situation anomale ; non, c'est une indemnité, c'est de ne rien perdre, car au fond elles ne trouvent aucune raison sérieuse à opposer à la proposition du gouvernement. Elles n'ont qu'une chose à dire : « Je perds ; après les grands travaux que j'ai entrepris, il ne m'est pas possible de subir la perte considérable que je subirai par suite du retrait de la taxe. »

Messieurs, ces communes n'ont jamais pu croire que c'était là une situation définitive. Chaque année, le gouvernement a autorisé la perception annuelle de cette taxe ; mais il s'est réservé expressément le droit de retirer la loi de 1828 quand il le jugerait convenable et de faire tomber ainsi le profit que les communes retirent momentanément de cette taxe.

Ces communes font valoir que leurs finances seront embarrassées et qu'il leur sera malaisé de pourvoir au déficit.

Je laisse momentanément de côté les quatre grandes villes de la Belgique ; on ne peut prétendre que les dix autres communes qui ont obtenu la faculté de percevoir la taxe vont se trouver embarrassées s'il n'y a plus moyen pour elles de la percevoir.

Cette taxe n'existe ni à Bruges, ni à Malines, ni à Alost, ni à Courtrai, ni à Ypres, ni à Saint-Nicolas, ni à Tournai, ni à Hasselt, ni à Arlon, ni à Ixelles, ni à Saint-Josse-ten-Noode, ni dans une foule d'autres communes de second ordre ; elle existe à Ostende, à Saint-Gilles, à Schaerbeek, à Louvain, à Namur, à Verviers, à Mons, à Seraing, à Grivegnée, à Ensival, c'est-à-dire dans dix communes du même ordre, dans des communes secondaires. Si les premières sont parvenues à équilibrer leurs recettes et leurs dépenses sans cette taxe, les secondes le pourront, également.

Il y a des communes où l'on n'a pas établi la taxe sur les constructions nouvelles, et où l'on a créé une taxe sur les trottoirs ou une taxe sur les façades. Les villes qui réclament pourront établir une taxe de ce genre pour remplacer la taxe actuelle.

On vient de parler de la commune de Schaerbeek ; cette commune, nous dit-on, est disposée à renoncer à la taxe sur les façades, elle a l'intention d'y substituer un jour la taxe équivalente à l'impôt foncier. Eh bien, messieurs, elle se bornera à renoncer à cette transposition, et les communes qui ont préféré la taxe équivalente au foncier l'échangeront contre la taxe des façades usitée dans d'autres villes de même rang.

Il n'est pas possible de soutenir que ce qui est praticable pour des localités telles que Bruges, Malines, Saint-Josse-ten-Noode, Ixelles, etc., ne l'est pas pour les autres communes ; il n'est pas possible de soutenir qu'on ne puisse pas établir dans ces communes un système de taxes analogue à celui qui existe à Bruges, à Malines, à Tournai, dans le plus grand nombre de villes de second ordre. La question ne présente donc de difficultés que pour les grandes communes, et comme l'heure est déjà très avancée, je demanderai à la Chambre de n'aborder cet ordre d'idées que dans la séance de demain.

- La séance est levée à 5 heures.