(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.)
(page 1395) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart. M. de Borchgrave donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :
« Le sieur Baet demande que la section de Poupehan soit séparée de la commune de Corbion. ».
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Desmayer demande que la fréquentation de l'école militaire soit gratuite. »
- Même renvoi.
« Les membres des conseils communaux d'Hechtel, Exel, Petit-Brogel et Caulille demandent la construction d'une route d'Hechtel au bassin de Loozen, par Exel, Petit-Brogel et Caulille. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Thorembais-les-Béguines prient la Chambre de rejeter les augmentations de l'impôt foncier proposées par le gouvernement. »
« Même demande d'habitants de Court-Saint-Etienne et de- Bosières-Saint-André. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi apportant des modifications aux lois d'impôt.
« L'administration communale de Gand transmet la pétition du conseil communal priant la Chambre de rejeter la proposition du gouvernement qui abroge la loi du 28 mars 1828 exonérant de l'impôt foncier les constructions neuves, et adresse 150 exemplaires de cette pétition. »
- Distribution aux membres de la Chambre, dépôt à la bibliothèque et sur le bureau pendant la discussion du projet de loi modifiant les lois d'impôt.
« Le sieur Lavelin prie la Chambre de maintenir la contrainte par corps à l'égard de tous les débiteurs de mauvaise foi contractuels ou autres, ou, du moins, de ne pas l'abolir avant d'être renseignée sur les effets produits en France, au point de vue de la moralité et de la sincérité des affaires, par la réforme émanée du gouvernement impérial et avant la révision des lois de procédure sur les saisies mobilières et autres et des articles du Code pénal relatifs à l'escroquerie et à l'abus de confiance. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la contrainte par corps.
« Le sieur Lemaire prie la Chambre de statuer sur sa demande tendante à être repris au chemin de fer de l'Etat. »
- Renvoi à, la commission des pétitions.
M. Cruyt (pour une motion d’ordre). - Messieurs, parmi les projets à l'ordre du jour qui ont pour objet la révision du code de commerce, il en est un qui présente un caractère d'urgence tout à fait spécial ; je veux parler du titre relatif au gage commercial et au privilège des commissionnaires.
La Chambre sait qu'à différentes reprises le commerce, et notamment le commerce anversois, lui a adressé la demande que ce projet soit discuté le plus tôt possible. Il y a quelques jours encore il est arrivé à la Chambre une pétition à l'effet d'obtenir que la discussion de ce projet ait lieu dans le cours de la session actuelle.
Cette discussion, messieurs, ne saurait être ni longue ni laborieuse : le projet nouveau proposé par la commission spéciale n'est, en définitive, que la reproduction presque littérale de la loi française de 1863. Cette loi fonctionne en France depuis 1865 sans le moindre inconvénient.
Il y a, pour le commerce, la plus grande utilité à ce que ce projet passe en force de loi le plus tôt possible.
Je demanderai donc à la Chambre, au nom de la commission spéciale qui m'a nommé son rapporteur, qu'elle prenne dès aujourd'hui la décision de discuter ce projet pendant la session actuelle. Il pourrait être mis à l'ordre du jour après les modifications aux lois d'impôt.
J'ai une seconde proposition à faire à ce sujet. Le rapport que j'ai eu l'honneur de déposer se réfère, à une légère modification près, au rapport fait et déposé l'an dernier par l'honorable M, Dewandre. Ce dernier rapport contient d'ailleurs le texte nouveau projeté. Or, les nouveaux membres de la Chambre ne possèdent pas ce rapport ; il n'y en a plus d'exemplaires à la bibliothèque de la Chambre ; moi-même je dois celui que je possède à la complaisance de l'honorable M. Van Humbeeck, président de la commission.
Il sera donc indispensable de faire réimprimer ce rapport pour le distribuer aux nouveaux membres de la Chambre. Je demande que la Chambre ordonne cette réimpression.
M. Moncheur. - Je me rallie en très grande partie à la proposition de l'honorable M. Cruyt. Le projet dont il a entretenu la Chambre est, en effet, vivement réclamé par le commerce ; seulement, j'y proposerai une modification.
Le projet de loi relatif à l'érection, de la commune d'Aisemont est depuis longtemps à l'ordre du jour de la Chambre. (Interruption.). Je demande que la discussion en soit fixée après celle des lois d'impôt. Il n'y a aucune raison de différer la discussion de ce projet et il est très désirable, au contraire, qu'elle ait lieu sans plus de retard.
Tout en appuyant donc la proposition de l'honorable M. Cruyt, je demande que la discussion du projet de loi relatif à la commune d’Aisemont précède celle du projet dont il nous a parlé.
M. Dumortier. - Je crois, messieurs, que les projets d'intérêts généraux doivent avoir la priorité sur ceux qui n'ont pour objet que des intérêts locaux. C'est toujours ainsi que la Chambre a procédé.
Je ne m'oppose évidemment pas à ce qu'on discute dans la session actuelle le projet de loi concernant la commune d'Aisemont, mais la motion de l'honorable M. Cruyt doit avoir la priorité sur la simple érection d'une commune. Les intérêts du commerce sont ici gravement engagés. Il est évident que cela doit avoir également le pas sur un intérêt privé.
M. Dupont. - J'insiste, à mon tour, pour qu'on mette, à l'ordre du jour de la Chambre la discussion du titre du code de commerce relatif à la lettre de change, dont j'ai eu l'honneur de présenter autrefois le rapport. Le commerce attend, non sans impatience, la promulgation de ce titre : la loi actuelle présente, en effet, des vices qui ont été depuis longtemps signalés, spécialement en ce qui concerne l'obligation de la remise de place en place et la propriété de la provision en cas de faillite.
Il n'est pas à présumer que le vote de ce projet donne lieu à une discussion un peu longue. Le projet a, en effet, été adopté par la Chambre à l'unanimité et il est probable que le second vote, nécessité par la dissolution, ne modifiera pas les dispositions déjà adoptées par cette assemblée.
Je demande donc que l'on porte à notre ordre du jour certains titres du code de commerce et que celui-ci en fasse partie.
M. De Lehaye.- Messieurs, je ne m'oppose pas du tout à la mise à l'ordre du jour des projets de loi qui viennent d'être indiqués ; mais, (page 1396) messieurs, la session est déjà très avancée, nous avons encore à discuter quelques projets qui sont très importants.
Si l'on veut absolument que la Chambre s'occupe de tous les objets dont on a parlé, il serait bon qu'on eût des séances du soir. Il y a parmi nous beaucoup de membres qui ont été constamment à leur poste ; il est temps, je pense, que ces membres puissent prendre un peu de repos. Or, je crois qu'à la fin de ce mois-ci, nous serons en droit de réclamer ce repos.
Je demanderai donc qu'à partir de mardi prochain nous ayons des séances du soir.
M. le président. - Il y a, messieurs, plusieurs propositions. Il est nécessaire, je pense, que la Chambre statue immédiatement sur ces propositions.
M. Guillery. - Messieurs, je crois que si les propositions qui viennent d'être faites doivent aboutir, il est nécessaire de les modifier un peu, car lorsque la Chambre aura voté la loi sur les impôts, qui donnera sans doute lieu à d'assez longues discussions, je ne crois pas qu'elle soit très disposée à discuter d'autres projets.
Il faudrait donc placer ce qui concerne le code de commerce avant le projet de loi relatif aux modifications aux lois d'impôts. Ces objets, dont l'un a déjà été examiné par la Chambre, ne donneront plus lieu par conséquent qu'à une sorte de second vote.
Quant à moi, et je crois que cela n'augmentera guère la durée de la discussion, je demanderai qu'on mette également à l'ordre du jour ce qui concerne le titre des sociétés. Les questions qui concernent l'intérêt général, disait l'honorable M. Dumortier, doivent passer avant tout et le titre du code de commerce relatif aux sociétés est évidemment une question de ce genre. Il n'y a peut-être pas de réforme plus urgente en ce moment que ce qui a trait aux sociétés.
La Chambre ayant déjà examiné à fond ces diverses questions, il n'y aura peut-être qu'une séance de discussion à avoir pour en finir avec ces objets qui ont été soumis à un premier vote.
Il est impossible, me semble-t-il, que nous nous séparions avant d'être arrivés à une solution sur ces différents points ; mais, d'un autre côté, je pense que pour atteindre ce but, il est indispensable que les propositions relatives à la lettre de change, au gage commercial et au titre des sociétés soient modifiées en ce sens que la discussion de ces objets ait lieu avant la discussion du projet de loi relatif aux modifications des lois d'impôt.
La discussion serait ainsi plus courte et nous serions plus certains de ne pas la voir ajourner de nouveau.
M. Jacobs, ministre des finances. - Je ne puis consentir à ce que la Chambre revienne sur la décision qu'elle a prise l'autre jour d'aborder la discussion du projet de loi relatif aux modifications d'impôt immédiatement après la discussion du budget des travaux publics. La Chambre sait que ce projet est en rapport avec des décisions à prendre par les conseils provinciaux dans leur prochaine session. Il importe donc essentiellement que nous ayons abouti à une décision avant que les conseils provinciaux soient réunis.
On pourra tout aussi bien, après la discussion du projet de loi relatif aux modifications d'impôts qu'avant cette discussion, aborder l'examen des différents objets qui viennent d'être indiqués.
Du reste, messieurs, c'est un peu prématurément qu'on propose de fixer l'ordre du jour en ce moment. Je demande que provisoirement on maintienne l'ordre du jour tel qu'il a été fixé ; quand nous serons plus avancés dans nos travaux, nous pourrons indiquer quels sont les titres du code de commerce que nous aborderons dans le courant de la session.
M. le président. - Messieurs, je pense que la proposition de M. De Lehaye pourrait être ajournée jusqu'au commencement de la séance de mardi. (Adhésion.)
Quant à celle de M. Cruyt, qui est double, on pourrait la diviser : décider dès maintenant la réimpression du rapport de M. Dewandre, ainsi que du projet de loi qui en était l'objet, et ajourner la décision sur l'autre partie de sa proposition. (Adhésion.)
- La Chambre maintient donc provisoirement l'ordre du jour tel qu'il a été fixé dans une précédente séance.
M. le président. - Si personne ne s'y oppose, nous reprendrons l'ordre des inscriptions tel qu'il existait au commencement de la séance d’hier.
La parole est à M. Sainctelette.
(page 1401) M. Sainctelette. - Parlant des tarifs de chemin de fer, l'honorable ministre des travaux publics nous a, dans la séance d'avant-hier, déclaré que, pour les marchandises, il maintiendrait l'état de choses actuel. M. le. ministre adhère ici complètement à l'œuvre de ses prédécesseurs. Il en accepte le principe et les chiffres.
On devait s'attendre à cette déclaration.
L'application aux marchandises du tarif différentiel par distances a pour elle la raison, les précédents et le succès.
La raison, parce qu'elle est motivée par les lois fondamentales du commerce, parce qu'elle est justifiée par une exacte et judicieuse observation des faits.
Les précédents, parce que les chemins de fer n'ont fait que suivre l'exemple que leur avaient donné les autres industries de transport, que. les compagnies, aussi bien que les administrations publiques, ont successivement adopté le système des tarifs différentiels.
Dès 1848, une enquête était ordonnée par le gouvernement de la seconde république française sur les mérites et les inconvénients du système des tarifs différentiels. Les compagnies d'Orléans et du Nord venaient de le mettre en pratique. Quelques négociants s'en plaignaient. Dans cette enquête, faite avec infiniment de soin par une commission composée de conseillers d'Etat, furent entendus des administrateurs de messageries, des administrateurs de canaux, des commissionnaires de transport.
Il fut constaté que, de tout temps, les messageries et les entrepreneurs de transport par eau avaient usé des tarifs différentiels et que les tarifs différentiels par distances n'étaient autre chose que la rédaction, spéciale à la matière des transports, des règles les plus usitées du commerce.
A partir de cette époque, les tarifs différentiels furent de plus en plus pratiqués par les compagnies françaises. Le commerce en signala quelques inconvénients, quelques anomalies apparentes. Le gouvernement résolut alors de faire une nouvelle instruction. Vers 1860, une commission, présidée par M. Michel Chevalier, reçut mission de faire une nouvelle enquête sur l'exploitation des chemins de fer.
Cette commission chargea un ingénieur distingué des ponts et chaussées, M. Moussette, d'aller étudier, en Angleterre, la question des tarifs. Celui-ci constata que partout les tarifs différentiels étaient appliqués et que les populations, comme le parlement, acceptaient sans protestation cet état de choses.
La commission se prononça unanimement en faveur d'une mesure que recommandaient à la fois l'autorité des plus grands administrateurs et l'expérience des compagnies les plus prudentes.
Peu de temps après, le système des tarifs différentiels reçut, en France, la consécration officielle d'un décret impérial. Les conventions qui ont concédé le troisième réseau ont toutes renfermé une clause organisant le système des tarifs différentiels pour les marchandises et fixant même les divers degrés de l'échelle décroissante.
Dans notre pays enfin, ce système a été mis en vigueur en 1861. Le premier essai en a été timide. Mais c'est de cette époque que date l'ère nouvelle des chemins de fer, que date la période des accroissements continus de la recette brute et du profit net.
La réforme des tarifs pour marchandises dans le sens différentiel par distances n'a pas été moins utile aux industries et au public qu'aux transporteurs.
Grâce à elle, les matières pondéreuses et encombrantes ont vu s'étendre de plus en plus leur champ de consommation.
Si vous voulez, messieurs, vous rendre compte de cet effet des tarifs sur la diffusion des marchandises pondéreuses et encombrantes, je vous prie de consulter le tableau que voici : [ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée]
Ce tableau résume le mouvement de cinq lieues en cinq lieues.
Vous remarquerez que, dans les trois premières zones, celles-ci régies par un tarif proportionnel, le mouvement n'a que doublé, tandis que dans la quatrième zone, le mouvement a quadruplé et que, dans la cinquième, il a presque quintuplé. Dès que change la raison de la progression des prix, change l'allure du mouvement, et plus la raison s'abaisse, plus l'allure du mouvement devient rapide. En d'autres termes, plus vous tendez à assimiler deux zones sous le rapport des distances, plus vous les assimilez sous le rapport des quantités absorbées.
C'est rendre un premier et important service aux industries que d'augmenter la puissance, de consommation du pays. Mais on doit aux tarifs différentiels un second progrès. Non seulement le pays a acheté plus, mais il a acheté mieux.
On a vu bientôt le producteur acheter ses matières premières d'après leur rendement.
Le producteur, en voyant s'étendre son champ d'approvisionnements, a vu s'ouvrir pour lui la possibilité de faire entre les diverses provenances d'une même matière première un choix plus éclairé. Forcé autrefois de se déterminer par la seule comparaison des prix, il peut aujourd'hui, dans l'achat même des matières premières les plus grossières, prendre garde au rendement, à l'effet utile, aux propriétés spéciales.
J'en citerai un exemple.
II y a vingt ans, les charbons spéciaux de Mons pour coke et pour gaz ne sortaient pas d'une zone extrêmement restreinte. Les mines étaient forcées de vendre au foyer domestique du charbon pour coke ou du charbon pour gaz.
Les tarifs différentiels ont tellement agrandi la zone de consommation de ces charbons spéciaux, que Mons en expédie aujourd'hui dans l'Ouest jusqu'à Rennes, dans le Centre de la France jusqu'à Bourges, dans la Haute-Alsace jusqu'au delà de Colmar.
M. d’Andrimont. - Le charbons de Mons pour gaz se vendent à Liège.
M. Sainctelette. - Et au delà, jusqu'à Maestricht, jusqu'à Mayence. Et cela s'explique.
Le consommateur trouve un très grand avantage à employer les charbons selon leurs propriétés particulières. Et naturellement, le vendeur a (page 1402) tout intérêt à vendre sa marchandise pour l'usage auquel elle convient le mieux, parce que c'est de la sorte qu'il en peut obtenir le plus haut prix.
En résumé, l'introduction dans les transports des tarifs différentiels a eu ce résultat d'augmenter considérablement, pour tous et pour chacun des vendeurs, le nombre des acheteurs possibles, et pour tous et chacun des acheteurs, le nombre des vendeurs effectifs. Elle a agi, dans la plus grande mesure, sur les termes de l'offre comme sur les termes de la demande. Elle a multiplié le nombre des parties mises en présence. Elle a donné à la concurrence à la fois plus d'étendue et plus d'intensité. On peut donc débattre le chiffre ; on peut se demander combien il convient d'établir de zones, comment il faut les former, quelle y doit être la raison de la progression, où il faut en placer le point de chute. Mais le principe même du système ne peut plus être sérieusement discuté.
Je félicite donc M. le ministre d'avoir, en ce point, rendu justice à ses prédécesseurs et de se rallier à leur opinion. J'aurais désiré le voir continuer leur œuvre et donner à l'opinion publique, en cette matière, une satisfaction qu'elle réclame depuis quelque temps.
J'entends parler de la réduction à 10 lieues du rayon de la première zone. Généralement, on considère le rayon actuel de 15 lieues comme disproportionné avec la plus grande longueur du pays et comme beaucoup trop considérable, dans une contrée où les centres populeux sont très rapprochés et où le mouvement des affaires industrielles est très concentré.
M. le ministre a parlé ensuite des transports à très courtes distances.
Là, réservant seulement la question d'opportunité, M. le ministre a annoncé, comme arrêtée dans sa pensée, la réduction des frais fixes. Je ne conteste pas qu'il y ait quelque chose à faire en faveur des transports à très courte distance. Je crois que, dans l'intérêt de l'Etat comme dans l'intérêt des industries, il faut faire le nécessaire pour récolter le trafic local de mine à usine. Mais j'ai des doutes sérieux sur le point de savoir si c'est bien par la réduction des frais fixes qu'il faut procéder.
Ce système a pour moi l'inconvénient très grand de se placer en dehors des faits, en dehors de la réalité.
On vous dira, avec assez de raison : De deux choses, l'une ; ou les frais fixes ne vous coûtent pas un franc par tonne et alors ce n'est pas seulement en faveur des petites distances qu'il faut réduire le remboursement que vous en demandez ; ou bien la marchandise vous coûte réellement en frais fixes un franc par tonne et alors de quel droit en dégrevez-vous les petites distances plutôt que les grandes ?
D'un autre côté, il ne faut pas oublier que l'article des frais fixes est un gros article de votre recette, puisque à raison d'un franc par tonne de marchandises, il ne représente pas moins de 7,000,000 de francs. N'est-il pas à craindre qu'une première concession dans cette voie n'en entraîne inévitablement d'autres et de plus considérables ?
Ne serait-il pas préférable de recourir au péage par train, d'établir pour ces transports de mine à usine qui se font par grandes masses sur des parcours restreints, un système de tarif différentiel par quantités que peut-être on pourrait plus tard étendre utilement à toutes |es distances ?
Ce péage par train n'est pas une nouveauté. II existe dans d'autres pays.
La commission d'enquête présidée par M. Michel Chevalier posa, entre autres questions, la demande suivante :
« Y aurait-il des inconvénients à autoriser un tarif réduit pour l'expéditeur qui présenterait une marchandise rentrant dans une catégorie spécifiée de matières premières, en quantité suffisante pour composer le chargement complet d'un train ou la majeure partie de ce chargement ? »
M. Mousselte répondit :
« Ces arrangements existent partout en Angleterre. »
Quatre des compagnies françaises furent d'avis qu'il y avait lieu d'entrer dans cette voie. Voici quelles furent leurs réponses :
Est. - « Pas d'inconvénient. II conviendrait même de généraliser la mesure.
« Vendre moins cher en gros qu'en détail, c'est la loi du commerce et de l'industrie. En permettre l'application aux compagnies de chemins de fer, ce serait rendre possibles, dans l'intérêt général, des abaissements de prix que les compagnies ne peuvent aujourd'hui consentir à personne, parce qu'il faudrait les accorder à tout le monde. »
Nord.- « Pas d'inconvénient à autoriser un semblable tarif ; mais aucun avantage, pour les compagnies, à en faire l'application. »
Ardennes. - « Il y aurait avantage. Rien de plus rationnel, en effet, que de réduire les prix de transport à proportion du tonnage des expéditions. »
Midi.-– « Aucun inconvénient. Pour des trains complètement chargés, on pourrait consentir des réductions impossibles aujourd'hui. »
Tous les transports de quelque importance qui, aujourd'hui, se font encore par axes et échappent au chemin de fer, vont, le plus souvent, d'une mine ou d'une minière à une usine par masses considérables. L'expéditeur est donc en position de former facilement et régulièrement soit des trains complets, soit des fractions importantes de train. Il peut, s'il le veut, réduire l'intervention du transporteur à une simple opération de traction. Dans de telles conditions, il y aurait évidemment matière à de grandes réductions.
Je recommande, cette idée à M. le ministre des travaux publics. Je crois qu'il y a là, plutôt que dans la réduction du taux des frais fixes, un moyen d'augmenter le mouvement des transports à petite distance, sans cependant entamer grandement les recettes.
Après nous avoir parlé des marchandises, M. le ministres des travaux publics nous a dit quelles étaient ses intentions quant aux voyageurs.
Après avoir reconnu que l'application faite par ses prédécesseurs à toutes les classes des marchandises du principe différentiel par distances a donné des résultats suffisants et rémunérateurs, M. le ministre a annoncé son intention de revenir, pour le transport des voyageurs, au tarif proportionnel.
Ainsi donc, de l'œuvre de ses prédécesseurs, il répudie ici les chiffres et le principe.
J'aurais compris qu'il eût fait ses réserves quant aux chiffres, mais je ne comprends pas qu'appliquant le principe aux marchandises, il refuse de l'appliquer aux voyageurs.
Ce qui est vrai des marchandises est vrai des voyageurs, et toutes les raisons qui ont porté les gouvernements précédents à introduire dans le tarif des marchandises le principe différentiel par distances justifient l'introduction dans le tarif des voyageurs de ce même principe.
Voyons quelles sont ces raisons.
C'est, messieurs, un usage universellement admis dans toutes les branches du négoce et dans tous les pays que de vendre moins cher en gros qu'en détail.
Depuis le libraire qui, certes, ne vens vingt exemplaires du même livre vingt fois le prix d'un exemplaire, jusqu'aux gouvernements qui, pour placer de grandes quantités de rentes, consentent, au profit des banquiers, un escompte extraordinaire, tout le monde obéit à cette loi.
C'est que tout le monde sait que la vente d'une même quantité de marchandises, lorsqu'elle a lieu d'un seul coup ou en gros, ne donne lieu qu'à des frais de vente beaucoup moins élevés que ceux de la vente en détail. Pour vendre vingt unités, on n'a pas vingt fois à faire les frais de vente d'une unité.
Comment soustraire à l'influence de cette règle universelle les industries de transport ? Pourquoi ce qui est vrai de tous les commerces, ne serait-il pas vrai du transport ? Pourquoi faire payer à celui qui offre 25 lieues-voyageurs ou 25 lieues- marchandises vingt-cinq fois le prix demandé à un voyageur-lieue ou à une tonne-lieue ? Pourquoi surtout distinguer ici entre la marchandise et le voyageur ? Vous reconnaissez qu'il faut vendre le transport-marchandise moins cher en gros qu'en détail ; mais s'agit-il du transport-voyageur, le principe ne vous semble plus vrai.
Vous vendez votre transport-marchandise moins cher en gros qu'en détail. Vous vendez votre transport-voyageur aussi cher en gros qu'en détail. Quelle est donc votre raison ? J'avoue que je n'y comprends absolument rien.
Un second usage généralement admis dans le commerce, c'est de faire, pour se procurer un trafic additionnel et complémentaire, des sacrifices qu'on ne pourrait pas consentir en vue du trafic courant, régulier, normal. Il n'y a pas de négociant ou de fabricant qui, pour se débarrasser de ce qu'on appelle un solde, ne consente à des rabais qu'il n'accorde pas dans ses ventes ordinaires.
Il n'y a pas d'industriel qui ne sache que plus la production s'élève et plus s'abaisse, pour chaque unité produite, la quotité des frais généraux. Les industries du transport subissent cette loi tout autant que les autres. Que dis-je ? elles la subissent davantage, car elles offrent cette particularité, que le rapport du travail rémunérable au travail dépensé est plus faible que dans la plupart des autres industries.
Il y a plus de dix ans déjà, M. Rouher insistait sur ce point. Il disait : « La question des tarifs différentiels, c'est l'essence de l'industrie des transports, c'est une nécessité impérieuse. La plus grande plaie de cette industrie, c'est le poids mort. Plus on diminue le poids mort, plus on réalise de bénéfices, »
(page 1403) Or, quel autre moyen de diminuer le poids mort que de chercher à pouvoir toujours travailler à charge complète ?
Le bon sens dit que, lorsque vous avez attelé à une locomotive qui peut traîner 60 unités, un nombre de waggons représentant seulement 54 ou 57 unités, vous devez ne négliger aucun moyen de vous procurer une ou deux charges de plus ; qu'à traîner 55 ou 56 unités dans la première hypothèse, 58 ou 59 dans la seconde, vous réaliserez un bénéfice dans des conditions où, avec 54 ou 57, vous vous seriez à peine tenu en équilibre.
Le bon sens vous dit encore que, si entrepreneur d'un train de voyageurs qui d'ordinaire ne compte que dix-neuf waggons, vous parvenez quelque jour à ajouter un vingtième waggon, vous réaliserez, ce jour-là, un bénéfice exceptionnel. Vos frais sont couverts par les dix-neuf waggons. Le produit du vingtième est donc un pur bénéfice. De ce bénéfice vous pouvez abandonner une partie au public que vous avez intérêt à attirer. Dans les industries de transport on peut donc, comme dans les autres, pour se procurer un trafic additionnel, consentir à un rabais exceptionnel.
Mais ce rabais, évidemment, ne doit être consenti qu'en faveur des transports qui ne se vendent pas régulièrement et qu'une modération de prix fera davantage rechercher par le public. Les transports à grande distance satisfont à ces deux conditions. Ils ne constituent pas le fait général du trafic transport. Normalement, ils sont peu recherchés par le public. Et aussi, incontestablement, la réduction de prix en augmente la demande.
Mais, dit-on, il n'est pas juste de faire payer le long parcours proportionnellement moins que la petite distance.
C'est le contraire qui est injuste. Le tarif proportionnel surtaxe les longs parcours. Le transport d'une tonne de marchandises à vingt-cinq lieues de distance ne coûte pas ce que coûterait le transport de vingt-cinq tonnes à une lieue de distance. Le transport d'un voyageur à vingt-cinq lieues de distance ne coûte pas ce que coûterait soit le transport de vingt-cinq voyageurs à une lieue, soit même le transport de vingt-cinq voyageurs se succédant de lieue en lieue.
Ce fait, vous en reconnaissez l'existence quand il s'agit de marchandises, pourquoi ne l'admettez-vous pas quand c'est de voyageurs qu'il est question ?
Cependant il y a ici ceci de spécial, c'est que, dans vos tarifs proportionnels, les frais fixes et les frais variables, séparés quant aux marchandises, sont réunis quant aux voyageurs.
Supposons les marchandises et les voyageurs régis par le même tarif proportionnel : la marchandise payera les frais fixes une seule fois, les frais variables quinze fois, si la distance est de 15 lieues. Mais le voyageur, s'il à 15 lieues, payera quinze fois et les frais fixes et les frais variables, car vous lui faites payer l'équivalent de ce que payent, quinze voyageurs allant à une lieue. Il paye par conséquent quinze fois cette partie du prix qui représente les frais fixes, bien qu'il ne donne qu'une fois lieu à des dépenses fixes. En un mot, quinze voyageurs prenant leurs coupons pour aller à une lieue de distance provoquent quinze fois les dépenses de distribution de coupons, de contrôle, de comptabilité, de statistique, de police et d'administration, dépenses que ne provoque qu'une seule fois le voyageur unique allant à 15 lieues. Et cependant, dans le système de M. Wasseige, ces quinze voyageurs allant à une lieue ne payeront pas plus que le voyageur unique allant à 15 lieues.
Cela est absolument injuste et parfaitement contraire à la nature des faits. Qu'il s'agisse de marchandises ou de voyageurs, le long parcours est, pour l'exploitant de chemin de fer, une meilleure source de profits que le poids à transporter. Ici encore, la distinction faite par M. Wasseige n'est en rien justifiée.
Un fait aussi simple, aussi facile à observer et à constater que cette complète assimilation du voyageur à la marchandise ne devait pas échapper à |a sagacité des administrateurs. Aussi, dès 1860, la commission d'enquête dont |e vous ai parlé déjà signalait-elle au ministre la question même qui nous occupe.
« Les tarifs des voyageurs ont été à peu près fixes depuis la création des chemins de fer et sont demeurés très approximativement conformes aux maxima portés au cahier des charges.
« M. Marqfoy, dans un rapport adressé au ministre des travaux publics, examine et compare l'influence des tarifs pour voyageurs et pour marchandises.
« Il constate que sur les grands réseaux français et pendant la décennale qui va du 1er janvier 1852 au 31 décembre 1861, l’accroissement du trafic kilométrique a été, pour les marchandises, de 100 à 312, tandis que, pour les voyageurs, il n'a été que de 100 à 120. Pour les marchandises, la progression de la recette a été de 100 à 242. Pour les voyageurs, elle n'est que de 100 à 107.
Et la commission ajoute :
« Quelques-unes des personnes qui ont écrit sur l'exploitation des chemins de fer ont exprimé un étonnement qu'il convient de mentionner ici. Elles se sont montrées surprises de ce que les compagnies s'étaient abstenues jusqu'ici d'appliquer au service des voyageurs le système des tarifs différentiels dont elles se servent pour le service des marchandises et qui a produit des résultats si avantageux pour le public et pour elles-mêmes.
« En d'autres termes, ne serait-il pas possible que, pour les longs trajets, les voyageurs de la deuxième classe, et surtout ceux de la troisième, payassent moins proportionnellement que pour les petits trajets ? Il est hors de doute que ce système serait très profitable pour les personnes pauvres ou peu aisées, et qu'il les provoquerait à voyager davantage. Il est vraisemblable que, par cela même qu'il mettrait la dépense des voyages mieux en harmonie avec les ressources si limitées d'une grande partie de la population, il accroîtrait dans une forte proportion le nombre des personnes qui voyagent, et par cela même tendrait à augmenter le montant des recettes des compagnies. »
Ainsi, dès 1860, on constatait, en France, que, pendant une période de dix ans, sous l'empire du tarif différentiel, le mouvement des marchandes avait augmenté de 100 à 312, tandis que, sous l'empire du tarif proportionnel, le mouvement des voyageurs ne s'était élevé que de 100 à 120.
On constatait que, sous l'empire des mêmes influences, la progression de la recette des marchandises avait été de 100 à 242, tandis-que pour les voyageurs elle n'avait été que de 100 à 107.
Il n'est pas possible de faire, dans notre pays, une comparaison dans des termes équivalents et pour une période aussi étendue.
Le principe différentiel a été introduit en 1861, dans Je tarif des marchandises. Il y a été fortifié en 1864. Il a été introduit dans le tarif des voyageurs en 1866.
Il n'y a donc pas de décennale pendant laquelle les voyageurs et les marchandises soient restés soumis aux deux influences contraires.
On ne peut prendre comme sujet d'observations qu'une période de 5 ans, du 1er janvier 1861 au 31 décembre 1865.
Pendant cette période, sous l'empire d'un tarif différentiel par distances, timidement rédigé, le mouvement des marchandises s'est accru dans la proportion de 100 à 178, tandis que, sous l'empire du tarif proportionnel, le mouvement des voyageurs ne s'est accru que de 100 à 144.
Ainsi, avec un moins grand écart et d'une façon moins sensible qu’en France, on constate, chez nous, les mêmes résultats. Malgré cet enseignement des faits et probablement aussi, malgré les invitations du gouvernement impérial, les compagnies françaises ont maintenu le tarif proportionnel pour les voyageurs.
Pourquoi ? Par cette excellente raison que, pour le transport des voyageurs, les compagnies françaises n'ont pas de concurrents. Pas plus que les nôtres, les chemins de fer français n'ont pas de rivaux dans le transport des personnes.
Il n'y a peut-être en Europe que la navigation du Rhin et celle du Danube qui fassent aux chemins de fer une concurrence un peu sérieuse pour le trafic en voyageurs.
Laissées en repos par l'absence de concurrents et satisfaites des résultats donnés par les tarifs proportionnels, les' compagnies françaises ne pouvaient d'ailleurs, aux termes de leurs cahiers des charges, faire d'essais que pour un temps assez long et, dans d'assez vastes proportions. Elles ont, en cet état de choses, jugé devoir s'abstenir.
L'honorable M. Vanderstichelen a pensé que l'Etat belge devait avoir une attitude moins égoïste et qu'il devait chercher le progrès même au prix de quelques sacrifices momentanés.
Il a donc, en 1866, appliqué le principe différentiel aux tarifs de voyageurs.
Les circonstances n'ont pas d'abord été favorables à cet essai.
L'honorable M. Jamar vous en a rappelé aujourd'hui quelques-unes : la guerre de 1866 et l'épidémie cholérique de la même époque.
Laissez-moi appeler votre attention sur une autre qui, à mon avis, a exercé une influence bien plus considérable encore ; je veux parler de l'organisation de la Société générale d'exploitation. Cette société date, vous le savez, du 1er mai 1867.
(page 1404) Examinez le tableau suivant qui résume son trafic de voyageurs.
1868 : Mouvement : 3,599,842. Recette : 2,020,112 68. Produit moyen : 0.73.
1869 : Mouvement : 4,055,021. Recette : 3,114,284. Produit moyen : 0.77.
1870 : Mouvement : 4,476,110. Recette : 3,525,130. Produit moyen : 0.79.
Vous le voyez, le nombre des voyageurs est considérable. La progression annuelle est d'un demi-million. D'où vient ce trafic ? Comment expliquer cette progression ? Pour ceux qui connaissent les lignes, il n'y a pas de doute possible. Une grande partie de ce trafic a été fournie à la Société générale d'exploitation par des dérivations largement pratiquées au trafic de l'Etat.
Il faut loyalement le reconnaître, la réforme de M. Vanderstichelen n'a pas été mise en vigueur en temps opportun et dans une situation normale. Elle n'a pas pu exercer toute l'influence qu'on pouvait, qu'on devait s'en promettre.
Voyons-en cependant les résultats.
J'ai relu ces jours derniers, avec tout le soin que comporte la matière et toute l'attention que commande le mérite de l'auteur, une série de lettres écrites à ce sujet, avec beaucoup d'humour, mais aussi avec quelque peu d'humeur, par un membre éminent du Sénat, qui fut quelque temps, dans ce cabinet, ministre in partibus.
J'ai relu le rapport sur les résultats de la réforme du 1er mai 1866, fait par un des fonctionnaires du département des travaux publics, l'honorable M. Vandersweep.
J'ai fait cette étude sans prévention ni parti pris, n'examinant la question qu'au point de vue économique, et je dois le dire, aucune des sombres prédictions de l'honorable correspondant du Moniteur des intérêts matériels ne m'a paru vérifiée par les faits.
Il en est de même des critiques formulées par une très grande partie du public.
L'honorable M. Vandersweep a eu raison contre le cri public et contre les critiques d'un esprit supérieur, parce qu'il a de plus près étudié les faits et qu'il en a démêlé les lois avec une très grande sagacité.
On disait : Vous poursuivez l'accroissement du mouvement ; vous ne parviendrez pas à l'augmenter parce que c'est une erreur que d'assimiler les voyageurs aux colis. Vous ne créerez pas un intérêt voyageur, car les frais de route ne sont qu'une minime partie des frais de voyage.
Cette première objection a été réfutée par les faits. Il résulte, en effet, du travail de M. Vandersweep que, de 1865 à 1868, le mouvement dans la deuxième zone, s'est augmenté de 407,320 voyageurs, soit donc de 22.26 p. c. ; que, dans la troisième zone, le mouvement des voyageurs s'est augmenté de 357,353, soit de 65 p. c, et qu'enfin, dans la deuxième et la troisième zones réunies, le mouvement a grandi de 764,673 voyageurs, ou de 32.14 p. c.
On disait en second lieu : A supposer que le mouvement grandisse, ce ne sera que le mouvement de la première classe. Le voyageur de première classe profitera seul de la réduction de prix que, bénévolement, vous lui jetez à la tête ; mais les deuxième et troisième classes ne voyageront pas davantage, parce que vous leur offrirez quelque mince rabais.
Il y avait là une erreur. Sans doute, le voyageur de première classe n'attache pas toujours une grande importance au prix de transport. Pour lui, les frais de route ne sont souvent qu'une minime partie des frais de voyage. Mais il n'en est pas de même de la seconde et de la troisième classe. Là les frais de route ont leur importance, et pour qui observe la formation et la composition des trains, il n'est pas douteux qu'une foule de personnes ne soient décidées, par de très petites différences de prix, à prendre, au moins dans la bonne saison, une troisième au lieu d'une seconde, ou une seconde au lieu d'une première.
Il n'est donc pas juste de nier d'une façon absolue l'influence du prix sur les voyageurs, de nier ce qu'on a spirituellement appelé l'intérêt-voyageur. Les chiffres sont venus affirmer cet intérêt.
L'accroissement de mouvement s'est, de 1865 à 1868, réparti comme suit :63,000 voyageurs de première classe ; 200,000 voyageurs de seconde classe et 500,000 voyageurs de troisième classe. Le tantième du progrès a été, pour la première classe, seulement de 14 p. c. ; pour la seconde classe, de 46 p. c, et pour la troisième, de 32.02 p. c.
En 1868, il y a eu en troisième classe, en sus du nombre primitif, 205,000 voyageurs de plus allant au delà de seize lieues.
Mais, tout au moins, objectait-on, le chemin de fer travaillera-t-il sans profit. A supposer que le mouvement s'accroisse, la recette brute ne grandira pas, et à coup sûr, la recette nette diminuera. Les faits ont répondu.
La recette de 1865 était de 14,589,835 francs, celle de 1866 ne s'est élevée qu'à 13,355,386 francs. A ce moment, il y a eu incontestablement un abaissement. Mais, en 1867, la recette dépassait déjà celle de 1865 ; elle était de 15,043,107 au lieu de 14,000,000. En 1868, elle montait à 15,259,140 francs ; en 1869, à 16,025,449.
Les résultats pour l'année 1870 n'ont pas encore été publiés. Je n'en puis donc rien dire. Mais nous avons reçu, il y a quelques jours, la situation mensuelle de janvier 1871, et, en comparant la recette des voyageurs de 1871 à ce qu'elle a été en janvier 1870, on constate un accroissement de 174,000 francs.
Que ce chiffre doive être réduit à la suite d'un apurement plus complet des décomptes avec la société des Bassins houillers, soit. Mais si grande qu'on veuille faire la part des postes réservés, on ne peut pas aller jusqu'à refuser de voir là un progrès marqué.
De toutes les critiques formulées à l'origine contre la réforme de 1866, il n'en est que deux qui soient restées debout : c'est que, dans la première classe, la réduction des tarifs n'est pas compensée par un accroissement de mouvement ; c'est aussi que les voyageurs internationaux, par la reprise de coupons à la frontière, causent vraiment au trésor un préjudice de quelque importance.
Il y avait un moyen bien simple d'atténuer, en très grande partie, ces deux inconvénients, c'était de faire, en Belgique, ce que la commission présidée par M. Michel Chevalier proposait de faire en France, de restreindre l'opération aux 2ème et 3ème classes. En laissant la première classe sous l'empire des tarifs proportionnels, on n'aurait pas eu de reprise de coupons aux frontières ou plutôt on n'en aurait eu que dans une mesure insignifiante.
Voici, quoi qu'il en soit, un dernier fait qui prouve que, le taux des prix exerce sur le mouvement des voyageurs une influences qui n'est pas sans analogie avec celle qu'il exerce sur le mouvement des marchandises.
Je compare le réseau belge au réseau du Nord français. Ce rapprochement est tout à l'avantage du réseau français.
Le territoire desservi par la compagnie française est plus étendu que le territoire desservi par l'administration belge.
La compagnie française est seule à desservir ce territoire, tandis qu'en Belgique, il y a, à côté du réseau de l'Etat, les réseaux d'un certain nombre de compagnies concessionnaires. Le réseau du Nord est plus étendu que le réseau belge. La différence est de 203 kilomètres.
Enfin, dans le réseau du Nord et à l'une de ses extrémités, se trouve le plus énergique centre d'attraction, pour les voyageurs, qu'il y ait dans le monde entier.
Comparons.
Etat belge : 863 kilomètres. 13,577,016 voyageurs. 7,101,52 tonnes.
Nord français : 1.066 kilomètres. 13,552,205 voyageurs. 7,839,000 tonnes.
Ecart : -203 kilomètres. +44,811 voyageurs. -757,448 tonnes.
Vous le voyez, le mouvement des marchandises est tout à l'avantage du Nord ; tandis que le tonnage de l'Etat belge s'arrête au chiffre de 7 millions, celui du Nord français approche celui de 8 millions,
Les deux réseaux sont, quant aux marchandises, régis par des tarifs du système différentiel.
Au contraire pour le mouvement des voyageurs, c'est la Belgique qui reprend l'avantage ; les deux chiffres sont pour le Nord français de 13,532,205 et pour la Belgique de 13,577,016. L'écart est de 45,000 voyageurs, résultat bien étonnant si l'on songe à l'énorme différence de conditions qu'il y a, de ce point de vue, entre les deux réseaux. On peut, je l'avoue, l'attribuer à bien des causes diverses. Mais, à mon avis, s'il serait excessif de n'y voir que le résultat de la diversité des tarifs, il n'y aurait non plus aucune justice à refuser d'admettre que le tarif différentiel ait contribué à nous assurer l'avantage.
Je crois avoir démontré par les considérations qui précèdent, qu'il est possible de faire pour les voyageurs ce qu'on fait pour les marchandises, qu'il est aussi juste de ne pas surtaxer les longs parcours quand il s'agit des voyageurs, que de ne pas les surtaxer quand il s'agit de marchandises, et qu'il y a, à adopter les tarifs différentiels, autant de profit à recueillir d'un côté que de l'autre.
Je ne comprends donc vraiment pas pourquoi M. le ministre des travaux publics abandonne ici le système des tarifs différentiels. Qu'il modifie l'économie du tarif de 1866, qu'il en change les détails, soit, mais déserter le principe, voilà qui est inexplicable. Je le comprends d'autant moins que M. le ministre reconnaît implicitement, même en matière de voyageurs, l'influence du prix sur le développement du trafic.
(page 1405) En effet, M. le ministre de» travaux publics ne propose pas le retour pur et simple au barème ancien.
Il modifie le tarif primitif par la création de billets aller et retour pour toutes les relations et toutes les distances.
Il veut donc substituer sa réforme à la réforme de ses prédécesseurs.
Voyons donc quelle est la portée de cette réforme nouvelle.
A raison du grand nombre de centres populeux, à raison de la proximité de ces centres, de la densité de la population, on peut évaluer, sans exagération, le nombre des voyageurs qui font le double trajet, dans la même journée, à 50 p. c. du mouvement total.
La réduction projetée pour le double trajet ne peut guère être moindre de 20 p. c. sur le montant des deux billets réunis, c'est-à-dire de 10 p. c. sur le billet simple.
La réduction sera donc de 10 p. c. du prix sur 50 p. c. des coupons, soit de 5 p. c. Or, 5 p. c. sur une recette de 16 millions, c'est un sacrifice de 800,000 francs.
La réduction que vous allez consentir a donc cette portée : 800,000 fr. de recette brute à recouvrer par un accroissement de mouvement.
Le nombre des voyageurs à grande distance n'augmentera évidemment pas dans une proportion considérable à raison d'une réduction de 5 p. c. C'est donc le mouvement à petite distance qui devra fournir la compensation du sacrifice que vous allez consentir.
Vous la fournira-t-il ? Je le crois, mais à la condition que, dans certaines circonstances, vous organisiez, hors service régulier, des trains spéciaux. De là, une augmentation des dépenses d'exploitation. Tout en admettant donc que vous pourrez ramener le recette brute à son niveau primitif, j'ai des doutes très sérieux sur la question de savoir si la recette nette restera la même.
L'avenir seul peut nous apprendre quels seront exactement les résultats financiers.
Mais examinons et comparons les deux systèmes d'un autre point de vue.
Evidemment, il faut voir dans l'Etat autre chose qu'un marchand de transports.
Il doit donc être permis de rechercher quelles influences diverses les deux réformes paraissent devoir exercer sur les habitudes des populations.
Constatons d'abord l'état actuel des choses.
Ne nous laissons pas tromper par le nombre considérable de coupons de voyageurs qui se délivrent et recherchons quel est le nombre des parties prenantes et quelle est la portée des voyages.
Généralement, on va de la banlieue industrielle ou agricole à la ville, de la ville de province à Bruxelles.
Mais les relations entre les provinces du Nord et les provinces du Midi sont beaucoup moins fréquentes. Même de province du Nord à province du Nord ou du Hainaut dans la province de Namur ou dans celle de Luxembourg, le mouvement est restreint. Anvers attire un peu de monde de toutes les parties du pays, mais peu de Montois vont à Liège, peu de Liégeois viennent à Mons. Les côtes maritimes et les parties les plus pittoresques de la vallée de la Meuse sont encore inconnues d'un bien grand nombre de Belges.
Du reste les chiffres le prouvent. Le nombre des voyageurs à grande distance en 1868, était de 3,144,056 sur 12,823,000 voyageurs. Oui, en 1868, 3,150,000 coupons seulement avaient été délivrés pour une distance de plus de huit lieues.
Mais dans ces 3,150,000 coupons, combien ont été pris par les mêmes personnes ? Evidemment, il y a là bien des voyages de la même personne entre Bruxelles et quelque ville de province. Si je voulais, par exemple, faire le calcul des coupons de ce genre délivrés rien qu'aux membres de la Chambre, je suis sûr que j'arriverais à une dizaine de mille au moins par an.
Le nombre des parties prenantes est donc relativement restreint.
Le trajet parcouru varie peu. On va le plus souvent de sa résidence à ses affaires, de chez soi chez l'un ou chez l'autre membre de sa famille, de la maison de ville à la maison de campagne, de la province à Bruxelles ; mais, dans le sens touriste du mot, on voyage peu en Belgique. Je ne crois pas, par exemple, que le Belge connaisse la Belgique aussi bien que l'Anglais, l'Angleterre.
Je ne crois pas qu'en Belgique on voyage, au moins dans la même mesure qu'en Angleterre, rien que pour apprendre à connaître les idées, les mœurs, les sentiments des diverses populations du pays, pour en étudier les richesses artistiques ou les ressources naturelles.
Je crois que bien des Wallons ne connaissent pas tous ces beaux monuments qui donnent une si haute idée de l'intelligence, du savoir et de la puissance des populations flamandes. Je crois aux Flamands quelques préjugés injustes à l'égard des populations wallonnes.
Je croîs que les unes comme les autres piétinent trop sur place et ne se communiquent pas assez fréquemment leurs idées et leurs impressions sur toutes choses.
Je dis cela sans aucune arrière-pensée, rien qu'au point de vue des affaires et des relations ordinaires de la vie. Je suis persuadé que les populations flamandes ne sont pas assez au courant des besoins de nos localités industrielles, et aussi que les industriels du Hainaut et du pays de Liège ne se préoccupent pas assez des ressources naturelles de Namur et du Luxembourg.
Voilà deux provinces extrêmement bien douées auxquelles il importerait d'amener de la population, des capitaux et des hommes expérimentés en matière d'industrie.
Le système de M. Wasseige conduira-t-il à ce résultat ? Facilitera-t-il les longs parcours, les voyages de quelque durée ?
Evidemment non.
Le système adopté par M. Vanderstichelen et pratiqué par l'honorable M. Jamar tendait nécessairement à rapprocher les populations, à les éclairer par le contact, à les appeler à travailler toutes ensemble au développement de la prospérité de la patrie commune.
Mais vos facilités pour les transports à courte distance, quel en sera le résultat ? Elles attireront du monde aux kermesses, aux fêtes nationales. A certains jours, elles augmenteront, je le veux bien, l'affluence des voyageurs, mais ce sera sans profit sérieux pour les populations.
Et voilà comment se retrouvent et s'accusent, jusque dans les affaires matérielles, les tendances contraires des deux partis. Nous, nous nous montrons surtout et toujours préoccupés d'éclairer les populations, d'en élargir l'horizon intellectuel, d'en élever les aspirations ; vous, selon une maxime célèbre, vous êtes plutôt préoccupés de les distraire et de les amuser.
Vous poursuivez un autre but ; vous voulez, avez-vous dit, rendre les tarifs acceptables par les compagnies ; vous avez le désir de vivre en bonne entente avec elles. C'est là, je le crains, une illusion.
Sans doute, l'Etat, après avoir concédé des chemins de fer, ne doit pas mettre les concessionnaires hors d'état de réaliser l'intérêt et l'amortissement des capitaux engagés.
Envisagée sous cet aspect, la question est évidemment digne de l'attention de tous. Mais la solution que vous voulez lui donner est-elle la bonne ? Il est permis d'en douter. La force des choses est là. Vous n'amènerez jamais l'entente cordiale entre les compagnies et l'Etat, parce que le public ne consentira jamais à accepter les tarifs que les compagnies seront tout naturellement amenées à vouloir imposer à. l'Etat.
Les compagnies, - et je parle ici des compagnies honnêtes, des compagnies loyalement fondées, administrées avec intelligence, - les compagnies ne peuvent, dans aucune condition, exploiter au même taux que l'Etat.
Et cela, par d'excellentes raisons. L'argent leur coûte plus cher ; les projets leur coûtent plus cher ; les constructions souvent aussi ; leurs lignes sont généralement moins bien conçues ; leurs réseaux moins bien agencés ; leurs clientèles de voyageurs moins considérables ; leur trafic local moins important.
D'autre part, les actionnaires des compagnies sont encore plus difficiles à contenter que les contribuables. Les situations sont donc tout à fait différentes et l'on conçoit parfaitement que les unes ne puissent pas se contenter de ce qui suffit à l'autre.
La seule solution qu'on puisse donner à la question de l'unification du réseau, nous vous l'avons dit, c'est l'absorption. Le problème a été très bien posé il y a deux ans : ou l'Etat absorbera les compagnies, ou les compagnies absorberont l'Etat ; toute solution intermédiaire est une illusion et vous n'arriverez à d'autre résultat qu'à mécontenter les populations. Vous ne sauverez pas les compagnies et vous imposerez au public, pendant un certain nombre d'années, des sacrifices qui n'auront d'autre résultat que de mettre les compagnies en position de formuler des exigences plus grandes lorsque, enfin, on se décidera à les absorber.
L'Etat n'a pas fait le chemin de fer en vue d'une spéculation,, mais en vue du bien public, dans le but de mettre l'industrie et l'agriculture du pays dans des conditions exceptionnelles, en faisant du transport qui, dans beaucoup d'autres pays, les grève autant que fait tout intermédiaire, un service public d'abord légèrement rétribué, mais ensuite presque gratuit. (page 1406) Exiger autre chose que la stricte rémunération du service rendu, c'est, à mon avis, fausser la pensée créatrice.
On a eu tort de ne pas faire toutes les lignes de chemins de fer aux frais de l'Etat : mais la force des choses amènera nécessairement l'absorption des réseaux concédés par l'Etat.
Je ne m'attends pas à une réponse de M. le ministre des travaux publics Il nous a dit, dans la note qu'il nous a lue, que le moment viendrait seulement de discuter toute cette question lorsqu'il aurait réalisé sa réforme et qu'on pourra l'apprécier par ses résultats.
C'est-à-dire qu'on pourra éclairer le gouvernement quand il sera trop tard.
M. le ministre des travaux publics suit ici une marche radicalement contraire à celle que conseillait, il n'y a pas bien longtemps, celui que, rappelant un mot très spirituel de M. J.-B. Nothomb, je pourrais appeler le président invisible du cabinet.
L'honorable M. Malou, dans une brochure que j'ai sous les yeux, faisait à nos amis politiques un très gros grief d'avoir pris la responsabilité personnelle de ces mesures et de les avoir décrétées sans discussion préalable par les Chambres. Et, il faut le reconnaître, il y a bien des observations justes dans ce que disait, à ce sujet, l'honorable M. Malou.
« Notre Constitution a des principes d'une sévérité extrême en fait de finances.
« Aucun impôt ne peut être établi que par une loi.
« Les impôts sont votés annuellement. Il ne peut être établi de privilège. Nulle exemption ou modération ne peut être établie que par la loi.
« Chaque année, les Chambres volent le budget ; toutes les recettes de l'Etat doivent y être portées.
« Les péages du chemin de fer, je le veux bien, ne sont pas un impôt, mais ce sont des revenus, des recettes de l'Etat. Et que deviennent toutes ces salutaires garanties de la gestion de la fortune publique ? Le voie des Chambres est-il sérieux, si, par l'effet de simples arrêtés ministériels de motu proprio, les recettes sur lesquelles le législateur a compté pour établir l'équilibre, peuvent s'évanouir en fumée de popularité ? »
Mais voilà que ce qui était un grief extrêmement vif contre nos amis, est pratiqué aujourd'hui par les amis de M. Malou.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Cela prouve qu'il n'est pas aussi ministre invisible que vous vouliez bien le dire.
M. Muller. - M. Malou dit aujourd'hui : Mais moi c'est autre chose.. ;
M. Sainctelette. - Vous l'avez dit, le point de vue change selon que l'on est dans l'opposition ou dans la majorité.
(page 1396) M. David. - La malencontreuse réforme des tarifs dont la Belgique est menacée a produit un triste retentissement dans le pays pour le ministère clérical et particulièrement pour le ministre des travaux publics.
La mesure dont il s'agit, messieurs, a été inspirée par M. Malou et aussi par la volonté du ministère de relever les recettes du trésor public.
M. Malou a beaucoup écrit, il y a quelques années, pour démontrer que, annuellement, il y aurait une perte de 9 millions de francs pour le trésor public et il a cherché à démontrer encore qu'il en serait aussi résulté la ruine des actionnaires et des sociétés concessionnaires de chemins de fer.
De plus il prédisait qu'à partir de la réforme de 1866, on ne solliciterait plus de concessions de chemins de fer et qu'on n'en construirait plus en Belgique.
Vous vous rappelez, messieurs, les réponses qui ont été faites, à cette époque, à M. Malou ; on lui a démontré qu'il était dans une profonde erreur, et M. Jamar notamment le lui a prouvé comme M. Sainctelette vient encore de le faire.
Mais, messieurs, il est bien simple que, lorsque les tarifs seront relevés sur les chemins de fer de l'Etat, les recettes des chemins de fer concédés en souffriront. En effet, on ne s'éloigne pas de chez soi en quelque sorte sans prendre l'une et l'autre ligne de chemin de fer et il y a des bourses qui comptent et qui calculent le coût réduit du transport des chemins de fer de l'Etat avant que le voyageur se mette en route, et si on relève les tarifs il est fort à craindre que les voyages ne deviennent moins fréquents ; on ne voyagera plus autant sur les chemins de fer de l'Etat et, par conséquent, on ne se servira plus autant non plus des chemins de fer concédés ; ce sera donc pour eux une perte sèche.
Le chemin de fer de l'Etat est le plus puissant affluent des chemins de fer concédés.
Quant aux prédictions de l'honorable M. Malou, l'expérience y a répondu, il avait annoncé qu'à partir des réductions de tarif de 1866 il n'y aurait plus de demandes en concession ; eh bien, MM. les ministres qui ont dirigé, depuis la réforme de 1866, le ministère des travaux publics peuvent dire que jamais une plus grande quantité de demandes en concession ne se sont produites, quoiqu'il ne reste plus que des lignes secondaires à exécuter.
L'honorable M. Brasseur, qui appuie la réforme annoncée, est lui-même à la tête d'un chemin de fer dont la concession a été accordée depuis 1866, qui est construit aujourd'hui et qui est livré au trafic. Eh bien, je crois que l'honorable M. Brasseur fera un mauvais cadeau aux populations qui sont desservies par son chemin de fer et à ses actionnaires en poussant à la tarification dont nous sommes menacés.
Cette réforme, messieurs, est complètement contraire aux véritables principes économiques. Tous les hommes compétents, tous les hommes amis de leur pays sont de cet avis-là et votre section centrale qui vient de faire un rapport sur les péages, sur les voies navigables, et qui parle aussi des péages en général, va nous démontrer quels sont les principes que le gouvernement devrait suivre. Cette section centrale, messieurs, est composé de M. De Lehaye, comme président, de MM. Janssens, Simonis, Van Iseghem, Balisaux, Vermeire, Moncheur, Cruyt et Delaet. Voici, messieurs, le passage de ce rapport qui est relatif au système que le gouvernement devrait adopter :
« Votre commission d'industrie, d'accord en cela avec les autorités qui ont fait de la question des péages une étude toute spéciale, est également convaincue que, dans l'intérêt de la prospérité générale, les droits à percevoir sur les voies de transport ne doivent représenter, au maximum, que les intérêts, les frais d'administration, d'entretien et l'amortissement des capitaux qui ont servi à leur construction. »
Ces principes, messieurs, M. le ministre des travaux publics les perd complètement de vue dans les aspirations qu'il a manifestées dans la séance d'avant-hier, et que certains membres de cette Chambre ont défendues.
Le rôle de l'Etat, messieurs, est de favoriser, comme vous venez de l'entendre ici, tous les intérêts du pays au meilleur marché possible pour les populations.
Messieurs, nous avons bien d'autres services payés par le budget, donc par le pays, et qui ne rapportent absolument rien en argent au trésor public : vous avez la justice ; vous avez l'instruction publique, les grandes routes, la voirie vicinale ; vous avez l'armée, dont le budget est encore plus considérable que celui des travaux publics et qui ne rapporte absolument rien en argent au pays ; vous avez la diplomatie ; vous avez le clergé, qui non plus ne rapporte absolument rien en argent au pays. Et qui est-ce qui s'en plaint ? Personne.
Le but fiscal que le ministère s'était proposé ne sera pas non plus (page 1397) atteint et il y a pour cela une raison bien simple : c'est que l'augmentation des recettes ne sera pas en proportion de l'augmentation des tarifs.
Il est incontestable, messieurs, qu'on voyagera beaucoup moins et qu'il y aura déclassement.
Il y a aujourd'hui beaucoup de personnes qui voyagent en première et qui, à l'avenir, descendront en seconde et des secondes dans la troisième classe. Ce sera une véritable augmentation d'impôt prélevée sur la nation sans aucun avantage pour le trésor public.
Sous ce rapport, messieurs, voilà de nouveau le programme du ministère déchiré sur ce point, et je suis véritablement étonné que l'honorable M. Cornesse ait prêté la main à cette combinaison. Il aurait dû, au contraire, arrêter ses collègues sur cette pente de violation des promesses solennelles avant les élections.
Voici, messieurs, en ce qui concerne les impôts, ce que M. Cornesse disait à Verviers, au commencement de juin 1870, dans sa profession de foi aux électeurs :
« En matière d'impôts, je poursuivrai la suppression de ceux qui pèsent particulièrement sur les classes nécessiteuses, notamment de l'accise sur la bière, la boisson populaire par excellence, sur laquelle le trésor public prélève des droits exorbitants. »
Il continue, et je prierai l'honorable ministre des finances de faire attention aux paroles que son honorable collègue, M. Cornesse, a prononcées à la suite de celles que je viens de citer. Il trouvait, à cette époque, que les caisses publiques regorgeaient d'or, et il m'a semblé entendre hier M. le ministre des finances nous annoncer des augmentations d'impôt.
M. Jacobs, ministre des finances. - Vous avez très mal entendu.
M. David. - Je suis très charmé d'avoir mal entendu. Mais vous avez interrompu l'honorable M. Brasseur et vous avez eu l'air de dire qu'il faudrait de nouveaux impôts. Je l'ai compris ainsi. J'ai voulu vérifier en lisant votre discours aux Annales parlementaires ; je ne l'y ai pas trouvé.
Voici ce que disait M. Cornesse :
« En présence de l'accroissement nouveau et constant des revenus de l'Etat, il paraît utile de penser quelquefois aux contribuables et de diminuer les lourdes charges qui pèsent sur eux. »
Vous sentez, messieurs, que les populations de Verviers et de l'arrondissement auront de la reconnaissance à l'honorable M. Cornesse et seront charmées de payer dorénavant deux, trois ou quatre fois plus qu'elles ne payent aujourd'hui pour faire le voyage de Verviers à Bruxelles, de Verviers à Anvers, de Verviers à Gand, de Verviers vers toutes les villes avec lesquelles nous avons des relations.
M. Jacobs, ministre des finances. - Et de payer moins pour aller à Liège.
M. Dumortier. - Il y a beaucoup plus de Verviétois qui vont à Liège qu'il n'y en a qui vont à Gand.
M. David. - Nous arriverons tout à l'heure à cette question.
Du reste, messieurs, le programme dont je vous parlais tantôt a été mis complètement de côté. On voulait des réductions de l'armée. On fait du militarisme à dix ou quinze atmosphères. On voulait la réduction des charges et l'on nous a déjà demandé une augmentation de l'impôt foncier.
Aujourd'hui on nous demande une augmentation de péages.
Le ministère réactionnaire ne devrait pas s'arrêter en si beau chemin. Il devrait immédiatement rétablir le droit de barrières.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Et les octrois.
M. David. - Oh ! vous n'y gagneriez pas grand-chose.
Vous devriez rétablir l'ancien taux des télégrammes, l'ancien taux du port des lettres, l'ancien taux des péages sur les voies navigables.
Messieurs, cette réforme, je puis le dire, froisse le bon sens, le sens commun et les intérêts du pays.
Le chemin de fer a été construit et organisé avec l'argent de tous les contribuables. Chaque Belge, d'après moi, est un actionnaire du chemin de fer et a droit à être transporté au meilleur marché possible par l'Etat moyennant que le trésor public ne soit pas constitué en perte.
L'abaissement des tarifs de 1866 avait provoqué de plus longs et de plus nombreux voyages. Il avait permis à beaucoup de nos concitoyens de parcourir et d'apprendre à connaître le pays, et il avait multiplié nos relations sociales et commerciales. M. le ministre veut arrêter le progrès et le bien-être de la nation. Il trouvait sans doute qu'il y a danger à donner aux populations rurales trop de facilités à visiter nos grandes villes infestées de maladies contagieuses.
Je disais tantôt que la réforme annoncée froisse le bon sens et le sens commun. Eh bien, c'est M. le ministre des travaux publics lui-même qui, dans le compte rendu des opérations du chemin de fer de 1869, nous a démontré que le chemin de fer est dans la plus grande prospérité : les recettes augmentent, les voyageurs augmentent, et vous allez le voir, du reste. Je vais vous lire le résumé de tout le travail.
Il est signé par l'honorable M. Wasseige et il vous a été distribué le 11 mars.
Voici comment M. le ministre s'exprime :
« Le présent rapport a pour but de mettre en lumière les résultats de la gestion administrative et financière des trois grandes branches de service qui forment, dans leur ensemble, la partie la plus importante du ministère des travaux publics.
« Pour ce qui concerne le chemin de fer, la comptabilité et la statistique fournissent les indications que voici : l'excédant de la recette brute sur la dépense a atteint, en 1869, la somme de 19,300,000 francs, tandis qu'il avait été seulement de 15,700,000 fr. en 1867 et de 17,100,000 fr. en 1868.
« Dans cet excédant de 19,300,000 francs, qui s'applique à l'exploitation tout entière (y compris les lignes construites par des compagnies et gérées par le gouvernement), la part du trésor public a été de 15,600,000 francs ; le chiffre correspondant ressortait à 12,300,000 fr. pour 1867 et à 13,400,000 francs pour 1868.
« En 1869, l'Etat a réalisé un bénéfice net de 7,716,000 francs :
« Boni versé au trésor : fr. 110,000
« Valeur des capitaux amortis : fr. 7,606,000.
« Si le versement effectué au trésor n'a pas été plus considérable et si, au contraire, la valeur des capitaux amortis a dépassé notablement la valeur amortie dans les années ordinaires, cela provient de ce que l'on a dû rembourser au pair, en 1869, les titres restant en circulation de l'emprunt à 4 p. c. de 1856.
« Comparativement à 1868, il y a eu augmentation de 5,856,000 francs dans le montant des capitaux rachetés, et diminution de 4,180,000 francs dans le chiffre du boni en numéraire.
« L'amélioration est donc de 1,676,000 francs ; elle avait été de 1,450,000 francs en 1868, et les comptes de 1867 avaient soldé par une diminution de 683,000 francs par rapport à ceux de 1869.
« La recette effectuée du chef du transport des voyageurs avait été de 15,239,000 francs en 1868 et elle a atteint 16,025,000 francs en 1869 ; cela donne un accroissement de 786,000 francs, dans lequel le trésor public a perçu 670,000 francs pour sa part ; ce dernier chiffre est dix fois aussi fort que le chiffre correspondant de 1868.
« En 1869, les expéditions de grosses marchandises ont rapporté à l'Etat 291,000 francs de plus qu’elles ne lui avaient rapporté en 1868.
« Les dépenses d'exploitation s'étaient accrues de 427,000 francs en 1868 comparativement à 1867 ; un mouvement de baisse s'est, au contraire, produit en 1869, et la réduction s'est élevée à 471,000 francs.
« A la date du 1er janvier 1870, le bénéfice net, constituant le solde actif de toutes les opérations faites depuis le 1er mai 1834, montait à 63,400,000 francs ; la créance du trésor public à la charge du chemin de fer, pour avances ayant servi, dans les premiers temps, à couvrir les insuffisances des recettes annuelles, était descendue à 9,800,000 francs, et les capitaux remboursés par voie de rachat à la Bourse avaient ensemble une valeur effective de 75 millions de francs.
« Le rapport de la dépense à la recette a été calculé comme suit :
« En 1867, à 70.73 p. c.
« En 1868, à 59.15 p. c.
« En 1869, à 55.55 p. c.
« L'amélioration est donc sensible.
« Pour 1869, l'excédant de la recette sur la dépense représente 5.893 p. c. du capital moyen utilisé ; on avait recueilli 4.841 p. c. en 1867 et 5.134 p. c. en 1868 ; et le capital moyen utilisé a été de 256,400,000 francs pour 1867, de 262,800,000 francs pour 1868, de 267,400,000 francs pour 1809. D'où il résulte, non seulement que le tantième obtenu est beaucoup plus élevé pour 1869 que pour les deux années précédentes, mais que ce tantième est établi sur un capital beaucoup plus considérable.
« En moyenne, le kilomètre de route exploité a produit, en 1869, 50,300 fr. et coûté 27,900 fr., ce qui laisse un surplus de 22,400 fr., au lieu de 18,200 francs recueillis en 1867 et de 19,800 francs recueillis en 1868.
« Ramenée à la locomotive-kilomètre, la recette nette s'est accrue de 0.15165 fr. ; en prenant la voiture-kilomètre pour base du calcul, on trouve, dans la recette nette, un accroissement de 0,01643 fr., et (page 1398) l'amélioration est de 0,15307 fr. pour le train-kilomètre pris comme seule unité de travail.
« Les pages suivantes font connaître les détails de ces chiffres ; elles indiquent autant que possible les causes des fluctuations constatées, tant dans le mouvement des transports effectués que dans le montant des recettes encaissées ; elles exposent, en un mot, la situation, et, l'administration le désire et l'espère, elles mettront les Chambres législatives a même d'apprécier les efforts faits, ainsi que les résultats obtenus par cette vaste entreprise qui est devenue, pour la Belgique, un de ses principaux titres à la considération du monde. »
J'ai trouvé que ceci est tout à fait en contradiction avec ce que veut faire l'honorable M. Wasseige, sans autre raison que les conseils de l'honorable M. Malou.
On pourrait dire qu'en 1870 le mouvement s'est arrêté. Je n'ai pas les comptes de tous les mois de 1870 et je n'ai pu recueillir que les chiffres du mois de janvier dernier, comparés à ceux de janvier 1870. Je vais vous en donner les conclusions d'après le Moniteur.
En janvier 1871, les voyageurs ont donné une recette dépassant de 754,201 fr. 53 c. celle du mois de janvier 1870, et les recettes du télégraphe, en janvier 1871, sont supérieures à celles du mois correspondant de 1870, de 30,153 fr. 1 c.
M. Descamps. - La recette des chemins de fer récemment repris par l'Etat y est compris.
M. David. - Je lirai l'observation qui figure au bas de la page et qui répond probablement à l'interruption de l'honorable membre.
Voici cette observation, à la note n°12 : « Ce chiffre comprend une somme de 492,656 fr. 55 c. en à-compte de celle due à l'Etat sur le produit brut des lignes reprises des Bassins houillers. Il doit, du reste, d'un autre côté, être majoré d'environ 200,000 francs du chef des comptes arriérés de janvier. »
C'est exactement ce que je disais, elle constitue la réponse à l'observation de l'honorable M. Descamps. Or, l'augmentation de la recette de janvier 1871 reste considérable.
Le télégraphe, messieurs, a donné, pour le mois de janvier 1871, une augmentation de 30,153 fr. 1 c. sur la recette du mois correspondant de 1870.
Messieurs, il est vraiment incompréhensible que M. le ministre des travaux publics saisisse ce moment-là pour vous proposer l'augmentation des tarifs.
Cette réforme, messieurs, est antiéconomique, antisociale, antidémocratique. Elle est purement aristocratique. Je vais vous le démontrer.
J'ai examiné ce qui a eu lieu pour les trois classes de voyageurs pendant l’année 1869. Si j'étais remonté plus haut, je serais arrivé absolument au même résultat. Il y a eu en 1869 :
En première classe : Train express 383,749 voyageurs, train ordinaire 554,685 voyageurs. Ensemble 938,734
En seconde classes, train express 353,841 voyageurs, train ordinaires 1,564,238 voyageurs. Ensemble 1,918,079 voyageurs.
Cela fait, pour les deux classes, 3,800,000 et quelques voyageurs environ.
Mais la troisième classe, qui fournit à peu près les quatre cinquièmes des voyageurs, donne les résultats suivants :
Train express 670,291 voyageurs, trains ordinaires 9,684,759 voyageurs. Ensemble 10,355,050 voyageurs.
Vous voyez, messieurs, que, si la Chambre consentait à décréter la mesure que veut prendre l'honorable ministre des travaux publics, ce serait principalement la classe peu aisée de la société qui en souffrirait.
J'adjure donc l'honorable ministre de renoncer à sa réforme, qui n'augmentera en rien les recettes de l'Etat et qui constituera un véritable impôt pour les nombreuses personnes qui voyagent encore.
On dit qu'il faudrait aussi une réduction de prix pour les courtes distances. Il y a très longtemps que je suis de cet avis.
Il me semble que, sans toucher en rien à l'organisation actuelle, il serait extrêmement facile de rendre justice à ceux qui n'utilisent le chemin de fer que sur de petits parcours. Que l'on donne des billets d'aller et de retour à prix réduits, valables deux, trois, quatre ou cinq jours.
Ce n'est pas plus difficile que cela.
Il ne faut, pour cela, toucher à aucun des barèmes de votre organisation des chemins de fer.
J'engage l'honorable ministre des travaux publics à voir si ce système ne serait pas meilleur que celui de l'exhaussement de tous les tarifs.
Après cela, messieurs, il est extrêmement désirable que l'on étende le système des abonnements pour les ouvriers qui font très souvent le même voyage.
J'approuve, en ce qui concerne cette mesure, le programme de M. le ministre des travaux publics.
Si j'étais bien certain cependant, messieurs, que l'honorable ministre mettra ce tarif à exécution, je me verrais, bien à regret, obligé de voter contre le budget, bien que je n'aie jamais, depuis que je suis dans cette Chambre, voté contre aucun budget des travaux publics.
M. Dumortier. - Messieurs, depuis deux semaines, nous ne sommes plus du tout dans la discussion du budget des travaux publics.
Nous nous occupons de la tarification du chemin de fer, c'est-à-dire que nous discutons une question qui ne nous est pas soumise.
M. Dupont. - C'est une question très importante.
M. Dumortier. - Nous le savons bien.
Aujourd'hui vous n'avez pas le temps de prolonger la séance, et la semaine prochaine nous serons obligés de tenir deux séances par jour à cause de vos discussions qui ne finissent pas.
M. Muller. - II fallait dire cela à M. Brasseur.
M. d'Andrimont. - Quand vos amis réclamaient leur part de gâteau, vous n'avez rien dit.
M. Dumortier. - Quand ils réclamaient leur part de gâteau, ils étaient dans la discussion du budget des travaux publics, tandis que vous n'y êtes pas. (Interruption.) La question de la tarification des chemins de fer est une question spéciale et elle peut nous tenir quinze jours. (Nouvelle interruption.) Votre système est d'empêcher la Chambre de travailler.
M. Muller. - Votre discours sur la station de Tournai a tenu toute une séance.
M. Dumortier. - Une demi-séance à peine.
Messieurs, je m'étonne des discours qui sont prononcés dans cette discussion. Quoi ! depuis six ans, on ne cesse de dire et de répéter que le gouvernement a abaissé démesurément les tarifs...
M. David. - Qui a dit cela ?
M. Dumortier. - Vous-même, M. David, et vous venez encore de le répéter,
M. d'Andrimont. - Il a dit tout le contraire.
M. Dumortier. - M. David vient encore de recommander la réduction sur les petits parcours. Eh bien, c'est ce que fait M. le ministre des travaux publics, et je trouve qu'il a raison.
Pour moi, le tarif pour les longs parcours est la chose la plus déraisonnable et la plus ridicule qui existe en Belgique. (Interruption.)
Comment ! je puis aller de Tournai à la frontière de Prusse pour 4 fr. 50 c. ! Mais c'est le comble de l'absurde ! Et à côté de cette réduction considérable en faveur des grands parcours, c'est-à-dire des riches, qu'avez-vous fait pour les pauvres, qu'avez-vous fait pour l'ouvrier ? Rien ; M. le ministre des travaux publics a songé, lui, à ceux dont vous parlez toujours et pour qui vous n'agissez jamais.
M. Jamar. - Il pourrait faire les deux.
M. Dumortier.-Et qui payerait ? Il y a des gens, comme M. David, qui voudraient que l'Etat entreprenne tout et fasse payer les services par ceux qui n'en profitent pas.
Mais, messieurs, ce système ressemble fort à celui des communeux de Paris. Le Journal des Débats caractérisait l'action sociale qui vient de se passera Paris, la volupté, le besoin de jouir.
Eh bien, M. David veut que l'Etat lui procure des jouissances ; mais l'Etat n'est pas fait pour cela. L'honorable membre compare les chemins de fer avec l'armée, avec le clergé. Est-ce possible ? L'armée et le clergé ne sont pas seulement des institutions sociales, ce sont des nécessités sociales ; est ce une nécessité sociale de voyager ? Quand je vais de Tournai en Prusse pour 4 fr. 50 c, est-il un homme sensé qui oserait dire que l'Etat ne perd pas ? Et si l'Etat perd, où va-t-il chercher de quoi payer le déficit ? Dans la poche de ceux qui ne voyagent pas.
- Voix nombreuses à gauche. - Mais il n'y a pas de déficit !
M. Dumortier.-Il n'y a pas de déficit, dites-vous ! mais c'est là précisément la question. (Interruption.)
(page 1399) M. le président. - N'interrompez pas l'orateur ; M. Dumortier n'a interrompu personne,
M. Dumortier. - D'abord, il y a toujours déficit quand un service ne produit pas ce qu'il peut rapporter. Mais, en second lieu, je demeure profondément convaincu, maigre tout ce qui a été imprimé, que le chemin de fer est en déficit. Et pourquoi ? Les chiffres qu'on nous présente sont exacts, je le veux bien, pour autant qu'il n'y ait pas de fautes d'arithmétique dans les calculs. Mais toute la question est de savoir si les chiffres sont bien posés.
Or, comment les chiffres sont-ils posés ? Est-ce que, dans ces chiffres, on tient compte, par exemple, de 20 à 30 millions de perte que le chemin de fer a subie à cause de ses tarifs ? Tout cela est censé perdu et on n'en parle plus. Est-ce qu'on tient compte de l'intérêt et de l'amortissement des capitaux engagés dans la construction du chemin de fer ? Pas davantage. Et on vient après cela nous dire que le chemin de fer est en bénéfice !
M. Jamar. - On s'est conformé à la loi de 1834.
M. Dumortier. - Il me suffit de constater que vous ne tenez compte ni des intérêts ni de l'amortissement pour en conclure que vous n'avez pas le droit de prétendre que le chemin de fer est en bénéfice.
Le chemin de fer n'est pas autre chose qu'une opération commerciale ; par conséquent, il doit être traité financièrement, comme une opération commerciale. Et cela est d'autant plus nécessaire que vos réductions de tarifs, défavorables au trésor, sont, par cela même, nuisibles aux compagnies concessionnaires. Toutes ces compagnies se plaignent ; aucune ne peut accepter vos réductions, parce qu'elles les constitueraient en perte.
Et d'ailleurs, messieurs, avez-vous donc toujours été partisans des bas tarifs ? Mais l'honorable M. Jamar n'en était guère amateur quand il est armé au ministère.
M. Jamar. - Vous m'apprenez là quelque chose de nouveau.
M. Dumortier. - Nous le savons tous, nous... (Interruption.) Et en voici la preuve.
Autrefois, on allait de Bruxelles à Anvers par train direct, en troisième classe, pour la somme de 1 fr. 75 c. ; ce train direct ne s'arrêtait qu'à Malines,
Qu'a-t-on fait depuis ? On a organisé des trains de banlieue, dont le trajet dure infiniment plus longtemps, et on a porté à 1 fr. 85 c. le prix de transport par train direct. De manière qu'en résumé, le voyageur pour Anvers paye aujourd'hui 10 centimes de plus qu'autrefois. C'est-à-dire, messieurs, que le voyageur en troisième classe né peut être transporté au même taux qu'autrefois qu'au prix d'une énorme perte de temps, et cela à une époque où plus que jamais est vrai l'axiome anglais : Time is money. En deux mots donc, perte de temps ou d'argent, voilà l'alternative dans laquelle vous a mis le voyageur.
Mais on a fait mieux encore. L'honorable M. David nous a beaucoup parlé de Verviers ; permettez-moi d'en dire deux mots aussi. Il y a deux ou trois ans, on a rétabli pendant quelques mois les prix de l'ancien tarif pour le train partant à 10 1/2 heures du soir pour Verviers ; c'est-à-dire qu'on a fait payer 12 francs au lieu de 6 ; et c'est l'honorable M. Jamar qui a fait cela.
M. Jamar. - Vous êtes dans l'erreur.
M. Dumortier. - Si ce n'est pas vous, c'est votre prédécesseur.
M. Muller. - On n'a jamais payé cela.
M. Dumortier. - Je vous prie de m'excuser ; cela a existé pendant plusieurs mois ; mais les plaintes, les réclamations ont été tellement vives, qu'on a dû céder.
Que se passe-t-il aujourd'hui ? Les étrangers qui viennent en Belgique savent qu'au bureau-frontière ils doivent prendre un nouveau coupon et par ce moyen ils payent la moitié seulement.
M. David. - Il n'y en pas un sur dix qui fait cela, parce qu'on ne leur laisse pas le temps d'inscrire leurs bagages.
M. Dumortier - Il n'y en a pas un sur dix qui paye, dites-vous ; c'est possible, mais ils le savent tous. Allez voir à Lille, à la station de Baisieux, ce qui se passe, et vous constaterez qu'il n'y a pas un seul voyageur qui ne descende du train pour prendre un nouveau coupon, afin de bénéficier de la différence du prix de transport.
Tous les Belges qui sont en Allemagne ne prennent également leur coupon que jusqu'à Herbesthal, toujours pour jouir de la différence du prix du voyage.
On me fait observer aussi que, dans les livrets anglais, il est écrit en toutes lettres : « Changez votre coupon à Ostende, et vous gagnerez 15 francs. »
Le trésor public, messieurs, est fraudé par un semblable tarif et l'on vient soutenir dans cette enceinte que le pays apprendra avec stupeur qu'on veut améliorer ce tarif que vous n'avez établi, d'ailleurs, que dans l'espoir qu'en diminuant outre mesure le prix de transport à grandes distances vous auriez doublé, quadruplé, quintuplé le nombre des voyageurs.
Et, messieurs, ce nombre est resté le même, car on ne voyage pas davantage aujourd'hui. (Interruption.)
Il n'y a qu'une augmentation normale. (Interruption.)
Est-ce que par hasard on voyage plus aujourd'hui et d'Ostende et Verviers pour gagner 4 francs ?
Personne ne fait cela ; ceux qui font le voyage dont je parle ne le font que pour leurs affaires et pas autrement et alors ce ne sont pas quelques francs qui font l'affaire.
Voyez ce qui se passe en Angleterre. (Interruption.) De Douvres à Londres on paye 17 francs pour faire trente lieues en troisième classe et cela parce que l'on travaille dans l'intérêt des actionnaires et de l'entreprise. (Interruption.)
- Voix à gauche. - Ah ! ah !
M. Dumortier. - Voilà les solidaires de Paris, voilà les communeux de Paris qui veulent faire payer leurs plaisirs par les autres ! Voilà les communeux de Paris qui veulent profiter de l'argent des autres !
M. de Rossius. - Vous plaisantez agréablement.
M. Dumortier. - Ce sont là, messieurs, de véritables abus, et quand M. le ministre des travaux vient proposer de porter remède à ce qu'on considère depuis longtemps comme un abus qui maintient les ouvriers dans les plus dures conditions en même temps qu'il améliore sensiblement les conditions des gens riches, je dis que M. le ministre des travaux publics a parfaitement raison.
M. le président. - La parole est à M. Rogier.
M. Rogier. - M. le président, l'heure est assez avancée...
Plusieurs membres : Il est trop tard.
II. le président. - Je ferai remarquer à la Chambre qu'il y a encore quinze orateurs inscrits. M. Moncheur suit immédiatement M. Rogier ; peut-être est-il disposé à prendre la parole aujourd'hui ?
M. Moncheur. - Je suis à la disposition de la Chambre, M. le président.
M. le président. - La parole est à M. Moncheur.
(page 1406) M. Moncheur. - Lorsque j'ai entendu des orateurs demander que l'on établisse exactement le prix de revient des chemins de fer, j'ai posé la question de savoir s'ils entendaient qu'on dût admettre, comme l'un des éléments de ce prix de revient, une dotation quelconque pour l'amortissement des capitaux employés pour la construction de ces chemins de fer ; et, quant à moi, j'ai répondu négativement à cette question. J'ai dit que cet élément ne devait pas figurer dans le prix de revient des transports du chemin de fer, parce que l'Etat n'est pas dans la position d'un industriel ordinaire ou d'une société créée pour un terme limité.
J'ai exprimé l'idée que l'article 5 de la loi du 1er mai 1834, qui porte que les produits du chemin de fer projeté alors serviraient à couvrir les intérêts et l'amortissement des capitaux y employés, ne pouvait pas placer aujourd'hui l’Etat sous l'obligation stricte de n'exploiter ses nombreuses lignes qu'en vue de leur faire produire tout à la fois les intérêts et l'amortissement des capitaux qu'elles ont coûtés. Que si telle avait put être la signification de cet article de la loi de 1834, cette disposition devait tomber en désuétude par la force même des choses.
Je ne savais pas, messieurs, en disant cela, que j'avais, loin derrière moi déjà, deux autorités bien respectables pour soutenir cette opinion, celles de deux anciens ministres d'une grande valeur, M. Mercier et M. Lebeau. On vous a cité hier leurs paroles à ce sujet.
Je ne dirai pas cependant, comme le premier, que la disposition dont il s'agit fût une erreur ni, comme le second, qu'elle fût une absurdité ; non ; j'estime qu'elle pouvait avoir, à cette époque, sa raison d'être ; mais je dis qu'elle ne l'a plus aujourd'hui.
Il ne s'agissait alors que d'un railway restreint dont une partie seule du pays paraissait appelée à profiter ; or, il ne paraissait pas juste de faire payer par tous, même par ceux qui n'avaient pas l'espoir de posséder jamais un chemin de fer, les avantages de quelques-uns. Il était donc naturel que la loi de 1834 contînt ce principe de la reconstitution du capital au profit de tous. Mais, depuis lors, tout le pays a été couvert, ou est en train de l'être, d'un immense réseau de chemins de fer ; le même motif n'existe donc plus.
D'un autre côté, on n'avait alors aucune idée des nombreux chemins de fer qui se feraient par des capitaux particuliers et qui, revenant un jour à l'Etat gratuitement, seront pour le trésor public une source de revenus considérables.
Il faut se reporter à cette époque où pas un mètre de chemins de fer n'existait sur le continent, et où l'on en ignorait encore les effets et les résultats.
Cette invention nouvelle était l'objet de toutes sortes d'oppositions très curieuses aujourd'hui.
Ainsi, n'entendions-nous pas les éleveurs de chevaux demander ce qu'ils feraient de leurs élèves, si l'on substituait les locomotives aux attelages ? N'entendions-nous pas les plaintes des agriculteurs demandant à qui ils vendraient leur avoine, s'il n'y avait plus de chevaux ? En construisant, disaient-ils, le chemin de fer aux frais du trésor public, vous nous demandez des verges pour nous fouetter.
Ij fallait donc désintéresser, au moins à ce point de vue, ce genre d'opposition, et on le faisait en promettant l'amortissement du capital à dépenser ; mais aujourd'hui l'expérience a démontré que, malgré les chemins de fer, les chevaux et l'avoine se vendent encore.
En somme donc, l'état des choses, tel qu'il existait en 1834, n'existe plus aujourd'hui ; or, il y a une maxime de droit qui dit que, lorsque l'état de choses pour lequel une loi a été faite vient à cesser, la loi cesse elle-même : Cessante ratione legis, cessât et lex. Notez cependant, messieurs, que je n'ai pas dit que cette disposition de la loi de 1834 fût déjà abrogée tacitement au point de vue légal, mais qu'elle devait tomber en désuétude par la force même des choses ou être abrogée positivement, puisqu'elle l'était déjà virtuellement.
M. Jamar. - La loi est ponctuellement exécutée ; le ministre porte en compte l'intérêt et l'amortissement.
M. Moncheur. - Je le sais bien, mais je blâme ce système qui, à mes yeux, a de mauvais résultats au point de vue surtout de l'intérêt public. En effet, il est de l'intérêt public que l'Etat reprenne anticipativement la propriété ou l'exploitation d'un assez grand nombre de chemins de fer concédés.
Mais celle reprise est entravée par cette question que se fait j'Etat : Si je reprends, dit-il, tel ou tel chemin de fer, aidera-t-il le réseau tout entier à rapporter au trésor public, en moyenne non seulement les intérêts, mais encore l'amortissement du capital ou de la rente que je vais donner ? et, si la réponse est négative, il s'abstient ; or, je concède qu'on exige des produits du railway national les intérêts des capitaux qu'il a coûtés, outre tous les frais généraux et ceux d'entretien et même d'améliorations, mais les 6 p. c. nets qu'il rapporte, ainsi que l'a encore déclaré hier M. le ministre des travaux publics, forment plus que les intérêts ; il y a dans ce chiffre quelque chose pour l'amortissement ; donc il y a de la marge pour une moyenne qui, étant de 5 p. c. et même de 4 1/2 p. p., serait déjà suffisante.
Messieurs, vous saisissez ce qu'il y a de pratique dans la thèse que je soutiens : c'est que le gouvernement ne doit pas trop se préoccuper de l'amortissement, lorsqu'il s'agit de la reprise de chemins de fer concédés.
Je dirai à présent quelques mots du programme que l'honorable ministre des travaux publics nous a communiqué dans une précédente séance ; je pense que ce programme aura de bons résultats et qu'il est juste.
Voici d'abord le premier article de ce programme : pas de changement pour le tarif des marchandises. J'approuve tout à fait cet article du programme et je crois que tout le monde l'approuvera également.
Le second article, c'est la généralisation des billets d'aller et de retour, ou plutôt l'introduction de ces billets, car s'ils existent aujourd'hui sur le chemin de fer de l'Etat, c'est en si petit nombre que je n'ai jamais eu la chance d'en rencontrer.
- Des membres. - Il y en a.
M. Moncheur. - Eh bien, nous en aurons la généralisation, non seulement sur toutes les lignes, mais aussi pour toutes les zones ; non seulement pour les petites distances, mais encore pour les longs parcours. Or, les limites de la Belgique sont telles, qu'on pourra très bien profiter de ces billets d'aller et de retour, fussent-ils même pour 24 heures, pour parcourir les plus longues distances ; ainsi, on peut très bien aller de Verviers à Anvers, passer assez de temps dans cette dernière ville pour y faire ses affaires et revenir coucher chez soi à Verviers.
Cette réforme sera donc un progrès et une amélioration réelle. Elle amènera une réduction sur le prix de transport en général des voyageurs.
(page 1407) Il y a, dans le programme, une autre amélioration qui sera considérable ; c'est l'application du système des abonnements à d'assez nombreuses catégories de voyageurs et surtout aux ouvriers. C'est là aussi une mesure très importante et toute dans l'intérêt des classes inférieures. Je trouve qu'il y a même quelque chose de très moral dans cette institution, parce que les ouvriers, au lieu de rester dans les grandes villes, où ils sont logés très mal, très chèrement et souvent très salement, où ils doivent passer leur soirée dans des lieux où ils sont exposés à toutes sortes de tentations de dépenses et autres, pourront retourner loger chez eux ; et s'ils ont une heure disponible le matin ou le soir, ils pourront l'employer aux soins de leur famille, de leur petit bien et travailler à leur petit jardin.
M. Jamar. - Cela est fait depuis un an. Il y a des abonnements d'ouvriers.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - C'est une bonne chose qu'on a faite et que nous cherchons à augmenter.
M. Moncheur. - Il y aura donc extension des avantages des abonnements. Et c'est, en effet, ainsi que le programme s'exprime ; abonnements, dit-il, pour de nouvelles catégories de voyageurs. Cette mesure n'était que spéciale pour les ouvriers ; elle deviendra plus générale. Il y aura donc là une amélioration évidente.
Arrivons au tarif des voyageurs.
Rien ne sera non plus changé à ce qui existe, en fait, aujourd'hui pour les voyageurs de la première et de la deuxième zone, excepté l'avantage qu'ils vont avoir tous de pouvoir profiter des billets d'aller et de retour.
Il n'y aura qu'une chose de modifiée quant aux tarifs, ce sera l'augmentation du tarif pour la troisième zone, c'est-à-dire pour les parcours à longue distance.
Eh bien, messieurs, ce n'est ni d'hier ni d'aujourd'hui que j'ai blâmé le tarif de 1866 en ce qui touche le transport des voyageurs à longues distances. Voie, comment je m'exprimais dans la séance du 8 mai 1868 :
« Il y avait, à mon avis, des améliorations à apporter au tarif des voyageurs, c'était l'abaissement de ce tarif, dans des proportions modérées, pour les courtes et moyennes distances, et la faculté à donner au public de prendre des coupons d'aller et de retour ; mais on a fait le contraire, on a abaissé outre mesure le tarif des voyageurs pour les longues distances, et on a maintenu les anciens prix pour les courtes et les moyennes distances. »
Messieurs, je m'occupais alors aussi d'une question qui a été touchée tout à l'heure par l'honorable M. Sainctelette. Je disais que le vice du système que je critiquais était l'assimilation erronée, qu'on avait faite de la question du transport des voyageurs à la question du transport des marchandises. Je disais, comme je le pense encore, que ces deux questions sont toutes différentes et doivent être résolues par des règles et des données puisées dans des ordres d'idées également différents.
En effet, messieurs, remarquez-le, les marchandises obéissent, elles, fatalement et nécessairement à la loi du prix de revient comparé au prix offett sur le marché. Ainsi, si au moyen d'une réduction quelconque sur le prix de transport de la houille, par exemple, un waggon de cette marchandise parti d'un lieu de production comme le Centre, Charleroi ou Liège, arrive à Anvers, lieu d'exportation, avec un prix total de revient inférieur à celui des charbons étrangers, par exemple de ceux de la Ruhr, vous verrez les waggons de charbons du Centre, de Charleroi ou de Liège affluer à Anvers.
il n'y aura d'autres limites à ce commerce et à ces transports que celles de la demande ou de la production ou du matériel de transport. Si, au contraire, le tarif est tel que le prix du transport, joint à d'autres éléments du prix de revient, rend la concurrence impossible sur le marché, alors plus un seul waggon n'arrivera. C'est tout ou rien ; on peut vendre ou on ne le peut pas. Il s'agit ici de causes et d'effets pour ainsi dire matériels.
Mais, messieurs, pour les voyageurs il n'en est nullement de même ; le voyageur n'obéit pas à cette loi inflexible de l'offre et de la demande ou d'un prix de revient et d'un prix de vente. Le voyageur obéit à ses convenances, à sa volonté ou, si vous voulez, à sa fantaisie. (Interruption.)
S'il a des raisons suffisantes pour voyager, que ce soient des raisons d'affaires, ou de famille, ou de pur agrément, il voyagera, la question du prix de transport en chemin de fer pourra exercer quelque influence sur sa détermination, mais, pour les longs parcours surtout, une différence d'un, de deux ou de trois francs ne sera qu'un élément très minime dans ses délibérations. Il y en a beaucoup d’autres plus importants : la perte de temps, les dépenses générales de voyage, les embarras ou les agréments ou le degré de nécessité de celui-ci. Que sont deux ou trois francs en comparaison de ces mobiles et de ces motifs ?
M. Anspach. - La statistique prouve que cela fait beaucoup.
M. Moncheur. - Laissons là la statistique. Elle prouve tant de choses ! Je sais très bien que le nombre des voyageurs à longue distance a augmenté depuis quatre ou cinq ans, mais cela a eu et aura toujours lieu par le seul développement des relations sociales. Ainsi vous aurez une augmentation de tarif pour les longs parcours ; eh bien, je vous prédis que malgré cela, dans quatre ou cinq ans, le nombre des voyageurs aura encore augmenté. Je vous garantis cette statistique-là.
M. Jamar. - C'est une question de mesure.
M. Moncheur. - Je dis donc qu'une différence de 1 ou 2 francs pour le trajet, par exemple, de Verviers à Ostende, est insignifiante pour les voyageurs, tandis qu'elle rétablira la justice entre les différentes zones, et produira une rémunération plus équitable pour le service rendu.
Je sais très bien que, comme l'a dit M. Sainctelette, quand le voyageur est en route, les derniers kilomètres ne coûtent pas autant que les premiers ; mais le but que vous avez en vue, et qui est d'augmenter le nombre des voyageurs en raison et en proportion du bon marché, ce but-là, vous ne l'atteindrez pas quant aux voyageurs, comme vous pouvez le faire quant aux marchandises, parce que, je le répète, il ne s'agit pas, pour les voyageurs, de la loi immuable qui règle les transactions commerciales.
Certes je ne suis pas partisan des tarifs élevés, et la thèse que je défends, qu'il ne faut pas exiger du chemin de fer, par ses produits, l'amortissement du capital qu'il a coûté, en témoigne assez ; mais, d'un autre côté, je pense qu'il ne faut pas d'exagération dans l'abaissement des tarifs pour les voyageurs ; et je pense qu'il y a eu exagération de réduction pour les longs parcours, c'est-à-dire pour ceux qui s'effectuent en général par les étrangers et par les personnes qui ont de la fortune ; ce n'est pas en faveur de cette classe de voyageurs, à long parcours, qu'il faut commencer les réductions excessives de prix ; mais il faut, au contraire, les mettre sur le pied général des autres voyageurs et exiger d'eux une rétribution en rapport avec le service qu'on leur rend.
(page 1399) M. Amédée Visart. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport sur le projet de budget des recettes et dépenses pour ordre de 1872 et le rapport sur le projet de loi portant dérogation à l'article 19 de la loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité de l'Etat.
- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.