(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.-
(page 1471) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Borchgrave donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Hannut prient la Chambre de rejeter les augmentations de l'impôt foncier proposées par le gouvernement. »
« Même demande d'habitants de Héron, Baisy-Thy, Huy, Perwez, Ittre, Villers-le-Peuplier, Momalle, Amay, Bierges, Bousval, Ramet, Hollogne-sur-Geer, Fise-le-Marsal, Nivelles, Ville-en-Hesbaye et de communes non dénommées. »
-- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi apportant des modifications aux lois d'impôts.
« Les membres du conseil communal de Ramscappelle demandent l'exécution de travaux pour mettre cette commune à l'abri des inondations. »
« Même demande des membres des conseils communaux de Saint-Jacques-Cappelle, Wulpen, Pervyse, Fumes et Caeskerke. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.
« Le sieur De Vos prie la Chambre de décider que l'emprunt de 50 millions, proposé par le gouvernement, sera remboursé dans les vingt-cinq ans. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi d'emprunt.
« Des habitants de Rumbeke demandent que la langue flamande soit, en tout, mise sur le même rang que la langue française ? »
« Même demande d'habitants de Louvain et de Gand. »
- Dépôt sur le-bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions identiques.
« Des habitants de Warquignies prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur la chasse. »
« Même demande d'habitants de Baudour, Blaton, Blaugies et Petit-Dour, Casteau, Harchies, Havre, Jemmapes, Maisières, Mons, Nimy, Pâturages, Sars-la-Bruyère, Stambruges, Ville-Pommerœul et Wasmes. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Des habitants de Huy demandent le maintien des tarifs actuels pour le transport des voyageurs sur les chemins de fer de l'Etat. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Derkenne, Macors et certains membres du comité Avroy-Louvrex-Guillemins, à Liège, appellent l'attention de la Chambre sur les principaux documents concernant l'affaire des affaissements du sol survenus dans cette ville. »
- Même décision.
« Le sieur De Vos demande que le ministre des travaux publics étudie la question de cartes-correspondances à 2 centimes. »
- Même décision.
« Les sieurs Pulinck, Vollen et Bolhy demandent que le chemin de fer à construire de Tirlemont à Diest passe par Oplinter, Neerlinter, Budingen, etc., et prient la Chambre d'adopter les augmentations de l'impôt foncier proposées par le gouvernement. »
(page 1472) - Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions concernant le chemin de fer de Tirlemont à Diest et pendant celle du projet de loi qui apporte des modifications aux lois d'impôts.
« Des habitants d'une commune non dénommée prient la Chambre de prendre des mesures pour empêcher que les cimetières catholiques ne soient l'objet de profanations. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur une pétition relative au même objet.
« Les membres du conseil communal et des habitants de Kersbeek-Miscom présentent des observations en faveur du chemin de fer de Tirlemont à Diest par la vallée de la Velpe. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même chemin de fer.
« Des habitants de Cortenaeken demandent que le chemin de fer à construire de Tirlemont à Diest passe par cette commune. »
- Même décision.
« Des marchands de chiffons prient la Chambre de rétablir sur les chiffons un droit de sortie d'au moins 5 francs par 100 kilogrammes.
« Des fabricants de papier demandent aussi le rétablissement d'un droit sur la sortie des chiffons. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
M. Snoy. - Je demande qu'un prompt rapport soit présenté sur ces pétitions.
M. Bergé. - Je m'associe à cette proposition ; il est indispensable que cet objet soit discuté et résolu avant la clôture de la présente session.
M. de Macar. - J'appuie également la proposition. Il est urgent qu'une décision intervienne.
- La proposition de M. Snoy est adoptée.
« Le sieur Frédéric Gisler, chef de la division du contrôle à la cour des comptes, demande la place de conseiller vacante à cette cour. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« M. Couvreur, obligé de s'absenter pour affaires, demande un congé d'une dizaine de jours. »
- Accordé.
« M. Van Overloop, obligé de s'absenter, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
*« MM. Van Cromphaut et Pety de Thozée demandent un congé d'un jour. »
- Accordés.
M. Brasseur. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale sur la modification des bases de liquidation du minimum d'intérêt accordé aux compagnies exploitant les chemins de fer de la Flandre occidentale et de Lierre à Turnhout.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. Frère-Orban (pour une motion d’ordre). - Messieurs, quand j'ai demandé en particulier, il y a une quinzaine de jours, à M. le ministre de l'intérieur s'il lui convenait de fixer, au jour que je lui indiquais, l'interpellation que je me proposais de lui adresser au sujet de l'affaire de Rochefort, l'honorable ministre m'a dit que l'intention du gouvernement était de s'opposer à la fixation d'un jour avant la clôture de la discussion du budget des travaux publics. Je me suis rendu au désir exprimé par M. le ministre de l'intérieur-. Le budget des travaux publics étant maintenant voté, je demande à l'honorable ministre s'il entre dans ses convenances de fixer cette interpellation à mardi prochain, après la nomination d'un membre de la cour des comptes ? Il me serait agréable que l'interpellation eût lieu ce jour-là.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, les mêmes motifs qui m'ont porté à engager l'honorable M. Frère-Orban, à ne point présenter son interpellation pendant la discussion du budget des travaux publics, existent pour le projet de loi non moins important qui est maintenant à l'ordre du jour. Je demanderai donc que l'honorable membre veuille bien remettre cette interpellation jusqu'après le vote de la loi dont la Chambre est saisie.
M. Frère-Orban. - J'y consens bien volontiers, mais il est bien entendu que si le projet de loi est voté avant mardi prochain, l'interpellation n'aura lieu que ce jour-là. Je serai peut-être dans le cas de m'absenter.
- L'interpellation, de M. Frère-Orban aura lieu après le vote du projet de loi modifiant les lois d'impôts, sous la réserve qu'elle n'aura pas lieu, le cas échéant, avant mardi prochain.
M. le président. - La parole est continuée à M. Le Hardy de Beaulieu.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, j'ai terminé vendredi la première partie de mon discours en exprimant le regret que M. le ministre des finances, arrivé récemment à la tête de son département, n'ait pas cherché, dans la loi qui nous est proposée, à alléger les charges qui pèsent sur les classes les plus nombreuses de la société et qu'il se soit cru en quelque sorte obligé de suivre les vieilles routines administratives.
Je faisais valoir, pour motiver ce regret, l'immensité des charges qui pèsent sur la classe laborieuse et j'étais arrivé, en répartissant le produit total des impôts perçus en Belgique d'une façon qui me paraît raisonnable, entre les diverses classes de la société, à démontrer que le minimum qui pèse sur le chef de famille dans la classe la plus nombreuse du pays, s'élève à 140 francs par an.
Si l'on parvenait à démontrer que ce classement n'est pas exact, il n'en résulterait qu'une chose : c'est que, comme les taxes doivent être payées et sont payées effectivement, il faudrait charger les autres classes. Tout ce qu'une classe paye en moins est nécessairement reporté sur les classes voisines, puisque les 200 millions d'impôts qui sont prélevés chaque année par l'Etat, par les provinces et par les communes sont nécessairement payés et vont en grossissant sans cesse.
Messieurs, pour les classes ouvrières l'impôt se traduit, il est vrai, en argent, il entre dans le prix des choses. Mais comme elles ne reçoivent de l'argent que par le travail, l'impôt se traduit aussi en journées de travail.
Chaque aggravation de charges que l'on fait peser sur l'ouvrier exige de lui une ou plusieurs journées de travail en plus, qu'il ne peut consacrer à l'amélioration de son sort et de celui de sa famille.
Vous comprenez, messieurs, par ce simple exposé, combien légitimes étaient les préoccupations des financiers anglais, il y a un quart de siècle déjà, lorsqu'ils ont reconnu la nécessité de réformer les impôts, et lorsqu'ils se sont attachés à faire disparaître ceux des impôts qui frappaient le plus directement la classe la plus nombreuse de la société.
Il a été donné à l'Angleterre cette heureuse chance qu'un homme éminent devenu chef du parti conservateur, ait entrepris la lâche de faire ces réformes et se soit approprié les idées émises dans une campagne qui est restée célèbre, la campagne de l’anticorn league, contre la loi des céréales.
Depuis cette première réforme, qui mettait le pain à la portée de l'ouvrier, tous les ministres anglais, au moins tous ceux qui se sont succédé au ministère des finances, se sont appliqués à tirer les conséquences du principe posé et de ce premier pas fait dans la pratique, car depuis cette époque jusqu'aujourd'hui, plus de six cents millions d'impôts annuels, qui pesaient autrefois sur les classes les plus nombreuses de la société, ont été dégrevés ou supprimés, et dans cette dernière session, le ministre actuel des finances ayant eu un instant la velléité d'établir un impôt sur les allumettes chimiques qui eût fait peser sur les classes ouvrières une partie des nouvelles dépenses que le gouvernement anglais croit devoir faire pour la réorganisation de l'armée, l'opposition à cet impôt, qui était, en quelque sorte, un retour vers le passé, l'opposition a été tellement vive, tellement énergique, qu'il a fallu chercher ailleurs les ressources nécessaires pour le budget de l'année 1871-1872.
J'aurais voulu, messieurs, que l'honorable ministre des finances, s'inspirant de cet exemple, fût venu proposer autre chose qu'un simple transfert d'impôts, transfert qui, en définitive, se traduit par une aggravation de 5 p. c. sur tous les impôts directs. J'aurais voulu qu'il s'appliquât à rechercher par quels moyens les financiers de l'Angleterre comme ceux de l'Amérique parvenaient à exonérer d'impôts trop lourds les classes qui vivent de leur travail.
Si nous étions entrés dans la voie de l'étude et de l'enquête, si nous n'avions pas peur des enquêtes, il est probable que la Chambre, avant d'accepter une réforme d'impôts quelconque, aurait ordonné un examen sérieux et minutieux de la question ; la Chambre se serait renseignée par elle-même des conditions réelles des contribuables. A défaut d'une enquête faite par la Chambre, chacun de nous doit se livrer a une enquête particulière ; c'est ce que j'ai fait, pour ma part, et c'est le résultat de mes recherches que je demande à la Chambre la permission de lui exposer.
En Angleterre autrefois les impôts étaient basés en grande partie sur les (page 1473) objets de consommation et c'est sur ce point qu'ont principalement porté les réformes faites depuis vingt-cinq ans.
On comprend que l'homme, étant oblige de vivre, doit nécessairement se soumettre à ces impôts qui grèvent les choses indispensables, et, en les dégrevant, on allège naturellement les charges qui pèsent sur les populations ; mais comme les besoins du trésor sont plus ou moins invariables, que ses charges sont impérieuses, et qu'il faut suffire aux services publics, il a fallu remplacer ces impôts par d'autres, et c'est là que commence la difficulté.
Tant qu'il ne s'agit que de remettre des impôts, tâche très facile, ce n'est rien. Mais, lorsqu'il s'agit de substituer un impôt à un autre, la difficulté apparaît. Le cas s'est présenté pour l'Angleterre comme il pourrait se présenter pour la Belgique. Robert Peel connaissait la difficulté ; il savait que le parti auquel il appartenait résisterait énergiquement à un transfert de l'impôt d'une classe sur l'autre et c'est là qu'il a montré toute la puissance de sa logique et de son éloquence, car il a su faire comprendre au parti conservateur, la classe gouvernante, qu'il était indispensable, pour son propre salut, pour sa propre sécurité, de prendre à sa charge une partie des impôts dont on allait dégrever les classes populaires. Il a établi l'impôt sur le revenu. C'est Robert Peel qui, le premier, après qu'on l’eut employé au commencement du siècle pour subvenir aux frais de la guerre contre la France, a fait revivre l'impôt sur le revenu. Depuis lors, cet impôt est devenu en Angleterre la ressource variable fixée annuellement, et à laquelle on a recours pour combler les besoins variables du trésor.
J'aurais voulu que M. le ministre des finances de Belgique examinât s'il n'y aurait rien à faire dans cette voie. Pourquoi certains revenus, pourquoi certains capitaux très productifs ne seraient-ils pas chargés d'une partie des impôts publics ?
Pourquoi ne contribueraient-ils pas à subvenir aux besoins de l'Etat comme le travail lui-même ? Pourquoi est-ce toujours le travail qui doit payer ?
Voyons un peu, messieurs, jusqu'où l'on va vis-à-vis du travail ; plaçons-nous en présence des exigences du trésor vis-à-vis du travail et comparons-les à ses exigences vis-à-vis des capitaux. Aux chefs des familles de travailleurs vous demandez une moyenne de 140 francs par an, c'est-à-dire, si une journée de travail est à 2 francs, 70 journées de travail par an.
Admettons que cela puisse être diminué un peu à force de privations et d'économies, vous ne pourrez jamais le diminuer beaucoup ; cela fait de suite 15 ou 20 p. c. alors que vous ne demandez rien, absolument rien aux revenus produits par les capitaux.
Est-ce de la justice ? Est-ce même de la prévoyance ? Je vous ai cité, messieurs, la phrase de Turgot qui dit qu'il suffit de hausser quelque peu les eaux pour ravir à l'agriculture des plaines immenses ; eh bien, il suffit de hausser quelque peu les impôts de ces couches de la société pour y apporter le trouble et la misère sur une très vaste échelle tandis qu'une diminution y apporterait le bien-être et l'aisance. Pourquoi ne pas porter ses études en ce sens ?
Pourquoi ne pas chercher à frapper d'une autre façon le revenu net et réel des citoyens ?
C'est là, me parait-il, la tâche qu'un ministre des finances devait s'imposer, Il a tous les éléments d'appréciation et de calcul ; il a à sa disposition une nombreuse administration dont il peut demander le concours et le travail.
Nous, simples membres de cette Chambre, nous n'avons aucun de ces éléments à notre disposition. Nous ne pouvons donner que des aperçus, que des appréciations qui ne sont qu'approximatives.
Notez, messieurs, que lorsque les charges qui pèsent sur les classes laborieuses sont très élevées, les effets s'en font immédiatement sentir sur le travail.
Il est impossible à l'industrie d'un pays dont les ouvriers sont surchargés d'impôts de lutter contre les industries d'autres pays où les travailleurs ne seraient pas soumis aux mêmes charges.
Or, que voyons-nous dans ce moment-ci ?
Nous voyons les Etats-Unis se soumettre momentanément aux impôts qu'ils n'auraient certainement pas supportés en d'autres circonstances, dans le but spécial et bien arrêté de rembourser le plus tôt possible leurs dettes.
Une fois leur dette remboursée, ces Etats qui ont tant de ressources, où le gouvernement est extrêmement économique, où il n'y a pas de charges militaires, vont se trouver complètement dégrevés et libres dans leurs allures.
Je demande à l'industrie de l'Europe ce qu'elle fera pour lutter avec le travail américain, d'ici à vingt ans, quand la dette sera éteinte ?
Que faisons-nous, au contraire ? Nous augmentons constamment toutes les charges publiques.
Depuis que je suis dans cette Chambre, on a déjà voté trois emprunts ; et cela en pleine paix, en temps de prospérité incontestée.
Nos charges militaires, vous savez ce qu'elles sont, vous savez ce qu'elles vont devenir. Vous allez charger de plus en plus les populations de ce fardeau si lourd.
La classe ouvrière, qui supporte déjà tant d'impôts, devra fournir de nouveaux contingents pour grossir notre armée.
Je demande, messieurs, que vous portiez très sérieusement votre attention sur ce point, car c'est l'avenir que nous préparons quand nous votons ici les lois d'impôt.
Si nous frappons le peuple de charges qu'il ne peut supporter, le peuple devra faire ce qu'il a fait en Irlande et en Allemagne ; il devra émigrer.
Depuis trente ou quarante ans, un tiers de la population a émigré de l'Irlande ; chaque année, des centaines de mille Allemands vont chercher dans d'autres pays des conditions meilleures d'existence, et vous savez comment ils les trouvent de l'autre côté de l'Atlantique. Jusqu'ici, nos populations n'ont donné presque aucun contingent à l'émigration ; mais si on leur demande une part plus grande de leur salaire pour alimenter le trésor, si même on ne cherchait pas les moyens de les soulager d'une façon efficace, avec une année comme celle qui se présente il ne serait pas impossible que l'émigration se produisît dans de très grandes proportions. Et, messieurs, remarquez-le, l'émigration aura ses conséquences ; elle produira l'augmentation du prix de la main-d'œuvre, et l'augmentation du prix de la main-d'œuvre agira sur l'industrie exactement comme de nouveaux impôts.
J'invite les industriels et tous ceux qui emploient de nombreux ouvriers à réfléchir à ces conséquences et à bien se pénétrer de la nécessité, dans leur propre intérêt, d'aviser promptement au soulagement des classes laborieuses.
Messieurs, j'ai lu, dans ces derniers temps, un rapport extrêmement remarquable, que je recommande à l'attention de l'honorable ministre des finances, c'est le rapport du commissaire des finances des Etats-Unis, l'honorable M. D. Wells, sur l'action directe des impôts sur le travail et l'industrie. Ce fonctionnaire, après avoir réuni tous les éléments de son travail aux Etats-Unis, a traversé l'Atlantique pour examiner si ce travail ne présentait pas quelques lacunes, et il a constaté que tous les faits qu'il y avait consignés se vérifiaient en Europe.
Or, ils signalent comme un des résultats des impôts qui ont été établis aux Etats-Unis, à la suite de la guerre de la sécession, la disparition complète, radicale de plusieurs grandes industries qui autrefois étaient prospères, qui donnaient du travail et de l'aisance à de nombreuses populations. Parmi ces industries, je citerai la construction des navires ; autrefois les Etats-Unis fournissaient de navires de toutes les classes on pourrait dire le monde entier ; nulle part on ne pouvait construire à meilleur marché ni meilleur ; aujourd'hui, par suite des impôts qui ont été établis sur les matières premières, cette construction est devenue impossible.
En effet, un bateau à vapeur, avant d'être complètement armé, doit acquitter en taxes diverses, au trésor, de 100,000 à 200,000 francs. On ne peut donc plus lutter avec les ateliers de construction qui sont placés dans de meilleures conditions.
La cordonnerie est exactement dans le même cas. Autrefois, les Etats-Unis avaient des établissements de cordonnerie qui avaient d'immenses débouchés, même en Europe ; c'était par cargaisons qu'ils envoyaient des chaussures, en Angleterre et jusqu'en France, malgré les droits protecteurs. Aujourd'hui, c'est le contraire qui a lieu : cette industrie est complètement annihilée et c'est l'importation qui fournit des chaussures à une grande partie des populations américaines.
La fabrication de meubles légers était portée autrefois à une très grande perfection aux Etats-Unis : on en exportait par millions chaque année. Aujourd'hui cette industrie est complètement détruite.
Je pourrais allonger beaucoup cette liste ; mais ce que je viens de dire suffit à montrer que l'impôt a une action directe, immédiate, lorsqu'il est poussé trop loin, sur le travail national.
Messieurs, ayant examiné toutes ces choses et ayant cru, malgré l'ennui qu'elles peuvent causer, devoir vous les communiquer, je me suis demandé s'il n'y avait rien à faire ; si nous devions patiemment supporter les taxes existantes et celles qui sont proposées, sans au moins essayer de les améliorer, ou si nous devions attendre de l'administration seule l'amélioration de nos moyens financiers.
Je me suis dit, messieurs, que la constitution comme la nature même des choses exigent que nous fassions nous-mêmes, à défaut du page 1474) gouvernement, des efforts sérieux pour améliorer notre système financier.
J'ai donc examiné le budget des voies et moyens, et je me suis demandé par quels moyens on pourrait arriver à soulager les classes les plus nombreuses de la société, non pas dans la mesure du possible, mais dans la mesure des exigences gouvernementales actuelles, c'est-à-dire sans diminuer les ressources sur lesquelles compte le Trésor.
Car, si je suivais mon sentiment personnel, c'est surtout par la diminution des dépenses que je chercherais à améliorer notre situation financière. (Interruption.)
Mais, dans l'état actuel de la question, à l'époque actuelle de la session, Je ne pense pas qu'il soit possible de parler de diminuer les dépenses puisqu'elles sont votées et que les budgets pour l'année prochaine ne nous sont pas encore soumis. Le moment viendra alors ; mais puisqu'on nous propose de modifier des impôts, puisqu'on nous propose des transferts d'impôts, je me suis demandé s'il n'y aurait pas d'autres modifications à y apporter et, entre autres, celles que j'ai essayé de vous exposer.
Messieurs, dans le but d'arriver au résultat que je cherche et afin de faire comprendre, d'une manière plus positive, les théories que je viens d'émettre, j'ai rédigé un amendement qui renferme la mise en pratique du discours que vous venez d'entendre. Cet amendement est ainsi conçu :
« L'impôt foncier, à partir du 1er janvier 1872, est réduit à 6 p. c. du revenu cadastral imposable.
« L'impôt personnel est établi sur le revenu imposable des propriétés bâties habitées. Il est provisoirement fixé à 10 p. c. de ce revenu. Toutes les taxes spéciales qui composent aujourd'hui cet impôt, telles que portes, fenêtres, foyers, mobilier, domestiques, chevaux, etc., sont supprimées.
« L'impôt des patentes est supprimé à partir de la même date ainsi que celui des redevances sur les mines.
« Il est établi, en remplacement de ces impôts supprimés ou réduits, un impôt sur le revenu qui ne pourra dépasser trois pour cent de tous les revenus nets dépassant douze cents francs par an, qu'ils soient le produit des capitaux ou du travail ou de ces deux éléments combinés.
« Le revenu foncier qui a payé l'impôt n'est pas sujet à double taxe.
« L'impôt sur la fabrication de la bière est réduit de 50 p. c.
« Les taxes sur les sucres de canne et de betterave sont réduits de 15 p. c.
« L'accise sur les eaux-de-vie étrangères et indigènes ainsi que sur les vins est majorée de 50 p. c.
« Le droit de débit de boissons distillées est remplacé par une licence variable. d'après l'importance des localités et des établissements ; le taux actuel pourra être doublé.
« Le droit de débit de tabac est porté au double. »
Messieurs, voici les conséquences financières calculées d'après le budget de 1870 ; je vais me servir de chiffres ronds pour ne pas allonger le débat [successivement : en francs : produit actuel - produit après amendement]
Foncier : 19,000,000 – 17,000,000
Personnel : 12,000,000 – 10,000,000
Patentes : 4,400,000 – 0
Débit de boissons (licences) : 1,500,0000 – 2,500,000
Débit de tabacs : 245,000 – 400,000
Eaux-de-vie indigène et étrangères : 9,300,000 – 12,500,000
Bières et vinaigres : 9,150,000 – 6,500,000
Sucres : 3,600,000 – 2,900,000
Impôt sur le revenu : 0 – 6,195,000
Total : 61,495,000 – 61,495,000
Je reste donc, non pas dans mes idées, mais dans celles de M. le ministre des finances, dans le courant des idées fiscales actuelles ; d'après mon amendement, je conserve ses recettes intactes.
Si j'avais à proposer un amendement qui eût quelque chance de réussir, je déclare nettement que je serais beaucoup plus radical, c'est-à-dire que je réduirais la dépense d'une vingtaine de millions et des impôts pour le même chiffre. Mais comme je vous l'ai expliqué, je me suis placé à un autre point de vue ; je consens, pour le moment, à maintenir la recette telle qu'elle est.
Maintenant, messieurs, si vous le permettez, je donnerai quelques explications sur les motifs qui m'ont engagé à réduire certains impôts et à en supprimer d'autres.
Pourquoi réduire l’impôt foncier ? On y est [un mot illisible] il se paye facilement sans perte ; on prétend même que cet impôt, personne ne le paye plus, puisqu’il est déduit du prix des immeubles et entre en déduction de la rente.
Messieurs, d'autres orateurs avant moi vous ont démontré d'une façon très claire que l'industrie agricole est sujette à des accidents graves, inattendus, considérables ; il me semble donc impossible de frapper cette industrie seule, pour ainsi dire, en élevant l'impôt foncier de 6.70 à 7 p. c. Si la taxe dont M. le ministre des finances propose l'établissement est adoptée, ce seront les cultivateurs qui payeront l'entièreté des impôts, parce que les propriétaires font aujourd'hui les baux de façon à s'exonérer complètement du payement de l'impôt. Ce n'est que lors du renouvellement des baux qu'il pourra en être tenu compte.
Je crois donc, messieurs, qu'en allégeant l'agriculture de 2 millions par an, on ne ferait que jeter en quelque sorte un baume bien faible sur ses blessures.
Messieurs, je pourrais presque dire de l'impôt personnel tout ce que je viens de dire de l'agriculture. L'impôt personnel est payé, il est vrai, en partie par les villes ; mais il est payé dans une forte proportion également dans les campagnes et par les campagnes.
La population agricole est quatre fois aussi nombreuse que la population des villes et elle supporte sa bonne et large part dans tous les impôts et dans toutes les charges, y compris l'impôt personnel.
Je trouve du reste que l'impôt personnel établi, comme il l'est aujourd’hui, sur différentes bases : des portes, des fenêtres, des foyers, des domestiques et une certaine proportion du revenu foncier, prête à la fraude. Les gros passent à travers les mailles en les brisant quelquefois. Les petits seuls y laissent toutes leurs plumes.
Le système qui consiste à établir l'impôt personnel, comme il l'est en Angleterre et aux Etats-Unis, sur le revenu foncier cadastral, réel, établi administrativement, me paraît beaucoup plus juste. Si 10 p. c. forment un taux trop élevé, on réduira à 9, à 8, à 7, au taux nécessaire pour produire la somme dont l'Etat a besoin, tandis qu'aujourd'hui l'arbitraire le plus grand règne dans la répartition de cet impôt, et c'est la source de beaucoup de conflits ; ce n'est que parce qu'on y est habitué, qu'on se soumet à cet impôt.
Messieurs, je propose de supprimer radicalement l'impôt des patentes.
Après la razzia faite autrefois par les Turcs sur les populations qui leur étaient soumises, je ne connais pas d'impôt, plus foncièrement injuste que la patente ; vous imposez de même celui qui fait fortune et celui qui se ruine.
Le même commerce qui peut donner l'aisance et la prospérité aux uns, ruine les autres.
Cependant vous les soumettez exactement aux mêmes impôts, aux mêmes charges. C'est là une profonde injustice.
L'impôt des patentes est un impôt qui agit exactement comme si vous vouliez percevoir l'impôt foncier sur la semence, comme si vous disiez au fermier près d'ensemencer son champ : Je vais prendre une partie de vos semences pour l'Etat. Vous feriez une mauvaise opération tant au point de vue de l'Etat que de la société et du fermier.
L'impôt des patentes est absolument la même chose. Vous demandez au négociant, à l'industriel, au fabricant, la semence avec laquelle il devrait alimenter son travail, son commerce, son industrie.
Il vaut beaucoup mieux, s'il réalise des bénéfices, qu'il paye un impôt sur le revenu réalisé.
Là, il y a justice, parce que vous demandez l'impôt au profit et non à la perte.
Vous le demandez également au revenu industriel, au revenu commercial, au revenu du travail.
L'honorable M. Vleminckx, vendredi dernier, a justifié complètement, ce me semble, le maintien du droit sur les débits de boissons. Je ne tiens pas, pour ma part, à ce que cet impôt puisse servir à faire des électeurs ; j'aimerais mieux qu'on devînt électeur sans payer d'impôt, à raison de sa capacité électorale ; je ne tiens donc pas à ce que les cabaretiers soient faits électeurs par une taxe spéciale et particulière, mais je tiens beaucoup à ce que les débits de boissons restent fortement imposés. Il y a déjà trop de cabarets.
Un bon établissement bien achalandé ne pousse pas à la dépense, ce sont les pauvres cabarets qui y poussent. Qu'on fasse une échelle proportionnelle à la population de chaque commune, qu'on fasse payer plus aux grandes villes qu'aux petites, plus aux petites villes qu'aux communes rurales, plus aux communes industrielles qu'aux communes purement agricoles ; je laisse cette tâche aux soins de l'administration, mais je (page 1475) crois qu'il serait mauvais, financièrement et moralement parlant, de supprimer l’impôt sur les débits de boissons.
Je dirai la même chose des débits de tabac. Chez nous, nous n'avons heureusement pas la régie, le commerce des tabacs est libre ; mais ce commerce, quoiqu'il soit, au point de vue moral, inoffensif, au point de vue de la santé publique, il n'est pas ce qu'il y a de meilleur. La consommation des tabacs n'est pas de celles qu'il faille encourager, et je crois que le législateur doit plutôt chercher à la réduire. Je propose donc de doubler le droit sur les débits de tabac.
Messieurs, je suis conséquent avec moi-même et je resterai conséquent aussi longtemps que je ferai partie de cette assemblée. Je propose donc de réduire de moitié l'impôt sur la bière, parce que la bière est une boisson salubre, fortifiante et que, dès lors, il faut se garder d'en restreindre la consommation et de pousser par cela même à la consommation du genièvre, qui est une boisson énervante, débilitante et démoralisante.
Eh bien, messieurs, je propose de faire l'inverse de ce qui se fait, de diminuer le droit sur la bière et d'augmenter le droit sur le genièvre tout en augmentant le droit de débit. Si nous ne parvenons pas à mettre un frein à l'ivrognerie, au moins nous aurons fait ce que nous aurons pu faire, nous aurons mis votre conscience à couvert et nous n'aurons pas de reproche à nous faire.
Quant à l'impôt sur les vins, je propose de l'augmenter, parce que le vin est la boisson des riches et qu'il est quelquefois aussi énervant, aussi démoralisant que le genièvre ; que ceux donc qui boivent du vin prennent une part plus grande aux charges de l'Etat.
Je propose, messieurs, non pas dans la mesure que je crois utile ou nécessaire, mais dans une certaine mesure, la diminution des droits qui frappent le sucre.
Je regrette que l'honorable M. Vleminckx ne soit pas ici. Je suis certain qu'il ne me démentirait pas lorsque je dis que le sucre contient le principe des eaux-de-vie et que la consommation du sucre diminue celle des eaux-de-vie.
Frapper d'un droit de 45 francs une matière utile, je dirai même nécessaire à la santé, à l'hygiène, et qui ne vaut que 20 à 25 francs, c'est beaucoup trop.
En Angleterre et aux Etats-Unis, on a réduit considérablement le droit ; depuis lors, la consommation du sucre a plus que quintuplé ; il est entré dans la consommation du peuple d'une façon inespérée et l'influence bienfaisante s'en est fait sentir.
Le. sucre est, en outre, un article de grand commerce et d'échange, et si les relations avec les colonies prenaient plus d'extension, le sucre servirait de base à des échanges nombreux et fructueux avec l'étranger.
Je n'ai pas besoin de dire combien la consommation du sucre est utile à l'agriculture.
J'ai pu constater, depuis que nous avons une sucrerie dans nos environs, combien les procédés agricoles se sont améliorés et les heureux résultats que l'on est parvenu à en retirer dans certains sols qui, autrefois, paraissaient rétifs aux améliorations.
Le sucre, si on l'envisage au point de vue du commerce avec l'étranger, au point de vue de la production agricole, au point de vue de la salubrité publique, au point de vue de la généralisation de son emploi par les classes les plus nombreuses de la société, mérite toute notre attention.
L'impôt sur le revenu, auquel je demande de compenser la différence qui doit résulter des réductions que je viens d'indiquer, devrait produire 6,195,000 francs pour établir la balance.
Si j'avais possédé les éléments nécessaires pour établir d'une façon exacte quels sont les revenus au delà de 1,200 francs, je vous dirais immédiatement quelle quotité il faut demander par 100 francs de revenu pour obtenir cette somme.
Est-ce 30, 50, 60 centimes ou plus par 100 francs ?
Je déclare humblement, mais sincèrement, que je n'en sais absolument rien.
Je commencerai d'abord par vous dire pourquoi je pense que les revenus inférieurs à 1,200 francs ne doivent pas être imposés ; c'est que, d'après moi, ces revenus sont de véritables salaires ; toute personne qui ne reçoit pas 1,200 francs par an est, en quelque sorte, un salarié ; beaucoup d'ouvriers ont un revenu plus élevé par leur travail, mais la masse reste en dessous.
Or ne voulant pas charger les classes travailleuses, croyant, au contraire, qu'il faut réduire les charges qui les frappent actuellement, je ne pouvais pas proposer d'établir un impôt sur le salaire. Les revenus supérieurs à 1,200 francs constituent pour ceux qui les possèdent un avoir réel et si on demandait à ceux-là de contribuer aux charges de l'Etat pour 4, 5 ou 6 francs, on ne leur demanderait certes pas trop, puisqu'on demande de 30 à 40 francs à ceux qui ont un revenu foncier de même importance. Il n'y a donc là aucune espèce d'injustice ; au contraire, j'y vois le moyen de rétablir la justice qui est aujourd'hui méconnue par notre système d'impôts.
Lorsque je disais tantôt que si j'avais suivi mes propres idées j'aurais proposé d'autres modifications à notre système d'impôts, mes voisins ont témoigné le désir de savoir ce que je voudrais mettre à la place de ce qui existe.
Vous avez tous, messieurs, le droit de connaître le fond de ma pensée et mon devoir est de vous la soumettre. Je déclare que je n'ai pas à hésiter même un instant à vous la dire tout entière.
Dans la prévision que la question me serait posée, j'avais minuté d'avance un projet de budget d'après ces idées.
En voici le cadre :
Je demanderais les réductions suivantes à notre budget des dépense», provisoirement, car je crois qu'on pourra aller beaucoup plus loin avec le temps. Sur le budget de la guerre 16 millions, suc les autres budgets 6,500,000 francs, total 22,500,000 francs. Et j'ajouterais au budget de l'instruction publique 2 millions, au budget des sciences et des arts 500,000 francs ; différence entre le plus et le moins 20 millions.
Voici sur quels impôts je répartirais les réductions possibles par suite de ces diminutions possibles :
Sur le foncier fr. 2,000,000
le personnel fr. 2,000,000
la patente fr. 4,400,000
les redevances des mines fr. 450,000
les douanes fr. 5,000,000
les bières et vinaigres fr. 4,500.000
les sucres et glucoses fr. 2,000,000
l'enregistrement, fr. 4,750,000
les hypothèques, fr. 400,000
le timbre, fr. 1,000,000
Total, fr. 26,500,000
J'aurais donc un déficit de 6,500,000 francs que je comblerais par les ressources suivantes : Débits de boissons distillées, augmentation fr. 1,000,000
Débit de tabacs, id. fr. 700,000
Vins de luxe et autres, id. fr. 1,000.000
Eaux-de-vie étrangères, id. fr. 3,800,000
Il resterait à la disposition du trésor pour lui demander ce qui serait nécessaire, soit pour diminuer la dette, soit pour la rembourser dans un délai plus court, l'impôt sur le revenu. Mais, d'après moi, ce serait une ressource qui ne serait employée que lorsqu'il y aurait des nécessités bien démontrées. Comme en Angleterre, je ne l'emploierais que lorsque la politique des classes gouvernantes aurait amené la nécessité de dépenses plus grandes. Il est de toute justice que, dans ce cas, ce soient ceux qui ont occasionné la dépense qui la payent.
C'est ainsi qu'en Angleterre, c'est l'impôt sur le revenu qui a payé l'expédition d'Abyssinie, c'est lui qui a payé la construction des fortifications des côtes ; c'est lui qui va payer les nouveaux armements que la classe gouvernante croit nécessaires en ce moment. Je ne vois pas pourquoi nous n'entrerions pas dans la même voie. Il est, du reste, contraire aux intérêts bien entendus de la classe gouvernante de faire peser sur le travail des charges qu'elle crée surtout à son propre avantage, alors que déjà ce sont les classes inférieures qui supportent seules la charge si lourde de la milice, et que, si j'en crois certains projets, elles auront à supporter encore l'augmentation de notre effectif militaire.
Vous avez donc le devoir comme vous avez le droit de demander au revenu de garantir à l'Etat toutes les dépenses nouvelles auxquelles il croirait devoir se livrer.
Le remède que je propose n'est certes pas radical ; je me maintiens dans des bornes très raisonnables, et je défends aussi bien les intérêts des classes privilégiées, des classes qui vivent de leurs capitaux, autant si pas plus que de leur travail, - que de celles qui vivent exclusivement de leur travail.
C'est pourquoi, messieurs, j'ai cru devoir prendre en main la cause trop souvent méconnue des classes qui supportent la plus grande partie des charges, et je vous conjure d'entrer dans la voie de la réduction des dépenses.
Depuis que je suis sur ces bancs, je n'ai cessé de vous convier à entrer dans cette voie. Je me résume en répétant que la meilleure voie à suivre, (page 1476) c'est de réduire ces charges de manière à nous mettre à même de faire face à toutes les éventualités de l'avenir.
M. le président- Voici l'amendement de M. Le Hardy de Beaulieu :
« L'impôt foncier, à partir du 1er janvier 1872, est réduit à 6 p. c. du revenu cadastral imposable.
« L'impôt personnel est établi sur le revenu imposable des propriétés bâties habitées. Il est provisoirement fixé à 10 p. c. de ce revenu. Toutes les taxes spéciales qui composent aujourd'hui cet impôt, telles que portes, fenêtres, foyers, mobilier, domestiques, chevaux, etc., sont supprimées.
« L'impôt des patentes est supprimé à partir de la même date ainsi que celui des redevances sur les mines.
« Il est établi, en remplacement de ces impôts supprimés ou réduits, un impôt sur le revenu qui ne pourra dépasser trois pour cent de tous les revenus nets dépassant douze cents francs par an, qu'ils soient le produit des capitaux ou du travail ou de ces deux éléments combinés.
« Le revenu foncier qui a payé l'impôt n'est pas sujet à double taxe.
« L'impôt sur la fabrication de la bière est réduit de 50 p. c.
« Les taxes sur les sucres de canne et de betterave sont réduites de 25 p. c.
« L'accise sur les eaux-de-vie étrangères et indigènes, ainsi que sur les vins, est majorée de 50 p. c.
« Le droit de débit de boissons distillées est remplacé par une licence variable d'après l'importance des localités et des établissements ; le taux actuel pourra être doublé.
« Le droit de débit de tabac est porté au double. »
- L'amendement est appuyé. Il fait partie de la discussion.
M. de Macar. - Messieurs, au nom de l'honorable M. Delcour, qu'une indisposition tient éloigné de cette Chambre, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à la suppression des jeux de Spa.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. Cruyt. - Messieurs, tout le monde conviendra avec moi que, si l'on en excepte le discours de M. le ministre des finances, le projet de loi qui est soumis à vos délibérations en ce moment a été assez peu discuté.
Quelle est, en effet, la question principale ?
Elle n'est autre que celle-ci :
Faut-il maintenir la loi de 1849 ? cette loi a-t-elle donné lieu à des abus graves, flagrants ? Faut-il, en conséquence, la modifier ?
Messieurs, il n'est personne qui l'ignore : cette loi a donné lieu aux inconvénients les plus graves, à telles enseignes que, depuis longtemps, il s'est élevé dans cette Chambre et dans la presse, contre les abus qu'elle a engendrés, des réclamations nombreuses et réitérées. Ces réclamations sont parties de tous les bancs de la Chambre. A gauche même, il s'est trouvé des hommes impartiaux, qui ont reconnu que cette loi était mauvaise dans ses conséquences, et c'est, messieurs, pour cela qu'on en a demandé la suppression.
Aussi, je le constate, jusqu'ici aucun membre de la gauche ne s'est levé pour prendre en main la défense de cette loi.
M. Frère-Orban. - Je demande la parole.
M. Cruyt. - Les honorables membres de la gauche qui, jusqu'à présent, ont pris la parole dans la discussion générale du projet de loi, se sont bornés à critiquer plutôt les impôts au moyen desquels on se propose de remplacer le droit de débit.
C'est là une tâche facile, parce que les impôts nouveaux ne sont jamais admis sans une certaine répugnance.
On lèse toujours, en les établissant, certains intérêts et on est bien venu, par là même, à les critiquer. Mais, je le répète, les abus qui ont déterminé la présentation d'une loi nouvelle, ces abus jusqu'ici n'ont guère été contestés. Sans doute, quelques membres ont prétendu qu'en lui-même cet impôt est excellent, qu'il frappe une profession peu digne d'intérêt, dans l'unique but de restreindre la consommation des boissons alcooliques, aussi nuisible à la santé physique du peuple qu'à son intelligence et à sa moralité ; et l'honorable M. Vleminckx nous a même, à cette occasion, fait une peinture, qui n'était nullement exagérée, des ravages que cause l'abus des liqueurs fortes.
A ce point de vue, je le reconnais, le droit de débit de boissons distillées est un impôt parfaitement justifiable et parfaitement justifié, un impôt excellent, et il serait à désirer que tous les impôts pussent avoir ce caractère.
Mais, messieurs, on n'a examiné de cette façon qu'un seul côté de la question, et on a laissé à l'ombre les inconvénients politiques excessivement graves auxquels la loi, telle qu'elle a été modifiée en 1849, donne lieu aujourd'hui.
Quand je dis, messieurs, que personne, jusqu'ici, n'a pris en main la défense de la loi de 1849, je me trompe. Un membre l'a défendue, au moins d'une manière indirecte, en exaltant les cabaretiers, que cette loi a mis sur le pavois. Ce membre, c'est l'honorable M. d'Andrimont.
M. d'Andrimont l'a dit franchement, carrément : le cabaretier, pour lui, c'est le type de l'électeur ; les cabaretiers ont une influence considérable, une influence légitime ; il semblerait, à entendre l'honorable M. d'Andrimont, qu'en même temps que le cabaretier verse le genièvre, il verse à ses clients des flots de lumière ! (Interruption.)
M. d'Andrimont, s'il n'a pas employé ces paroles, a exprimé cette pensée, il a dit in terminis : En droit, un cabaretier vaut un avocat ; en fait, il vaut souvent beaucoup mieux. C'est bien là, littéralement, ce qu'a dit M. d'Andrimont. Et quoique avocat moi-même, je ne suis pas tenté de m'offenser de ses paroles, car elles ne visaient pas uniquement les avocats cléricaux qui font partie de. cette Chambre, elles s'étendent aussi aux avocats libéraux, et où M. d'Andrimont ne distingue pas, nous n'avons pas le droit de distinguer.
Avec des idées pareilles, messieurs, je comprends qu'on défende la loi de 1849. Si le cabaretier est l'électeur type, si le cabaretier exerce une influence heureuse et morale, il faut conserver la loi de 1849. Mais, messieurs, si le contraire est vrai, il faut s'empresser de supprimer la loi de 1849.
Je disais, messieurs, que les autres membres ne se sont guère attachés qu'à critiquer les impôts à l'aide desquels on veut remplacer le produit des droits de débit.
Je dirai peu de mots de ces impôts nouveaux. Cette question a été traitée à fond par l'honorable ministre des finances, qui, sous ce rapport comme sous le rapport de la défense de la loi nouvelle, a singulièrement simplifié ma tâche.
Je tiens seulement à faire une remarque générale : c'est que les majorations d'impôts qui nous sont proposées sont excessivement légères. Lorsque le pays saura, comme il l'apprendra par nos discussions, quels sont les inconvénients graves qui ont nécessité l'établissement de ces impôts nouveaux, il les accueillera sans grand déplaisir, et il excusera volontiers la majorité d'avoir, à ce prix, détruit des abus aussi graves que ceux auxquels nous avons en vue de porter remède par la loi en discussion.
D'un autre côté, le pays comprendra que ce n'est pas à nous qu'il doit s'en prendre de cette aggravation de charges (à supposer qu'aggravation il y eût), et que d'autres que nous l'ont rendue indispensable. Il saura, en effet, qu'il y avait jadis une loi excellente, une loi parfaitement raisonnable, la loi de 1838, et que si le principe de cette loi avait été maintenu, il n'aurait pas été question de la substitution d'un impôt quelconque aux droits de débit ; il saura en même temps qui nous a mis dans la nécessité de supprimer ce droit et de le remplacer par d'autres charges. Or, ceux à qui la responsabilité en incombe ne sont autres que les auteurs de la loi de 1849.
Je disais, messieurs, que ces augmentations d'impôts sont en tous cas légères, mais je dis plus, et j'affirme avec M. le ministre des finances, comme je l'ai du reste avancé dans mon rapport, que, en définitive, il n'y aura aucune augmentation d'impôts ; qu'il s'agira tout simplement d'un transfert d'impôts, certains impôts qui se perçoivent aujourd'hui par les provinces devant être perçus par l'Etat, et un impôt aujourd'hui perçu par l'Etat devant l'être désormais par les provinces.
On a mis en doute le point de savoir si les provinces adhéreront aux vues du gouvernement et si elles consentiront à frapper une taxe sur les débitants de boissons fortes ? Ce qui autorise ce doute, c'est, dit-on, que les membres des conseils provinciaux considéreront qu'en établissant cette taxe, ils indisposeront une certaine catégorie d'électeurs ; en un mot, on a pensé qu'on en ferait une question d'intérêt électoral.
En se menant même à ce point de vue, à nos yeux fort mesquin, l'honorable ministre des finances a démontré qu'il n'est pas admissible que de pareilles préoccupations arrêtent les conseils provinciaux ; en effet, une fois que le droit de débit aura cessé d être compris dans le cens électoral, il y aura bien plus d'autres intérêts à ménager que celui des cabaretiers et ces autres intérêts engageront les conseils provinciaux à établir la taxe que nous mettons à leur disposition.
Au surplus, ce qui me porte à croire que les conseils provinciaux (page 1477) s'empresseront de rétablir à leur profit les droits de débit, ce sont les considérations suivantes ;
D'abord, il est certain que ce sont les conseils provinciaux ou du moins des délégués de leurs députations permanentes qui ont suggéré la première idée du transfert de cette taxe aux provinces ; sept députations permanentes sur neuf, ont fait cette demande au gouvernement. Eh bien, je dis que les conseils provinciaux sont en quelque sorte liés d'honneur à entrer franchement dans la voie qu'ils ont eux-mêmes ouverte.
Ce qui me détermine, en deuxième lieu, à le croire, c'est que la plupart des provinces, sinon toutes, ont des finances plus ou moins obérées ; toutes ont besoin de ressources nouvelles. Or, si les conseils provinciaux votent des impôts nouveaux et qu'ils en demandent, comme ils sont tenus de le faire, l'approbation au gouvernement, celui-ci pourra évidemment leur répondre : Commencez par établir la taxe sur le débit des boissons et du tabac que la législature vous a abandonnée.
Enfin, il est certain encore, messieurs, que l'opinion publique poussera les provinces à établir cette taxe ; car, je l'ai déjà dit, elle est bonne, elle est morale ; lorsqu'elle aura été établie dans certaines provinces, les autres seront en quelque sorte forcées de l'établir également.
Voila, messieurs, ce qui me porte à croire que l'impôt sur les débits de boissons sera établi par toutes les provinces en compensation de l'abandon par elles d'un certain nombre de centimes additionnels sur les contributions foncières et personnelles, et qu'ainsi il ne s'agira réellement que d'un simple transfert d'impôt au moyen duquel on aura obtenu un résultat extrêmement moral, celui de détruire l'influence prépondérante des cabaretiers dans les corps électoraux.
J'ai à cœur, messieurs, de répondre un mot à un autre reproche qui a été fait au projet de loi par certains membres de la gauche. On a prétendu que cette loi n'était, en définitive, qu'un coup de majorité, un acte de parti.
L'honorable M. Elias nous a dit qu'il en était tellement convaincu qu'il ne voulait même pas se donner la peine de décliner les raisons qui militeraient, suivant lui, pour le maintien du système actuel ; ce serait, a-t-il dit, parfaitement inutile, puisqu'il y a visiblement chez la droite parti pris de voter la loi.
Messieurs, la question de savoir si l'on peut nous accuser de faire ici une loi de parti est évidemment subordonnée à cette autre question : La loi de 1849 est-elle juste, morale, constitutionnelle ? Si nous vous démontrons qu'elle engendre des abus graves, qu'elle est elle-même un abus au regard des principes fondamentaux de notre organisation politique, il ira de soi que nous sommes parfaitement en droit d'en demander le retrait, et que, ce faisant, nous posons tout bonnement un acte de justice politique.
Tant pis pour le parti qui serait dans le cas de devoir souhaiter le maintien d'un état de choses manifestement abusif.
Tous nous avons non seulement le droit, mais le devoir, de demander le redressement d'abus devenus flagrants.
Il nous a été fait un autre reproche, auquel je tiens à répondre.
Vous avez fait, nous a-t-on dit, deux lois de parti pendant cette session. Vous avez, - c'est encore l'honorable M. d'Andrimont qui l'a dit, - présenté une loi électorale dans le but de détruire l'influence du parti libéral dans les grandes villes.
Aujourd'hui, le même calcul vous fait agir ; en enlevant notamment aux villes l'impôt sur les constructions neuves pour le restituer à l'Etat, vous ne recherchez qu'un but : placer les administrations libérales dans une position difficile en face de leurs électeurs, et par suite les renverser.
Je n'admets pas, messieurs, que ces critiques soient fondées.
Je ferai d'abord observer que dans cette double accusation, fondée à la fois sur les deux lois en question, il y a une évidente contradiction.
Au début de la discussion de la loi électorale, nos honorables adversaires disaient que personne au monde ne savait où cette loi électorale allait nous conduire ; ils disaient que c'était le renversement et la perte du parti conservateur lui-même ; ils disaient enfin que c'était un saut dans les ténèbres !
(page 1479) Eh bien, messieurs, vous proclamiez ainsi le caractère d'honnêteté politique de la loi électorale que nous avons votée naguère, et en ajoutant aujourd'hui que la loi actuelle est faite pour embarrasser les administrations libérales, vous témoignez de votre confiance que cette loi électorale n'est pas faite pour les démolir.
En effet, si la loi électorale devait nécessairement avoir pour conséquence de renverser les administrations libérales, ce seraient donc les administrations cléricales élues en leur remplacement auxquelles incomberait le devoir pénible et dangereux de créer de nouveaux impôts.
Vous le voyez, messieurs, si c'était le calcul qu'on nous prête qui nous avait fait agir, ce calcul serait bien maladroit.
Qu'il me soit permis maintenant, messieurs, bien que la loi de 1849 n'ait pas été sérieusement défendue, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, de présenter quelques réflexions pour démontrer à la Chambre que cette loi est vraiment détestable et doit être supprimée au plus tôt.
Tout le monde, messieurs, connaît les abus auxquels cette loi a donné lieu. Ces abus peuvent se réduire à trois principaux.
En premier lieu, il est certain que la loi de 1849 a favorisé la multiplication dans une proportion inquiétante des débits de boissons.
Cette vérité a été contestée par l'honorable M. Vleminckx.
Après avoir, comme je le disais tantôt, fait le tableau des ravages qu'opère l'abus des liqueurs fortes, l'honorable M. Vleminckx a dit en réponse aux considérations que j'ai fait valoir dans mon rapport :
« Vous vous trompez étrangement si vous croyez que le développement de cette triste passion soit le résultat des faveurs accordées à quelques électeurs et de la multiplication des cabarets ; les cabarets se multiplient parce que les consommateurs se multiplient, et ici comme partout c'est la loi de l'offre et de la demande qui crée la situation. » Or, messieurs, il se fait que les chiffres fournis par la statistique démontrent que M. Vleminckx se trompe complètement dans ses appréciations. Il n'y a rien de plus probant qu'un chiffre.
Jusqu'en 1849 et sous l'empire de la loi de 1838, les cabarets n'avaient augmenté que dans une proportion insignifiante et d'une façon tout à fait normale ; ils s'étaient multipliés au fur et à mesure que la population augmentait, dans la même proportion, pas davantage ; mais à partir de 1849 il y eut dans la multiplication des cabarets une progression effrayante ; et ce qui est surtout digne d'attention, il a été observé partout que c'étaient nos luttes électorales qui en étaient la principale cause. Partout en raison de la vivacité des luttes... (Interruption.) On ne peut pas nier l'évidence et vous ne pouvez contester ce fait. L'autre jour M. Malou l'attestait au Sénat et une voix dont vous ne récuserez pas l'autorité, celle de l'honorable président de cette assemblée, M. le prince de Ligne venait, en interrompant le discours de M. Malou, donner à ses paroles une solennelle confirmation.
Dans certaines communes on peut le dire, les partis se sont combattus à coups de cabarets ; au fur et à mesure que l'on avait besoin de créer des électeurs pour triompher dans la lutte, on engageait des gens, souvent sans aveu, à prendre patente comme cabaretiers.
Voilà, messieurs, pourquoi et comment la multiplication des cabarets s'est faite dans des proportions énormes ; jusqu'en 1849, d'après le rapport même de M. Sabatier, il y avait une progression de 600 par an et, à partir de 1849, cette progression est montée jusqu'à 3,400. (Interruption.) La statistique est là qui le prouve.
Il est certain que lorsque les cabarets sont si multipliés, il y a un appât pour le buveur ; les cabarets sont, par leur existence même, une excitation permanente à la consommation des liqueurs fortes et, sous ce rapport, on peut le dire, la loi de 1849 a produit un effet immoral ; elle a provoqué à la consommation des liqueurs fortes.
Voilà le premier reproche que nous lui ferons et ce reproche est aussi grave qu'il est fondé.
Le deuxième reproche que nous ferons à la loi de 1849, c'est qu'elle se prêtait à la fabrication de faux électeurs.
Rien n'était plus facile que de faire des électeurs au moyen de cette loi ; il suffisait que l'on se déclarât cabaretier, qu'on fît semblant de l'être, n'eût-on pour tout attirail, comme on l'a dit, qu'une bouteille de genièvre et quelques petits verres, et qu'enfin l'on payât le droit pour qu'on dût immédiatement être inscrit sur les listes électorales.
Aussi, a-t on vu que l'on a abusé de cette loi pour créer des électeurs dans des proportions...
- Un membre. - ... scandaleuses.
M, Cruyt. - Oui, scandaleuses ; le mot n'est pas trop fort.
M. Coomans. - Oui, oui.
M. Cruyt. - On pourrait citer des exemples en masse, il suffira d'en citer quelques-uns. (Interruption.) Oh ! je n'accuse pas plus l'un parti que l'autre. Je me place à un point de vue plus élevé, et je reconnais volontiers que des faits blâmables se sont produits dans les deux partis.
Je l'ai déjà dit et je le répète, c'est à coups de cabarets qu'on a lutté dans une foule de localités ; on a été jusqu'à créer électeurs des mendiants dont on faisait des cabaretiers.
J'ai sous les yeux une pétition adressée à cette Chambre par le conseil communal de Berchem, près d'Audenarde, laquelle révèle l'effrayante progression du nombre des cabarets, entre autres, dans cette localité.
En 1866, il y avait, dans cette commune, 37 habitants inscrits comme débitants de boissons alcooliques. En 1867, ce nombre est monté à 45 ; et, en 1808, en vue d'une lutte électorale prochaine, il s'est élevé à 185 !
Quant au droit de débit des tabacs, lequel servait ordinairement d'appoint lorsque, par d'autres impôts, on arrivait à peu près au cens électoral, voici ce que l'on constate pour cette même commune de Berchem : Le ■ombre des habitants inscrits comme débitants de tabacs était, en 1866, de 8 ; en 1867, il s'accroît de 4 seulement ; et tout à coup, en 1868, il arrive au chiffre de 102 !
M. Coomans. – Ajoutez qu’il s’est encor accru d’une cinquantaine depuis lors.
M. Cruyt. - Dans d'autres communes, le même fait s'est produit et toujours à l'occasion des luttes électorales.
M. Frère-Orban. - Toujours pour les élections communales.
M. Cruyt. - L'abus est là ; je le constate et il est assez grave, je pense, pour qu'on y porte remède.
M. Frère-Orban. - Nous nous expliquerons là-dessus.
M. Cruyt. - Dans la commune de Paricke, le nombre de débitants, qui était précédemment de 50, fut porté en 1865 au chiffre de 90. A Nederbrakel, on en a créé 52 en une seule fois, toujours pour des besoins électoraux.
Rien que dans la Flandre orientale, je pourrais citer une foule d'autres communes où la progression des débitants a suivi la même proportion. Or, messieurs, ce sont là bien manifestement de faux électeurs qu'on crée inopinément pour les besoins des intérêts de parti. On en est même venu un jour, dans la même commune de Paricke, que j'ai déjà citée, à créer trois électeurs sous un seul et même toit : le père fut établi cabaretier dans la demeure principale ; son fils, dans une grange et le domestique, dans un fournil !
Le troisième abus résulté de la loi de 1849, et c'est le plus grand, est l'immense prépondérance que les cabaretiers ont acquise dans les corps électoraux à tous les degrés.
Je concède volontiers à l'honorable M. Frère-Orban, qui m'interrompait tout à l'heure, que c'est dans les communes rurales que les abus ont été les plus graves. Là les cabaretiers sont entrés en proportion énorme dans le corps électoral communal.
Il est des communes où il y a plus d'électeurs cabaretiers que d'autres.
Eh bien, je vous le demande, messieurs, quelle doit être la conséquence de cet abus sur l'administration de ces communes ?
Tout le monde admet, sauf peut-être l'honorable M. d'Andrimont, que les cabaretiers ne sont pas un bon élément électoral : ce sont les expressions dont l'honorable M. Frère-Orban. lui-même s'est servi à leur égard.
Et cependant ce sont ces cabaretiers qui créent les conseillers communaux, les bourgmestres et les échevins. Qu'en résulte-t-il ? C'est que ces bourgmestres et ces échevins ont à ménager ceux à qui ils doivent leur position ; mais, dès lors, qu'advient-il de la police dans de semblables conditions ?
L'honorable M. Malou, insistant sur ces abus qui sont bien faits pour ouvrir les yeux même aux aveugles volontaires, révélait d'autres particularités dans le discours auquel nous faisions allusion tout à l'heure.
Ainsi dans une commune du Borinage, à ce qu'il nous apprend, il y avait en 1866, sur 5,840 habitants, 230 cabaretiers, soit un cabaretier sur 23 habitants, et 157 électeurs communaux dont 90 en vertu du droit de débit.
Dans une autre commune, sur 9,300 habitants, il y avait 457 cabaretiers et 304 électeurs communaux ; dont 147 cabaretiers et 157 non-cabaretiers.
(page 1480) Jemmapes compte 585 cabaretiers, soit 1 sur 20 habitants ; électeurs communaux : 271, dont 84 cabaretiers.
Inutile, je pense, d'insister davantage pour démontrer que la proportion des cabaretiers dans le corps électoral communal est absolument intolérable ; c'est au point que, lors des discussions qui ont eu lieu, si je ne me trompe, en 1867, l'honorable M. Frère a reconnu lui-même qu'il y avait là du moins quelque chose à faire.
Mais, messieurs, de ce que dans le corps électoral communal l'abus est surtout exorbitant, il ne s'ensuit pas qu'il n'existe pas aussi ailleurs.
Les cabaretiers figurent pour une proportion énorme également dans les collèges électoraux pour les Chambres législatives.
D'après les chiffres que nous trouvons dans le rapport de l'honorable M. Sabatier, chiffres qui ont été fournis par l'honorable M. Frère-Orban, la proportion des débitants de boissons alcooliques et de tabac, qui ne doivent leur inscription sur les listes qu'aux taxes en question, serait relativement à la totalité des électeurs inscrits de plus de 11 p. c.
Cette proportion existait dès l'année 1859, et l'on peut certes affirmer, sans crainte de se tromper, que la proportion qui n'a fait que croître s'élève aujourd'hui à 12 ou 15 p. c.
Or, messieurs, si l'on considère que les élections pour la Chambre décident en définitive des destinées du pays et qu'elles sont beaucoup plus importantes que les élections pour la commune, je dis que cette proportion constitue une véritable immoralité politique, un véritable scandale.
On nous a dit : Mais, vous supprimez des droits légitimes, des droits acquis.
En fait, nous venons de constater à quel point l'équilibre dans le corps électoral est rompu au profit des cabaretiers, combien ils y sont prépondérants.
Voyons maintenant s'il est vrai qu'en enlevant au droit de débit de boissons le privilège de compter dans la formation du cens électoral, nous enlevions aux cabaretiers, même aujourd'hui, un droit acquis ?
Messieurs, jamais, si l'on s'en rapporte à nos principes constitutionnels, ils n'auraient pu jouir de ce droit ; s'ils en ont joui, cela n'a pu être que par un véritable abus législatif.
Voilà, messieurs, ce que je désire vous démontrer en peu de mots.
Nous connaissons tous la loi de 1838 qui a créé, pour la première fois, les droits sur le débit des boissons alcooliques.
L'honorable M. Vleminckx vous a donné lecture, l'autre jour, de l'exposé des motifs, et cet exposé nous apprend quelles étaient, à cette époque, les intentions du gouvernement. Déjà alors l'abus des liqueurs fortes était devenu fort alarmant, et c'est pour le réprimer que la loi fut présentée.
L'exposé des motifs, messieurs, montre aussi quelles étaient sous un autre rapport les préoccupations du gouvernement. Il tenait avant tout, la rédaction du document le prouve, à ce que cet impôt ne pût pas être considéré comme un impôt direct, conférant des droits électoraux. L'article premier de la loi est également rédigé de façon à faire ressortir cet impôt comme constituant un impôt indirect. Cet article est ainsi conçu :
« Indépendamment des impôts existant actuellement, il sera perçu, à partir du 1er avril 1838, un droit de consommation sur les boissons distillées à l'intérieur ou à l'étranger, et d'autres boissons alcooliques qui seront vendues en détail ; ce droit sera acquitté par voie d'abonnement et d'avance, sur la déclaration que devront faire les débitants desdites boissons, aux bureaux qui seront indiqués à cette fin par le gouvernement. »
Vous voyez quels efforts faisait le gouvernement, auteur de la loi, pour faire ressortir cet impôt comme un impôt indirect. Nonobstant cette précaution, une discussion s'éleva sur le point de savoir si cet impôt était bien réellement un impôt direct ou un impôt indirect ? Cette question fut vivement débattue en théorie, mais elle ne fut pas résolue par la Chambre. Et pouvait-on, en effet, résoudre dans une discussion législative une question de pure théorie.
Néanmoins, un grand nombre de membres soutinrent que c'était un impôt indirect et dans l'opinion du gouvernement l'impôt avait certainement ce caractère, mais, en présence des doutes qui s'élevaient sur ce point, on introduisit dans la loi une disposition expresse conçue en ces termes : « Ce droit ne sera compris dans aucun cens électoral. » Le gouvernement prévoyait si bien, dès cette époque, quels pourraient être les inconvénients du système contraire, qu'il déclare, à différentes reprises, dans cette discussion que plutôt que d'admettre que ce droit pût être considéré comme un impôt direct, il retirerait son projet.
Ces déclarations furent plusieurs fois répétées et il se trouva, dans les deux partis de la Chambre, un grand nombre de membres qui répugnèrent, autant que le gouvernement lui-même, à laisser considérer cet impôt comme un impôt direct, à le laisser entrer dans la formation du cens électoral. C'était sans acception de parti que l'on se refusait à cette époque à admettre que cet impôt pourrait créer un droit électoral quelconque. Il y avait pour cela les motifs les plus sérieux, et des membres, dont il est bon de rappeler ici l'opinion, s'exprimaient à cet égard de la façon la plus énergique.
J'ai reproduit dans mon rapport les paroles qui furent prononcées à cette occasion par d'honorables membres dont l'opinion ne peut évidemment pas être suspecte à la gauche. Voici ce que disait l'honorable M. Dolez :
« Je ne partage pas l'opinion de l'honorable membre (M. Gendebien) ; non que je répugne à étendre le nombre des électeurs (et nous avons prouvé, nous, parti catholique, que nous ne répugnons pas non plus à augmenter le nombre des électeurs), mais parce que je ne pense pas qu'il faille l'étendre par catégories et particulièrement par celle des débitants de boissons ; je ne verrais pas dans cette extension un progrès, mais un danger électoral. »
Voilà ce qui se disait, dès lors, en prévision simplement des inconvénients qui allaient se produire.
L'honorable M. Devaux s'exprimait, de son côté, comme suit :
« Quelle est, disait-il, la base de notre système électoral ? C'est d'admettre une certaine fortune comme présomption d'aptitude, et le cens comme mesure de cette fortune. Or, l'impôt des boissons distillées est-il une présomption de fortune et d'aptitude électorale ? Ce serait tout le contraire.
« En second lieu, cet impôt suppose-t-il chez celui qui le subit une aptitude à exercer certaines fonctions politiques ? Non, car on l'établit précisément parce que le débit de boissons est une profession qui amène des résultats immoraux.
« Loin que cette profession soit une présomption d'aptitude électorale, c'est plutôt une présomption d'inaptitude. La justice et la convenance sont également hors de doute. »
Et maintenant, messieurs, je vous le demande, que faisons-nous aujourd'hui ? N'est-il pas vrai que, comme le disait si bien l'autre jour l'honorable M. Jacobs, nous en revenons tout simplement, après que l'expérience n'a que trop justifié leurs prévisions, aux idées si sages de nos prédécesseurs de 1838 ?
Et notez qu'à cette époque la Chambre était composée d'éléments moins opposés, de partis moins tranchés qu'ils ne le sont aujourd'hui.
Parmi ses membres il s'en trouvait encore un grand nombre qui avaient fait partie du Congrès national et qui étaient pénétrés de l'esprit de cette assemblée. Or, voilà quelle était leur manière d'envisager les choses, voilà ce qu'ils disaient en prévision d'inconvénients qui pouvaient se produire.
Et, encore une fois, aujourd'hui que ces inconvénients se sont produits, que les abus sont flagrants, nous ne faisons que ce qu'eux voulaient faire et que ce qu'ils ont fait par la loi du 18 mars 1838.
Messieurs, ce qui doit nous guider, ce n'est pas seulement un sentiment de répugnance que nous devons tous éprouver à donner le droit électoral à des personnes que nous frappons d'un droit élevé parce qu'ils exercent une profession que nous désapprouvons, que nous trouvons immorale, bien entendu dans son extension outrée, abusive, et toutes réserves faites, comme il est dit dans mon rapport, au profit de ceux qui l'exercent honorablement. Et, il faut bien le reconnaître, il y a quelque chose de choquant, de contradictoire, à vouloir d'un côté les débits de boissons, parce que leur extension abusive produit un résultat immoral, et, d'un autre côté, d'encourager le développement anomal de cette même profession en y attachant un privilège, oui, le privilège le plus précieux qu'on puisse conférer sous un régime comme le nôtre, le privilège de concourir à nommer les représentants de la nation, et à constituer le pouvoir législatif.
Mais je dis, messieurs, que ce n'est pas seulement une question de sentiment, une question de moralité et de dignité dans la pratique de nos institutions qui doit nous guider, nous devons nous inspirer des exigences de notre droit constitutionnel. C'est le respect de la Constitution même, sinon dans sa lettre, du moins dans son esprit, qui doit nous porter à supprimer la législation actuelle.
Jamais, à ce point de vue, l'impôt sur les débits de boissons n'aurait dû être compté pour la formation du cens électoral. C'est là ce que je veux démontrer.
L'honorable M. Elias disait l'autre jour que j'avais affirmé positivement mais non pas établi dans mon rapport que le droit de débit constitue un impôt indirect ; que ce serait, en quelque sorte, offenser le bon sens que d'essayer de le prouver, et que c'est précisément parce que nous le comprenions trop bien nous-mêmes que nous avions pris un détour en proposant purement et simplement la suppression de l'impôt.
Messieurs, je n'ai pas été aussi affirmatif dans mon rapport que (page 1481) l'honorable M. Elias veut bien le dire, quoique à la vérité j'incline a croire que c'est plutôt un impôt de consommation qu'un impôt direct. Cet impôt, en effet, ne se perçoit pas sur la fortune des citoyens, sur le revenu de leurs biens ou sur les bénéfices présumés des professions qu'ils exercent ; il se perçoit sur la vente d'une denrée déterminée, et à ce point de vue c'est évidemment un impôt indirect.
- Un membre. - Et la patente !
M. Cruyt. - La patente se perçoit sur le bénéfice présumé tandis qu'ici c'est uniquement le débit qui est frappé, quel que soit le bénéfice que ce débit procure.
On établit l'impôt pour empêcher la trop grande multiplication des cabarets. (Interruption.) C'est une taxe frappée in odio, c'est une sorte de pénalité.
A tous ces points de vue donc, c'est plutôt un impôt indirect ; mais la manière dont il se perçoit lui donne, il est vrai, l'apparence d'un impôt direct. Pour moi, la vérité est que c'est, avant tout, un impôt sui generis ; c'est un moyen répressif plutôt qu'un impôt proprement dit.
En 1838, on était divisé sur le caractère à lui attribuer, et l'on est encore divisé sur ce point aujourd'hui.
En effet, tandis que M. Elias disait que c'est positivement un impôt direct, l'honorable M. de Lexhy disait, quelques instants avant lui, que c'est positivement un impôt de consommation perçu au moyen d'un abonnement. C'est bien la textuellement la définition que venait d'en donner l'honorable M. de Lexhy.
Je constate donc qu'à gauche aussi bien qu'à droite on est encore divisé, à l'heure qu'il est, sur le caractère propre de cet impôt. Mais admettons que ce soit un impôt direct ; je vous le concède, et je dis que cet impôt direct-là n'est pas du moins un de ces impôts que le législateur constituant a eus en vue lorsqu'il a exigé que le cens, base du droit électoral, serait formé au moyen d'une certaine quantité d'impôts directs payés à l'Etat.
Ce que la Constitution a incontestablement voulu, c'est que le droit électoral eût son fondement dans le payement d'un certain cens, cens qui lui-même dût faire supposer la possession d'une certaine fortune, et ainsi, de la part des personnes appelées à exercer le droit électoral, un intérêt à la conservation de l'ordre.
Nous pourrions, s'il le fallait, le prouver d'une manière bien précise, à l'aide des discussions qui ont eu lieu au Congrès.
Ainsi, l'honorable M. Forgeur, un personnage politique qui, encore une fois, ne peut être suspect à la gauche, disait :
« La meilleure garantie à demander aux électeurs, c'est le payement d'un cens qui représente une fortune, une position sociale, afin que les électeurs soient intéressés au bien-être et à la prospérité de la société. »
Voilà donc l'idée fondamentale. Or, maintenant, qu'entendait par impôts directs le législateur constituant ?
Il entendait évidemment par là les impôts directs qui existaient à ce moment. Et quels étaient ces impôts ? La réponse est fournie par la loi du 21 juillet 1821, alors en vigueur. Cette loi divise les impôts en impôts directs et impôts indirects ; et voici ce que nous trouvons sous la rubrique : impôts directs, ce sont :
1° L'impôt foncier ;
2° L'impôt personnel, comprenant : la valeur locative, les portes et fenêtres, les foyers, le mobilier, les domestiques, les chevaux ;
3° La patente.
Voilà quels étaient, à ce moment, les seuls impôts directs connus. Il est évident que le législateur constituant, en parlant d'impôts directs, ne pouvait avoir en vue que ces impôts-là. Le contraire n'est pas admissible.
Or, messieurs, tous les impôts rangés dans la catégorie des impôts directs par la loi de 1821 supposent évidemment, chez le contribuable, une certaine position sociale, comme disait M. Forgeur, une certaine fortune, qui les intéressent au maintien de l'ordre public.
Est-ce que l'impôt sur les boissons en de cette nature ? Mais, je l'ai déjà dit : il ne faut absolument rien posséder pour payer la taxe sur le débit des boissons alcooliques et du tabac ; il ne faut pas même posséder une certaine quantité de marchandises qui fait présumer un débit sérieux ; il suffit de faire une déclaration au receveur, d'acquitter la somme voulue et, pour le surplus, comme l'a fort spirituellement dit un jour l'honorable M. Dumortier, je pense, il suffit de posséder une bouteille et un petit verre. (Interruption.) Je dis que cela n'est pas du tout dans l'esprit de la Constitution ; encore une fois, la Constitution a exigé un cens, lequel cens fasse supposer lui-même la possession d'une certaine fortune ; et, comme la taxe sur les débitants de boissons alcooliques et de tabac n'a en aucune façon ce double caractère, j'en conclus que ces débitants n'ont jamais eu constitutionnellement le droit de figurer, à l'aide de ce seul droit de débit, sur les listes électorales ; que c'est, partant, par un véritable abus qu'ils y ont figuré jusqu'ici.
C'est assez dire, messieurs, qu'il est urgent de réformer la loi actuelle, que par la réforme, telle qu'elle est proposée, nous ne lésons réellement aucun droit acquis. Aussi, messieurs, vous proposerai-je un amendement à l'article premier du projet que nous discutons en ce moment et qui s'écarte quelque peu de la proposition qui avait été formulée par MM. Delcour, Liénart et consorts. La proposition due au droit d'initiative parlementaire de ces messieurs portait :
« Les impôts sur le débit des boissons alcooliques, perçus au profit de l'Etat, sont abolis à partir du 1« janvier 1872.
« A partir de la prochaine révision des listes électorales, ces impôts ne seront plus comptés pour la formation des listes. »
Le gouvernement en absorbant cette proposition dans son projet n'en a pas reproduit le deuxième paragraphe, et la section centrale, à son tour, a estimé que celle ajoute était surabondante. Mais comme ce qui surabonde ne vicie, pas, pour plus de clarté et afin de ne laisser subsister aucun doute, je demande que ce paragraphe soit rétabli, et j'ai l'honneur de proposer, par amendement, d'ajouter à l'article premier de la loi en discussion ces mots :
« A partir de la prochaine révision des listes électorales, ces impôts ne seront plus comptés pour la formation des listes. »
M. Frère-Orban. - Est-ce que M. le ministre des finances se rallie à cet amendement ?
M. Jacobs, ministre des finances. - Oui, car ce second paragraphe ne fait qu'expliquer le paragraphe premier.
(page 1477) M. Houtart. - Je désire motiver mon vote en quelques mots et faire remarquer que le moment est fort mal choisi pour frapper l'agriculture de nouveaux impôts.
Je n'examinerai pas la question des cabaretiers et des débitants de tabacs qui a été longuement discutée par de précédents orateurs.
Ne me préoccupant du projet du gouvernement qu'au point de vue des intérêts agricoles, je dois dire que je ne comprends pas comment on peut choisir, pour surcharger l'agriculteur, précisément le moment où toutes ses espérances pour l'année actuelle sont évanouies, le moment où las grains sont presque totalement perdus par l'effet de la gelée, et où le cultivateur est à peu près certain de ne pas même récupérer les frais considérables qu'il a dû. faire pour les remplacer.
- Voix à droite. - Oh ! oh !
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Il n'en est pas ainsi dans les Flandres.
M. de Rossius. - Et parce qu'il n'en est pas ainsi dans les Flandres, cela vous suffit !
M. le président. - Pas d'interruption ! Laissez continuer l'orateur.
M. Houtart. - Messieurs, l'agriculture me semble aussi digne d'intérêt que le commerce des boissons, et que fait-on cependant ? Tandis qu'on supprime le droit de débit de boissons et de tabacs, on frappe l'agriculture de nouvelles charges, à la veille d'une moisson dont le produit, je le répète, couvrira à peine les frais des travaux agricoles de cette campagne. Aussi, messieurs, n'est-ce pas aller trop loin que de dire que la population d'un très grand nombre de nos communes entrevoit avec un véritable désespoir l'avenir qui lui est réservé.
M. le ministre des finances constatait, dans une séance précédente, avec une satisfaction visible, qu'aucun pétitionnement n'avait été organisé contre le projet de loi.
La raison en est messieurs, que les intéressés ont chargé leurs représentants de s'opposer par leur vote à l'établissement de tout impôt nouveau qui grèverait l'agriculture.
M. de Vrints. - Il y a quinze pétitions contre le projet de loi, et elles sont revêtues de nombreuses signatures.
M. Houtart. - Mais, messieurs, si un pétitionnement plus grand ne s'est pas organisé contre le projet de loi, et cela pour le motif que je viens de dire, je puis annoncer qu'un pétitionnement général se prépare dam tout mon arrondissement pour réclamer la remise totale ou partielle de l'impôt foncier pour l'exercice actuel et pour l'année prochaine. (Interruption.)
Déjà, la commune de Marches-les-Ecaussinnes a pris les devants par la pétition qu'elle nous a adressée. C'est la meilleure preuve, messieurs, du triste état de nos campagnes.
Quant à moi, messieurs, je ne puis, lorsque mes concitoyens réclament des réductions d'impôts, m'associer à des mesures qui tendent à les augmenter encore.
Je voterai donc contre le projet de loi.
- Plusieurs membres. - A demain !
- D'autres membres. - Non ! non ! continuons.
M. le président. - La parole est à M. Houtart.
- Des membres. - A demain !
M. Jacobs, ministre des finances. - M. Elias n'a, je crois, qu'une simple rectification à faire.
M. Elias. - Si la Chambre avait consenti à me laisser parler l'autre jour, je me serais borné alors à quelques rectifications ; mais aujourd'hui j'ai à relever des contradictions dans lesquelles est tombé M. le ministre des finances.
- Des membres. - Continuons !
M. Elias. - Vendredi, je me serais borné a discuter le point spécial pour lequel j'avais demandé la parole. Mais aujourd'hui je me propose de rencontrer et de discuter la réponse que m'a faite M. le ministre des finances. Je désire dès lors remettre mon discours à demain.
- Des membres. - Continuons !
M. Allard. - Messieurs, dernièrement on a forcé un orateur, quoique l'heure fût avancée, à prononcer son discours ; nous demandions que la séance fût levée ; eh bien, à peine l'orateur avait-il commencé à parler que les membres de cette Chambre qui avaient demandé la continuation de la discussion se sont tous empressés de quitter la salle, et si quelques membres de la gauche n'étaient pas restés à leur banc, l'orateur aurait prononcé son discours devant des banquettes.
Je demande que la séance soit levée.
M. le président. - M. Allard demande que la séance soit levée.
M. Coomans. - Est-il question d'avoir une séance du soir ?
M. le président. - Il n'y a pas de proposition faite à cet égard.
M. Coomans. - Sinon, j'aurais fait observer que nous ne pouvons (page 1478) pas, en et moment, décréter une séance du soir, en l'absence d'un grand nombre de membres de la Chambre.
Maintenant, je trouve très simple qu'on ne force pas un orateur à parler, vers la fin d'une séance, quand il annonce qu'il a d'assez nombreuses observations à présenter ; telle n'est pas du tout ma pensée ; mais si, parmi les membres qui sont encore inscrits, il en est un qui ne dût parler que pendant une quinzaine de minutes, on pourrait lui demander s'il consent à prendre la parole aujourd'hui, pour ne pas perdre trop de temps. La séance n'a commencé aujourd'hui qu'a deux heures et demie.
M. le président lit les noms des orateurs inscrits, dont aucun ne déclare vouloir parler aujourd'hui.
- La Chambre, consultée, décide que ma séance est remise à demain à une heure.
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs,, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi accordant des crédits supplémentaires au département des travaux publics, à concurrence de 400,000 francs.
- Impression, distribution et renvoi aux sections.
La séance est levée à 5 heures moins 10 minutes.