(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.)
(page 1362) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Dominique Mathias, maréchal de logis au 2ème régiment d'artillerie, né à Hoffelt (grand-duché de Luxembourg) demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Des habitants de Maransart prient la Chambre de rejeter les augmentations à l'impôt foncier proposées par le gouvernement. »
« Même demande d'habitants de Jandrain-Jandrenouille, Beauvechain, Wavre, Noville, Thorembais-Saint-Trond. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi qui apporte des modifications aux lois d'impôt.
« Le conseil communal d'Halanzy demande que le gouvernement lève la prohibition du bétail à la sortie sur la frontière d'Athus à la mer ou du moins qu'il rende libre la frontière française qui touche à la province de Luxembourg. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Le conseil communal de Maffe prie la Chambre d'accorder au sieur Duwez la concession d'un chemin de fer d'Hastière à Pepinster. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le ministre de l'intérieur adresse a la Chambre un exemplaire du compte rendu des séances de la chambre des députés du grand-duché de Luxembourg, session législative de 1870-1871. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. de Borchgrave (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole, non pour une rectification aux Annales, mais bien pour établir le sens de quelques paroles prononcées par moi dans la séance d'hier.
En parlant de rapports émanant de fonctionnaires des ponts et chaussées, j'ai dit : « ou incapacité ou mauvaise foi ». M. le ministre a fait immédiatement ses réserves : tout le monde le comprendra facilement.
Quant à moi, je déclare que ce mot a mauvaise foi » ne rendait pas ma pensée ; j'aurais dû dire : « mauvais vouloir ».
Et encore cette appréciation ne concerne pas l'ingénieur dont il est question dans le second fait que je signale dans ma réponse au ministre.
Tout ce que je puis reprocher à cet honorable fonctionnaire, c'est de ne pas avoir pris ses renseignements aux sources auxquelles j'ai prié hier M. le ministre de les engager dorénavant à les prendre.
M. le président. - Vos paroles serviront de rectification aux Annales.
M. Jacobs, ministre des finances (pour une motion d’ordre). - Messieurs, nous avons, à notre ordre du jour, un assez grand nombre d'objets, mais tous ne présentent pas le même degré d'urgence. Ainsi, je ne crois pas que nous puissions aborder d'ici à quelque temps la discussion du code de commerce.
Je demande à la Chambre de mettre à l'ordre du jour, immédiatement après la discussion du budget des travaux publics, le projet de loi apportant des modifications aux lois d'impôt et la proposition de loi relative a l'abolition des droits de débit de boissons alcooliques et de tabacs. Ces deux objets doivent être compris dans la même discussion.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - Nous sommes arrivés au chapitre III, Mines.
M. Vleminckx a demandé la parole sur ce chapitre.
M. Vleminckx. - Dans le courant de cette session, une pétition adressée à la Chambre, par l'administration communale de Gand, la sollicitait vivement de provoquer des mesures ayant pour objet la réglementation du travail des enfants dans les manufactures.
La Chambre renvoya cette pétition à M. le ministre de l'intérieur, et de plus, à ma demande, à M. le ministre des travaux publics, l'affaire étant également du ressort de son département, attendu qu'un grand nombre d'enfants sont employés dans les mines et minières, exclusivement placées sous sa haute surveillance.
Je prévins alors l'honorable ministre des travaux publics que j'appellerais son attention sur cette importante question, lorsque nous discuterions le budget de son département.
L'honorable ministre a donc été bien et dûment prévenu, et j'ai quelque espoir qu'il pourra nous faire connaître aujourd'hui ses intentions sur l'objet dont je vais avoir l'honneur de l'entretenir.
Un décret de 1813 statue qu'il est défendu de laisser descendre ou travailler dans les mines et minières les enfants au-dessous de dix ans.
Il établit, en outre, que nul ouvrier ne peut être admis dans les travaux, s'il est ivre ou en état de maladie.
Je ne m'occupe pas de ce dernier point, bien qu'il serait assez important de connaître, dans l'intérêt de la sécurité des travailleurs, si cette prescription est scrupuleusement exécutée et comment elle l'est.
Je m'attache plus particulièrement au premier, c'est-à-dire, à la descente dans les fosses des enfants de dix ans.
C'est, à mon avis, un abus monstrueux et je demande instamment qu'on y mette un terme ; je suis convaincu qu'aucun membre de cette Chambre ne refusera son approbation à la réforme que je sollicite.
Le travail dans les fosses, d'enfants de dix ans, est, à mes yeux, un assassinat physique et moral.
Et je ne suis pas seul à le dire. « Les jeunes ouvriers mineurs, écrivait déjà en 1846 et 1847 la chambre de commerce de Charleroi, sont, en général, de petites brutes. Les enfants livrés jeunes aux travaux des mines deviennent d'une singulière paresse intellectuelle. Il n'est pas de catégorie de travailleurs où l'on trouve un aussi grand nombre de rejetons qui, arrivés à l'école, à un médiocre degré d'intelligence, ne peuvent, quoiqu'on fasse, aller au delà. »
Voici, messieurs, sur cette question, l'avis d'un homme dont le souvenir est resté cher à tous ceux qui ont eu le bonheur de le connaître, feu l'ingénieur Bidaut, ancien secrétaire général du département des travaux publics.
Après avoir constaté le déplorable état moral des districts houillers, il ajoute ce qui suit :
« Le mal provient de ce qu'on admet à pratiquer la profession de mineur : 1° des personnes du sexe féminin, auxquelles cette profession devrait être complètement étrangère ; 2° les individus du sexe masculin au dessous de 14 ans.
« Ces deux causes amènent, entre autres, les désordres moraux dont j'ai parlé, produisent une dégénérescence physique déplorable et maintiennent les houilleurs dans un état d'ignorance qui ne l'est pas moins.
« Si l’on veut soustraire cette classe si digne d’intérêt aux causes de (page 1363) dégradation physique et morale auxquelles elle est en proie, ce n'est point avec des demi-mesures qu'un pourra y parvenir. Les mesures simples et énergiques qui peuvent faire atteindre complètement le but, sont l'exclusion absolue des mines : 1° des femmes de tout âge ; 2° des enfants au-dessous de 14 ans. »
Je trouve dans une publication l'extrait ci-après d'une lettre adressée par M. l'ingénieur principal des mines, Lambert, à Charleroi, à un de nos anciens et bien regrettés collègues, l'honorable M. Sabatier :
« Je ne suis nullement partisan du travail des femmes dans les mines, mais j'aimerais à voir commencer les améliorations par augmenter l'âge des enfants, avant qu'ils puissent y être admis.
« L'âge fixé par le décret de 1813 est absolument trop bas. Pour fixer une telle limite, mieux vaudrait ne pas en fixer, car on semble dire par là, qu'après dix ans, l'admission n'est plus un mal. Que peut aller faire dans nos houillères un enfant de 10, 11 ou 12 ans, si ce n'est d'attester par sa présence une mauvaise organisation du travail ? Il ne peut qu'énerver ses forces, sans service rendu, et se corrompre tôt ou tard, au contact de la plus détestable des éducations. Souvent on ne l'admet à cet âge que par complaisance ou par charité pour les enfants. Funeste complaisance, charité bien nuisible, qui empêchent l'enfant d'acquérir des forces et l'instruction dont il aura si grand besoin plus tard. »
Ces témoignages suffiraient déjà, ce me semble, pour justifier la demande que je fais au gouvernement d'aviser à la révision de la partie du décret de 1813 que je viens d'avoir l'honneur de lui signaler.
Mais il y en a d'autres et beaucoup. L'enquête est faite. Il n'y a plus lieu de la recommencer. Le gouvernement est muni de tous les documents nécessaires pour lui permettre de prendre une résolution définitive et énergique. Il le peut, qu'il le fasse donc et sans délai.
Vous vous rappelez, messieurs, que l'honorable M. Jamar, lorsqu'il dirigeait le département des travaux publics, a fait faire, et nous avons à l'en remercier, une enquête sur la situation des ouvriers dans les mines et usines.
Vous avez lu, messieurs, le rapport auquel elle a donné lieu, et vous avez pu y constater que tous les ingénieurs des mines consultés sont d'avis, sans exception aucune, qu'il est indispensable d'interdire la descente des enfants dans les fosses, avant l'âge de douze ans au moins.
J'ai ici, devant moi, tous ces avis ; il importe, pour l'édification de tous, de les mettre sous les yeux de la Chambre.
« M. Gonol, ingénieur en chef : La seule mesure d'ordre public qu'il conviendrait de prendre, serait d'interdire dorénavant le travail des mines et, par conséquent, la délivrance de livrets d'ouvriers mineurs aux enfants âgés de moins de douze ans.
« M. Joehams, ingénieur en chef : Même avis pour les deux sexes.
« M. l'ingénieur en chef Rucloux : On ne les admet généralement qu'à partir de la douzième année (époque de la première communion). Jusqu'alors c'est tout au plus si la moitié d'entre eux a fréquenté l'école qu'ils quittent à peine dégrossis, pour satisfaire aux exigences de leurs parents.
« M. Flamache, ingénieur principal : Je crois que la latitude laissée par l'article 29 du décret (3 janvier 1815 « il est défendu de laisser descendre ou travailler dans les mines et minières des enfants au-dessous de 10 ans» ) pourrait être restreinte, et la limite d'âge reportée à 12 ans, du moins pour les garçons... Cette limite d'âge de 12 ans est-elle suffisante pour les filles ? Ne conviendrait-il pas pour elles de la reculer jusqu'à l'âge, souvent néfaste, où s'accomplit la transformation de la jeune fille ? C'est là, je pense, un point qui est de la compétence des physiologistes. »
Laissez-moi vous dire, par parenthèse, que les physiologistes seront probablement tous de cet avis. Mais songe-t-on jamais à consulter des physiologistes sur de semblables fails ?
« M. Lambert, ingénieur principal, le même dont je vous parlais tout à l'heure : Je constate avec bonheur que le nombre d'enfants employés dans les travaux souterrains est moindre que je ne le supposais. Il est cependant encore trop grand dans l'intérêt de leur développement physique, dans l'intérêt surtout de leur instruction qui doit en souffrir singulièrement, et je dirai même dans l'intérêt de l'exploitation, où ils n'apportent pas un effet utile en rapport avec leur salaire... Il n'y a pas de doute qu'une défense d'admettre dans les mines les enfants au-dessous de douze ans serait plutôt utile que préjudiciable à l'industrie... Quant aux filles, cette limite d'âge pourrait être portée à quinze ans. Jusqu'alors elles auraient le temps de fréquenter les écoles et d'acquérir une certaine instruction pour atténuer les effets de cette détestable éducation qui distingue partout la population charbonnière, tant féminine que masculine. Quelques-unes pourraient déjà, dans l'intervalle, choisir un état plus en rapport avec leur goût, leur aptitude et leur constitution, ce qui les empêcherait de se livrer plus tard aux travaux houillers. »
« M. Beaujean, ingénieur principal :Quant à la limite d'âge jusqu'à laquelle ont peut admettre les enfants à travailler dans les charbonnages tant à la surface qu'à l'inférieur, on devrait commencer par la fixer à 11 ans, sauf, plus tard, à prendre pour base 12 ans pour les garçons et les filles. »
« M. Hamal, ingénieur principal : J'en viens à la recherche des mesures à conseiller pour arriver au but indiqué (c'est-à-dire la moralisation de l'ouvrier, un degré d'instruction, l'esprit de prévoyance, une heureuse aisance).
« Sous ce rapport, le champ est très vaste.
« I. Suppression peu à peu du travail des femmes dans les mines, c'est ce dont conviennent les personnes mêmes qui voient dans ce travail moins de danger que dans la plupart de ceux qu'on pourrait offrir à ces femmes, à la surface, en compensation.
« II. Suppression du travail des enfants en bas âge, lorsque surtout, ils sont dépourvus d'instruction. Je crois aussi que sous ce rapport tout le monde est d'accord et qu'il y aurait peu d'inconvénients à l'appliquer immédiatement.
« Je crois, ajoute-t-il, qu'en cessant d'employer des femmes à l'intérieur ou des enfants en bas âge, l'exploitant agirait autant dans son intérêt que dans celui de l'ouvrier. Il lui serait, en effet, évidemment avantageux de voir se substituer aux premières, petit à petit, donc sans augmentation sensible du prix de la main-d'œuvre, de jeunes ouvriers destinés, puisqu'ils ne doivent pas abandonner le métier, à devenir des mineurs faits ; et cet avantage se doublera, lorsque les enfants ne seront admis au travail qu'assez tard pour pouvoir espérer en faire des ouvriers forts et intelligents. Pour des raisons à peu près identiques, l'ouvrier n'aurait qu'à gagner à ces changements : la femme, élevée principalement au point de vue du ménage, rendrait, comme mère de famille, au centuple peut-être ce qu'elle aurait pu gagner comme fille, par des travaux qui la tiennent éloignée de ce même ménage, et les enfants, devenus hommes, trouveraient, dans un surcroît d'intelligence et de force, le moyen de compenser plus largement encore le faible avantage qu'ils eussent pu procurer à leurs parents, en travaillant trop jeunes. »
Vous le voyez donc bien, messieurs, il y a unanimité. Tous les ingénieurs demandent la modification au décret de 1813 que je viens moi-même réclamer.
La Chambre remarquera que j'ai eu soin, dans cette affaire, de m'effacer. complètement et de laisser parler exclusivement les hommes les plus compétents, leurs avis, à eux, devant, à coup sûr, exercer une plus grande influence sur votre esprit que mes paroles, quelque convaincues qu'elles soient d'ailleurs.
Il n'y a donc plus de doute sur cette question, messieurs ; la cause est entendue : le décret de 1813, en ce qui concerne la limite d’âge pour la descente des enfants dans les fosses, doit être révisé, et j'ajoute qu'il est impossible qu'on fixe le même âge pour les enfants des deux sexes.
C'est même pour moi un doute sérieux que ce décret ait été fait pour l'un et pour l'autre.
Les filles et les femmes n'étaient pas employées dans les fosses, à l'époque où il a été promulgué, et il n'est certes venu à l'idée de personnel alors qu'on pût les y employer jamais. S'il en eût été autrement, messieurs, incontestablement la limite d'âge n'eût pas été fixée à dix ans pour les filles ; c'était déjà mauvais, détestable pour les garçons ; c'eût été monstrueux au premier chef pour les pauvres petites filles.
La Chambre voudra bien remarquer que je ne l'entretiens pas du travail des adultes (hommes et femmes) dans les fosses. Je reconnais qu'il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de les soumettre à une réglementation quelconque.
Et pourtant, messieurs, j'aurais pu rappeler à la Chambre que, sous l'empire du même décret de 1813, les femmes sont complètement exclues du travail des fosses en Prusse ; j'aurais pu lui rappeler qu'il n'y a pas longtemps, des propriétaires de charbonnages se sont adressés au Reichsrath, à l'effet d'être autorisés à les y employer, et que cette assemblée parlementaire avait passé, à la presque unanimité, à l'ordre du jour sur cette demande.
Je ne me suis préoccupé, je ne me préoccupe que du travail des enfants, et il a été bien reconnu, je crois, que pour celui-là, du moins, les pouvoirs publics avaient toute compétence. Et, puisqu'un décret a fixé un âge au-dessous duquel la descente dans les fosses est interdite, il est claire comme le jour qu'une loi peut en fixer un autre.
C'est cette loi que je réclame, que je réclame avec instance, non moins dans l'intérêt de la civilisation et du progrès, que dans celui de l'humanité, dont on ne viole jamais impunément les droits.
(page 1364) Cette loi, c'est M. le ministre des travaux publics qui doit nous l'apporter, car c'est à lui qu'appartient l'exécution du décret de 1813. L ne s’agit pas, messieurs, et vous le comprendrez sans peine, d'une réglementation générale du travail des enfants dans les usines. Il s'agit purement et simplement de fixer l'âge de la descente pour les filles et les garçons : une réglementation générale comporte bien d'autres détails et Dieu sait quand elle nous sera présentée ! Et d'ailleurs, s'il s'était agi d'elle dans ma pensée, c'est à M. le ministre de l'intérieur que je me serais adressé.
J'aime à croire que l'honorable ministre s'empressera de faire droit à ma demande. Je le répète, l'enquête est facile pour lui : tous ses fonctionnaires lui ont exprimé leur avis. Et à quoi serviraient les enquêtes, grand Dieu ! si, sous l'un ou l'autre prétexte, on pouvait toujours ajourner l'exécution des conclusions normales, logiques qui en découlent ?
Le scandale, oui, le scandale n'a déjà que trop duré. Il importe que l'on ne tarde pas plus longtemps à employer des moyens énergiques « pour atténuer, comme le dit M. l'ingénieur Lambert, les effets de cette détestable éducation qui distingué partout la population charbonnière, tant féminine que masculine » et celui que je propose en est un dont les résultats seront des plus efficaces.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Messieurs, ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de le dire hier, dans une conversation particulière, à l'honorable M. Vleminckx, je crois que la présentation d'un projet de loi sur cette matière ne m'incombe pas. L'administration des travaux publics n'est chargée que d'exécuter des lois qui existent et c'est ainsi que, quoique à regret bien souvent, elle est obligée de respecter le décret de 1813.
Cette matière n'est pas nouvelle à là Chambre. Plusieurs fois elle a fait l'objet de rapports et de projets de loi. Toujours ces projets ont été présentés par M. le ministre de l'intérieur.
En 1848, un premier projet a été présenté à fa Chambre et envoyé à l'avis des chambres de commerce. L'affaire n'a pas abouti.
En 1859, sous le ministère de l'honorable M. Rogier, un second projet de loi a été élaboré, toujours au département de l'intérieur, et envoyé à l'avis des députations permanentes et des chambres de commerce. Ce projet n'a pas non plus abouti. Je le sais, une enquête a été ordonnée en 1868 sur cette question par mon honorable prédécesseur, M. Jamar. Cette enquête a été publiée en 1869, et les résultats de cette enquête sont bien ceux que l'honorable M. Vleminckx vous a fait connaître.
Oui, tous les ingénieurs consultés ont été d'avis qu'il y avait lieu d'apporter des changements considérables au décret de 1813. Tous ont été d'avis que l'âge auquel il était permis de faire descendre les malheureux enfants dans les fossés devait être augmenté.
Plusieurs ont même été jusqu'à fixer cet âge à 16 ans, tout en l'augmentant progressivement pour ne pas jeter de perturbation dans l'industrie. Plusieurs des ingénieurs consultés à cette époque ont même été d'avis qu'il fallait arriver à supprimer progressivement le travail des femmes dans les mines.
Voilà l'opinion du département, telle qu'elle résulte de l'enquête de 1868 ; mais tous ces documents ont été transmis à M. le ministre de l'intérieur, qui doit examiner la question en la combinant avec l'intérêt du commerce, l'intérêt de l'industrie et la réglementation générale du travail dans les fabriques.
Ces documents sont chez lui et je ne doute pas qu'il ne les examine avec la résolution d'arriver promptement à la solution de cet intéressant problème. Si de nouveaux renseignements étaient réclamés, mon administration se mettrait en devoir de les fournir, mais là se borne son rôle.
M. Vleminckx. - Je suis persuadé que l'honorable ministre de l'intérieur présentera un jour une loi pour la réglementation du travail des enfants dans les manufactures ; il s'y est engagé d'ailleurs, mais je ne demande pas cela, il ne s'agit pas même de cela ; quant à présent, je ne réclame qu'une chose, toute simple, à savoir un petit bout de loi portant modification à là limite d'âge fixée par le décret de 1813 pour la descente des enfants dans les fosses. Or, je maintiens que ce devoir appartient à M. le ministre des travaux publics qui est chargé de l'exécution dudit décret.
- Un membre. - De concert avec le ministre de la justice.
M. Vleminckx. - Cela ne fait rien. Sans doute, le ministre des travaux publics doit consulter son collègue de la justice sur le projet de loi à présenter ; mais c'est toujours lui qui doit le formuler, qui doit en prendre l'initiative, puisque lui seul sait ce qu'il faut faire, éclairé qu'il l'est par les ingénieurs qui lui font connaître les modifications que l'expérience a rendues nécessaires. C'est donc à M. le ministre des travaux publics à nous proposer la modification que je réclame. Et je ne comprends pas, en vérité, quelle est la répugnance qu'il éprouve à nous faire une semblable proposition.
De quoi s'agit-il, en effet ? De substituer dans cette loi aux 10 ans du décret de 1813, l'âge de 12 ou 13 ans pour les garçons et 15 ans pour les filles. Y a-t-il quelque chose de plus facile et de plus simple en présence de l'enquête qui a eu lieu ?
Si le gouvernement persiste à ne pas vouloir nous soumettre cette disposition qui aurait les effets les plus heureux, je prendrai moi-même l'initiative d'une proposition au début de la session prochaine.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - La Chambre comprendra parfaitement que cette question est beaucoup plus générale que ne le pense l'honorable M. Vleminckx. Il ne s'agit pas seulement de régler le travail dans les mines ; il s'agit aussi de savoir comment, dans les usines, on peut venir en aide à la faiblesse de l'âge et du sexe.
Aussi cette question a-t-elle toujours été considérée comme étant intimement liée, d'une part, aux prescriptions de l'hygiène, d'autre part, aux intérêts de l'industrie. A ce double titre, elle concerne plus spécialement mon département.
C'est par ce motif que mon honorable prédécesseur s'est adressé aux chambres de commerce et que moi-même, au mois d'octobre ou de novembre, j'ai fait hâter l'envoi des rapports qui n'avaient pas été adressés. J'ai ainsi donné la preuve de tout l'intérêt que le gouvernement porte à cette question, si importante et si grave non seulement au point de vue du bien-être physique de l'ouvrier, mais aussi, mais surtout au point de vue de son éducation morale et intellectuelle.
M. Vleminckx. - L'honorable ministre de l'intérieur confond le travail dans les manufactures avec le travail dans les mines. Or, je ne demande pas, pour le moment, une loi générale ; mais un petit bout de loi d'une ligne, qui fixe l'âge des enfants des deux sexes pour la descente dans les travaux souterrains.
Eh bien, cela ne le regarde pas ; cela regarde M. le ministre des travaux publics, qui, je le soutiendrai toujours, est spécialement chargé d'exécuter le décret de 1813.
Je le répète, si le gouvernaient ne veut pas déposer ce projet de loi si simple et pourtant si nécessaire, je croirai remplir mon devoir de député et de philanthrope, en le proposant moi-même.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Comme preuve de la sollicitude du gouvernement, j'ai apporté ici les premières épreuves du travail dont la Chambre a ordonné l'impression ; et je ne doute pas qu'il ne soit tout à fait de nature à fixer l'attention de l'assemblée.
M. Vleminckx. - Ce n'est pas la même chose.
« Art. 49. Matériel : fr. 1,800. »
- Adopté.
« Art. 50. Traitements et indemnités du personnel du corps des mines et traitements des expéditionnaires employés par les ingénieurs : fr. 209,000. »
- Adopté.
« Art. 51. Frais des jurys d'examen, des conseils de perfectionnement, et missions des élèves-ingénieurs de l'école spéciale des mines : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Art. 52. Confection de la carte générale des mines ; charge extraordinaire : fr. 15,000. »
- Adopté.
« Art. 55. Subsides aux caisses de prévoyance et récompenses aux personnes qui se distinguent par des actes de dévouement : fr. 45,000. »
- Adopté..
« Art. 54. Impressions, achats de livres, de cartes et d'instruments ; publications de documents statistiques ; encouragements et subventions ; essais et expériences : fr. 7,000. »
- Adopté.
M. le président - Nous sommes arrivés au chapitre IV : Chemins de fer - Postes - Télégraphes. Il y a plusieurs orateurs inscrits sur ce chapitre.
(page 1365) Plusieurs d'entre eux ont déclaré vouloir parler sur des questions se rattachant aux chemins de fer ; d'autres ont dit qu'ils s'occuperaient de questions spéciales.
Il conviendrait, pour mettre de l'ordre dans cette discussion, de commencer d'abord par toutes les questions qui se rattachent à l'exploitation des chemins de fer de l'Etat et de traiter ensuite les questions spéciales.
M. Braconier. - Messieurs, dans la discussion du budget des voies et moyens, j'ai demandé à M. le ministre des travaux publics quelles étaient ses intentions relativement aux tarifs du chemin de fer de l'Etat.
L'honorable ministre a répondu qu'étant entré depuis peu de temps au département des travaux publics, il n'avait pu encore étudier suffisamment cette question, mais que, du reste, il en ferait l'objet de ses sérieuses préoccupations.
Depuis lors, messieurs, les journaux qui reçoivent habituellement les confidences du cabinet ont annoncé l'intention qu'avait le gouvernement de modifier le tarif du chemin de fer.
Quelles seront ces modifications ? Nous n'en savons rien.
Modifiera-t-on uniquement le tarif des voyageurs ? Augmentera-t-on aussi celui des marchandises ? Changera-t-on les principes sur lesquels s'appuie ce tarif ? C'est ce que je ne sais pas.
Cependant la question étant agitée et devant recevoir une solution dans un avenir assez prochain, il me paraît utile d'entamer la discussion de cette affaire devant la Chambre, d'autant plus que c'est l'un des sujets les plus importants qui ressortissent à la discussion du budget des travaux publics.
Messieurs, lorsque la réforme des tarifs a été faite par l'honorable M. Vanderstichelen, elle a trouvé beaucoup d'adversaires, comme elle a rencontré beaucoup de partisans dévoués et convaincus.
J'ai fait partie de cette seconde catégorie, avec tous les industriels et les commerçants du pays qui sont convaincus que ces tarifs ont rendu d'éminents services au pays.
Parmi les adversaires de la réforme, je dois citer en première ligne l'honorable M. Malou qui, dans une série d'articles publiés dans le Moniteur des intérêts matériels, a critiqué non seulement l'abaissement du tarif des voyageurs et de celui des marchandises, mais encore le principe sur lequel ils reposaient.
Dans ces différents articles, il m'a paru que l'honorable M. Malou examinait la question à un point de vue exclusif, qu'il considérait le chemin de fer de l'Etat comme une grande société anonyme qui n'a qu'un but, celui de réaliser le plus de bénéfices possible, et de distribuer à ses actionnaires les plus gros dividendes.
Evidemment ce n'est pas à ce point de vue que le gouvernement doit examiner la question.
Je suis le premier à reconnaître qu'il faut que le chemin de fer rapporte l'équivalent des intérêts des capitaux employés ; mais je crois aussi que le gouvernement doit tenir compte et dans une large mesure des avantages que les tarifs réduits procurent à l'agriculture, au commerce et à l'industrie du pays, qu'il doit tenir compte des surcroîts de recettes que lui procure le développement de la richesse du pays. Or, il faut bien le reconnaître, le bas prix des tarifs favorise considérablement le développement de la richesse publique.
L'honorable M. Brasseur, dans le discours qu'il a prononcé dans la discussion générale admet lui, le principe des tarifs différentiels, mais il critique, d'un autre côté, son application au tarif des voyageurs et le bas prix des transports des marchandises de la quatrième classe du tarif n°3, à grande vitesse.
Immédiatement après, à la fin de son discours, par une contradiction que je ne m'explique pas, il réclame, pour le transport des cokes qui doivent aller dans le duché de Luxembourg, des réductions ainsi que pour les minerais de fer qui doivent alimenter les usines sidérurgiques du pays.
L'honorable M. Brasseur craint une chose : il craint que le prix de transport pour les zones à grandes distances ne laissent le gouvernement en perte ; je reviendrai tantôt sur cette question et je tâcherai de démontrer à la Chambre que les craintes de l'honorable membre ne sont pas fondées et qu'il tire de ses calculs des conséquences qui ne sont pas exactes.
Examinons d'abord la réforme dans son ensemble ; le principe sur lequel elle repose est le système différentiel diminutif à la distance.
C'est à tort qu'on a cru que ce principe constituait une innovation ; il n'en est rien ; s'il y a eu innovation, c'est lorsque pour le chemin de fer, dans le principe de son exploitation, on a appliqué le tarif proportionnel.
Est-il jamais entré dans la pensée d'un batelier, par exemple, d'exiger, pour transporter des marchandises a 20 lieues, un prix 4 fois plus élevé que pour transporter des marchandises à 5 lieues ? Evidemment non.
Enfin, un entrepreneur de messagerie établissait-il le prix de transport d'un voyageur de Paris à Bruxelles, proportionnellement au prix de transport d'un voyageur de Bruxelles à Boitsfort ? Evidemment non. Pourquoi ? Mais parce que le prix de revient du transport n'est pas le même dans les deux cas. Dans toute espèce d'industrie, qu'est-ce qui fixe le prix de la marchandise ? C'est le prix de revient. Or, personne ne prétendra que la tonne-kilomètre, transportée à cinq lieues, ne doit coûter que le quart du prix de transport de cette même tonne kilométrique à vingt lieues ; ni qu'un voyageur-kilomètre peut être transporté de Bruxelles à Boitsfort au même prix qu'à Paris.
Voilà donc la justification du principe parfaitement établie, je pense.
Mais voyons si les choses se passent de la même manière au chemin de fer et tâchons, s'il est possible, d'établir le prix de revient comparatif du transport des marchandises à grandes et à petites distances.
La Chambre n'attend pas de moi, sans doute, que j'établisse un prix de revient par francs et centimes ; je n'ai pas à ma disposition les éléments nécessaires pour faire un tel travail.
Et, du reste, je demanderai à l'honorable M. Brasseur, qui réclamait l'indication de ce prix de revient, comment il entend que ce prix soit établi. Est-ce un prix de revient général de la tonne de marchandise transportée ? Est-ce un prix de revient général par classe de marchandise ? Enfin, est-ce un prix général pour toutes les marchandises et aux différentes distances ? Si ce n'est pas ce dernier, les deux autres ne signifient absolument rien et vous ne pouvez en tirer aucune conséquence.
M. Brasseur. - Je demande la parole.
M. Braconier. - Car, messieurs, quand vous saurez que l'Etat a transporté une quantité de marchandises de... à une distance de..., qu'il a perçu une somme de... et que, par conséquent, le prix de revient de la tonne kilométrique a été d'autant, - quand vous saurez tout cela, que saurez-vous ? Absolument rien, parce que si vous appliquez le chiffre pour les petites distances, vous serez largement en perte ; si vous l'appliquez aux grandes, les prix seront tels, que vous ne pourrez plus rien transporter.
Il faut, pour que le prix de revient ait une signification et qu'on puisse en tirer des conséquences, il faut qu'on puisse l'établir à une, à deux, à trois lieues et ainsi de suite jusqu'à l'extrémité du réseau. Sans cela, il est parfaitement inutile de l'établir.
Ceci posé, je vais essayer d'établir le prix de revient comparatif pour les transports à grandes et à courtes distances.
Pour cela, je dois rechercher ce qui entre dans le prix de revient du transport des marchandises. Il y a évidemment deux éléments : un élément fixe et un élément variable.
L'élément fixe est celui qui est toujours le même pour tous les transports, quelle qu'en soit la distance ; il comprend les frais généraux de l'administration centrale, les frais d'installation, les frais de surveillance, etc.
Il y a ensuite l'occupation du matériel pendant le temps accordé pour charger les waggons, il y a encore les manœuvres dans la station de départ. Pour quelque nature de transport que ce soit, ces frais restent les mêmes. Nous avons ensuite dans cette même catégorie les manœuvres dans les stations d'arrivée et l'occupation du matériel pendant le temps accordé pour le déchargement.
Voilà, messieurs, ce qui compose l'élément fixe qui est toujours le même quelle que soit la distance à laquelle un waggon de marchandise» est transporté.
Quels sont les éléments variables ? Ils sont infiniment moins importants.
L'élément variable comprend un surplus de traction et l'occupation du matériel pendant le trajet. Il s'ensuit que l'élément fixe qui est considérable agit beaucoup plus sur la détermination du prix de revient pour les petites distances que pour les grandes. Aussi cet élément pèse en entier sur le prix de la première lieue, tandis qu'à la vingt-cinquième lieue il n'entre plus que pour un vingt-cinquième, et c'est ce qui explique suffisamment messieurs, que l'on peut entreprendre des transports à certaines distances à un prix qui serait insuffisant s'il s'agissait d'une distance plus courte. Je crois avoir justifié le principe sur lequel repose le tarif des marchandises.
M. Brasseur. - N'avez-vous pas oublié l'entretien de la voie ?
M. Braconier. - Il m'est naturellement impossible, messieurs, de tenir compte de tous les petits détails qui entrent dans le prix de revient.
Je ne me suis pas occupé des détails ; j'ai pris les éléments principaux, mais on pourrait me citer encore une multitude de choses pouvant entrer dans le prix de revient.
(page 1366) Eh bien, messieurs, le raisonnement que je viens de faire pour les marchandises peut s'appliquer également aux voyageurs, mais en partie seulement.
Car, pour les marchandises, messieurs, il y a d'abord l'occupation du matériel ; le chargement et le déchargement ; les frais de manœuvres dans les gares de départ et d'arrivée.
Tout cela n'existe pas pour les voyageurs, qui se meuvent sans le secours de personne.
Je pense donc, messieurs, que le principe que j'ai développé tout à l'heure pour les marchandises ne doit être appliqué que dans des proportions moindres en ce qui concerne les voyageurs
Je crois rentrer en cela dans l'opinion développée l'autre jour par l'honorable M. Brasseur.
Il faut bien le dire, messieurs, c'est principalement le tarif des voyageurs qui a été le plus critiqué, et cela se comprend : la réforme de ce tarif n'est pas complète ; la réduction n'a lieu que dans la zone a grande distance ; dans la zone intermédiaire, il n'y a qu'une réduction provisoire ; dans les zones a petites distances, il n'y a aucune réduction. Il s'ensuit que l'écart entre les prix des transports de la première et de la troisième zone est très considérable, et c'est ce qui frappe tout le monde.
Il y a là évidemment quelque chose à rectifier ; mais faut-il appliquer la même réduction à la première zone, ainsi qu'à la zone intermédiaire ? Je crois que les résultats de l'application de ce système seraient désastreux au point de vue du trésor public.
Et voici pourquoi ; c'est que la réduction que l'on peut accorder sur les petites distances a trop peu d'importance et ne produira pas une augmentation de mouvement capable de compenser la réduction.
Je ne sais si je me fais bien comprendre, mais je vais prendre un exemple.
Je suppose un transport entre Liège et Verviers ; il y a entre ces deux villes une grande quantité de voyageurs, le prix de transport en 3ème classe est de 1 franc.
Quelle réduction pouvez-vous accorder sur ce prix, sans craindre d'avoir un déficit trop considérable ? Un maximum de 10 p. c. Eh bien, croyez-vous qu'en fixant à 90 centimes le prix du transport entre Liège et Verviers, vous augmentiez le mouvement dans la proportion de la réduction que vous accordez ? Pour ma part, je ne le pense pas.
Quant au tarif des voyageurs, messieurs, je dirai franchement mon opinion. Je désire voir maintenir le principe différentiel, parce que je le crois seul juste et seul rationnel ; mais je voudrais voir modifier le chiffre de manière à diminuer l'écart qui existe entre les prix des grandes et des petites distances.
Voilà, je crois, la solution la plus pratique à laquelle on peut arriver.
Messieurs, je reviens un instant au tarif des marchandises et je veux rassurer l'honorable M. Brasseur sur les craintes qu'il a exprimées de voir le chemin de fer de l'Etat transporter à perte les marchandises dans la troisième zone. Les chiffres que je citerai se rapporteront au tarif des grosses marchandises de la 4ème classe du tarif n°3.
Voici, messieurs, comment l'honorable M. Brasseur justifie les craintes qu'il formule, relativement aux transports à grande distance. Il établit la moyenne dans les différentes zones et il prend ces moyennes comme le prix réellement perçu pour les transports par te chemin de fer pour chaque zone. Pour les deux premières zones, messieurs, ces calculs n'ont point d'importance.
Pour la première zone qui se compose de quinze lieues, il y a une multitude de transports à toutes les distances et en prenant la septième lieue comme moyenne, on ne s'éloigne pas beaucoup de la vérité. (Interruption.) Cela n'est pas exact, cela n'est pas mathématique, mais enfin on ne s'éloigne pas beaucoup de la vérité. Pour la deuxième zone non plus, parce qu'on n'opère que sur cinq postes : il n'y a que cinq lieues comprises dans cette zone, donc la dix-septième lieue représente assez bien le mouvement moyen.
Mais pour la troisième zone, là nous sommes plus dans la vérité en opérant de cette manière. D'abord cette zone s'étend de vingt à cinquante et une lieues. Soit donc, dit M. Brasseur ; la moyenne de cette zone est de quinze lieues ajoutées aux vingt premières lieues.
C'est le prix à la trente-cinquième lieue qui détermine la moyenne du prix perçu et, calcul fait, il trouve que le prix kilométrique est de 2 4/10 par tonne.
C'est là une première erreur. Le prix de transport à trente-cinq lieues est de 3 centimes par tonne. (Interruption.)
Mais, messieurs, l'honorable membre commet une autre erreur : elle provient de la base qu'il prend pour ses calculs. L'honorable membre prend comme base le coût du transport à 35 lieues comme représentant ce que perçoit l'Etat pour tous les transports dans cette zone. Pour vous convaincre de l'erreur, il suffit de vous soumettre les calculs qui ont été faits d'une manière un peu plus complète, d'examiner les quantités qui ont été transportées à diverses distances pour connaître le prix moyen que l'Etat perçoit. D'après le tableau qui figure aux pages 59 et 60 du compte rendu des opérations des chemins de fer pour 1869, on a tenu note des quantités de grosses marchandises transportées sur le réseau de l'Etat aux différentes distances.
C'est de ce tableau que sont tirés les chiffres que je vais produire. D'après ce tableau, messieurs, nous voyons que la quantité totale transportée a été de 4,065,000 tonnes, chiffres ronds. Sur ce nombre, 3,692,000 tonnes ont été transportées dans l'espace d'une à vingt lieues. Il reste donc, pour le transport dans la troisième zone dont je vais m'occuper, un total de 372,000 tonnes.
Voici comment se sont répartis ces transports dans la troisième zone : 317,000 tonnes se sont arrêtées entre la 20ème et la 25ème lieue. Il reste donc 55,000 tonnes pour tous les transports de 25 à 51 lieues.
Divisons encore ce qui reste. Nous avons 41,000 tonnes transportées de 25 à 35 lieues et seulement 14,000 tonnes transportées de 35 à 51 lieues. Et remarquons-le, de 45 lieues jusqu'à 51, il n'y a plus de transports.
Etablissons donc, d'après ces données, la moyenne de ce qu'a perçu l'Etat pour ces transports.
Les 317,000 tonnes transportées de 20 à 25 lieues, calcul fait, ont payé, en moyenne, 4 centimes et une fraction approchant d'un dixième par kilomètre.
Les 41,000 tonnes transportées de 25 à 35 lieues ont produit 3 3/10 centimes par kilomètre.
Enfin, les 14,000 tonnes transportées de 35 à 51 lieues, ont donné 2 6/10 centimes par kilomètre.
Si l'on fait ensuite la moyenne générale, en tenant compte des quantités transportées, on arrive à un prix moyen d'environ 4 centimes par tonne kilométrique.
Le calcul est des plus simples, j'ai multiplié le nombre de tonnes par le prix kilométrique. A chaque distance, on a additionné le tout et divisé par le nombre de tonnes transportées, et j'arrive ainsi à ce prix moyen de 4 centimes. C'est le prix moyen des transports par le chemin de fer de l'Etat dans la deuxième zone.
Ce calcul n'est pas complètement mathématique, puisque j'aurais dû prendre les résultats à chaque lieue ; mais en divisant comme je l'ai fait, j'arrive à un calcul beaucoup plus approximatif que l'honorable M. Brasseur.
Ainsi nous avons une moyenne de 4 centimes par tonne kilométrique. Le prix moyen à 51 lieues est à peu près de 2 3/10 centimes.
Je suis loin de dire que si l'on devait faire une multitude de transports à raison de 2 1/10 centimes, il y aurait un bénéfice considérable ; mais les transports à cette distance n'existent pas dans le service intérieur. Et ici je répéterai une observation que j'ai faite, il y a quelques années, à propos du tarif de transit. Je soutenais que ce chiffre ne devait pas être appliqué au tarif de transit pour les marchandises de la quatrième classe, parce que le transit par chemin de fer à travers notre pays n'a qu'un avantage, c'est de procurer des ressources au trésor public ; tandis que, pour l'intérieur, nous avons un intérêt indirect à avoir des tarifs réduits, parce que cela facilite les transactions et procure des bénéfices au commerce, à l'industrie et à l'agriculture du pays.
J'admets encore l'application des tarifs bas pour les marchandises venant de l'étranger et destinées au pays ; l'intérêt du consommateur belge est ici en jeu ;. comme j'admets ces tarifs réduits pour les marchandises partant du pays pour l'étranger, l'intérêt des producteurs étant à son tour en jeu. Mais faire de nombreux transports ii travers le pays à raison de 2 3/10 centimes, c'est, selon moi, se montrer un peu trop débonnaire envers l'étranger.
J'ai donc, comme je l'ai dit, fait mes calculs en décomposant les différentes distances et j'ai trouvé le prix moyen de 4 centimes par tonne kilométrique pour les transports dans la vingt-cinquième lieue.
Je vais encore justifier ici le principe des tarifs différentiels en disant, et je crois qu'il n'est pas une personne s'occupant de l'exploitation des chemins de fer qui ne soit de mon avis, que je préfère transporter à 4 centimes à 25 lieues qu'à 7 centimes a 5 lieues. Je crois que je réaliserais, par les transports à 25 lieues, un bénéfice plus considérable.
(page 1367) Messieurs, je viens maintenant examiner quels ont été les résultats de la réforme.
Pour ce qui regarde les marchandises, messieurs, jamais, on peut le dire, réforme n'a donné des résultats aussi immédiats et aussi satisfaisants que celle-ci : dès la première année, les recettes ont été équivalentes malgré la réduction des prix. C'est un signe qu'il y avait des besoins à satisfaire.
Je ne prétends pas que le produit net ait été aussi élevé que l'année précédente ; évidemment, si le trafic est plus considérable, les frais d'exploitation sont aussi plus élevés ; mais, enfin, quelle est la réforme accomplie dans des circonstances semblables qui ait produit de pareils résultats ? Ce n'est certes pas la réforme postale, qui a mis bien des années à procurer une recette égale à celle qui existait auparavant.
Evidemment, messieurs, ces tarifs réduits ont contribué largement à la prospérité du pays. Les anciens tarifs constituaient un véritable dédale. Rappelons-nous, messieurs, les réclamations qui arrivaient incessamment à la Chambre contre l'excessive élévation des prix de transport et contre les tarifs spéciaux qui s'appliquaient sur certaines lignes et ne s'appliquaient pas sur d'autres.
Il y avait des tarifs de tout genre. Comment faisait-on ? Les tarifs étant très élevés, aussitôt qu'il surgissait une concurrence, on faisait un tarif spécial, mais pour les localités qui avaient le malheur de n'être desservies que par une seule voie de communication, là on maintenait les anciens tarifs.
Ainsi, on avait fait un tarif spécial pour transporter les charbons du Centre à Charleroi, charbons qui devaient servir à la fabrication du coke pour l'alimentation des usines de ce pays. Les hauts fourneaux de Dolhain réclament la même faveur, et on leur refuse ce qu'on avait accordé à Charleroi, parce que là il y avait une concurrence.
M. Boucquéau. - C'est ce qui existe encore entre Liège et Charleroi.
M. Braconier. - Je le déplore.
L'honorable M. Vanderstichelen s'est acquis par sa réforme la reconnaissance du pays tout entier. Je suis convaincu que l'agriculture, l'industrie et le commerce ont retiré de cette réforme des avantages considérables.
Messieurs, en résumé et comme conclusion des observations que je viens de présenter, je crois que le tarif des marchandises doit être maintenu, sauf à examiner s'il n'y aurait pas moyen de l'abaisser pour les petites distances, en assujettissant les expéditeurs et les destinataires à certaines conditions de régularité et de célérité pour le chargement et le déchargement, de manière qu'on puisse utiliser de la manière la plus complète l'emploi du matériel.
Quant aux tarifs des voyageurs, je désire, je le répète, voir maintenir le principe des tarifs différentiels diminutifs à la distance, mais je désire aussi voir diminuer l'écart qui existe actuellement entre les prix des grandes, des moyennes et des petites distances.
J'aborderai encore un autre sujet, messieurs, celui du matériel de transport.
Le pays s'est trouvé dans une position déplorable, il faut bien le dire, il y a quelques mois.
Les transports ont été interrompus sur toutes les lignes ; le matériel faisait défaut, les gares étaient encombrées.
On me répondra, je le sais, que c'était le résultat de circonstances exceptionnelles, que nous avions une quantité de matériel en Allemagne et en France.
Je ne crois pas, messieurs, que ce soit la véritable cause. Il y avait évidemment du matériel en Allemagne et en France, mais, par contre, l'Etat avait aussi loué une quantité de matériel étranger.
Il avait loué un nombre considérable de waggons à la société de l'Est et à la société du Nord.
La cause de cette situation réside dans le défaut d'installations suffisantes qui s'est fait sentir plus fortement que jamais par suite des entraves mises à la circulation.
Si cet encombrement ne se produisait qu'une fois, je n'en parlerais pas, mais, à chaque reprise du mouvement commercial, la même chose arrive et c'est toujours dans les mêmes localités.
Anvers, par exemple, a été dans une situation déplorable. Les marchandises encombraient les quais. Je connais un industriel qui devait recevoir des avis venant d'Angleterre pour une fourniture à faire à l'Etat et qui a été obligé de signifier à l'honorable ministre des travaux publics qu'il ne pourrait faire la fourniture dans le délai voulu, à cause du manque de matériel.
L'honorable ministre des travaux publics se rappellera probablement le fait.
Je me demande, messieurs, ce que nous ferons au mois de novembre et au mois de décembre ; quelles sont les mesures que l'administration compte prendre pour conjurer la crise qui nous menace.
A l'heure qu'il est, en plein été, le matériel fait défaut. Que sera-ce au mois de novembre ?
Je prie l'honorable ministre de rassurer les industriels, les commerçants et tous ceux qui ont besoin de transports, de leur dire ce qu'il compte faire pour éviter les embarras qui nous menacent.
A propos des transports, je me permettrai une observation au sujet de la question des abonnements.
Les abonnements au semestre et à l'année ont une utilité réelle, mais, à mon avis, l'abonnement au mois est défavorable à l'administration et à l'intérêt général, et voici pourquoi.
Ce qui augmente le mouvement en octobre et novembre, ce sont les transports de charbon. Les marchands, au lieu de s'approvisionner a l'avance, attendent l'époque de la grande demande et ils prennent alors un abonnement d'un mois.
De cette façon, la somme des transports arrive à un même moment et il en résulte une grande perturbation.
Je prie l'honorable ministre de vouloir examiner cette question.
M. Vermeire. -Après le discours si complet que vient de prononcer l'honorable M. Braconier, il ne me reste que peu de choses à dire.
J'avais demandé la parole lorsque j'avais cru comprendre que M. Brasseur exprimait la crainte que les chemins de fer n'exploitassent plutôt à perte qu'avec bénéfices. Quant à moi, je crois que les tarifs des chemins de fer, tels qu'ils ont été modifiés, ont donné les résultats les plus heureux et qu'y porter la main serait jeter la plus grande perturbation dans les transactions des chemins de fer.
Comme je l'ai déjà dit dans mon premier discours et comme vient de le répéter M. Braconier, il ne faut pas considérer seulement les chemins de fer au point de vue de leurs produits réels, mais il faut les considérer encore au point de vue des bénéfices indirects qu'ils procurent au pays.
Les tarifs actuels ont-ils été suffisamment rémunérateurs ? Examinons : Quel a été le coût de l'établissement du chemin de fer ? A combien s'élèvent les remboursements que nous avons faits ? Le chemin de fer a coûté 270 millions ; mais sur ce chiffre on a déjà remboursé 63,400,000 francs.
Je puise ces chiffres dans le compte rendu du chemin de fer déposé dans la séance du 11 mars 1871, Si, avec un capital de 270 millions, nous avons pu rembourser 63 millions, nous pouvons dire que ce capital a produit 25 p. c. ; or, après tous les avantages indirects que produisent les chemins de fer, un pareil résultat me paraît très satisfaisant.
L'honorable M. Brasseur a dit aussi que le département des travaux publics n'était pas encore parvenu à déterminer exactement le coût de l'unité de trafic.
Eh bien, messieurs, je dois le dire, autrefois je me suis livré ou, pour me servir d'une expression triviale, je me suis cassé la tête pour découvrir ce coût de l'unité de transport.
J'avais lu les ouvrages publiés sur ce sujet par les principaux ingénieurs du chemin de fer et, entre autres, par un ingénieur que la Belgique doit regretter. ; car, malheureusement, nous l'avons perdu, - je veux parler de l'ingénieur Belpaire qui, sous ce rapport, avait donné des indications aussi exactes que possible.
Je n'hésite pas à le dire, messieurs, il est absolument impossible de donner exactement le coût de l'unité du trafic, et cela par la raison très simple que, comme vient encore de le dire l'honorable M. Braconier, ce coût se compose de deux éléments distincts : le premier qui est invariable (l'honorable préopinant en a donné les raisons) ; l'autre qui est essentiellement variable.
La variabilité du second résulte de l'importance du trafic ; car, plus le trafic est considérable, plus l'unité du prix de transport diminue.
C'est exactement comme dans une fabrique : il est de toute évidence que si elle travaille sans bénéfice en ne produisant que pour 100,000 fr., elle en réalisera certainement un si, avec le même matériel, elle peut produire pour 300,000 à 400,000 francs. Il importe donc, pour que le chemin de fer réalise, lui aussi, des bénéfices, que l'on étende le plus possible le trafic.
Pour arriver à ce résultat, il faut, avant tout, que le chemin de fer possède un matériel de transport suffisant, afin que les marchandises présentées puissent être transportées le plus promptement possible.
J'engage donc le gouvernement à pourvoir au défaut de matériel dont l'insuffisance, dans ces derniers temps surtout, a causé un grand (page 1368) préjudice au chemin de fer. Je veux certainement tenir compte des situations extraordinaires qui se sont produites cette année et l'année dernière.
Mais il est un fait certain, c'est que les importations de marchandises par le port d'Anvers se sont considérablement accrues ; c'est que nos relations commerciales avec l'Allemagne s'accroissent également. Or, il faut absolument que nous nous mettions en mesure de faire face à cette heureuse situation et, pour cela, il est indispensable que le chemin de fer soit mis en possession de moyens de transport proportionnées au service qu'il est appelé à rendre.
Comme moyen d'augmenter les produits du chemin de fer, on préconise depuis quelque temps un relèvement des tarifs. Eh bien, messieurs, je le dis en toute franchise, je regretterais vivement que le gouvernement entrât dans cette voie, surtout en ce qui concerne le transport des marchandises pondéreuses.
L'augmentation du tarif des voyageurs constituerait une très mauvaise spéculation.
En effet, messieurs, quels ont été les motifs pour lesquels les tarifs pour les voyageurs ont été si considérablement diminués par rapport aux tarifs préexistants ? Nous avons dit : La Belgique est un pays dans lequel l'industrie a fait beaucoup de progrès, mais nous devons agir en vue de rendre les transports des ouvriers le moins onéreux possible, de manière que nos ouvriers devant aller travailler soit dans le pays de Liège, soit à Charleroi ou dans le Borinage, soit même à l'étranger puissent toujours se transporter à leur travail et en revenir, dans les meilleures conditions.
Ensuite, messieurs, il y a beaucoup d'ouvriers qui, habitant la province, vont travailler pendant toute la semaine dans des endroits qui sont distants de leur demeure de 10, 15, 20 lieues.
Or, pour qu'ils puissent se rendre à leur travail et en revenir dans de très bonnes conditions, ils doivent pouvoir être transportés à très bon compte.
En Allemagne, où le même fait Se produit, il y a une quatrième classe et on ne fait payer que le quart de la troisième classe ; mais il est vrai que là les distances ne sont pas très éloignées.
Messieurs, je ne répéterai pas tous les arguments qu'a fait valoir l'honorable M. Braconier, et je termine en disant que plus nous pourrons augmenter nos trafics sur les chemins de fer, plus nos bénéfices seront considérables ; mais pour faire ce trafic, nous ne devons pas augmenter nos tarifs, qui, selon moi, sont suffisants.
(page 1377) M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, avant d'aborder la question, je dois présenter une observation. J'eusse pu en faire l'objet d'un incident personnel, mais je n'ai pas voulu lui donner une importance qu'elle ne comporte pas.
L'honorable ministre, en me répondant l'autre jour, a cru devoir insinuer que je n'avais parlé des réparations à faire à la chaussée de Bruxelles par Wavre à Namur, qu'en vue de servir mes intérêts personnels.
Messieurs, l'honorable ministre a été très mal et très incomplètement informé.
S'il avait été bien renseigné, il aurait su que depuis longtemps j'ai offert à l'administration de faire exécuter, à mes frais, la réparation des cinq ou six cents mètres de route dont je me sers.
L'Etat, qui doit les faire, aurait pu porter sur d'autres points aussi détériorés les sommes dont il aurait pu disposer.
Que l'honorable ministre se rassure : je n'attenterai pas à sa vertu pas plus que je n'ai attenté à celle de ses prédécesseurs : je ne lui demanderai pas plus de faveurs que je ne leur en ai demandé.
M. le président. - Nous sommes aux chemins de fer.
M. Le Hardy de Beaulieu. - J'y arrive, M. le président.
Nous sommes dans une situation vraiment extraordinaire, et je ne sais si elle serait tolérée un instant par d'autres nations aussi libres que la nôtre et régies comme la nôtre par des régies constitutionnelles.
Nous sommes depuis six mois sans budget préalablement voté par la Chambré comme l'exige la Constitution. Cela ne serait rien, en quelque sorte, si nous étions dans une situation normale, c'est-à-dire si le budget de 1871 était la suite, la continuation en quelque sorte de 1870. Mais, par suite d'une opération colossale qui a été faite l'année dernière, l'administration des travaux publics est entrée en possession, au 1er janvier de cette année, de 611 kilomètres de chemins de fer, pour l'administration desquels aucune espèce de règle n'a été établie, aucune dépense prévue ni arrêtée.
Ainsi, je ne sais pas comment la cour des comptes parvient à ordonnancer les dépenses qui sont faites pour le nouveau réseau exploité depuis le 1er janvier. Je comprends que, pour les budgets ordinaires, elle trouve des règles toutes tracées. Quand la Chambre vote des crédits provisoires, il est implicitement entendu que c'est sur les bases du budget antérieur ; mais ici il n'y a absolument rien, il n'y a pas de règles prescrites ; la Chambre n'a rien voté d'avance aux termes formels de la Constitution et je ne sais pas comment la cour des comptes parvient à sortir d'une situation qui est illégale en tous points.
Mais c'est là le petit côté de la situation. Elle se complique d'une façon assez grave par suite des circonstances politiques que. nous avons traversées. L'adjonction au réseau de l'Etat d'un certain nombre de lignes concédées a été votée sous un ministère qui est tombé l'année dernière. Le ministre des travaux publics qui a succédé à M. Jamar était même hostile à cette opération et a voté avec moi contre elle. Et le voilà chargé aujourd'hui, sans s'y être préparé assurément, d'organiser l'administration d'un réseau nouveau très considérable et cela sans que la Chambre ait été saisie d'aucune espèce de proposition d'organisation et sans savoir si la Chambre en sera satisfaite et lui donnera son assentiment indispensable.
Or, il est évident et certain que les règles qui seront admises pour la première organisation du réseau étendu d'une façon aussi notable, que les premiers errements formeront des précédents difficiles à changer, et que, quelles que soient plus tard les opinions de la majorité de la Chambre qui succédera à celle-ci, elle sera en fait, sinon en droit, liée par ces précédents ; et s'ils sont mal posés, s'ils le sont par une direction mauvaise ou dans le sens de la prodigalité au lieu de l'économie, il est évident qu'il sera très difficile d'y apporter remède.
Messieurs, j'espère que l'honorable ministre des travaux publics ne prendra pas de mauvaise part si je fais remarquer à la Chambre qu'on ne naît pas directeur ou administrateur de chemins de fer, que ce n'est que par une longue expérience qu'on arrive à être parfaitement maître de l'ensemble et des détails d'une aussi vaste administration. Or, l'honorable ministre arrivé récemment à la tête de son département doit nécessairement s'en rapporter sur ces questions exclusivement à l'administration ; or, celle-ci, étant irresponsable et en quelque sorte anonyme, tout naturellement cherche à se créer la plus belle position possible et à se faire le plus d'avantages en vue de l'avancement.
Or, je doute fort qu'elle vise à l'installation économique du service des nouveaux chemins de fer.
Avant de commencer la discussion qui est soulevée actuellement, j'appelle sur ces points toute l'attention de la Chambre et du pays. C'est par millions que nous aurons bientôt à compter, si l'administration des chemins de fer que nous venons de reprendre est mal organisée, et si l'on y introduit les errements suivis sur l'ancien réseau jusqu'à ce jour.
Messieurs, vous avez entendu l'honorable M. Brasseur, vous venez d'entendre l'honorable M. Braconier et l'honorable M. Vermeire vous parler des tarifs des chemins de fer, des résultats de l'exploitation, des avantages que des tarifs bas ont produits en faveur de l'industrie, du commerce et de l'agriculture. Je me propose à mon tour d'examiner : 1° pourquoi, quoi qu'en dise l'honorable M. Vermeire, les chemins de fer sont en perte, en perte très décidée, qu'il est impossible de dissimuler plus longtemps et 2° pourquoi ils devront continuer à être en perte si nous n'y portons une attention sévère et suivie.
Messieurs, les pertes du chemin de fer ont été avouées par l'administration jusqu'en 1859. Jusqu'alors l'administration, tous les ans, admettait qu'elle était en perte et présentait franchement les chiffres. Mais elle s'est dit alors : Si cela continue, il est évident que le pays ne consentira pas longtemps à grossir annuellement son budget de la perte de l'exploitation, et à prendre sur les impôts de quoi couvrir les déficits.
On a donc dû changer le mode de présenter les comptes. Les résultats étaient bien les mêmes, mais il a paru utile de les dissimuler. On espérait sans doute arriver par la suite à des recettes favorables. L'honorable M. Vanderstichelen, qui venait de s'asseoir sur le banc ministériel, a, dans son premier rapport, parfaitement appliqué le nouveau système. Voici donc le truc, pour me servir d'une expression vulgaire, auquel l'administration s'est arrêtée.
On a emprunté le déficit aux ressources ordinaires du budget au lieu de créer, comme antérieurement, des bons du trésor et l'honorable M. Vanderstichelen, dans ce premier rapport, expose avec une lucidité parfaite que le chemin de fer est une espèce d'enfant gâté de la maison, qu'ayant des besoins d'argent, il pouvait en emprunter à son papa sans lui devoir d'intérêts de ce chef, que c'est dans l'intérêt de tout le monde ; que les chemins de fer rapportent toute sorte de bénéfices industriels à la société tout entière et que l'on ne devait pas être très rigide à leur égard.
On a donc tout simplement supprimé les intérêts que le chemin de fer payait autrefois pour les bons du trésor émis pour ses besoins, conformément à la loi de 1834, et de cette façon on a dégrevé annuellement le budget du chemin de fer d'une somme considérable. Voici, en effet, pour ne citer qu'un chiffre, ce que le chemin de fer porte actuellement dans les comptes comme intérêts des capitaux qu'il emploie, et ce qu'il devrait porter, si le compte se faisait de la façon que l'exige la loi constitutive des chemins de fer, c'est-à-dire la loi du 1er mai 1834, dont j'aurai tantôt l'honneur de vous donner lecture.
Le capital effectif engagé dans nos chemins de fer était, au 31 décembre 1869, de 269,869,000 francs. On porte en compte, pour cette somme, 7,067,000 francs d'intérêt, c'est-à-dire un peu plus de 2 1/2 p. c, tandis que tous nos emprunts pour les chemins de fer, pour les fortifications, armements ou autres objets ont été faits entre 4 1/4 et 4 1/2 p. c.
Or, à raison de 4 1/2 p. c. l'intérêt, de ce capital serait de 12,124,100 fr., et en y ajoutant l'amortissement de 1/2 p. c. de 13,494,500, différence 5,057,000 et 6,400,000 si l'on compte l'amortissement. Vous comprenez facilement, messieurs, qu'en retranchant de ses dépenses annuelles ces 5,050,000 ou 6,400,000 francs le gouvernement peut arriver à présenter les beaux résultats qu'il développe avec tant de soin et d'insistance dans ses comptes rendus annuels, tandis que les 67,000,000 pris aux ressources ordinaires sont parfaitement noyés dans les colonnes d'un bilan en petits caractères.
Il est fort facile de réaliser des bénéfices lorsque l'on dispose d'un capital gratuit, tous les chemins concédés en feraient autant, s'ils avaient des ressources ordinaires.
Notez bien, messieurs, que ce fonds spécial, cet emprunt sans intérêts, va grandissant. L'année dernière il était de 50 et des millions, cette année-ci, il est porté à plus de 67 millions. (Interruption.)
Pour prouver que le chemin de fer est réellement en perte, j'additionne toutes les dépenses depuis le commencement jusqu'à ce jour ; je prends les chiffres officiels, je pense qu'ils sont honnêtement présentés, j'additionne donc toutes les dépenses faites soit en capital, soit en intérêts payés, et j'y ajoute les frais d'exploitation.
En un mot, je fais ce que fait le compte rendu lui-même avec cette différence que celui-ci ne compte pas l'intérêt des capitaux empruntés aux (page 1378) ressources ordinaires, intérêts que le trésor a cependant payés, puisqu'il a dû souvent emprunter pour d'autres besoins, ce qu'il n'eût pas dû faire si le chemin de fer n'avait absorbé ces ressources ordinaires.
J'additionne d'autre part tous les produits du chemin de fer ; il est évident qu'il doit nous rester comme différence entre les deux sommes d'abord le coût du chemin de fer ou plutôt ce que nous devons encore du chef du chemin de fer ; cette opération me donne les résultats suivants :
Capital affecté à la création du chemin de fer de l'Etat et aux dépenses complémentaires (page 19, compte rendu de 1869) : fr. 209,809,990 91
Frais d'exploitation : fr. 334,750,531 96
Intérêts portés au compte des chemins de fer : fr. 214,709,754 58
Capitaux employés à l'amortissement : fr. 78,421,707 59
Frais d'amortissement : fr. 392,803 95
Frais divers relatifs aux emprunts (page 23) : 3,119,044 26
Soit 951,203,833 23
Auxquels il faut ajouter nécessairement les intérêts à 4 1/2 p. c. du capital réellement affecté aux chemins de fer de l'Etat, ainsi que je l'ai dit plus haut, et qui, pour 1869, s'élève à plus de 12,000,000, non compris l'amortissement. J'ai trouvé par un relevé sommaire et nécessairement incomplet fr. 48,400,000.
Total des dépenses réelles : fr. 999,603,833 23
Recettes.
Produits directs de l'exploitation : fr. 666,366,204 32
Produits indirects : fr. 4,352,424 51
Minimum garanti de Braine-le-Comte à Gand : fr. 150,212 18
Valeur réelle des capitaux amortis : fr. 75,033,633 48
Total : fr. 745,902,474 49
Il résulte de là que les chemins de fer ayant dépensé 999,603,833 23 et ayant produit, y compris la valeur des capitaux amortis 745,902,474 49, doivent à l'Etat 253,701,258 fr. 74 c. contre lesquels il a l'immeuble appelé le chemin de fer et ses dépendances.
Or, si l'on déduit du coût total des chemins de fer tel qu'il est porté au compte rendu, soit 269,809,990 21 les capitaux employés à l'amortissement, soit 78,421,707 59, ils ne devraient plus devoir au trésor que 191,388,282 fr. 62 c.
Or, ils en doivent encore au moins 253,701,258 fr. 71 c.
La différence constitue, d'après moi, le résultat en perte de l'opération, soit 62,312,976 fr. 09 c., somme à peu près égale à celle qu'il a empruntée, sans intérêts, aux ressources ordinaires.
Notons bien que je fais le calcul, non au point de vue de l'administration des chemins de fer, mais à celui du trésor public comme leur banquier.
Notons en passant que, dans les pertes du chemin de fer de l'Etat, il faut compter :
Différence entre la valeur réelle des capitaux amortis et leur coût, soit 3,388,074 fr. 11 c.
Frais d'amortissement : 592,803 fr. 95 c.
Total : 3.780,878 fr. 04 c. qui n'ont servi en aucune façon à la création du chemin de fer.
Maintenant, messieurs, pourquoi le chemin de fer est-il en perte ? Pour deux raisons : la première, c'est que l'instrument est mauvais, la deuxième c'est qu'on fait un usage incomplet de cet instrument mauvais.
Je vais démontrer, messieurs, d'abord que l'instrument a été mauvais depuis le commencement ; ensuite, pourquoi et en quoi, il l'a été, et pourquoi, d'autre part, il n'a pas été amélioré par l'adjonction des 611 kilomètres de chemin pris en exploitation au 1er janvier dernier et des 800 kilomètres qui doivent encore être construits pour compléter le marché.
Les chemins de fer sont entachés d'un vice originel qu'il a été jusqu'ici impossible de faire disparaître et qu'il conservera, à moins de faire des sacrifices considérables. Ce vice originel a été de placer le centre d'exploitation à Malines au lieu de le placer à Bruxelles.
Tous les transports, depuis l'origine jusqu'à ces derniers temps, d'Anvers et de Bruxelles vers l'Allemagne ou vers les Flandres devaient faire le détour par Malines, y subir des temps d'arrêt et des frais de manœuvres inutiles.
On a été obligé, par suite de ce vice, de faire les tarifs vers ces localités non pas proportionnels aux distances, mais d'après la plus courte distance, d'où il est résulté que le chemin de fer devait faire la dépense de traction, d'entretien, etc., pour la distance réelle, tandis qu'il ne recevait le revenu que pour la plus courte distance.
En un mot, le chemin de fer devait faire la dépense sur 40 kilomètres, par exemple, et ne recevait les péages que sur 25. Il exploitait donc 15 kilomètres sans compensation.
Voilà une première cause de perte qui s'est produite dans les premières années et qui s'est perpétuée jusqu'au moment où je parle.
Après avoir commis cette première erreur... (Interruption.)
M. Rogier. - Malines est naturellement le point central entre Anvers et Bruxelles, d'une part, entre Termonde et Couvain, d'autre part.
M. Le Hardy de Beaulieu. – Naturellement, mais je parle d’Anvers et de Bruxelles à Liége. Je dis donc qu’on en a commis une seconde.
Au lieu d'aller directement de Bruxelles à Charleroi par le plus court chemin, on a été par Braine-le-Comte. L'on a été si peu amateur de la ligne droite que, même pour aller à Mons, on a choisi la ligne la moins droite possible, et toujours en accordant, sur la réclamation des intéressés, le tarif d'après les distances à vol d'oiseau.
Parlerai-je maintenant des plans inclinés de Liège ?
Je ne pense pas que personne puisse prétendre que les plans inclinés aient amélioré en Belgique l'exploitation des chemins de fer.
Je me souviens d'avoir vivement, au début de ma carrière, combattu ces plans inclinés.
Je revenais alors d'Amérique, où j'en avais vu fonctionner plusieurs.
Je ne referai pas la polémique que j'ai alors soutenue à cet égard. On pourra la retrouver dans le Journal de Liège et de la Province de l'époque.
Mais, déjà alors, l'administration des chemins de fer s'était déclarée infaillible. (Interruption.) Oh ! elle a été infaillible longtemps avant le Pape.
J'ai donc combattu les plans inclinés de la province de Liège.
M. Rogier. - On a adopté l'opinion de l'ingénieur le plus distingué et le plus honnête homme du pays.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Les vices que je signale et que l'on ne peut contester quoiqu'ils aient été introduits dans nos chemins de fer par des hommes très honnêtes et très distingués, ces vices existent et ont influé nécessairement sur les résultats financiers du chemin de fer. On n'exploite pas un mauvais chemin de fer à aussi bon marché qu'un bon, on n'exploite pas un chemin de fer qui fait des détours aussi économiquement qu'un chemin de fer qui va droit au but qu'il doit atteindre.
Je pourrais, si je le voulais, entrer dans d'autres détails ; je pourrais vous montrer d'autres défauts, mais je me borne à ceux que j'ai signalés.
Maintenant voyons ce qu'exigeait la loi de 1834 ? Je vous engage à bien faire attention aux termes. La loi de 1834 voulait que le chemin de fer eût des péages.
« Art. 5. Les produits provenant des péages qui devront être annuellement réglés par la loi serviront à couvrir les intérêts et l'amortissement de l’emprunt, ainsi que les dépenses annuelles d'entretien et d'administration de la nouvelle voie. »
Telles sont donc les conditions auxquelles le pays s'est obligé, lorsqu'il a consenti à faire, à ses frais, le chemin de fer. Il a consenti à garantir sur son crédit un emprunt, mais à la condition que les péages du chemin de fer seraient établis de telle façon, que les intérêts, l'amortissement et les frais d'exploitation seraient couverts.
Remarquez-le bien, messieurs, vous allez avoir 1,800 à 2,000 kilomètres de chemins de fer, et si dans de pareilles conditions vous autorisez l'Etat, contrairement à ces stipulations, à exploiter à perte, le déficit peut aller loin et très vite ; nous en sommes déjà à emprunter 67 millions aux ressources ordinaires, c'est-à-dire à l'impôt ; quand l'exploitation aura grandi, les frais iront en s'accroissant, et si l'on exploite à perte il faudra bien s'arrêter un jour.
Pour caractériser ce que veut dire le mot « péages », dans la loi de 1834, je lis l'article 7 de cette loi :
« A dater de l'ouverture du chemin de fer entre Liège et Anvers, les péages sur les canaux du Hainaut seront réduits au taux du péage à établir sur ce chemin de fer par tonneau et par kilomètre. »
C'est un amendement qui a été présenté par un ingénieur également très distingué et en même temps un économiste, M. De Puydt, qui, pendant longtemps, a représenté avec beaucoup de distinction le Hainaut dans cette enceinte. Il a voulu, par cet amendement, parer à un danger pour sa (page 1379) province ; c'est-à-dire empêcher que les charbons et les fers de Liège ne viennent envahir les marchés des Flandres et du Brabant et n'y fassent à ceux du Hainaut une concurrence redoutable.
Je crois que M. Gendebien, qui a pris une grande part à la discussion de la loi de 1834, a également aidé à l'adoption de cet amendement.
Quoi qu'il en soit, le mot « péages » vous indique quelle était la pensée des auteurs de la loi de 1834.
Que sont les péages sur les canaux ? Ils ne représentent pas, comme sur les chemins de fer, les frais de traction ni les frais de batelage : ils représentent la somme que le gouvernement ou les concessionnaires retirent de leurs travaux pour couvrir les intérêts et l'amortissement des capitaux qui y ont été appliqués, plus les petits frais d'entretien qu'exigent les canaux. Voilà ce que sont les péages.
Donc, dans l'esprit de ceux qui ont fait la loi de 1834, le chemin de fer devait, comme les canaux, produire l'intérêt des capitaux qui y ont été consacrés, plus les frais d'administration et les frais d'entretien ; par conséquent, les frais de traction. Et l'on sait que les canaux du Hainaut ont produit bien au delà des intérêts et de l'amortissement.
Est-ce là, messieurs, la marche qui a été suivie quant au chemin de fer ?
Je me rappelle qu'il y a une vingtaine d'années et plus, de longues discussions avaient lieu annuellement, dans cette enceinte, sur la question des péages des chemins de fer ; et à cette époque, tous ceux qui s'occupaient de cette question, et notamment le colonel De Puydt, soutenaient, que, pour établir le tarif du chemin de fer, il fallait tenir compte :
1° Des capitaux employés conformément à la loi de 1834 ;
2° Des frais qu'exige la traction.
Certains orateurs, dont je ne me rappelle plus les noms, demandaient même quelque chose de plus ; ils voulaient la constitution d'un fonds de réserve. Cependant la plupart étaient d'avis que l'Etat ne devait pas faire de bénéfice ; qu'il devait transporter au prix coûtant et ne demander rien de plus que l'intérêt et l'amortissement des capitaux.
Mais peu à peu l'action de la Chambre s'est affaiblie pendant que s'accroissait celle de l'administration. C'est ainsi, messieurs, qu'aujourd'hui l'administration est en quelque sorte maîtresse absolue des chemins de fer en Belgique ; et il est devenu bien difficile à un ministre quelconque de lui imprimer une direction autre que celle qui lui convient. Elle lui opposerait une force d'inertie invincible et finirait par rester maîtresse du terrain.
Eh bien, messieurs, comment doit-on établir le prix de revient ? De façon à être d'accord avec la loi de 1834, qui est la vraie constitution des chemins de fer exploités par l'Etat en Belgique et en même temps avec la thèse qui a été si bien défendue tout à l'heure par M. Braconier, c'est-à-dire l'intérêt de l'agriculture, de l'industrie et du commerce.
J'ai lu bien des opinions et des faits sur cet article, messieurs. L'enquête faite à ce sujet par le parlement anglais semblait prouver qu'il est indifférent aux industriels que les entreprises de chemins de fer transportent à perte ou qu'elles réalisent des bénéfices.
Mais je ne saurais être de cet avis quand il s'agit d'une exploitation par l'Etat, c'est-à-dire sous la responsabilité des contribuables.
Quand le chemin de fer de l'Etat est en perte, messieurs, il trouve les ressources ordinaires, c'est vrai : mais ce sont les contribuables qui payent, c'est-à-dire ceux qui ne profitent pas des chemins de fer comme ceux dont il fait la fortune.
Cela peut se faire pendant un certain temps, mais il arrivera un moment où la chose sera impossible, parce que les. ressources ordinaires devront être employées à autre chose.
Il faudra cependant bien alors que les chemins de fer parviennent, comme on dit, à nouer les deux bouts.
Faudra-t-il augmenter ou abaisser les tarifs, ou les laisser tels qu'ils sont ?
Voilà la question, messieurs ; or, cette question doit être résolue par nous, car la loi de 1834 nous en fait une obligation formelle ; elle doit même être examinée et décidée annuellement.
Si M. le ministre va, comme ses prédécesseurs, faire des changements aux tarifs et puis venir nous dire : « Je ferai là-dessus un rapport et vous jugerez si j'ai eu raison », cinq années pourront encore s'écouler, messieurs, et l'auteur de la réforme n'est plus là pour la défendre.
La modification au tarif de 1866 n'a pas encore été discutée par la Chambre.
M. Jamar. - Je suis tout prêt à la discuter.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Je n'en doute pas, mais je constate un fait, c'est que cette réforme, malgré des engagements formels, n'a pas été discutée jusqu'à présent. Le ministre peut faire quelque chose de semblable ; et dans cinq ans nos successeurs pourront peut-être avoir la chance de discuter ; mais en attendant, les pertes faites sur l'exploitation des chemins de fer n'ont pas été atténuées et c'est sur les ressources ordinaires du trésor qu'on a dû baser l'équilibre des bilans du chemin de fer. (Interruption.)
Eh bien, messieurs, pour arriver à tirer nos chemins de fer de cette situation, qu'a-t-on fait ? On a fait la convention du 25 avril 1870 et on s'est engagé, dans ce traité, à faire les transports d'après les plus courtes distances. De telle sorte que ces transports soient effectués sur les lignes construites aux frais de l'Etat ou effectués sur les lignes concédées à des particuliers, peu importe : C'est la plus courte distance qui réglera le prix de transport et c'est à la ligne sur laquelle ce plus court trajet se trouvera, qu'appartiendra le bénéfice.
Eh bien, messieurs, après les explications que je vous ai données tout à l'heure sur les causes qui ont amené antérieurement l'exploitation à perte pendant les premières années de l'exploitation par l'Etat, à cause des frais qu'il devait faire sur les longues distances, tandis qu'il ne percevait de péages que sur les courtes, combien cette situation ne va-t-elle pas être aggravée par la convention du 25 avril ?
J'appelle sur ce point votre plus sérieuse attention. D'après moi, vous étiez déjà en perte lorsque vous exploitiez les bonnes lignes du pays, lorsque vous exploitiez ce qu'il y a de plus productif, le réseau reliant les centres de population et de production ; mais maintenant vous allez exploiter non seulement ces lignes, mais encore celles dont le trafic est le moindre, et où cependant les frais d'entretien et autres sont très élevés. J'ose le prédire, vous serez de plus en plus en perte.
Je dois dire que, jusqu'à présent, quelques efforts que j'aie faits pour voir comment nous pourrions nous tirer du guêpier où nous nous sommes laissé attirer, moins je vois le moyen d'exploiter désormais les chemins de fer non pas avec bénéfice, je ne demande pas de bénéfice, mais de manière à nouer les deux bouts. Les sociétés vont absorber, par suite des engagements que nous avons pris envers elles, une forte part du produit net, et les frais seront augmentés par l'exploitation très souvent détournée que vous serez obligés de faire, tout en recevant les péages d'après les plus courtes distances.
Messieurs, ce n'est pas encore ce que je pourrais appeler la fin de nos déboires que cette exploitation à perte. Elle va nous mener de plus à des conséquences que je vais essayer de vous faire pressentir et qui iront beaucoup plus loin que beaucoup d'entre vous peut-être ne le pensent.
L'Etat a posé en principe - et je crois que si, en ce moment, je voulais faire une campagne contre cette idée, j'aurais peu de succès, - qu'il est l'agent des transports par excellence, qu'il est le meilleur cocher, le meilleur camionneur que l'on puisse rencontrer. Ce principe l'a conduit à faire un premier réseau de chemin de fer, puis à l'étendre successivement, soit en construisant de nouvelles lignes, soit en prenant l'exploitation de lignes construites par des particuliers ; c'est ainsi qu'il a été amené à faire l'opération du 25 avril. Cela va le conduire nécessairement à faire d'autres opérations semblables.
Il paraît que la société des Bassins houillers a déjà organisé, dans ce but, une campagne dans les Flandres ; elle a dénoncé les conventions de transports mixtes, elle tracasse les populations, elle exploite les chemins de fer de ce réseau le plus mal possible, d'accord peut-être avec l'administration, pour que les Flandres demandent à grands cris, comme une délivrance, la reprise par l'Etat. C'est là un moyen qui a été aussi essayé en Angleterre par quelques compagnies en détresse. Mais les Anglais ne s'y sont pas laissé prendre. Le parlement y a mis bon ordre et a promptement rappelé les compagnies à leurs devoirs ; car, en Angleterre, le parlement n'a délégué à personne le devoir de veiller aux intérêts du peuple. Il est possible qu'après la société des Bassins houillers, d'autres sociétés emploient aussi les mêmes moyens et nous arriverons ainsi à voir l'Etat seul maître des chemins de fer, seul maître des transports, seul arbitre de l'industrie dans le pays. Or, l'Etat, comme le disait l'honorable M. Coomans, est un monsieur quelconque.
M. Rogier. - Les sociétés sont des messieurs quelconques.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Les sociétés sont responsables, elles emploient leurs propres capitaux ; il y a des tribunaux pour elles ; il n'y en a pas pour l'Etat. Je voudrais bien voir quel tribunal forcerait un ministre à nous rembourser les 6,000,000 ou 10,000,000 de perte qu'il aurait occasionnées sur l'exploitation des chemins de fer. Donc nous pouvons dire qu'à cet égard il n'y a aucune responsabilité.
Mais, messieurs, le pays tout entier a les mêmes droits. Lorsque l'Etat construit des chemins de fer, toutes les parties du pays ont le droit d'en (page 1380) réclamer ; c'est pourquoi, comme l'honorable M. Nothomb disait dernièrement, la Campine a le droit de réclamer sa part de voies ferrées construites aux frais de l'Etat, car nous payons tous notre part des frais de construction.
Il y a quelques années, soutenant la même thèse, j'ai démontré que l'arrondissement de Nivelles avait contribué aux frais des travaux publics pour une somme de plus de 49,000,000 de francs, sans avoir jamais reçu 1 mètre de chemin de fer construit par l'Etat.
Maintenant, grâce aux réclamations de Charleroi, nous avons un chemin de fer qui se construit à travers notre arrondissement, et encore la Chambre se souvient des luttes que nous avons eu à soutenir pour le faire passer près de Nivelles, le centre le plus important de population de l'arrondissement. A part cela, nous n'avions jamais rien obtenu de l'Etat depuis 1830.
Une fois entré dans cette voie, l'Etat ne peut pas reculer ; il doit satisfaire également tous les besoins dans toute l'étendue du pays ; il n'est pas notre maître, notre seigneur, il nous doit à tous un traitement égal ; c'est pourquoi je dénie au ministre et à l'administration le droit de refuser les concessions qui sont demandées en faveur de notre arrondissement.
Deux demandes de concession sont faites, l'une de Bruxelles à Wavre par Tervueren, l'autre de Hal à Landen par Rixensart, Wavre, Grez-Doisceau et Jodoigne. Pourquoi l'Etat refuserait-il de les accorder ? L'Etat est-il notre maître ? Non. L'Etat est notre serviteur ; il n'a pas le droit de nous empêcher d'augmenter nos moyens de transport selon nos besoins. Or, quand ce n'est pas l'Etat qui construit, quand ce sont les sociétés, les moyens de transport se créent exactement en proportion des besoins qui se manifestent.
C'est ainsi que sont nées toutes les demandes de concessions sans lesquelles, on l'oublie trop vite, la moitié du pays serait encore sans chemin de fer.
C'est-ce qui a lieu en Amérique, où l'Etat ne s'occupe pas de chemin de fer, où il lui est défendu d'en construire et même de donner des fonds pour en construire, parce que, disent les considérants des Constitutions des Etats, c'est un moyen de corruption, un moyen d'action illégitime placé entre les mains des personnes qui sont temporairement chargées du gouvernement.
Eh bien, messieurs, je crois que quelques années encore d'exploitation par l'Etat nous conduiront à la même conviction en Europe.
Je ne m'étendrai pas plus longuement sur ce point, quelque peu incident, et je vais examiner maintenant si l'Etat est bien le meilleur exploitant et s'il exploite aux meilleures conditions possibles.
- Plusieurs membres. - A demain !
M. Le Hardy de Beaulieu. - J'ai à présenter des conclusions importantes qui exigeront encore quelques développements. Je crois qu'il conviendrait de remettre la suite de mon discours à demain.
(page 1368) M. de Clercq. - J'ai demandé la parole pour une rectification aux Annales parlementaires.
Hier, en parlant du dévasement du canal d'Ostendé à Gand, j'avais spécialement en vue le dévasement de cette voie navigable dans la traversée de la ville de Bruges,
Ainsi s'explique l'inconvénient de l'élévation des eaux, nécessitée pour les besoins de la navigation, mais qui produit l'inondation des caves riveraines.
M. le président. - Les paroles de M. de Clercq serviront de rectification aux Annales parlementaires.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.