(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.)
(page 1438) M. Wouters fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Reynaert lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Flor Deses demande la suppression du régiment des grenadiers et son remplacement par un 13ème régiment de ligne. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La veuve Vanden Audenaerde demande que son fils Nicodème, milicien de 1870, soit renvoyé dans ses foyers. »
- Même renvoi.
« Les administrations communales de Kinroy, Molen-Beersel, Kessenich et Ophoven demandent la construction d'un pont sur la Meuse à Mae-eyck, dont la concession est demandée par les sieurs Flechel et Claes. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur une pétition relative au même objet.
« Des habitants de Glabais prient la Chambre de rejeter les augmentations de l'impôt foncier proposées par le gouvernement. »
« Même demande d'habitants de Roux-Miroir et de Jodoigne. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi qui modifie les lois d'impôt.
M. Dumortier. - Messieurs, en donnant le développement de la proposition que nous avons faite, mes honorables amis et moi, en faveur de la veuve du général Niellon, j'ai dû entrer dans certains détails historiques. Ce sera une diversion à tous nos travaux et les membres de cette Chambre, qui n'étaient pas encore nés en 1830, entendront peut-être avec quelque satisfaction ce qui s'est passé à cette époque.
Messieurs, nous venons vous proposer un acte patriotique en accordant une pension à la veuve du brave général Niellon, dont le nom historique restera attaché à notre glorieuse régénération politique, pour les éminents services qu'il a rendus à l'affranchissement de la patrie.
Charles Niellon, fils de Jacques-Charles et de Magdelaine Gilbert son épouse, naquit à Strasbourg le 15 février 1795. Militaire par goût et par instinct, il s'engagea avec Bugeaud, en 1808, dans le 23ème d'infanterie légère, devint bientôt sous-officier et assista aux batailles de Lutzen et Bautzen, à la guerre d'Espagne et à la bataille, de Leipzig, où il fut blessé. Décoré sur le champ de bataille, par le maréchal Mormont, il devint son secrétaire. Après la chute de l'Empire, il finit par se retirer en Belgique, où il était, en 1830, l'un des rédacteurs de la Minerve, ce qui le mit en rapport quotidien avec, nos écrivains politiques.
Niellon était né avec le génie militaire. Homme de cœur et d'action, il était doué de toutes les qualités du commandement ; son coup d'œil sûr et rapide lui faisait immédiatement discerner le point vulnérable de l'ennemi, et sa bravoure, son entrain, son accent patriotique, le faisaient aimer des volontaires qu'il conduisait de triomphé en triomphe, et qui avaient en lui une confiance sans bornes. On était fier de servir dans le corps de Niellon.
Ces rares qualités avaient fait distinguer Niellon dès l'origine du soulèvement de Bruxelles ; dès le 26 août, il fut élu capitaine du poste de la rue de l'Ecuyer, et peu de jours après il devint aide de camp du général d'Hoogvoorst et adjudant-major de l'état-major général. Quand l'armée hollandaise attaquait la capitale, Niellon se mit à la tête d'un corps de volontaires destiné à tourner l'ennemi pour le prendre en arrière, et le 26 septembre, il attaque par un mouvement tournant l'armée assiégeante ? vers Schaerbeek. cette manœuvre hardie ne contribua pas peu à la retraite de l'ennemi et à la libération de la capitale. Poursuivant cette attaque, il parvient, à la tête de ses volontaires, à rétablir les communications entre Bruxelles et Louvain, et à dégager ainsi l'héroïque ville de Louvain qui, sous les ordres des De Neef, des Ad. Roussel, des T'Serclaes, des Van Meenen, rendit de si grands services à la régénération de la patrie. En récompense de cette brillante expédition, Niellon fut nommé, par le gouvernement provisoire, lieutenant-colonel de l'armée régulière.
Cependant les avant-postes de l'ennemi s'avançaient encore jusqu'à trois lieues de la capitale et à deux lieues de Louvain. Déjà le gros de l'armée hollandaise, arrivée des provinces septentrionales, était campée entre Anvers et la Nèthe ; son avant-garde occupait Malines et s'étendait jusqu'à Sempst, Campenhout, Wespelaer et Rotselaer, couverte par la Senne et la Dyle ; sa gauche était à Lierre, un retour offensif était à craindre et à chaque instant Bruxelles pouvait être de nouveau menacée. Attaquer l'armée ennemie, forte de 35,000 hommes, 4,000 chevaux et 56 pièces de canon dans une position inexpugnable, eût été une véritable témérité.
C'est alors que Niellon conçut un projet hardi, celui d'attaquer, par un mouvement tournant à travers la Campine, la ville de Lierre où était l'extrême gauche de l'ennemi ; de prendre ainsi l'armée hollandaise à revers, et la forcer d'abandonner sa quadruple ligne de défense le long de la Nèthe et de la Dyle. Si cette attaque réussissait, l'ennemi était réduit à se retirer sous les murs d'Anvers. Il communiqua ce projet au brave général Goethals, qui le fit accepter par le gouvernement provisoire, et il fut autorisé d'établir à Louvain le dépôt de son corps, composé de 2,200 volontaires avec deux pièces de canon et un obusier commandés par l'intrépide Kessels. C'est avec cette petite troupe qu'il entreprit de déloger de ses fortes positions l'armée hollandaise forte de 35,000 hommes, 4,000 chevaux et 56 pièces de canon, et commandée par le duc de Saxe-Weimar en personne.
Le 14 octobre, Niellon part de Louvain et, pour dépister l'ennemi, il se dirige sur la route de Maestricht et vient s'établir près d'Aerschot. Le 15, à la pointe du jour, il passe le Demer et, par un mouvement tournant, il se porte sur Schryck, à une lieue et demie de Malines, qu'il fait mine de vouloir attaquer. Bientôt, il est rejoint par l'immortel Frédéric de Mérode, à la tête d'un corps de volontaires campinois. Là aussi étaient notre ancien collègue Peeters, et Barthels, et Encare, et Jenneval, l'auteur de la Brabançonne, tous héros de 1830, fiers de servir sous Niellon. C'est alors seulement qu'il fit connaître à ses volontaires que le but de l'expédition était d'attaquer Lierre, clef de la défense de l'ennemi. Il ordonne le silence absolu aux tambours ainsi qu'aux volontaires, et arrive le 16 octobre sous les murs de Lierre. Aussitôt, l'intrépide Kessels se met en batterie à portée de pistolet du pont, en face de la ville, dont les murs se garnissaient de soldats hollandais. En apprenant l'arrivée des volontaires, la population se soulève, le tocsin frémit à toutes les églises ; bientôt le colonel hollandais capitule et la ville de Lierre tombe entre nos mains.
(page 1439) L'entrée des volontaires à Lierre fut triomphale ; de toutes les fenêtres les dames jetaient des couronnes et des bouquets aux braves qui venaient de les délivrer du joug de l'étranger. Mais un retour offensif de l'ennemi était inévitable, car la prise de cette ville permettait a l'armée patriote de prendre à revers l'avant-garde de l'ennemi, située à Malines, et de la forcer d'abandonner, avec cette ville, ses grandes lignes de défense : la Senne, la Dyle, la Nette et le Ruppel. Ce retour offensif ne se fil pas attendre et le 18, le prince de Saxe Weimar, général en chef de l'armée hollandaise, vint en grande force tenter la reprise de la place de Lierre. Mais le courage de nos volontaires, aidé des dispositions habiles de Niellon, repoussa cette attaque et culbuta l'ennemi sur tous les points. Le lendemain 19, attaque générale de l'armée hollandaise sur quatre points à la fois de la ville de Lierre. Deux fois l'ennemi tente l'assaut qui est repoussé par nos volontaires, et enfin Niellon, aidé du brave Kessels et de Frédéric de Mérode, culbute de nouveau l'ennemi et le force de se retirer à Vieux-Dieu. Le duc de Saxe-Weimar y fut blessé à la jambe, mais nous eûmes la douleur d'y perdre Jenneval, l'auteur de la Brabançonne, dont le corps, transporté à Bruxelles, repose à la place des Martyrs.
Celte brillante victoire détermina la retraite de l'armée hollandaise, qui dût abandonner Malines. Melinet y entra le 21 octobre et se porta sur Walhem où eût lieu l'attaque de l'ennemi couvert par le Demer et le Ruppel, tandis que Kessels venait le prendre en flanc par son attaque sur Duffel. A Walhem, les volontaires firent des prodiges de valeur ; Touet et surtout Lebœuf, bravèrent une mort presque certaine pour planter le drapeau belge en tête du pont. Leur courage amena une nouvelle défaite de l'ennemi, qui dut se retirer jusqu'à Contich. Déjà Niellon avait dépassé Bouchaut, chassant devant lui l'armée hollandaise, et il arriva le 24 octobre à Vieux-Dieu, où il fut rejoint par Melinet. Toutes ces victoires avaient forcé l'armée hollandaise à se réfugier sous le canon de la place d'Anvers, à Berchem, où, après un combat opiniâtre, elle fut de nouveau culbutée et forcée de se retirer dans Anvers.
C'est dans ce combat que Frédéric de Mérode reçut la grave blessure qui occasionna sa mort. Toujours à l'avant-garde avec ses volontaires, ce grand citoyen électrisait ses compagnons par son courage et son énergie. Ou le voyait constamment à leur tête, chantant la Brabançonne et s'écriant : « En avant ! en avant ! les braves ne meurent pas ! » Le 25, l'ennemi ne se montrait plus en rase campagne et les volontaires campinois s'avançaient vers Berchem. Ils aperçoivent une troupe de soldats portant la blouse et le bonnet de volontaires ; trompés par ce costume, Frédéric de Mérode et les siens s'avancent, lorsqu'une fusillade leur apprend que ceux qu'ils avaient pris pour des volontaires étaient des Hollandais déguisés pour tromper les Belges. Bientôt les nôtres sont entourés, le cercle ennemi se resserre, la moitié des volontaires tombe ; Frédéric de Mérode tombe aussi, mais à genoux il se défend encore et excite ses intrépides campinois. Tous allaient être taillés en pièces, lorsque des cris se font entendre ; ce sont les volontaires de Niellon qui accourent délivrer cette héroïque troupe ; mais quelle fut leur douleur en voyant Frédéric de Mérode grièvement blessé !
Au milieu de la douleur de tous, lui seul, calme et ferme, les excitait au combat. « Ce sont, disait-il, les fruits de la guerre. En avant, mes amis, en avant contre l'étranger, plus de Nassau ! plus de Nassau ! » Emporté du champ de bataille, l'amputation de la cuisse fut pratiquée par le docteur Sentin, accompagné du docteur Vleminckx, et le 4 novembre, il succomba à Malines, au milieu de sa famille éplorée. Sa mort fut un deuil public ; son nom figurera dans l'histoire comme un des héros de cette grande époque.
Cependant les patriotes étaient arrivés sous les murs d'Anvers, repoussant l'armée hollandaise qui avait dû se réfugier dans la place. Niellon avait son quartier général à Bargerhout, Melinet à Berchem. Depuis quelques jours, Niellon avait organisé des intelligences avec les patriotes d'Anvers, et dès le 26 octobre, Vander Herreweghe et ses compagnons étant venus à Bruxelles, le gouvernement provisoire avait porté le décret suivant, dont l'audace est telle qu'on en trouverait à peine un exemple dans l'histoire des révolutions :
« Le gouvernement provisoire de la Belgique, comité central, autorise M. Vander Herreweghe à prendre possession de la ville et de la citadelle d'Anvers et à les faire occuper au nom du peuple belge.
« Bruxelles, le 20 octobre 1830. »
Armés de cet audacieux décret, Vander Herreweghe et Delin s'étaient concertas avec Niellon, et il avait été convenu qu'au premier mouvement intérieur, celui-ci ferait avancer ses volontaires jusqu'à la porte de Burgerhout, que les Anversois l'aideraient à forcer. Le 26, le peuple d'Anvers, excité par la canonnade des volontaires et la défaite des Hollandais, avait commencé à se soulever ; le 27, à 4 heures du matin, le tocsin appela les Anversois au combat de la délivrance. Niellon, profitant du désordre que ce soulèvement jetait dans l'armée hollandaise, s'était avancé jusqu'aux murs de la forteresse ; en un instant, les palissades sont arrachées et le pont-levis abaissé. Parvenus au dernier pont, les volontaires sont accueillis par la fusillade de la garnison ; mais le brave Kessels s'empare des canons abandonnés dans la demi-lune, les retourne pour balayer les remparts, Alors Vander Herreweghe, fidèle au rendez-vous, s'avance avec sa troupe vers la porte de Borgerhout, parvient à en chasser les Hollandais, la porte s'ouvre et Niellon se précipite dans la ville avec ses volontaires, délivrant ainsi notre métropole commerciale du joug de l'étranger. Aussitôt Kessels, poursuivant l'ennemi, dégage, après une lutte très vive, la porte de Malines, qu'il ouvre à Melinet, et les deux corps de volontaires font leur entrée triomphale dans Anvers. C'est alors que la régence orangiste se décide à envoyer les clefs de la ville à Niellon, qui répondit, en les repoussant : « Vous voyez bien que nous nous en sommes passés. » Le. jour même, bravant les plus grands dangers, Rogier et François de Robiano, vinrent prendre possession d'Anvers au nom du peuple belge et du gouvernement provisoire, tandis que la Hollande bombardait noire métropole commerciale, y incendiait les entrepôts et les édifices publics, rompant, par cet acte sauvage, le dernier faible anneau qui nous rattachait encore à la maison d'Orange.
Cette brillante campagne complétait la révolution belge, en expulsant l'armée hollandaise de notre territoire. L'idée et la direction en étaient dus à Niellon. Aussi, dès le 29 octobre, le gouvernement provisoire, interprète de la gratitude nationale, le promût-il au grade de général de brigade, par un arrêté dont la teneur honore autant celui qui le donne que celui à qui il s'adresse.
« Considérant, dit cet arrêté, que les services rendus par M. Niellon depuis le commencement de notre glorieuse révolution, lui ont mérité un acte de reconnaissance publique ;
« Considérant que les preuves multipliées qu'il a donné dans toutes les occasions de talents militaires et d'un dévouement admirable à la cause de la liberté, lui ont acquis un droit incontestable à un grade supérieur ;
« Le gouvernement provisoire arrête : M. Niellon est nommé général de brigade. »
Aussitôt après la prise d'Anvers, le nouveau général se porte dans la Campine pour dégager nos frontières. Déjà le brave Fathaan s'était avancé à Bar-le-Duc et y avait fait prisonnier un demi-escadron de cuirassiers hollandais. Niellon établit son quartier général à Turnhout. Alors commencèrent les déboires qu'il eut la douleur d'avoir à supporter de la part de ceux qui voulaient ramener le gouvernement déchu.
Expulsé du sol de la Belgique, le roi Guillaume comprit bientôt que ce qu'il n'avait pu obtenir par la force des armes, il devait chercher à l'atteindre par la corruption, et bientôt l'or de la Hollande fut prodigué pour corrompre les officiers supérieurs, tellement que lorsqu'en 1840 il fallut régler ces comptes, les Etats-Généraux eux-mêmes furent effrayés du chiffre énorme de la corruption. Beaucoup de ceux que le gouvernement provisoire avait comblés de ses faveurs, cherchaient à assurer par la trahison la brillante position que la révolution leur avait faite, et les conspirations militaires se renouvelaient sans cesse à Bruges, à Gand, à Anvers et même à Bruxelles, déjouées sans cesse et renversées par les patriotes. A Gand, lors de la conspiration de Grégoire, tous les officiers généraux s'effacèrent, et la Belgique ne dut son salut qu'au courage héroïque du baron Lamberts de Cortenbach et au patriotisme de Vande Poele et de Rolliers, officiers des pompiers. A Anvers, lors de la conspiration Vander Smissen, tous les officiers généraux s'effacèrent, et la Belgique ne dut son salut qu'à l'énergie des capitaines Eenens et de Ryckolt. A Bruxelles, lors de la conspiration Boremans, la Belgique dut son salut à l'Association nationale.
Mais c'est au ministère de la guerre que la conspiration avait son siège et qu'elle organisait tout pour préparer le retour du prince d'Orange par la défaite, la honte et l'humiliation de la patrie. Le plan de la conspiration était machiavéliquement conçu :
Placer tous les généraux traîtres dans, les centres orangistes, où ils pouvaient facilement comploter et se mettre à la tête du mouvement de la conspiration ;
Dégoûter les généraux patriotes en leur refusant tout ce qui était nécessaire à la défense, à l'habillement, à la nourriture, à l'équipement, à l'armement et au munitionnement de leurs soldats ;
Fatiguer, dénigrer et dégoûter par tous les moyens les volontaires pour s'en débarrasser, les éparpiller pour les empêcher de se concentrer ;
Créer deux armées, l'une de la Meuse, l'autre de l'Escaut, représentant l'ail, droite et l'aile gauche du front de bataille, et ne pas avoir ni un soldat, ni un canon au centre, de manière à ouvrir au prince d'Orange la voie facile de la capitale ;
(page 1440) Placer l'armée de ligne dans les forteresses qui bordent la France et plus loin de Bruxelles que l'armée hollandaise ;
Employer tous les fonds votés par le Congrès pour travaux de campagne, à réparer les forteresses qui bordent la France et, tandis que l'armée ennemie était mourante à nos portes, ne pas employer un sou à des ouvrages de défense ou à des travaux de campagne et d'inondation destinés à arrêter l'invasion ennemie.
Au moyen de cette organisation machiavélique, tout était préparé pour ramener la maison d'Orange à Bruxelles. Dans cette vaste conspiration orangiste, Niellon resta pur et jamais l'or de la Hollande ne parvint a le corrompre. Aussi, lors de la campagne d'août 1831, quand la Hollande, forte de la conspiration dont nous venons de retracer le plan, vint attaquer la Belgique à l'improviste et sans même dénoncer l'armistice, le général Niellon fut-il celui qui rendit les plus grands services. Vainqueur partout où il rencontra l'ennemi, ce fut lui qui, lors de l'affaire de Louvain, sauva l'honneur de la Belgique. La patrie reconnaissante lui accorda la grande naturalisation par une loi spéciale en date du 16 mars 1837. L'un des considérants porte : « Attendu qu'il est suffisamment justifié des services éminents rendus à l'Etat par le général Niellon. »
Malgré ces immenses services, lorsque, en 1832, la réaction injuste contre les volontaires et leurs officiers commença, le général Niellon eut la douleur de se voir compris dans ce. déplorable système. Après trois ans de commandement dans les Flandres, où il avait su réprimer les menées orangistes, des tracasseries de tous genres vinrent s'accumuler contre lui, au point de le forcer à demander sa mise en disponibilité. Dans cette circonstance, les habitants des Flandres, témoins des services que Niellon leur avait rendus, lui donnèrent une preuve bien éclatante de leurs regrets, en adressant à la Chambre des représentants des pétitions revêtues de vingt et un mille signatures pour demander qu'on le réintégrât dans son commandement. Mais la réaction, alors à l'ordre du jour, l'emporta et le brave général fut mis en disponibilité, sans avoir pu parfaire la carrière militaire à laquelle l'appelaient et son rare talent et les immenses services rendus à la patrie. C'est alors qu'il épousa dame Louise-Christine-Emilie-Marie-Charlolte Torris, fille de Pierre-François Torris, propriétaire, et de dame Anne-Christine Oursel. En suite d'une autorisation du ministre de la guerre, le mariage eut lieu à Paris le 2 avril 1835. De ce mariage sont nés plusieurs enfants, dont un est aveugle de naissance.
Le général Niellon avait demandé au département de la guerre à être admis comme participant à la caisse des veuves orphelins, en suite de la circulaire ministérielle du 20 novembre 18-9, et cette faveur lui avait été accordée, mais à des conditions impossibles à remplir. Il devait verser une somme considérable pour les anticipations, et au lieu de le faire par termes successifs, comme cela s'est fait depuis, une lettre du 8 mai 1850 exigeait le versement immédiat. Le brave général fut donc dans l'impossibilité de réaliser sa pensée.
Niellon est mort le 26 février dernier, laissant une veuve, avec quatre fils et une fille sans aucune fortune. Les patriotes de 1830 que compte encore la Chambre des représentants ont donc cru devoir prendre l'initiative d'un acte patriotique en faveur de la veuve du brave général à qui revient l'insigne honneur d'avoir assuré le succès de la campagne de 1830 et chassé l'étranger du sol de la patrie. Cet acte patriotique aura, nous en sommes convaincus, votre assentiment, car, en présence des grands souvenirs de notre émancipation politique, tous nous ne formons qu'un cœur pour proclamer la dette de la patrie reconnaissante envers ceux qui l'ont si noblement servie !
- La proposition est prise en considération et renvoyée à l'examen des sections.
M. Santkin dépose plusieurs rapports sur des demandes de naturalisation.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour des séances du vendredi.
M. le président. – -Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?
M. Jacobs, ministre des finances. - Oui, M. le président.
(page 1449) M. de Lexhy. - Messieurs, je viens combattre le projet qui est soumis à nos délibérations. Ce projet de loi est présenté par le gouvernement comme moral, opportun et conforme aux vraies règles économiques de la répartition des impôts.
Selon moi, il ne possède aucun de ces caractères et j'essayerai de le démontrer.
Le droit de débit en détail de boissons alcooliques a eu pour but de restreindre le nombre de ces débits et, par conséquent, la consommation de l'alcool.
Il est un fait triste à constater : ce sont les progrès que fait ce que j'appellerai l'épidémie de l'alcoolisme. Ce n'est pas seulement en Belgique, mais aussi et surtout en Angleterre que cette lèpre se développe, traînant après elle le lugubre cortège des maladies, de la misère et de toutes les mauvaises passions qui minent notre état social. Le seul remède, remède malheureusement insuffisant, que l'on puisse préconiser, ce sont des droits de débit très élevés.
En Angleterre, les droits de débit, quoique très hauts, doivent encore prochainement subir une augmentation, d'après les déclarations faites récemment à la chambre des communes, par M. Gladstone, chef du cabinet. En Belgique, au lieu de suivre l'exemple de l'Angleterre, le gouvernement abolit le droit de débit comme ressource de l'Etat, et abandonne cet impôt aux provinces et aux communes. On peut se demander si cela est bien prudent, et s'il n'aurait pas mieux valu conserver et augmenter cet impôt dans le but éminemment social de combattre l'alcoolisme.
On peut aussi se demander si les conseils provinciaux et communaux envisageront la situation de la même manière que le gouvernement.
Non seulement il est permis d'en douter, mais on peut même prédire que la plupart des conseils communaux et provinciaux ne diminueront pas leurs centimes additionnels et qu'ils n'accepteront que sous bénéfice d'inventaire les droits de débit.
Je n'insisterai pas sur le côté immoral du projet de loi, qui fera d'ailleurs l'objet d'une étude approfondie de la part de notre savant collègue, l'honorable M. Vleminckx.
Mon examen portera particulièrement sur l'augmentation de l'impôt foncier territorial, au point de vue de l'opportunité et de la justice distributive. Je laisse à d'autres collègues, surtout à ceux des grandes villes, le soin de combattre les théories gouvernementales sur le retrait de l'exemption accordée par la loi du 28 mars 1828 pour les constructions nouvelles.
Lors de la discussion de la péréquation cadastrale, en 1867, je critiquai l'exagération de l'estimation du revenu foncier, dans les provinces de l'Est de la Belgique. On voulait atteindre un but équitable, celui de dégrever les provinces flamandes, où le revenu foncier était resté stationnaire, tandis qu'il s'était accru dans les provinces wallonnes.
Mais en cherchant à établir une plus juste répartition de l'impôt fonder entre les diverses provinces, sans que l'Etat y gagnât quelque chose, on est tombé dans un abus : celui d'attribuer au revenu foncier imposable un taux trop élevé, notamment dans l'arrondissement de Waremme.
Je critiquais cette exagération, surtout au point de vue de la conversion de l'impôt foncier, qui était un impôt de répartition, en impôt de quotité, conversion qui devait entraîner des conséquences fâcheuses.
Je disais alors que cette conversion recelait dans ses flancs l'augmentation éventuelle des charges foncières.
Lorsque l'impôt est de quotité, on est enclin à l'augmenter petit à petit lorsqu'un besoin se présente et c'est le cas actuel, tandis que quand l'impôt est de répartition, on n'y touche qu'avec circonspection et dans des situations exceptionnelles.
L'impôt de répartition produit une fixité qui est favorable à la sécurité de la propriété.
D'ailleurs, l'impôt foncier est un impôt de répartition en France, en Angleterre et en Hollande. En Angleterre, la land-tax, comme impôt de répartition, a été établie en 1692 et l'évaluation du revenu imposable n'a pas varié depuis cette époque.
La loi de 1867 fut votée à cause des déclarations qui furent faites par l'honorable ministre, M. Frère-Orban. Le chef du cabinet déclara solennellement, à cette époque, qu’il ne voulait pas augmenter le quantum de l'impôt foncier territorial. Jamais les libéraux n'ont voulu le faire. Le triste honneur d'augmenter les charges foncières était réservé au ministère clérical.
Lors de la discussion de cette loi de 1867, lorsque je critiquais l'exagération du revenu imposable, je marchais sur les traces de MM. Wasseige et Thibaut.
M. Wasseige avait pris comme base de son argumentation le domaine de Dave, dont la régie lui était confiée. Il disait que le revenu réel de cette terre, constaté par actes authentiques, n'était que de 13,000 francs, tandis que le revenu imposable allait être porté à 30,000 francs.
Il ajoutait : La loi qui crée une semblable énormité dans un cas particulier ne peut être une loi juste.
M. Thibaut s'élevait avec non moins de véhémence contre le projet de loi. Or, ces honorables membres, qui trouvaient alors que la quote-part d'impôt payée par leurs commettants était exorbitante, seront sans doute logiques, et se joindront à moi pour protester contre l'augmentation des charges foncières.
J'espère retrouver à mes côtés ces deux députés, pour s'opposer au projet de loi et je suis persuadé qu'ils seront mes auxiliaires dans la défense des intérêts des propriétaires et des cultivateurs.
En effet, quoi qu'en disent le gouvernement et la section centrale, l'impôt foncier sera fatalement augmenté par le projet de loi en discussion.
Le gouvernement dit qu'il sera facultatif aux communes et aux provinces de dégrever les contributions de centimes additionnels aux trois grandes contributions directes.
Quant à moi, j'ai la conviction qu'on n'en fera rien, et que, par conséquent, la combinaison qui est présentée comme une simple transposition d'impôts constituera une aggravation permanente de 4 1/2 p. c. de l'impôt foncier.
Malgré la création du fonds communal que nous devons à l'initiative féconde de l'honorable M. Frère-Orban, malgré les ressources précieuses qu'il fournit aux communes, il n'en est pas moins vrai que, les besoins augmentant sans cesse, les ressources communales sont presque partout insuffisantes. Il en résulte que la plupart des communes conserveront la totalité de leurs centimes additionnels.
Messieurs, il faut ménager l'impôt foncier : c'est la base, c'est le pivot d'un bon système financier. Il faut lui accorder des conditions équitables et modérées, afin qu'au jour du danger, alors que toutes les valeurs font naufrage ou rentrent dans l'ombre, l'impôt foncier puisse fournir à l'Etat les ressources nécessaires.
Lorsqu'on suppute toutes les charges qui frappent la fortune immobilière, on est presque effrayé de leur énormité, droits de succession, droits de mutation et d'hypothèque, centimes additionnels.
La statistique prouve qu'un droit de mutation est payé tous les 25 ans par la fortune immobilière. Ajoutez ce droit, qui se paye après une rotation de 25 ans, aux autres charges et vous arriverez à reconnaître que l'impôt foncier s'élève en moyenne à 11 ou 12 p. c. du revenu imposable.
L'honorable M. Liénart nous a dit qu'en France l'impôt est de 8 p. c., alors qu'il ne sera que de 7 p. c. en Belgique. C'est vrai ; mais l'honorable rapporteur a négligé de nous dire que ces 8 p. c. sont prélevés sur un revenu cadastral établi il y a longtemps et, par conséquent, très peu élevé. Je suis donc dans le vrai en soutenant que l'impôt foncier, en France, est moins élevé que dans notre pays. J'ajouterai qu'en France certains droits de succession sont moins forts que chez nous.
Un fait récent, et qui a une haute signification, prouve combien le gouvernement actuel de la France ménage la propriété foncière, malgré les énormes besoins d'argent qui lui incombent comme conséquence des désastres si considérables qui ont frappé ce pays.
L'honorable rapporteur, pour soutenir que la propriété foncière ne paye pas trop d'impôts, a invoqué l'autorité d’Adam Smith, qui dit que les sujets de l'Etat doivent contribuer à soutenir l'Etat, en proportion de leurs facultés.
C'est là précisément la question : il s'agit de savoir si la proportion est juste. A l'époque où Adam Smith écrivait, la fortune mobilière existait à peine ou du moins elle n'atteignait pas au quart du chiffre actuel.
On comprend, dès lors, que cet économiste soutînt que l'on devait frapper le revenu là où il se trouvait et il n'y avait guère alors d'autre revenu que le revenu foncier.
Depuis cette époque, la fortune mobilière est devenue colossale. Aussi, les économistes modernes, tels que Bastiat, Say, Léon Faucher, Rossi enseignent qu'il ne faut faire intervenir l'impôt foncier dans le budget de (page 1450) l'Etat qu'avec de grands ménagements, qu'avec une grande modération et qu'il faut s'attacher à trouver les moyens de frapper le revenu mobilier.
Proudhon lui-même, dans sa Théorie de l'impôt, dit : « Les propriétaires vivant de leurs fermages et les cultivateurs ne sont pas la classe la plus avantagée : il existe en dehors de ce cadre une foule de capitalistes, rentiers de l'Etat, banquiers, actionnaires et administrateurs de compagnies, prêteurs sur gage et hypothèque, spéculateurs, entrepreneurs, concessionnaires, hauts fonctionnaires, qu'il serait aussi juste de frapper par l'impôt, et que le fisc atteint difficilement. »
C'est en se plaçant dans cet ordre d'idées que la première section a émis un avis favorable à la thèse que je défends, en disant qu'elle estime qu'il y a lieu de diminuer l'impôt foncier en frappant les compagnies anonymes ou autres, les premières d'un droit plus élevé et les autres d'un droit proportionnel aux bénéfices, de manière a établir un juste équilibre entre l'impôt foncier et l'élément industriel.
Je crois, messieurs, en avoir assez dit pour établir que le projet de loi va engendrer l'augmentation des charges foncières, et ainsi rompre l'équilibre financier, détruire la juste proportion qui existait entre les différents impôts, dans l'alimentation du budget de l'Etat.
Nous traversons une crise agricole, Il n'y a que ceux qui ne veulent pas ouvrir les yeux qui peuvent le nier. Non seulement on ne veut pas tenir compte de la calamité qui frappe l'agriculture dans les provinces de l'Est, en nous accordant la modération d'impôt que nous avons réclamée, M. de Macar et moi, mais on aggrave nos charges.
Serions-nous dans un moment si critique, nos finances seraient-elles dans un tel désarroi, que l'on dût frapper le foncier ?
Y a-t-il une nécessité suprême, un besoin urgent d'obtenir de nouveaux impôts ?
Non, il s'agit seulement de trouver de l'argent pour abolir le droit de débit de boissons alcooliques, afin de pouvoir chasser les cabaretiers du corps électoral.
On fait expier par les cultivateurs, les haines que les cléricaux nourrissent contre les cabaretiers électeurs. On substitue à un impôt de consommation perçu par abonnement, l'impôt direct par excellence. Vit-on jamais conception financière plus étrange, plus contraire aux règles économiques ?
Pour que cette transposition d'impôt eût quelque fondement, il eût fallu rechercher des impôts similaires, et ne pas venir substituer l'impôt direct à un impôt, qui est en réalité indirect.
C'est là un procédé empirique qui ne fait pas honneur au génie financier de l'honorable M. Jacobs. Il me semble qu'il aurait pu trouver une autre combinaison.
On invoque l'avis de sept députations permanentes qui ont sollicité l'abandon par l'Etat au profit des provinces, des droits de débit de boissons alcooliques. Oui, plusieurs députations ont demandé cet abandon, mais ont-elles jamais donné leur assentiments à l'abandon de leur côté, et comme équivalent, d'une partie des centimes additionnels provinciaux ? Non. Je suis persuadé que les provinces préféreraient conserver la totalité de leurs centimes additionnels, que de recevoir, en échange, les droits de débit.
D'ailleurs êtes-vous bien sûr, vous gouvernement, que tous les conseils provinciaux, à la veille d'une dissolution, montreront beaucoup d'empressement à entrer dans la voie périlleuse où vous voudriez les pousser ? Voilà le cadeau de joyeuse entrée de l'opinion soi-disant conservatrice. Nous voilà à 7 p. c. Sera-ce tout ? N'est-ce pas le prélude de nouvelles augmentations ? Lorsqu'il y aura un besoin d'argent, sera-ce encore l'impôt foncier qui devra payer ?
L'accroissement des charges militaires, dont nous sommes menacés, entraînera nécessairement de nouvelles dépenses. Sera-ce encore l'impôt foncier qui devra intervenir ?
Eh ! messieurs, l'accroissement de 5 p. c. sera plus considérable si vous tenez compte que la proportion des centimes additionnels accroîtra en raison de l'augmentation de l'impôt.
Les centimes additionnels ne se percevront plus sur 19,200,0.00 francs, mais sur 20,600,000 francs.
Dans certaines communes, les centimes additionnels sont arrivés jusqu'à 35 et 40 p. c.
Ce sont des ressources auxquelles les communes ne renonceront pas facilement.
Un autre côté défectueux de la combinaison, c'est qu'elle pourra exercer une influence fâcheuse sur la contribution personnelle. Je ne fais cette remarque qu'en passant.
Messieurs, je dirai un mot de l'article 14, qui 'est relatif au droit d'enregistrement des baux.
On s'imagine procurer un grand bienfait à l'agriculture en diminuant les droits d'enregistrement des baux. J'admets que l'élévation des droits d'enregistrement était un obstacle à ce qu'on eût recours à la forme authentique qui assure plus de régularité aux contrats. Mais en fait, ce n'était pas là un grand mal. Le défaut d'enregistrement empêchait même souvent des procès.
En effet, le taux élevé des droits engageait souvent les contractants à régler par transaction leurs différends.
Ce n'est certes pas là une compensation sérieuse.
Gardez vos droits d'enregistrement et n'augmentez pas nos impôts fonciers.
Je ne puis assez m'élever contre l'ensemble du projet de loi.
L'impôt foncier paye la rançon des cabaretiers.
Je termine en protestant, au nom des propriétaires et des cultivateurs, contre l'aggravation des charges foncières qui nous est infligée par un ministère soi-disant conservateur.
M. Elias. - Messieurs, j'avais espéré, jusqu'hier, que la Chambre n'aurait commencé la discussion de ce projet de loi que mardi prochain. Il me paraissait que ce jour convenait mieux pour une aussi importante discussion. On aurait pu, dans l'intervalle, discuter quelques petits projets de lois.
Je ne veux pas m'occuper de la question politique dite des cabaretiers, ce serait perdre inutilement son temps ; la volonté de la droite était parfaitement arrêtée.
Je ne présenterai que quelques remarques sur le rapport de l'honorable M. Cruyt.
M. le rapporteur est entré dans de longs développements pour prouver que l'impôt sur le débit des boissons distillées est un impôt indirect et non pas un impôt direct, comme l'a jugé la cour de cassation. Mais s'il était si bien persuadé de la vérité de cette thèse, comment se fait-il qu'il ait présenté un projet abolissant cet impôt ? Cela était parfaitement inutile. Il ne fallait pas bouleverser toute notre organisation financière, il suffisait de décréter par une loi que les droits de débit des boissons distillées ne sont pas un impôt direct et ils devaient disparaître du cens électoral.
Il a reculé sans doute parce qu'il a craint que cette décision ne parût heurter trop le sens commun.
Messieurs, la voie dans laquelle le ministère veut vous entraîner est extrêmement dangereuse : aujourd'hui ce sont les cabaretiers qu'on veut rayer des listes électorales, déjà on signale d'autres catégories de patentés que l'on prétend ne pas posséder les bases du cens, c'est-à-dire une aisance, une fortune représentée par l'impôt payé.
Déjà on annonce l'intention de faire disparaître les colporteurs, par exemple, des listes électorales. Ces électeurs n'ont qu'à bien se garder, qu'à bien voter. Ils sont prévenus, dès aujourd'hui, par le rapport de la section centrale.
Si l'on marche dans ce système d'épurations, voyez à quels résultats on aboutira.
Il y a quelques jours, nous avons voté une loi abaissant le cens électoral pour la commune et la province.
Les électeurs pour la nomination de ces deux corps vont se rapprocher des classes populaires.
Par les mesures que vous prenez actuellement vous élevez, au contraire, le cens pour les élections générales. Vous augmentez la différence qui existe déjà trop grande entre le corps électoral qui nomme les représentants et le corps électoral qui nomme les conseillers provinciaux et communaux.
Ne craignez-vous pas, en agissant ainsi, de vous éloigner trop de ces mêmes classes et d'affaiblir votre autorité, votre prestige ? Ce serait là un grand mal, un grand danger pour le pays.
Cela dit, j'entre dans la discussion du projet ayant pour but des modifications aux impôts.
Il s'agit donc de remplacer les 1,800,000 francs que l'Etat retire du droit de débit des boissons et des tabacs par de nouveaux impôts. Voyons, si ceux-ci sont bien choisis. Mon honorable ami, M. de Lexhy, vous en a déjà montré toute l'injustice. L'honorable M. Liénart, lui, a placé au commencement de son rapport un principe économique d'Adam Smith qui n'est contesté par personne : c'est que les sujets d'un Etat doivent participer aux impôts dans la proportion des biens dont ils jouissent sous la protection de l'Etat.
Une chose m'a souvent frappé, c'est que lorsqu'on étale ainsi des principes économiques admis de tous, très souvent on veut cacher sous leur invocation tous les accrocs qu'on se prépare à leur faire subir et c'est ce (page 1451) que vous remarquerez aujourd'hui en examinant de plus près les lois d'impôt qui vous sont soumises.
Il existe actuellement un écart considérable entre les impôts qui frappent les diverses classes de richesses en Belgique. Cet écart sera rendu plus considérable encore par les propositions contenues dans le projet de loi.
Ce projet peut se résumer en des termes assez simples.
Suppression de 1,800,000 francs demandés aux débits de boisson et de tabac, de 73,000 francs aux patentes des bateliers et compensation de ces réductions par une augmentation de l'impôt foncier et par 5 centimes additionnels au principal de la contribution personnelle, des patentes et des droits sur les mines. Plus une modification aux tantièmes des bénéfices payés par les sociétés anonymes.
Le projet contient encore une modification au droit de timbre, mais cette modification est compensée par une augmentation de 5 nouveaux centimes additionnels au droit de patente. Cette disposition me semble excellente. Je me hâte de le dire et me dispense d'en parler davantage.
Ensuite, pour parvenir plus tard, mais plus tard seulement, à diminuer le droit payé sur l'enregistrement des baux, le projet de loi propose de retirer, dès aujourd'hui, l'exemption de l'impôt foncier dont jouissaient, en vertu des lois antérieures, les constructions neuves.
Je me permettrai de vous faire remarquer que, pour une suppression éventuelle encore, le gouvernement demande dès maintenant d'adopter le principe de l'augmentation de l'impôt foncier à concurrence d'une somme de 600,000 à 700,000 francs.
L'honorable M. Jacobs dit, dans l'exposé des motifs, qu'il résulte des propositions faites que plusieurs impôts indirects sont par elles remplacés par des impôts directs ; il se vante beaucoup de ce résultat.
Il est très utile, sans doute, de rendre la perception des taxes plus facile, et les impôts directs ont cet avantage. Mais il est un principe supérieur, c'est celui invoqué par M. Liénart, c'est celui qui veut que les impôts frappent également toutes les richesses, que chacun y contribue en proportion de ses ressources. Or, le projet en discussion n'atteint pas ce résultat. C'est surtout l'impôt foncier déjà surtaxé qui sera encore augmenté et cela de deux chefs : 1° en élevant le multiplicateur du revenu cadastral ; 2° en retirant l'exemption du foncier aux maisons neuves.
Mais, disent M. le ministre des finances et M. Liénart, dans le fait il n'y aura pas augmentation, les provinces et les communes diminueront le produit de leurs centimes additionnels d'une somme égale à celle qui leur sera procurée par le droit de débit dont elles vont frapper les marchands d'alcools et de tabacs.
M. de Lexhy vient déjà de vous dire qu'il ne croyait pas que votre désir se réaliserait. Vous n'avez aucun moyen légal de contraindre ces administrations ; elles feront ou elles ne feront pas, selon leur volonté. On peut même prévoir qu'elles n'accepteront pas le cadeau que vous voulez leur faire ; on peut prévoir qu'elles ne diminueront pas leurs centimes additionnels et qu'elles laisseront là le droit de débit de boissons que vous leur offrez.
Ainsi que vous le savez, les débitants de boissons vont avoir une influence considérable dans le corps électoral provincial et communal ; ils se coaliseront et empêcheront les provinces et les communes de rétablir aucun droit.
Et, soyez-en certains, ils ne manqueront pas d'arguments sérieux à invoquer contre lui. M. Cruyt lui-même leur en a fourni un excellent ; il est formulé ainsi dans son rapport :
« Le grand nombre d'électeurs cabaretiers résulte aussi de cette particularité qui n'a pas été suffisamment remarquée, que les débitants de boissons payent pour une seule et même profession deux impôts, celui de la taxe spéciale dont il s'agit, et la patente générale des cabaretiers. »
Eh bien, si vous êtes en droit de dire ici aux cabaretiers qu'ils ne doivent pas être électeurs parce qu'ils payent deux fois pour la même profession, ne seront-ils pas en droit, plus tard, de dire qu'il est juste et équitable que ce double impôt disparaisse ?
De quel droit voudriez-vous obliger les provinces ou les communes, ou bien les provinces et les communes, car on ne sait si c'est aux provinces ou aux communes ou bien aux provinces et aux communes que M. le ministre des finances et M. le rapporteur s'adressent : le rapport et l'exposé sont contradictoires à ce sujet ; de quel droit, dis-je, voudriez-vous obliger les administrations à corriger les vices de vos impôts, à rétablir la justice dans leur répartition, lorsque vous-mêmes vous vous appliquez ici à détruire toute justice, toute égalité ?
Remarquez en outre, dans quelle situation vont se trouver les conseils provinciaux et communaux. Par la loi électorale qui vient d'être votée, ces conseils doivent être dissous l'année prochaine. Eh bien, croyez-vous que, dans cette situation, alors précisément que leur autorité est diminuée, que toute force d'initiative est pour ainsi dire vinculée en eux, par la limite restreinte que vous avez posée à leur existence, croyez-vous que ce soit le moment qu'ils iront choisir pour grever fortement une classe nombreuse de contribuables auxquels dans peu ils devront demander les suffrages ?
En vérité, il faut ne pas connaître la nature humaine pour croire qu'ils commettront cet acte louable, je le veux bien, mais extrêmement dangereux.
Nous nous trouvons donc en présence des seules propositions du gouvernement et pour les apprécier nous ne pouvons nous arrêter qu'aux seules dispositions qu'elles contiennent. (Interruption.) L'honorable M. Julliot me fait remarquer qu'il faut à ces administrations l'approbation de leurs budgets et qu'ainsi le gouvernement pourra agir sur elles. Sans doute, il leur faut cette approbation. Mais elle n'est nécessaire que pour des impôts nouveaux, nullement pour le maintien des anciens. Ce n'est que par un refus général que la députation ou le gouvernement pourrait agir et je vous assure qu'ils ne recourront pas à ce moyen extrême.
J'en reviens à l'examen des propositions du gouvernement.
L'impôt foncier, je l'ai dit tantôt, supportera une augmentation tout à fait exceptionnelle, si vous comparez cette augmentation à celle que subiront l'impôt personnel, le droit de patente, etc.
L'honorable M. Liénart dit cependant le contraire dans son rapport. En substituant, dit-il, aux 5 centimes dont sont frappés les autres impôts, une élévation peu sensible du multiple du revenu cadastral, en le portant de 6,70 à 7, l'impôt foncier ne subira qu'une aggravation inférieure de cent mille francs à celle qu'il aurait subie s'il avait été soumis à la même règle que les autres impôts. Il fait donc ici une espèce de bénéfice de cette somme.
Eh bien, je crois que c'est là une erreur et la plus grande de toutes. Loin de faire ce bénéfice, il se trouvera très maltraité.
En effet, les provinces et les communes ne changeront pas le chiffre des centimes additionnels dont elles grèvent le principal des divers impôts. Vous pouvez constater par les tableaux qui nous ont été distribués que les centimes additionnels ont presque toujours la même importance pour les différentes bases de l'impôt : s'il y a dix centimes additionnels à la contribution foncière, il y en a autant à la contribution personnelle et au droit de patente. Les centimes existent, ils sont approuvés, payés par les habitants, ils sont maintenus.
Voyons quelle est l'importance de ces centimes additionnels, voyons dans quelle proportion ces centimes vont aggraver l'augmentation d'impôt proposée par le gouvernement.
D'après les statistiques qui nous ont été distribuées, on voit qu'ils produisaient, en 1866, 3,890,000 francs pour les provinces et 4,166,000 fr. pour les communes.
Mais ce ne sont pas là les sommes qui seront portées aux budgets en 1872. Presque partout les impôts provinciaux et communaux ont suivi une progression normale, comme conséquence de la progression des charges, du développement de l'instruction, de la voirie, etc. Si vous considérez le résultat des cinq dernières années qui sont dans les tableaux de l'annuaire, vous constaterez que cette augmentation est en moyenne de 197,000 francs pour les provinces et de 187,000 francs pour les communes.
Ce qui, ajouté aux chiffres que nous avons énoncés tantôt pour 1866, donne, pour 1872, une somme de 9,537,000 francs, soit 9,540,000 francs en chiffres ronds. Ces centimes additionnels grèvent le principal de la contribution personnelle, de la contribution foncière, du droit de patente, etc., total 34,590,000 francs ; ce qui fait 27.6 additionnels par franc, compris dans le principal de ces divers impôts.
Appliquez ce chiffre à l'augmentation proposée au principal de l'impôt foncier, et vous trouverez, messieurs, que ce chiffre sera fatalement augmenté d'une somme de 237,000 francs.
Si vous tenez compte d'une seconde augmentation que doit subir le principal de l'impôt foncier par suite du retrait de l'exemption de l'impôt sur les constructions neuves, soit 600,000 francs, vous trouvez que la somme de centimes additionnels qui s'ajoutera à votre propre élévation de l'impôt foncier sera de plus de 400,000 francs.
Et voyez alors en présence de quel chiffre nous sommes frappés par l'augmentation de l'impôt foncier qui sera voté aujourd'hui ; nous sommes en présence d'une augmentation de 1,860,000 francs, c'est-à-dire d'un chiffre égal au chiffre que, d'après l'évaluation de 1851, devait produire la loi sur les successions en ligne directe, loi qui, comme vous le savez, a causé dans le pays une émotion si grande.
(page 1452) Les propositions qu'on nous présente aujourd'hui sous une forme excessivement anodine ont donc une importance majeure.
Les 27 6/10 centimes additionnels ne sont qu'une moyenne, leur taux est très différent dans les communes. Il va de 10 à 12 centimes à 65 centimes et même plus. Voyez quelle aggravation va subir la propriété foncière dans ces communes !
Une autre observation à présenter, c'est que l'impôt foncier a été bouleversé, on peut le dire, il y a quelques années à peine, en 1867, dans le but de dégrever les Flandres d'un excédant d'impôts.
Certaines provinces, notamment les provinces de Liège et de Hainaut, ont subi une augmentation considérable de l'impôt foncier.
Vous les frappez encore aujourd'hui, ne craignez-vous pas que les contribuables de ces provinces qui ont supporté patiemment la première augmentation parce qu'ils l'ont considérée comme la réparation d'une injustice, ne se trouveront pas réellement froissés de se voir grevés de nouveau cette année et ce hors de toute justice, s'ils examinent ce que vous faites pour d'autres contribuables ?
Messieurs, en présence de cette augmentation considérable, on doit se demander si c'était bien à la propriété foncière, à la richesse immobilière du pays, que le gouvernement devait s'adresser, s'il avait besoin d'argent, et si la propriété foncière ne paye pas déjà plus que sa part dans les impôts de l'Etat ? La réponse était facile à trouver. La part dans l'impôt imposée à cette richesse est déjà exorbitante, cela peut très bien se démontrer. Il suffit d'évaluer très approximativement le montant de la richesse immobilière et celui de la richesse mobilière et de voir, d'un autre côté, quels sont les impôts que supportent proportionnellement ces deux parties de la richesse publique, pour reconnaître que la propriété foncière devait être cette fois affranchie de toute aggravation d'impôts.
L'évaluation de la propriété foncière n'est pas difficile à faire. Le cadastre en fournit les éléments ; il y a quelques années à peine on a procédé à la révision du cadastre et si cette révision a laissé subsister certaines injustices, certaines inégalités dans la répartition faite entre les contribuables, on peut dire néanmoins que globalement, généralement cette révision a donné des résultats approximativement exacts. Cependant comme elle a été ordonnée il y a plus de dix ans déjà, qu'elle s'est faite sur une période d'années antérieures encore, il faut tenir compte de certaine augmentation.
Voici des chiffres de ce travail. Le revenu cadastral des propriétés non bâties a été évalué à 188 millions chiffre rond. Pour ce genre de propriété je crois qu'on doit considérer que le revenu cadastral ne représente que 3 p. c. de la valeur réelle.
Il est ainsi tenu compte de l'observation émise tantôt.
Pour la propriété bâtie, le revenu cadastral est de 93,700,000 francs. Ici je pense qu'on doit supposer que le revenu de ce genre de propriétés est plus élevé et que les propriétés rapportent au moins 5 p. c, et en ajoutant ces deux chiffres, nous trouvons, pour la valeur des immeubles possédés en Belgique par des particuliers, une somme de 8 milliards 140,000,000 de francs.
Il est plus difficile d'évaluer, même très approximativement, quelle est l'importance de la richesse mobilière.
Cependant l'honorable M. Demeur nous a donné, il y a quelques jours, certains chiffres qui pourront nous permettre d'arriver assez près de la vérité.
J'ai jusqu'ici confiance dans les connaissances financières de l'honorable membre, dans ses chiffres. L'honorable ministre des finances a souvent égard à ses idées en matière d'impôts et une ou deux fois déjà nous les avons vu adopter par le cabinet.
Voici donc quelques évaluations de richesses mobilières que nous a données M. Demeur : Emprunts du gouvernement, des conseils communaux, des conseils provinciaux, un milliard ; obligations des sociétés anonymes, un milliard et demi ; prêts hypothécaires, un milliard ; valeurs étrangères, un milliard et demi. Voilà déjà un joli chiffre.
On peut y ajouter un demi-milliard de numéraire, ensuite la valeur du mobilier proprement dit possédé par chacun de nous.
Il y a un moyen suivi par l'administration des contributions pour évaluer ce mobilier.
L'administration des contributions multiplie par 15 la valeur locative des maisons pour évaluer la valeur probable du mobilier. Ce procédé donne 1,400,000,000. Je dois déclarer que j'ai pris le revenu cadastral des propriétés bâties au lieu de la valeur locative, que je ne connaissais pas. Mais, ainsi que l'a déclaré l'honorable M. Frère-Orban dans une précédente séance il y a presque égalité. Enfin, l'industrie, le commerce ont d'énormes valeurs mobilières. Le commerce avec l'étranger, par exemple, est représenté par deux chiffres dans les tableaux du commerce, 750,000,000 à 1'importation, 660,000,000 à l'exportation. Ce commerce doit avoir à sa disposition des valeurs de toute nature pour une somme au moins égale. Chiffre rond, un milliard et demi. Nous arrivons à un chiffre 7,900,000,000, très rapproché du chiffre de huit milliards cent et quelques millions trouvé pour la valeur des immeubles.
En ajoutant toutes les valeurs diverses qui doivent encore se trouver dans le pays et qu'il est impossible de faire entrer dans des catégories dont on puisse apprécier l'importance exactement, il est évident qu'on doit arriver à un chiffre plus fort, plus élevé que celui des immeubles.
Une simple réflexion le démontre. Ajoutez à ce que je viens d'énumérer la somme d'objets que le pays produit et consomme, objets dont la valeur n'est renseignée nulle part et vous acquerrez la même conviction que moi.
Cela fait, il sera facile de vous assurer que les impôts ne sont pas supportés également par ces deux parties de la fortune publique.
Nous avons donc en présence deux richesses de natures différentes, mais qui cependant doivent participer également aux charges de l'Etat. Ainsi le veut le principe économique indiqué par l'honorable M. Liénart.
En est-il ainsi ?
Il suffit d'ouvrir un budget des voies et moyens pour avoir la conviction la plus absolue que les immeubles payent dans une proportion beaucoup plus forte que les meubles. Si je ne craignais d'abuser des moments de la Chambre, je vous citerais quelques chiffres qui, je crois, vous donneraient à cet égard une certitude absolue.
Ouvrez un budget et vous acquerrez immédiatement la certitude que la propriété foncière paye une part d'impôt beaucoup plus forte que toute la richesse mobilière. Il suffirait d'examiner un seul article : celui de l'impôt foncier proprement dit ; cet impôt se serait élevé naturellement, en 1872, à 19,200,000 francs. Il sera demain de 20,660,000 francs, c'est-à-dire qu'il atteindra le sixième de tous les impôts directs et indirects qui se trouvent à notre budget ; car le produit de ces impôts ne dépasse pas de beaucoup 120,000,000. Le sixième de tous les impôts, pour l'impôt foncier seul, est quelque chose d'énorme déjà.
En France, où le budget est si élevé, le produit de l'impôt foncier, en 1871, n'était évalué qu'à 173 millions, et cela dans un budget dont les recettes ordinaires étaient évaluées à 1,800,000,000 de francs, c'est-à-dire que l'impôt foncier n'atteignait que le dixième de toutes les contributions, du produit de tous les impôts. L'impôt foncier est donc relativement infiniment plus élevé en Belgique qu'en France.
M. de Parieu, qui a examiné avec tant de soin les impôts des différents pays (son ouvrage est de 1862 il est vrai, mais dans les tarifs généraux il y a eu peu de modifications depuis lors) reconnaissait à cette époque que l'impôt foncier en Belgique était considérable. (T. 1, p. 184.)
Du reste, je ne suis pas seul à reconnaître que les immeubles en Belgique supportent la plus forte part de nos impôts. Déjà en 1848, l'honorable M. Raikem, cet homme qui a laissé un nom vénéré et de si grands souvenirs dans le parlement belge, reconnaissait que les immeubles supportaient une part proportionnellement très grande dans les impôts de l'Etat. Il reconnaissait qu'outre l'impôt foncier, les immeubles supportent encore, dans les autres recettes, des charges de toute nature.
Je demanderai, disait-il, qui paye le plus de droits de mutation et d'enregistrement, le plus de droits de transcription et d'autres, si ce n'est la propriété foncière ? Et il ajoutait : Cette propriété ne peut se soustraire ni aux droits d'enregistrement et de mutation, ni aux droits de succession. Et quant à ces derniers, j'ajouterai que les valeurs mobilières s'y soustraient malheureusement presque toujours.
Par conséquent, la part des impôts qui frappent les immeubles en Belgique est déjà trop considérable. Que sera-ce donc lorsque vous l'aurez augmentée en un seul jour d'une somme de 1,860,000 francs ?
Je pourrais, en examinant avec vous ce budget, trouver bien des articles dont le produit n'est nullement en rapport avec la valeur des objets y désignés, surtout en comparaison de l'impôt foncier. J'arriverais, en décomposant les articles et en en réunissant ensuite les éléments divers dans des groupes différents par la nature des objets, je pourrais arriver à une démonstration presque mathématique. Mais ce travail, cette recherche ressemblerait un peu à une dénonciation et je ne veux pas entrer dans cette voie.
Et remarquez, messieurs, que ce n'est pas tout, qu'une partie de l'augmentation proposée sur l'impôt personnel atteint encore directement la richesse immobilière.
En effet, dans les 5 centimes additionnels qui doivent frapper la contribution personnelle et qui donnent une somme de 550,000 francs, on trouve que les trois quarts tomberont encore à la charge de la propriété immobilière. Nous aurons donc une augmentation de 2,300,000 francs.
(page 1453) En présence de ce résultat, on se demande comment il est possible que le gouvernement n'ait pas cherché d'autres bases pour compenser le déficit que la suppression du droit de débit des boissons devait produire. Du moment qu'il était décidé à supprimer ce droit, il aurait dû chercher à le remplacer par un impôt frappant une matière moins imposée que les biens-fonds.
Remarquez en outre, messieurs, dans quelle situation, dans quelles conditions l'on vient frapper cette richesse immobilière et surtout la propriété non bâtie, c'est-à-dire les biens ruraux ; on vient les frapper dans une année où leur produit sera très faible, la récolte s'annonçant très mal.
Et qu'on ne vienne pas nous dire que le propriétaire seul paye l'impôt foncier, cela serait inexact. L'honorable ministre sait tout aussi bien que moi que la clause par laquelle le propriétaire met l'impôt foncier à la charge du locataire, que cette clause est à peu près de style ; de sorte qu'en réalité l'impôt foncier frappe le cultivateur, déjà si éprouvé par une mauvaise récolte et par les dépenses extraordinaires qu'il a dû faire pour les semailles.
A la fin, après l'expiration des baux, le propriétaire finit par payer l'impôt foncier. En théorie, c'est même lui qui doit toujours payer, mais, en fait, l'existence de baux anciens, la concurrence lors des renouvellements de baux, font que pendant longtemps c'est le fermier seul qui en supporte toute augmentation. C'est donc lui que vous allez atteindre, et dans quelle position ?
Qu'on ne dise pas non plus que l'impôt foncier se répartit sur tous les consommateurs par l'augmentation du prix des céréales ; ce serait une grave erreur ; l'impôt foncier ne se répartit pas, il reste intégralement à la charge du cultivateur d'abord, du propriétaire ensuite.
Cette vérité de la non-répartition de l'impôt foncier sur les consommateurs de céréales, je pourrais la démontrer, si le moindre doute existait en vous. Une réflexion vous fournira cette preuve, c'est que la valeur des grains payée ici en Belgique résulte non de l'importance de la récolte belge, non du prix de revient de nos blés, mais bien du prix général de ces grains sur les grands marchés européens. La Belgique est un pays d'importation pour les céréales, il ne faut pas l'oublier.
Ayant besoin de ressources, on se demande comment M. le ministre n'a pas cherché à les obtenir par une augmentation de l'impôt sur la fabrication des alcools. Il aurait ainsi frappé les consommateurs d'alcools, dégrevés d'autre part. Est-ce pour les dégrever qu'il nous fait voter une réforme ? Non sans doute.
Voilà cependant le résultat auquel il va aboutir. Cette augmentation présente des difficultés, me direz-vous ; sans conteste, mais pas insurmontables. N'y avait-il, du reste, rien de mieux à réformer en fait d'impôts ou à frapper davantage, ce qui est tout comme ? Il y a quelques jours à peine vous déclariez, M. le ministre, qu'il y avait lieu de réviser la loi sur les patentes :
« Le maximum de la loi sur les patentes est de 400 et quelques francs ; ce chiffre n'est pas en rapport avec le produit des grandes industries, avec les patentes des sociétés anonymes, avec l’impôt foncier, avec les charges des autres impôts.
« D'autre part, il est certain aussi que le minimum pourra être abaissé dans un bon nombre de cas ; de petits patentables y gagneront, mais les grands y perdront plus que les petits n'y gagneront. »
Les grandes banques, les grands industriels ne payent plus aujourd'hui des contributions en rapport avec les grandes affaires qu'ils font. Ce maximum de 400 francs ne peut être maintenu. Il y a là des contribuables privilégiés que vous pourriez atteindre sans qu'ils aient trop le droit de se plaindre, de crier.
Il suffirait pour cela de faire une révision de la loi sur les patentes.
Cette révision est difficile, je le veux bien, mais faut-il reculer devant une difficulté quant il s'agit de s'exempter d'une injustice ? Ne pouviez-vous, du reste, attendre un an pour faire votre réforme, vous donner le temps de préparer cette loi sur les patentes et laisser les fermiers tranquilles ? Evidemment oui. Cette réforme des patentes qui vous permettait d'élever là cote des gros patentables vous donnait occasion de diminuer celle des petits, auxquels vous vous intéressiez tant avant les élections.
Il y a un an à peine, tous les candidats de la droite déclaraient dans les réunions, dans les meetings, ils déclaraient, notamment, à la réunion de la Concordia à Liège qu'il y avait lieu de réviser la loi sur les patentes dans le but de réduire la cote des petits patentables.
Vous auriez ainsi accompli vos promesses électorales.
Une révision n'est du reste pas si difficile qu'on veut bien vous le dire.
Vous avez été précédés dans cette voie de la réforme par une administration communale qui a imposé des centimes additionnels d'un taux différent à certaines catégories de patentables, selon que leur position s'était modifiée.
L'honorable M. Malou, dans un discours qu'il a prononcé au Sénat il y a quelques jours, a parlé avec assez d'ironie et un peu d'amertume, ce qui s'explique du reste, « du génie de l'impôt qui, dans une commune, allait jusqu'à inventer six taxes spéciales, y compris une taxe sur les avocats. » Et pourquoi pas ? une taxe sur les avocats.
Vous pouviez donc trouvez là des bases d'appréciation si tant est que vous puissiez en avoir besoin ayant à votre disposition tous les renseignements de l'administration du fisc.
Il est une autre réforme à faire, une catégorie de biens qui échappent aujourd'hui à certains impôts et que vous pouvez atteindre.
J'avoue que je n'aime pas à signaler ainsi ceux de mes concitoyens dont les contributions doivent être augmentées, mais pour ceux-ci, je suis sans crainte aucune.
Je suis certain que M. le ministre ne s'emparera pas de mes renseignements. Je veux parler, en effet, des possesseurs des biens de mainmorte.
Les biens de mainmorte ne paient ni droits de succession ni droits de mutation.
La loi de 1851 sur les successions en ligne directe a eu pour effet de soumettre forcément à l'impôt des successions tous les biens possédés par des particuliers au bout d'une série d'années qui n'est pas très longue.
Les biens de mainmorte y échappent. Il serait donc juste de les soumettre à une taxe donnant un produit équivalent à la somme d'impôts que payent en plus les autres biens.
Depuis quelques années, un grand pays voisin a fait une loi pour ces biens.
Cette loi de 1849 les a grevés, en France, d'une taxe qui rapporte 53670,000 francs par an.
Proportion gardée, une taxe identique pourrait rapporter une somme de 600,000 francs, dans notre pays, et ce produit n'est pas à dédaigner par vous, car 600,000 francs forment déjà le tiers des ressources dont vous aviez besoin en ce moment. Mais loin de grever ces biens de mainmorte, M. le ministre des finances ne songe qu'à les faire jouir de nouvelles immunités.
Comme compensation à toutes les aggravations de charges qu'il imposa aux propriétaires, il a trouvé qu'il y avait lieu de diminuer une contribution, c'est le droit sur les baux.
Cette diminution, d'après les prévisions de l'honorable ministre, produira une somme de 100,000 francs de moins que le produit actuel. C'est donc un bénéfice de 100,000 francs annuellement pour les contribuables qui y sont astreints. Voyons les immeubles qui jouiront de cette diminution. Ce sont, dit M. le ministre, principalement les immeubles qui sont possédés par des établissements publics. Et c'est parfaitement vrai, car tout le monde sait que les particuliers se passent généralement aujourd'hui de baux authentiques et ainsi échappent presque tous aux droits fixés pour l'enregistrement des baux.
Pour être très large, j'admets que les baux des particuliers payent un quart de la somme produite par ces droits. Les trois autres quarts sont payés par les établissements publics. Ceux-ci jouiront donc des trois quarts de la diminution que vous opérez sur l'enregistrement des baux ; ils auront les trois quarts de 100,000 francs, soit 75,000 francs.
Quels sont les établissements publics qui vont jouir de cette faveur ? Voilà la question.
Un document distribué à la Chambre en 1866, sous le n°104, donne une évaluation aussi exacte que possible de l'importance des biens de ces établissements.
D'après ces documents, les communes possèdent des biens d'un revenu de 2,200,000 francs. Ce sont presque tous des bois et des bruyères. La majeure partie se trouve dans le Limbourg et le Luxembourg, Ces biens, par leur nature, ne sont donc pas atteints par le droit sur les baux.
Les bureaux de bienfaisance et les hospices possèdent des biens immeubles d'un revenu de 4,600,000 francs. Les fabriques d'église, des biens d'un revenu de 2,200,000 francs ; les congrégations religieuses reconnues sont comprises dans ce chiffre. Les revenus imposables de biens possédés par les communautés religieuses non reconnues sont évalués très approximativement, et je puis dire que c'est une approximation qui ne se rapproche guère de la réalité, à 700,000 francs, le total est donc de 2,900,000 francs.
Si vous divisiez le bénéfice que la réduction va produire à ces biens de mainmorte, vous trouverez que les bureaux de bienfaisance jouiront d'une réduction de 45,000 francs annuellement approximativement ; les (page 1454) fabriques d'église, les congrégations religieuses, reconnues et non reconnues, d'une diminution d'impôt de 30,000 francs environ.
Ce dernier chiffre est le bénéfice direct que les propositions gouvernementales vont donner au clergé régulier et séculier.
Mais, comme les membres de ce clergé, et je les en loue, prennent aussi une part active à la direction, à l'administration et à la distribution surtout des biens des institutions charitables, on peut dire que le cadeau qui est fait à ces administrations lui sera aussi très agréable.
Le clergé régulier et séculier jouira donc d'un avantage assez considérable. C'est la le don de joyeux avènement que l'honorable ministre des finances a voulu faire sans doute à ses partisans les plus dévoués.
Ainsi donc, messieurs, le projet de loi d'impôt qui vous est soumis peut se résumer en deux mots quant aux diminutions d'impôts : dégrèvement des droits sur les boissons alcooliques, dégrèvement des impôts payés par les consommateurs de genièvre, dégrèvement des droits payés par le clergé.
Ces deux catégories de dégrèvements font apprécier parfaitement quelle est la politique du cabinet, quels sont les contribuables sur l'appui desquels il compte pour se maintenir.
Ce n'est plus là l'ancienne politique catholique qui s'était toujours montrée conservatrice en matière financière, qui avait toujours défendu les intérêts des propriétaires fonciers et surtout des cultivateurs.
Cette politique a fait place à celle d'un parti nouveau qui, poussé et soutenu par un clergé ultramontain, ne va demander d'autres appuis, d'autres alliés qu'à cette partie de la population qui fournit les habitués de certains meetings de grandes villes.
(page 1440) M. de Vrints. - Messieurs, le gouvernement nous propose de modifier plusieurs lois d'impôts. Le droit de débit en détail de boissons alcooliques et le droit de débit de tabacs, ont été considérés par la jurisprudence comme un impôt direct.
Ces patentes comptaient donc pour parfaire le cens électoral.
Aujourd'hui, le gouvernement supprime ces impôts spéciaux, qu'il dit convenir mieux aux provinces et aux communes qu'à l'Etat.
Ainsi, on relire aux débitants de boissons alcooliques et aux marchands de tabac leurs droits électoraux et on charge indirectement les provinces et les communes de la mission si impopulaire de frapper, pour leur compte, des contributions qui étaient payées jusqu'à maintenant à l'Etat.
Nous voyons par ceci que les cabaretiers payeront à la province ou à la commune l'impôt qu'ils payaient précédemment au gouvernement et ils n'auront plus la compensation d'être électeurs pour les Chambres.
Je ne veux approuver, ni directement ni indirectement, la création d'un trop grand nombre d'établissements où se débitent les liqueurs fortes.
Si la nouvelle loi apportait un frein à la passion si malheureuse de l'ivrognerie, je dirais au gouvernement : Vous avez raison ; il est temps d'arrêter un mal qui fait de si grands ravages.
Si la commune et la province perçoivent l'impôt ; il n'y aura pas un cabaret de moins.
Si la commune et la province reculent devant l'impopularité de cette taxe, le nombre de débits de boissons ira toujours en augmentant et il est à craindre que, dans certains centres industriels, on ne pourra plus faire un pas sans rencontrer un cabaret.
Vous voyez donc, messieurs, que, de n'importe quelle façon vous examinez la question, le résultat restera toujours le même, le nombre dés cabarets ne diminuera pas et vous enlèverez à toute une catégorie de citoyens un droit qui leur était acquis depuis nombre d'années.
Ce dernier résultat sera donc en opposition flagrante avec le principe de l'extension du suffrage, extension que je croyais dans les idées du gouvernement de favoriser le plus possible.
J'ai toujours eu la conviction que la loi électorale votée il y a quelques jours était une loi de parti et qu'elle excluait du corps électoral des citoyens considérés comme étant hostiles au gouvernement actuel.
Aujourd'hui plus personne ne peut douter des intentions du ministère, puisque nous avons la nouvelle loi des impôts sous les yeux.
Le gouvernement, en faisant aux provinces et aux communes un si beau cadeau, en leur cédant le droit de patente pour les alcools et pour le tabac, doit penser naturellement à se créer de nouvelles ressources.
Il faut combler le déficit et remplir les caisses de l'Etat.
Il y a différentes manières pour arriver à combler ce vide.
Nous verrons maintenant comment M. le ministre des finances s'y prend pour arriver à son but.
Je ne veux pas entrer ici dans la nomenclature des différents impôts que M. le ministre aurait pu créer, puisque je suis adversaire de toutes nouvelles charges à imposer aux contribuables et partisan, au contraire, de la réduction dis impôts déjà existants.
M. le ministre des finances propose :
1° Augmentation de l'impôt foncier ;
2° Augmentation des patentes et du personnel ;
3° Abolition des exemptions pour les nouvelles bâtisses.
L'article 88 de la loi du 3 frimaire an VII soumettait à la contribution foncière, la troisième année après leur construction, les maisons, fabriques, usines et autres bâtiments nouvellement construits ou reconstruits.
Cette disposition, qui est encore en vigueur en France, a été abrogée en Belgique par la loi du 28 mars 1828, portant les exceptions suivantes :
1° A huit années pour les constructions élevées sur des terrains où, depuis au moins trois ans, il n'existait aucun bâtiment, ainsi que pour les bâtiments construits en place d'autres entièrement détruits par incendie, inondation et autres fléaux ;
2° A cinq années pour les maisons et bâtiments construits à la place d'autres entièrement démolis dans les trois années qui précèdent immédiatement celle de la construction ;
3° A trois années pour les maisons et bâtiments partiellement renouvelés ou agrandis au moyen de nouvelles constructions.
Dans le projet de loi du ministère, l'impôt foncier sera porté de 6 fr. 70 c. p. c. du revenu cadastral actuel à 7 p. c ; ce qui est une aggravation de près de 4 1/2 p. c. et forme une nouvelle charge pour les contribuables de 806,000 francs, qui devra être prélevée sur la propriété foncière proprement dite.
Par suite de la péréquation cadastrale de 1867, les Flandres ont été dégrevées ; mais la province de Brabant et l'arrondissement de Nivelles en particulier ont vu leur revenu cadastral augmenté d'environ 76 p. c. en moyenne, ce qui, malgré l'abaissement du taux de l'impôt à 6 fr. 70 c. p. c. (page 1441) du revenu nouveau, a produit, pour nous, une aggravation nouvelle d'environ 8 p. c. sur l'impôt foncier tel qu'il existait avant 1867.
Si l'on ajoute encore a cette augmentation celle proposée de 4 1/4 p. c, nous aurons dû subir, en quelques années, une aggravation réelle d'environ 13 p. c.
Je demanderai au gouvernement s'il est bien prudent de frapper constamment la propriété foncière et de tarir ainsi une source de revenu qu'il faudrait, me semble-t-il, conserver comme dernière réserve pour des cas de nécessité absolue ?
Cette augmentation d'impôt coïncidant avec les résultats médiocres des récoltes des années 1868, 1869 et 1870 sera d'autant plus lourde à supporter.
Quant à la récolte de 1871, vous savez tous, messieurs, qu'elle est des plus mauvaises.
Le froment et le seigle sont perdus et les cultivateurs ont été obligés d'ensemencer une seconde fois leurs terres pour en tirer Dieu sait quel maigre produit !
La Belgique est dépourvue de paille et de fourrages, et le cultivateur est forcé de se défaire à vil prix de son bétail maigre, ce qui changera pour longtemps les conditions de la culture de notre pays.
C'est une véritable calamité qui frappe les propriétaires et les locataires.
Le gouvernement aurait dû penser qu'il n'était pas prudent de demander à la Chambre et au pays des aggravations de charges dans un moment aussi néfaste. Il aurait dû plutôt songer à proposer un dégrèvement de l'impôt foncier.
Autre aggravation d'impôt. Les maisons et autres bâtiments construits ou reconstruits sont imposables à la contribution foncière a partir du 1er janvier de la seconde année qui suit l'occupation de l'immeuble.
Je ne compte dire que quelques mots sur cette question, et ce uniquement au point de vue des intérêts des petites villes et des campagnes, laissant aux députés des grandes villes du royaume le soin d'attaquer le projet de loi en ce qui touche les intérêts financiers des communes.
J'ai cité plus haut le texte de la loi du 28 mars 1828 concernant les nouvelles bâtisses.
La disposition qui se trouve dans le projet de loi sera un empêchement sérieux aux constructions à la campagne et dans les petites villes, où la bâtisse est déjà si fortement entravée par la dépréciation qui frappe immédiatement toute construction dépassant un certain revenu.
Cette charge, jointe à la précédente (860,000 francs), portera à plus d'un million annuellement la charge nouvelle à supporter pour la propriété foncière.
L'augmentation sur les patentes et le personnel dépassera la somme de 800,000 francs. Le total sera d'environ deux millions.
En terminant, permettez-moi, messieurs, de rappeler à votre mémoire les paroles prononcées par un honorable sénateur dont le dévouement fut si utile au ministère actuel lors de ses débuts.
Haranguant les électeurs de Saint-Nicolas à la veille des élections du 2 août, l'honorable M. Malou leur disait qu'il croyait le moment venu de faire aux contribuables la part la plus large dans la prospérité publique et' qu'il espérait que ce dégrèvement des impôts serait un des bienfaits de la nouvelle administration et un don de joyeuse entrée.
Pour ceux à qui ces paroles ne paraîtraient pas suffisamment autorisées pour être considérée comme une note d'engagement pris par le ministère, je les renvoie au discours adressé par M. Cornesse, ministre de la justice, à ses électeurs de Verviers.
Voici les promesses du ministre à son entrée aux affaires, il y a six mois à peine :
« En matière d'impôt, je proposerai la suppression de ceux qui pèsent particulièrement sur les classes nécessiteuses, notamment de l'accise sur la bière, la boisson du pauvre.
« En présence de l'accroissement énorme et constant des revenus de l'Etat, il paraît utile de penser quelquefois aux contribuables et de diminuer les lourdes charges qui pèsent sur eux.
« Si l'Etat intervenait moins dans une quantité de matières qui pourraient être abandonnées à l'initiative privée, il en résulterait, au profit de l'agriculture et du commerce, une diminution notable des charges et le pays ne s'en porterait pas plus mal. »
Quant aux actes, ils sont connus de tous ; je laisse le pays et la Chambre juges de décider si les actes sont en rapport avec des promesses si explicites et si formelles.
M. Mascart. - Messieurs, le projet soumis aux délibérations de la Chambre a virement ému nos populations agricoles, dont il semble que le gouvernement ne s'occupe que pour leur rappeler qu'elles sont toujours taillables et corvéables comme autrefois. Jusqu'à présent, aucune atteinte n'avait été portée à la fixité de l'impôt foncier, impôt de répartition que l'on pouvait considérer comme immuable. Le nouveau cabinet, reniant un passé qui remonte à plus de soixante ans, porte, par le projet qui vous est soumis, une première et grave atteinte à cette fixité. Les conséquences de cette mesure peuvent être extrêmement graves et n'échappent pas au bon sens pratique de nos agriculteurs. Ils comprennent parfaitement que si aujourd'hui un intérêt ou un caprice politique vous fait augmenter l'impôt de près de 4 1/2 p. c., rien ne garantit pour l'avenir que des besoins de même nature n'amèneront pas de nouvelles charges.
Pour calmer leurs appréhensions, l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale affirment que l'impôt restera tel qu'il est ; que les provinces réduiront leurs centimes additionnels d'une somme égale au produit du débit de boissons et de tabacs, que vous leur cédez.
N'allez pas croire que nos populations agricoles vont accepter bénévolement une fausse monnaie de cette espèce. Elles n'ignorent pas que, par votre réforme récente, vous avez abaissé le cens électoral pour la province au chiffre de vingt francs et que vous avez créé ainsi une quantité considérable d'électeurs cabaretiers, auxquels il sera bien dangereux de déplaire. Vous connaissez leur puissance et leur influence. C'est à eux que vous devez, en grande partie, d'être majorité aujourd'hui dans la Chambre. Mais vous avez déjà eu presque le temps de l'oublier. Vous n'y songez guère plus depuis que vous avez décidé de vous débarrasser d'eux pour les élections générales. Les conseillers provinciaux, qui auront à compter avec eux, se tireront d'affaire comme ils le pourront. C'est là le moindre de vos soucis !
En récompense du service qu'ils vous ont rendu, vous les chassez aujourd'hui des comices pour les Chambres. Vous leur ouvrez, il est vrai, la porte à deux battants pour entrer dans les comices provinciaux et communaux, compensation ingénieuse, à laquelle le célèbre Azaïs n'avait jamais songé.
Mais admettons que les conseils provinciaux se rendent à votre appel et qu'à une augmentation du principal de l'impôt foncier, ils répondent par une réduction des centimes additionnels perçus à leur profit et pour une somme égale, quelle garantie aura-t-on que cette situation sera maintenue ? L'augmentation au profit de l'Etat restera sans aucun doute et la réduction des centimes additionnels, si tant est qu'on l'obtienne des conseils provinciaux, cessera du moment où la province aura besoin de se créer des ressources quelconques. Et comme c'est là la règle annuelle invariable, cela ne se fera pas attendre.
Elle ajoutera d'abord un nouveau centime additionnel, puis un autre, jusqu'à ce que le tout soit rétabli.
Dans quel moment, messieurs, vient-on nous proposer cette grave mesure ? Dans un moment où l'agriculture entre dans une crise épouvantable et certainement d'une très grande durée. Je suis convaincu que le désastre qu'elle éprouve ne sera pas réparé dans dix ans.
Les récoltes en 1868, 1869 et 1870, n'ont été, on le sait, que médiocres, mais celle de 1871 sera nulle pour nos principaux produits et, quelque sombre que soit le tableau qu'on en a fait dans une autre enceinte, il est encore en-dessous de la réalité. Le froment d'hiver et le seigle, nos principaux produits, ne donneront pas un dixième de récolte !
Le colza, l'escourgeon, les navets, le trèfle incarnat ont été complètement détruits ; il n'en est pas resté de traces. Le trèfle ordinaire, profondément altéré par les gelées, ne donnera qu'un demi-produit. Mais ce qui est encore plus déplorable, c'est la situation qui est faite au bétail ; la paille ayant été peu abondante pendant ces trois dernières années et les plantes fourragères ayant été détruites, il en est résulté qu'il devient presque impossible, je ne dirai pas de nourrir les animaux domestiques, mais de les maintenir en vie.
Chacun cherche à vendre son bétail, son bétail maigre surtout, même aux prix les plus ruineux pour les éleveurs ; les étables se dégarnissent et, la paille pour litière faisant complètement défaut, la production du fumier est arrêtée ; or, sans fumier pas de grains.
Je le répète, l'agriculture aura à traverser une crise d'une très longue durée et d'une gravité extrême. Pour alléger de pareilles souffrances, M. le ministre des finances est venu nous dire qu'il avait à sa disposition une somme de 120,000 francs provenant du budget des non-valeurs, que des modérations et des exemptions d'impôt seraient accordés à ceux dont les récoltes étaient détruites par les intempéries. 120,000 francs, c'est bien peu de chose, messieurs : ce n'est guère que la huitième partie du montant de l'aggravation de l'impôt foncier et qui sera permanent, C'est une vraie dérision !
Et encore, pour avoir droit à cette faveur, faut-il que la récolte soit (page 1442) complètement perdue, condition qui me paraît souverainement contraire à l'équité ; un simple fait le démontre :
La contribution foncière est assise sur le revenu, et dès qu'il y a récolte, il semblerait, au premier abord, qu'il y a revenu ; mais il n'en est pas toujours ainsi, car on peut avoir une récolte ordinaire et ne pas avoir de revenu c'est lorsque la valeur de cette récolte ne couvre pas même les frais de production ou les labours et les semences. C'est le cas dans lequel se trouvent un grand nombre de terres dont les récoltes ont été détruites l'hiver dernier.
Ainsi, un hectare de terre d'un revenu imposable de 150 francs et payant a l'Etat 10 fr. 50 c. d'impôts a été ensemencé de froment d'hiver en septembre dernier ; il a coûté, d'abord, en frais de culture, 70 francs, plus 2 hectolitres de semences évalués à. 50 francs. Ce grain ayant été gelé, l'opération a occasionné au fermier une perte sèche de 120 francs. Au mois de mars dernier, on dut procéder à un nouvel ensemencement. Il y eut nouveau labour et nouveaux frais, et comme le froment de printemps coûtait 60 francs l'hectolitre à cette époque, la dépense s'éleva de nouveau à 180 francs ; le coût des deux opérations s'élève donc à 300 francs ; mais le froment de printemps étant peu cultivé en Belgique, nos fermiers ne purent trouver sur place les semences qui leur étaient nécessaires ; ils durent s'adresser au commerce, qui ne pût leur fournir, dans la plupart des cas, que du froment exotique qui ne germa qu'en partie, mélangé probablement avec du froment d'hiver qui ne peut rien produire, si ce n'est de l'herbe.
Pour ne pas laisser la terre en friche, on eut recours à de nouveaux labours et à un nouvel ensemencement ; mais la saison étant fort avancée, on sema ou des pois, ou de la vesce, ou du sarrasin, quelque peu d'avoine, produits secondaires et dont la récolte ne vaudra pas, en moyenne, 250 francs, de sorte que la perte sur les frais de culture, en y comprenant l'impôt, s'il était perçu, sera de plus de 60 francs !
Ainsi, non seulement la rente foncière aura complètement disparu, mais les frais de culture ne seront pas même couverts. Il est évident que l'équité commande de faire remise complète de l'impôt pour les terres sur lesquelles ces opérations coûteuses ont eu lieu.
Au lieu d'aggraver les charges de l'agriculture dans un pareil moment, il faudrait les diminuer, afin que ceux qui donnent notre pain n'en manquent pas eux-mêmes.
Je voterai contre le projet de loi.
M. le président. - La parole est à M. Vleminckx.
M. Braconier. - Il n'y a donc pas d'orateurs favorables au projet de loi ?
M. le président. - Je suis l'ordre des orateurs.
M. Bricoult. - Il est d'usage d'entendre alternativement un orateur pour et un orateur contre.
M. le président. - Je ne connais pas l'opinion des orateurs. La parole est à M. Vleminckx.
M. Vleminckx. - Dès le début de la session, quelques-uns de nos collègues de la droite déposèrent, vous le savez, sur le bureau de la Chambre, une proposition tendante à faire abolir l'impôt sur les débits de boissons distillées, à partir du 1er janvier 1872. Leur but était clairement indiqué : ils voulaient que cet impôt cessât de compter pour la formation du cens électoral.
La section centrale, à laquelle la proposition fut renvoyée, l'accueillit, cela ne pouvait pas manquer, avec le plus vif empressement ; elle alla même un peu plus loin : elle fit subir à l'impôt sur les débits de tabacs le même sort qu'à celui sur les débits de boissons.
Plus tard, le gouvernement, venant en aide aux auteurs de la proposition (c'était encore la chose la plus naturelle du monde), vint la compléter en indiquant les ressources à l'aide desquelles il serait pourvu aux pertes que le trésor allait éprouver par suite de l'abandon tout à fait gratuit d'une somme de près de deux millions.
C'est l'origine, c'est la raison d'être du projet de loi soumis à vos délibérations et qui porte pour titre : « Modifications aux lois d'impôt. » Il n'est pas un de vous qui n'ait déjà remarqué, messieurs, que c'est là une enseigne quelque peu menteuse. Il ne s'agit pas seulement, en effet, d'une simple modification aux lois d'impôt, mais d'une aggravation réelle et, à certains égards, très considérable.
Mais, je me hâte de le dire, on a cherché à légitimer, a colorer quelque peu la nécessité de ces prétendues modifications. Au fond, c'est bien aux élections qu'on a songé et aux élections exclusivement ; mais, pour l'édification du public, on a fait sonner bien haut que l'impôt sur les débits de boissons distillées surtout, n'avait pas rempli son but, à partir principalement de l'époque où il a cessé d'être considéré comme impôt de consommation ; que, créé en 1838 pour diminuer la consommation de ces boissons, il avait produit, à partir de la loi du 1er décembre 1849, un résultat directement contraire en provoquant, au profit de nos luttes électorales, l'ouverture d'un grand nombre de débits devant servir à la formation du cens électoral exclusivement. On en a conclu que, dans l'intérêt même de cette diminution de consommation tant recherchée depuis 1838, il fallait l'abolir coûte que coûte, même au prix d’une aggravation des charges publiques.
La question est très grave, messieurs, elle vaut la peine d'être examinée avec maturité. La moindre erreur d'appréciation peut donner lieu à des résultats fâcheux. Permettez-moi donc d'y insister quelque peu.
Il n'est douteux pour personne, pas plus pour vous que pour moi, que la loi du 10 mars 1838 ait eu exclusivement pour but de restreindre la consommation des liqueurs alcooliques. Si quelque doute pouvait s'élever à cet égard, il suffirait de lire l’exposé des motifs de cette loi, pour le dissiper tout aussitôt. Voici un passage de cet exposé. :
« Dans toutes les parties du royaume, un cri général s'élève contre l'usage immodéré des boissons distillées qui, chaque jour, semble prendre plus d'extension et produit les effets les plus pernicieux. Tandis que nos institutions libérales tendent à répandre l'instruction avec les idées d'ordre et d'économie, dans les classes les moins élevées de la société, l'intempérance vient lutter contre leur sage influence et jeter l'abrutissement et le désordre dans la population et parmi nos soldats. »
Cela est donc clair, cela est indiscutable ; le législateur de 1838 n'a eu qu'un seul but, à savoir : diminuer la consommation des liqueurs alcooliques ; et comme ce but est toujours éminemment désirable, il s'ensuit bien logiquement qu'il ne faut toucher à son œuvre que pour l'améliorer, c'est-à-dire, pour entraver la consommation plus qu'il ne l'a fait lui-même, si cela est possible.
Est-ce que le projet qui nous est présenté réalise ce bienfait ? Est-ce que la consommation diminuera parce que l'impôt sur les débits des boissons alcooliques cessera de compter pour la formation du cens électoral ? Voilà la question, la vraie question.
Messieurs, je commence par vous déclarer tout d'abord que si j'étais bien convaincu que les mesures nouvelles que nous propose le gouvernement, conduiront à cet heureux résultat, je me ferais un véritable scrupule de ne pas les adopter.
De cette question des liqueurs spiritueuses, je n'ai jamais compris qu'on fît une question de parti ; c'est pour moi une question d'hygiène et de morale, rien de plus, rien de moins. J'ai toujours pris, vis-à-vis de moi-même, la résolution de voter, quels qu'en pussent être les résultats politiques, les dispositions qui me paraîtraient les plus propres à mettre un frein aux excès alcooliques. Il s'agit là, en effet, messieurs, de l'avenir de mon pays, de sa moralisation, de sa prospérité. Restreindre, restreindre énergiquement cet excès, m'a toujours paru un des plus grands services qui puissent être rendus à nos concitoyens.
Mais, je n'ai pas le moins du monde la conviction que la loi sur laquelle nous délibérons, aboutira à cette restriction ; j'ai, au contraire, la plus vive crainte qu'elle n'augmente le mal et le désordre.
Si l'on en croit l'honorable M. Cruyt, nos compétitions électorales et l'usage qu'on a pu faire, au profit de celles-ci, de l'impôt sur les boissons alcooliques depuis 1849, seraient la cause principale, sinon la cause unique de la consommation excessive doit nous sommes témoins depuis un certain nombre d'années.
Eh bien, messieurs, je fais bien volontiers appel à l'impartialité de l'honorable membre, je fais appel à l'impartialité de toute la Chambre : est-ce bien sérieusement que l'on accuse l'emploi que l'on a fait pour nos luttes électorales, de la loi de 1849, d'être la source principale, sinon unique, de cet excès de consommation ? Est-on bien réellement convaincu que cette loi a eu sur cette consommation l'influence qu'on lui attribue ?
Mais, messieurs, s'il en est ainsi, qu'on veuille donc bien nous expliquer comment il se fait que la consommation des liqueurs alcooliques va croissant, chaque jour, dans tous les pays ; comment notamment elle fait des progrès si effrayants en Angleterre, en Suède et en France ? L'honorable M. Cruyt ignore-t-il que les choses en sont arrivées à ce point, en Angleterre, que le gouvernement n'a pu se dispenser, pour mettre un terme au fléau de l'ivrognerie, qui se répand de plus en plus parmi la classe ouvrière, de soumettre au Parlement un projet de loi ayant pour objet de diminuer (et c'est chose très grave pour le peuple anglais) le nombre des débits de boissons alcooliques existants, et de faire en sorte que ceux de ces débits qui seront conservés, soient tenus plus convenablement ?
Est-ce que l'honorable membre ne sait pas aussi que la Suède s'est vue dans la nécessité d'augmenter les droits sur l'eau-de-vie et l'esprit de vin et, pour ce qui concerne la France, messieurs, n'est-il pas également reconnu aujourd'hui que ce malheureux pays doit, pour une large part, ses récents désastres à cette passion pour les liqueurs spiritueuses qui (page 1443) s'est emparée d'une grande partie de sa population civile et militaire ? Mais je reviendrai tout à l'heure sur ce dernier point.
Or, je le demande à l'honorable M. Cruyt, est-ce à des compétitions électorales qu'il faut attribuer ce malheureux état de choses ? Est-ce l'ardeur des élections qui a fait accroître dans des proportions si considérables la consommation alcoolique de ces divers pays ?
Mon honorable collègue sait bien que non. Il sait bien qu'il n'y a, en Angleterre, en France, en Suède, rien de semblable, et dés lors il faut bien qu'il se résigne à admettre qu'il y a lieu de chercher ailleurs et dans d'autres faits les causes expliquant légitimement la raison d'être du mal qui les ronge et auquel, coûte que coûte, il faudra bien qu'elles apportent d'énergiques remèdes.
Eh bien, oui ; ces causes existent, et ces causes, la Belgique en souffre malheureusement autant qu'elles. Il y a que le goût, l'amour, dirai-je, des boissons alcooliques se généralisent de plus en plus ; il y a qu'ils ont pénétré dans toutes les classes de la population ; il y a que les boissons les plus saines et les meilleures sont l'objet d'un dédaigneux abandon ; il y a enfin que les palais s'accoutument de plus en plus, hélas ! à de plus vives excitations. Je n'ai pas à examiner comment cette situation s'est produite. Il me suffit de constater qu'elle existe ; c'est un fait, un fait déplorable et il ne servirait à rien de le nier. En Belgique, le genièvre, et quel genièvre, la plupart du temps ! prend de plus en plus la place de la bière. La bière, mais elle n'est plus assez bonne, elle est même mauvaise ! dit-on. C'est un conte, messieurs, c'est une excuse inventée à plaisir pour légitimer l'usage, l'abus que l'on fait du genièvre. La bière serait cent fois meilleure que le genièvre serait toujours la boisson préférée. Or, ne l'oubliez pas, le genièvre donne soif du genièvre, et jugez ce qu'il doit en provenir de désordres et de malheurs !
Permettez-moi de vous signaler encore une circonstance qui n'aura pas échappé a votre pénétration. De même que l'Angleterre et la France, la Belgique voit se produire périodiquement dans son sein, depuis quelques années, des grèves considérables. Ce qui se boit de genièvre et d'autres liqueurs, pendant ces tristes jours, est énorme ; sans compter que ces grèves laissent toujours après elles de déplorables habitudes et spécialement celle de boire.
Les grèves semblent inventées tout exprès pour le plus grand bien des cabaretiers et des distillateurs. J'ajoute qu'elles ne profitent qu'à eux et à eux exclusivement.
Voilà, messieurs, la grande cause de l'insuffisance de notre législation sur les débits de boissons distillées. Voilà pourquoi la consommation va s'étendant tous les jours de plus en plus, et au lieu de songer à éliminer du corps électoral quelques pauvres petits électeurs, c'est à ce mal, ce grand mal qui atteint toutes les couches de la société, qu'il fallait se décider résolument à mettre, par d'énergiques remèdes, des entraves efficaces.
Ce n'est pas que j'entende nier que la loi de 1849 ait fait ouvrir ci et là quelques débits de boissons alcooliques ; non, non, cela est possible ; mais ce que je soutiens aussi, ce que je me crois autorisé à soutenir, c'est qu'il n'est pas permis d'attribuer à cette cause une influence qu'elle n'a pas eue, qu'elle n'a pu avoir. Est-ce qu'on ne nous a pas dit et répété, sur tous les tons, que ces débits ne sont que de misérables petits bouges, n'ayant pour tous ustensiles d'exploitation qu'une bouteille et un petit verre ? Comment donc ! on a été même jusqu'à les appeler des débits fictifs. Et on veut qu'ils aient pour la consommation une importance telle qu'en les supprimant on soit certain de la faire diminuer ! Allons donc ! cela est tout bonnement un rêve, une illusion, je n'ose pas dire une absurdité.
Il faut bien qu'on se pénètre d'une chose : c'est que ce n'est pas le nombre des débits qui règle, qui commande la consommation, mais bien la consommation qui fait ouvrir les débits.
En cette matière comme en toute autre matière de commerce, c'est l'éternelle question de l'offre et de la demande. L'honorable M. Cruyt a été forcé lui-même de rendre hommage, à cette vérité, en avouant, dans son rapport, que l'accroissement de la prospérité donne nécessairement, logiquement, ouverture à un plus grand nombre de débits.
Il résulte de chiflfes produits par l'honorable membre que, sous l'empire de la loi de 1838, nous avons consommé, de 1838 à 1848, 6 6/10 de titres par tête ; que la consommation est tombée, de 1848 à 1858, à 5 7/10, pour remonter, de 1858 à 1833, à 7 3/4 litres.
Or, d'après l'honorable membre, c'est à la vivacité de nos luttes électorales, aux ardentes compétitions, qu'il faudrait imputer la très grosse part de cet excédant de consommation.
Eh bien, messieurs, je maintiens que cela n'est pas soutenable. J'eusse compris qu'on fît miroiter à vos yeux un petit excédant, exclusivement dû à cette cause (bien que cela soit loin d'être démontré) ; mais un excédant de près de 5 millions de litres, allons donc ! c'est trop fort et c'est trop compter sur notre crédulité !
Le post hoc, ergo propter hoc est toujours un détestable raisonnement. Alors qu'il existe, pour expliquer une situation, des causes diverses, parmi lesquelles de très puissantes, n'en choisir qu'une seule, à sa fantaisie, celle qui convient le mieux à la défense de sa thèse et la plus faible de toutes encore ; cela n'est pas habile et, dans tous les cas, cela est inacceptable et illogique.
Je ne me pique pas d'être prophète, il n'y en a plus d'ailleurs, mais je ne crains pas de prédire que si, d'une part, la loi d'abolition et d'aggravation qu'on nous propose de voter aura pour résultat la suppression de quelques misérables petits débits, elle facilitera, de l'autre, l'ouverture de débits réels, d'une bien autre importance pour la hauteur de la consommation.
Qu'allez-vous faire, en effet ?
Vous allez, dites-vous, laisser aux conseils provinciaux le soin d'imposer ces débits, de créer, à l'aide de cet impôt, des ressources qui vont leur manquer. Mais êtes-vous bien certains qu'ils le feront ? Les honorables MM. de Lexhy, Elias et Mascart surtout ont déjà répondu à cette question. Oh ! je sais bien que des députations de conseils vous ont offert cela ; mais les députations ne sont pas les conseils et je sais, moi, par expérience, que les conseils répugnent à imposer. Il vous convient, à vous, de vous rendre les cabaretiers et les débitants de boissons spiritueuses favorables, en cessant de les imposer ; mais qui vous garantit que les conseils provinciaux consentiront à vous remplacer, à accepter votre rôle ? Je suis convaincu, quant à moi, qu'il se présentera plus d'une résistance. Et si quelques-uns refusent, si d'autres atténuent, modèrent les droits actuellement existants, est-ce que la situation ne se trouvera pas empirée et ne voyez-vous pas que vous aboutirez à cette conséquence fatale, que de nouveaux débits et des débits plus importants viendront prendre la place de ces petits cabarets borgnes entretenus aujourd'hui aux frais de certains hommes politiques que, pour mon compte, pour le dire en passant, je n'estime que très médiocrement ?
Réfléchissez-y, messieurs. Ce que je vous dis là est très sérieux. Et d'ailleurs, en supposant que mes appréciations sur ce point fussent exagérées, je soutiens encore que ce qu'il y a de moins fâcheux à espérer de la loi qu'on nous propose, c'est le maintien du statu quo. Or, ce statu quo est déplorable, archi-déplorable, vous le savez bien. Aujourd'hui plus encore qu'en 1838, un cri général s'élève contre l'excès de consommation des liqueurs alcooliques et il n'y a pas d'homme quelque peu intelligent qui n'en appréhende les plus tristes conséquences.
Le genièvre, j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, c'est la liqueur aimée, la liqueur favorite de la foule en Belgique. C'est un grand malheur, mais il est ; il faut accepter les choses comme elles sont. Toutefois, il serait bien moins grand s'il coûtait cher ; mais, vous le savez tous, on l'achète presque pour rien et on peut en boire une énorme quantité, relativement, du moins, sans faire une excessive dépense, sans aller au fond de sa bourse.
Qu'y a-t-il donc à faire pour arriver à une diminution de la consommation ? Une chose, d'après moi, messieurs : il faut l'entraver plus sérieusement, plus énergiquement le débit qu'on ne l'a fait jusqu'ici.
Or, cette entrave ne peut exister que dans la hauteur de l'impôt. Il faut donc élever celui-ci de telle façon, qu'il pèse plus lourdement qu'il n'a pesé jusqu'ici sur la bourse du consommateur. Oh ! je le sais bien, on va m'opposer que la hauteur du droit poussera à la fraude.
Eh bien, cette objection ne m'arrête pas. Est-ce que l'Angleterre a de pareils scrupules ? N'a-t-elle pas frappé de taxes énormes les débits de boissons alcooliques ? Alors qu'en Belgique l'impôt ne varie que de 12 à 60 francs, ne savons-nous pas que le minimum, en Angleterre, est de 35 francs et le maximum de 360 francs, sans compter les mesures fiscales nouvelles qui ne vont pas tarder à être introduites, d'après ce que j'ai eu l'honneur de vous dire tout à l'heure.
Je ne suis nullement convaincu d'ailleurs qu'à l'aide d'une surveillance active, intelligente, persévérante, on ne préviendrait pas la fraude ou, tout au moins, qu'on ne parviendrait pas à la rendre extrêmement difficile. Il me semble ensuite qu'en frappant durement le fraudeur, on lui ôterait l'envie de recommencer, en même temps que cela servirait d'exemple aux autres. Vous faut-il une nouvelle loi pour cela ? Demandez-la, je ne doute pas, pour mon compte, qu'on ne vous la vote. Et si je recommande, dans cette circonstance, ce qui n'est pas dans mon caractère, une grande sévérité, c'est qu'il s'agit d'une question de la plus haute importance, où l'avenir de mon pays est en jeu ; c'est que je veux arrêter la dégénérescence physique et morale d'une grande partie de nos populations, c'est que je désire voir (page 1444) augmenter leur bien-être et donner ainsi une base plus large, plus assurée, plus solide à notre nationalité. Et lorsque je prononce les mots « dégénérescence physique et morale », n'allez pas croire, au moins, que j'exagère. Non, non. Est-ce que vous ne savez pas que c'est à l'aide de la liqueur de feu qu'on a détruit à la longue, en Amérique, des races entières ? Et cela se comprend : la liqueur de feu est une liqueur agréable, mais excessivement alcoolisée.
Et que doit-elle produire à la longue, surtout administrée comme elle l'était a ces pauvres Indiens ? Inévitablement l'alcoolisme. Or, savez-vous ce que c'est que l'alcoolisme ? C'est la dégénérescence des organes, le trouble dans toutes les fonctions, la paralysie des centres nerveux. Et savez-vous quels sont les produits de semblables hommes ? Ils sont maigres, chétifs, rabougris, crétins, épileptiques. Vous me dispenserez sans doute de dire quels sont, à leur tour, les produits de ces produits. Voilà, messieurs, comment on arrive à dégénérer une population et à l'éteindre même complètement.
Donc, augmentez l'impôt, augmentez-le. d'une manière efficace, et s'il vous convient, malgré cela, de le rendre indirect, comme il l'était en 1838, afin qu'il ne serve plus à la formation du cens électoral, faites-le : vous avez la majorité et le pouvoir, j'ajoute même que je voterai avec vous. Mais au nom de vos promesses solennelles, ne venez pas nous accabler d'impôts nouveaux au milieu des circonstances fâcheuses où nous nous trouvons. Ne perdez pas de vue d'ailleurs qu'en entravant sensiblement le débit par la hauteur du droit, vous n'aurez probablement pas besoin de revenir à la loi de 1838. Vous le savez : des sacrifices, on consent bien à en faire dans une compétition électorale ou pour le triomphe de son opinion, mais pas trop n'en faut. L'excès en tout est un défaut. Or, le droit étant beaucoup plus élevé, soyez tranquilles, les débits à une bouteille et à un petit verre cesseront bientôt d'être créés. On ne s'en avisera plus.
A-t-on des moyens plus efficaces, plus pratiques que celui que je propose ? Qu'on les produise, je suis prêt à les admettre, mais, pour Dieu ! qu'on cesse de nous dire qu'il n'y a d'espoir que dans le temps, dans les progrès de l'instruction et de l'éducation ! Hélas ! messieurs, nous ne faisons qu'instruire et éduquer depuis quarante ans, avec la plus louable persévérance ; on assure même que nous avons fait des progrès considérables. Et qu'y avons-nous gagné, s'il vous plaît, au point de vue de la consommation des boissons alcooliques ? Il me répugne d'avoir à le signaler, mais il me semble, en vérité, que l'excès marche de pair avec les progrès de l'instruction, les dépasse même. Ce n'est pas que je n'aie une grande confiance dans leurs résultats, mais, je l'avoue, c'est une confiance dans un avenir très éloigné. Or, c'est le présent qui m'inquiète, qu'il m'importe surtout d'améliorer, précisément pour sauvegarder cet avenir et le rendre plus viable, plus heureux et plus florissant.
Messieurs, je vous disais tout à l'heure que la France devait en majeure partie la cause de ses affreux désastres à cette rage de boire qui s'était emparée d'une grande portion de sa population. Permettez-moi de revenir pour un instant sur cette page de l'histoire contemporaine ; mais auparavant, laissez-moi vous rappeler, c'est indispensable, qu'ici même, dans cette Chambre, le gouvernement avouait en 1838 que l'intempérance jetait l'abrutissement et le désordre parmi nos soldats.
J'aime à me persuader que la situation n'est plus la même en 1871, je le crains un peu pourtant ; le gouvernement devrait bien nous éclairer là-dessus ; mais s'il en était encore ainsi, messieurs, ce n'est pas à donner de l'extension à notre état militaire qu'il faudrait songer, ce serait à autre chose. Une armée abrutie et désordonnée devrait être dissoute et réorganisée sur de nouvelles bases ; car loin de protéger l'indépendance nationale, elle la compromettrait et la perdrait indubitablement.
Et c'est précisément ce triste spectacle que nous a donné la France. Ecoutez, messieurs, ce qu'a pu dire, sans réplique aucune, au sein de l'académie de médecine de Paris, un membre de cette compagnie :
« Pendant le long séjour que j'ai dû faire au sein des armées françaises, en raison de mes fonctions et particulièrement pendant le cours de la campagne de 1870-1871, j'ai pu constater un fait extrêmement regrettable : c'est que non seulement l'ivrognerie des militaires n'est ni réprouvée ni réprimée, mais qu'elle est encore encouragée par l'opinion publique et tolérée avec indulgence par nos officiers, depuis les subalternes jusqu'aux généraux.
« Au début de la funeste campagne de 1870, le coup de l'étrier était offert aux soldats qui traversaient nos villes, à chaque pas, jusque dans les rangs et avec une telle prodigalité que beaucoup étaient ivres en arrivant aux gares d'embarquement ; sur les lignes de chemin de fer, le patriotisme peu éclairé ou mal dirigé de la population avait organisé par souscription, dans un grand nombre de stations, des buvettes où, dans la louable intention de réconforter nos défenseurs, on les enivrait gratis.
« La plupart des officiers considèrent l'ivresse comme une consolation que le soldat peut s'accorder au milieu de ses misères, de ses privations et de ses fatigues et qu'il serait injuste et presque cruel de lui refuser.
« Pourvu que l'ivrogne ne cherche querelle à personne, qu'il réponde aux appels et cuve tranquillement son vin, ses chefs ne lui reprocheront guère son intempérance. L'ivresse est même souvent admise comme une excuse à beaucoup de fautes plus ou moins graves contre la discipline et nombre d'officiers ne regardent pas l'ivrognerie comme excluant d'une manière absolue les qualités essentielles du bon soldat.
« Aussi pendant les marches, à toutes les haltes dans les villages, les soldats entraient en foule, sous les yeux des officiers, dans les cabarets pour se faire servir à boire et toutes les maisons se convertissaient en cabarets. De plus, chaque bataillon était accompagné officiellement, jusque dans les campements, par une voiture ornée de drapeaux sur laquelle on lisait, avec le nom de la cantinière, l'indication du corps auquel elle était attachée. Les provisions que portait cette voiture, couvraient des barils de trois-six, qu'une simple addition d'eau devait convertir sur place en eau-de-vie de Cognac.
« Une foule de cabaretiers nomades s'établissaient partout, le long des chemins, dans l'intérieur des camps.
« Ce n'était pas encore assez pour assurer l'alcoolisme continu de l'armée. Des filles déguenillées faisaient aux cantinières et aux cabaretiers une concurrence interlope ; sorties des villes voisines avec un panier rempli de bouteilles, elles allaient offrir jusque dans les bivaques la séduction et le prétexte du petit verre.
« D'ailleurs, il faut bien le dire, certains généraux que je pourrais nommer, comptent moins sur le courage raisonné, sur le dévouement patriotique et sur tous les beaux sentiments dont se compose l'honneur militaire, que sur une large distribution d'eau-de-vie, lorsqu'il s'agit d'aborder l'ennemi et d'enlever une position ; ils soutiennent même qu'un commencement d'ivresse exalte très utilement la bravoure.
« Comment les habitudes d'ivrognerie ne se propageraient-elles pas dans l'armée par le concours de tant d'abus favorisés par tant d'imprévoyance, de tant de préjugés alimentés par tant de faux raisonnements !...
« Il est devenu évident pour tous que les habitudes d'ivrognerie généralisées parmi nos troupes ont contribué pour une grande part à propager l'indiscipline avec toutes ses conséquences désastreuses : le maraudage, la veille des effets d'équipement, le pillage des convois, puis la défiance, les réclamations, les récriminations haineuses, la désobéissance au commandement et la fuite à l'approche de l'ennemi.
« En même temps qu'elle démoralise l'armée, l'ivrognerie la ruine physiqu ment ; elle diminue la résistance des hommes à la fatigue, aux intempéries, aux privations ; elle aggrave les blessures, elle entrave le succès des opérations chirurgicales, elle prépare la léthalité des épidémies.
« Par le trouble qu’il apporte dans les fonctions, par la dépression générale où il jette l'organisme, l'alcoolisme diminue la résistance aux influences morbifiques. Aussi l'ivrogne contracte-t-il plus facilement que tout autre différentes maladies, parmi lesquelles il faut citer les phlegmasies broncho-pulmonaires, l'érysipèle, les affections épidémiques, et notamment le choléra, les endémies des pays chauds, etc. Les réactions salutaires ne s'accomplissent pas, la vitalité est profondément altérée...
« Apathique, indifférent, sans initiative et sans énergie, pusillanime, oublieux de ses proches et de lui même, se traînant de débauche en débauche, réduit au dénuement et ne reculant même pas à tendre la main pour se procurer les moyens de satisfaire son ignoble passion, sordide, misérable, couvert de haillons, puant le vin, abject, démoralisé, crapuleux, tel est habituellement l'homme qu'a transformé l'alcool. » (A. Fournier.)
« Croit-on que ce hideux portrait de l'ivrogne ait pu jamais représenter l'homme revêtu d'un uniforme français ? C'est pourtant ce que sont obligés d'avouer ceux qui ont eu la douleur d'assister à nos derniers désastres.
« Que personne donc, au milieu de nous, n'hésite plus à combattre énergiquement ce fléau, qui déprave, dégrade et abrutit l'humanité, et qui, par conséquent, prépare la défaite des armées et l'asservissement des peuples, ici les devoirs de l'hygiéniste et ceux du militaire se confondent dans le sentiment du patriotisme. On a empoisonné le peuple de flatteries, en lui prêchant ses droits, sans lui faire connaître ou lui imposer les devoirs qui les précèdent et les engendrent, on a infecté son intelligence de toutes les séductions, avant de l'avoir éclairée par l'instruction ; (page 1445) on a exagéré le sentiment de la liberté jusqu'à la dissolution de tous les liens sociaux.
« Mais je ne veux pas oublier que je traite une question d'hygiène publique ; je me borne donc à affirmer que l'autorité publique a une grande tache à remplir : c'est d'entraver cet ignoble appétit, de prévenir ce crapuleux empoisonnement qui compromet aujourd'hui jusqu'à la gloire du nom français et devient menaçant pour l'existence même de la patrie.
« La répression de l'ivrognerie est donc une des conditions premières de notre régénération militaire. »
Voilà, messieurs, ce qu'a pu dire de cette armée française, qui faisait naguère l'admiration de l'Europe, un homme distingué, qui a fait avec elle la campagne de 1870-1871, sans que personne le contredît. Au contraire, les vues qu'il a soumises à la savante compagnie sur ce triste état de choses ont été immédiatement soumises à une commission spéciale, pour faire l'objet d'un rigoureux examen.
Laissez-moi vous dire encore deux chiffres éloquents, deux seulement.
Sur 15,566 cas de folie dus à des causes physiques, combien pensez-vous qu'on doive en mettre sur le compte d'excès de boissons ? 3,445, messieurs, c'est-à-dire 21 p. c ;
Sur 46,600 morts accidentelles pendant une période donnée, combien pensez-vous qu'il faille en attribuer à l'ivrognerie ? 1,022, soit 3.4 p. c.
Est-ce que tout cela n'est pas bien déplorable ?
Messieurs, j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire : si la loi qui nous est proposée, devait avoir pour effet de remédier au mal sur lequel j'ai eu l'honneur d'appeler votre attention, je n'hésiterais pas à y donner mon assentiment ; mais il n'y a rien à espérer d'elle sous ce rapport. Ce n'est pas la loi prophylactique, hygiénique, moralisatrice que nous avions le droit d'attendre de la part de ceux-là surtout qui, pendant de longues années, ont jeté ici même, dans cette enceinte, de si hauts cris contre les excès alcooliques. C'est une loi politique ; c'est tout simplement un supplément à la loi sur la réforme électorale qui vient d'être promulguée.
Je n'ai pas voté cette loi, et je m'en félicite tous les jours ; à plus forte raison, ne consentirai-je pas à en adopter le détestable supplément.
M. de Baillet-Latour. - Messieurs, le projet de loi soumis à l'examen de la Chambre est, comme toutes les choses humaines, mêlé de bon et de mauvais. La pensée politique qui l'a inspiré se révèle dans cet aveu, que telle disposition « fournira une meilleure composition du corps électoral, » ce qui veut dire un corps électoral toujours favorable au parti du ministère actuel. Je n'insiste pas sur ce point et je passe à la partie pratique.
Que le gouvernement supprime l'exemption temporaire d'impôt que la loi accorde aux constructions nouvelles, je ne trouve là rien à critiquer. Tout privilège, toute faveur est un abus. S'il est vrai que le continuel développement de la bâtisse soit un signe de prospérité, il est vrai aussi que l'accroissement exagéré des villes est un mal. Il a pour corrélatif le dépeuplement des campagnes, qui peut amener, à la longue, la décadence de l'agriculture.
Le soulagement accordé aux bateliers, qui le réclament depuis si longtemps, est encore une mesure admissible. Mais pourquoi dégrever les débits de boissons alcooliques et de tabacs ? Il n'y a là, dit-on, qu'une transposition d'impôts. Soit, mais le dégrèvement n'aura-t-il pas pour résultat la prospérité croissante de l'ivrognerie, ce fléau qu'un pays voisin et ami, l'Angleterre, travaille sans cesse à faire disparaître précisément parce que l'abus des liqueurs fortes y abrutit les classes inférieures et leur fait perdre la bourse et la vie. Ce dégrèvement ne peut qu'accroître le nombre des débitants et augmenter les tentations des consommateurs.
Il en est de même des débits de tabacs. Ici, ce n'est pas le débitant qu'il faut avoir en vue, c'est le public. Or, le public tout entier fume, et bien loin d'encourager la consommation, qui ne peut plus s'étendre, il vaudrait mieux assurément la frapper d'un impôt qui ne restreindrait nullement l'usage passé à l'état de besoin et qui mettrait dans les coffres du ministère des finances un fonds d'une valeur énorme. L'expérience est faite chez nos voisins du Midi. On sait ce que le tabac produit au budget dans leur pays. Un impôt qui fournissait à sa naissance 15 à 20 millions, rapporte aujourd'hui près de 200 millions.
II est difficile de comprendre la répugnance qu'a, jusqu'ici, éprouvé le gouvernement belge à suivre un exemple si instructif et si utile. S'il est juste de faire contribuer le luxe, il n'est guère possible de frapper un luxe plus réel que celui-là. Je sais qu'on demande grâce pour le tabac du pauvre, qui a peu de jouissances et qui s'en fait une de fumer. Rien n'empêche que l'impôt soit proportionnel, que la qualité inférieure soit même exemptée.
Voilà ce que le gouvernement aurait dû considérer, au lieu de procéder par arbitraire. Un impôt qui frappe tout le monde ne fait pas de jaloux et rapporte énormément au trésor. Il aurait pu se dispenser ainsi de grever la propriété foncière au détriment de l'agriculture. Ce n'est pas qu'il faille exonérer les riches, telle n'est pas ma pensée.
Rappelons-nous l'anecdote de l'abbé Terray. L'abbé, ministre des finances, venait de créer un impôt qui atteignait la noblesse, alors exempte de charges, on le sait. « Mais, dit au ministre un seigneur de la cour, c'est comme si vous preniez notre argent dans nos poches. » - « Où voulez-vous donc que je le prenne ? » répondit l'abbé Terray. Il est donc fort juste que celui qui possède le plus paye le plus. Mais encore faut-il considérer le mode de contribution. Les impôts qui frappent le luxe sont bons, quoiqu'on en dise, parce qu'ils frappent la richesse et non la pauvreté. Il n'est pas vrai qu'ils nuisent à l'industrie en obligeant la richesse à se restreindre.
Le luxe proprement dit est un besoin ; c'est plus encore, c'est un tyran ; il procède de la mode, qui est elle-même une tyrannie. Ce qu'il faut faire en matière d'impôt, c'est prendre dans la poche de ceux qui les ont pleines, afin de se dispenser de prendre à ceux qui n'ont que le nécessaire. Mais, il y a un autre côté de la question, et le gouvernement semble l'avoir oublié :
La propriété foncière n'est plus aujourd'hui ce qu'elle était au siècle dernier.
Les réformes de 1789 ont divisé la terre et cette division augmente sans cesse par l'effet du travail, de l'économie, de l'intelligence de ceux qui n'avaient rien et qui ont su devenir propriétaires. En un mot, la propriété est morcelée à l'infini. De là résulte que l'aggravation de l'impôt foncier que comporte le projet ministériel frappe indistinctement le riche et le pauvre, le petit propriétaire qui n'a que sa maison, son champ, son jardin, aussi bien que le grand propriétaire, qui a pignon sur rue, hôtel en ville, château à la campagne et des milliers d'hectares de forêts et de terres.
Cette transformation du chiffre de l'impôt, s'appliquant à ceux qui s'en apercevront à peine et à ceux qui en souffriront, est donc une conception malheureuse en principe et en fait et que l'équité ne permet pas de voter. Et qu'on n'objecte pas que l'aggravation est peu considérable, qu'elle est compensée par la réduction du droit d'enregistrement des baux.
Les baux sont à longue date et l'impôt est annuel. à n'y a pas compensation exacte. Et dans quelles circonstances vient-on frapper ainsi l'agriculture ! C'est au moment où les intempéries ont, tout autour de nous, compromis les produits agricoles, c'est après des désastres publics dont les conséquences rejaillissent sur tous les pays voisins de celui où ils se sont créés. En vérité, on ne pouvait plus mal choisir son temps ! Eu résumé, le projet de loi me paraît défectueux en très grande partie. J'estime qu'il doit subir de profondes modifications. J'attendrai la production des amendements, décidé à le rejeter s'il reste tel qu'on nous le propose.
M. Lelièvre. - Je me bornerai, pour le moment, à émettre quelques courtes observations sur le projet en discussion.
Le gouvernement propose d'apporter des modifications aux lois sur les impôts.
Je crois d'abord devoir lui signaler de nouvelles sources de revenus, ce qui permettrait de ne pas augmenter les charges pesant sur la propriété foncière ; il me semble qu'il serait de toute justice de frapper du droit de mutation en ligne directe les valeurs ou intérêts dans les compagnies de finances, de commerce ou d'industrie établies dans le royaume, ce qui comprendrait les actions dans les sociétés pour l'exploitation des mines.
Ces choses sont considérées comme objets mobiliers aux termes de l'article 529 du code civil.
Ces actions résultent de titres certains et l'obligation d'en faire la déclaration au trésor ne peut donner lieu à une mesure vexatoire.
Ce sont des valeurs importantes, qu'il est juste de soumettre à l'impôt. En effet, si l'on frappe du droit de mutation en ligne directe des immeubles qui même n'ont pas une grande valeur, on ne comprend pas comment des fortunes industrielles opulentes peuvent échappera cet impôt.
Il existe donc, sous ce rapport, dans la législation une lacune qu'il importe de combler.
Il s'agirait d'ajouter à l'article 2 de la loi du 17 décembre 1851 la disposition suivante :
« Il sera également perçu sur la valeur des actions ou intérêts dans les compagnies de finances, de commerce ou d'industrie établies dans le royaume.
(page 1446) « Cette valeur sera déclarée conformément à l'article 11, littera. D, de la loi du 27 décembre 1817. »
Cette disposition est d'autant plus équitable, notamment en ce qui concerne les sociétés pour exploitation des mines, que si la concession se trouve dans les mains d'une seule personne, elle est frappée, comme objet immobilier, de l'impôt en ligne directe ; tandis que, si la concession est exploitée en société, chacun des sociétaires ne possède plus que des actions comme meubles échappant à l'impôt.
Or, c'est là un résultat qui ne me semble pas équitable.
Il est impossible que la concession exploitée en société jouisse d'avantages qui sont déniés à la concession entière formant un ensemble appartenant à un seul individu. Ces observations s'appliquent également à d'autres entreprises industrielles.
Cet état de choses appelle la sollicitude de M. le ministre des finances, dans l'intérêt du trésor.
Il est, du reste, possible d'atteindre d'autres valeurs mobilières, sans que l'imposition de ce chef puisse donner ouverture à des recherches dégénérant en vexations ; ainsi, je ne vois pas pourquoi l'on ne frappe pas du droit de mutation, en ligne directe, des créances résultant de titres authentiques ou enregistrés.
Il est donc possible d'atteindre efficacement et justement certaines parties de la fortune mobilière, ce qui permettrait de diminuer les charges pesant sur la propriété foncière.
La section centrale propose le maintien des lois actuelles sur le timbre, des quittances, pétitions, etc., l'enregistrement des baux et actes, alors que le projet en discussion contient, à cet égard, les réformes les plus utiles.
Je pense qu'il est préférable d'adopter les propositions du gouvernement, qui révisent d'une manière heureuse diverses dispositions en vigueur.
Il vaut mieux créer d'autres ressources, en décrétant des impôts justes et légitimes, que de suspendre l'exécution de mesures de progrès, qui sont réclamées depuis longtemps.
Je dirai, du reste, que la loi sur le timbre doit être révisée.
Elle n'est plus en harmonie avec les nécessités actuelles. Les certificats de bonne conduite et autres se rattachant à la police, les légalisations de signatures et nombre d'actes administratifs devraient être soustraits à la formalité du timbre.
On comprend, du reste, qu'une législation qui remonte à l'an VII de l'ère républicaine est surannée et n'est plus en harmonie avec les besoins administratifs.
L'administration est évidemment entravée sans motifs sérieux sous l'empire de la législation actuelle. C'est donc là une réforme utile, que je recommande à l'attention du gouvernement.
Je me bornerai, pour le moment, à ces observations, me réservant d'en présenter d'autres dans le cours de la discussion.
M. Delaet. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission permanente de l'industrie sur des pétitions demandant la levée de la prohibition du bétail à la sortie, par la frontière d'Athus à la mer ou, du moins, par la frontière entre la province de Luxembourg et la France, et sur une pétition de bouchers d'Anvers demandant la prohibition du bétail à la sortie.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, au commencement de la séance, j'ai eu occasion de déclarer que le gouvernement se ralliait aux modifications apportées au projet de loi par la section centrale. Le projet, avec ces modifications, se divise, au point de vue financier, en trois parties.
L'idée mère, c'est la suppression des droits de débit et leur remplacement par 5 centimes additionnels aux autres impôts directs.
La seconde partie concerne les modifications aux lois des patentes : suppression du timbre des patentes, réduction du droit de patente des bateliers, augmentation de la patente des sociétés anonymes.
Enfin, la troisième partie consiste dans le retrait des exemptions d'impôt foncier accordées par la loi de 1828 aux constructions neuves.
Je crois que, dans l'intérêt de la clarté de nos débats, et les orateurs qui se sont fait entendre jusqu'à présent ont paru du même avis, il est utile de ne pas mêler ces trois ordres d'idées ; il serait bon de restreindre la discussion générale à la combinaison mère du projet : la
suppression des droits de débit et leur remplacement par 5 centimes additionnels aux autres impôts directs ; on réserverait pour une discussion ultérieure et spéciale aux articles, tout ce qui se rapporte aux patentes, à la loi de 1828 et aux simplifications administratives proposées par divers es dispositions.
L'abolition du droit de débit de boissons alcooliques a été, à plusieurs reprises, réclamée par la majorité actuelle ; elle l'a réclamée en dernier lieu en mai 1870, lors de l'augmentation des droits d'accise sur les alcools, en décembre 1870, lors de la discussion du dernier budget des voies et moyens ; une proposition formelle dans ce sens, émanée de l'initiative des honorables MM. de Theux, Liénart et autres membres de la Chambre, a été renvoyée à cette époque à l'examen des sections.
Le gouvernement a présenté, de son côté, un projet de loi.
Nous discutons à la fois ces deux projets.
L'honorable M. Vleminckx rendait compte tout à l'heure à la Chambre du but de la loi de 1838 qui a introduit le droit de débit en Belgique ; il rappelait que cette loi avait beaucoup moins un but fiscal qu'un but moral ; que c'était une entrave, une barrière mise à l'ivrognerie. L'honorable M. d'Huart, ministre des finances de cette époque, le déclarait expressément ; mais, en même temps, il était si convaincu que le but de la loi aurait été manqué si le droit électoral était la conséquence du nouvel impôt, qu'il annonçait à la Chambre que, plutôt que d'admettre cette taxe comme, un impôt direct, devant compter dans le cens électoral, il préférait abandonner l'impôt.
Ce que l'honorable M. d'Huart déclarait alors, nous le déclarons aujourd'hui.
Nous déclarons qu'il vaut mieux renoncer aux ressources que le droit de débit de boissons procure au trésor, que d'avoir, comme conséquence de ces ressources, la création d'un grand nombre d'électeurs par le droit de débit.
Je le dis très franchement, la question électorale domine ici ; non pas une mesquine question de parti, non par la question de savoir, au point de vue des partis, à qui profitera l'abolition (on nous a prévenus, quand nous étions dans l'opposition, que nous y perdrions) ; l'un des motifs qui nous porte à proposer le projet de loi actuel, est cette grande question sociale et morale de la saine composition du corps électoral. (Interruption.)
La loi de 1838, messieurs, était une entrave à l'augmentation du nombre des débits de boissons. Elle a été modifiée par la loi de 1849. Jusqu'alors l'impôt était considéré comme un impôt indirect ; une disposition spéciale de la loi de 1838 déclarait qu'il ne ferait pas partie du cens électoral.
En 1849, cette disposition a été retranchée ; l'impôt a été transformé et une jurisprudence aujourd'hui constante le considère comme un impôt direct.
Chacun est libre de conserver son opinion au sujet de la nature de cet impôt ; mais il n'en est pas moins vrai que, par la jurisprudence de la cour de cassation, en fait l'impôt est considéré comme impôt direct, il entre dans la formation du cens électoral.
Depuis 1849, à côté de l'impôt, se trouve une compensation électorale. Cette compensation électorale, d'après nous, est supérieure à la charge financière. Nous pensons qu'aujourd'hui le droit de débit, tel qu'il est établi, avec sa charge d'un côté et sa compensation de l'autre, est de nature, au lieu d'entraver la multiplication des débits, d'y pousser, de la favoriser.
Le rapport fait le 28 janvier 1870 par l'honorable M. Sabatier, sur une proposition émanée de l'initiative de l'honorable M. Delcour, constate, à la page 5, que, de 1838 à 1849, le nombre des débits ne s'est accru que dans une très faible proportion, 6,000 environ en dix ans. Depuis 1849, au contraire, l'augmentation a dépassé 45,000 en 18 ans.
Le rapport de notre honorable collègue M. Cruyt contient différents renseignements qui concordent avec les observations de M. Sabatier.
Il est constaté notamment par un tableau annexé à ce rapport que l'augmentation du nombre des débits n'est pas proportionnée à l'augmentation de la consommation. Ce n'est pas en proportion de la consommation que les débits augmentent, c'est, comme l’a dit l'honorable M. Sabatier, en proportion de la vivacité des luttes politiques.
Ainsi la consommation de l'alcool depuis 1838 jusqu'à 1870, sauf les excédants de fabrication non constatés dont il n'est pas possible de se (page 1447) rendre compte, 1 augmentation de la consomnwiion de l'a'eonl n'a été que • tak Cm tandis 11110,,auSmer',alion nombre des dt-hits a été d'environ 120 p. c. Il est doue certain que ce n'est pas seulement l'augmentation de la consommation, mus surtout le bénéfice politique, attaché par la loi de 1819 au droit de débit, qui a fait que, tandis que sous l'empire de la loi de 1858 le nombre des débits s'est accru peu à peu et lentement, la progression est devenue effrayante à partir de 1819.
L'expérience, établit que la loi de 1849 a manqué son but, le but de la loi de 1838, car j'aime a croire qu'ils étaient le même. Ce qui devait être une entrave a été un stimulant.
Sans doute, messieurs, et je réponds ici a une interruption qui m'a été faite tantôt, tous les impôts directs sont accompagnés d'un stimulant par suite du droit électoral qu'ils confèrent. Tous les impôts directs ont, dans une certaine mesure, une compensation électorale. Mais remarquez que les autres impôts directs n'ont pas pour but d'être des entraves ; ils ont un but fiscal, ils n'ont pas un but moral. Ils ne sont pas faits pour restreindre, l'augmentation soit de la propriété foncière, soit de la propriété mobilière (impôt personnel), soit des professions sujettes au droit de patentes.
Le droit de débit est un impôt d'une nature tout à fait spéciale. Je dirais presque que c'est plutôt une amende qu'un impôt. Ce que l'on a frappé, ce n'est pas la richesse, ce n'est pas le bénéfice, c'est la profession qu'on a voulu entraver, frapper d'une sorte de pénalité, d'une sorte d amende.
Ne pouvant interdire les débits, on se résigne à les frapper d'une taxe, à peu près comme la Chine, empêchée par le traité anglais d'interdire l'opium, l'a frappé, d'un impôt pour en diminuer la consommation. C'est une mesure de proscription, une mesure de prohibition indirecte que cet impôt.
Que dirait-on, messieurs, si au lieu d'avoir un droit sur les boissons alcooliques et le tabac, on avait un droit sur les consommations de boissons alcooliques, sur les fumeurs, sur les priseurs, de même que certains réformateurs ont voulu établir une taxe sur les célibataires ?
La taxe serait une pénalité, son but serait d'engager à ne pas rester célibataire, à n'être pas fumeur, priseur, consommateur de boissons alcooliques. Ce serait le même impôt que. nos droits de débit, et cependant prétendrait-on qu'il y a là une espèce de patente, payée par les célibataires, par les fumeurs, par les priseurs, par les consommateurs de boissons alcooliques, patente qui devrait entrer dans le cens électoral ? Nul n'oserait le soutenir.
Le droit de débit, sous une autre forme, n'est pas plus destiné à frapper la richesse, à frapper un bénéfice (car le bénéfice est frappé par une patente, qui se trouve à côté du droit de débit). Il n'a jamais été qu'une entrave, une barrière, une sorte de pénalité et d'amende.
C'est aller à l’encontre de l'esprit du Congrès, qui a voulu que le cens électoral fût composé d'impôts représentant une fortune, ou un bénéfice, que de faire entrer dans le cens électoral un impôt qui n'est pas basé sur la fortune, qui n'est pas basé sur le bénéfice, qui est une véritable mesure de proscription ; il ne serait pas plus étrange de faire compter dans le cens électoral les taxes personnelles dont je parlais tout à l'heure.
Je disais donc, messieurs, qu'une taxe de proscription, qu'une taxe établie in odio ne doit pas entrer dans le cens électoral. On n'a pas seulement fait un faux calcul, au point de vue moral, en créant des taxes pareilles avec l'accessoire électoral. Dans le but d'entraver les débits, on a faussé la pensée qui a porté le Congrès à décider qu'une certaine quotité d'impôts directs constitue le cens électoral.
Dans les différentes discussions auxquelles le droit de débit a donné lieu dans cette Chambre, on a parfois objecté qu'à côté des débitants dont personne ne veut se déclarer le défenseur, qu'à côté de ces bouges, dont parlait l'honorable M. Vleminckx, il y a un grand nombre de débitants qui sont fort honorables, qui sont épiciers, hôteliers, restaurateurs, confiseurs, etc., en un mot, une foule d'industriels qui, accessoirement, sont assujettis au droit de débit de boissons alcooliques ; les personnes qui exercent ces industries ne doivent pas, dit-on, être privées du droit électoral.
Messieurs, la réponse à cette observation est facile ; elle est venue à l'esprit de chacun de vous ; si ces personnes honorables possèdent les bases du cens électoral par la maison qu'elles occupent, par le droit de patente qu'elles payent, elles resteront dans le corps électoral ; si leur industrie est trop minime, si elles n'ont pas les bases du cens par les impôts qui frappent la fortune ou les bénéfices, elles ne peuvent acquérir le droit électoral par le débit.
Le droit électoral ne peut être attaché à une taxe spéciale qui, je le répète, est plutôt une amende qu'un impôt.
Ma seconde conclusion est donc qu'il ne faut pas qu'une taxe de proscription confère le droit électoral ; ma première conclusion est que, lorsqu'on veut combattre la multiplication des débits au moyen d'une taxe, il ne faut pas ajouter à cette taxe un droit dont les avantages l'emportent sur les inconvénients de la taxe.
Il y a deux raisons pour ne pas maintenir le droit de débit ; il a manqué son but ; il ne doit pas conférer l'électoral.
Mais, me dit-on, il y aurait d'autres moyens d'arriver à ce résultat, vous pourriez augmenter l'impôt, l'augmenter considérablement, ce deviendrait une entrave sérieuse ; ou bien vous pourriez revenir à la loi de 1838 et déclarer tout bonnement que l'impôt ne comptera pas pour former le cens électoral.
Augmenter le droit de débit, messieurs, y a-t-on songé ?
Qu'est-ce qui a empêché de l'augmenter jusqu'à présent ? Ce n est pas qu'on ne reconnût qu'il serait bon que la taxe fût plus considérable ; ce n'est pas qu'on crût l'entrave suffisante ; mais on s'est dit que, si le droit était égal ou supérieur à 20 florins, tous les débitants seraient électeurs pour les Chambres, alors même qu'ils ne payeraient pas un centime du chef d'autres impôts.
On a reculé devant une pareille composition du corps électoral.
Le deuxième moyen consisterait à faire payer le droit actuel, ou même beaucoup plus, et de déclarer que l'impôt ne comptera pas pour la formation du cens électoral.
Ce système, messieurs, présente beaucoup de difficultés et très peu de garanties. Peu de garanties, parce qu'il ne faudrait qu'un trait de plume pour qu'une nouvelle loi de 1849 vînt détruire cette nouvelle loi de 1838.
- Un membre. - C'est ce que vous faites.
M. Jacobs, ministre des finances. Non, ce n'est pas ce que nous faisons ; nous ne nous bornons pas à dire dans fa loi que l'impôt est direct ou qu'il est indirect. (Interruption.) Il ne sera pas aussi facile de rétablir le droit de débit que de déclarer qu'il comptera de nouveau pour former le cens électoral.
J'ai dit que ce deuxième moyen présente beaucoup de difficultés. Je vais vous les faire connaître.
On a longuement discuté en 1838 si, l'impôt étant direct, on pouvait décider qu'il ne ferait point partie du cens électoral.
Remarquez que la question à résoudre est celle de savoir si, en réalité, l'impôt est direct ou indirect.
Nous aurions beau déclarer qu'il est indirect ; s'il est direct, nos déclarations ne peuvent changer la nature des choses.
L'impôt étant supposé direct de sa nature, il s'agit de savoir s'il dépend de la législature de ne point le faire entrer dans le cens électoral ?
La question a soulevé, en 1838, dans cette enceinte les plus graves débats.
Les honorables MM. Lebeau, Devaux et du Bus ont pensé que la législature avait le droit de choisir parmi les impôts directs ceux qui feraient partie du cens électoral, qu'elle pouvait en admettre et en exclure.
L'honorable M. du Bus, cependant, en reconnaissant le droit, déconseillait d'en faire usage.
Mais, à côté d'eux, les honorables MM. Dolez, Gendebien, Verhaegen et d'autres contestaient le droit de la législature d'écarter aucune espèce d'impôt direct du cens électoral.
C'est là un point sur lequel j'hésiterais à me prononcer. Je le crois très difficile et je pense que, plutôt que de résoudre par un vote arbitraire une difficulté pareille, mieux vaut chercher une autre solution, celle que le gouvernement vous présente.
Il vous propose, messieurs, de transférer aux provinces l'impôt sur les débits. Ce transfert leur permettra de réaliser le but que poursuit l'honorable M. Vleminckx.
Les provinces seront libres de créer une entrave sérieuse à la multiplication des débits ; elles en fixeront le taux du droit à volonté, alors qu'il n'y aura à cette taxe provinciale aucune compensation électorale.
Quelques membres objectent : « Mais les provinces oseront-elles établir une taxe pareille ? Il est vrai que sept députations permanentes ont demandé, en 1867, le transfert des droits de débit aux provinces, mais les députations ne sont pas les conseils provinciaux, et puis elles n'ont pas offert des centimes additionnels en échange. »
Je ne distingue pas entre les députations permanentes et les conseils provinciaux.
Les unes sont les émanations des autres. Certes, il peut arriver exceptionnellement qu'une députation soit désavouée, de même qu'il peut arriver qu'une majorité désavoue un ministre.
La députation permanente est le ministère provincial, pas autre chose. (Interruption.)
Je sais que vous contestez tout, et je continue mon chemin.
Lorsque les députations permanentes émettent un vœu, je suis en droit de voir dans ce vœu l'intention des conseils provinciaux.
Ils vous demandaient les droits de débit à titre de pur cadeau et n'étaient pas disposés à céder quoi que ce soit en échange, dit-on.
Cela n'est pas exact ; ils ne demandaient pas le droit de débit à titre de pur cadeau, ils le demandaient dans le but d'arriver à la suppression des barrières provinciales.
Qu'ont fait depuis les conseils provinciaux ? Sept ou huit sur neuf conseils ont aboli les barrières et, pour rétablir l'équilibre dans les finances provinciales, ils ont frappe des centimes additionnels sur l'impôt foncier, sur l'impôt personnel et sur le droit de patente.
Que leur offrons-nous ? Nous leur disons : Nous revenons à votre proposition d'il y a quatre ans. Supprimez les centimes additionnels que vous avez établis en remplacement du droit de barrière et, comme vous le (page 1448) désiriez, vous aurez le droit de débit pour compenser la suppression des barrières.
M. Muller. - Plus, de nouveaux impôts.
M. Jacobs, ministre des finances. - Je constate que nous prendrons au mot les conseils provinciaux qui se sont adressés à nous et que nous leur permettrons de supprimer les barrières, non pas au moyen de centimes additionnels, ce qui pour eux a été un pis-aller, mais au moyen des droits de débit, ce qui était leur idée première, leur idée favorite.
Mais en supposant que les conseils provinciaux, c'est l’honorable M. Mascart qui tenait ce langage, en supposant qu'ils acceptent l'échange que vous leur proposez, ils reprendront bien vite les centimes qu'ils abandonneront cette année ; déjà l'année prochaine un nouveau centime additionnel apparaîtra au budget, l'année suivante un autre, si bien que d'ici à quelques années vous serez dans la situation d'aujourd'hui.
L'honorable membre a oublié de nous dire ce qui arrivera à cette même date, dans quelques années, si nous ne cédons pas les droits de débit aux provinces.
Voici ce qui arrivera : des besoins nouveaux se manifesteront, des centimes additionnels seront votés un à un, si bien qu'au bout de quelques années, mettons cinq ans, vous aurez cinq centimes additionnels de plus qu'aujourd'hui.
En somme, il y aura toujours, alors comme aujourd'hui, un écart de 5 centimes entre ce qui existera, en l'absence de débits provinciaux, et ce qui existera en cas d'adoption de notre projet.
De nouveaux besoins exigent toujours de nouvelles ressources et naturellement les provinces chercheront dans des centimes additionnels ou d'autres impôts, mais surtout dans des centimes additionnels, de quoi y satisfaire.
Remarquez que les provinces, pas plus que l'Etat, n'ont pour mission ni pour but de thésauriser. Elles ne se créent pas, à l'exemple de certains pays, des encaisses pour des guerres éventuelles ; elles ne se créent des ressources qu'au fur et à mesure des besoins. Si les besoins n'augmentent pas et que les conseils provinciaux aient des ressources plus considérables par suite des droits de débit que nous leur donnons la faculté de créer, ils diminueront les autres impôts provinciaux, c'est-à-dire les centimes additionnels.
Si, au contraire, de nouveaux besoins se manifestent, on conservera en tout ou en partie les centimes additionnels, et l'on n'aura à en augmenter de nouveau le nombre que lorsque les besoins de la province auront absorbé le produit des débits.
Je ne conçois pas qu'on ait émis un doute sur l'intention des provinces d'établir un droit sur les débits de boissons. Je n'ai pas seulement pour garant de cette intention la démarche des députations permanentes, qui est bien récente encore, j'en ai un garant plus sûr, le bon sens. Il n'est pas une assemblée délibérante au monde qui, pouvant établir une véritable entrave à la multiplication des débits, hésite à le faire.
Si nous ne le faisons plus, si le législateur de 1838 a été sur le point d'y renoncer, c'est parce qu'il a vu que son entrave se changeait en stimulant. Mais quand ces conseils provinciaux, quand ces assemblées qui sont de petits parlements dans leur province et qui se composent de l'élite des habitants, quand ils verront le moyen de mettre une digue à l'ivrognerie, une digue véritable, et non pas une digue fictive, qui pousse au lieu de retenir, il n'y a pas un conseil provincial, non seulement en Belgique, mais en Europe, mais dans le monde, qui néglige l'occasion d'établir une pareille entrave.
Il est certain, pour moi, que les provinces établiront un droit de débit dont ils détermineront le taux à leur convenance et que, n'ayant plus alors besoin du montant des centimes additionnels qu'elles ont perçus depuis l'abolition des barrières, elles renonceront en tout ou en partie à ces centimes. Si des besoins nouveaux ont surgi, il est naturel qu'elles n'y renoncent pas complètement.
J'engagerai, au surplus, les membres de cette Chambre et surtout les honorables MM. de Lexhy et Elias qui appartiennent à la province de Liège, à s'adresser à leurs amis du conseil provincial et à leur répéter ce que vient de dire l'honorable M. Vleminckx des inconvénients de l'ivrognerie, de l'utilité d'avoir des droits de débit, considérables même, et n'offrant aucune espèce de correctif électoral.
Je suis persuadé que ces honorables membres parviendront à obtenir du conseil provincial de Liège la suppression des cinq centimes additionnels au foncier, à la contribution personnelle et au droit de patente qui...
- Un membre. - Il faudrait prêcher d'exemple.
M. Jacobs, ministre des finances. - L'exemple, nous n'avons plus à le donner. (Interruption.) Nous avons essayé de le faire, nous n'avons pas réussi. Nous constatons que l'entrave que nous avons essayé d'établir avait un vice organique auquel il ne dépend pas de nous de remédier. Mais ce que nous ne pouvons pas faire, les conseils provinciaux le peuvent sans aucun inconvénient. Et nous qui aurons prêché d'exemple en établissant ce droit de débit depuis1838 jusqu'en 1871, nous venons leur dire : Nous reconnaissons que ce n'est pas en nos mains que cette arme est efficace ; elle ne le sera que dans les vôtres et nous vous la passons pour que vous puissiez vous en servir. (Interruption.)
Les honorables membres pourront même dire au conseil provincial de Liège qu'il retirera un bénéfice de la combinaison que nous lui offrons.
Le droit de débit rapporte pour la province de Liège la somme de 218,347 francs ; 5 centimes additionnels aux trois principales contributions directes donnent 189,110 francs.
Il renoncera à 189,110 francs pour toucher 218,300 francs, de sorte que la province conservera un bénéfice de 29,237 francs, ce qui n'est pas à dédaigner. D'autres provinces seront moins heureuses.
La première partie de notre combinaison doit donc être approuvée. Je passe à la seconde.
Elle consiste à transférer de la province à l'Etat 5 centimes additionnels au foncier, à la contribution personnelle et au droit de patente ; les centimes additionnels à la contribution foncière sont remplacés par une augmentation du principal, qui correspond à un peu moins de 5 p. c, à 4.48 p. c, soit environ 4 1/2.
Je crois répondre au désir de la Chambre, en n'abordant cet ordre d'idées que demain ; mais, avant de finir, je tiens à répondre deux mots à un argument de l'honorable M. Elias qui se rapporte à la part contributive du foncier dans la combinaison.
Vous semblez faire un avantage à la contribution foncière vis-à-vis de la contribution personnelle et des patentes, en ne lui demandant que 4 1/2 : vous induisez en erreur.
Il est très vrai que l'Etat ne percevra ici que 4 1/2 ; mais, comme ces 4 1/2 vont grossir le principal de l'impôt, tous les centimes additionnels provinciaux et communaux vont se trouver majorés par-là même ; il en résultera, d'après mes calculs, que, dans le royaume entier, il y aura au delà de 400,000 francs de plus de charges foncières au profit des provinces et des communes.
Vous sacrifiez 100,000 francs sur ce que donnerait 5 p. c. additionnels au foncier, vous reprenez 400,000 francs par l'augmentation des centimes provinciaux et communaux ; donc le foncier est frappé de 500,000 francs de plus que les autres impôts directs. Telle est l'objection.
Je le répète, messieurs, les communes, pas plus que les provinces, n'ont à thésauriser. Les unes et les autres ne doivent établir d'impôts qu'à concurrence de leurs besoins. Si donc les communes et les provinces n'ont pas besoin de ces 400,000 francs de majoration, elles diminueront le nombre de leurs centimes additionnels.
Au lieu d'avoir des centimes additionnels plus petits et en plus grand nombre, elles auront des centimes additionnels plus gros et en plus petit nombre. Le total, argent perçu, sera le même.
L'honorable membre a prévu ma réponse ct voici sa réplique : On ne voudra pas rompre la symétrie des centimes additionnels, car ordinairement il y a un même nombre de centimes sur le foncier, sur la contribution personnelle et sur les patentes. On maintiendra la symétrie.
Si, messieurs, la manie de la symétrie pouvait exister à ce point dans les communes et les provinces, les contribuables se chargeraient bien vite de la leur faire passer. Mais elle n'existe pas.
Dans les grandes communes, les centimes additionnels varient.
A Gand, par exemple, il y a 32 centimes au foncier, 22 au personnel. A Bruxelles, il y a 37 centimes additionnels sur le personnel et l'équivalent de 70 centimes sur le foncier. A Anvers, 41 centimes additionnels sur le personnel et 48 sur le foncier.
Vous voyez ce que vaut cette prétendue symétrie. A Liège même, les patentes et quatre bases du personnel sont grevées de 50 centimes, les deux autres bases de 75 centimes, le foncier de l'équivalent environ de 75 centimes.
Dans le rapport de l'honorable M. Sabatier se trouve inséré le tableau complet des centimes additionnels provinciaux. Or si, dans le Brabant, le Hainaut et la province de Liège, le nombre des centimes additionnels est uniforme, dans les six autres provinces, il ne l'est pas ; cette question de symétrie ne doit donc pas nous arrêter, elle ne peut être un obstacle à ce que les provinces et les communes réduisent leurs centimes au foncier, s'il y a lieu.
Je remettrai la suite de mon discours à demain.
M. le président. - Est-il bien entendu, que la Chambre continuera demain la discussion générale du projet de loi concernant les modifications aux lois d'impôts ? (Oui ! oui !) il en sera donc ainsi.
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :
i° Un projet de loi allouant aux ministères des travaux publics et de l'intérieur divers crédits extraordinaires jusqu'à concurrence de 22 millions de francs et qui autorise, en même temps, le gouvernement à conclure, aux conditions qu'il déterminera, un emprunt d'un capital de 50 millions de francs ;
2° Un projet de loi ayant pour objet d'augmenter les pensions militaires.
- Ces deux projets de loi seront imprimés et distribués. La Chambre en ordonne le renvoi à l'examen des sections.
La séance est levée à 5 heures,