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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 9 juin 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1383) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Leblaireau demande que le mot commune soit remplacé dans notre législation par les mots : ville, bourg, village. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration du bureau de bienfaisance de Diest demande que le chemin de fer à construire de Tirlemont à Diest passe par Kersbeek-Miscom. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal d'Hodimont prie la Chambre de mettre à son ordre du jour la question de l'instruction obligatoire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.


« Des habitants d'Orbaix prient la Chambre de rejeter les augmentations de l'impôt foncier proposées par le gouvernement. »

« Même demande d'habitants de Virginal-Samme et de Wavre. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi qui apporte des modifications aux lois d'impôts.


« Le conseil communal d'Hondelange demande que le gouvernement lève la prohibition du bétail à la sortie sur la frontière d'Athus à la mer, ou, du moins, qu'il rende libre la frontière française qui touche à la province de Luxembourg. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Les membres du conseil communal de Nieuport demandent que la langue flamande soit, en tout, mise sur le même rang que la langue française. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions identiques.


« Des propriétaires, agriculteurs et commerçants à Isque prient la Chambre d'accorder aux sieurs Stevens la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Wavre par Isque. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des membres de la société dite de Veldbloem, à Bruxelles, demandent qu'avant de se séparer la Chambre fasse connaître ses intentions au sujet des griefs des populations flamandes. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, trois demandes de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. Houtart demande un congé pour cause d'indisposition. »

- Accordé.

Proposition de loi accordant une pension viagère à la veuve du général Niellon

Lecture

M. le président. - Messieurs, les sections ont autorisé la lecture de la proposition de loi, qui a été déposée dans la séance d'hier. M. Du-ortier, qui est l'un des auteurs de cette proposition, a demandé d'en donner lecture à la tribune.

M. Dumortier. - Messieurs, voici cette proposition :

« Léopold, etc.

« Voulant, par un acte de gratitude nationale, reconnaître les services signalés rendus par le général Niellon dans les combats soutenus pour l'indépendance de la Belgique ;

« Article unique. Une pension viagère de quatre mille francs (fr. 4,000) est accordée à la dame Louise-Christine-Emilie Torris, veuve du général Niellon, en récompense des services éminents rendus par feu son mari, lors de l'affranchissent de la patrie.

« Cette pension prendra cours à partir du décès du général Niellon.

« Fait au Palais de la Nation, le 7 juin 1871.

« B.-C. Dumortier, comte de Theux, Ch. Rogier, D. de Haerne, F. Vleminckx, vicomte« Vilain XIIII. »

M. le président. - Quel jour proposez-vous pour donner les développements de cette proposition ?

M. Dumortier. - Je suis aux ordres de la Chambre.

- Plusieurs membres : Après le vote du budget,

M. le président. - M. Dumortier développera donc sa proposition après le vote du budget.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics pour l’exercice 1871

Discussion du tableau des crédits

Chapitre IV. Chemins de Fer. Postes. Télégraphes

(page 1385) M. Brasseur. - Messieurs, en prononçant mon discours, je savais que je, serais combattu par tous ceux qui tiennent au régime de 1866, je savais aussi que M. le ministre des travaux publics défendrait avec chaleur le compte rendu qu'il avait signé. Par conséquent je devais m'attendre à une position d'isolement sur certains points ; ce qui ne veut nullement dire pour cela que le bon droit ne soit pas de mon côté.

Mais grande a été ma joie hier lorsque j'ai entendu M. le ministre des travaux publics faire deux déclarations des plus importantes. La première, c'est qu'il consent à faire étudier la question du prix de revient qui, pour moi, est une question capitale, quoi qu'on en dise.

La seconde, c'est qu'il entend augmenter le tarif des voyageurs pour la troisième zone ; c'est précisément ce que j'avais réclamé. Voici, en effet, les paroles que j'ai prononcées à ce sujet : « Ma conclusion est que vous avez encore fait de l'arbitraire en fixant vos tarifs de voyageurs comme vous l'avez fait. L'écart entre 30 et 10 centimes est beaucoup trop grand au détriment du trésor public. Vous devez relever vos tarifs pour les grandes distances. » Sous ce rapport, je félicite vivement M. le ministre des travaux publics de la décision qu'il a prise et je suis convaincu que cette décision sera approuvée par une grande partie du pays, parce que le système actuel est un système spoliateur pour le trésor public.

- Voix à gauche. - Oh ! et les recettes que fait le trésor ?

M. Brasseur. - Ah ! parce que vous faites des bénéfices, vous croyez que votre système soit juste ? Du reste, c'est une question que nous discuterons, et je me charge de vous prouver qu'un système peut donner des bénéfices et être souverainement injuste.

M. Muller. - Il n'y a pas de spoliation, comme vous le dites !

M. De Lehaye. - C'est une duperie réelle.

M. Brasseur. - Il y a spoliation quand les uns payent pour les autres, quand les uns payent trop et les autres pas assez.

M. Vermeire. - Je demande la parole.

M. Brasseur. - De sorte que sur ces deux points j'ai été extrêmement satisfait des déclarations de M. le ministre. Or, la demande de ces deux points a fait en grande partie l'objet de mon discours. En dehors de la partie théorique, ajoutez-y un troisième point, messieurs, et sur ce point je n'ai été combattu par personne, à savoir que depuis quelques années notre exploitation de chemins de fer a été excessivement coûteuse, qu'elle est arrivée à 60 p. c. (Interruption.) Ajoutez-y, dis-je, ce troisième point, et vous avez tout mon discours. J'ai donc obtenu ce que j'ai demandé. J'ai lieu d'être très satisfait de ce débat.

Vous m'interrompez ! Je maintiens mon affirmation sur ce dernier point. J'ai dit que, pendant les trois dernières années, notre exploitation avait coûté 60 p. c. Or, en 1867 (lisez page 6 du compte rendu), vous avez un chiffre de 60, 73 p. c, par conséquent 60 p. c. passé. En 1868, vous avez 59,15 p. c. par conséquent tout près de 60 p. c. ; et en 1869, vous avez 55,53 p. c. ; au sujet du dernier chiffre, j'ai fait une rectification qui n'a pas été relevée ; grâce à cette rectification, vous arrivez encore à 60 p.c.

Messieurs, je passe aux détails et d'abord je m'occuperai du discours de l'honorable M. Moncheur.

L'honorable M. Moncheur n'admet pas le point de vue auquel je me suis placé pour les chemins de fer. Pour l'honorable membre, la loi de 1834 n'est plus obligatoire dans son article 5. C'est une loi qui est tombée en désuétude. On ne doit pas traiter les chemins de fer comme une industrie privée ; c'est une institution d'intérêt général. L'amortissement, par conséquent, doit disparaître et la conséquence de tout cela, c'est que, dans la question des tarifs, c'est le bas prix qui doit prédominer : ainsi l'exige l'intérêt de l'agriculture, de l'industrie et du commerce.

Je ferai remarquer à l'honorable M. Moncheur qu'il y va un peu lestement. La loi de 1834 existe, et aussi longtemps qu'elle existe, vous devez l'appliquer. Ce qui plus est, le gouvernement l'applique tous les ans dans son compte rendu : elle n'est donc, en fait, pas tombée en désuétude. Or, la loi de 1834 vous dit que vous devez tenir compte non seulement de l'intérêt, mais encore de l'amortissement, que le chemin de fer doit se payer lui-même.

Il est donc traité comme un industriel par la loi. Changez cette situation si vous le voulez. Je ne m'y opposerai pas. Toutefois, et c'est là une considération qui n'a pas été présentée encore dans cette enceinte, prenez-y garde, et je ferai la même observation à l'honorable ministre des travaux

publics, qui a approuvé les paroles de l'honorable M. Moncheur, prenez-y garde ! Oui, si tous les chemins de fer de la Belgique appartenaient à l'Etat, je comprendrais que l'on pût soulever la question des chemins de fer exploités, non pas précisément au point de vue des bénéfices, mais au point de vue plus large de l'intérêt général. Il n'y aurait aucun intérêt privé lésé.

Vous pourriez décréter qu'il n'y aura plus d'amortissement, vous pourriez abaisser vos tarifs tant que vous le voudriez ; je le comprendrais jusqu'à un certain point.

Mais la situation actuelle est autre ; elle est plus compliquée. Vous avez des concessions privées ; vous avez des compagnies privées de chemins de fer. Or, en accordant ces concessions privées, vous avez engagé beaucoup de capitalistes à confier leurs capitaux à ces entreprises. Et que faites-vous chaque fois que vous réglez les tarifs de l'Etat ? Vous vous adressez aux compagnies privées et vous leur dites : Suivez-moi ; adoptez mes tarifs ; et vous employez tous les moyens possibles pour les forcer d'entrer dans la voie qu'il vous plaît d'adopter.

Si vous vous placez au point de vue exclusif de l'intérêt général, si, dans l'exploitation de vos chemins de fer, vous, Etat, vous n'avez en vue que l'intérêt du public, ne prenant aucun soin de la question des bénéfices, croyez-vous que les compagnies puissent sérieusement vous suivre, elles qui ont l'intérêt de leurs actionnaires à défendre, elles qui ont un intérêt privé à sauvegarder, elles qui, outre l'intérêt du capital, doivent forcément songer à l'amortissement de ce même capital ? Croyez-vous que ce soit là une situation juste ? Vous ne pourrez donc arriver au système de considérer les chemins de fer au point de vue de l'intérêt général, abstraction faite des bénéfices, que le jour où vous aurez racheté tous les chemins de fer qui existent en Belgique. Alors la question pourra être discutée. D'ici là, cela n'est pas impossible.

Je ne parlerai pas du prix de revient, dont a parlé l'honorable M. Moncheur. La question n'a plus d'importance, puisque M. le ministre des travaux publics vous a dit que ce travail sera fait. Je sais qu'il y a à l'administration des travaux publics un homme extrêmement capable à qui ce travail sera probablement confié : je suis convaincu qu'il s'en acquittera à la satisfaction pleine et entière de tout le. monde.

Je passe au discours de l'honorable M. Braconier. M. Braconier a commencé par me faire dire une chose que je n'ai pas dite. Voici les paroles de l'honorable membre, je cite textuellement :

« L'honorable M. Brasseur, dans le discours qu'il a prononcé dans la discussion générale, admet, lui, le principe des tarifs différentiels, mais il critique, d'un autre côté, son application au tarif des voyageurs et le bas prix des transports des marchandises de la quatrième classe du tarif n°3, à petite vitesse. »

Ainsi, d'après M. Braconier, j'aurais critiqué le bas prix du transport des marchandises en général.

Eh bien, messieurs, il n'en est rien ; voici ce que j'ai dit :

« L'expérience a parlé ; voyons quelles données se sont dégagées des faits.

« Pour le transport des marchandises, vous avez des tarifs extrêmes ; pour les petites distances, votre tarif est très élevé et pour les grandes distances, il est tellement faible qu'à mon avis vous transportez à perte. »

J'ai donc fait une distinction que l'honorable M. Braconier a perdue de vue ; j'ai soutenu que pour les petites distances les marchandises payent très cher, et ce n'est que pour les grandes distances qu'elles payent un prix peu élevé, à mon point de vue, pas assez élevé pour être rémunérateur.

Ce point établi, voyons, messieurs, de quelle façon j'ai traité la question des grosses marchandises. Je regrette de devoir le dire, je n'ai pas été compris sous ce rapport, ni par l'honorable M. Braconier, ni par l'honorable M. Descamps, ni par l'honorable M. Vermeire.

Le système de 1866 établit trois catégories de prix (20, 10 et 5 cent, par tonne-lieue), plus un droit fixe de 1 franc.

Cette manière de formuler le tarif ne fixe pas les idées ; elle n'est pas claire, parce qu'à première vue elle ne fait pas connaître quel est le tarif de chaque zone, le droit fixe étant calculé à part. J'ai voulu, avant tout, faire ce qu'on fait dans tous les pays : j'ai cherché à formuler en chiffres le tarif de chaque zone en tenant compte du droit fixe. Or, à cet effet, il faut commencer par faire abstraction des quantités transportées et établir théoriquement une moyenne pour chaque zone.

Dans la première zone, on paie 4 centimes par tonne-kilomètre, mais il y a le droit fixe, et, pour les faibles distances, le franc de droit fixe est une charge énorme qui dépasse et de beaucoup le péage mobile. Dès lors, le chiffre de 20 centimes par tonne-lieue n'est plus du tout l'expression exacte de la situation.

(page 1386) En faisant ce travail pour chaque zone, j'arrive naturellement à 7 centimes pour la première zone, à 3 centimes pour la deuxième, et pour la troisième, j'ai dit à 2 4/10.

Il y a là évidemment pour ce dernier chiffre un lapsus dont mes adversaires ont voulu tirer profit : ils auraient dû me supposer incapable de commettre sciemment une pareille erreur matérielle. 2 4/10 s’appliquent à la 51ème lieue ; en réalité, la moyenne de la troisième zone est de 2 96/100.

Mais, messieurs, mon but n'était pas de dire : Vous transportez en moyenne et en tenant compte des quantités transportées, à 7, à 3 et à 2 4/10 ou 2 96/100, pour établir le véritable chiffre. Mon but était tout autre.

Ces chiffres étant posés, je me suis dit : Pour la première zone évidemment, vous devez être en bénéfice.

Quand on transporte à 7 centimes en moyenne, il est évident que quelle que soit la quantité de marchandises transportée, on est en bénéfice.

Pour la deuxième zone, où vous transportez à 5 centimes, évidemment encore vous êtes en bénéfice, quelle que soit la quantité des marchandises transportées, car le prix de revient ne peut s'élever ni à 7 ni à 5 centimes.

Mais, pour la troisième zone, pour une exploitation qui transporte à 60 p. c, je suis déjà en droit de me demander si vous êtes en bénéfice.

Mon doute augmente si je ne considère que les dernières distances, de 40 à 50 lieues, par exemple, car là votre tarif descend de 2.96/100 à 2.5/10.

Il est possible que vous ne soyez pas en perte, mais pour être fixé à cet égard, vous devez évidemment établir votre prix de revient. Alors nous saurons jusqu'où nous pourrions aller dans la troisième zone pour les marchandises pondéreuses.

J'ai ajouté, répondant à une interruption de l'honorable M. d'Andrimont, que je comprends que l'on descende au plus bas prix possible, j'ai ajouté que je vous suivrai sur ce terrain, que j'irai jusqu'à 2.6/10 s'il le faut ; mais prouvez-moi, au préalable, que nous ne sommes pas en perte, car l'Etat ne doit pas transporter à perte.

Il n'y aurait que 5,000 tonnes transportées en perte que je vous demanderais : Pourquoi transportez-vous ces 5,000 tonnes à perte, lorsque vous demandez un prix très élevé à d'autres expéditeurs ?

Mon but, messieurs, était simplement de prouver qu'il y a nécessité d'établir un prix de revient, d'autant plus que le jour peut arriver où vous aurez des transports à grande distance. L'erreur matérielle que j'ai commise n'altère en rien mon argumentation. En voulez-vous la preuve ? Substituez, dans mon discours, le chiffre vrai au chiffre erroné de 2.4/10 et vous vous convaincrez que mon argumentation reste absolument la même.

J'arrive maintenant aux quantités transportées.

Eh bien, quant à ces quantités, la vérité est que mon chiffre est exact pour la première zone. Non seulement mon chiffre est exact, mais il est en-dessous de la vérité.

C'est ainsi que la première zone comporte un transport total de 3,298,000 tonnes ; or, de ce chiffre, les sept premières lieues absorbent 2,055,000 tonnes. C'est-à-dire que la moyenne est dépassée, et de beaucoup.

Dès lors, je suis en droit de dire que vous transportez le plus grand nombre de vos marchandises, non pas à 7 lieues, mais à 7 1/2 ou 8 centimes.

Pour la deuxième zone, l'honorable M. Braconier a reconnu que la moyenne et les quantités transportées coïncident à peu près.

Mais pour la troisième zone, la coïncidence cesse complètement. La majeure partie des marchandises transportées se trouve entre la 21ème et la 26ème ou 27ème lieue.

Ici je suis parfaitement d'accord avec mes honorables contradicteurs. Mais peu m'importent les quantités ; prenez, par exemple, les marchandises transportées à partir de la 40ème lieue.

Supposez qu'il n'y ait là que 5,000 tonnes, vous aurez donc là 5,000 tonnes transportées à quel prix ? A un chiffre qui varie entre 2.7/10 et 2.5/10 environ.

Eh bien, je demande, et c'est tout ce que je voulais établir, pour ces 5,000 tonnes, êtes-vous en bénéfice ou en perte ?

Vous n'en savez rien, et vous n'en saurez rien aussi longtemps que vous ne connaîtrez pas votre prix de revient.

Supposez que je ne sois pas venu parler de moyennes et que je sois venu vous demander de quel droit vous transportez à perte des marchandises à 2.6/10 ou 2.7/10 centimes. Il y en a peu, il est vrai, mais il y en a.

Ainsi, à la 45ème lieue il y a encore 5,000 tonnes.

M. de Rossius. - Il y en a 8,000 et plus, ce qui prouve que votre argument est faux,

M. Brasseur. - Pas le moins du monde, au contraire. Il y a 8,000 tonnes ; reste toujours la question de savoir si sur ces 8,000 tonnes vous faites du bénéfice ou si vous êtes en perte.

Il y a plus, messieurs ; quand on parle de tarifs de chemin de fer, il ne faut pas seulement raisonner pour le présent et sur les résultats d'une année, il faut avoir en vue l'avenir ; il faut songer que les tarifs doivent être faits pour recevoir une large application plus ou moins immédiate.

Or, du jour au lendemain, le gouvernement peut se trouver dans la nécessité de racheter le chemin de fer du Grand Luxembourg. Aujourd'hui, cette éventualité doit être prévue. Dans ce cas, vous auriez une grande quantité de transports à une distance de plus de 200 kilomètres.

Et alors, messieurs, encore une fois viendra la question de savoir si, avec un transport à 2.5/10 centimes, il y a bénéfice ou non. Il faudra encore alors faire, sans doute, des expérimentations pendant de longues années. Eh bien, je vous dis, hâtez-vous d'établir votre prix de revient afin que vous sachiez à quel taux vous pouvez transporter à une distance de plus de 200 kilomètres. Ce qui est possible dans toutes les industries du monde, pourquoi cela ne serait-il pas possible pour l'industrie du chemin de fer ?

M. le ministre des travaux publics a bien voulu me dire qu'il ferait faire l'étude de cette question ; je suis convaincu qu'on y arrivera. La réponse me satisfait pleinement et je l'en remercie du fond de mon cœur.

Je vais plus loin, messieurs ; puisque mes adversaires ont voulu se donner le malin plaisir de tirer d'une erreur de chiffres des conséquences erronées, je vais me placer sur le terrain qu'ils ont bien voulu choisir, et je vais leur prouver qu'ils sont tout à fait inconséquents avec eux-mêmes.

Qu'ai-je dit ? J'ai dit que votre tarif à faibles distances est très élevé et que le tarif à grandes distances est peut-être trop bas.

Voilà mon point de départ. Il m'a été répondu qu'à grandes distances il n'y a pas de transport ; par conséquent vous combattez une chimère.

Eh bien, s'il en est ainsi, pourquoi vous opposer à ma conclusion ? Pourquoi la combattez-vous, puisque l'effet que vous redoutez pour les grandes distances sera nul ? S'il en est ainsi, il restera toujours la première partie de ma conclusion, à savoir qu'il faut abaisser le tarif très élevé pour les faibles distances.

En réalité, qui donc réclame une diminution des tarifs ? Au fond, c'est moi. Car, notez-le bien, les neuf dixièmes des marchandises sont transportées à petite distance. J'insiste sur ce point : sur 4,000,000 de tonnes, 3,298,000 tonnes sont transportées endéans la première zone, et ces 3,298,000 tonnes, les Belges ne s'en doutent pas, payent 7 centimes et plus en moyenne. Eh bien, je dis que cela est trop.

Je demandais donc en réalité une diminution de tarif, puisque les neuf dixièmes des marchandises sont transportées à faible distancé, et dès lors c'était moi qui avais le droit de m'approprier les paroles de M. Braconier, lorsqu'il disait :

« Je suis le premier à reconnaître qu'il faut que le chemin de fer rapporte l'équivalent des intérêts des capitaux employés ; mais je crois aussi que le gouvernement doit tenir compte, et dans une large mesure, des avantages que les tarifs réduits procurent à l'agriculture, au commerce et à l'industrie du pays, qu'il doit tenir compte des surcroîts de recettes que lui procure le développement de la richesse du pays. Or, il faut bien le reconnaître, le bas prix des tarifs favorise considérablement le développement de la richesse publique. »

Encore une fois, celui qui demande des bas tarifs, c'est moi, puisque je demande une réduction pour la première zone, qui comporte le transport des neuf dixièmes des marchandises. Quant à vous autres, qui voulez le maintien du régime actuel, c'est-à-dire des bas tarifs pour les grandes distances, vous vous contentez de l'apparence de tarifs réduits.

Un mot pour terminer sur cette matière : Je veux parler de la prétendue contradiction que M. Braconier a trouvée dans mes paroles.

Je viens de vous montrer qu'en réalité si quelqu'un est partisan des bas tarifs pour les marchandises, c'est bien moi.

Eh bien, lorsque j'ai parlé de ce qui se passe dans le grand-duché de Luxembourg et du danger qui menace notre industrie houillère et métallurgique, j'ai rendu le gouvernement attentif à cette situation et j'ai ajouté que, d'une façon ou de l'autre, il devait trouver le moyen de procurer de bas tarifs à nos bassins de Liège et de Charleroi. Je conviens que la question est complexe et je comprends, jusqu'à un certain point, la réserve de M. le ministre des travaux publics.

M. Braconier a trouvé là une contradiction avec ce que j'avais dit précédemment, en réclamant dans le tarif de l'Etal un relèvement pour les grandes distances, s'il était prouvé que ce tarif nous constitue en perte ; notez bien ces derniers mots. De là, la conséquence que si l'établissement (page 1387)

du prix de revient prouve qu'il n'y a pas de perte, ma réclamation n'a plus de but.

Eh bien, l'honorable M. Braconier a w-versé dans une erreur.

Sans doute, j'ai plaidé la question des bas tarifs pour les transports entre le grand-duché du Luxembourg et les bassins de Liège et de Charleroi, mais par le motif bien simple que le tarif aujourd'hui est trop élevé. Mais ce n'est pas l'Etat qui est ici en jeu ; la question n'a rien de commun avec les tarifs de l'Etat. Les relations entre le grand-duché de Luxembourg et les bassins de Liège et de Charleroi sont réglées par le tarif d'une compagnie privée. La j'ai reconnu et je maintiens encore que le tarif est beaucoup trop élevé pour la lutte a laquelle nous devons nous préparer, afin de résister à l'Allemagne sur le terrain métallurgique.

Voilà, messieurs, la question des grosses marchandises.

Je ne dirai qu'un mot du tarif pour le transport des personnes.

J'ai commencé par déclarer que, là aussi, je trouvais que l'écart entre la première et la troisième zones est trop considérable ; j'ai dit que faire payer 30 centimes pour la première zone et 10 centimes seulement pour la troisième était une injustice criante.

L'honorable ministre des travaux publics a déclaré qu'il modifierait ce système. Je le répète, je l'en félicite hautement et j'attends le jour où le débat s'ouvrira sur cette question spéciale. Je crois inutile, pour le moment, d'insister sur ce point.

M. Rogier.- On peut prévenir les desseins du ministre.

M. Brasseur.- Soit, M. Rogier ; il est dans une trop bonne voie pour que je cherche à l'en détourner.

M. Rogier. - C'est votre opinion..

M. Brasseur. - Evidemment, chacun ne peut raisonner que d'après ses propres opinions.

Un troisième point a été traité par l'honorable M. Braconier, je veux parler du prix de revient. Ici encore la déclaration de M. le ministre des travaux publics a singulièrement facilité ma tâche. Du reste, personne au monde n'a mieux prouvé la nécessité d'un prix de revient que l'honorable M. Braconier lui-même.

Voici ce qu'il a dit :

« Enfin, un entrepreneur de messagerie établissait-il le prix de transport d'un voyageur de Paris à Bruxelles, proportionnellement au prix de transport d'un voyageur de Bruxelles à Boitsfort ? Evidemment non. Pourquoi ? Mais parce que le prix de revient du transport n'est pas le même dans les deux cas. Dans toute espèce d'industrie, qu'est-ce qui fixe le prix de la marchandise ? C'est le prix de revient.

Eh bien, messieurs, je n'ai jamais soutenu autre chose : pour connaître le prix de vos transports, vous devez au préalable établir votre prix de revient. Comme, ce prix de revient va être établi, je n'insiste pas. L'honorable M. Braconier, d'ailleurs, a déclaré ne pas s'opposer à l'établissement du prix de revient. Seulement, il m'a posé plusieurs questions accessoires. Comment, a-t-il dit, entendez-vous le prix de revient : est-ce un prix de revient général de la tonne, de marchandise transportée ? Est-ce un prix de revient général par classe de marchandises ? Enfin, est-ce un prix de revient général pour toutes les marchandises et aux différentes distances ? Si ce n'est pas ce dernier, les deux autres ne signifient absolument rien. J'aurais beaucoup à dire sur cette manière de voir, mais cette discussion n'aurait plus qu'un intérêt théorique, puisque la question est tranchée.

Je me bornerai à une seule observation.

L'honorable M. Braconier croit que l'élément fixe joue un rôle principal dans les prix de revient. Je lui déclare à l'avance qu'il se trompe du tout au tout, et que les expériences faites en France, en Allemagne et en Italie prouvent que, dans les frais d'exploitation de l'industrie des chemins de fer, l'élément qu'on appelle fixe est un des éléments les moins importants.

M. Dumortier. - C'est évident.

M. Brasseur. - Il y a bien des choses qui sont évidentes, cependant M. Braconier n'a pas hésité à dire : Quels sont les éléments variables ? Ils sont infiniment moins importants (que l'élément fixe).

Un mot encore, messieurs, pour répondre, à M. Descamps et je termine, car il m'est impossible de prolonger le débat à cause de mon état de santé.

L'honorable M. Descamps a d'abord parlé de la première partie de mon discours, dans laquelle je m'étais occupé du bilan qui a été l'objet de certaines critiques de ma part.

L'honorable M. Descamps partage ma manière de voir sur quelques-uns des points que j'ai critiqués ; il reconnaît avec moi que le bilan aurait pu être dressé avec plus d'exactitude. Je suis heureux de ce témoignage.

Toutefois, il y a un point que l'honorable M. Descamps n'admet pas avec moi : je veux parler du taux auquel figure, dans le passif du bilan, le capital qui reste à amortir.

Le bilan admet,, non pas la valeur nominale, mais la valeur effective d'après le produit de l'émission. L'honorable M. Descamps approuve ce mode de procéder que j'ai critiqué. Il a lu à cette occasion une notice qui se trouve dans un des comptes rendus,

Je prie l'honorable M. Descamps de croire que j'ai lu et parfaitement lu la notice dont il a donné lecture pour soutenir cette opinion, mais cette notice ne m'a pas convaincu ; au contraire, elle m'a précisément prouvé qu'il y avait une erreur à relever dans le bilan.

Comment ! Le trésor fait un emprunt pour compte du chemin de fer ; ce dernier ne reçoit que 90 et dans son actif il ne peut porter que 90. Mais que doit-il mettre à son passif ? Il doit mettre 100, parce qu'il doit rembourser cette somme.

Mais, comme notre dette est au-dessus du pair, je dis qu'en prenant le nominal, en prenant 100, vous êtes encore au-dessous de la vérité. Par conséquent, ce qui devait figurer à notre tarif, ce n'est pas 90, ce que vous aviez reçu, mais c'est bien 100.

M. Descamps. - Et si c'était du 2 1/2 et du 3 p. c ?

M. Brasseur. - J'y viendrai.

Je disais donc, messieurs, que vous empruntez à 90 et que vous devez racheter à 102.

M. De Lehaye. - Rien ne vous oblige à racheter à 102.

M. Brasseur. - C'est vrai : je voulais dire que l'Etat doit racheter à 100.

L'honorable M. Descamps parle de conversions qui pourraient avoir lieu. Mais, messieurs, il y a eu une conversion, je ne me rappelle pas bien à quelle époque.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Ce n'est toujours pas la conversion de M. Descamps.

M. Brasseur. - Non, M. le ministre, mais elle viendra. Je suis certain que quand M. Descamps examinera ce point de nouveau, il reconnaîtra l'exactitude de ce que je viens de dire. Eh bien, s'il y a eu une conversion et en examinant la chose de très près, on pourra se convaincre que la situation sera la même au fond. Une conversion suppose un emprunt fait dans de meilleures conditions qu'auparavant, il en résultera donc un bénéfice pour le chemin de fer, mais pas d'altération dans la situation.

Je n'insiste pas, du reste, sur ce point, parce qu'il est purement théorique.

Voilà, messieurs, ce que j'avais à répondre aux honorables membres qui ont jugé convenable de combattre les conclusions de mon discours.

Je regrette vivement que mes contradicteurs m'aient fait dire des choses que je n'ai pas dites.

Un dernier mot. Aussi longtemps que les sociétés de chemins de fer privés ne seront pas rachetés, personne n'osera demander la diminution des tarifs des grosses marchandises à faible distance. Pourquoi ? L'Etat s'y opposera ; les compagnies s'y opposeront, parce que là est la source de leurs bénéfices. Il y aurait un tollé général contre ceux qui oseraient la demander ; ils feraient de vains efforts sans espoir d'aboutir. Mais le jour où tous les chemins de fer appartiendront à l'Etat, alors on fera vibrer la grosse corde de l'intérêt général, de l'intérêt du commerce, de l'agriculture et de l'industrie.

Alors on dira qu'il ne s'agit pas de bénéfices pour le chemin de fer, qu'il s'agit avant tout d'un ordre d'idées plus élevé, et on réclamera, soyez-en convaincus, contre les tarifs élevés des courtes distances.

Quant au tarif des télégraphes, l'honorable ministre des travaux publics vous en a fait l'aveu, vous perdez sur les télégrammes intérieurs, et le gouvernement n'entend pas en relever le tarif. Eh bien, il est dangereux de travailler à perte, de fournir au public des services en partie gratuits, là où, en définitive, il ne s'agit que d'une marchandise livrée, d'une opération purement industrielle. Tout cela est dangereux, parce qu'une fois qu'un abus existe, il reste.

Nous avons aujourd'hui une situation étrange pour le télégraphe. Nous perdons sur tous les télégrammes intérieurs. Nous recevons 50 centimes pour chaque télégramme qui coûte à l'Etat 83 centimes, si je ne me trompe. Par conséquent la perte est énorme. Il est vrai que nous nous rattrapons sur les télégrammes étrangers. Mais je voudrais bien savoir en vertu de quel principe de justice on agit ainsi.

Comment ! un négociant envoie des télégrammes à. Berlin, à Paris, à Amsterdam, et voici le langage que l'Etat lui tient : Mon ami, vous payerez d'abord le prix de la marchandise que je vous livre, le prix coûtant, mais vous payerez en sus un certain excédant pour ceux qui se servent de la télégraphie intérieure. Il est évident que vous faites payer les uns pour les (page 1388) autres. Cependant M. le ministre des travaux publics vous l'a déclaré ; il n'oserait pas relever le prix du télégramme intérieur.

M. Jamar. - Avant d'aborder la partie importante de ce débat : la question du tarif des voyageurs, je désire répondre au discours de l'honorable M. Brasseur et à un passage du discours que l'honorable ministre des travaux publics a prononcé dans la séance du 2 juin.

Répondant à l'honorable M. Van Outryve au sujet de la reprise des chemins de fer de la Flandre occidentale, l'honorable ministre s'exprimait ainsi :

« Je dois dire cependant que la reprise désirée aurait été possible peut-être et certainement plus facile au moment où l'ancien cabinet a débattu les clauses de la convention de 1870 ; alors une moyenne acceptable aurait peut-être pu être trouvée, établissant une compensation entre les meilleures lignes et les moins productives ; cela n'a pas été fait, c'est un malheur et peut-être me faute irréparable. »

Il est vraiment commode, messieurs, de dire ainsi aux populations de la Flandre occidentale : Si vous souffrez des mesures que va prendre la Société générale d'exploitation, la faute en est à l'administration libérale. Il dépendait d'elle, à un moment donné, de racheter vos lignes.

On prend ainsi un rôle facile et du même coup on se donne le plaisir de dire une chose désagréable à ses adversaires.

Mais si l'honorable ministre y trouve quelque charme, je l'engage à mieux choisir ses occasions. Le trait qu'il nous a ainsi lancé se retourne contre lui.

En effet, le malheur de ce beau raisonnement, c'est d'autoriser nos collègues de la Flandre - et j'appelle sur ce point leur attention - à dire au ministre :

Nous ne vous demandons, M. le ministre, qu'une seule chose : faites ce que vous reprochez à vos prédécesseurs d'avoir négligé.

Si, en effet, l'honorable M. Wasseige est disposé à faire des moyennes pour le rachat des lignes concédées, rien de plus simple. Je garantis que la Société générale d'exploitation est prête à renouveler à l'administration les propositions que j'ai écartées. Le ministre payera cher les lignes de la Flandre occidentale, mais comme nous avons affermé à un prix raisonnable le complément du réseau des Bassins houillers, il fera ainsi une moyenne que les intéressés, sauf peut-être le ministre des finances, trouveront parfaitement acceptable.

Si l'honorable ministre des travaux publics entend ainsi faire des moyennes pour le rachat des chemins de fer concédés, il inaugurera un système qui n'était pas le mien et qui, j'en suis convaincu, ne sera pas celui de la Chambre.

Pour les 600 kilomètres que l'Etat exploite depuis le 1er janvier 1871, le trésor public n'a payé que ce qui était juste et équitable, c'est-à-dire la valeur vraie des lignes ainsi rachetées.

Si l'honorable ministre des travaux publics veut faire de la popularité auprès des électeurs de la Flandre occidentale, aux dépens du trésor public, avec ce qu'il appelle des moyennes acceptables, il en a le pouvoir aujourd'hui encore.

Je n'y ai point consenti pour ma part, parce qu'en dehors d'autres considérations j'avais la conviction qu'en agissant ainsi je commettais une faute irréparable, pour me servir des termes de l'honorable M. Wasseige. J'aurais compromis, en effet, pour de longues années, la solution du problème le plus important que l'administration des travaux publics aura à résoudre : celle du rachat des chemins de fer concédés, sans perturbation dans la situation financière des chemins de fer de l'Etat.

Nous avons posé un premier jalon par la convention du 25 avril, et je laisse sans crainte à l'avenir le soin de démontrer les avantages de cette convention.

Si l'administration libérale était restée au pouvoir, il est vraisemblable qu'à cette heure nous exploiterions les lignes que la compagnie du Nord exploite en Belgique. Des négociations sérieuses étaient engagées avec cette compagnie et M. de Rothschild.

Mon honorable ami, M. de Macar qui connaissait ces négociations, y a fait allusion en parlant des conférences que j'avais eues avec les administrateurs de la société du chemin de fer d'Hesbaye-Condroz qui eussent pu également aboutir au résultat désiré : l'exploitation de leurs lignes par l'Etat.

J'engage mon honorable successeur à examiner si, comme je le pense, le moment n'est point favorable à la reprise des négociations avec la compagnie du Nord. Mais je l'engage surtout à se défier de ce système des moyennes acceptables pour ne faire que ce qui, dans ma pensée, est juste et raisonnable, c'est-à-dire payer la valeur vraie des lignes que l'on rachète.

Je dois protester, messieurs, de toutes mes forces, contre le premier discours prononcé par l'honorable M. Brasseur,

L'honorable membre a critiqué d'une manière aussi vive qu'injuste les actes de l'administration des chemins de fer de l'Etat.

Si ces attaques étaient fondées, je n'hésite pas à le déclarer, les fonctionnaires qui dirigent cette administration manqueraient incontestablement de talent, d'initiative et presque même de probité en dressant des bilans qui présentaient la situation financière de nos chemins de fer sous un jour faux.

M. Brasseur. - Je proteste de toutes mes forces contre cette interprétation.

M. Jamar. - L'envie de vous interrompre ne m'a pas manqué pendant que vous avez prononcé votre premier discours, je m'en suis abstenu ; usez, je vous prie de la même réserve à mon égard.

En songeant aux hommes distingués et dévoués qui appartiennent à cette administration et dont la plupart trouveraient dans l'industrie privée une rémunération bien autrement considérable que le prix qu'ils reçoivent des services qu'ils rendent à l'Etat, j'ai éprouvé, je l'avoue, une émotion pénible en entendant le chef actuel de cette administration n'avoir, dans sa première réponse à l'honorable M. Brasseur, que des éloges pour l'auteur de ces attaques.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Ce reproche ne m'atteint pas. Chaque fois que l'occasion s'en est présentée, j'ai défendu les fonctionnaires de mon administration et je leur ai rendu toujours la justice qu'ils méritaient.

Je n'ai, du reste, pas de leçons à recevoir de vous, sous aucun rapport.

M. Jamar. - J'indique l'impression que j'ai ressentie et que d'autres membres de cette Chambre ont éprouvée.

A entendre les discours de l'honorable M. Brasseur, à les relire surtout aux Annales parlementaires, on croirait vraiment que ni la Chambre, ni le Sénat, ni la cour des comptes ne se sont jamais enquis de ce qui se passait dans le service des postes et télégraphes et n'ont jamais porté d'investigations dans la comptabilité des chemins de fer de l'Etat.

On croit, messieurs, naïvement et l'on croirait encore que la situation de nos chemins de fer est excellente, qu'il y a à la fin de chaque exercice un excédant, qui pour 1869 s'est élevé à 15,300,000 francs, si l'honorable M. Brasseur n'était venu faire la lumière dans les ténèbres où se meut l'administration des travaux publics, pour me servir de l'expression de l'honorable M. Brasseur.

Les anciens membres de cette assemblée auront souri en écoutant le discours de l'honorable membre et en se rappelant les discussions si sérieuses et si importantes auxquelles, dans cette enceinte, a donné lieu cette question de la comptabilité des chemins de fer.

A la suite de ces discussions, la Chambre demandait à la cour des comptes, en 1849 et en 1855, des rapports sur la situation du chemin de fer de l'Etat.

En 1856, enfin, l'accord s'établissait entre le département des finances, la cour des comptes et le département des travaux publics sur un rapport présenté par cette dernière administration et dont les conclusions devaient servir de point de départ définitif à l'établissement de la comptabilité de nos chemins de fer.

Les arguments, messieurs, que l'honorable M. Brasseur a apportés dans cette enceinte se trouvent dans les discours des honorables MM. de Man d'Attenrode, de Brouwer de Hoogendorp et d'autres qui se sont occupés de ces questions d'une manière spéciale. Je me garderai bien, pour ma part, de reproduire à ce moment les discours des ministres qui leur ont répondu et les arguments qui ont mis fin à ce débat.

M. Brasseur s'est longuement étendu sur la nécessité de faire produire à nos chemins de fer l'intérêt et l’amortissement des capitaux engagés dans sa construction. Il fait grand honneur à la prévoyance du législateur de 1834 d'avoir édicté cette prescription.

L'honorable député de Philippeville est-il bien sûr d'avoir saisi la portée de cette disposition ?

Un des auteurs de cette loi, et l'un des plus éminents, qualifiait d'absurdité l'interprétation que lui donne M. Brasseur.

Voici, en effet, quelques courtes observations échangées, dans la séance du 8 mars 1851, entre M. Mercier et M. Lebeau :

« M. Mercier. - Le législateur a pu se tromper en déclarant que le chemin de fer devait couvrir l'intérêt des capitaux employés à sa construction et l'amortissement de ces capitaux ; il a pu se tromper sur la possibilité d'atteindre ce double résultat.

« M. Lebeau. - Le législateur n'a jamais pensé à cela,

« M. Mercier, - C'est dans la loi,

(page 1389) « M. Lebeau. - C'est une erreur.

« M. Mercier. - C'est une erreur de l'avoir inséré dans la loi, mais cela y est bien positivement. (Interruption.)

« M. le président. - Veuillez ne pas interrompre.

« M. Lebeau.- Je défends une loi que j'ai concouru à voter ; on lui prêle une absurdité dont je ne veux pas assumer la responsabilité. »

Ainsi, messieurs, en 1851 on était déjà bien peu d'accord sur le sens de l'article 5 de la loi de 1851. M. Mercier disait que c'était une erreur du législateur. M. Lebeau, que c'était une absurdité de l'interpréter comme le fait M. Mercier et comme le fait M. Brasseur.

Je n'ai jamais songé à approfondir la pensée du législateur de 1834. Le département des finances porte à un compte spécial d'intérêts et d amortissement une partie des profits réalisés par le chemin de fer ; la prescription de la loi est ainsi exécutée. Mais, messieurs, si nous avions à voter de nouveau cette disposition, y a-t-il un membre dans cette enceinte, sauf M. Brasseur, qui consentirait à la renouveler ?

A-t-on jamais songé à demander à nos routes et à nos canaux de produire par leurs péages les sommes nécessaires à payer l'intérêt et l'amortissement des capitaux employés à leur construction ?

M. Le Hardy de Beaulieu. - Il y a une différence énorme.

M. Jamar. - Et où est la différence, je vous prie ? Est-ce dans l'importance des capitaux employés à leur construction ? Mais nos routes, depuis 1830, nous ont coûté 60 millions ; leur dépense d'entretien est de 1,700,000 francs à 1,800,000 francs, et elles ne produisent absolument rien.

130 millions ont été consacrés à la construction ou au rachat de nos voies navigables, 1,500,000 francs sont dépensés pour leur entretien ; elles rapportent, à la vérité, 1,700,000 francs, mais cette différence est toujours dépassée par les crédits spéciaux nouveaux.

Il n'y a pas une bonne raison pour demander a nos chemins de fer ce que vous n'avez jamais exigé des autres voies de communication, parce que vous avez toujours pensé avec raison que les bas péages sur les voies de communication étaient, avec le développement de l'instruction populaire, le plus puissant levier du développement de la richesse publique.

L'honorable membre a insisté, dans son premier discours et dans celui d'aujourd'hui, pour obtenir le prix de revient de la tonne kilométrique et du voyageur kilométrique.

Il a vivement tancé l'ancienne administration de ne pas l'avoir apporté à la Chambre.

Si mon honorable successeur le lui apporte, il aura assez fait pour la gloire de son administration. Mais je crois que M. Brasseur l'attendra longtemps.

S'il ne s'agissait, en effet, que de créer un service spécial et de dépenser 60,000 francs pour obtenir ce prix de revient, il y a longtemps qu'il serait en la possession de l'administration, la première intéressée à le posséder.

Mais il y a à ce travail des difficultés presque insurmontables, devant lesquelles les plus puissantes compagnies de chemins de fer ont reculé jusqu'à ce jour.

Quand, désireux d'acquiescer au désir qui m'était témoigné par la Chambre d'obtenir ce prix de revient, j'ai examiné cette question, j'ai envoyé en France et en Allemagne un des fonctionnaires les plus intelligents de l'administration des chemins de fer ; et il a pu constater que, dans ces deux pays, les plus puissantes sociétés de chemin de fer avaient dû, à leur grand regret, renoncer à établir ce prix de revient et se contenter, comme nous, des renseignements que fournissent nos comptes rendus.

Mon honorable ami, M. Descamps, a été, je le reconnais, beaucoup plus pratique, en demandant que l'administration voulût bien compléter ces renseignements et les présenter sous une forme qui permît d'en saisir plus aisément le caractère et l'importance.

Il m'est impossible, messieurs, de ne point faire remarquer à la Chambre l'arithmétique fantaisiste de l'honorable M. Brasseur, quand il s'agit du taux d'exploitation. Nos recettes, en 1869, ont été de 43 millions ; nos dépenses de 24 millions. Le taux d'exploitation, je le supposais très naïvement, était donc 55-53 p. c.

Non point, dit l'honorable M. Brasseur, et voici comment il s'exprime :

« Sans doute, l'Etat fait une recette de 45 millions, mais il doit en donner environ quatre aux compagnies. Dès lors, il ne lui reste plus que 39 millions pour sa part, pour son réseau.

« Par conséquent, la proportion doit être établie entre 39 et 24 millions et non pas entre 43 et 24.

« En d'autres termes, vous exploitez environ 550 kilomètres appartenant à l'Etat ; vous en exploitez, en outre, environ 330 appartenant à des compagnies. La recette brute s'élève à 43 millions, mais de ces 43 millions vous devez en donner quatre (chiffre rond) à ces mêmes compagnies qui laissent à votre charge tous les frais d'exploitation. Vous ne recevez donc en réalité que 39 millions. Par conséquent, je le répète, la proportion doit s'établir entre 39 et 24 et le coût d'exploitation vous revient à 60 3/10 p. c. et non pas à 55 p. c. »

En vérité, messieurs, je ne puis m'empêcher de frémir en songeant à quel chiffre va s'élever le taux d'exploitation pour 1871, si l'arithmétique fantaisiste de l'honorable M. Brasseur prévaut auprès de l'honorable ministre des travaux publics. A partir du 1er janvier 1871, en effet, l'Etat exploite 601 kilomètres repris à la compagnie des Bassins houillers. Si donc l'on déduit des recettes brutes de l'exercice 1871, la rente payée à la Société générale d'exploitation, le taux d'exploitation va s'élever au moins à 70 p. c. Et pour peu que la Société générale d'exploitation construise, comme je l'espère bien, les lignes du nouveau réseau, je ne sais vraiment à quel chiffre fabuleux va s'élever le taux d'exploitation.

L'administration des chemins de fer de l'Etat belge verra ainsi sa réputation compromise aux yeux du monde des chemins de fer en Europe.

La vérité, messieurs, est que le mode adopté par l'administration des chemins de fer et que la Chambre n'a jamais critiqué, est le seul rationnel.

Le taux d'exploitation (et je demande pardon à la Chambre de devoir dire des choses aussi élémentaires ), le taux d'exploitation s'établit entre la recette brute et la dépense, sans tenir compte évidemment de l'emploi du produit net, soit qu'on l'applique à payer les frais d'intérêt et d'amortissement des capitaux employés à la construction de certaines lignes, soit qu'il serve à payer la rente des lignes construites par des compagnies et exploitées par l'Etat.

Cette découverte du taux d'exploitation amène l'honorable M. Brasseur à en faire une seconde, à laquelle ni le gouvernement ni les Chambres n'avaient jamais songé non plus apparemment.

L'Etat exploite à perte, dit-il, les lignes affermées. Le taux d'exploitation étant de 60 3/10 et l'Etat ne recevant que 50, il y a, pour l'administration des chemins de fer de l'Etat, une perte sérieuse.

Heureusement, messieurs, que ces questions vous sont plus familières qu'à M. Brasseur et que vous n'ignorez pas qu'en dehors de la quotité attribuée à l'Etat pour l'exploitation des lignes construites par des compagnies, il y a pour l'Etat un profit indirect très considérable, selon les hommes les plus compétents, provenant de la réaction qu'exercent ces lignes sur le réseau de l'Etat, en y amenant un grand accroissement de trafic.

Enfin l'honorable M. Brasseur s'étonne de voir sans cesse le prix de premier établissement augmenter sans que les lignes s'allongent. Il paraît que quand la ligne ne s'allonge pas, la dépense faite est stérile, et cette progression du coût de construction des lignes qui ne s'étendent point est l'indice certain d'un gaspillage inintelligent de l'ancienne administration.

Me voilà encore obligé d'apprendre à l'honorable M. Brasseur que la construction de haltes, de stations nouvelles, l'agrandissement de stations anciennes, comme périmètre, voies, pavages, que l'établissement de hangars pour marchandises, de remises pour locomotives et voitures, et enfin que l'augmentation du matériel, toujours insuffisant au gré des industriels, que tout cela constitue des dépenses aussi fructueuses qu'utiles puisqu'elles témoignent de l'accroissement considérable du trafic qui les rend nécessaires.

Quant à moi, j'espère que, dans un avenir peu éloigné, nous verrons encore augmenter sensiblement nos dépenses de premier établissement.

J'espère voir, comme preuve de la prospérité de mon pays, certaines de nos lignes avoir quatre ou cinq voies et coûter cinq ou six cent mille francs par kilomètre, comme certaines lignes en Angleterre.

Les critiques adressées à l'administration des postes et au service des télégraphes ne sont pas plus fondées que celles adressées à l'administration des chemins de fer, mais elle sont plus étranges.

Voici comment s'exprime M. Brasseur :

« Un mot encore, messieurs, et je termine. Je veux parler un instant de la poste aux lettres et du télégraphe.

« Dans le compte rendu du budget, je n'ai rencontré aucun renseignement qui pût me guider sur la question de savoir si nous faisons des pertes ou des bénéfices pour le transport des lettres.

« Il y a un certain nombre d'années, on a procédé à une réforme un peu radicale ; on a réduit le port des lettres pour l'intérieur au taux uniforme de 10 centimes.

« J'aurais voulu, messieurs, connaître l'effet de cette réforme et les conséquences financières qu'elle a eues pour le trésor. Mais je n'ai rien (page 1390) trouvé dans les documents qui nous ont été remis. Je prierai donc le gouvernement de combler cette lacune dans le travail de l'année prochaine, afin que nous puissions examiner s'il n'y aurait pas lieu de revenir à l'ancien tarif ou à un tarif intermédiaire.

« Qu'on ne fasse pas de bénéfices, je le conçois ; qu'on considère les chemins de fer, les postes et le service des télégraphes comme un service public, c'est la une question à débattre plus tard, quand les capitaux auront été amortis, mais au moins qu'on ne demande pas à l'Etat qu'il se constitue en perte. »

Je ne comprends pas vraiment qu'on tienne, dans cette enceinte, un langage qui trahit une absence complète d'examen des questions dont on parle.

Je suis confus de devoir dire à l'honorable M. Brasseur que cette réforme opérée il y a quelques années, comme il le dit, a été consacrée par la loi du 13 mai 1870. Elle a, Dieu merci, une portée économique et financière trop considérable pour qu'il soit permis à un représentant de ne pas la connaître.

Cette loi n'a été mise en vigueur que le 1er juin 1870 ; par conséquent, le budget qui a paru quelques mois après ne pouvait en donner les résultats. Mais cette indication que, malgré ses recherches, l'honorable M. Brasseur n'a trouvée nulle part, savez-vous où elle se trouve ? Dans le rapport de la section centrale du budget des travaux publics que nous discutons eh ce moment, à la page 41.

Le budget des voies et moyens pour l'exercice 1872, à la page 9, indique que les résultats de la réforme opérée en 1870 ont dépassé les prévisions.

J'ajoute encore, mais pour l'honorable M. Brasseur, qui est probablement le seul à l'ignorer dans cette enceinte, que la poste est un service public qui produit au trésor des bénéfices considérables et que 41 p. c. des recettes sont attribués au fonds communal.

Il n'y a donc pas lieu de délibérer si on privera le pays des bénéfices de la dernière réforme postale.

Quant au service des télégraphes, l'honorable M. Wasseige a fait connaître à M. Brasseur que, déduction faite de tous les frais de construction, d'entretien et de personnel, le service du télégraphe a produit au pays un excédant de 600,000 francs jusqu'en 1869 et que le boni de 1870 s'est élevé à 116,000 francs.

Tout cela se trouve dans une vingtaine de documents, budgets des travaux publics, budgets des voies et moyens, lois de crédits spéciaux, dont la plupart de date récente, et que sans grand travail l'honorable M. Brasseur eût pu consulter.

Je dis qu'il y a une inqualifiable légèreté à venir ainsi attaquer les actes d'une administration lorsqu'on ne prend pas la peine de les examiner et de les connaître.

Je dis que c'est manquer de respect à cette assemblée que de supposer que ses membres soient ainsi restés dans l'ignorance des résultats produits par des services aussi importants que la poste et le télégraphe, en attendant qu'un homme providentiel vînt projeter la lumière sur toutes ces questions. (Interruption.)

J'arrive, messieurs, à la question de la réforme de 1866.

Quelques actes posés par mon honorable prédécesseur et par moi-même, et se rattachant à l'exploitation des chemins de fer, ont longtemps servi de thème à l'opposition. La convention Van Gend, le traité conclu avec le Great Eastern Railway, que l'on a appelé la convention Hüger, et enfin la réforme des tarifs ont été dans cette enceinte, et dans la presse catholique surtout, l'objet de critiques acerbes.

Aussi j'ai vu avec un étonnement qui n'était pas exempt de satisfaction, que non seulement la convention Van Gend vit encore, mais que l'examen auquel s'est livré mon honorable successeur lui a prouvé que ce qu'il avait de mieux à faire c'était de la maintenir, au moins provisoirement.

Quant au traité conclu avec le Great Eastern Railway, il a servi de modèle à plusieurs traités analogues faits avec des compagnies et dont la nomenclature se trouve dans le rapport de la section centrale.

Les tarifs décrétés par arrêté royal du 20 mars 1866, et mis partiellement à exécution le 1er mai de la même année, n'auront, malheureusement, pas le même sort.

L'honorable ministre, à la fin de son discours d'hier, nous a déclaré qu'il était résolu à sacrifier une réforme dont les membres de la droite aussi bien que les membres de la gauche avaient accueilli l’annonce par une approbation unanime, que je ne puis m'empêcher de rappeler aujourd'hui.

Le 7 mars 1865, l'honorable M. Vanderstichelen déposait à cette tribune un projet de loi ayant pour but d'autoriser temporairement le gouvernement à modifier par voie administrative les tarifs des voyageurs et des bagages sur les chemins de fer de l'Etat.

Après avoir, dans l'exposé des motifs, parcouru rapidement les diverses étapes qui avaient marqué la réforme du tarif des marchandises et avoir envisagé les résultats obtenus, mon honorable prédécesseur s'exprimait ainsi :

« En résumé, depuis 1858, c'est-à-dire, en huit années, le tarif des marchandises a été abaissé, en moyenne, de 28 p. c.

« Le public a expédié 2,706,000 tonnes en plus en économisant plus de 20,000,000 de francs sur les frais de transport.

« Le trésor public a encaissé 5,781,000 francs de plus, après avoir soldé et ses frais d'exploitation et ses dépenses de premier établissement.

« En présence de cette situation prospère, le gouvernement s'est demandé si le moment n'est pas venu de se préoccuper de la seconde partie du problème des transports à bon marché, s'il ne convient pas, en d'autres termes, d'appliquer au service des voyageurs les principes qui ont donné des résultats aussi satisfaisants dans celui des marchandises.

« Le gouvernement est d'avis que les facilités et le bon marché des déplacements sont, en principe, aussi féconds en bienfaits pour toutes les classes de la société que peut l'être le transport économique des marchandises pour les producteurs et pour les consommateurs. »

Le. principe de la réforme était donc nettement défini.

Fut-il combattu dans la séance du 5 juin suivant, quand la discussion s'engagea sur ce projet de loi ? En aucune façon. Deux orateurs seulement y prirent part.

Tous deux donnaient au gouvernement une adhésion complète, engageant vivement l'honorable M. Vanderstichelen à marcher résolument dans la voie dans laquelle il s'était engagé.

« Messieurs, disait un des hommes les plus justement considérés de la droite, l'honorable M. de Naeyer, le projet de loi actuel a pour objet d'appliquer au transport des voyageurs la réduction proportionnelle à raison des distances.

« J'applaudis fortement à cette idée parce que je crois qu'elle s'appuie sur un principe de justice. Il est juste, en effet, que la taxe que le gouvernement perçoit, à raison de certains services qu'il rend, soit mise en rapport avec la dépense que ces services occasionnent. Or, il est évident, cela ne sera contesté par personne, que la dépense kilométrique, en ce qui concerne les transports effectués par le chemin de fer, diminue à raison de l'allongement des parcours. Par conséquent, il est juste aussi que la taxe kilométrique diminue dans une proportion sensiblement égale. »

Ah ! messieurs, je n'eusse point pu trouver de voix plus autorisée, plus aimée de nous tous, que celle de l'honorable M. de Naeyer pour démontrer la justice du principe de la réforme et nous venger ainsi de l'injure qu'adresse M. Brasseur aux Chambres et au gouvernement de 1866, en les accusant d'avoir conçu ou consacré un principe de spoliation.

En terminant son discours, l'honorable M. de Naeyer engageait vivement l'honorable M. Vanderstichelen à ne pas différer plus longtemps la réforme du tarif des petites marchandises.

Ce projet de loi fut voté dans cette enceinte à l'unanimité des 77 membres présents, parmi lesquels se trouvait l'honorable M. Wasseige.

L'attitude du Sénat ne fut pas moins encourageante.

Après quelques observations présentées par l'honorable vicomte Vilain XIIII, qui engageait le gouvernement à opérer sa réforme avec prudence et sagesse, le projet de loi fut voté à l'unanimité des 32 membres présents.

L'honorable M. Malou était un des 32 sénateurs qui consacraient par ce vote l'application au transport des voyageurs du principe qui avait produit de si heureux résultats appliqué au transport des marchandises.

Les événements ne furent pas favorables à la réforme.

Une guerre sanglante, une épidémie cruelle exercèrent sur les recettes des chemins de fer l'influence la plus néfaste. Le résultat de l'exploitation des chemins de fer, en 1866, fut très défavorable et plus d'une compagnie de chemin de fer éprouva de sérieux mécomptes, lorsqu'il fallut dresser le bilan de cet exercice.

Le moment parut favorable pour attaquer la réforme.

On se prit à dire qu'elle était la seule cause de la situation dont souffraient non seulement le trésor public, mais les nombreux actionnaires de nos compagnies de chemins de fer.

L'honorable M. Malou se chargea de le démontrer. Il fit paraître successivement trois brochures écrites, je dois le dire, avec une passion que ne comportait guère le sujet et qui fit plus d'une fois dépasser à leur auteur les limites permises même à cette bonhomie railleuse qui est une des faces du talent d'écrivain de l'honorable sénateur.

Ces brochures avaient pour but d'établir que les expériences tentées à l'étourdie par l'honorable M. Vanderstichelen et son successeur avaient coûté 9 millions au trésor public.

(page 1391) Ayant parlé seul, mais jugeant la cause suffisamment entendue, l'honorable M. Malou concluait ainsi :

« Je conclus à ce qu'il plaise au gouvernement et aux Chambres de rétablir les taxes kilométriques primitives existant avant le 1er mai 1836 pour le transport des voyageurs, soit 8, 6 et 4 centimes, avec surtaxe de 25 p. c pour les express des trois classes. Ces taxes acquittées pendant de longues années n'avaient jamais soulevé de plaintes. J'estime qu'il n'y a pas lieu de condamner les expérimentateurs aux dépens ou dommages-intérêts, mais qu'il faut généreusement, s'ils promettent de ne pas récidiver, passer par profits et pertes les 8 ou 9 millions que cela coûte au trésor. »

L'honorable M. Malou était bon prince, comme vous le voyez, messieurs ; il ne demandait ni la tête ni la fortune des étourdis qui avaient ainsi compromis le trésor public.

J'ai été appelé à diverses reprises, soit dans cette enceinte, soit au Sénat, a m'expliquer sur la réforme. Toujours j'ai demandé qu'on permît à l'expérience de s'achever dans des conditions qui permissent aux esprits impartiaux de porter un jugement sérieux.

J'ai dit tout à l'heure quelles causes imprévues avaient compromis les recettes des chemins de fer en 1866.

En 1867, au contraire, l'exposition de Paris avait créé des courants de transports qui exercèrent sur la recette une influence très considérable, mais dont l'importance ne pouvait être suffisamment dégagée des résultats de la réforme, pour qu'il fût possible d'apprécier sûrement ceux-ci.

L'année 1868, exempte d'influences pernicieuses ou exceptionnellement favorables, devait seule permettre d'apprécier si les résultats obtenus avaient trompé les espérances de l'honorable M. Vanderstichelen ou si, au contraire, ils avaient réalisé ses prévisions.

C'est, messieurs, ce qu'a établi le rapport que j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre, le 9 décembre 1869, sur les résultats de la réforme introduite le 1er mai 1866.

Il aboutissait à des chiffres qui étaient la condamnation du jugement porté si prématurément par M. Malou.

La réforme en réalité n'avait coûté au trésor public que 600,000 francs au lieu des neuf millions indiqués par M. Malou. Elle avait en outre provoqué un mouvement de 500,000 voyageurs en plus.

L'honorable M. Malou, qui avait écrit trois brochures avant la publication de ce rapport, n'a pas jugé utile d'en publier une quatrième pour combattre les conclusions de ce rapport et défendre son chiffre de neuf millions, qui avait dû vivement impressionner l'esprit des lecteurs peu familiarisés avec toutes les questions qui se rattachent à. l'exploitation des chemins de fer.

Le silence de l'honorable M. Malou leur aura semblé inexplicable. Ils auront moins compris encore son abstention pendant son passage au pouvoir. L'honorable M. Malou s'est trouvé en situation mieux que personne de mettre à exécution le jugement qu'il avait prononcé. Revenir au barème antérieur à la réforme était chose facile à l'honorable sénateur. Tout puissant aux départements des travaux publics et des finances, tout le monde se fût incliné devant l'autorité que lui donnaient à bon droit dans le nouveau cabinet son intelligence, ses aptitudes financières et son expérience des affaires de chemin de fer. Il n'en fit rien pourtant et il quitta le pouvoir, laissant debout cette réforme qu'il avait attaquée véritablement avec passion.

C'est à l'honorable M. Wasseige qu'il a laissé le soin d'exécuter la sentence prononcée il y a deux ans.

Si quelques compagnies de chemins de fer applaudissent à la déclaration que l'honorable M. Wasseige a faite à la fin de la séance d'hier, si des intérêts privés y trouvent leur compte, le pays l'aura appris avec stupeur, en présence surtout de l'excellente situation financière de nos chemins de fer.

Si je ne consultais, messieurs, que l'intérêt de mon parti, je n'hésiterais pas à me réjouir de l'attitude du gouvernement dans cette question. Cette attitude fera naître dans le pays le plus vif et le plus légitime mécontentement.

Mais je ne saurais songer qu'aux conséquences fâcheuses que le retour à l'ancien barème de 1866 doit avoir, à mon sens, pour l'avenir de l'exploitation de nos chemins de fer, pour le développement de nos relations commerciales et surtout pour nos classes laborieuses. La réforme avait, en effet, pour elles des avantages considérables, au point de vue matériel et moral.

Quels étaient, messieurs, les divers résultats que le gouvernement avait en vue en décrétant la réforme de 1866 ?

Diminuer le prix des voyages, en réduire la durée et multiplier les départs, tel était le programme dont l'exécution, dans la pensée de l'honorable M. Vanderstichelen, devait accroître, dans une proportion considérable, les services rendus par le chemin de fer de l'Etat, sans sacrifices sensibles pour le trésor public.

Non seulement, en effet, les chemins de fer devenaient plus utiles à ceux qui s'en servaient déjà, mais on les rendait ainsi accessibles à certaines classes de la population, pour lesquelles ils n'existaient pas d'une manière pratique.

Nous comptions, en outre, y trouver, pour l'exploitation du chemin de fer, la solution d'un problème important, dégager du mouvement à petite distance les trains transportant les voyageurs à longs parcours.

En réduisant la durée des voyages, on arrivait presque aussi sûrement que par la réduction des prix à une nouvelle augmentation du mouvements.

On pouvait prévoir ainsi le moment où le transport des voyageurs à long parcours s'effectuerait par trains complets.

Dès lors, non seulement l'exploitation devenait moins coûteuse, mais on arrivait à ce résultat bien autrement important de pouvoir multiplier impunément en quelque sorte les stations d'un ordre inférieur qui rendent tant de services aux populations agricoles et développent le chiffre de la circulation.

A combien d'usines n'ont pas donné naissance toutes les stations établies par nous dans ces dernières années !

Il n'est pas un de vous, messieurs, qui n'ait eu l'occasion de constater quelle somme d'aisance et de bien-être apporte au milieu de populations relativement pauvres la création de centres industriels dont la proximité d'une station est aujourd'hui une condition indispensable d'existence.

Et combien d'usines anciennes n'ont point doublé leur production le jour ou une station nouvelle réduisait les prix de transport du combustible et des matières premières ou des produits fabriqués !

Ainsi, dans la zone de sept lieues et moins, où les prix anciens étaient maintenus, la réforme procurait cependant aux populations un avantage presque aussi considérable qu'une réduction de prix sur les relations établies, c'est-à-dire l'établissement de relations nouvelles.

Mes honorables collègues, MM. Braconier, Boucquéau, Descamps, Vermeire ont fort simplifié ma tâche, ils ont indiqué hier, avec la légitime autorité de leur parole en cette matière, la justice et l'utilité de la taxe différentielle.

Mon honorable ami, M. Sainctelette, en établira la fécondité pour le développement du travail industriel et des relations commerciales.

Mais, messieurs, il est une face de cette question qui me tient surtout à cœur et que les adversaires de la réforme ont étrangement défigurée.

C'est son caractère démocratique, humanitaire, c'est son influence sur la condition matérielle et morale de nos classes laborieuses. Elle élargit le champ de leur travail. Elle contribue, dans une large mesure, à maintenir et à resserrer chez elles les liens de famille, dont le respect occupe une si grande place dans l'ordre de ces principes de morale dont le développement marque plus sûrement les progrès de la civilisation que toutes les conquêtes qui s'accomplissent dans l'ordre matériel.

On l'a dit bien souvent dans cette enceinte : au-dessus des préoccupations politiques qui agitent le monde s'élève la question du travail.

Les dissentiments qui nous séparent, les passions qui nous agitent, les difficultés politiques dans lesquelles se débattent de grandes nations et qui paraissent inextricables, tout cela sera peut-être apaisé ou résolu sans que la question sociale ait fait un pas vers la solution qui seule, cependant, peut assurer la sécurité des sociétés modernes.

Aussi, messieurs, et depuis longtemps, est-ce d'après l'influence directe ou indirecte qu'elles ont sur la condition des travailleurs que l'on juge la valeur des réformes accomplies ou tentées par les hommes d'Etat.

C'est ce qui, dans l'histoire politique de ces vingt dernières années, assignera une place si importante à la réforme douanière, à la réforme postale, à celle des tarifs des chemins de fer, trois des nombreuses réformes accomplies par le gouvernement et la majorité libérale et dont l'honneur revient, pour une grande partie, à mon honorable ami, M. Frère-Orban.

Dans le merveilleux développement de la production qu'amène la liberté des échanges, quels sont les faits économiques qui frappent le plus le philosophe et l'économiste ? C'est la hausse des salaires qui, avec l'abondance et le bon marché relatif des céréales et la réduction du prix des produits manufacturés, nécessaires à la vie des travailleurs, ont chassé la misère, cette mauvaise conseillère, de la demeure de l'ouvrier, s'il est d'ailleurs actif et prévoyant.

La réforme postale vint apporter un puissant concours à l'activité des échanges. Mais dans nos statistiques postales, interrogez avec intérêt, à côté de ce développement considérable des correspondances dans les (page 1392) centres commerciaux et industriels, le développement de la correspondance dans les communes rurales. Il y a là l'indication sérieuse d'un progrès important que le développement de l'instruction du peuple viendra compléter.

La distance n'enlève plus désormais à la famille son influence morale et civilisatrice. Quel était, il y a trente ans à peine, la condition des malheureux qui, n'ayant pour subsister que le travail de leurs bras, étaient chassés par la misère de l'habitation paternelle ? Ils s'en allaient se demandant s'ils reverraient jamais, avec les êtres aimés qu'ils laissaient derrière eux, ce village dont le souvenir est si vivace au cœur de nos ouvriers.

S'ils émigraient à l'étranger, tout lien était rompu. Ceux qui savaient écrire ne songeaient pas même à profiter de cette faculté ; le port d'une lettre dépassait parfois le prix d'une journée de travail.

Aussi que d'amertumes et de misères dans ces pauvres et tristes demeures ! Les vieux parents demeurés seuls se demandaient si la mort n'avait point enlevé leurs enfants et, dans le cœur de ceux-ci, le temps effaçait le souvenir de la famille, l'image de la mère dont la pensée est souvent la seule sauvegarde contre les tentations dont nos villes entourent les malheureux.

Ces temps ne sont pas loin et pourtant quelle transformation ? La réforme postale a amené un échange de lettres considérable dans le domaine des relations dont je parlé. Grâce aux conventions postales conclues avec les grandes nations de l'Europe, que l'on soit au fond de la France, de l'Italie, de l'Allemagne, de l'Angleterre, non seulement l'on peut s'écrire moyennant une sommé infime, mais l'on peut presque chaque semaine prélever sur le salaire là petite somme qui, avec le souvenir du père, du mari ou de l'enfant, apportera un peu de bien-être dans la pauvre habitation qu'il aura dû quitter.

M. Dumortier. - Et les cartes-correspondance ?

M. Jamar. - Nous en parlerons, si vous voulez, au chapitre Postes.

La réforme des tarifs des chemins de fer est venue compléter l'œuvre. L'éloignement cesse d'être, pour les membres d'une famille pauvre, cette séparation cruelle et souvent définitive qu'elle était auparavant.

Mais, messieurs, la réforme à exercé sur la condition matérielle des classes pauvres une influence bien autrement importante et que l'honorable M. Vermeire a déjà signalée : elle a élargi pour elles le champ du travail : elle a atténué les conséquences désastreuses de ces crises commerciales et industrielles qui éclatent avec une intensité et une soudaineté effrayantes et qui sont comme la rançon de la prospérité de l'industrie moderne.

Un des caractères de celle-ci est de grouper sur un même point les établissements qui concourent à la production des produits similaires. Verviers et ses environs absorbent presque seuls l'industrie de la laine ; Gand représente, pour une part importante, l'industrie du lin et du coton ; l'industrie métallurgique a des centres à Liège et a Charleroi. Il en est ainsi d'un grand nombre d'industries.

Qu'une crise éclate dans l'une d'elles, et des milliers de travailleurs sont inoccupés, sans pouvoir trouver, dans un rayon étendu, d'autre mode d'utiliser le travail de leurs bras.

Les bas prix de nos chemins de fer leur permet de se rendre sur n'importe quel point du pays où un travail offert leur permet d'attendre que la crise ait cessé.

Ainsi, sans intervenir dans le règlement des salaires entre les maîtres et les ouvriers, vous arrivez, en favorisant l'accès de ceux-ci aux points où le travail abonde, à prévenir l'avilissement du salaire qui est toujours une plaie et un danger social dans les parties du pays où le travail est rare.

Sont-ce là, messieurs, de simples prévisions, de pures hypothèses qu'un avenir éloigné devait seul réaliser ? Examinons donc, seulement dans les résultats de la réforme, quelques chiffres qui s'appliquent aux idées que je viens d'émettre.

La réforme introduite partiellement le 1er mai 1866 maintenait les prix établis par les lois de 1851 et 1854 pour les parcours de sept lieues et moins.

La secondé zone comprenait les parcours de 8 à 15 lieues qui subissaient une réduction transitoire de 9 à 4.3 p. c. de la 8ème à la 15ème lieue.

Les parcours de 16 lieues et plus, comprenant la troisième zone, avaient seuls subi toute la réduction prévue par l'article 1er de l'arrêté du 20 mars 1866.

Le chiffre du mouvement dans les trois zones indique d'une manière irréfutable les résultats de la réforme.

Dans la première zone, pour laquelle les prix avaient été maintenus, l'augmentation n'avait été que de 15 p. c. en moyenne pour les voyageurs des deuxième et troisième classes.

Le nombre des voyageurs de la 2ème classe s'est accru au contraire de 33.47 dans la deuxième zone, et de 81.26 dans la troisième zone.

Pour les voyageurs de la 3ème classe, l'augmentation a été de 24.61 dans la deuxième zone, et de 66.88 dans la troisième zone.

Les chiffres sont, à mon sens, indiscutables.

Ainsi, dans la première zone, où le prix est maintenu, l'augmentation n'est que de 13 p. c, tandis qu'elle s'élève de 24 à 81 p. c. dans les zones où opère la réduction transitoire ou définitive.

Celte face de la question, messieurs, a particulièrement préoccupé les membres des deux commissions instituées par le gouvernement et le parlement anglais en vue d'examiner la situation des chemins de fer en Angleterre et en Irlande.

Les membres de cette dernière commission venus en Belgique pour se rendre compte des résultats des expériences tentées chez nous.

Il suffit de lire leur rapport pour voir avec quelle sympathique attention ces expériences étaient suivies. Quant à la presse anglaise, ses organes les plus importants, le Daily News, le Saturday Review, l’Economist, n'ont eu que des éloges pour cette réforme qui, d'après eux, fait le plus grand honneur aux Chambres et au gouvernement belge.

Ce n'est pas en Belgique seulement, messieurs, que, condamnant un système insuffisamment expérimenté, on l'abandonne pour revenir à d'anciennes pratiques dont on attend, à tort, un meilleur résultat.

Voici ce que dit à cet égard, dans un des journaux dont j'ai parlé tout à l'heure, un homme qui, en Angleterre, jouit d'une réputation bien méritée, M. Samuel Smiles, ancien secrétaire du South Eastern railway :

« Partout où les compagnies de chemin de fer ont eu le courage et la sagesse d'adopter le système des bas prix, ce système a été invariablement couronné de succès, principalement là où se trouvaient des populations nombreuses à desservir. Mais parmi ces compagnies, beaucoup ne l'ont adopté qu'à demi, par manière d'acquit et ont été trop disposées à revenir au système inintelligent d'élever les taxes d'une manière générale, dans l'espoir d'augmenter les dividendes, quoique le résultat le plus habituel ait été d'accroître seulement l'irritation et le mécontentement de leurs clients. Certains directeurs ont eu autant de peine à admettre qu'une ligne peut produire davantage avec des taxes médiocres que les défenseurs de l'ancien système postal à croire au succès de la taxe à un penny. Cependant les preuves des avantages que présente le système des bas prix n'ont jamais manqué.

« D'année en année, les rapports publiés par le bureau du commerce démontrent que ce n'est pas le trafic soumis à des taxes élevées, mais le trafic favorisé de prix réduits qui croît le plus rapidement et se prête à un développement beaucoup plus considérable, que, tandis que la classe taxée à des prix élevés reste à peu près stationnaire, la classe inférieure augmente d'une manière illimitée et qu'enfin les bas prix seuls engagent les masses à voyager. »

Les réductions de tarifs décrétées, en 1866, par l'honorable M. Vanderstichelen, et qu'on n'a trouvées excessives qu'après l'insuccès partiel de la réforme en 1866, étaient-elles sans précédents dans l'histoire de nos chemins de fer ? En aucune façon.

Il en coûtait moins en 1858 pour aller de Bruxelles à Gand et à Anvers, qu'il n'en coûte encore aujourd'hui sous le régime de la réforme.

De Bruxelles à Ostende le prix de la 3ème classe n'était que de 3 fr. 50 c. et de 5 fr. 75 c. d'Ans à Ostende.

Quels développements eussent pris nos chemins de fer si l'on eût continué dans cette voie !

Malheureusement, on fit en 1859, en 1851 et en 1854 la faute qu'on sa propose de commettre encore aujourd'hui. On crut qu'il suffirait d'élever les taxes pour accroître les recettes sans comprimer le mouvement.

Dans des circonstances normales, je crois que la réforme eût été maintenue. Je pense que le gouvernement eût reculé devant l'impopularité de cette mesure, mais il y a des nécessités de situation qu'il faut subir.

Antimilitaristes avant d'entrer au pouvoir (interruption), - sans doute et je vais indiquer pourquoi l'on sacrifie la réforme, - antimilitaristes avant leur arrivée au pouvoir, MM. les ministres songent aujourd'hui, avec l'ardeur des nouveaux convertis, à augmenter les charges que, d'après leur programme, leur mission principale était de réduire d'une manière sensible.

D'un autre côté, par une singulière ironie du sort, l'année qui a vu naître le nouveau cabinet n'est pas révolue et déjà la réduction des impôts, également promise, va se traduire en une augmentation de charges.

Quelque soin que l'on prenne de la dissimuler sous des formes diverses, nous n'aurons pas de peine à en montrer l'importance et le caractère en discutant les projets de lois qui nous sont soumis.

(page 1393) Mais l'engagement pris de diminuer les impôts empêche de leur demander toutes les ressources dont on a besoin pour maintenir une bonne situation financière.

C'est aux péages qu'on compte les demander. Ce qui dans nos mains était un merveilleux levier pour le développement de notre commerce et de notre industrie et un instrument de progrès social et de bien-être pour nos classes laborieuses, va devenir avant tout pour le cabinet actuel un instrument fiscal.

Les chemins de fer vont valoir, non pas d'après l'importance des services qu'ils rendent à la communauté, mais d'après les recettes qu'ils procureront au trésor public.

N'y avait-il pas de modifications à apporter à la réforme de 1866 ?

Nous avons pris soin de les indiquer nous-mêmes comme conclusions du rapport présenté le 9 décembre 1869 et que je ne puis m'empêcher de rappeler ici :

« La plupart des grandes réformes, disions-nous, ont occasionné une diminution temporaire dans le revenu du trésor public.

« Il en a été ainsi notamment de la réforme postale.

« Il ne pouvait pas en être autrement de la réforme des tarifs pour le transport des voyageurs sur les chemins de fer de l'Etat.

« Mais il ressort de ce qui précède, que si les tarifs appliqués depuis le 1er mai 1866 ont occasionné un déficit dans les recettes des chemins de fer de l'Etat, ce déficit, qui tend à disparaître d'année en année, est loin d'être considérable.

« Rien dans les faits constatés ne saurait faire répudier le principe des tarifs différentiels appliqué au transport des voyageurs.

« On ne peut donc que se féliciter d'avoir fait les expériences qui ont été commencées.

« Les accusations dirigées contre la réforme, soit à raison du déficit qu'elle aurait engendré, soit à raison du préjudice qu'elle aurait occasionné aux compagnies, doivent maintenant tomber.

« Le gouvernement mettra fin à la situation anomale provenant de l'abaissement du prix des voyages à l'intérieur du pays et du maintien des prix élevés pour les voyages internationaux.

« Il se réserve donc de rectifier, dans l'application du principe de la réforme, les dispositions qui seraient de nature à diminuer les recettes sans développer le mouvement des voyageurs.

« Le gouvernement recherchera, par de nouvelles expériences, les mesures à prendre pour rendre plus faciles et plus économiques les voyages à petits parcours. »

Modifier dans une certaine mesure, messieurs, la quotité des réductions effectuées en 1866, n'était point porter atteinte au principe de la réforme ni l'empêcher de produire les résultats féconds que l'on était en droit d'en attendre, comme le prouvent les comptes rendus des exercices de 1868 et 1869.

Je pensais, messieurs, que le gouvernement n'eût point condamné la réforme d'une manière définitive sans discuter le rapport spécial présenté le 9 décembre 1869, sans indiquer les faits qui ne lui semblaient pas acquis à la réforme, ou dont on aurait, à tort, tiré des déductions trop favorables.

Je ne saurais concevoir qu'au moment de priver le pays des avantages considérables que les tarifs mis en vigueur le 1er mai lui assurent, le ministre ne vienne pas à cette tribune indiquer les causes qui le portent à en agir ainsi et à sacrifier une réforme acclamée par les Chambres au moment où elle fut annoncée, que l'industrie et le commerce des pays voisins nous envient, et qui n'a coûté au trésor public qu'une somme infime que l'avenir lui eût rendue avec usure. (Interruption.)

M. le président. - La parole est à M. Brasseur. Comme il y a encore beaucoup d'orateurs inscrits, je vous prierai, M. Brasseur, de vous renfermer strictement dans le fait personnel.

M. Brasseur. - Messieurs, vous devez avoir été étrangement surpris du ton d'aigreur employé par l'honorable M. Jamar dans un débat où il s'agit purement et simplement d'une question d'intérêt matériel.

Tous les orateurs qui ont parlé jusqu'à présent ont parlé avec le plus grand calme ; on s'est combattu de part et d'autre à armes courtoises.

L'honorable M. Jamar a jugé convenable de faire des attaques personnelles et tout son discours - dans sa première partie du moins - est plutôt un discours dirigé contre moi qu'un discours relatif aux chemins de fer.

Eh bien, messieurs, je vais répondre à l'honorable membre. Vous me rendrez cette justice que ce n'est pas moi qui ai provoqué ce débat. L'honorable M. Jamar s'indigne d'abord des attaques personnelles que j'aurais lancées contre un personnel aussi savant, aussi admirable que celui des chemins de fer. Il ne peut pas comprendre qu'un membre de la Chambre se soit livré, dans cette enceinte, à des critiques aussi violentes. Eh bien, je reprends mon discours et je suis à rechercher vainement les attaques que je me serais permis contre le personnel des chemins de fer.

Il n'y a pas un mot de vrai dans cette allégation, contre laquelle je proteste de toutes mes forces.

J'ai critiqué les bilans du chemin de fer, j'ai présenté modestement, mais avec conviction, quelques observations, non pas sur la structure même du bilan, que j'ai déclarée excellente, mais sur quelques postes de l'actif et du passif. Je vous le demande, messieurs, sont-ce là des attaques personnelles ?

Messieurs, je vous laisse juges de la question de savoir si j'ai attaqué qui que ce soit du corps des ponts et chaussées ou du ministère des travaux publics en général.

Si quelqu'un a du respect et un profond respect pour le corps des fonctionnaires, c'est moi qui ai été pendant treize ans fonctionnaire public moi-même. Qu'on me cite donc une ligne, un mot qui prouve que j'ai attaqué un fonctionnaire public !

L'honorable M. Jamar ajoute que j'ai tancé le cabinet antérieur de n'avoir pas établi le prix de revient. Aussi l'honorable M. Jamar a pris pour lui tout ce que j'ai dit à ce sujet. Je trouve l'honorable membre bien susceptible. Comment ! j'ai établi que depuis l'existence des chemins de fer, nous n'avons pas de prix de revient. Pourquoi l'honorable M. Jamar a-t-il pris ces critiques pour lui plutôt que pour tous ses prédécesseurs depuis 1856 ?

L'honorable M. Jamar, parlant des postes et des télégraphes, n'a pas compris l'ignorance crasse dont je me suis rendu coupable. Je n'ai rien lu ; je ne connais rien. J'avoue humblement être un ignare ; M. Jamar seul possède la vérité ; lui seul peut établir une situation exacte ; lui seul a le droit de donner des leçons à un collègue.

Voici les quelques paroles que j'ai prononcées au sujet de la poste aux lettres :

« Dans le compte rendu du budget, je n'ai trouvé aucun renseignement qui pût me guider sur la question de savoir si nous faisons des pertes ou des bénéfices sur le transport des lettres.

« Il y a un certain nombre d'années, on a procédé à une réforme un peu radicale ; j'aurais voulu connaître l'effet de cette réforme ; je n'ai rien trouvé dans les documents qui nous ont été remis. »

J'aurais dû dire : « Il y a un certain temps », au lieu de : « il y a quelques années », et alors mes paroles conservaient leur sens naturel ; je n'entendais pas demander ces renseignements dans le compte rendu précisément, mais dans un document quelconque.

M. le président. - M. Brasseur, le fait personnel prend un peu trop de développement.

M. Brasseur. - J'allais finir, M. le président. Il est impossible de rester dans le débat personnel sans parler tant soit peu du fond.

Je demandais un simple document, indiquant quel a été l'effet de cette réforme. Je crois que nous sommes en perte et je vais citer une autorité irrécusable pour l'honorable M. Jamar, c'est celle de l'honorable M. Frère-Orban. Il a proposé cette réforme à son corps défendant : il n'en voulait à aucun prix, elle lui a été imposée et elle a été opérée la veille des élections.

Vous avez fait encore une fois de cela une question politique, comme vous avez fait de la politique avec la question des chemins de fer, lors de la célèbre convention avec les Bassins houillers.

M. Jamar a eu mauvaise grâce de parler des postes ; il s'est placé là sur un terrain mauvais pour lui. Mais, encore une fois, où est ma crasse ignorance ?

M. le président. - M. Brasseur, c'est véritablement de la discussion, ce n'est plus un fait personnel.

M. Brasseur. - M. le président, j'ai fini. Je n'en ai plus que pour deux minutes.

Eh bien, messieurs, pour le télégraphe, l'honorable M. Jamar m'a attribué une pensée que je n'avais pas le moins du monde et que je n'ai pas exprimée. Il a dit : « Vous ignorez donc que le télégraphe a payé depuis longtemps ses frais d'établissement ? »

Je l'ignorais si peu, que je fus précisément interrompu à ce sujet par l'honorable M. Couvreur dans mon premier discours. Je lui ai répondu : « Qu'est-ce que cela prouve ? Je sais très bien que le télégraphe ne coûte plus rien, mais est-ce un motif pour ne pas faire payer à chaque particulier le service que l'Etat lui rend ? »

(page 1394) ' Par conséquent, la question a été largement traitée et cette ignorance accumulée dont a parlé l'honorable M. Jamar, je suis à me demander de quel côté elle se trouve.

L'honorable M. Jamar a dit qu'il fallait un homme providentiel comme M. Brasseur pour relever toutes ces erreurs que j'ai cru devoir signaler.

Je n'ai pas la prétention d'être un homme providentiel, mais, à coup sûr, M. Jamar, vous ne devez pas l'avoir non plus.

Vous avez été ministre des travaux publics et votre passage aux affaires n'a été marqué que par deux actes qui sont aujourd'hui jugés : les cartes-correspondance et la convention du 24 avril pour la reprise des chemins de fer des Bassins houillers.

M. Jamar. - Je m'en vante.

M. Brasseur. - Vous devez parler ainsi, mais le public n'est pas de votre avis. Dans tous les cas, on ne vous reconnaîtra jamais comme un homme providentiel.

M. Jamar. - Je n'ai pas la prétention d'être un homme providentiel.

M. Brasseur.-Ni moi non plus. Nous nous trouvons donc, sous ce rapport, sur la même ligne. Nous sommes de simples mortels assis l'un à côté de l'autre ; l'un ayant inventé la pauvre carte-correspondance et signé cette fameuse convention qui restera célèbre dans l'histoire des chemins de fer et qui aura des conséquences graves pour le pays, vous le verrez ; l'autre, ayant discuté sans fiel, avec modestie et sans prétention aucune, quelques questions d'intérêts matériel qui intéressent le pays tout entier.

(page 1383) M. le président. - La parole est à M. Sainctelette.

M. Sainctelette. - Je désire ne prendre la parole que demain.

M. le président. - Nous pourrions entendre un orateur qui en a pour moins de temps. Si l'honorable M. David voulait parler.

M. David. - J'en ai pour longtemps aussi.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. Jacobs, ministre des finances. - A ce soir !

M. le président. - Je crois que nous désirons tous hâter la conclusion de cette discussion et le vote du budget.

La Chambre est-elle disposée à se réunir ce soir ?

- Voix nombreuses. - Non ! non !

M. De Lehaye. - Que l'on continue la discussion.

M. Vermeire. - Messieurs, je n'ai pas la prétention de répondre aux différents discours de l'honorable M. Brasseur. Je désire seulement faire remarquer qu'il y a des contradictions dans les arguments présentés (page 1384) par l’honorable membre. Pour le prouver, je n'ai qu'à établir deux points : c'est que, d'une pari, l'honorable membre est d'avis que le chemin de fer est dans de bonnes conditions et que, d'autre part, il émet l'opinion que, sous le rapport financier, le chemin de fer est constitué en perte.

Voici ce qu'il dit dans un de ses discours :

« En redressant tous les postes et en y faisant figurer les sommes qui y ont été omises, vous arriverez, certainement, à la conclusion, qu'au 31 décembre 1869, l'exploitation des chemins de fer de l'Etat s'est soldée par un mali. »

M. Brasseur dit que si les 63 millions de bénéfices accusés par l'Etat existaient réellement, il y aurait lieu de réviser les tarifs et de les réduire, afin d'empêcher qu'ils ne pussent être considérés comme un impôt caché.

Mais, ajoute M. Brasseur, les 63 millions ne constituent qu'un amortissement.

Si on porte à l'article Recettes, une somme de (pour le minimum de Braine à Gand) 150,212 fr. 18 c. et pour les capitaux amortis 75,055,653 fr. 18 c.

Ensemble : 95,183,845 fr. 66 c.

On porte, d'autre part, dans les dépenses :

Capitaux employés à l'amortissement : 78,421,707 fr. 59 c.

Frais d'amortissement : 392,803 fr. 95 c.

Frais relatifs aux emprunts : 3,119,044 fr. 26 c.

Total : 81,933,555 fr. 78 c.

Vous voyez que les observations de M. Brasseur ne sont pas fondées, puisque les sommes affectées à l'amortissement ont été portées aussi bien en recettes qu'en dépenses.

L'honorable membre dit que l'Etat exploite à des conditions trop onéreuses, parce que le rapport entre les recettes et les dépenses est trop élevé ; et, si le compte rendu constate que, sous ce rapport, il y a amélioration ; que le rapport de la dépense, de 1867 a 1869, est descendu de 60.73 p. c. à 55.53 p. c. ; l'honorable membre n'admet point ce chiffre parce que, dit-il, nous comprenons dans nos recettes celles que nous faisons pour certaines compagnies et que, au lieu d'établir le rapport entre 43 et 24, ce rapport devrait être fait entre 39 et 24, ce qui, au lieu de 55 aurait donné 60 p. c. de dépenses contre 40 p. c. de recettes.

J'ai déjà, à plusieurs reprises, fait remarquer que ce rapport ne prouve rien, parce qu'il peut, à chaque exercice, se modifier ; d'abord par l'importance plus ou moins grande du tarif et ensuite, par le coût plus ou moins élevé des matières indispensables à l'exploitation.

En examinant les opérations dans leur ensemble, on arrive à constater que, loin de nous constituer en perte, le chemin de fer nous donne un bénéfice et que ce bénéfice va toujours en augmentant.

J'aurais encore quelques observations à présenter, mais d'autres orateurs ayant traité les points sur lesquels elles porteraient, je crois pouvoir m'en dispenser.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.