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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 8 juin 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1369) M. de Borchgrave procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Vrints donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Borchgrave présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Louvain présente des observations contre la disposition du projet de loi modifiant la loi d'impôt qui abroge les exemptions établies par la loi du 28 mars 1828 au profit des maisons neuves. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Forchaux demande que la loi consacre le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »

« Même demande d'habitants de communes non dénommées. »

- Renvoi a la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.


« Des habitants de Chaumont-Gistoux prient la Chambre de rejeter les augmentations de l'impôt foncier proposées par le gouvernement. »

« Même demande d'habitants et du conseil communal de Rebecq-Rognon. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi modifiant des lois d'impôt.


« Les sieurs Rondeau, président et Schuerwegen, secrétaire de la société de Vanderschoepenzonen, demandent une loi déclarant que la langue flamande est mise sur le même pied que la langue française. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.


« Le conseil communal d'Ethe demande que le gouvernement lève la prohibition du bétail à la sortie sur la frontière d'Athus à la mer ou, du moins, qu'il rende libre la frontière française qui louche à la province de Luxembourg. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Des habitants d'Havelange prient la Chambre d'accorder au sieur Duwez la concession d'un chemin de fer d'Hastière à Pepinster. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Peeters demande qu'il soit statué sur sa demande de place. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la pétition rappelée.


« MM. de Liedekerke et d'Hane-Steenhuyse demandent un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. Reynaert. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission des naturalisations sur une demande de naturalisation ordinaire.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et l'objet qu'il concerne mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics pour l’exercice 1871

Discussion du tableau des crédits

Chapitre IV. Chemins de fer. Postes-Télégraphes

M. le président. - La parole est continuée à M. Le Hardy.

(page 1380) M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, dans la séance d'hier, je me suis surtout attaché à démontrer que si les chemins de fer exploités par l'Etat n'avaient pas donné les résultats annoncés dans les rapports annuels, cela était dû à diverses causes et notamment à certains vices dans la construction des chemins de fer, vices qui entraînaient une exploitation plus coûteuse tout en diminuant les recettes.

Aujourd'hui je vous demanderai la permission de m'occuper spécialement de l'exploitation et de l'administration.

L'exploitation influe nécessairement d'une façon très directe sur les résultats et l'administration également, de sorte que ces deux éléments doivent nécessairement être passés en revue.

L'exploitation des chemins de fer, messieurs, comme vous le savez, exige deux sortes d'instruments : des instruments fixes, qui sont les stations et leurs ameublements, et des instruments mobiles, qui sont les locomotives et les voitures.

On a déjà fait remarquer, je crois que c'est l'honorable M. Brasseur, que l'administration des chemins de fer entraînée, il faut bien le dire, par les exigences des administrations communales, et jusqu'à un certain point par les exigences du public, construit des stations monumentales très coûteuses et sacrifie à l'aspect extérieur des sommes considérables, lesquelles sommes naturellement pèsent sur les résultats financiers du chemin de fer.

Mais ce né serait là, en quelque sorte, qu'un mal accessoire. Le mouvement des chemins de fer est tellement considérable, que quelques millions dépensés plus ou moins utilement influeraient très peu sur les résultats, s'ils n'étaient souvent une cause de non-exécution de travaux plus utiles ; mais il est arrivé que l’administration des chemins de fer, outre qu’elle a fait des stations monumentales très coûteuses, n’a pas établi ce qu’elle aurait dû faire avant tout : les installations de mouvement qui sont nécessaires.

De là, messieurs, comme vous l'a fait remarquer l'honorable M. Sainctelette, des difficultés et des lenteurs dans l'exploitation qui doivent encore peser sur les résultats. Mais elle a commis, el, ceci je dois le dire, volontairement, elle a commis dans plusieurs circonstances, des fautes plus considérables qui influent et qui influeront d'une façon bien plus mauvaise encore sur les résultats financiers de l'exploitation.

Je citerai entre autres la jonction des deux stations de Bruxelles.

Ces deux stations, vous le savez, ont été longtemps séparées par une lacune complète. Il n'y avait entre elles qu'une voie ferrée qui suivait les boulevards et qui permettait le transport des waggons d'une gare à l'autre avec une perte de temps qui, si je suis bien informé, allait souvent jusqu'à deux ou trois jours.

Pour obvier à cet obstacle qui, pour les voyageurs, a été longtemps et est, je pense encore aujourd'hui, la cause d'un retard aussi considérable que celui occasionné par le détroit du Pas-de-Calais entre Douvres et Calais, deux moyens étaient possibles. On avait proposé, il y a une vingtaine d'années, de créer une jonction à travers la ville, avec création d'une vaste station centrale. Cette jonction n'aurait exigé qu'un parcours de 1,800 à 2,000 mètres, soit 2 kilomètres.

La station centrale aurait été rapprochée de la masse de la population, elle aurait été au centre des affaires, et, par une combinaison très facile à établir, l'exploitation des chemins de fer aurait pu se concentrer de telle façon que tous les trains, à certains moments donnés, venant de tous les points du pays, auraient pu arriver ensemble au centre pour diverger de là dans toutes les directions, et donner de cette façon aux communications, entre toutes les parties du pays, toutes les facilités possibles.

Au lieu de cela, l'administration, et c'est à elle seule que la faute doit incomber, a voulu faire un chemin de fer de ceinture et voici quelles ont été les conséquences de cette résolution : Au lieu de 2 kilomètres, il y a 12 kilomètres à parcourir. Au lieu d'une station à rebroussement, comme nous avons actuellement à l'extrémité de chaque ligne, les trains devront passer par deux stations à rebroussement.

Il est vrai que dernièrement l'honorable M. Dumortier a fait l'éloge des stations à rebroussement et qu'à ses yeux, il y a double avantage pour la ville de Bruxelles. Mais je doute fort que les voyageurs et surtout les exploitants du chemin de fer soient d'accord avec lui.

Je viens demander aujourd'hui à M. le ministre ceci : Fera-t-on payer aux voyageurs les 12 kilomètres qu'on va les forcer à parcourir, certainement bien malgré eux ?

Si on les leur fait payer, il est évident que les tarifs en seront singulièrement augmentés et qu'il est très probable que les voyageurs s'arrêteront, comme ils le font maintenant, aux deux stations du Nord et du Midi, et se garderont bien d'aller d'une station à l'autre par le chemin de fer de ceinture, et comme le parcours est assez long, il sera assez facile de se rendre par la ville d'une station à l'autre dans le même temps, surtout s'il y a un chemin de fer américain. Par conséquent les trains devront parcourir la distance sans voyageurs et ne coûteront pourtant pas un centime de moins. Ou si pour engager les voyageurs à faire le détour, le ministre décide qu'ils ne payeront qu'une partie du parcours, et établit son tarif d'après la plus courte distance, il est évident que le chemin de fer exploitera les 12 kilomètres à perte.

Ce que je dis des voyageurs, je le dis des marchandises. M. le ministre a-t-il résolu de faire payer aux marchandises les 12 kilomètres à parcourir, au lieu des 2 kilomètres qu'on aurait à parcourir si l'on traversait directement la ville ?

Je dois signaler, comme une espèce d'intermède dans la discussion actuelle, que l'honorable M. Wasseige ni plusieurs des ministres qui l'ont précédé ne sont responsables de la décision prise à l'égard de la station centrale, l'administration seule en est responsable. Si j'ai bon souvenir, les auteurs du projet de station centrale à Bruxelles avaient offert d'exécuter la jonction à leurs frais, risques et périls, sans aucune espèce de garantie de la part de l'Etat, mais moyennant la perception d'un certain péage pendant 15 ou 18 ans.

Si ma mémoire est fidèle, ce péage devait être de 30, 40 et 50 centimes par voyageur, et 50 à 60 centimes par tonne de marchandises. Au bout de quinze ou dix-huit ans, l'Etat entrait en possession gratuite du chemin 'e fer et de la station centrale, avec toutes ses dépendances. En bien, cette proposition a été jugée très onéreuse par l'administration, tellement onéreuse qu'elle l'a rejetée. Elle a préféré construire des stations en dehors (page 1381) du centre de Bruxelles, stations qui, outre l'éloignement, offrent plusieurs inconvénients auxquels on ne remédiera pas.

Il serait bien curieux de connaître le coût exact de la jonction de ceinture et des deux stations du Nord et du Midi ; je suis convaincu qu'elles coûtent plus que n'eût coûté la station centrale ; mais il sera difficile d'arriver à cette connaissance, car tous les ans on ajoute à la dépense et on ne sait jamais où l'on en est : c'est comme les murs dont parlait avant-hier l'honorable M. Demeur.

Le chemin de fer de l'Etat sera donc grevé d'une ligne plus longue, plus coûteuse à exploiter et rendant moins de services. Mais cela a fait l'affaire de quelques spéculateurs en terrains.

Cette faute, messieurs, de l'allongement du parcours n'est pas la seule ; au lieu de laisser la station du Midi la où elle était, on l'a reculée de prés d'un kilomètre et on a obligé la grande majorité des habitants de la ville de Bruxelles à se transporter à un kilomètre plus loin pour prendre le chemin de for, et on oblige les voyageurs à parcourir un kilomètre de plus pour aller et un kilomètre pour retourner, soit deux kilomètres.

Il faut plus de temps pour se rendre au centre de la ville de la station du Midi, par exemple, qu'il n'en faut pour parcourir 30 kilomètres en chemin de fer.

Vous voyez, messieurs, combien les résultats financiers des chemins de fer peuvent être influencés par les fautes d'une administration qui se prétend, comme je le disais hier, infaillible et inattaquable. Elle ne peut admettre que le peuple puisse avoir plus d'esprit que Voltaire. En Amérique et en Angleterre, on a suivi une voie tout différente, là des villes entières sont pour ainsi dire une seule station, chaque voyageur n'a qu'à prendre le train presque devant sa porte.

En Angleterre, depuis longtemps on place les stations à l'intérieur des villes, on les rapproche autant que possible du centre et depuis que l'on a adopté ce système, les résultats financiers des différentes lignés ont été notablement améliorés.

Messieurs, après les stations vient le matériel fixe des stations. Je ne sais pas si l'honorable ministre a visité les chemins de fer en Angleterre, mais il est certain que pour le chargement et le déchargement des marchandises, nous ne sommes pas à la hauteur des progrès accomplis dans ce pays.

En Angleterre, notamment, on a des moyens de transbordement, par machines, qui sont extrêmement économiques et qui. permettent de rendre les waggons disponibles dans un temps très court.

Le matériel ne séjourne dans les gares que le temps strictement nécessaire et il arrive souvent que des trains de plusieurs centaines de tonnes de marchandises ne passent pas plus d'une demi-heure dans une gare. C'est là naturellement un élément d'économie considérable et qui permet de réaliser, avec moins de matériel, des résultats plus importants.

Il y a quelque temps, j'ai eu l'occasion de faire remarquer que nous avons pour plus de 100,000 francs de matériel par kilomètre de voie, alors qu'en France et en Angleterre il n'en existe que pour 50,000 à 60,000 francs par kilomètre.

Quant au matériel en lui-même, messieurs, je doute fort que le nôtre serve de modèle aux autres pays.

Lorsque nos constructeurs veulent concourir avec des établissements étrangers, ce n'est pas chez nous qu'ils peuvent trouver des modèles convenables.

Beaucoup de nos locomotives sont, je pense, de systèmes et de forme surannés.

J'appelle l'attention de M. le ministre sur ce point et je demande qu'à l'avenir on n'admette que les systèmes qui donnent les résultats utiles les plus grands.

Il ne faut pas se laisser arrêter par le prix. Le coût n'est souvent qu'un élément secondaire. C'est la consommation du combustible ; c'est la force de traction ; c'est l'effet utile que l'on doit surtout considérer.

Messieurs, dans le compte rendu du chemin de fer, notre matériel est porté pour une valeur de 57 millions.

Je ne sais si l'on réaliserait cette somme en cas d'aliénation du matériel.

Je passe à l'administration.

L'administration pour laquelle l'honorable ministre semble professer ce respect dû à une divinité terrible et inexorable à laquelle il doit offrir chaque jour les éloges bien sentis des membres de cette assemblée, je dois lui dire que quant à moi, je ne puis pas lui accorder tous les éloges que l'honorable ministre semble ambitionner pour elle.

Je ne veux sans doute pas la déprécier et je dois lui rendre justice, mais je pense qu'une administration qui peut, par la moindre de ses fautes, par la moindre de ses erreurs, occasionner au pays des pertes considérables, doit être maintenue constamment dans une discipline sévère et que la Chambre a le droit et le devoir de la contrôler minutieusement.

Quand elle fait son devoir, naturellement nous ne devons pas la blâmer, mais comme elle est tenue de faire son devoir, elle n'a pas le droit d'exiger nos éloges ; quand elle ne fait pas son devoir, nous avons le droit de la blâmer.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Cette théorie-là n'est pas encourageante.

M. Le Hardy de Beaulieu. - L'administration des chemins de fer, en Belgique, se considère comme la maîtresse, comme la propriétaire des chemins de fer ; ce n'est pas le public qui paye le chemin de fer qui en est propriétaire, c'est elle ; je n'en veux pour preuve que ce petit volume intitulé : Tarifs des chemins de fer. - Service intérieur de l'Etat.

Je recommande ce petit volume à l'attention des bibliophiles ; dans quelques années on trouvera très curieux tout ce qu'il contient. Pour le moment, une seule chose m'étonne, c'est que, dans ce règlement, on n'ait pas introduit, comme article premier, une disposition conçue en ces termes : « Sera mise à l'amende toute personne qui se servira des chemins de fer belges. »

Mais, s'il ne dit pas cela à l'article premier, il le dit aux articles suivants. Ce ne sont qu'amendes, difficultés, entraves à l'exploitation des chemins de fer. L'administration semble ne pas se douter que le chemin de fer doit être exploité par le public et que c'est le public qui se sert des chemins de fer, tandis que. l'administration ne doit faire qu'une chose, c'est de faciliter autant que possible l'usage du chemin de fer. Au lieu de cela, voici un petit règlement qui accumule les entraves pour empêcher le public de tirer du chemin de fer tout le parti possible. Aussi toutes les plaintes qui surgissent constamment ne sont que l'expression du mécontentement public.

En Amérique, (je suis obligé d'avoir souvent recours à ce pays pour faire des comparaisons quand il s'agit de chemins de fer), en Amérique, il s'est créé une classe d'administrateurs qu'on appelle railway managers.

C'est une profession particulière d'exploitants de chemin de fer et ils sont parvenus à de tels résultats qu'un bon manager de chemin de fer est recherché par de nombreuses compagnies ; celles-ci se l'arrachent, parce qu'elles savent qu'un bon exploitant de chemins de fer peut, d'une ligne médiocre, faire une ligne très productive. Cela s'est vu aussi bien souvent en Angleterre, et ces résultats, messieurs, ne sont pas seulement profitables aux compagnies elles-mêmes, ils le sont encore au pays tout entier, attendu qu'un chemin de fer ne prélève en quelque sorte que la dîme des profits réalisés, et la plus grande part des bénéfices revient à ceux qui s'en servent. Donc et c'est là que je voulais en venir, c'est à favoriser l'exploitation, c'est à rendre le chemin de fer aussi accessible que l'on peut qu'il faut appliquer tous ses efforts.

Pour vous permettre, messieurs, d'apprécier, par un seul exemple pratique, le règlement de service établi par l'administration, je vous citerai ce qui se passe sur un petit chemin de fer de carrière, exécuté il y a quelques mois, et que. j'ai visité il y a quelques jours. Ce chemin de fer, qui n'a que 1,400 mètres, est une vraie voie de garage et de chargement, mais au lieu d'être parallèle au chemin de fer, il y est perpendiculaire. Autrefois, on amenait les pierres dans la station même, et on les y chargeait sur les waggons au prix de grandes pertes de temps et de frais.

On a donc cru qu'il serait plus économique et plus court de créer une voie perpendiculaire et de charger les pierres le plus près possible des carrières. Mais voici ce qu'a fait l'administration du chemin de fer. Elle accorde huit heures pour le déchargement d'un waggon. Naturellement, l'industriel n'étant pas plus intéressé à faire ce déchargement pendant la première heure que pendant la dernière, puisqu'il ne paye, ni plus ni moins, attend généralement le dernier moment pour vider le waggon. Cette opération terminée, si l'industriel est en situation d'avoir à se servir du même waggon pour le charger d'autres produits, vous vous imaginez sans doute qu'il lui suffit d'en prévenir le chef de station ?

Eh bien, pas du tout : il doit commencer par renvoyer le waggon vide ; ensuite il demande à pouvoir l'utiliser et c'est, par conséquent, après une perte de temps bien inutile que le waggon peut être utilisé de nouveau. Vous reconnaîtrez sans peine, messieurs, qu'avec un règlement un peu plus raisonnable, qui permettrait le remploi du waggon aussitôt après son déchargement, l'industriel serait intéressé à opérer ce déchargement le plus tôt possible au lieu d'user de tout le délai que le règlement lui accorde et on ne perdrait pas, en outre, le temps qui s'écoule entre le déchargement du waggon et son renvoi à l'industriel pour une nouvelle expédition. N'est-il pas évident encore que, de cette façon, le matériel serait beaucoup (page 1382) mieux utilisé et que l'industrie n'aurait pas si souvent l'occasion de se plaindre de la pénurie du matériel de transport, bien que ce matériel soit double de celui des compagnies ?

Je vous cite ce fait, messieurs, pour justifier ce que je disais tantôt, que si j'estime beaucoup l'administration, elle ne mérite cependant pas, à tous égards, les éloges pompeux que réclame ou tout au moins que semble réclamer l'honorable ministre des travaux publics.

Une autre exigence de l'administration, messieurs, exigence qui est à presque chaque article du règlement du service intérieur : c'est l'irresponsabilité qu'elle réclame ; elle se déclare à tout propos irresponsable, c'est celui qui se sert du chemin de fer qui est responsable et non l'administration.

Eh bien, je dois le dire, en Angleterre comme en Amérique les chemins de fer sont très responsables et c'est précisément pourquoi on leur accorde là une confiance qu'on n'accorde pas très facilement chez nous aux chemins de fer.

Chez nous, si l'administration Van Gend pouvait se charger de tous les transports, il est certain qu'on s'adresserait à elle parce qu'on aurait plus de confiance qu'en l'Etat, car elle est responsable ; mais, comme elle ne peut faire que le transport des petits colis et des articles de valeurs faute d'un matériel assez considérable, on est obligé d'avoir recours aux chemins de fer, mais on ne le fait que dans les limites du strict nécessaire.

Cela est à tel point vrai que dans ma localité trois ou quatre services de messageries particulières subsistent, se multiplient et font de très bonnes affaires à côté des chemins de fer qui leur font concurrence et tout cela à cause de l'irresponsabilité que les chemins de fer réclament. Je crois donc que sous ce rapport il y a quelques changements à apporter au règlement de service intérieur et que l'administration des chemins de fer devrait accepter la responsabilité de tous ses actes.

Messieurs, je placerai ici une suggestion que je livre a l'étude de M. le ministre des travaux publics. N'y aurait-il pas moyen de faire entrer le temps dans le calcul des frais de transport et de diminuer les péages, lorsque le temps employé serait moins grand, pour ceux qui se servent du matériel des chemins de fer, de même qu'on applique des amendes, lorsque le temps dépasse les délais prescrits. Pourquoi ne ferait-on pas d'un côté la compensation de ce qu'on fait de l'autre côté ? Pourquoi n'accorderait-on pas une prime à celui qui fait un déchargement en très peu de temps comme on le met à l'amende lorsqu'il emploie trop de temps à un déchargement ? L'industrie si elle trouvait un avantage, un bénéfice quelconque à mettre plus d .célérité dans ces chargements cet déchargements trouverait immédiatement les moyens de réaliser cet avantage et les chemins de fer qui pourraient tirer un plus grand parti de leur matériel, profiteraient également de la mesure.

Messieurs, je veux abréger le plus possible les observations que je désire présenter à la Chambre, mais je ne puis terminer mon discours sans revenir sur une question que j'ai déjà traitée il y a plusieurs années.

Il résulte pour moi des études que j'ai faites, et l'opinion que j'émets est le résultat de longues recherches et d'un travail consciencieux, que le seul moyen d'éviter les difficultés qui se présentent aujourd'hui dans l'administration des chemins de fer de l'Etat, c'est l'exploitation des chemins de fer par le public lui-même.

Je sais que le moment n'est pas encore venu, on n'a pas encore trouvé la formule qui permette au public de se servir des chemins de fer, c'est-à-dire qu'il lui soit possible d'y mettre son matériel, afin que l'industrie puisse transporter ses produits au meilleur marché possible, tout en employant les moyens de traction les plus perfectionnés et puisse ainsi réaliser tous les progrès possibles tant au point de vue de la vitesse que de la régularité et de la force.

Ce n'est que lorsque les chemins de fer seront à la disposition du public, ce n'est que lorsque cette formule réglementaire sera trouvée, car ce n'est autre chose qu'une formule réglementaire, ce n'est qu'alors, dis-je, que l'on rentrera complètement dans l'esprit de la loi de 1834, dont j'ai lu hier un article. On percevrait alors sur les chemins de fer les péages nécessaires pour former le capital et l'amortissement du capital employé dans cette industrie des chemins de fer.

La question des frais de transport est aujourd'hui extrêmement compliquée et cela parce qu'elle se complique des frais d'exploitation, d'entretien et de mille autres qu'il est fort difficile d'analyser et de concentrer.

Les frais, dans le système que je préconise, se réduiraient à un seul élément : le capital, et il en résulterait une simplification bien grande.

Tous les ans, dans ce système, la Chambre serait appelée, au vœu de la loi de 1834, à examiner la question des péages et déterminerait le tantième qui serait demandé des exploitants,

Ce système, d'ailleurs, a fait ses preuves ; il fonctionne depuis quarante ans en Pennsylvanie ; il est écrit dans plusieurs lois de concessions en Angleterre et y est partiellement appliqué. Il a permis l'établissement de tarifs beaucoup plus bas que ceux dont parlait dernièrement l'honorable M. Brasseur ; ainsi, sur le chemin de fer de Reading à Philadelphie, on transporte la houille à moins de 1 1/2 centime par tonne, et l'on réalise encore des bénéfices.

Par le système que je préconise, on arrivera au tarif le plus bas possible, à la vitesse la plus grande dans les transports et à la production la plus importante de nos produits.

Je reconnais bien franchement, et il faut bien s'y résoudre, que la bonne volonté de l'administration des chemins de fer et du public font encore défaut aujourd'hui au système que je préconise ; le public pense encore actuellement que, pour bien exploiter un chemin de fer, il faut nécessairement que ce soit l'Etat qui soit l'exploitant. Il faut que les agents portent un certain uniforme, et il faut que ce soit un uniforme de l'Etat, pour qu'il y ait confiance. Le même homme, en képi de l'Etat, devient tout à coup insuffisant, s'il porte, au lieu du képi de l'Etal, le képi d'une compagnie particulière.

Il faut, messieurs, que ces préjugés disparaissent avant que la réforme que je signale ait quelque chance d'aboutir et de réussir.

Ces préjugés devront disparaître nécessairement, lorsque les chemins de fer seront constitués en déficit, d'une façon tellement évidente et tellement claire, que le public tout entier devra chercher le moyen de se soustraire aux exigences croissantes de cet agent de transports. Lorsqu'on devra augmenter les impôts pour suffire aux besoins des chemins de fer, c'est alors que le public forcera l'administration et le gouvernement à chercher une autre solution. Jusque-là, je n'ai aucun espoir de voir même mettre la question à l'étude.

Messieurs, toute la discussion à laquelle je me suis livré a eu un but : c'est de démontrer à la Chambre et au pays que la question des chemins de fer a besoin d'être étudiée sérieusement par le parlement ; que non seulement le gouvernement responsable, mais aussi le parlement doivent se rendre un compte exact, précis de la situation.

On aura beau faire des comptes de telle façon que le public, qui n'épluche pas les choses, s'imagine que le chemin de fer est en bénéfice. S'il est en perte, comme le pensent tous ceux qui ont étudié la question et comme j'en suis convaincu, cette perte devra être connue tôt ou tard, et mieux vaut tôt que tard. Il vaut mieux que la situation exacte, précise, soit connue le plus tôt possible, parce qu'il est plus facile de remédier à une situation qui commence à être mauvaise qu'à une situation qui est tout à fait mauvaise.

Je propose donc, messieurs, et j'appellerai sur ce point un vote de la Chambre après l'adoption du budget, la nomination d'une commission d'enquête parlementaire pour examiner la situation financière du chemin de fer et pour arrêter et proposer les règles à suivre pour l'exploitation du réseau agrandi par la convention du 25 avril 1870.

Je proposerai en outre de confier, dans le plus bref délai possible, les contrôles des recettes du chemin de fer à l'administration des finances. Il n'est pas bon qu'une administration se contrôle elle-même.

Il n'est pas bon que les choses se passent en famille et que nous n'ayons pas les moyens de vérifier par des examens contradictoires d'administrations différentes, de nous assurer complètement de l'exactitude de ce qui se passe.

Je ne formule ici pas même une suspicion de blâme à l'égard des receveurs du chemin de fer ; mais un événement tout récent nous prouve que quand tout se fait par une seule administration sans contrôle extérieur, il peut arriver des excès de confiance qui sont mal justifiés.

Je proposerai ensuite, mais cela plus tard et après que les résultats de l'enquête seront connus, je proposerai la séparation complète, radicale des finances et de l'administration des chemins de fer, des finances et de l'administration générale de l'Etat.

Je veux que le chemin de fer soit séparé entièrement de l'administration de l'Etat, qu'il n'ait aucune accointance avec elle, et qu'il soit complètement indépendant de la politique. L'administrateur du chemin de fer ne doit être, comme tel, ni catholique ni libéral ; c'est un industriel et pas autre chose ; mais comme il opère avec nos capitaux et que nous avons le plus grand intérêt à ce qu'ils soient bien employés, nous devons nécessairement avoir les hommes les plus capables, et c'est précisément pour cela que le chemin de fer doit être complètement étranger à la politique.

Si la proposition d'enquête n'était pas adoptée, je proposerai, dans tous les cas, cette séparation absolue entre l'administration et les finances du chemin de fer et l'administration et les finances générales de l'Etat. De (page 1383) cette manière, si le chemin de fer se trouve en déficit, au lieu de recourir à ces petites manœuvres de comptabilité que je signalais hier, il viendra demander au Parlement les sommes qui lui sont nécessaires et le Parlement appréciera.

Voilà, messieurs, quel est le but de mon discours. Je ne sais pas si j'ai réussi à me faire comprendre ; dans tous les cas, j'espère que vous rendrez hommage à ma bonne volonté et à mon désir de voir le chemin de fer rendre le plus de services possible au pays.

- M. Tack remplace M. Thibaut au fauteuil.

M. Boucquéau. - Messieurs, j'avais demandé une seconde fois la parole, dans la discussion générale, afin de répondre quelques mots à l'honorable ministre des travaux publics, qui n'avait pas accordé aux observations que je lui avais présentées la satisfaction que j'espérais. Comme cette partie de son discours n'avait point paru aux Annales avant la clôture de la discussion générale, j'ai cru pouvoir ajourner ma réplique jusqu'à la discussion du chapitre IV, afin de rencontrer, avec plus de précision, les arguments qu'il m'a opposés.

M le ministre a bien voulu reconnaître qu'il y a quelque chose de très grave dans les réductions accordées sur les tarifs normaux, tantôt au profit de deux centres industriels ou commerciaux, tantôt au profil de plusieurs ou même d'un seul établissement. Il a reconnu qu'une des raisons déterminantes de ces réductions a été le désir d'attirer vers le chemin de fer une partie des produits pondéreux qui se transportent par les voies navigables. Je ne sais, messieurs, quelles peuvent être les autres raisons de ces réductions ; mais celle-ci ne me paraît pas satisfaisante. Inadmissible de la part d'une compagnie, qui exploite un monopole en vertu d'une concession accordée pour cause d'utilité publique, elle est bien moins admissible encore de la part de l'Etat.

Et, en effet, à tous les concessionnaires on a interdit les tarifs spéciaux, personnels, privés, et l'Etat, lui, s'affranchit de semblable régime grâce à cette raison subtile qu'il s'agit pour lui de faire concurrence à des voies navigables ; à des voies navigables qui lui appartiennent et sur lesquelles, d'autre part, il cherche à encourager la navigation.

Il construit des écluses, des barrages, il fait disparaître les bas-fonds, il organise le louage ; et quand, confiante daris ces témoignages de sollicitude, la batellerie se serait développée et aurait absorbé de nombreux capitaux, on l'écraserait par la concurrence du chemin de fer, dont rien ne limiterait les réductions.

Mais ce n'est là que le petit côté de la question. Supposons, en effet, que cette raison d'écraser la voie navigable soit bonne, tout autant qu'elle est sujette à critique, n'y aurait-il plus rien à objecter à de semblables mesures ? Les plaintes de la batellerie écartées, d'autres intérêts ne sont-ils pas aussi lésés ?

Sous prétexte de concurrence à la voie navigable, vous accordez un tarif de faveur pour les transports des fontes et des fers ébauchés entre Liège et Charleroi, tarif de faveur dont ne jouissent pas pour les mêmes transports les autres bassins.

Ne lèse-t-on par là que les intérêts de la batellerie et dira-t-on que ce que le chemin de fer ne transporterait pas entre Charleroi et Liège, la batellerie le transporterait ? Cela ne soutient pas l'examen.

En effet, le chargement d'un bateau n'est pas à la portée de tout le monde. Il ne peut convenir qu'aux grands industriels ou aux négociants importants.

Le petit industriel, le petit commerçant qui veulent s'approvisionner directement recourent au chemin de fer ; or, si par des tarifs exceptionnels on les engage à s'approvisionner en un point plutôt qu'en un autre, n'est-il pas évident que, sous prétexte de faire une concurrence illicite à la voie navigable, on entrave une juste et loyale concurrence entre les diverses parties du pays ?

Et, veuillez-le remarquer, messieurs, si je signale ces anomalies, ce n'est pas parce que le bassin du Centre a eu particulièrement à en souffrir ; non, messieurs, pas plus que je n'en veux contre lui, je n'en voudrais pour lui ni pour moi-même ; nous voulons l'égalité, nous ne demandons ni faveurs ni privilège ; car, accepter un privilège, c'est vouloir le désordre et c'est en quelque sorte confesser son impuissance et son infériorité.

(page 1370) Un mot encore sur ces questions de tarifs. Répondant à nos plaintes relatives à la classification des pierres du pays, M. le ministre a déplacé la question. Mon collègue, l'honorable M. Houtart, et moi n'avons pas demandé que le prix de transport des pierres étrangères soit augmenté. Non, messieurs, ces pierres sont taxées à la 4ème classe, de même que beaucoup d'autres articles du transport intérieur. Il ne s'agissait donc pas d'invoquer les tarifs internationaux ni de transit, et si, comme on doit l'inférer des paroles de l'honorable ministre, l'administration a réussi à faire accepter comme une faveur par les administrations étrangères ce qui n'est qu'une application ordinaire de son tarif, cela la regarde.

Mais, ce que nous ne pouvons admettre, c'est que pour renforcer l'argument, on surtaxe la pierre du pays, par cette seule raison qu'elle s'expédie façonnée, sa consistance et sa dureté ne permettant pas de la tailler après mise en place.

On nous dit que la pierre taillée a une valeur plus grande, qui permet de la ranger dans une classe plus élevée, mais cette valeur n'est que la moitié de celle d'autres articles compris dans la 4ème classe.

On nous dit surtout que les pierres taillées sont sujettes à avaries et exposent l'administration à une plus grande responsabilité. Mais, en fait, cette responsabilité, comme cela résulte des pièces que j'ai entre les mains, est toujours déclinée, et si, du reste, l'argument est sérieux et sincère, qu'on nous accorde le bénéfice de la 4ème classe, moyennant de déclarer l'administration dégagée de toute responsabilité particulière aux marchandises de 3ème classe.

Je crois vous avoir démontré surabondamment que ni sous le rapport des risques d'avarie, puisqu'on peut en affranchir l'administration, ni sous le rapport de la valeur de la marchandise qui est inférieure à celle d'autres articles rangés dans la 4ème classe, les pierres taillées et façonnées, expédiées par charge de dix tonnes, ne devraient pas être taxées à la 3ème classe. Comme il s'agit ici d'un article de grande importance, je ne réclame pas de l'honorable ministre une réponse immédiate à nos réclamations, je lui demanderai seulement d'en faire l'objet d'un examen sérieux.

J'aborde maintenant, messieurs, l'objet dont je m'étais proposé de vous entretenir plus spécialement à l'occasion du chapitre IV.

Lors de la discussion de l'allocation au chemin de fer d'un crédit de 6,500,000 francs pour acquisition de matériel et complément de stations, l'honorable M. Sainctelette a produit, dans cette Chambre, une idée dont je m'étais proposé également de vous entretenir.

Il nous a dit : « Je ne crois pas que l'intérêt de la sécurité publique exige le moins du monde que les waggons destinés au transport des marchandises soient exclusivement fournis par l'Etat. »

Allant plus loin, je m'étais proposé de vous démontrer qu'il y aurait avantage, sous beaucoup de rapports, à ce que les expéditeurs pussent fournir les waggons nécessaires à leurs expéditions et à ce qu'il leur fût accordé de ce chef, sur les tarifs, une remise en raison de l'économie à réaliser par le gouvernement.

Le temps m'ayant manqué alors pour me préparer à traiter cette question devant vous, je me décidai à différer jusqu'à l'examen du budget des travaux publics. Et je me félicitai d'avoir pris cette décision, lorsque j'entendis l'honorable député de Mons émettre une idée analogue, car j'espérai que les considérations générales dans lesquelles il était entré porteraient leurs fruits et nous engageraient à accorder quelque attention à l'exposé de l'application qui m'en paraît promptement réalisable.

Si j'avais à plaider cette cause devant des exploitants de chemins de fer, je leur dirais qu'il est regrettable de voir échapper au chemin de fer une multitude de transports dont il pourrait tirer profit. Je parle devant des économistes, des législateurs, des hommes d'Etat, et je leur dis : Il est regrettable de voir effectuer par des moyens imparfaits, coûteux, surannés, des transports qui pourraient s'effectuer dans de beaucoup meilleures conditions par voie ferrée. L'exploitation d'un monopole, et surtout d'un monopole qu'on s'est arrogé, oblige ; et l'administration, le gouvernement, les Chambres elles-mêmes manqueraient à un devoir en ne s'attachant pas à tirer de ce monopole tout le parti possible et à faire rendre aux chemins de fer de l'Etat tous les services qu'on peut leur demander et qu'ils peuvent rendre dans des conditions économiques.

En effet, messieurs, envisageant les choses dans leur ensemble, comme nous devons le faire, on ne peut méconnaître que tout ce qui tend à réduire les frais de production intéresse le bien-être général, et si, sous ce rapport, la question de transports est depuis longtemps reconnue des plus importantes, on est en droit de s'étonner que la plupart de nos établissements industriels soient encore obligés de recourir au voiturage par essieux pour les transports à courte distance, dont le chiffre est énorme, alors qu'à leur portée se trouvent des voies perfectionnées et

économiques dont, à leur grand avantage comme à celui du trésor public, on pourrait leur faciliter l'accès.

Je pense que, pour atteindre ce but, un moyen tout à la fois simple et puissant serait d'autoriser l'emploi sur les lignes exploitées par l'Etat de waggons à fournir par les expéditeurs à qui l'on accorderait une réduction de taxe calculée sur l'économie à réaliser par l'Etat sur son propre matériel. Ce serait là, j'espère vous le démontrer, une première application bien simple et bien fructueuse de l'idée présentée sous des aspects beaucoup plus vastes par l'honorable M. Sainctelette.

Afin de faire mieux comprendre ce qu'il y a de pratique dans cette application, je vous demande la permission, messieurs, d'entrer dans quelques détails sur la combinaison des tarifs et notamment de celui des grosses marchandises.

Les principes sur lesquels sont basés ces tarifs remontent à une époque déjà assez éloignée, à 1848. Jusqu'alors existaient des tarifs purement conventionnels, arbitraires, et qui s'étaient tellement compliqués, que parmi les fonctionnaires de l'administration même, bien peu y étaient complètement initiés.

La réforme qui en fut entreprise alors est due, si je ne me trompe, à l'initiative de l'honorable M. Frère, et ce furent MM. Grosfils et Dandelin, fonctionnaires du département des travaux publics, qui furent chargés de l'étudier. Tenant compte des faits, ils en arrivèrent à la division des taxes de transports en deux éléments dont la raison est immédiatement saisissable ; ils divisèrent ces taxes en frais fixes et frais variables.

En effet, dans une expédition quelconque, d'un waggon de houille, par exemple, il y a des frais qui restent les mêmes à quelque distance que cette expédition doive être faite. Ainsi le chômage du matériel pendant le chargement et le déchargement, les manœuvres dans les stations pour la formation ou la décomposition des trains sont des frais sur lesquels n'influe pas la longueur du transport. De là, ce que l'on a appelé les frais fixes qui, pour les marchandises pondéreuses, sont d'un franc par tonne.

Vient ensuite la taxe pour la traction et le transport lui-même, taxe qui est plus ou moins élevée selon la distance à laquelle le transport doit être effectué : c'est ce que l'on appelle les frais variables. Ces frais étaient primitivement, pour les marchés les plus favorisés, de 50 centimes par tonne et par lieue, à quelque distance que l'expédition se fit ; depuis lors,, ils ont subi quelques modifications, ils sont aujourd'hui de 20 centimes par tonne et par lieue pour les 15 premières lieues, de 10 centimes pour les 5 lieues suivantes, et de 5 centimes pour toutes les autres.

Ainsi donc, messieurs, qu'une tonne de houille, de minerai, de moellons se transporte à 1 lieue ou à 15 lieues, il y a toujours pour frais fixes 1 franc, plus pour frais variables 20 centimes par lieue ; et le minimum de taxe étant une lieue, le transport, à une distance si minime qu'elle soit, coûte, frais fixes et variables compris, 1 fr. 20 c. ; soit précisément le tiers de ce que coûte le transport à 13 lieues, 3 fr. 60 c., ce qui se décompose par 1 franc de frais fixes, plus treize fois 20 centimes ; ainsi donc par suite des frais fixes, le transport d'un tonneau de coke expédié de Forest à Bruxelles (Midi), coûte le tiers de ce qu'il coûterait expédié à Gand.

Je le répète, messieurs, cette taxe fixe qui grève si fortement les expéditions à petite distance, qui s'élève pour ces expéditions jusqu'aux cinq sixièmes de la taxe totale, tandis que, pour les expéditions à grande distance, elle n'en représente qu'une faible quotité, cette taxe de frais fixes se justifie par cette considération que le temps nécessaire au chargement et au déchargement est le même pour tout transport à quelque distance qu'il se fasse, que pendant ce temps le waggon chôme et que ce chômage doit se payer.

Mais il n'en est pas moins vrai que cette taxe des frais fixes est, pour les transports à courte distance, une charge très lourde, trop lourde même pour que l'industrie puisse l'accepter ; ce qui l'oblige, dans une foule de cas, à conserver encore des voiturages lents et pénibles sur des routes pavées ou macadamisées, ou même sur de simples chemins de terre, parallèles cependant à des voies ferrées.

Les verreries, les usines métallurgiques et autres industries qui consomment une quantité considérable de houille s'établissent généralement au cœur de nos bassins charbonniers.

Quelle est, pour ces industries, la conséquence de l'application des frais fixes qui élèvent à 1 fr. 20 c. par tonne le prix de tout transport, si faible qu'en soit la distance ? N'est-ce pas les obliger à se servir encore des anciens moyens de transport par axe pour ne pas perdre la majeure partie des avantages de la situation qu'ils ont choisie ? Le transport par axe à une distance de deux ou trois kilomètres coûte 60 à 80 centimes ; l'industriel n'ira donc pas payer 1 fr. 20 c. au chemin de fer.

Mais d'un autre côté en faisant cette économie moyennant l'organisation (page 1371) d'un service public, il se trouve dans la nécessité de s'adresser, pour ses approvisionnements, aux producteurs les plus proches. De là des inconvénients faciles à saisir : il n'a point précisément auprès de lui les qualités qui lui conviendraient le mieux, ou bien ayant besoin de qualités diverses, il ne peut se les procurer qu'en plusieurs points différents, plus ou moins éloignés ; mais le transport par axe deviendrait alors trop coûteux et il est obligé de se contenter de ce qu'il a à sa portée.

Donc, première conséquence de l'obligation où l'on est de se servir d'un moyen qui ne se prête qu'aux transports à petite distance.

Mais, seconde conséquence non moins fâcheuse et qui découle de la première : le producteur voisin, à qui on est obligé de s'adresser, n'ignore pas que l'on est plus ou moins à sa merci, il est souvent tenté d'en tirer parti, de faire payer plus cher, parce qu'il a moins de concurrence, et c'est ainsi que l'industriel qui s'approvisionne par axes perd en grande partie le bénéfice de sa position et de l'économie qu'elle pourrait lui procurer dans ses frais de production.

Tout cela, on en conviendra, est antiéconomique, c'est peu de chose, semble-t-il à première vue, mais ce peu de chose est affaire de tous les jours, et lorsqu'on y regarde bien, on trouve que c'est énorme de conséquences et on peut dire que ce peu de chose a suffi pour paralyser le développement de beaucoup d'industries ou pour les empêcher de s'implanter sur certains points de notre territoire.

On ne peut se dissimuler, par exemple, que si la houille est la matière indispensable à beaucoup d'industries, il importe de ne pas en accroître le prix par de faux frais que l'on pourrait éviter, d'autant plus que nous nous trouvons déjà, quant à cette matière première, dans des conditions de véritable infériorité vis-à-vis de certains pays voisins, de la Prusse et de l'Angleterre, dont nous rencontrons partout la concurrence.

Comment donc arriver à concilier l'intérêt de la production à bon compte, qui doit surtout nous préoccuper, avec celui du chemin de fer, et tout en laissant subsister les frais fixes qui, en règle générale, ont leur raison d'être, faire en sorte qu'ils n'empêchent plus les transports à courte distance d'utiliser la voie ferrée.

Le moyen en est simple et vous inspirera, sans doute, d'autant moins de méfiance qu'il ne s'agit réellement pas d'une innovation, mais de l'extension rationnelle d'une mesure qui est déjà adoptée en principe.

Comme vous le savez, messieurs, beaucoup d'établissements industriels sont maintenant raccordés au chemin de fer par des voies ferrées, et pour ne parler que de la station de La Louvière, il ne s'y trouve pas moins de neuf établissements reliés par des embranchements particuliers. Il en est de même pour beaucoup d'autres stations.

Je ne puis en préciser la date, mais c'est, je crois, vers 1860, que certains industriels reçurent avis que les transports à échanger entre les embranchements reliés à une même station jouiraient de la remise des frais fixes, s'ils s'effectuaient sur des waggons fournis par eux ; il va de soi que ce matériel devait être agréé par l'administration, de même que celui des compagnies belges et étrangères que nous voyons chaque jour circuler sur les voies de l'Etat. C'était là une excellente mesure qui, depuis lors, a été maintenue et que l'arrêté du 4 novembre 1864 a améliorée encore en réduisant à 20 centimes la taxe qui, précédemment, était de 30, conformément à la réduction qui avait été apportée aux tarifs généraux.

Il ne s'agirait donc que d'élargir cette mesure et, au lieu de la restreindre aux transports qui s'échangent entre les raccordements d'une même station, d'étendre la faculté qu'elle accorde à tous les transports en général.

On ne voit pas, en effet, quel inconvénient pourrait résulter de son application aux transports à grande distance.

Il va de soi que si la réduction se bornait à tout ou partie des frais fixes, sans toucher aux frais variables, l'industriel aurait d'autant moins d'avantage à fournir son propre matériel que la distance à parcourir serait plus longue.

Il ne peut être question d'indiquer ici la formule de réduction qu'il y aurait, lieu d'établir, mais il est incontestable que si une notable partie des frais fixes représente le chômage forcé du matériel pour le chargement et le déchargement, que si, en outre, une partie des frais variables représente l'usure de ce matériel, l'Etat n'éprouverait aucun perte à dégrever les expéditions effectuées par des waggons appartenant à des tiers, d'une somme égale a ce que lui coûte l'usage de ses propres waggons ; mais c'est là une question de détail et qui, pour être résolue sans préjudice possible pour l'Etat, ne requerrait qu'un peu de prudence.

Pour ne pas s'exposer à revenir sur ses pas, on ne doit point aller immédiatement jusqu'à l'extrême limite dans la voie des réductions. J'estime que la mesure produirait déjà des résultats sans aller au delà de ce que l'on serait certain de pouvoir concéder, sans altérer en quoi que ce soit les revenus du chemin de fer. Mais, je le répète, c'est là une question de détail, facile à régler si la mesure était adoptée en principe.

Permettez-moi donc, messieurs, de vous exposer encore quelques considérations qui me paraissent militer pour son adoption ;

Il y a quelques années, l'honorable M. Vanderstichelen, dans le but d'accroître le chiffre des transports à grande distance, en réduisit notablement les prix tant pour les marchandises que pour les voyageurs.

J'ai toujours considéré ces mesures comme bonnes, malgré quelques critiques de détail dont elles pouvaient être l'objet. Si jusqu'ici, pour ce qui concerne les voyageurs, elles n'ont point produit tous les résultats qu'on s'en était promis, cela tient à ce que, sous certains rapports, le service n'était pas organisé de manière que l'idée nouvelle pût porter tous ses fruits. En effet, pour provoquer, pour exciter au voyage à longue distance, il ne suffit pas de réduire le prix du transport par chemin de fer, il faut encore que le voyage puisse se faire rapidement et de manière que l'on ne perde pas en faux frais, occasionnés par sa durée, l'économie que l'on réalise sur le prix du transport.

La perte de temps, surtout, est capitale ; et sans recourir à aucune statistique, chacun de nous peut, en y réfléchissant, se convaincre que les voyages à longue distance ne peuvent guère se développer que sous l'influence de trains directs. Entre des points distants de quarante kilomètres et plus,, lorsqu'il se trouve des trains directs, nous ne nous servons des trains omnibus qu'avec la plus grande répugnance, quand bien même l'heure en serait mieux à notre convenance.

Or, sous ce rapport, peut-être, il n'y eut pas concordance suffisante entre l'organisation du service des voyageurs et l'idée que l'on désirait faire fructifier. L'organisation des trains directs sur la plupart des lignes était insuffisante et stérilisait l'idée nouvelle.

Aussi l'accroissement des transports à grande distance sous l'influence de la détaxe ne fut-il pas aussi considérable pour les voyageurs que pour les marchandises. Cela viendra, on n'en peut douter, pourvu que l'on persévère et qu'on apporte à l’organisation du service les améliorations que l'expérience indiquera.

Tous ceux d'entre vous, messieurs, qui s'occupent d'industrie savent avec quel soin un essai doit être fait, pour que le résultat en soit concluant. Avant donc d'abandonner la réforme inaugurée par M. Vanderstichelen, on fera sagement de voir si quelques modifications ne la rendraient pas plus efficace.

Je crois aussi devoir faire remarquer, en passant, que ce qui contribue à faire considérer comme disproportionnée la réduction qu'elle établit pour les longs parcours, c'est la surtaxe dont sont frappées certaines petites distances. Ainsi, d'après l'arrêté de 1851, qui est encore en vigueur pour les petits parcours, le prix de la première classe, en train ordinaire, est de 8 centimes par kilomètre. Mais le kilomètre commencé se paye en entier ; de plus, d'après un arrêté de 1854, les prix s'arrondissent pour la première classe en les forçant par décime et double décime, de sorte que les prix de Bruxelles à Malines et de Bruxelles à Louvain, qui, en bonne justice, devraient être respectivement de 1 fr. 60 c. et de 2 fr. 30 c., deviennent 1 fr. 80 c. et 2 fr. 50 c. avec surtaxe, plus forte encore pour les express. Or, je n'hésite pas à dire que ces surtaxes devraient disparaître et que, de plus, il y aurait lieu d'accorder des billets d'aller et de retour à prix réduit dont profiteraient principalement les petites distances.

Mais, sans nous arrêter davantage à ces détails, peut-on soutenir qu'il est injuste de réduire dans une forte proportion le transport des voyageurs à grande distance ; qu'il n'y a aucune raison pour que la taxe ne soit point proportionnelle à la distance parcourue ?

Messieurs, ce serait examiner bien superficiellement les faits. En effet, pour le transport à une lieue comme pour le transport à vingt lieues, il faut deux stations, la station d'embarquement et celle de débarquement. Or, vous n'ignorez pas que le coût des stations entre pour une quote-part notable dans le coût du chemin de fer. A quoi servent au voyageur se rendant de Bruxelles à Ostende les vingt-cinq ou trente stations échelonnées le long de la ligne ? N'est-ce point pour lui une cause de préjudice, de perte de temps, et ne lui serait-il pas bien plus avantageux d'être transporté d'une seule traite jusqu'à Ostende que de s'arrêter dans une foule de stations où il n'a que faire, qu'il préférerait brûler, et du coût desquelles il serait par trop injuste de tenir compte dans le calcul du prix de son billet ?

Il est donc évident, messieurs, qu'il y a dans les frais d'établissement des stations, frais relativement énormes pour un transport à une lieue, une raison d'appliquer aux transports à grande distance une taxe réduite.

(page 1372) Croit-on, par exemple, que l'administration n'aurait pas avantage a transporter jusqu'à Ostende, aux prix réduits dont jouit cette distance, tous les voyageurs qu'elle embarque à Bruxelles (Nord), plutôt qu'à les disséminer, moyennant un péage relativement plus élevé, dans toutes les stations intermédiaires ? Je crois, messieurs, que ce sont là des considérations dont on doit tenir compte.

Messieurs, je reviens à mon sujet, au transport des marchandises, et je dis que s'il est rationnel et profitable de provoquer et d'attirer au chemin de fer, ainsi que l'a fait l'honorable M. Vanderstichelen, les transports à grande distance, il le serait davantage peut-être d'y attirer les transports à courte distance, qu'il ne s'agit pas de créer, qui existent tout naturellement, qui sont de beaucoup les plus considérables et qui, jusqu'ici, se font généralement par d'autres voies moins perfectionnées parce que l'application des frais fixes les rend trop chers par chemin de fer.

Il y a trois ans, en 1868, je visitais quelques parties de l'Angleterre et notamment les environs de Birmingham et Wolverhampton, où, le développement industriel à pris des proportions en quelque, sorte fantastiques. Des établissements nombreux échangeant entre eux chaque jour d'énormes quantités de matières pondéreuses couvrent la contrée sur plusieurs lieues d'étendue, et cependant les routes simplement macadamisées qui s'y trouvent sont dans un état aussi parfait que nos boulevards les mieux entretenus. A quelle cause cela tient-il, messieurs ? Uniquement à ce que les transports pondéraux, même pour les plus courtes distances, peuvent se faire par chemin de fer à des prix qui permettent de s'affranchir des transports par essieux.

Il y a là, peut-être, en faveur de l'idée que je préconise, un argument auquel vous reconnaîtrez quelque valeur.

Mais il y a plus : nos stations sont souvent encombrées, et pendant plusieurs mois de l'année, notamment d'octobre à janvier, le matériel de transport fait fréquemment défaut.

Or, messieurs, comment doit-on comprendre un monopole, et quand le gouvernement s'arroge un monopole, n'assume-t-il pas, en quelque sorte, l'obligation de suffire à tous les besoins ?

Nous n'admettrions pas facilement, par exemple, que le service de la poste, que le gouvernement s'est réservé, laissât, dans une partie du pays ou à certaine époque de l'année, les correspondances en souffrance, que, faute de voitures de 1ère, 2ème ou 3ème classe, un certain nombre de voyageurs ne pût prendre place dans les trains. Est-il beaucoup plus rationnel que, faute de matériel ou par suite d'encombrement des gares, les opérations industrielles et commerciales puissent être à chaque instant entravées ?

Je sais que, sous ce rapport, il est des circonstances de force majeure, telles que celles que nous venons de traverser, qui sont de nature à tromper toutes les prévisions ; mais peut-on bien invoquer la force majeure pour des cas qui se présentent périodiquement, et n'est-ce pas faillir à ses obligations que de donner lieu, chaque année, à des plaintes nombreuses et fondées sur l'exploitation insuffisante d'un monopole que l'on s'est arrogé ?

Je ne crains pas de dire, messieurs, que l'Etat admette sur ses lignes le matériel fourni par les expéditeurs moyennant certaines réductions sur les taxes normales, et non seulement il n'y éprouvera aucune perte par suite de l'économie qu'il réalisera sur son propre matériel, mais il desservira par le chemin de fer, à son grand avantage comme à celui de l'industrie et du commerce, une foule de transports qui actuellement lui échappent ; mais il se mettra à l'abri de reproches sur l'insuffisance du matériel dont il dispose, puisqu'il aura laissé à chacun la possibilité de se prémunir contre de telles éventualités en se procurant du matériel qui lui soit propre ; mais encore, et c'est par quelques considérations à ce sujet que je me propose de terminer, on suppléera, en grande partie du moins, à l'insuffisance de nos stations, par la plus grande promptitude des chargements et déchargements qui sera la conséquence infaillible de la mesure que je crois devoir recommander à l'attention de la Chambre et du gouvernement.

En effet, messieurs, de même que l'Etat, à qui appartient le remorquage des trains, recherche tout ce qui peut le rendre, plus facile et moins onéreux (et à cet égard je crois pouvoir dire que les études et les soins de l'administration ont été poussés si loin que nous n'avons rien à envier aux autres pays), de même les expéditeurs et destinataires qui opèrent généralement le chargement et le déchargement des grosses marchandises s'attacheraient à faciliter autant que possible ces opérations, dont la lenteur est aujourd'hui l'une des principales causes de la pénurie de matériel et de l'encombrement des gares.

Prenons pour exemple les déchargement des charbons, qui occupe une si large place dans la plupart de nos gares. Ne doit-on pas reconnaître qu'il s'opère. par des moyens bien primitifs et pénibles, qu'il est étrange de voir employer encore pour une besogne aussi considérable qui se

renouvelle chaque jour ? La cause en est que le matériel de l’Etat doit servir à une foule d’expéditeurs différents et à divers usages ; mais il va de soi que si les expéditeurs et destinataires peuvent founir leur propre matériel, ils s’efforceraient de le contrôler de manière à rendre plus aisées et plus expéditives les manutentions qui leur incombent, et ce qui demande actuellement des heures entières pourrait le plus souvent se faire en quelques minutes.

Il est inutile, je crois, d'entrer dans des détails à ce sujet, mais il est évident que, pour beaucoup de marchandises, la partie supérieure du waggon s'enlèverait et se poserait sur des trucs qui la camionneraient jusqu'à destination, sans manutention de la marchandise elle-même, tandis que le waggon, recevant des caisses de rechange, pourrait être renvoyé immédiatement aux lieux d'approvisionnement. Et que l'on ne fasse pas à ce sujet l'objection du retour des waggons à vide, car l'utilisation des waggons en retour n'est que l'exception, comme le prouve suffisamment tout ce qu'a fait l'administration pour engager les expéditeurs à s'assurer du matériel, moyennant abonnement.

Or, vous savez, messieurs, que ces abonnements se traitent pour un service spécial, qui consiste généralement en un voyage à charge avec retour à vide.

Vous le savez, messieurs, pour produire à bon compte il faut spécialiser, et vous n'ignorez pas non plus que pour augmenter l'usage, la consommation d'un produit quelconque, il suffit d'en réduire le prix. La réduction de tarif et la réduction de main-d'œuvre à résulter de la mesure que j'indique ne seraient conséquemment pas stériles.

Que l'on s'en fie à l'intérêt particulier pour simplifier les opérations de chargement et de déchargement qui, dans les conditions actuelles, font chômer le matériel et encombrent les gares plus que de droit, et je crois pouvoir vous assurer, messieurs, que, tout en desservant de nombreux transports qui actuellement lui échappent, bientôt le chemin de fer ne manquera plus de matériel, ses stations seront moins encombrées et que par cette innovation, dont l'expérience seule pourra démontrer toute l'utilité, il verra non seulement ses recettes, mais son produit net augmenter considérablement.

M. Descamps. - Messieurs, lorsque j'ai demandé la parole sur le chapitre IV du budget, c'était pour répondre à quelques-unes des observations faites dans la discussion générale par l’honorable M. Brasseur, et pour rectifier certains calculs inexacts dont il avait tiré des conséquences fausses ou du moins très exagérées.

Depuis lors, la discussion s'est élargie et la question des tarifs est entrée dans le débat. Après l'excellent discours prononcé hier sur cette question par mon honorable ami, M. Braconier, j'aurai peu de choses à ajouter, et j'ai été très satisfait de constater que nous étions en parfaite conformité d'opinions, l'honorable député de Liège et moi, sur les différents points qui se rattachent à la question de la réforme des tarifs. J'ai vu avec plaisir que les idées ou les principes que j'avais exposés dans différents rapports sur les travaux publics étaient partagés par l'honorable membre : « Le principe de la tarification différentielle n'est pas nouveau, il a été pratiqué de tout temps par certaines entreprises de transport sur les routes, les rivières et les canaux.

« La tarification du transport des marchandises, en 1864, n'a point été, non plus, pour l'Etat, un fait entièrement nouveau ; c'était la généralisation de mesures prises depuis quelques années déjà, c'était l'extension, au profit du public en général, des avantages assurés à certains groupes d'expéditeurs par des traités et des tarifs spéciaux. »

Il ne viendra sans doute à l'idée d'aucun membre de cette Chambre d'attaquer le principe même des tarifs différentiels appliqués au transport des marchandises, principe qui réalise, comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire, la mission essentielle des chemins de fer, celle de réduire les inconvénients de la distance et de rapprocher, pour ainsi dire, les centres de production des centres de consommation.

D'ailleurs, l'expérimentation de tarifs nouveaux, en ce qui concerne le transport des marchandises, a été immédiatement concluante et il suffira de vous rappeler quelques chiffres. pour vous convaincre que les résultats obtenus eurent bientôt dépassé toutes les espérances que l'on avait fondées sur la réforme.

La tarification nouvelle fut inaugurée le 10 juin 1864.

Or, le mouvement des marchandises, qui avait été de 4,276,450 tonnes en 1862, de 4,478,641 tonnes en 1863, s'éleva à 5,256,307 tonnes en 1864 et à 5,898,648 tonnes en 1865.

L'accroissement de mouvement, qui avait été de 4.72 p. c. de 1863 sur 1862, s'éleva à plus de 17 p. c. de 1864 sur 1863 et à plus de 12 p. c. de 1865 sur 1864.

(page 1373) De son côté, la recette pour les marchandises qui avait été de 16,408,539 francs en 1862, et de 16,759,095 francs en 1863, s'éleva à 18,063,365 francs en 1864 et à 18,616,0268 francs en 1865.

C'est-à-dire que l'augmentation qui avait été de 2 p. c. de 1863 sur 1862 s'éleva à 7.7 p. c. de 1864 sur 1863 et de 3 p. c. de 1865 sur 1864.

La perte éventuelle qui devait résulter de l'application des tarifs nouveaux, si le mouvement était resté stationnaire, était évaluée à 2 millions environ ; au lieu de cela, l'accroissement de recettes dans les premiers mois de l'application de la réforme, c'est-à-dire de juin à fin décembre, a été supérieure à l'augmentation annuelle avant la réforme.

M. Braconier a donc, eu raison de dire que jamais réforme n'a donné des résultats aussi immédiats et aussi satisfaisants.

Quant au tarif des voyageurs, je suis d'avis que la taxe différentielle doit être maintenue, parce que je la regarde comme la seule parfaitement rationnelle, en raison de la traction de plus en plus économique suivant l'allongement des distances, et en raison surtout d'une meilleure utilisation des trains ; je crois également qu'il est juste et équitable de. diminuer l'écart considérable qui existe aujourd'hui entre les prix des voyages à petites et à longues distances.

J'aborde maintenant l'examen de quelques-unes des questions qui ont été traitées par M. Brasseur dans la séance du 23 mai.

M. Brasseur a insisté avec raison, selon moi, sur la nécessité de porter au débit du compte exploitation la majeure partie des dépenses de l'administration centrale qui tend à se développer par suite, de l'extension donnée au réseau, et qui prend tous les jours des proportions plus considérables.

Il a soutenu également, et je partage encore son avis sur ce point, que la comptabilité des chemins de fer de l'Etat devrait être organisée comme celle de toute entreprise industrielle ; qu'on devrait créditer le compte exploitation de tous les transports gratuits ou à prix réduits faits pour d'autres administrations de l'Etat, et qu'il faudrait, par contre, porter au débit du compte de premier établissement ou du compte d'exploitation, suivant qu'ils sont affectés ou qu'ils incombent à l'un ou à l'autre, tous les crédits votés au budget et toutes les charges contractées envers le trésor, notamment celles qui résultent des emprunts.

Ceci admis, examinons la valeur des critiques que M. Brasseur a cru devoir faire du bilan, et de la manière dont il y est tenu compte des capitaux à amortir.

« Il y a dans le bilan de 1869, dit M. Brasseur, une erreur manifeste qu'aucun industriel ne se permettra jamais de commettre. La voici. Il reste à amortir d'après le bilan 135,407,982 francs. Ce sont des anciennes dettes consolidées émises par le trésor, pour compte des chemins de fer, en partie éteintes par l'amortissement.

« Il reste encore aujourd'hui à amortir 135,000,000 (chiffre rond), mais on calcule les valeurs effectives d'après le produit de l'émission. C'est là l'erreur. Je suppose que vous fassiez un emprunt, cet emprunt de 100 rapporte 95. Que devez-vous rembourser ? Est-ce 95 ? Non. Pouvez-vous mettre dans votre passif 95 ? Nullement.

« Comme notre 4 1/2 belge est au-dessus du pair, il est évident qu'en le cotant au pair dans votre passif, vous serez encore en dessous de la réalité. Vous devez donc faire figurer à votre passif la dette nominale, c'est à-dire 141,534,181 francs, et de ce chef vous avez encore 6,000,000 à ajouter à votre passif. »

Messieurs, je ne puis partager sur ce point l'opinion de l'honorable M. Brasseur.

Qu'on fasse figurer chaque année au passif du bilan, comme il l'a proposé encore, le capital à amortir, au taux du cours arrêté le 31 décembre, je n'y vois pas grand mal, quoique ce mode d'opérer ne soit pas exempt d'inconvénients ; mais je crois qu'il serait dangereux d'y porter à leur valeur nominale les emprunts contractés. En effet, si l'émission d'un emprunt a été faite en titres de 3 p. c. et même de 2 1/2 p. c. par exemple, et cette supposition n'est point invraisemblable, puisque, d'après le bilan arrêté au 31 décembre 1869, il restait plus de 6 millions de 3 p. c. à amortir à cette date, vous aurez exagéré dans des proportions considérables peut-être le compte de premier établissement du chemin de fer. Mais là n'est point encore l'écueil le plus dangereux à éviter.

L'Etat, à l’encontre de ce qui se pratique dans les sociétés ordinaires de chemins de fer, ne garantit point le remboursement au pair des emprunts qu'il contracte. L'amortissement de ces emprunts se fait par voie de rachat des titres ; or, l'écart qui existe entre le taux du rachat et celui de la valeur des capitaux portés au bilan constitue, pour l'administration du chemin de fer, un bénéfice ou une perte, suivant que le rachat se fait à un prix inférieur ou supérieur à la valeur renseignée dans les comptes.

Si, comme nous le supposions tout à l'heure, l'emprunt a été fait en 2 1/2 ou en 3 p. c, le rachat se fera sans aucun doute à un prix bien inférieur au taux nominal, et l'écart constituera pour l'administration un bénéfice fictif qui sera de nature à bouleverser toute saine appréciation des résultats vrais obtenus.

Du reste, messieurs, cette question n'est pas neuve ; elle a été discutée il y a longtemps déjà ; en 1860, M. Vanderstichelen, ministre des travaux publics, a eu à combattre une opinion parfaitement semblable à celle qui a été émise par M. Brasseur, et voici ce qu’il dit à ce sujet dans le compte rendu des opérations du chemin de fer de 1860 :

« Le rapport spécial présenté aux Chambres législatives, sous la date du 30 septembre 1857, a fait connaître les motifs pour lesquels les capitaux amortis ne figurent dans les comptes ci-dessus que pour une valeur équivalente à celle résultant du taux de leur émission. Voici comment le rapport précité s'exprime sur ce point :

« Contrairement à ce qui s'est pratiqué jusqu'à ce jour, je n'ai plus porté au crédit du chemin de fer la valeur nominale des capitaux amortis, mais la valeur réelle calculée d'après le taux d'émission des emprunts. Supposons qu'une obligation de 100 francs, émise à 90 francs, soit rachetée à 85 francs ; dans ce cas, j'ai porté 85 francs en dépense et 90 francs en recette, d'où un bénéfice de 5 francs. Dans le système des comptes antérieurs, on aurait porté 85 francs en dépense et 100 francs en recette, d'où un bénéfice de 15 francs.

« Or, il suffit de mettre en regard ces deux manières de procéder pour comprendre que celle que j'ai adoptée est seule rationnelle. Dans les emprunts belges, où le remboursement au pair n'est pas garanti, la valeur nominale est purement conventionnelle ; elle ne sert qu'à déterminer le montant des intérêts à payer. Quand le gouvernement a émis l'emprunt que j'ai pris pour exemple, il a reçu 90 francs eh échange d'une obligation de 100 francs ; cette même obligation, il l'a rachetée moyennant 85 francs : l'opération ne lui donne pas évidemment un bénéfice de 15 francs, mais un bénéfice de 5 francs. En ne considérant que les valeurs nominales, on exagérait le capital de construction et les recettes annuelles dans des proportions extraordinaires. »

« Cette partie du travail de 1857 a été critiquée ; on a prétendu que les capitaux amortis devraient être renseignés pour leur valeur nominale dans les comptes, laquelle valeur nominale représenterait le montant réel de la dette éteinte. Ce dernier système ne pourrait être adopté, parce qu'il conduirait à des conséquences essentiellement fausses et inexactes : quand le ministre des travaux publics a reçu, en échange d'un titre de 100 francs, une somme de 90 francs, il n'a pu employer 100 francs aux travaux du chemin de fer ; Il a purement et simplement emprunté à 5.555 p. c, si les titres émis rapportaient au preneur un intérêt annuel de 5 p. c. de leur valeur nominale ; si, plus tard, le titre est racheté moyennant 80 francs, il est incontestable que le bénéfice réalisé ne dépasse pas 10 francs.

« Voici un exemple qui rendrait ce raisonnement plus sensible, si cela était nécessaire : admettons que le gouvernement émette du 2 1/2 p. c. pour la construction du railway national, que l'émission en ait lieu à 45 p. c. et que, plus tard, l'amortissement soit effectue à 40 p. c. Deux obligations de cet emprunt, de 100 francs chacune, équivaudront ensemble à l'obligation de 100 francs de 5 p. c. émise à 90 et rachetée à 80 p. c. Eh bien, si l'on avait égard aux valeurs nominales, on trouverait que l'amortissement de ces deux obligations de 2 1/2 p. c. donne un bénéfice de 120 francs (12 fois le bénéfice réel), tandis que l'amortissement du titre à 5 p. c. ne donnerait qu'un bénéfice de 20 francs (ce qui serait encore le double du bénéfice effectif). D'un côté, l'on porterait 200 francs au compte de premier établissement ; d'un autre côté, l'on n'y inscrirait que 100 francs ; et la vérité serait que la dépense de construction aurait été augmentée purement et simplement d'une somme de 90 francs !

« Ainsi, de deux opérations absolument identiques, la première, rapporterait un bénéfice six fois plus considérable que le bénéfice résultant de la seconde. A ce compte, il serait très aisé de grossir l'actif du chemin de fer dans des proportions véritablement fabuleuses : il suffirait de convertir tous les emprunts en 2 1/2 p. c.

« Que dirait-on de l'individu qui, plaçant 50,000 francs dans les 2 1/2 p. c. et achetant une valeur nominale de 100,000 francs de cette dette, prétendrait avoir doublé son capital ?

« L'administration jouerait tout à fait le même rôle que cet individu si elle portait en récente, du chef des opérations de l'amortissement, une somme autre que celle représentant la valeur d'émission des titres rachetés. »

Une autre observation que j'avais à vous présenter est relative au prix moyen du transport des grosses marchandises au delà de vingt lieues, (page 1374) M. Brasseur avait calculé que ce prix moyen par tonne-kilomètre était de 2 4/10 centimes ; c'était là une erreur, et ce que M. Brasseur avait pris pour le taux moyen de la tonne-kilomètre était le prix minimum, c'est-à-dire le prix de la tonne-kilomètre à cinquante lieues.

Le prix de la tonne-kilomètre à trente-cinq lieues est de 3 centimes ; il est, par conséquent, supérieur de 25 p. c. à celui que l'honorable M. Brasseur avait regardé comme le prix moyen de transport entre vingt et cinquante lieues. L'argumentation de l'honorable membre ne peut donc pas rester debout, car l'abaissement des tarifs à longues distances est loin d'être aussi exagéré qu'il le pensait d'abord.

Je pourrais d'ailleurs vous démontrer, messieurs, combien est infiniment petite l'influence qu'exercent sur le résultat général, les transports de matières pondéreuses à longues distances ; je me bornerai à vous faire remarquer que, sur plus de 4,000,000 de tonnes transportées en 1869, 100 tonnes environ seulement se sont arrêtées à une distance de 35 lieues, et pas une, pas une seule, à 50 lieues ! C'est-à-dire que le prix de transport à cette distance, eût-il été de 0 au lieu d'être de 2 4/10 par tonne kilomètre, les résultats n'en eussent été aucunement affectés. ;

Enfin, pour vous donner une idée du peu d'importance des transports à longues distances, malgré la libéralité du barème après 20 lieues, je vous rappellerai que sur 4,065,000 tonnes de matières pondéreuses transportées sur tout le réseau en 1869, 4,011,000 tonnes, se sont arrêtées en deçà de la 26ème lieue ; en un mot, au delà de 25 lieues, il ne restait plus que 1 33/100 p. c. de matières pondéreuses à transporter. Il n'y a donc point lieu de déplorer les pertes auxquelles les tarifs à grandes distances auraient pu exposer l'administration des chemins de fer de l'Etat.

Puisque j'ai la parole, j'en profiterai pour motiver le vote que j'émettrai sur le budget. J'avais déclaré à M. le ministre des travaux publics que ce vote serait négatif dans le cas où il ne pourrait me fournir l'assurance qu'une solution serait donnée, le 1er juillet prochain, à la question des chemins de fer qui doivent se construire dans mon arrondissement.

M. le ministre m'a affirmé que si la société concessionnaire ne tenait pas ses engagements, il aviserait à résilier la convention verbale intervenue entre lui et cette société, au mois de février dernier.

Or, résilier cette convention, c'est se résoudre à user du crédit de 1,500,000 francs accordé au gouvernement par la loi du 30 juin 1869, pour la construction du chemin de fer de Blaton à Ath, ou à concéder cette ligne à de nouveaux demandeurs qui s'offrent de se substituer, à leurs risques et périls, au gouvernement pour la réalisation du projet.

J'ai confiance dans la parole de M. le ministre des travaux publics, et puisqu'il s'est placé dans l'alternative que je viens d'indiquer, j'accorderai bien volontiers mon vote affirmatif au budget de son département.

M. le président. - La parole est à M. Brasseur.

M. Brasseur. - Mon état de santé ne me permet pas de parler dans la séance de ce jour ; je cède en conséquence mon tour de parole. Toutefois, j'exprimerai le désir que j'éprouve de prendre la parole dans cette question, et j'espère cependant qu'il me sera encore possible de prendre part à cette discussion générale sur les chemins de fer.

M. le président. - Je dois faire observer à M. Brasseur qu'il est le dernier inscrit pour parler sur cette question spéciale.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je demande la parole.

M. le président. - La parole est à M. le ministre des travaux publics.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Ma tâche est excessivement simplifiée par les observations qui se sont produites des deux côtés de la Chambre et par les arguments qui se sont détruits mutuellement.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, qui vous a longuement entretenus, n'a fait que rééditer le discours qu'il a prononcé à différentes reprises sur le même objet.

Aux yeux de l'honorable membre, rien n'est bon dans l'administration des chemins de fer ; l'instrument est mauvais et ceux qui en jouent en jouent très mal ; les stations sont mal construites ; les tarifs sont mal établis ; l'exploitation est mal faite à tous les points de vue.

Malgré les démonstrations réitérées des comptes rendus, le matériel de traction et des transports coûte 100,000 francs par kilomètre de route exploité ; nos voitures sont construites sur un modèle vicieux ; nos locomotives sont inférieures à celles de l'étranger ; il faudrait amortir le capital employé à l'achat d'un matériel qui ne fait que se renouveler tout en s'améliorant ; le personnel n'a même pas droit à nos remerciements lorsqu'il fait vaillamment son devoir et il est douteux qu'il soit à la hauteur de sa mission ; les conditions réglementaires du service des transports sont vexatoires et faites pour éloigner la clientèle ; le gouvernement s'ingénie à rechercher les moyens de se soustraire à la responsabilité qui lui incombe en sa qualité de transporteur ; il y a urgence à instituer une commission d'enquête, car le déficit se compte par centaines de millions ; le gouvernement est véhémentement soupçonné de prêter les mains à ce que l'exploitation se. fasse dans de mauvaises conditions sur les lignes de la Flandre occidentale, afin que les populations desservies par ces lignes aient à se plaindre bien fort et à travailler d'autant plus activement à une reprise qui est dans les vœux de la compagnie des Bassins houillers.

En un mot, rien n'est bien dans le service des chemins de fer ; il n'existe qu'un seul moyen radical de couper court à cette accumulation de malheurs : c'est d'enlever à l'Etat l'administration des voies ferrées et de constituer celles-ci sous la forme d'une entreprise particulière.

Je regrette de le dire, messieurs, cette opinion, chez l'honorable membre, est un mal chronique, et ce mal, je ne me crois pas plus appelé à le guérir que mes honorables prédécesseurs qui, dans différentes circonstances, ont cherché, vainement à y appliquer un remède.

En dehors de cette opinion pessimiste et digne d'un meilleur sort, je reconnais que l'honorable représentant de Nivelles a présenté des observations de détail qui ont certain mérite. Ces observations de détail, je puis promettre de les examiner et de faire mon profit de ce qu'elles ont de juste et d'utile.

L'honorable M. Brasseur ne s'attend pas sans doute à ce que je renouvelle, en opposition aux observations qu'il a développées de nouveau tout à l'heure, les explications que j'ai déjà fournies sur la tarification des pierres bleues, sur les réductions de taxes accordées par l'adoption de tarifs spéciaux, ni sur l'utilité qu'il y aurait à laisser circuler sur les lignes de l'Etat un matériel à fournir par le public.

Je ne puis, en ce qui concerne les prix de transport appliqués aux pierres, que me référer à mes précédents discours, comme je ne puis, pour ce qui touche aux réductions de taxes signalées, que renouveler mes précédentes promesses. J'ai dit à la Chambre que ces réductions avaient fixé mon attention d'une manière particulière, avant que la question fût soulevée dans cette enceinte ; les objections qui vous ont été soumises, je me les étais faites à moi-même. Non seulement j'examine, mais j'aurai très prochainement l'occasion de me prononcer sur le principe qui est en jeu. Je vous fatiguerais à me répéter et je n'ajouterais rien aux déclarations que j'ai faites et qui restent acquises.

Je puis tenir le même langage quant au matériel à construire par l'industrie et à faire circuler ensuite sur les rails du chemin de fer de l'Etat. J'appelle de tous mes vœux l'extension du système qui fonctionne, depuis longtemps, dans les limites étroites qui sont connues de l'honorable M. Boucquéau mieux que de personne.

Je suis loin de m'opposer à ce que l'on travaille à un plus large emploi des waggons que le public mettrait à la disposition de l'administration, du moment que la pratique continue dans des conditions raisonnables.

Encore une fois, j'exprime l'espoir que la présente discussion contribue à propager la mesure en lui donnant plus de publicité.

Je passe, messieurs, à un autre ordre d'idées :

Les questions soulevées par l'honorable M. Brasseur sont certainement des plus importantes parmi toutes celles qui peuvent être discutées devant la Chambre : question de tarif, question d'exploitation, discussion des comptes et des bilans, tout a été traité par l'honorable membre avec de grands développements. D'autres collègues, également versés dans ces matières, ont répondu déjà ; ils sont d'avis différents sur les points les plus importants ; ils combattent les chiffres de M. Brasseur par d'autres chiffres, ses arguments par des arguments contraires, preuve évidente des difficultés que présente la recherche de la solution et du peu de certitude des renseignements que l'on possède pour la trouver.

Vous comprendrez donc, messieurs, que lorsque des hommes aussi compétents que ceux que vous avez entendus diffèrent si complètement d'opinion entre eux, je ne puis avoir, moi nouveau venu, la prétention d'apporter de nouvelles lumières dans ce débat. Je ne puis que prendre l'engagement de faire étudier sérieusement les questions ardues soulevées devant vous, de peser les observations qui vous ont été présentées et de vous apporter ensuite le résultat consciencieux des études que j'aurais provoquées et du travail que je m'imposerai à moi-même.

Deux points paraissent surtout importants à éclaircir :

1° Le chemin de fer doit-il être administré comme le ferait une société industrielle ?

2° Le prix de revient peut-il être parfaitement établi ? De ces deux points dépend nécessairement la solution de bien des questions.

Quant au prix de revient, j'ai déjà eu l'honneur de le déclarer à la section (page 1375) centrale, je prends l’engagement de réaliser très incessamment le vœu de la Chambre en créant le service spécial auquel doit être confiée la mission d'établir cet élément important dans toute administration ou tout au moins de réunir et coordonner les bases de ce travail.

Ce travail répondra-t-il aux espérances de plusieurs d'entre vous ? Cela peut paraître douteux, mais l'expérience mérite d'être tentée ; elle paraît désirée par la Chambre et je m'engage donc à la tenter.

Si l'administration des chemins de fer de l'Etat doit être établie commercialement, bien des modifications, bien des augmentations peut-être devront être apportées aux tarifs, à l'exploitation, au bilan de cette grande entreprise.

Tout ce qui se fait actuellement, au point de vue de l'intérêt du commerce et de l'industrie, tout ce qui se fait, au point de vue de la facilité des communications, du confort, de l'agrément des populations, qui voient dans le chemin de fer de l'Etat une institution nationale plutôt qu'une affaire exclusivement d'intérêt et de dividende, tout cela devrait probablement être profondément modifié. Quel effet cela produirait-il sur le public commerçant et autre, qui ne se trouve pas si mal de la situation actuelle, puisqu'il pousse ardemment l'Etat dans la voie ouverte de la reprise des chemins de fer concédés ?

L'exploitation du réseau national ramenée aux règles d'une entreprise commerciale, favorable peut-être aux recettes du chemin de fer, le serait-elle autant aux intérêts généraux, et les bénéfices que produirait ce nouveau système équivaudraient-ils aux bénéfices que produisent, même pour le trésor public, les avantages dus à une exploitation plus large, plus généreuse,*plus nationale ?

Toutes ces questions sont bien délicates, l'honorable M. Brasseur l'a reconnu lui-même et il a bien voulu déclarer qu'il me serait de toute impossibilité de les résoudre. Actuellement, il n'a réclamé de moi et de mon département qu'un examen sérieux ; je m'y suis déjà engagé, je réitère encore ma promesse.

Cependant il est certains points du discours de l'honorable M. Brasseur qui pourraient laisser une fâcheuse impression dans le pays si, par mon silence, ils pouvaient être considérés comme acceptés pour vrais par le gouvernement.

Je dois donc faire mes réserves sur ces points.

Je dois d'abord faire observer qu'il n'y a rien d'absolument neuf dans les observations de l'honorable membre, toutes les questions qu'il a soulevées ont été agitées, discutées et résolues depuis longtemps.

Ainsi, l'idée d'organiser une comptabilité spéciale pour les dépenses des chemins de fer était prévue dans le projet de loi que l'honorable M. Rogier a soumis aux Chambres en 1833 et qui est devenu la loi de 1834, après avoir été modifiée, et la disposition relative à une comptabilité spéciale a été abandonnée par le gouvernement avec l'assentiment de la Chambre.

Ce que plusieurs vous conseillent aujourd'hui, ce serait donc de revenir sur ce que vous avez décidé. Y aurait-il utilité à le faire ? il est permis d'en douter.

L'honorable M. Brasseur a fait un reproche à l'administration de ne pas avoir tenu compte, en établissant la situation financière du chemin de fer, ni des intérêts dus sur les avances qu'aurait pu lui faire le trésor public, ni des intérêts dus sur les fonds prélevés sur les ressources ordinaires de l'Etat pour être employés au premier établissement.

Eh bien, messieurs, c'est après mûr examen de la part de la cour des comptes, du département des finances et du département des travaux publics, que la chose a été ainsi résolue.

En 1856, la cour des comptes a fait un premier travail sur la situation financière du chemin de fer. Ce travail comprenait un tableau des intérêts réciproques dus au trésor public par le chemin de fer et au chemin de fer par le trésor public, du chef de solde des balances annuelles des comptes. Car vous le remarquerez, messieurs, ce n'était pas toujours le trésor qui se trouvait en avance ; parfois aussi le contraire avait lieu.

En 1856, la cour des comptes, invitée par la section centrale chargée de l'examen du budget des travaux publics, à poursuivre son travail, a spontanément renoncé à relever encore ces intérêts ; elle l'a fait, dit-elle, « pour se rapprocher davantage de la vérité. »

En 1857, M. Dumon, alors ministre des travaux publics, soumit aux Chambres un rapport sur la situation financière.

Ce travail avait été passé au crible d'un sérieux examen qui n'a pas duré moins de neuf mois. Il s'est fait contradictoirement entre la cour des comptes, le département des finances et celui des travaux publics et les intérêts réciproques ont été laissés de côté.

Ce rapport n'a été l'objet d'aucune critique à ce point de vue, et l'on a continué à suivre les mêmes errements.

Il en a été de même pour les intérêts qui auraient pu être renseignés du chef des crédits de premier établissement fournis par les ressources ordinaires du trésor.

Toujours il a été admis que lorsque le trésor lui-même ne paye pas d'intérêts pour les sommes qu'il avance au chemin de fer, ce dernier ne lui en doit pas.

Et cela s'est fait ouvertement, au vu et su de chacun, sans réclamation aucune, car si l'honorable M. Brasseur avait lu le compte rendu de 1860, il se serait dispensé d'insinuer que l'administration du chemin de fer avait voulu user de dissimulation, et l'honorable M. Le Hardy se serait abstenu de le répéter hier.

L'honorable M. Brasseur voudrait aussi que l'on portât au passif du bilan du chemin de fer la valeur nominale du capital emprunté pour frais de premier établissement. C'est-à-dire que les emprunts contractés à cet effet y fussent portés à leur valeur nominale et non pour la somme réellement reçue. Mais l'honorable membre a perdu de vue que l'Etat n'est nullement engagé à amortir au pair, et que si le 4 1/2 p. c. dépasse actuellement le pair, il n'en a pas toujours été ainsi ; et qui oserait prévoir les fluctuations que pourra encore subir ce fonds avant l'époque où l'amortissement sera achevé ?

La réplique que l'honorable M. Descamps vient de donner sur ce point à M. Brasseur me dispense de développer devant la Chambre les arguments que j'aurais opposés à l'honorable représentant de Philippeville. Je passerai donc brièvement sur cette partie des critiques auxquelles je réponds.

Je dirai seulement, après l'honorable M. Descamps, que les observations de l'honorable M. Brasseur n'ont porté que sur le 4 1/2 p. c, ce qui pourrait donner une certaine valeur à son raisonnement.

Mais nous avons aussi du 3 p. c. et si nous avions du 2 1/2 p. c. faudrait-il aussi débiter le chemin de fer de la valeur nominale des titres ? Faudrait-il déclarer qu'un capital nominal de 10 millions à 2 1/2 p. c. représente une dette de 10 millions ? Cela ne me paraît pas possible.

M. Brasseur déclare ensuite que c'est violer la loi que de porter au budget les dépenses d'améliorations. J'avoue que je n'ai jamais compris ce scrupule : a-t-on jamais reproché à un propriétaire d'améliorer son immeuble sur son revenu ? Cela peut être un vice de comptabilité, mais le résultat n'est que plus favorable au point de vue de la situation du chemin de fer, et d'ailleurs le texte des lois budgétaires repousse toute idée d'illégalité puisqu'elles réduisent à ces termes toute l'argumentation de M. Brasseur : les lois budgétaires contiennent des crédits formellement destinés à l'amélioration (le mot y est textuellement), et cependant il y aurait illégalité à prélever des dépenses d'amélioration sur les budgets !

On paraît généralement d'accord, et l'honorable M. Brasseur lui-même semble partager cet avis, que l'amortissement exigé du chemin de fer ne se justifie guère. L'honorable M. Moncheur nous a récemment exposé cette thèse d'une manière lucide et frappante.

Mais enfin, la loi l'impose, et tant que la loi n'est pas changée, il faut bien l'appliquer. Voulez-vous la changer ?

Il en résulterait cette conséquence que le boni du chemin de fer aurait atteint, au 1er janvier 1870, la somme ronde de 68,000,000 au lieu de 63,000,000.

Mais l'honorable M. Brasseur contestera peut-être cette expression de « boni », car il a paru soutenir que l'on ne s'enrichit pas quand on paye ses dettes ou que l'on rembourse les créances grevant un immeuble. M. Le Hardy a même été plus loin encore, car il a prétendu que le chemin de fer doit continuer à payer des intérêts sur les capitaux qu'il a déjà amortis.

D'ailleurs, qu'importent au fond toutes ces théories ? Qu'importe que l'on compte des intérêts ou que l'on n'en compte pas sur telles ou telles sommes avancées pour le service annuel ou pour la construction ? L'essentiel, c'est le produit réel, effectif de l'exploitation.

Eh bien, ce produit réel a été en 1869 de 6 p. c. des capitaux utilisés. L'exactitude de ce chiffre est inattaquable ; il est indépendant de toute question d'intérêts et d'amortissement.

Quels sont les chemins de fer en Belgique qui donnent un résultat semblable ?

Le produit s'est même élevé plus haut, et une année nous avons obtenu 7 1/4 p. c ; tâchons de remonter à ce taux, si nous le pouvons sans nuire à l'utilité générale de l'entreprise.

Voilà le but à atteindre.

Ce but, si nous y parvenions, nous permettrait de chercher à introduire dans notre exploitation des améliorations nouvelles.

Il nous permettrait plus de hardiesse dans la reprise ou la construction de lignes nouvelles moins fructueuses que les nôtres et si désirées par les populations.

(page 1376) Chacun serait traité de la même manière et bien des plaintes viendraient à cesser.

Mais, pour arriver à ce résultat, il faut chercher à faire produire au réseau actuel tout ce qu'il peut produire, en maintenant les meilleures conditions pour l'industrie et le commerce.

Ceci m'amène tout naturellement à la question des tarifs.

Je ne parlerai pas du tarif des marchandises, le système du tarif différentiel à la distance généralisé par l'honorable M. Vanderstichelen, en 1864, paraît satisfaisant et suffisamment rémunérateur ; tous ces points ont été parfaitement établis par l'honorable M. Braconier, à qui M. Descamps vient de se joindre ; le statu quo paraît donc devoir être maintenu à cet égard.

Quant à certains tarifs spéciaux introduits dans un but de concurrence, j'ai fait toutes mes réserves, en répondant dernièrement et tout à l'heure encore à M. Boucquéau.

L'attention du gouvernement a été appelée aussi sur quelques points particuliers :

1° L'affranchissement des petits paquets au moyen de timbres adhésifs ;

2° La révision du mode de tarification des petites marchandises ;

3° Le déclassement des engrais et des produits agricoles dans les tarifs ;

4° La réduction des frais fixes pour les petits parcours ;

5° L'harmonie à établir entre les prix du transit et ceux du service intérieur ;

Et enfin 6° la question des abonnements.

L'affranchissement des petits paquets au moyen de timbres adhésifs est résolu en principe, mais l'administration se trouve arrêtée par une difficulté dont la Chambre appréciera l'importance.

Quelles sont les précautions à prendre pour garantir le public contre les soustractions, qui seraient bien plus à craindre si, de même que pour les lettres non recommandées, l'expédition des colis ainsi affranchis ne laissaient aucune trace de leur acceptation et de leur expédition ?

Des renseignements sont recueillis là où le système est appliqué, et j'aime à croire que le public jouira bientôt de la faculté qu'il réclame à bon droit.

La révision du mode de tarification des petites marchandises, le déclassement des engrais, la réduction des frais fixes pour les petits parcours, ce sont des questions d'une importance beaucoup plus grande.

Cependant le gouvernement reconnaît qu'il y a quelque chose à faire, et il est décidé à ne pas demeurer inactif ; mais il réserve son heure et son moment ; cette heure sera d'autant plus avancée que les produits du chemin de fer seront plus avantageux.

Les questions posées s'étudient donc très sérieusement, avec le désir de donner une satisfaction légitime aux intérêts importants qui sont ici en cause, comme s'étudient aussi les moyens d'amener autant que. possible l'uniformité entre les tarifs du chemin de fer de l'Etat et ceux des chemins de fer concédés.

Pour obtenir ce résultat, peut-être conviendrait-il de discuter désormais les questions de ce genre conjointement avec des délégués des compagnies ; c'est ce que je me propose de faire, notamment pour la tarification des engrais et des produits agricoles, qui ne peut être fixée d'une façon vraiment efficace que par l'adoption d'un système unique pour toutes les voies ferrées du pays.

L'harmonie à établir entre les prix du transit et ceux du service intérieur a été préconisée par l'honorable M. Braconier. Je lui ferai observer que le régime spécial fait au transit ne s'applique plus qu'aux expéditions entrant ou sortant par les frontières de mer ; mais, même réduite à ces proportions, la question est bien délicate et doit être bien soigneusement examinée. Il en sera de même des abonnements et des termes pour lesquels il convient de les accorder.

A ce propos, je rappellerai à l'honorable membre que l'administration a reconnu depuis longtemps que les abonnements de six mois et d'une année sont de beaucoup plus avantageux pour l'exploitation, que ceux dont la durée n'excède pas un mois ; aussi les premiers sont-ils favorisés par une réduction de taxe qui est de 25 centimes par tonne transportée, tandis que les abonnements d'un mois et moins ne s'obtiennent que moyennant une surtaxe de 25 centimes.

Encore ne doit-on, à mon sens, pas proscrire d'une manière absolue les abonnements d'un mois, attendu qu'ils offrent, sous le rapport de la régulière utilisation du matériel, des avantages qui ne sont pas à dédaigner.

Mais tous ces résultats, quelque durables qu'ils soient, ne peuvent être obtenus que pour autant que l’on fasse produire au chemin de fer tout ce qu'il peut produire.

Ceci me conduit, messieurs, à vous communiquer mon opinion sur le tarif des voyageurs.

Dans cette question, je. dois le déclarer, je me sépare de l'honorable M. Braconier, avec qui j'avais pour ainsi dire voyagé de conserve jusqu'ici.

Vous venez d'apprendre que l'honorable M. Descamps se rallie à l'opinion de l'honorable M. Braconier.

Les honorables membres reconnaissent cependant qu'il y a des anomalies à faire disparaître et qu'il faut diminuer les écarts actuellement existants entre les trois zones du système inauguré en 1866.

Ce qui me sépare, des honorables membres, c'est qu'ils voudraient qui le rapprochement s'opérât par une nouvelle diminution de tarif sur les deux premières zones, tandis que je suis d'avis que c'est par le relèvement des tarifs de la troisième zone que l'harmonie doit être rétablie.

En deux mots, je pense que l'expérience tentée par l'honorable M. Vanderstichelen n'a pas été aussi heureuse qu'il paraissait l'espérer.

D'après moi, et je ne suis pas le seul à le penser, la classe la plus nombreuse et la moins riche des voyageurs belges se trouve presque entièrement exclue des bénéfices de la réforme et c'est, à mes yeux, le plus grand vice de celle-ci. C'est un vice qu'il faut faire disparaître en dégrevant les petits parcours.

Ces raisons, mûrement pesées, m'ont engagé à mettre à l'étude un programme destiné à augmenter la recette du chemin de fer et à apporter une amélioration notable au régime que subissent actuellement ceux qui ne voyagent pas au loin.

Ce programme comprend :

1° Retour au barème appliqué antérieurement au 1er mai 1866, fout en maintenant la troisième classe dans les trains express ;

2° Généralisation des billets d'aller et retour pour toutes les relations et toutes les distances ;

3° Introduction du mode d'abonnement pour de nouvelles catégories de voyageurs ;

4° Présentation de mesures complémentaires à celles qui précèdent.

En arrêtant ce programme, le gouvernement s'est proposé :

1° De ramener le tarif normal à des bases rationnelles et conformes à celles admises partout ailleurs ;

2° D'appeler les voyageurs qui ne font que de petits parcours à profiter des réductions qui jusqu'à ce jour n'ont été accordées qu'aux grandes distances seulement ;

3° De rectifier ce qu'il y a d'excessif dans les réductions résultant du tarif actuel ;

4° De faire disparaître les anomalies qui affectent les relations internationales au préjudice du trésor et de la simplicité des services ;

5° De rendre le tarif acceptable par les compagnies, et d'assurer ainsi l'uniformité si désirable dans l'exploitation de toutes les lignes belges ;

6° De donner une légitime satisfaction au vœu fréquemment exprimé de voir l'administration appliquer le mode d'abonnement au transport des voyageurs et particulièrement au transport de ces ouvriers que l'honorable M. Vermeire recommandait encore hier à voire sollicitude ;

7° Enfin, d'améliorer les recettes.

Tel est le but que je poursuis et telles sont les considérations générales qui m'ont déterminé.

Le travail de la commission spéciale que j'ai instituée à cet effet est très avancé.

Cependant bien des questions de détail restent à élucider.

C'est seulement lorsque ces questions seront définitivement résolues que l'ensemble du système pourra être convenablement apprécié.

C'est seulement alors que je me propose de le mettre à exécution et qu'il pourra être discuté, si les résultats ne correspondent pas à mes prévisions.

M. le président. - Je propose à la Chambre de continuer demain la discussion du budget des travaux publics. (Adhésion.)

Proposition de loi

Dépôt

M. le président. - Il vient de parvenir au bureau une proposition de loi qui sera renvoyée demain aux sections pour qu'elles décident si elles en autorisent la lecture.

- La séance est levée à 5 heures.