(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Thibaut, vice-président.)
(page 943) M. de Borchgrave procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Borchgrave présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants d'Iseghem demandent que la langue flamande soit, en tout, mise sur le même pied que la langue française. »
« Même demande d'habitants de Cortryck-Dutzel et de Lierre. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions relatives au même objet.
« M. Moncheur, devant s'absenter pour affaire urgente, demande un congé d'un jour. »
- Ce congé est accordé.
M. le président. - Nous sommes arrivés à l'article 99.
« Art. 99. Dépenses variables : Frais d'administration, impressions, registres, etc. ; acquisition d'ouvrages périodiques et autres pour le service spécial de l'administration de l'enseignement primaire ; commission centrale de l'instruction primaire ; frais de voyage de l'inspecteur général des écoles normales et de l'inspectrice des écoles normales d'institutrices, des inspecteurs provinciaux, des inspectrices déléguées, des inspecteurs ecclésiastiques du culte protestant et du culte Israélite ; suppléments d'indemnité fixe aux inspecteurs cantonaux civils ; indemnités casuelles aux inspecteurs cantonaux civils, du chef des conférences et des concours, ainsi que des tournées extraordinaires ayant, entre autres, pour objet l'inspection des écoles ressortissant au département de la justice et des écoles d'adultes ; frais des jurys d'examen pour les écoles normales ; matériel des établissements normaux de l'Etat ; frais des conférences horticoles des instituteurs ; bourses aux élèves instituteurs et aux élèves institutrices des diverses écoles normales ; bourses de noviciat (article 28, paragraphe 2, de la loi) ; construction de maisons d'école ; service annuel ordinaire des écoles primaires communales adoptées ; subsides aux communes et suppléments de traitement aux instituteurs ; subsides à des établissements spéciaux (écoles gardiennes et écoles d'adultes) ; récompenses en argent ou en livres aux instituteurs primaires qui font preuve d'un zèle extraordinaire et d'une grande aptitude dans l'exercice de leurs fonctions ; achat de livres, d'images, etc., à distribuer par les inspecteurs aux élèves les plus méritants des écoles primaires ; publications périodiques et autres intéressant l'instruction primaire ; souscriptions, acquisitions, subsides aux auteurs ; distribution d'ouvrages ou subsides aux bibliothèques des écoles normales et aux bibliothèques cantonales des instituteurs ; subsides aux caisses de prévoyance des instituteurs ; secours à d'anciens instituteurs et dépenses diverses : fr. 4,438,937. »
Le chiffre primitif du crédit demandé à cet article était de 4,435,637 fr. Il a été augmenté de 2,000 fr. par un amendement de la section centrale, auquel M. le ministre de l'intérieur s'est rallié et d'une somme de 1,300 fr. par suite d'amendements proposés par M. le ministre de l'intérieur et auxquels la section centrale a donné son assentiment.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - C'est à cet article également que se rattache la majoration de 50,000 fr. que j'ai annoncée, dans une séance précédente, comme devant s'appliquer à encourager l'enseignement primaire supérieur des filles.
M. le président. - A cet article, plusieurs amendements ont été proposés.
D'abord, l'amendement de M. Muller qui propose d'augmenter le chiffre de 15,000 fr. pour frais de concours entre les écoles d'adultes et récompenser aux élèves qui se distinguent dans ces concours ; l'amendement de M. Funck qui propose d'augmenter le crédit de 100,000 francs, et l'amendement de M. Defuisseaux qui propose de tripler le crédit.
Les amendements de MM. Muller et Funck ont été développés et appuyés ; l'amendement de M. Defuisseaux a été développé, mais n'a pas été appuyé.
- L'amendement de M. Defuisseaux est appuyé.
M. Vandenpeereboom. - Messieurs, les observations que je désire présenter à la Chambre auraient, je le reconnais, trouvé mieux leur place dans la discussion générale du chapitre. Mais, hier, cette discussion a été close. Il a été entendu toutefois que le droit de présenter des observations générales, lors de la discussion de l'article 99, était réservé ; je profite de ce droit et je remercie l'assemblée de bien vouloir m'accorder sa bienveillante attention.
La question, messieurs, que je désire examiner est d'une importance tout à fait de premier ordre. Il s'agit de rappeler quelle est l'interprétation légale à donner aux articles 1er à 4 de la loi de 1842.
Je dis que cette question est d'une importance extrême ; car de sa solution dépend celle de savoir si l'enseignement primaire public sera livré aux congrégations religieuses ou si l'Etat, les communes continueront à diriger et surveiller cet enseignement.
Souvent déjà cette question a été discutée dans cette enceinte. Je crois toutefois, messieurs, que dans la situation actuelle, un examen nouveau ne sera pas inutile. Il me semble, en effet, que l'on veut exhumer de vieilles théories qui avaient été condamnées déjà même par M. J.-B. Nothomb lors de la discussion de la loi et que certainement je ne m'attendais pas à voir reproduire.
Messieurs, je tâcherai de n'être pas trop long. Je sais que la Chambre est désireuse de prendre ses vacances. Je m'abstiendrai de longues citations, les honorables membres de cette assemblée qui voudraient étudier la question à fond et l'honorable ministre de ' l'intérieur, qui voudra peut-être aussi s'en bien rendre compte, trouveront dans la discussion du budget de 1862 de longs renseignements et des citations nombreuses à l'appui des diverses opinions émises alors par le gouvernement de cette époque et par l'opposition, spécialement par l'honorable M. Wasseige, par l'honorable M. Dechamps et par l'honorable M. de Theux.
Voici en quels termes se pose cette question importante.
Je ne m'occuperai pas du cas prévu par l'article 2 de la loi du 23 septembre 1842. Vous connaissez le texte de cet article, il porte : « Lorsque dans une localité il est suffisamment pourvu aux besoins de l'enseignement (page 944) primaire, la commune peut être dispensée de l'obligation d'établir elle-même une école. »
Si je ne m'occupe pas de ces dispositions, c'est parce qu'en fait l'importance en est très secondaire ; elle n'a, à toutes les époques, reçu qu'une application fort limitée. Déjà en 1845, le nombre des écoles privées tenant lieu d'école communale n'était que de 78 ; en 1866, il n'était plus que de 24.
Je ne m'occuperai donc pas de l'article 2 de la loi.
Mais en dehors de ces écoles, il est deux autres catégories d'écoles légales : l'école communale proprement dite et l'école privée adoptée.
Permettez-moi, messieurs, de rappeler ici les textes des articles 1er et 3 de la loi, relatifs à ces deux espèces d'écoles :
L'article 1er dit : « Il y aura, dans chaque commune du royaume, au moins une école primaire établie dans un local convenable. »
L'article 3 porte :
« La commune pourra être autorisée à adopter, dans la localité même, une ou plusieurs écoles privées, réunissant les conditions légales pour tenir lieu d'école communale. »
Nos honorables adversaires prétendent que de la combinaison de ces deux articles résulte pour toutes les communes le droit, soit de créer une école communale, soit d'adopter une école privée ; en d'autres termes d'après ces honorables adversaires, les communes ont rempli toutes leurs obligations légales quand elles ont à leur gré, soit établi une école communale, soit adopté une école privée, c'est-à-dire qu'en fait elles ont le droit, à volonté, de créer une école communale laïque ou d'adopter une école privée, c'est-à-dire une école congréganiste.
Nous au contraire, messieurs, nous n'admettons pas ce système ; nous l'avons toujours combattu et quand je dis nous, messieurs, je ne parle pas des libéraux seulement, mais encore d'un grand nombre de membres de la droite et de tous les anciens ministres de l'intérieur.
Cette manière de voir était, en effet, celle de tous mes prédécesseurs, qu'ils appartinssent à la droite, à un ministère mixte ou à l'opinion libérale, tous, eux comme nous, avons soutenu que la commune, en règle générale, doit avoir son école à elle et que ce n'est que dans des cas particuliers, spéciaux, déterminés, qu'elle peut être autorisée à adopter une école privée ; en un mot, nous avons admis le principe si précis, si clair, formulé et défendu par l'honorable M. De Decker, quand il était ministre de l'intérieur, à savoir que l'école communale est la règle et que l'école adoptée n'est et ne peut être que l'exception.
J'avoue, messieurs, que je croyais que la première interprétation, celle qui avait été produite il y a plus d'un quart de siècle, était définitivement abandonnée par la droite, qu'elle était reléguée dans le magasin des vieilles opinions et des vieux abus. Il paraît cependant qu'après trente années, en l'an de grâce 1870, quelques honorables membres de la droite veulent exhumer ce système et l'imposer en quelque sorte au gouvernement.
Dans cette enceinte, l'honorable M. de Theux, fidèle à ses antécédents, je le reconnais, a défendu cette antique interprétation.
L'honorable M. Delcour a semblé être plus ou moins favorable à ce système.
Je dis, messieurs, plus ou moins, car l'honorable M. Delcour, je le reconnais volontiers, est un homme modéré, un légiste distingué et je crois qu'il a compris qu'on ne peut appliquer d'une manière générale l'interprétation illogique et rétrograde que certains de ses vieux amis voudraient faire prévaloir.
L'honorable professeur n'a pas dissimulé toutefois ses sentiments de bienveillance pour les écoles congréganistes, mais, je dois le dire, si je l'ai bien compris, il a été moins radical ou, si l'on veut, moins rétrograde que d'autres de ses amis de la droite et je l'en félicite.
Mais, messieurs, ce qui est plus grave, ce qui mieux, peut-être, que les discours prononcés ici, peut indiquer certaines tendances que, pour ma part, je considère comme regrettables, c'est le discours prononcé au Sénat par l'honorable chef du cabinet, M. d'Anethan.
L'honorable ministre, en effet, semble s'être prononcé très nettement, très catégoriquement pour une modification dans les principes qui avaient été admis jusqu'ici par tous les ministres et des membres très autorisés, très influents de la droite.
Au Sénat encore, mon honorable parent et ami, M. Malou, a soutenu le chef du cabinet. A ses yeux, ce qu'il appelle l'ancien système serait tellement condamné par la majorité de 1870, que, pour me servir de son expression, ce système ne présenterait plus qu'un intérêt historique.
L'honorable M. Kervyn, ministre de l'intérieur actuel, ne s'est pas prononcé jusqu'ici sur l'interprétation à donner aux articles 1 à 4 de la loi de 1842.
Souvent nous lui avons reproché, à l'honorable ministre, de ne pas répondre aux questions que nous lui posions et, plus souvent encore, de ne pas le faire d'une manière précise, quand il pouvait donner une réponse quelconque.
J'avoue que dans l'occurrence je suis presque tenté de le féliciter de son silence. La question est si grave, si importante et si compliquée, je le reconnais, qu'un ministre, pour bien s'en rendre compte, doit faire des études sérieuses.
J'admets que l'honorable ministre, absorbé par les préoccupations de la politique extérieure et par les soins de son département, n'ait pas eu le temps de bien se pénétrer de tous les précédents ; de lire et de comparer avec attention les documents législatifs, les discussions parlementaires et les actes émanés de ses prédécesseurs.
Je ne lui fais donc pas un grief de ne pas avoir répondu jusqu'ici et je suis tenté de le prier de ne pas se prononcer d'une manière intempestive avant d'avoir bien étudié à fond la question.
J'aime à croire que s'il veut se donner la peine de fouiller les archives de son département avec la sollicitude dont il nous a déjà donné tant de preuves, il y trouvera une foule de renseignements qui seraient de nature à lui faire partager les opinions de M. De Decker et d'autres ministres qui l'ont précédé au département de l'intérieur.
Messieurs, je ne veux pas énumérer en ce moment les conséquences que devrait avoir pour le pays le système préconisé au Sénat par M. d'Anethan et qui n'était autre que le système de la fraction la plus rétrograde de l'extrême droite en 1842.
Je présenterai d'abord quelques observations pour démontrer que le texte de la loi de 1842, les discussions qui ont eu lieu au sujet de cette loi depuis les actes posés par l'administration prouvent que notre interprétation est la seule légale. J'indiquerai ensuite les conséquences fatales du vieux système.
Le texte ou plutôt la comparaison des textes des articles 1 et 3 semblent, à première vue, ne laisser aucun doute. Que dit l'article premier ? 11 trace une règle impérative, obligatoire ; il dit :
« Il y aura, dans chaque commune du royaume, au moins une école primaire. »
C'est là la loi de la commune, c'est la règle générale, mais comme il n'y a pas de règle sans exception, le législateur, pour des motifs que j'aurai l'honneur d'indiquer tout à l'heure, a autorisé une exception à cette règle, elle se trouve dans l'article 3 de la loi.
Que porte cet article ? Il dit : « La commune pourra être autorisée... » Il ne s'agit pas ici, vous le voyez, d'un droit, mais d'une faculté. La commune pourra être autorisée, dit l'article 3. Une autorisation peut être accordée, mais elle peut aussi être refusée. Si la commune avait le droit de choisir à son gré entre l'école adoptée, entre l'école congréganiste et l'école communale laïque, si elle avait ce droit d'une manière absolue, il eût été absurde de prévoir une autorisation à lui accorder. Nul n'a besoin d'être autorisé pour exercer un droit.
Il me semble donc, en n'examinant que les textes, et j'abrège beaucoup mon raisonnement, il me semble, dis-je, qu'en combinant les articles 1er et 3 on doit conclure que l'article 3 consacre une exception, une faculté pour la députation d'accorder, tandis que l'article premier impose une obligation ; en d'autres termes, encore une fois, que d'après le texte de la loi l'école communale qui doit être établie est la règle, et l'école privée qui peut être adoptée n'est que l'exception.
J'ai dit que tous les ministres qui se sont succédé au département de l'intérieur ont ainsi interprété la loi ; je puis ajouter que les hommes les plus compétents qui l'ont discutée ont été aussi de cet avis. J'ai promis d'être sobre de citations, je ne citerai donc ni les opinions de M. J.-B. Nothomb, ni celles de M. Van de Weyer, ni celles d'une foule d'autres orateurs ; mais, pour bien préciser ma pensée, je vous demande de pouvoir citer un passage d'une circulaire de l'honorable rapporteur de la loi de 1842, M. Dechamps, qui avait une grande autorité en cette matière, M. Dechamps alors gouverneur du Luxembourg. C'est en cette qualité que, dans une circulaire adressée aux administrations communales, il s'exprimait ainsi :
« Le principe de la loi organique est que chaque commune ait au moins une école communale. Les articles 2 et 3 établissent des exceptions apportées à cette règle. »
Puis se plaçant au point de vue provincial, il ajoutait :
« Mais dans une province qui compte deux cents communes et mille sections environ, une seule école communale suffira-t-elle toujours ? »
Ainsi, voilà le rapporteur de la loi sur l'enseignement primaire, peu du mois après le vote de cette loi, ayant encore présente à la mémoire la discussion (page 945) de la loi, étant encore parfaitement pénétré de l'esprit même de la loi, voilà l'honorable M. Dechamps qui constate que le principe fondamental de la loi organique est que chaque commune ait au moins une école primaire communale et que les articles 2 et 3 établissent des exceptions a cette règle.
L'honorable M. De Decker affirmait le même principe dans une note qu'il adressait, plusieurs années après, à la section centrale, en sa qualité de ministre de l'intérieur.
L'honorable ministre disait :
« L'article premier de la loi du 23 septembre 1842 porte que chaque commune du pays devra ériger et entretenir au moins une école primaire. Aux termes de l'article 3, les communes peuvent être dispensées de cette obligation en adoptant des écoles privées. Il résulte de la combinaison de ces deux articles, que l'école communale constitue la règle et que l'école adoptée ne peut être que l'exception. »
Messieurs, je n'irai pas plus loin dans mes citations ; je crois que les combinaisons des textes des articles premier et 3 de la loi et les deux citations que je viens de faire suffiront pour convaincre toutes les personnes qui s'occupent sérieusement de cette question, que le principe que je proclame encore ici est irréfutable et doit être généralement admis ; c'est-à-dire que l'école communale est la règle et l'école adoptée l'exception.
Maintenant, messieurs, si l'école adoptée ne peut être que l'exception, il faut bien que cette exception ne puisse être appliquée que dans des cas déterminés ; et il faut bien aussi que le législateur ait eu des motifs pour autoriser cette exception. Et la discussion de la loi de 1842 justifie parfaitement cette double assertion.
L'une des raisons pour lesquelles on a autorisé une dérogation au principe de l'article premier, c'était un fait existant en 1842. Avant la publication de la loi sur l'enseignement primaire, il s'était établi dans certaines provinces un nombre considérable d'écoles privées. On voulait respecter cet état de choses ou du moins ne pas le bouleverser immédiatement.
Le second motif, c'est qu'on craignait en 1842 beaucoup plus qu'aujourd'hui que les dépenses de l'enseignement primaire seraient une trop lourde charge pour les communes. C'était une des grandes objections contre la loi : on reculait devant ces dépenses ; ainsi on n'avait pu fixer le traitement de l'instituteur à plus de 200 francs ; et encore ces pauvres 200 francs ont rencontré une opposition formidable de la part de quelques membres.
On s'écriait que les communes allaient être ruinées, on disait : Tant d'instituteurs ont vécu pendant si longtemps, ne recevant qu'un escalin par an et par élève ; cela leur a suffi !
Eh bien, pour répondre à cette objection, pour ménager en certains cas les ressources communales, de crainte d'écraser les communes pauvres, manquant de ressources, on autorisera une dérogation à la règle générale de l'école communale.
Tel était le seul motif pour lequel cette exception a été établie ; et telles doivent être aussi, si l'on veut appliquer sincèrement la loi, les circonstances qui peuvent permettre d'autoriser cette exception.
Voici, messieurs, comment s'exprimait l'honorable rapporteur de la section centrale de la loi de 1842 :
« Le rapport décennal, disait M. Dechamps, constate qu'il existe des provinces, comme la Flandre orientale par exemple, où le nombre des écoles privées excède de beaucoup celui des écoles communales ; ne pas tenir compte de ce fait en créant pour la commune une obligation trop absolue de créer elle-même une école, c'eût été procéder par bouleversement et non par réformes prudentes et modérées. »
Ainsi, vous le voyez, si l'on a admis les communes à adopter des écoles, c'est parce qu'on a voulu tenir compte d'un fait préexistant. On ne voulait pas, comme le disait l'honorable M. Dechamps, bouleverser complètement ce qui existait et nuire à certains intérêts privés.
Le second motif est affirmé par des témoins nombreux. Je ne veux pas les tous citer. Je me bornerai à invoquer le témoignage de deux honorables membres dont vous ne récuserez ni la compétence, ni le dévouement à l'enseignement religieux.
L'honorable rapporteur de la loi de 1842 au Sénat, M. le baron Dellafaille, parlant de l'autorisation, à accorder aux communes, d'adopter des écoles, disait :
« Au termes de l'article 3, il peut être permis à la commune d'adopter une ou plusieurs écoles privées réunissant les conditions légales pour tenir lieu de l'école communale. Cette disposition tend à ménager les fonds communaux. »
L'honorable M. De Decker, dont je vous ai déjà fait connaître l'opinion sur plusieurs points, disait encore :
« Evidemment (si on autorise les communes à adopter des écoles) c'est, comme l'a fort bien dit M. de Theux (premier rapport triennal, texte, p. 132) pour épargner les deniers des contribuables ;
« On a voulu mettre à la disposition des communes pauvres un moyen peu dispendieux de remplir leurs obligations en matière d'instruction primaire. »
MM. de Theux, Descamps et De Decker sont donc d'accord sur ce point.
Il est donc établi que l'exception consacrée par l'article 3 de la loi de 1842 n'était applicable qu'aux communes qui n'ont pas de ressources pour créer une école communale.
Il est démontré aussi qu'en dehors de ce cas, l'autorisation exceptionnelle ne peut pas être accordée.
Mais si les communes doivent se trouver dans des conditions déterminées, pour pouvoir user de cette autorisation exceptionnelle, il faut aussi que les écoles à adopter réunissent certaines conditions. L'article 3 de la loi de 1842 dit, en effet, qu'une école privée, pour pouvoir être adoptée, doit être dans les conditions légales.
Pendant assez longtemps, des dissentiments ont existé sur la question de savoir ce qu'on doit entendre par conditions légales.
Aujourd'hui, messieurs, nous sommes à peu près d'accord, je pense, sur ce point. C'est là la conclusion que je pense pouvoir tirer du discours de l'honorable M. Delcour.
En effet, on reconnaîtra que, pour être adoptée, une école doit exister, elle doit être régulièrement organisée ; on ne peut pas adopter une école qui n'existe pas, pas plus, ainsi qu'on l'a dit déjà, qu'on ne peut adopter un enfant qui n'est pas né. On est aussi d'accord sur ce point, qu'une école, pour pouvoir être adoptée, doit posséder des bâtiments et un mobilier scolaire convenable. Ces bâtiments doivent être en bon état et le mobilier doit être suffisant. On ne peut pas, messieurs, quelque restreintes que soient les ressources d'une commune, l'autoriser à se soustraire à ses obligations quant à l'enseignement ; on ne peut pas, en la soustrayant à ses obligations, l'autoriser à parquer des enfants dans des écoles malsaines où ils pourraient contracter des maladies. On ne peut pas non plus l'autoriser à se contenter d'un mobilier incomplet.
Sur ce point nous sommes d'accord, je pense.
Il faut surtout, que le personnel enseignant soit suffisant et capable. L'honorable M. De Decker a déterminé la manière de s'assurer de la capacité des instituteurs des écoles adoptées. Enfin, il faut que le programme de ces écoles soit celui des écoles communales ; qu'on y emploie les mêmes livres approuvés, que les instituteurs assistent aux conférences et remplissent certaines obligations légales que M. Delcour a énumérées. Sous ce rapport, nous sommes tous d'accord, je pense. Je n'insiste donc pas sur ce point.
Mais il en est un autre dont on ne fait pas mention, bien qu'il soit important, et sur lequel je demande la permission d'appeler l'attention de la Chambre. C'est la question de savoir jusqu'à quel point les écoles adoptées peuvent participer aux avantages du budget communal ; en d'autres termes, dans quelle mesure la commune peut subsidier ces écoles exceptionnelles.
Peut-elle leur accorder les mêmes avantages qu'aux écoles communales, un bâtiment bien approprié, par exemple, un mobilier classique ? Peut-elle allouer un traitement aux instituteurs ? Evidemment non. Il en a toujours été décidé ainsi et pourquoi ?
La commune n'est autorisée à adopter une école que parce qu'elle est trop pauvre pour avoir une école communale. Or, si elle est assez riche pour donner à l'école adoptée un local convenable, un mobilier suffisant et un traitement au professeur, il est évident qu'elle ne pourra pas adopter une école privée ; elle pourra et devra créer une école communale.
Il faut donc, ainsi qu'on l'a prouvé parfaitement dans la discussion, que les écoles adoptées ne reçoivent qu'une simple subvention pour l'enseignement des enfants pauvres. Le chiffre de cette subvention a même été fixé, si je ne me trompe, à une somme de 6 francs par mois et par élève. Au delà on ne peut rien donner, car dans cela on ferait indirectement ce qu'on ne peut pas faire directement ; on violerait la loi.
La commune qui, lorsqu'elle a des ressources, doit créer une école communale laïque, pourrait consacrer ces mêmes ressources à une école adoptée, congréganiste ou autre.
Je ne crois pas, messieurs, devoir m'étendre plus longuement sur ce point ; nous avons, il y a bientôt dix ans de cela, discuté cette question en détail ; l'honorable M. Kervyn pourra revoir ces débats et l'honorable M. Wasseige, qui y prit une grande part, pourra donner à cet égard quelques renseignements à son collègue de l'intérieur.
(page 946) Ainsi donc, messieurs, pour me résumer sur ce point, l'école communale laïque doit être la règle, l'école adoptée doit être l'exception.
Pour pouvoir adopter une école privée, la commune doit se trouver dans des conditions financières qui ne lui permettent pas de remplir le devoir qui lui est imposé par l'article premier. Les écoles adoptées doivent réunir certaines conditions légales en exécution de l'article 3 de la loi, et enfin les avantages de toute nature que l'on fait a ces écoles adoptées doivent être nécessairement moindres que ceux que l'on ferait à une école communale.
Tels sont les différents points que je croyais devoir soumettre à la Chambre. M. le ministre de l'intérieur pourra les examiner ; il pourra me répondre, s'il le veut. S'il ne le juge pas à propos, je ne trouverais pas mauvais, je le désire, qu'il étudie la question et qu'il me réponde plus tard.
La question, je le répète, est tellement grave que je crains une déclaration faite légèrement. On ne dira plus que je torture M. le ministre de l'intérieur pour avoir une réponse ; au contraire, je préfère un ajourneraient, dans l'intérêt du grand service et de la grande question que je soulève.
Messieurs, l'interprétation que nous donnons a soulevé une objection. On nous a dit : Vous entravez la liberté communale. Pourquoi ne permettez-vous pas à une commune de satisfaire à ses obligations légales en adoptant une école privée ? Pourquoi vouloir une école communale et pourquoi ne pas l'autoriser à adopter une école libre ? et même à se passer d'école, s'il est suffisamment pourvu aux besoins de l'enseignement par les écoles existantes ?
Cette objection, d'après moi, n'a pas grande valeur et le législateur de 1842 l'a reconnu. La loi de 1842, en effet, a été faite exprès pour restreindre la liberté des communes.
Sans doute, en la proposant, on a voulu exécuter l'article 17 de la Constitution ; mais, d'un autre côté, on a voulu aussi restreindre la liberté des communes. On a reconnu que cette liberté n'avait pas produit tous les fruits qu'on avait pu en attendre d'abord, et l'on a constaté que la liberté de ne rien faire était, dans certaines localités, celle qui prévalait.
Or, le far-niente peut avoir beaucoup d'agrément, mais il ne produit pas grand-chose.
Les écoles libres en grand nombre qui existaient jusqu'en 1842 étaient loin d'avoir contribué à propager largement l'enseignement primaire. L'ignorance, cette plaie dont parlaient dernièrement l’honorable M. Defuisseaux et son honorable ami M. Guillery, faisait des progrès. La statistique nous apprenait que, loin de diminuer, l'ignorance allait plutôt en augmentant.
Je ne veux pas revenir sur tous ces chiffres ; ils appartiennent pour ainsi dire à l'histoire. Je me permettrai seulement de vous en citer un qui a été produit tout récemment par un honorable sénateur qui donne à tous ses écrits, à tous ses travaux une grande précision et qui est un homme pratique, par l'honorable M. Malou.
Dans une petite brochure qui résume beaucoup de gros volumes de statistique, l'honorable M. Malou constate, d'une part, qu'en 1847, il y avait encore 405 miliciens illettrés sur mille, et, d'autre part, que vingt ans plus tard, par suite de la restriction mise à la liberté des communes de ne rien faire, l'ignorance avait diminué et que le nombre des miliciens illettrés n'était plus que de 258 sur 1,000.
Il y a donc là un progrès. Je ne viens pas, quelle que soit mon opinion sur la loi de 1842, opinion que vous connaissez, prétendre que cette loi a produit tous les effets qu'elle devait produire. Je veux même bien reconnaître que l'on aurait pu en obtenir davantage. Mais enfin il est constaté que des progrès sérieux ont été réalisés par cette loi, qui restreint et limite la liberté des communes.
On fait une autre objection ; on dit : En privant les communes du droit d'adopter à leur gré des écoles privées, en créant partout des écoles communales, vous entravez la liberté d'enseignement.
Messieurs, permettez-moi de le dire, ce sont là des accusations vagues et banales ; on les a reproduites bien des fois, mais je n'ai jamais entendu dire que le gouvernement, les provinces ou les communes aient empêché une école libre de naître, d'exister et de se développer. On n'a pas entravé cette liberté, on ne pouvait pas le faire, et si on le faisait, nous serions les premiers à blâmer de tels actes.
Nous voulons que la liberté d'enseignement soit une vérité, mais nous voulons qu'il y ait le plus d'écoles communales laïques possible, mais nous demandons qu'à côté de ces écoles il y ait des écoles libres. Nous aimons la concurrence ; et nous ne pouvons pas même être accusés de vouloir faire une concurrence déloyale et injuste aux établissements privés et de vouloir ainsi entraver la liberté de l'enseignement.
Si je voulais parler de concurrence déloyale, et je demande la permission d'en dire un mot, ce n'est pas à l'autorité civile qu'on peut avant tout faire ce reproche, mais je dois le dire, c'est le clergé qui, dans certaines circonstances au moins, fait une concurrence déloyale aux écoles laïques communales.
Je ne veux pas parler ici des établissements de l'enseignement moyen, mais en matière d'instruction primaire même, une concurrence peu loyale et très illégale est faite parfois aux écoles communales par le clergé.
Que voyons-nous dans la plupart des localités, du moins en Flandre, où il existe deux écoles primaires, l'une soumise à la loi de 1842, l'autre école libre ? Nous voyons qu'une lutte s'engage, non pas une de ces luttes honnêtes, comme celles qui existent entre concurrents loyaux, mais nous voyons que peu à peu le clergé se retire de l'école communale.
Le clergé ne visite plus l'école communale, il favorise l'école des frères ; il la préconise partout ; là, dit-il, l'enseignement est excellent. Il recommande l'école privée dans les circonstances particulières, à certaines époques de l'année surtout. Bientôt le curé va moins à l'école de la commune et plus à l'autre.
Certains avantages sont aussi faits aux élèves de l'école des sœurs ; le jour de la première communion, par exemple, les élèves de l'école des sœurs figurent seules dans les processions et après ces cérémonies, elles vont chez M. le curé pour recevoir des dragées. (Interruption.)
Cela se fait, cela se voit en Flandre. Je ne parle pas, bien entendu, de ce qui se passe dans d'autres provinces.
M. de Haerne. - On craint la suppression de la loi de 1842.
M. Vandenpeereboom. - Et cette crainte n'est pas fondée, quant à présent, mais on travaille à la suppression de cette loi, en ne l'observant pas, mais en en faisant un moyen de concurrence contre les écoles laïques.
Je pourrais préciser davantage et si M. l'abbé de Haerne, qui m'a interrompu, veut des renseignements circonstanciés sur une localité qu'il connaît aussi bien que moi, sur notre ville natale, je les lui donnerai volontiers, en particulier, après la séance.
Je ne parle pas ici des écoles moyennes, ni même d'écoles primaires à programme développé, mais des écoles primaires proprement dites.
J'invoque, du reste, le témoignage de l'honorable M. de Haerne, et je dis qu'en règle générale, les écoles laïques ne sont pas sympathiques au clergé.
L'honorable M. Schollaert nous disait : Il faut créer des école primaires de filles pour séparer les sexes ; ayons des écoles communales pour les garçons et des écoles communales pour les filles.
L'honorable M. Schollaert en parle fort à son aise. En principe, je le veux bien, le clergé demande la séparation, mais, en fait, c'est tout autre chose.
Je n'ai pas la statistique sous les yeux, mais je crois ne pas me tromper en disant que dans toute la Flandre occidentale il n'existe pas vingt écoles primaires communales pour les filles, dirigées par une institutrice laïque.
Dans presque toutes nos communes, nous avons des écoles de filles, mais elles sont dirigées en général par des congrégations religieuses, ou bien par de quasi-religieuses, des filles dévotes ; ces écoles, en général, sont désignées sous le nom d'école du curé, de pastoors school.
Si l'on s'avise d'ériger dans ces communes une école laïque de filles dirigée par une institutrice laïque, elle vit péniblement et peu, alors l'amour du clergé pour la loi de 1842 s'évanouit.
Je pourrais citer des exemples nombreux, citer des faits en grand nombre, je n'en rappellerai que deux.
Dans une commune de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte, un bourgmestre en fonctions depuis plus de trente ans, je pense, homme dévoué et modéré, décoré de l'ordre de Léopold au temps du ministère libéral, c'est-à-dire qui pourrait être un peu infecté de libéralisme, un bourgmestre conseiller provincial, reconnaissant qu'il y avait quelque chose à faire dans sa commune, pour l'enseignement des filles, que l'école privée est insuffisante, fait construire un joli bâtiment d'école avec un subside de l'Etat.
Le conseil nomme une institutrice diplômée formée, si ma mémoire est fidèle, dans une école normale agréée. L'école communale est installée, quelques élèves y entrent, mais tout à coup le nombre diminue ; le curé se montre indifférent ; on abandonne l'école laïque et l'école des religieuses continue à être de plus en plus suivie.
C'était cependant une école qui, au point de vue de l'enseignement, (page 947) présentait peu de garanties ; je ne veux pas dire de mal des institutrices, mais elles n'étaient pas normalistes ; l'école communale, au contraire, était dirigée par une institutrice diplômée qui avait fait des études excellentes ; eh bien, les quelques élèves qui y étaient s'en allèrent peu à peu, l'école communale laïque érigée conformément à la loi de 1842 fut bientôt privée d'élèves en nombre suffisant pour exister.
Elle fut supprimée ; toute l'influence du bourgmestre, quelque grande qu'elle fût, ne put prévaloir.
Voila comment le défaut de concours du clergé empêche dans les Flandres d'ériger des écoles de filles même conformes à la loi de 1842.
Autre exemple ; et celui-ci je le connais encore mieux que les autres, car il s'agit de la ville d'Ypres elle-même.
A Ypres, l'enseignement des filles laissait fort à désirer ; il y avait des écoles couvents pour les classes aisées ; il y avait des écoles pour les filles pauvres, entre autres une fondation dont on a beaucoup parlé dans cette enceinte, la fondation Lamotte.
Dans ces dernières écoles, même dans celles où devaient s'instruire les filles de la petite bourgeoisie, on enseignait surtout à faire de la dentelle ; cette industrie est pour ainsi dire l'industrie exclusive des populations pauvres 'd'Ypres ; il est donc tout naturel qu'on l'enseigne. Toutes les écoles étaient donc des écoles dentellières.
L'autorité communale s'émut, à juste titre, de cette situation ; elle crut qu'il y avait quelque chose à faire pour la petite bourgeoisie (toutes les femmes ne doivent pas être dentellières), et comme il n'existait aucune école primaire proprement dite, la commune créa une école primaire.
Un bâtiment fut construit, bâtiment, splendide, parfaitement aéré, réunissant toutes les meilleures conditions ; on nomma deux institutrices normalistes auxquelles il n'y avait rien à reprocher, qui étaient, sous tous les rapports, estimables et instruites, puis on écrivit à Mgr l'évêque et on lui fit connaître que la commune avait cru devoir créer une école communale de filles, que cette école était soumise au régime de la loi de 1842.
Il ne s'agissait pas ici d'écoles moyennes, mais simplement d'une école primaire soumise à la loi de 1842.
Cette école s'ouvrit. Que répondit l'évêque ? Rien, on ne reçut du chef du diocèse aucune réponse ; aucun ministre des cultes ne mit jamais les pieds dans cette école, aucun inspecteur provincial ni cantonal ecclésiastique ne la visita et, pendant ce temps, on fait à l'établissement, sans relâche, une guerre sourde et parfois ouverte. Les journaux français et surtout flamands, qui représentent certaines opinions de la droite, combattent cette école ; faute d'avoir des faits à invoquer contre elle on trouve que le bâtiment a coûté trop cher, que les institutrices sont trop payées ; si on n'avait pas cette école, dit-on, on pourrait faire beaucoup de bien à d'autres. On allègue une foule de raisons qui ne sont pas plus sérieuses.
Heureusement, comme la ville d'Ypres n'est pas tout à fait une commune rurale et qu'il s'y trouve encore beaucoup de personnes de bon sens et d'intelligence, l'école communale de filles progresse et prospère, malgré l'abstention du clergé. Mais il n'est pas moins vrai que si elle progresse et prospère, le clergé ne remplit pas son devoir en cette circonstance, je crois pouvoir le dire. ; et je suis certain qu'il y a, dans la droite, beaucoup de membres qui, l'exactitude de ce je que dis étant constatée, admettront avec moi que le clergé manque à son devoir, en refusant, sans motifs convenables, son concours aux écoles placées sous le régime de la loi de 1842.
Quand l'école est soumise purement et simplement à la loi de 1842, à moins de motifs spéciaux, le clergé n'a pas le droit de refuser son concours.
Il serait vraiment par trop commode de préconiser la loi de 1842, de la proclamer excellente, de profiler de tous les avantages qu'elle procure, mais d'en méconnaître les obligations.
Si la loi de 1842 confère certains droits au clergé, elle lui impose aussi certains devoirs ; et si je n'ai pas le droit, comme Gros Jean, d'en remontrer à mon curé, j'ai le droit, comme législateur, de lui dire qu'il manque à ses devoirs quand il ne remplit pas les obligations que la loi lui impose.
Je prie donc M. le ministre de l'intérieur de veiller à la stricte exécution de la loi de 1842 ; le clergé a certainement confiance en lui et je suis certain qu'il sera parfaitement accueilli quand il présentera quelques observations aux chefs des diocèses.
Je prie donc M. le ministre de rappeler aux évêques que la loi de 1842 impose des devoirs au clergé et que lorsqu'une école se trouve soumise purement et simplement au régime de la loi de 1842, son concours doit être acquis.
Je le prie aussi de vouloir bien, quand il aura cet entretien avec les chefs diocésains, leur faire remarquer qu'ils travaillent très activement à la destruction de la loi de 1842 ; que si l'on peut leur reprocher un jour de ne respecter que les avantages que cette loi leur assure et de méconnaître les devoirs qu'elle leur impose, cette loi finira pas ressembler un peu à cette fameuse convention d'Anvers, qu'on refuse d'exécuter dès qu'il y a un établissement congréganiste à favoriser.
Je passe à un autre ordre d'idées.
Si nous insistons pour que le gouvernement, dans l'avenir comme dans le passé, veuille bien, autant qu'il est en lui, favoriser l'établissement des écoles communales laïques et ne pas autoriser, sans motifs graves et légaux, les communes à adopter des écoles privées, ce n'est pas uniquement parce que nous voulons que la loi soit exécutée ; ce motif serait déjà bien suffisant ; mais c'est surtout parce que, dans notre opinion, l'école communale vaut mieux que l'école privée adoptée.
Elle vaut mieux à plusieurs points de vue. Elle vaut mieux, d'abord parce qu'elle présente plus des garanties de stabilité ; l'école de la commune est une institution communale ; elle fait partie du service communal ; elle ne peut être ni supprimée ni modifiée sans une autorisation de l'autorité supérieure.
L'école adoptée, au contraire, est un établissement privé qui, du jour au lendemain, peut être supprimé. Aujourd'hui l'école marche bien ; mais, par une circonstance quelconque, l'école disparaît ; voilà la commune sans école, et il faut faire alors ce qu'on aurait dû faire dès le principe.
L'école communale laïque présente encore plus de garantie que l'école adoptée, à un autre point de vue ; je veux parler de la surveillance.
A l'école communale, les membres de l'administration locale ont accès tous les jours ; ils peuvent surveiller les détails de l'école ; ils peuvent redresser les erreurs qui s'y commettent ; ils ont, dans la suspension ou la révocation des instituteurs, une sanction sérieuse. Mais pour l'école adoptée, il n'en est pas de même. Celle école doit être inspectée, je le veux bien ; mais que signifie cette inspection ? L'inspecteur provincial visite l'école une fois tous les deux ou trois ans, et l'inspecteur cantonal la visite trois ou quatre fois par an.
Mais la surveillance de l'école par l'administration communale n'est-elle pas beaucoup plus efficace, quand l'école est communale ?
Je suis bien certain que beaucoup de bourgmestres siégeant à droite ne voudraient pas échanger leur école communale contre une école adoptée. Je partage leur opinion. A leur place, je ferais comme eux. Mais s'ils se trouvent si bien de leur école communale, qu'ils veuillent bien m'aider à empêcher que les écoles adoptées ne se propagent trop.
Autre avantage de l'école communale sur l'école adoptée : c'est la question de l'enseignement même. Aujourd'hui, presque tous les instituteurs communaux sont diplômés. Le paragraphe premier de l'article 10 de la loi de 1842 est rarement appliqué. Les communes préfèrent les candidats diplômés, et elles ont parfaitement raison.
Mais il n'en est pas de même de l'école adoptée. Une commune est autorisée à adopter une école ; elle ne connaît pas l'instituteur qui la desservira et qui est envoyé par le supérieur ou par le recteur ; on n'a pas pu prendre de renseignements, on ne connaît pas même son nom ; il ne s'appelle pas même de son nom de famille ; il en a un autre ; si l'on cherchait son nom véritable, cet instituteur adopté n'est pas diplômé ; il peut avoir des capacités, je le veux bien ; il peut avoir de la pratique, je le veux encore, mais il n'a pas été bien préparé pour enseigner convenablement ; il a été élevé au noviciat et non à une école normale légale.
Quoi qu'il en soit, il peut y avoir chez lui du bon, je vous le concède ; mais vous devez me concéder aussi que cet instituteur ne présente pas nécessairement toutes les garanties désirables sous le rapport de la capacité.
Il n'a pas le diplôme, qui est une des garanties les plus sérieuses, les livres qu'il emploie viennent parfois de l'étranger. Ces livres peuvent n'avoir rien de commun avec nos livres approuvés, ni parfois avec les institutions de notre pays. Il me semble qu'il y a de meilleurs livres à prendre que ceux-là.
Ensuite, quand on a même une bonne école adoptée, que tout y marche régulièrement, cette situation peut se modifier, l'instituteur peut être retiré pour être placé dans un autre établissement, et l'école adoptée est complètement désorganisée. Si, au contraire, l'instituteur ne marche pas irrégulièrement, si l'administration communale a à s'en plaindre, elle ne peut rien faire, elle a les bras liés ; elle ne peut donner que des conseils... (Interruption.)
Les honorables MM. Wasseige et Cornesse me disent : Qu'on retire l'adoption. Mais combien de temps faut-il pour retirer une adoption ? Et quand retire-t-on ? Croyez-vous que M. Kervyn surtout, lorsqu'il voudra retirer une adoption, ne rencontrera pas des influences qui réagiront auprès (page 948) de lui ? Croyez-vous que vous ferez tout ce que vous voudrez en pareille matière ? Vous y penserez à deux fois. L'honorable M. Wasseige sait combien on rencontre de difficultés pour retirer une adoption ; il me l'a assez reproché ! J'étais alors un doctrinaire, un homme exclusif, hostile, sans religion ; j'ai été un peu meilleur après la création des écoles d'adultes, mais les bons sentiments sont passagers, et je ne m'en plains pas.
Quoi qu'il en soit, quand j'avais une adoption à retirer, je retournais vingt-cinq fois le dossier et j'examinais attentivement s'il n'y avait pas moyen, d'accord avec la commune, d'arranger l'affaire.
Il y a là des difficultés extrêmes et quand on a un retrait d'adoption à opérer, surtout dans une commune d'une certaine importance, on y regarde à deux fois avant d'en faire un fait accompli et on cherche d'abord à remédier.
L'école communale épargne de telles difficultés ; elle vaut mieux que l'école adoptée. Là au moins, je le répète, lorsque l'instituteur ne marche pas, le bourgmestre le réprimande et peut le faire suspendre, et, en résumé, messieurs, l'école communale laïque présente, au point de vue de la stabilité, de l'enseignement et de la bonne direction, plus de garanties que l'école adoptée.
Du reste, messieurs, je ne comprends pas pourquoi on ne veut pas avouer que l'école primaire communale est plus désirable que l'école adoptée.
Messieurs, je sais que comparaison n'est pas raison ; mais permettez-moi cependant une comparaison qui, si elle n'est pas irréprochable parce qu'on ne peut pas comparer les institutions religieuses aux institutions civiles, peut venir à l'appui de ma thèse.
D'après moi, de même que chaque paroisse doit avoir son église, chaque commune doit avoir son école à elle.
Que se passe-t-il aujourd'hui ? Une agglomération de fidèles se forme dans une commune. Eh bien, quand elle est assez nombreuse, quel est son premier soin ? Des délégués se rendent chez l'évêque pour lui demander de créer une paroisse. Revenus de là, ils vont au ministère de la justice demander que le gouvernement veuille bien accorder un subside pour construire une église et, aux termes de la Constitution, subsidier un ministre du culte.
Mais que dirait-on si l'honorable M. Cornesse, par exemple, lorsqu'on irait lui faire cette demande, répondait :
« Vous demandez que je paye un succursaliste et un vicaire et que je donne un subside pour construire votre église, mais vous avez un beau couvent dans votre agglomération ; il y a dans ce couvent dix ou douze pères, ils ont une jolie église, on y célèbre l'office divin, on y administre les sacrements. Il me semble donc qu'il est suffisamment pourvu, dans votre agglomération, par ce couvent aux besoins du culte ? » Si M. Cornesse tenait pareil langage (il ne le tiendra pas, j'en suis sûr et je le félicite), je l'en blâmerais et tout le monde le blâmerait avec moi.
Il y a une foule de bonnes raisons, puisées dans le droit canonique et ailleurs, pour qu'une paroisse ait son église et son curé, et, de plus, un couvent peut disparaître du jour au lendemain ; donc pas de sécurité, donc il faut une église paroissiale et un curé.
Sur ce point je n'insiste pas, nous sommes tous d'accord. Seulement, je dis que de même que dans une agglomération de fidèles, il faut une église paroissiale et un curé, qui ne peuvent en aucun cas être remplacés par une église et des pères d'un couvent, de même il faut dans une commune une école communale et un instituteur sur lequel l'autorité communale ait direction et autorité. Ne faut-il donc pas autant que possible favoriser l'établissement d'écoles communales laïques et ne point faciliter l'adoption d'écoles primaires libres congréganistes ?
D'ailleurs, messieurs, et je termine par là, je vous avoue que je ne comprends point, je ne dirai pas votre aversion, mais votre froideur pour les écoles laïques, et je m'explique moins encore vos tendresses exclusives pour les écoles congréganistes. On pourrait expliquer cette aversion et ces tendresses, si la loi de 1842 était abrogée, si le prêtre était exclu, si le bon Dieu, comme le disait l'honorable M. Dumortier, était chassé de nos écoles ; vos sentiments en ce cas s'expliqueraient au point de vue des convictions religieuses. Mais cette loi de 1842 existe. Vous la défendez et la trouvez parfaite. L'honorable M. de Haerne m'interrompait tantôt en me disant que la concurrence faite aux écoles laïques s'expliquait par la crainte de la suppression de la loi de 1842.
Mais c'est là un fantôme. Si un moment on a pu croire à l'abrogation de cette loi, vous savez fort bien qu'elle ne peut l'être actuellement ; vous êtes majorité, et il y a, dans la gauche même, des membres qui resteraient fidèles à leurs convictions et n'accepteraient pas la réforme de la loi de 1842, avant qu'on ait mis à la place quelque chose de sérieux à tous les points de vue et garantissant l'enseignement religieux.
Vous n'avez donc rien à craindre, et malgré la sécurité dans laquelle vous vous trouvez, vous avez des tendresses sans limites et exclusives pour les écoles congréganistes, et vous faites une guerre sourde aux établissements communaux, partout où il y a concurrence.
D'ailleurs, l'exécution de la loi de 1842, telle qu'elle a lieu aujourd'hui, ne donne lieu à aucune observation de la part des chefs des cultes.
Pendant les six années et quelques mois que j'ai été assis sur d'autres bancs, j'ai reçu très peu de réclamations de la part des évêques, et je crois que l'honorable M. Kervyn n'en recevra pas davantage. De même, dans les rapports des inspecteurs diocésains, on faisait peu d'observations ; on trouvait que la loi marchait bien.
L'honorable M. Pirmez m'affirme qu'il n'a pas reçu de réclamations ou qu'il en a reçu très peu. Donc, puisque la loi fonctionne bien, puisqu'elle n'est pas menacée, du moins quant à présent, qui est-ce qui peut expliquer cette espèce d'aversion pour les écoles communales et cette grande sympathie pour les écoles adoptées, c'est-à-dire congréganistes ?
Ainsi, messieurs, je prie M. le ministre de l'intérieur de bien y réfléchir avant de se décider sur cette question. Adopter les principes qui ont été repoussés en 1842, ce serait faire rétrograder la Belgique de trente années et ce serait exposer l'enseignement primaire à tomber bientôt entre les mains des congrégations.
Je sais fort bien qu'on ne travaillera pas ouvertement à cette œuvre de démolition, mais voici comment on procédera.
Une discussion aura lieu dans cette Chambre et au Sénat. M. le ministre de l'intérieur fera connaître officiellement ou officieusement, aux députations permanentes, qu'il résulte de ces discussions qu'on doit se montrer large pour l'adoption des écoles privées, qu'il ne faut pas être trop sévère, que la liberté communale doit être sauvegardée ; qu'il ne faut pas y mettre d'entraves, qu'il faut réduire la puissance du dieu-Etat, etc.
Puis connaissant ces principes, sachant que les communes obtiendront facilement l'autorisation d'adopter des écoles congréganistes, des membres de ces corporations se rendront dans la commune ; ils s'installeront d'abord modestement dans une toute petite maison sise à l'écart, ils seront peu nombreux : deux ou trois sœurs, deux ou trois frères. Alors le curé de la paroisse enverra d'abord quelques enfants à l'école privée ; on dira ensuite que ces enfants y reçoivent une excellente instruction et une éducation parfaite.
Bientôt le clergé visitera un peu moins l'école communale et un peu plus l'école congréganiste. Alors deux partis se formeront dans la commune.
Auparavant tout le monde s'entendait ; dans cette pauvre petite commune surgira une lutte politique ; les uns se prononceront pour l'enseignement libre, les autres pour l'enseignement officiel ; le curé sera naturellement partisan de l'école congréganiste. Arrivera l'époque des élections et la lutte sera rendue facile, car vous avez l'intention de faire entrer dans le corps électoral un grand nombre d'électeurs nouveaux, honnêtes, je le veux bien, mais aussi ignorants qu'honnêtes.
Grâce à ces nouveaux auxiliaires, le bourgmestre sera éliminé du conseil, à moins qu'il n'ait été éliminé auparavant par M. le ministre de l'intérieur, ce qui serait bien possible. Le nouveau conseil se réunira, on lui fera observer que l'école communale est peu fréquentée ; l'école libre, au contraire, a les sympathies des pères de famille ; pourquoi ne pas adopter l'école des frères ou des sœurs ?
On aura deux écoles sans plus de frais, car on peut diminuer les émoluments de l'instituteur laïque ; c'est fâcheux, mais enfin, il doit se soumettre.
L'école communale voyant de plus en plus diminuer ses élèves, on se demandera plus tard : Pourquoi avoir deux écoles ? Une suffit. Supprimons l'école communale, elle est si peu suivie ! Pourquoi ne pas donner cette école aux frères ? Tout ira si bien ! M. le curé sera si content ! et les frères, d'ailleurs, ne demandent pas grand-chose.
L'instituteur communal sera pensionné, peut-être même décoré, l'école communale sera enfin supprimée, l'école congréganiste sera adoptée, le but sera atteint et, comme le disait un jour un de nos collègues, le tour sera fait.
La petite comédie que je viens de résumer, je l'ai vu jouer souvent par d'habiles acteurs et, quand j'étais ministre, si je n'y avais pas mis souvent obstacle, ces faits auraient été plus fréquents encore.
Si M. Kervyn admet les principes de M. de Theux, les abus que je signale se généraliseront peu à peu ; ils se produiront dans une commune d'abord, puis dans une seconde, dans une troisième, puis dans cinq ou six (page 949) autres ; enfin, dans vingt, cinquante, cent et, si vous restez un peu longtemps au pouvoir, l'école congréganiste sera la règle, l'école communale l'exception.
Ce n'est pas tout : lorsqu'un autre gouvernement prendra la direction des affaires, quand un ministre libéral viendra prendre la place de l'honorable M. Kervyn, car pour être académicien on n'est pas un ministre immortel, ce ministre libéral trouvera la Belgique, ou du moins certaines provinces de la Belgique couvertes d'une foule de petits couvents. (Interruption.)
Oh ! ils seront si petits, que ce n'est pas la peine d'en parler !
Il y aura donc des faits établis, les instituteurs congréganistes seront en possession des locaux d'école ; ils diront : J'y suis bien, j'y reste.
Le ministre se trouvera devant des conventions faites. Il sera fort embarrassé et l'on aura, par une mauvaise interprétation, par une interprétation illégale de la loi de 1842, livré l'enseignement populaire de la Belgique aux congrégations !
J'ai cru, messieurs, devoir réfuter les doctrines défendues par quelques membres de la droite.
J'ai cru qu'une question aussi importante ne pouvait passer sans que l'on appelât l'attention du gouvernement sur ce point. Je la signale spécialement à l'honorable M. Kervyn. Je le prie, je le supplie de bien vouloir examiner sérieusement la matière et, je le répète, je ne demande pas de réponse en ce moment. Mais je lui dis :
La question est grave. Consultez les hommes compétents ; étudiez les précédents avant de vous prononcer.
J'ai fait valoir aussi les considérations qui précèdent parce qu'il faut que le pays sache qui si l'on exhume, pour l'adopter, un système suranné, rétrograde, clérical, condamné depuis 1842, on arrivera, en répandant sur la Belgique l'enseignement clérical, à livrer nos jeunes générations à des établissements qui, pour me servir d'une expression célèbre, en feront des générations de crétins.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, le discours que vient de prononcer l'honorable M. Vandenpeereboom, comprend deux points principaux.
Dans la première partie, il a reproduit des discussions déjà anciennes qui ont eu lieu dans cette Chambre et qui se rapportent à l'interprétation de la loi de 1842.
Dans la seconde partie, au contraire, l'honorable membre a cité un certain nombre d'anecdotes sur lesquelles il s'est appuyé pour vous dépeindre la situation de l'enseignement primaire comme profondément menacée. Et comme, pour lui, les écoles adoptées sont toujours des écoles religieuses, il vous a montré ces écoles prenant, dans un temps peu éloigné, la place des établissements organisés par les communes.
Je ne suis pas préparé, messieurs, à examiner tout ce qui s'est passé dans les discussions antérieures ; mais je tiens à déclarer à l'honorable M. Vandenpeereboom que ses prophéties et ses craintes ne sont nullement justifiées.
En fait, l'école primaire organisée par la commune est aujourd'hui une règle presque sans exceptions.
Il y avait en 1846, au mois de décembre, 985 écoles adoptées.
Vingt ans après, en 1866, il n'y en avait plus que 564.
En 1869, ce nombre était réduit à 508, c'est-à-dire que de 1846 à 1869, en vingt-trois ans, le nombre de ces écoles avait diminué de moitié environ.
De 1866 à 1869, il y a eu 229 nouvelles écoles communales créées, et 56 écoles adoptées ont disparu.
Enfin, messieurs, voici le résumé de la situation actuelle : d'une part, 3,730 écoles communales ; d'autre part, 508 écoles adoptées. Et c'est là la situation que M. Vandenpeereboom voudrait dépeindre comme menaçante pour l'existence des écoles primaires organisées par la commune !
M. Vandenpeereboom. - Pas pour le moment.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'honorable M. Vandenpeereboom me convie à une étude sérieuse de la loi de 1842. Cette étude sérieuse, messieurs, je la ferai et je ne perdrai pas de vue que, d'une part, nous avons à tenir compte de ce grand principe de la liberté communale en matière d'instruction primaire, auquel l'honorable M. Frère, dans la séance d'hier, a rendu un éloquent hommage ; d'autre part, je ne perdrai pas de vue non plus, dans l'application de la loi, que lorsque le gouvernement consent à adopter une école primaire, il a à tenir compte des circonstances et des faits spéciaux, et que, dans aucun cas, l'adoption ne peut donner lieu à la création d'un établissement qui n'offrirait pas, au point de vue général, les garanties les plus complètes et les plus absolues.
Pour résumer en deux mots l'engagement que je prends volontiers vis-à-vis de M. Vandenpeereboom, j'étudierai avec soin la loi de 1842, et je m'efforcerai de donner à mes honorables adversaires la preuve qu'en la maintenant tout entière je n'y ajouterai rien et je n'en retrancherai rien.
M. Rogier. - Je voudrais donner à la Chambre quelques explications au sujet du vote que j'émettrai sur l'amendement déposé par l'honorable M. Defuisseaux ; je me propose de voter contre cet amendement et je tiens à en dire le motif.
Les développements qui ont été donnés par M. Defuisseaux à l'appui de son amendement placent l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir depuis de longues années dans une position assez singulière.
Si l'on mesure la sollicitude qu'on témoigne pour l'instruction primaire à la hauteur des subsides qu'on propose, certes l'auteur de l'amendement doit professer pour l'instruction primaire une sollicitude hors ligne
Il propose, en effet, de tripler l'allocation actuelle, d'augmenter le. budget de l'intérieur d'une somme de 9 millions, ce qui dépasse la moitié de la totalité du budget. Cela est très beau ; cette proposition annonce une grande générosité chez son auteur ; mais quand des hommes un peu plus expérimentés, un peu plus pratique, beaucoup plus vieux que lui, viennent s'opposer à cette proposition, ils espèrent bien qu'on ne les confondra pas avec ce qu'on appelle les ennemis de l'instruction populaire.
Ce que nous combattons, c'est d'abord la manière dont cette proposition est introduite. Pour des propositions d'une telle importance, il semble qu'on pourrait d'abord s'entourer un peu des conseils de ses amis.
Il ne s'agit pas ici d'un simple amendement : c'est une véritable proposition de loi : Porter un crédit de 4,400,000 francs à 15,400,000 francs, soit une augmentation de 9 millions, sans condition, sans déterminer à quel régime l'instruction primaire sera soumise à l'aide de cet accroissement, sans s'expliquer sur le rôle que les communes et les provinces auront à y remplir. On livre neuf millions à M. le ministre de l'intérieur et on lui dit : Faites-en ce que vous voudrez. C'est une marque de confiance dont il doit être excessivement flatté. Mais, malgré toute la bonne volonté dont M. le ministre de l'intérieur vient de nous donner l'assurance en promettant d'étudier la loi de 1842 et de l'appliquer à la plus grande satisfaction de tous, je ne pourrai pas lui donner une marque de confiance aussi étendue avant qu'il ait étudié la loi et que ses conclusions nous soient connues. Voilà neuf millions qu'on met à la disposition de M. le ministre de l'intérieur ; mais quelle sera la part contributive des communes, quelle sera la part des provinces dans les nouvelles dépenses à faire ? Logiquement et légalement il faut que la part des communes et des provinces s'accroisse dans la même proportion, à moins que vous ne renversiez complètement le système de la loi de 1842.
Le gouvernement intervient aujourd'hui dans les frais de l'instruction primaire par l'allocation de subsides, mais seulement à titre de supplément. C'est, avant tout, la commune qui doit faire face à la dépense ; la province lui vient en aide et, en dernier lieu, le gouvernement. Eh bien, si le crédit mis à la disposition du gouvernement est porté de 4 millions à 15 millions, je demande dans quelle proportion s'accroîtront la dépense provinciale et la dépense communale.
Voilà un point essentiel qu'il faudrait d'abord décider. Ou bien, entend-on affranchir la commune et la province de toute intervention et les tenir en dehors de la question ? Telle ne peut être, je suppose, la pensée de l'honorable membre, qui est, je crois, grand partisan de la liberté communale.
Si j'avais un conseil à donner à l'auteur de la proposition, ce serait de la retirer et d'en faire l'objet d'un projet de loi distinct, avec une espèce d'exposé des motifs qui la justifient, avec des développements qui en rendent la proposition discutable.
S'il s'agissait d'affranchir les communes des obligations que la loi de 1842 leur impose, je serais un très grand adversaire d'un pareil système. Je crois que l'instruction primaire est d'obligation communale et doit rester, autant que possible, dans les limites et les attributions de la commune ; il faut que l'autorité communale s'applique à l'instruction populaire comme à l'un de ses premiers intérêts, à l’un de ses plus grands devoirs. Si la commune est financièrement désintéressée ; si c'est l'argent du trésor qui coule à flot dans la commune, qu'arrivera-t-il ? C'est, que personne dans la commune ne s'intéressera qu'indirectement à l'école. Ne dira-t-on pas : Que nous importe l'instruction primaire, elle ne nous coûte rien !
Ce système serait déplorable : il faut que, les administrateurs communaux ne négligent aucun soin pour faire prospérer l'école communale ; il faut qu'ils soient intéressés à la prospérité de l'école par les sacrifices que la commune s'impose ou auxquels elle est astreinte pour l'instruction,
Je ne descendrai pas, messieurs, à justifier les administrations (page 950) précédentes du zèle incessant qu'elles ont montré pour l'extension de l'enseignement à tous les degrés ; les faits sont là qui répondent suffisamment aux attaques auxquelles on aurait pu se livrer.
Le budget de l'instruction primaire s'est successivement élevé dans des proportions considérables.
Rappelons-nous qu'en 1833 le crédit de l'instruction primaire n'était que de 230,000 francs.
A partir de la loi de 1842, le chiffre budgétaire de l'instruction primaire s'accroit successivement ;.il a été augmenté d'abord jusqu'à concurrence d'un million ; en 1851, il était de 1,200,000 francs ; en 1861, de 1,900,000 francs ; en 1868, de 4,210,000 francs ; en 1871,de 4,426,000.
Ainsi le chiffre qui, en 1832, était de 230,000 francs, s'est élevé progressivement, au budget de 1871 présenté par l'honorable M. Pirmez, à quatre millions et demi.
Qu'on veuille bien remarquer que je ne parle que des crédits ordinaires portés au budget ; les crédits extraordinaires en dehors du budget se chiffrent par millions.
Eh bien, ce sont là, ce me semble, des antécédents qui auraient permis à l'auteur de la proposition de parler du moins avec une certaine bienveillance de ceux qui ont concouru successivement à augmenter largement la dotation de l'instruction primaire.
L'auteur de la proposition, avec une grande chaleur juvénile, s'est écrié : Qui pourrait avoir l'audace de ne pas accepter mon amendement ?
Je ne céderai pas à cette sorte de sommation, pour ma part, et je prendrai la liberté grande d'avoir cette audace.
Messieurs, cette manière d'introduire un amendement n'est pas bonne. Espère-t-on exercer une pression sur certains esprits, qui pourraient craindre d'être signalés comme des rétrogrades, se montrant partisans des réformes en paroles, mais reculant devant l'application ?
Eh bien, je n'accepte pas du tout ce rôle-là. Mais avant de poser des actes, je veux être éclairé, je veux le temps de l'examen et de la réflexion.
Je comprendrais bien que théoriquement on déclare qu'on ne fait pas assez pour l'instruction primaire, qu'il faut dépenser bien davantage ; j'admets qu'on cherche à améliorer encore la situation de l'instruction primaire. Rien de mieux. Mais avant de proposer une augmentation de neuf millions, prenez garde ; on dira qu'en une ou deux séances, la Chambre, cédant à je ne sais quelle pression, a augmenté de plus de moitié le chiffre du budget de l'intérieur..
Il s'agit, en effet, qu'on le remarque bien, d'une augmentation de neuf millions sur un budget de treize millions et demi, ce qui équivaut à un capital de près de deux cents millions ; c'est très grand, c'est très beau, c'est très généreux ; mais ne faut-il pas songer, à la réaction qui pourrait se produire dans le pays, si l'on voyait prodiguer tout d'un coup les fonds publics pour une destination vague et indéterminée ?
Nous ne savons pas en effet quelle application l'honorable auteur de la proposition veut faire de ce subside ; il n'en a rien dit et il la laisse à l'entière disposition de M. le ministre de l'intérieur. Je ne sais pas si M. le ministre de l'intérieur accepte cette haute marque de confiance illimitée. A sa place, je serais très honoré ; mais il n'en veut pas, je crois. J'engage M. le ministre de l'intérieur si, comme il le dit et comme j'aime à le croire, il est décidé à donner à l'enseignement en général et à l'enseignement primaire populaire en particulier, une plus grande extension, à venir, l'année prochaine, nous proposer quelque chose de pratique et d'acceptable. Mais quant à accepter aujourd'hui, hic et nunc sans examen, sans aucune motif sérieux et sans moyen pratique à l'appui, une augmentation très considérable en faveur de l'instruction primaire, je dis que, quant à moi, il m'est impossible de me rallier à cette proposition, et je serai obligé de voter contre.
Cela ne veut pas dire que je ne saisirai pas toutes les occasions de montrer mes sympathies pour l'enseignement primaire, pour l'enseignement moyen et pour l'enseignement supérieur. Il est aussi des questions sur lesquelles nous nous rencontrerons, je pense, avec l'honorable auteur de la proposition ; ainsi, on a parlé de l'instruction primaire obligatoire : j'aime bien qu'on le sache, je ne suis pas l'adversaire de cet enseignement.
Du jour où il aura été décidé que l'instruction est obligatoire, nécessairement ce principe, s'il est admis, entraînera de nouvelles dépenses ; eh bien, dans ce cas, je m'associerai aux dépenses nouvelles qui pourraient être jugées nécessaires. Mais, par principe, messieurs, je ne voterai pas, sans motifs sérieux et sans application pratique, des augmentations dans des proportions aussi considérables, et je crois que malgré les preuves de sympathie que l'honorable M. Defuisseaux a voulu donner à l'enseignement primaire par sa proposition, il ferait aussi bien de ne pas insister quant à présent.
M. le président. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits ; si personne ne demande la parole, nous passerons au vote.
M. Muller. - Sur quoi va-t-on voter ? Sur les amendements ?
M. le président. - Je me proposais d'indiquer l'ordre dans lequel je pensais que les amendements doivent être mis au vote.
M. Muller. - Pourra-t-on parler sur les amendements ?
- Voix à droite. - Non ! Non !
M. le président. - Demandez-vous la parole sur l'article ?
M. Muller. - Je demande la parole.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Muller. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur nous a déclaré dans la séance d'hier qu'il n'acceptait pas, pour cette année, l'amendement conforme à la proposition faite par M. Pirmez dans son projet de budget de 1871, que j'ai produit en section centrale et à la Chambre, en faveur des diplômes et d'encouragements à accorder aux élèves de la division supérieure des écoles d'adultes.
Messieurs, le principal motif que le gouvernement a opposé à l'exécution actuelle de l'article 21 de l'arrêté royal du 11 septembre 1868, c'est que les députations permanentes auraient déclaré, en majorité, que les concours dans les écoles d'adultes seraient peu praticables dans le cours de cette année. J'avais eu l'honneur de faire remarquer à la Chambre que les concours d'adultes peuvent avoir lieu partiellement dans le pays, puisqu'ils sont organisés par cantons. J'ajoute qu'ils n'ont pas le moins du monde le caractère d'une lutte entre des concurrents, lutte dans laquelle il n'y aurait qu'un nombre fixe et déterminé de vainqueurs.
L'arrêté de 1868 se sert de l'expression de concours ; mais quel est le but de l'institution ? C'est de donner aux jeunes gens ayant atteint l'âge de 19 ans et ayant fréquenté avec fruit pendant trois ans les cours supérieurs d'adultes, un diplôme lorsqu'ils ont obtenu plus de la moitié des points, et en outre de leur faire espérer, à titre de récompense, un livret de caisse d'épargne et de retraite lorsqu'ils ont atteint les deux tiers des points. Eh bien, à ce point de vue, le nombre des concurrents est assez indifférent, et l'on ne doit ni écarter, ni ajourner ceux qui sont prêts à subir l'épreuve de l'examen en 1871.
On devrait suivre à l'égard de ces jeunes gens la même marche que pour ceux qui se présentent au grade d'élève universitaire. Postposeriez-vous là l'époque des épreuves, parce qu'il y aurait peu de concurrents ? Evidemment non, cette raison ne serait pas admise, et elle ne vaut pas mieux en ce qui concerne les écoles d'adultes.
J'avais fait remarquer, d'ailleurs, à M. le ministre de l'intérieur, que si mes renseignements sont exacts, M. l'inspecteur provincial de Liège a déclaré l'organisation des concours praticable actuellement dans un certain nombre de cantons.
Eh bien, pourquoi, sous prétexte que cette organisation rencontre certaines difficultés ailleurs, priver les provinces ou les cantons où elle peut facilement se faire ? Rien de plus simple que de nommer {uelques membres de jurys que vous devez au surplus, composer chaque année pour les concours entre les écoles primaires, pour les examens d'entrée, de passage d'année à l'autre, et de sortie, des élèves des établissements normaux ? Vous n'avez donc guère de frais à faire à cet égard ; ce n'est pas la nomination des jurys qui doit faire obstacle.
J'adresserai une question à M. le ministre de l'intérieur : Ne pourrait-il pas dès maintenant, pour cette année, changer la disposition de l'arrêté royal de 1868 qui n'admet à participer à ces concours ou à ces examens, dont le résultat est l'octroi d'un diplôme ou d'un livret que les élèves ayant atteint l'âge de 19 ans ? M. le ministre de l'intérieur rencontre-t-il un obstacle quelconque à modifier en deux lignes l'article 24 de cet arrêté, en ce qui concerne l'abaissement de l'âge de 19 ans, puisqu'il considère cet âge comme la cause principale du nombre trop restreint des adultes qui pourraient être appelés à concourir ?
Les examens scolaires, sauf la section de Pâques pour les universités, ont tous lieu vers le mois d'août. Vous pourriez donc organiser nos concours pour cette année. Je ne suppose pas que vous ayez l'intention de réviser les autres articles de l'arrêté royal de 1868. Il n'y a donc pas de grand travail à faire.
En résumé, reconnaissant la possibilité, pour le gouvernement, de mettre en vigueur les concours d'adultes pour l'exercice 1871, concours qui ont été promis par un arrêté royal, je suis obligé, messieurs, de maintenir mon amendement, qui n'a été combattu par aucune raison sérieuse.
Si le chiffre de 15,000 francs était trop élevé aux yeux de M. le ministre de l'intérieur, s'il n'a pas besoin de toute la somme, je me rallierai volontiers à une réduction ; je demande seulement qu'on fasse acte de bonne (page 951) volonté, non pas en nous renvoyant ù l'année prochaine, mais en agissant dans le cours de 1871 en faveur d'une institution qui, comme l'a reconnu M. le ministre de l'intérieur lui-même, a droit à toutes nos sympathies.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Comme déjà j'ai eu l'honneur de le faire connaître, je n'ai pas eu sous les yeux le rapport de M. Kleyer ; mais, à cette occasion, je tiens à faire remarquer que ce ne sont pas seulement les députations permanentes, mais aussi les inspecteurs provinciaux qui ont déclaré presque unanimement qu'il est impossible d'organiser cette année les concours.
J'ai, de plus, à faire observer à l'honorable M. Muller qu'il a interprété d'une manière inexacte l'article 24 du règlement du 1er septembre 1866 En effet, les livrets de la caisse d'épargne ne sont pas remis à tous ceux qui obtiennent les deux tiers des points, mais aux élèves qui se sont le plus distingués, pourvu qu'ils aient remporté au moins les deux tiers des points. Or, cela suppose évidemment un certain nombre d'élèves prenant part au concours.
Voici l'engagement que je prends bien volontiers et que je crois de nature à satisfaire complètement l'honorable M. Muller :
Je m'occuperai dans le plus bref délai possible de la révision des dispositions réglementaires qui se rapportent aux écoles d'adultes. (Interruption.) Je me réserve, à cet égard, une liberté entière. (Interruption.) Cette révision ayant eu lieu, je ferai tout ce qui me sera possible afin d'être à même de présenter, avant la clôture de la session, la demande d'un crédit spécial pour organiser dès cette année les concours d'adultes, concours auxquels j'attache autant de prix que l'honorable préopinant lui-même.
M. Vandenpeereboom. - L'honorable ministre de l'intérieur vient de dire qu'il a l'intention de réviser le règlement sur les écoles d'adultes. On a critiqué une des dispositions de ce règlement, on a dit qu'il fallait établir les concours, non entre des jeunes gens de 19 ans, mais entre des élèves de 14 à 16 ans.
Je prie M. le ministre, quand il éle règlement, de remarquer que l'on a fixé l'âge de 19 ans d'une part pour tenir les élèves plus longtemps à l'école, de l'autre, afin qu'ils puissent suivre un cours complet qui est donné en une série d'années.
Je ne m'oppose du reste pas à ce qu'on donne des prix à des élèves plus jeunes, mais je demande que l'on maintienne un concours entre les jeunes gens qui ont suivi jusqu'à 19 ans l'école moyenne et qu'on réserve pour eux les meilleures récompenses.
-L 'amendement de M. Defuisseaux est soumis au vote par appel nominal.
91 membres prennent part au vote.
70 membres répondent non.
17 membres répondent oui.
4 s'abstiennent.
En conséquence, la Chambre n'adopte pas.
Ont voté l'adoption :
MM. Coremans, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, Defuisseaux, Demeur, Dethuin, de Vrints, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Jottrand, Lelièvre, Bergé et Boucquéau.
Ont voté le rejet :
MM. Brasseur, Coomans, Cornesse, Cruyt, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, Delcour, De Lehaye, de Liedekerke, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Liénart, Magherman, Mascart, Mouton, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Pirmez, Rembry, Reynaert, Rogier, Sainctelette, Simonis, Snoy, Tack, Tesch, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Allard, Bara, Beeckman, Biebuyck et Thibaut.
Se sont abstenus :
MM. Bouvier-Evenepoel, Le Hardy de Beaulieu, Van Humbeeck et Ansiau.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à donner les motifs de leur abstention.
M. Bouvier. - Partisan d'une large diffusion de l'enseignement primaire et de l'instruction obligatoire, j'ai cru convenable de ne pas voter contre la proposition qui nous est soumise.
D'un autre côté, je n'ai pas voulu confier à un ministre qui n'a pas ma confiance une somme aussi considérable que celle sollicitée dans l'amendement.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Sympathique à l'amendement, j'en ai donné la preuve en demandant au ministre de l'intérieur les renseignements précis sur les nécessités qui existent pour son développement dans une grande partie du pays, afin de justifier une proposition analogue dans la session prochaine, je n’ai pas pu émettre un vote négatif ; d'autre part, je n'ai pu voter pour l'amendement en l'absence de toute règle fixée pour l'emploi de cette somme considérable.
M. Ansiau. - Je me suis abstenu pour les motifs donnés par l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, la proposition de l'honorable M. Defuisseaux se rattachant au budget d'un exercice commencé, à une législation organique donnée, ne me paraissait pas pouvoir donner un résultat pratique ; j'aurais dû voter contre si le débat s'était maintenu sur son terrain naturel ; mais dans le cours de la discussion on a présenté souvent l'amendement comme étant moins une mesure pratique que l'affirmation d'un principe et d'une nécessité, je n'ai pas voulu émettre un vote négatif qui aurait pu être considéré comme une répudiation de ce principe ou là méconnaissance de cette nécessité.
M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de M. Funck, qui consiste en une augmentation de 100,000 francs.
- Des voix. - L'appel nominal !
- Il est procédé à l'appel nominal.
33 membres y prennent part.
55 membres répondent oui. 55 membres répondent non.
3 membres s'abstiennent.
En conséquence l'amendement est rejeté.
Ont répondu oui :
MM. Bouvier, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, Defuisseaux, Demeur, Descamps, Dethuin, de Vrints, Elias, Funck, Guillery, Hagemans, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Mascart, Mouton, Muller, Rogier, Sainctelette, Tesch, Thonissen, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Allard, Ansiau, Bara, Bergé et Boucquéau.
Ont répondu non : MM. Brasseur, Coomans, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, Delcour, De Lehaye, de Liedekerke, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Dumortier, Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Liénart, Magherman, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Simonis, Snoy, Tack, Thienpont, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Beeckman, Biebuyck et Thibaut.
Se sont abstenus :
MM. de Rossius, Frère-Orban et Pirmez.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître le motif de leur abstention.
M. de Rossius. - Je me suis abstenu pour les motifs développés par M. Pirmez dans la discussion générale sur l'article et notamment à cause du mode actuel de répartition des subsides.
MM. Frère-Orban - Je reconnais que la position de la ville de Bruxelles est exceptionnelle et qu'il est injuste qu'elle ne participe pas aux subsides accordés pour l'enseignement primaire. Mais les motifs invoqués par M. Pirmez ne m'ont pas permis de voter en faveur de l'amendement.
Si le contingent était accru tout en maintenant le mode actuel de répartition, la province de Brabant, qui est déjà favorisée, le serait davantage encore au préjudice des autres provinces. Le système nouveau que veut introduire M. le ministre de l'intérieur ne remédiera pas à cette situation, et je saisis l'occasion qui se présente de dire quelques mots de la circulaire de M. le ministre de l'intérieur. (Interruption.) Oh ! je ne veux pas faire un discours ; je serai très bref.
Je suis persuadé que M. le ministre de l'intérieur a eu d'excellentes intentions en faisant cette circulaire.
M. le président. - Est-ce un motif d'abstention ?
M. Frère-Orban. - Certainement, M. le président. (Interruption.) Permettez ; je m'abstiens, entre autres, par ce motif que je ne puis (page 952) approuver le mode indiqué pour la répartition des subsides. En deux mots, j'aurai exprimé ma pensée.
Je ne suis nullement opposé à ce que de nouvelles bases soient adoptées pour la répartition des subsides ; tout au contraire, mais ce système annoncé par M. le ministre de l'intérieur dans sa circulaire me paraît vicieux. Il aboutit à des résultats qui ne sont pas justes. Il ne fera pas cesser les inégalités qui existent et il en fera naître de nouvelles qui seront encore moins admissibles.
Mais je suis convaincu qu'il y a quelque chose à faire et j'appelle sur ce point l'attention de M. le ministre de l'intérieur.
La condition des communes a singulièrement changé, surtout depuis le vote de la dernière loi qui a accru le fonds communal. Il y a un grand nombre de communes, presque toutes, dont les ressources vont s'accroître annuellement dans une certaine proportion.
Il ne reste qu'un nombre restreint de communes qui ne participeront pas à cet accroissement. Eh bien, j'estime qu'il y a lieu de prendre cette situation en très sérieuse considération pour la répartition des subsides.
Plusieurs de nos principales villes sont aujourd'hui très obérées ; elles font difficilement face à leurs obligations, tandis que la plupart des communes vont obtenir des ressources nouvelles qu'elles devraient appliquer en premier ordre à l'enseignement. Il y a donc là, je le répète, une situation qui mérite de faire l'objet d'un examen attentif et bienveillant de la part du gouvernement.
M. Pirmez. - J'ai fait connaître dans la discussion générale les motifs de mon abstention.
M. le président. - Nous passons au vote sur l'amendement de M. Muller qui consiste à augmenter le crédit proposé de 15,000 francs et d'ajouter dans le développement après le littera g de l'article 99, portant : Subsides en faveur des écoles d'adultes, un autre littera ainsi conçu :
« Frais des concours entre les écoles d'adultes ; récompenses aux élèves qui se distinguent dans ces concours (exécution des articles 24 et 34 de l'arrêté royal du 11 septembre 1868). »
- Cet amendement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
M. le président. - Vient maintenant l'amendement de M. le ministre de l'intérieur qui consiste à augmenter de 50,000 francs le chiffre primitif du budget.
M. Muller. - Comment M. le ministre de l'intérieur libelle-t-il cette allocation ?
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Jusqu'à présent les subsides accordés aux écoles primaires supérieures de filles ont toujours été prélevés sur l'article 99. La situation est maintenue ; il n'y a donc pas lieu d'introduire un libellé nouveau.
M. Muller. - Messieurs, je ne...
M. le président. - L'épreuve est commencée, M. Muller ; je ne puis pas vous accorder la parole.
M. Muller. - Mais pas le moins du monde.
M. le président. - Nous sommes au milieu des votes sur les amendements.
M. Muller. - Mais il s'agit ici d'un amendement de M. le ministre de l'intérieur. Or, je demande seulement que le libellé de l'article 99 permette l'allocation de subsides (erratum, page 983) pour les écoles primaires supérieures des filles ; ou qu'il soit bien constaté qu'il en sera ainsi.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, comme rien n'est changé à l'ordre de choses actuel, je n'ai pas cru qu'il y eût lieu de modifier le libellé. Cependant, si on le désire, on pourrait ajouter à ce libellé : « subsides aux écoles primaires supérieures de filles ».
L'amendement de M. le ministre de l'intérieur tendant à augmenter le chiffre de l'article 99, d'une somme de 50,000 francs, est mis aux voix et adopté.
M. Muller. - Je répète que l'objet de cette nouvelle allocation doit être mentionné dans le libellé de l'article 99.
M. Lelièvre. - Je demande la parole.
M. le président. - Je ne puis pas vous l'accorder, les explications qui ont été demandées tout à l'heure par M. Muller lui ayant été données par M. le ministre de l'intérieur.
Je mets aux voix le chiffre total de l'article 99, qui est de 4,492,237 fr.
- L'ensemble de l'article 99 est adopté.
M. Couvreur (pour une motion d’ordre).- Je n'ai qu'un mot à dire et il se rapporte au chapitre de l'Instruction primaire.
J'ai demandé, l'année dernière, que le département de l'intérieur voulût bien faire une application de la statistique graphique, pour déterminer l'état et les progrès de l'instruction primaire. L'honorable M. Pirmez a fait droit, en partie, à ma proposition. Le premier volume de l'Annuaire de statistique qui nous a été distribué contient, entre autres, deux tableaux représentant l'un, par des lignes ascendantes et descendantes, l'autre, par des teintes plus ou moins foncées, la fréquentation des écoles publiques ou privées, ainsi que l'état d'instruction de nos miliciens. Ces tableaux sont très intéressants et très faciles à consulter, mais ils ne suffisent pas. Ils s'adressent au savant, à l'administrateur, ils ne parlent pas aux yeux de la foule, ils ne vulgarisent pas les notions que nous avons intérêt à répandre dans les populations.
Pour arrivera ce résultat, je voudrais que l'honorable M. Kervyn, complétant l'œuvre de son prédécesseur, fît établir des cartes coloriées analogues à celles qu'ont dressées pour la France, il y a une trentaine d'années, M. Dupin d'abord, puis, plus récemment, M. Duruy. Ces cartes devraient donner l'état de l'instruction primaire par province, puis par canton. Différentes teintes indiqueraient la fréquentation des écoles primaires, tant pour les filles que pour les garçons, le degré d'instruction des miliciens, ainsi que de la population en général des deux sexes.
Affichées dans les écoles, dans les maisons communales, répandues partout, ces cartes tiendraient constamment toutes les parties du pays au courant des progrès de l'enseignement. Elles stimuleraient le zèle des cantons et des communes retardataires. Elles révéleraient constamment vers quelles localités il faut diriger les efforts publics et privés pour le développement de l'instruction.
Un autre avantage encore découlerait de la publication. L'honorable M. Frère a fait ressortir hier, avec raison, combien les renseignements fournis par la statistique sont souvent inexacts. Le moyen de redresser les erreurs c'est d'intéresser le public à un contrôle incessant des faits en les lui mettant devant les yeux sous une forme saisissante et qui se grava facilement dans sa mémoire.
Si je demande au gouvernement de se charger de cette publication, c'est parce qu'il en possède, mieux que les particuliers, les éléments et l'outillage. Rien, en effet, ne serait plus facile, les cartes étant dessinées, que de les faire exécuter par les soins du dépôt de la guerre. II a fait ses preuves par ses cartes topographiques, qui sont aujourd'hui, grâce à leur bon marché, dans toutes les mains.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je ferai en sorte de déférer au vœu qui vient d'être exprimé par l'honorable M. Couvreur.
M. Le Hardy de Beaulieu (pour une motion d’ordre). - Messieurs, permettez-moi de placer quelques mots entre deux chapitres du budget. Il s'agit encore d'instruction publique, mais d'une instruction qui, par une anomalie que je ne m'explique pas, se trouve mêlée au budget de la justice. Je veux parler des instituts pour les aveugles et les sourds-muets.
Pourquoi cet enseignement se trouve-t-il compris dans le budget de l'administration de la justice, et confondu avec les prisons, la police des indigents et des étrangers, les vagabonds, etc.
Je ne veux pas discuter la question, je veux simplement appeler sur ce point l'attention des honorables ministres de l'intérieur et de la justice, ainsi que des sections centrales qui seront chargées de l'examen des budgets de ces départements pour l'exercice 1872.
Il me semble que l'enseignement des aveugles et des sourds-muets serait mieux placé dans le département de l'intérieur, où il trouverait le personnel et le matériel qui pourraient lui être utiles, que dans le département de la justice, où il se trouve en quelque sorte dépaysé.
On pourrait mieux y tenir compte des besoins de ces êtres infortunés et de leur avenir ; on y trouverait le concours de toute l'administration de l'instruction publique, à laquelle cet enseignement est aujourd'hui complètement étranger.
J'appelle sur cette question toute l'attention des ministres dans l'administration desquels cet important intérêt se trouve placé.
Je prie les sections centrales chargées des budgets de l'intérieur et de la justice pour 1872 de porter leur attention la plus sérieuse sur la question que je soulève.
Je me réserve pour la discussion des budgets de 1872, de faire telles propositions que je croirai utiles dans l'intérêt des concitoyens malheureux et intéressants dont je crois devoir prendre la cause en mains.
M. de Haerne. - Je n'ai aucune objection essentielle à présenter, quant à l'enseignement, sur la question qui vient d'être soulevée par l'honorable M. Le Hardy.
(page 953) Je crois que, pour ce qui regarde l'enseignement proprement dit, on pourrait tout aussi bien l'annexer au département de l'intérieur qu'au département de la justice. Mais la question est complexe... (Interruption.) Il ne s'agit pas seulement d'enseignement, mais, aux termes de l'article 131, paragraphe 17, de la loi communale, il s'agit aussi de l'entretien des aveugles et des sourds-muets, et ce point entre incontestablement dans les attributions du département de la justice. Allez-vous séparer l'entretien de l'enseignement ? Vous aurez alors deux services au lieu d'un seul ; loin de réaliser un avantage quelconque, vous aurez une surcharge. Voilà la question. (Interruption.)
Maintenant, messieurs, je dois dire qu'il y a entre l'enseignement et l'entretien une certaine connexité, parce que, avant de donner l'enseignement gratuit dans les institutions spéciales de sourds-muets et d'aveugles, il faut que l'infirmité soit constatée, et c'est là une question qui est quelquefois éludée par la commune ; il faut alors que la province s'interpose et souvent l'Etat lui-même est obligé d'intervenir... (Interruption.) pour constater l'infirmité, ce qui est évidemment du ressort du département de la justice.
- Voix nombreuses. - Vous sortez de la discussion du budget.
M. de Haerne. - Je ne sors pas de la question soulevée, à laquelle je réponds ; et je dis que je ne vois pas pourquoi l'on modifierait le régime actuel ; les établissements dont il s'agit marchent très bien et nous n'avons que des éloges à adresser au fonctionnaire du département de la justice qui est chargé de leur direction.
M. Lelièvre. - Je crois qu'il faut maintenir le régime existant relativement aux établissements dont il s'agit, parce qu'il faut prendre égard à leur destination principale qui est la bienfaisance.
M. le président. - Nous passons au chapitre XVIII : le premier orateur inscrit est M. Kervyn de Volkaersbeke.
- Voix nombreuses. - A ce soir !
M. le président. - La Chambre me paraît désireuse de suspendre la séance.
- Voix nombreuses - Oui ! Oui !
M. le président. - La séance est donc suspendue ; elle sera reprise à 8 heures.
- La séance est reprise à 8 heures.
M. le président. - La discussion est ouverte sur le chapitre XVIII : Lettres et sciences.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Messieurs, le chapitre XVIII du budget de l'intérieur ramène régulièrement depuis plusieurs années la question relative au local où les archives de l'Etat sont conservées, et jusqu'à ce jour elle n'a pas été résolue. Cependant on ne saurait apporter assez tôt un remède au mal.
J'ai visité ce dépôt dans toutes ses parties ; j'ai parcouru ces vastes salles où les documents les plus précieux sont entassés et j'ai été effrayé du danger qui les menacerait si le feu se déclarait dans une partie quelconque du palais de justice ou même dans une des maisons qui entourent l'édifice.
Ce danger est signalé par M. Gachard, le savant et laborieux archiviste général du royaume, dans une lettre adressée à M. le ministre de l'intérieur et datée du 12 juillet 1869. Je demande à la Chambre la permission de la lire :
« Depuis nombre d'années ou, pour mieux dire, depuis que la Belgique forme un Etat indépendant, la nécessité d'installer les archives du royaume dans un autre local, dans un local où seraient réunies les conditions de convenance, d'étendue, de sûreté qui manquent au dépôt actuel, est reconnue de tout le monde. Que de fois les nombreux étrangers qui sont venus consulter nos collections historiques n'ont-ils pas témoigné leur étonnement qu'un établissement national d'une telle importance fût, sous ce rapport, l'objet de si peu de sollicitude de la part des pouvoirs de l'Etat ! La presse a publié plus d'un article sur ce sujet, et du sein des deux Chambres, des voix se sont fait entendre, à différentes reprises, pour réclamer la construction d'un édifice où nos archives puissent être placées conformément aux exigences d'une bonne classification, mais surtout où elles soient à l'abri des dangers d'incendie. En ce qui me concerne personnellement, j'ose dire que j'ai rempli mon devoir, n'ayant, pour parvenir au même but, négligé aucune démarche auprès des hommes d'Etat qui se sont succédé au département de l'intérieur.
« Ce n'est pas sans une profonde tristesse que j'ai vu tout cela n'aboutir à rien ; et ma tristesse redouble en pensant que la question d'un local pour les archives paraît être, à l'heure qu'il est, entièrement abandonnée.
« Le gouvernement a pourtant à sa disposition un emplacement qui conviendrait on ne peut mieux à cette destination : je veux parler de l'ancien hôtel du ministère de la justice, rue de la Régence, et des terrains qui en dépendent ou y sont contigus,
« Il n'en existe certainement pas qui soit plus propre au dépôt des archives. En effet, rue de la Régence, elles seraient presque au centre de la ville ; elles seraient tout à proximité de la bibliothèque royale, établissement avec lequel elles ont plus d'un point de contact ; elles seraient près aussi des ministères, circonstance essentielle ; car, dès qu'on aurait pour les archives du royaume des locaux suffisants, les papiers dont les hôtels des différents départements ministériels se trouvent aujourd'hui encombrés, pourraient y être envoyés ; enfin, rue de la Régence, elles seraient à très peu de distance du nouveau palais de justice.
« Au point de vue de l'économie, cet emplacement aurait encore sur tout autre cet avantage-ci : qu'il n'exigerait qu'une seule façade vers la rue de la Régence, tandis que presque partout ailleurs il en faudra quatre.
« Vous vous étonnerez peut-être, monsieur le ministre, que je parle non seulement des bâtiments de l'ancien hôtel du ministère de la justice, mais encore des dépendances de cet hôtel, dans lesquelles je comprends les jardins et l'ancien manège. Votre surprise cessera lorsque vous saurez quel est l'espace qu'occupent nos archives. Je l'ai fait mesurer et il est résulté de cette opération que, sans compter les bureaux, ni la bibliothèque, ni la salle du public, le dépôt réclame une surface de cinq mille sept cent (tente mètres carrés.
« A ce chiffre il faut ajouter de trois à quatre mille mètres pour les archives des ministères. En 1840, le 6 octobre, M. Liedts, alors chargé du portefeuille de l'intérieur, m'écrivait : « La plupart des bureaux de mon département sont encombrés, par suite de l'accumulation successive, depuis dix ans, d'une masse de dossiers dont une grande partie concerne des affaires entièrement terminées, et devrait, par conséquent, être transféré au dépôt général des archives de l'Etat. Le nombre de ces dossiers dont je désire pouvoir me débarrasser immédiatement s'élève approximativement à 50,000. Je me suis assuré que le ministère des travaux publics pourrait également, avant son déménagement pour le nouvel hôtel qui lui est destiné, déposer aux archives 50,000 dossiers environ, c'est-à-dire le tiers du nombre total qu'il possède. Le ministère des finances aurait aussi à se défaire d'un nombre très considérable de dossiers (165,000), et, en outre, de 140,000 registres de diverses dimensions. Ce serait donc un total approximatif de 382,000 dossiers et registres qu'il y aurait lieu de transférer immédiatement aux archives. » Si, en 1840, dix années après la constitution du royaume, il y avait déjà, dans trois départements ministériels seulement, près de 400,000 registres ou dossiers à déposer aux archives, quel ne doit pas être aujourd'hui, après trente-neuf années, le chiffre de ceux de tous les ministères ?
« J'ai cru ne devoir plus différer, monsieur le ministre, d'appeler votre sérieuse attention sur cet objet, que je considère même comme étant d'un intérêt pressant. Car, qu'arrivera-t-il si les archivés du royaume ne sont pas installées ailleurs au moment où, le nouveau palais de justice étant achevé, les cours et les tribunaux iront en prendre possession ? Il arrivera que le gouvernement ne pourra pas disposer des terrains sur lesquels est érigé le palais de justice actuel, terrains d'une étendue, je crois, de trois hectares et dont la vente est susceptible de rapporter au trésor des sommes considérables. Il ne pourra pas en disposer, parce que les archives occupent tout le triangle qu'ils forment, à partir de l'angle de la place du Palais de Justice jusqu'au haut de la rue de la Paille. Que si l'on songeait à construire un édifice pour les archives sur ces mêmes terrains, cette idée, à la vérité, n'aurait rien que de praticable ; mais l'exécution en serait sujette à une grosse difficulté et c'est celle-ci :
« Où placerait-on les archives pendant tout le temps que dureraient les démolitions et la construction nouvelle ? »
Messieurs, quand je vous signalais tout à l'heure le danger de laisser les archives du royaume au local où elles se trouvent actuellement, vous voyez que je n'exagérais pas le danger et que je n'émettais pas seulement une opinion personnelle, mais que celui qui est chargé de la garde de ce riche dépôt, et qui s'acquitte de cette mission avec un soin au-dessus de tout éloge, partage ma manière de voir et éprouve les mêmes craintes.. Qu'arriverait-il, messieurs, si le feu venait à se déclarer dans le local ? Il n'est donné à personne d'en calculer les conséquences, mais il est permis de penser que pas un seul document n'échapperait à la destruction.
Il faut donc que le gouvernement prenne au plus tôt les mesures (page 954) nécessaires pour les transférer, comme le dit l'honorable archiviste général, dans un autre local plus convenable et répondant m'eux a sa destination.
Je ne me prononce pas, messieurs, au sujet de la proposition faite par M. Gachard de les établir rue de la Régence. Je laisse au gouvernement le soin d'apprécier si celle idée est acceptable, je n'ai pas à m'en préoccuper.
L'honorable député d'Eecloo aujourd'hui assis au banc ministériel partageait les mêmes craintes en 1862, et je trouve, dans les Annales parlementaires,il disait à cette époque dans la séance du 28 février.
« Ce local, disait-il, qui renferme des documents si importants, si con. sidérables, quelles garanties de conservation présente-t-il ? Ce sont des murailles presque ruinées, lézardées, minées par le salpêtre et l'humidité, qui supportent nos archives, et c'est sous ce poids immense de parchemins et de papiers que nos honorables magistrats siègent et délibèrent tous les jours...
« Mais, messieurs, ce n'est pas le danger le plus sérieux ; il y en a un autre : c'est que le dépôt des archives est exposé tous les jours à l'incendie. Nos magistrats se plaignent du froid pendant l'hiver ; mais les cheminées, quelque peu nombreuses qu'elles soient, le sont encore beaucoup trop pour les archives.
« Vous savez, messieurs, quelle est d'ailleurs la situation de ces bâtiments : ici ils touchent à une boulangerie, là à des hôtelleries, à des estaminets, à des boutiques.
« Si jamais un désastre survenait, il pourrait avoir les plus terribles résultats. N'oubliez pas que le palais de justice est séparé à peine par une rue étroite d'un vaste carré de maisons qui se prolonge le long de la Montagne de la Cour jusqu'à la Place Royale et qui embrasse tout ce que le commerce a de richesses et aussi ce qu'ont de précieux nos collections, nos bibliothèques et nos musées...
« Le gouvernement se trouve placé aujourd'hui dans une position dont on ne peut se dissimuler l'urgence. La construction d'un nouveau palais de justice est résolue... Les vastes terrains sur lesquels s'élève le palais de justice actuel appartiennent à l'Etat. Dans l'intérêt du trésor, il faudra en tirer un parti immédiat dès que nos magistrats seront installés dans le nouveau local. Que fera alors M. le ministre de ce dépôt d'archives si considérable et si précieux ?
« Je le répète : si, dès ce moment, le gouvernement ne prenait pas des mesures qui sont commandées par tant de considérations, qui sont urgentes à tant de titres, il se rendrait coupable d'une grande imprévoyance. »
Messieurs, je pourrais prolonger les citations, mais la Chambre me saura gré de les abréger autant que possible.
M. Bouvier. - Positivement.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Je me conformerai bien volontiers au désir exprimé par l'honorable M. Bouvier, mais j'espère qu'il voudra bien, à son tour, nous prêcher d'exemple, car nous ne sommes pas encore au bout du budget.
Je ne citerai donc pas tout ce que l'honorable député d'Eecloo a dit à cette époque, il suffit qu'il soit assis au banc ministériel pour me convaincre que, dans un avenir très prochain, il sera fait droit aux réclamations que lui-même a élevées en 1862, en 1866 et plus tard.
Permettez-moi maintenant, messieurs, de dire un mot des archives de l'Etat, conservées dans les chefs-lieux de province.
Si nous jetons les yeux sur ces archives, nous constatons, à peu d'exceptions près, une situation semblable, sauf à Mons, où ces précieux documents sont magnifiquement installés.
Si ce reproche ne peut s'adresser à la province de Hainaut, il revient à bon droit à la Flandre orientale, où les archives sont placées à l'hôtel du gouvernement, dans des conditions très peu satisfaisantes.
Ce dépôt, tout le monde le sait, est d'une haute importance pour l'histoire. Outre les archives de nombreuses abbayes et châtellenies, il contient encore le trésor des chartes des comtes de Flandre, les archives des anciens états dits : les quatre membres de Flandre. Gand, Bruges, Ypres, le Franc de Bruges. A cette collection déjà très remarquable il faut ajouter les archives du conseil de Flandre, dont la juridiction s'étendait non seulement sur le pays flamand, mais dès 1521 sur le Tournaisis. Tout cela forme une collection très considérable et il est impossible qu'elle soit conservée dans le local qu'elle occupe aujourd'hui.
Je sais que M. l'archiviste général du royaume, au zèle duquel j'aime à rendre un légitime hommage, a proposé au gouvernement d'acquérir un ancien bâtiment appartenant aux hospices civils de Gand, qui sert aujourd'hui d'orphelinat pour les garçons dits : Kulders. Ce bâtiment, parfaitement isolé des autres habitations, possède de vastes salles voûtées à l'abri de l'incendie. A tous les points de vue, ce local conviendrait à sa nouvelle destination. Je prierai l'honorable ministre de l'intérieur de vouloir nous dire si les négociations entamées avec l'administration des hospices civils seront couronnées de succès. Je le désire vivement ; car il importe de mettre un terme à un état de choses qui rend impossible le classement définitif des archives.
M. Hagemans. - L'honorable M. Vandenpeereboom a dernièrement présenté des observations très judicieuses à propos du mauvais effet produit par les mesures prises par l'honorable ministre de l'intérieur relativement aux primes accordées à la littérature et à l'art dramatique. C'est sur ce sujet que je voudrais revenir.
En 1869, j'avais formulé quelques critiques, non pas contre le système des primes en lui-même, mais contre certains abus auxquels les primes donnaient lieu. Je crois que ce sont ces abus que M. le ministre a voulu atteindre, mais je crains qu'il n'ait dépassé le but.
L'honorable ministre a abrogé les arrêtés ministériels du 20 septembre 1863 et du 29 janvier 1867, arrêtés qui déterminaient les mesures d'exécution et l'arrêté du 31 mars 1860 relatif à l'encouragement à l'art et à la littérature dramatiques ; il les a remplacés par deux arrêtés nouveaux, celui du 26 novembre 1870 et celui du 24 janvier 1871.
L'honorable ministre avait-il le droit, en décrétant ces nouvelles mesures d'exécution, de changer l'esprit de l'arrêté royal ? C'est une question que je n'examinerai pas. Je sais bien que l'arrêté royal dit qu'un arrêté ministériel déterminera les règles et les conditions des subsides. Mais nous ne devons pas oublier que cet arrêté royal avait pour base le rapport adressé au Roi par l'honorable M. Rogier. Or, nous voyons que les mesures prises devaient reposer sur des règles fixes.
Je n'insiste pas, je le répète, sur ce point ; l'honorable M. Rogier voudra bien peut être nous donner son opinion à cet égard.
Je déclare seulement, d'accord avec l'honorable M. Vandenpeereboom, que, quelles que soient les critiques auxquelles le système des primes a pu donner lieu, nous sommes loin d'avoir gagné au change. Il ne me sera pas difficile de le démontrer.
Voilà déjà plusieurs années que le système des primes fonctionne. Il a bien fallu le conserver puisqu'on n'a pas d'autre moyen d'encourager officiellement la littérature et l'art dramatiques et puisque d'ailleurs le système d'intervention de l'Etat dans le domaine public se retrouve partout, dans les arts, dans les sciences, dans l'industrie, dans l'agriculture, etc.
Je suis loin d'être enthousiaste de ce système d'intervention, mais il est tellement entré dans les mœurs qu'il faut bien compter avec lui ; c'est ce que je fais.
Les primes, sans doute, comme je le disais tout à l'heure, peuvent donner lieu à des abus ; mais ce n'est pas une raison de les supprimer, car, il faut le reconnaître, elles ont rendu déjà de réels services. Grâce aux primes, nous comptons plusieurs écrivains distingués qui, sans cet encouragement, n'auraient pas osé se risquer dans la carrière littéraire, si malaisée dans notre pays, ou dont les pièces n'auraient pas été jouées par les directeurs de théâtres, qui ont tant de facilité de faire représenter des pièces étrangères. Grâce aux primes, jeunes auteurs et directeurs de théâtre ont pu, les uns produire leurs œuvres, les autres les faire représenter ?
J'admets donc le système des primes ; mais ce que je ne puis admettre, ce sont les mesures nouvelles prises par M. le ministre de l'intérieur.
Les arrêtés ministériels de 1865 et de 1867 tendaient du moins à sauvegarder la dignité des auteurs en leur laissant une sphère assez large où ils pouvaient se mouvoir à l'aise, sans subordonner leurs inspirations et leur originalité au goût de celui qui leur distribue les récompenses.
L'arrêté du 26 décembre dernier est venu modifier complètement ce principe.
Sous l'empire des arrêtés précédents, les conditions des primes étaient fixées d'avance : le comité de lecture donnait son avis au point de vue exclusif du mérite de l'œuvre ; et si cet avis était favorable, le ministre, lié par l'arrêté - et c'est là le point essentiel, - accordait la somme déterminée selon le nombre d'actes et d'après le théâtre appelé a représenter l'œuvre.
Les choses étaient ainsi parfaitement réglées ; aucune faveur, aucune considération personnelle n'étaient possibles, le chiffre des primes étant fixé sans que l'auteur fût connu. Le ministre ne voyait devant lui qu'un M. X ; il ne savait pas si M. X. était catholique ou libéral ; il ne savait qu'une chose, c'est que M. X. ne se trouvait dans les conditions voulues pour obtenir la prime.
Tout cela, messieurs, a été changé. Maintenant le taux de la prime est (page 955) chaque fois remis en question ; il est laissé entièrement à l'appréciation, au bon plaisir du ministre et de la commission, commission qui n'est qu'un corps simplement consultatif. C'est remplacer la justice par l'arbitraire.
Désormais, il suffira qu'une pièce, très bonne, du reste, au point de vue littéraire ou musical, ait une tendance qui ne convienne pas au ministre, - à quelque parti qu'il appartienne, - il suffira que l'auteur ait une opinion qui ne convienne pas à ce haut fonctionnaire, pour qu'il refuse la prime, ou qu'il l'accorde avec un chiffre si minime qu'elle en deviendra dérisoire.
Les anciens arrêtés avaient au moins ceci de bon, qu'ils étaient impersonnels ; ils laissaient la personnalité de l'auteur complètement en dehors. Dans les arrêtés nouveaux, il semble qu'on ait eu pour but de tenir compte, au contraire, de cette personnalité. La est le véritable danger, car là peut être l'abus.
Que le ministre soit équitable, je ne mets pas même la question en doute ; mais il faut qu'on ne puisse pas le soupçonner ; comme la femme de César, il doit être à l'abri du soupçon. Or, quelque équitable que vous vous montriez, M. le ministre, on ne manquera pas de vous accuser de vouloir christianiser le théâtre, de vouloir nous ramener...
M. Bouvier. - A l'époque des mystères.
M. Hagemans. - A l'époque des mystères, comme le dit très bien l'honorable M. Bouvier.
On dit à cet égard des choses très étranges. Je ne veux pas les croire ; on dit que M. le ministre de l'intérieur a pris ces arrêtés sans consulter son département et qu'au contraire il aurait cédé aux instances de M. l'évêque de Bruges qui aurait rédigé lui-même les arrêtés. (Interruption.) Je n'en crois rien, je le répète ; je le crois d'autant moins que je vois des journaux catholiques flamands trouver fort mauvaise la mesure nouvelle prise par M. le ministre. Or, les journaux catholiques flamands n'auraient pas critiqué ces mesures, si elles avaient été rédigées par un évêque.
Il est un autre point qu'il ne faut pas perdre de vue : c'est la dignité des auteurs. Sous l'ancien régime, la pièce remise au comité suivait plus ou moins rapidement sa filière. On ne se préoccupait que du mérite de l'œuvre.
Aujourd'hui l'auteur doit intervenir. Il doit s'adresser au ministre et humblement réclamer de lui une aumône de quelques centaines de francs. Croyez-vous que vous trouverez beaucoup d'auteurs sérieux qui consentiront à ces démarches auxquelles répugnera leur délicatesse ? Croyez-vous encourager ainsi la littérature et les arts ?
La mesure a déjà produit ses effets. Je connais des auteurs dont les manuscrits avaient été acceptés et qui les ont repris, parce qu'ils ne voulaient pas se soumettre à cette mesure. J'en sais d'autres qui ont déjà obtenu de grands succès et qui se demandent s'ils céderont à ce qu'on exige d'eux et ils hésitent un peu par la force même des choses.
Qu'arrive-t-il en effet ? C'est que les directeurs des théâtres réclament ces primes et que les auteurs seront obligés peut-être de les payer de leurs propres deniers, s'ils ne se soumettent pas à la mesure exigée par les arrêtés nouveaux.
Et quel est le moment qu'on a choisi, messieurs, pour faire cette innovation malheureuse ? Le moment le plus favorable pour nos auteurs de pouvoir se faire connaître et de produire ; le moment où Paris ne fournissant plus à nos scènes leur contingent habituel et ne nous écrasant plus de ses œuvres qui ne sont pas toujours excellentes au point de vue de la morale, et dont l'influence a été malheureusement si néfaste, laissait le champ libre à nos écrivains nationaux ; le moment enfin où, comme le disait un rapport qui a été adressé à M. Anspach sur l'organisation du théâtre national : « la Belgique affranchie eût développé notre caractère propre, nos tendances personnelles par le tableau de nos mœurs, qui sont bien à nous, quoi qu'on en dise, et fortifié notre patriotique amour de la liberté en déroulant les grandes pages de noire histoire si dramatique et si faussement représentée, pour ne pas dire indignement travestie, sur les scènes et par les écrivains étrangers. »
Et si j'appuie autant sur ce point, c'est parce que, comme le dit le même rapport : « Le théâtre a droit à l'intérêt spécial de ceux qui administrent la société. Il est un puissant levier social, un énergique moyen d'instruction, pour les classes populaires surtout. Ses tréteaux, tribune admirable de portée et de vigueur, peuvent donner à une nation faible par ses limites, mais vivace par ses tendances et son esprit, une influence aussi légitime que nécessaire au respect de son indépendance. »
Je m'étonne du reste, messieurs, que ce soit l'honorable M. Kervyn qui ait pris ces mesures ; je m'en étonne d'autant plus que dernièrement encore, dans la séance du 14 mars 1871, il faisait la déclaration suivante :
« Je dirais d'abord, d'une manière générale, que le grief le plus considérable, tel qu'il se révèle dans notre système d'éducation, depuis l'école primaire jusqu'à l’enseignement supérieur, c'est une tendance regrettable à ne consulter que des livres écrits hors de nos frontières, dictés par des influences qui ne sont pas les nôtres, exprimant presque toujours des idées antipathiques à nos idées nationales. Il y a là un véritable péril, et il est du devoir du gouvernement de chercher à rendre plus national, à tous les degrés, l'enseignement donné à nos populations. »
J'aurai encore une autre observation à présenter à M. le ministre et une explication à lui demander. Sous l'ancien arrêté, le taux des primes à accorder aux pièces jouées en province était nettement réglé. Il n'y avait pas de contestation possible. La prime continuait à se toucher réduite de moitié, ce qui était encore un très grand avantage pour les auteurs.
Je voudrais, à ce sujet, connaître la portée de l'arrêté du 21 janvier.
S'applique-t-il simplement aux pièces jouées pour la première fois en province ou bien s'applique-t il également aux pièces qui, ayant déjà obtenu du succès sur la scène de la capitale, sont reprises en province ?
En un mot, l'auteur devra-t-il, après sa première demande au ministre, en adresser huit autres aux huit comités ? (Et ici, messieurs, je devrai ouvrir une très courte parenthèse ; il y a huit comités ; pourquoi n'y en a-t-il que huit seulement ? Pourquoi la province de Hainaut n'en a-t-elle pas ? Est-ce un oubli ?) Je demandais donc si l'auteur sera obligé de s'adresser à huit commissions s'il veut voir sa pièce jouée en province ? Devra-t-il perdre tout son temps en démarches et en salutations respectueuses pour obtenir un secours dérisoire ou n'aura-t-il plus rien à prétendre une fois la première prime reçue et les commissions de provinces n'étant instituées que pour examiner les pièces nées en province ?
Dans le premier cas, je demande quel est l'auteur qui, se respectant, voudra se soumettre à ces nouvelles démarches qui ont, en somme, quelque chose d'humiliant ?
Dans le second cas, je déplorerais la mesure qui est prise, parce qu'elle priverait les auteurs d'un encouragement réel, de la seule rémunération à laquelle ils peuvent prétendre.
Certainement, quelques abus ont pu avoir lieu sous le régime des anciens arrêtés. Mais, sous prétexte de redresser des abus, il ne faut pas dépasser le but et, du même coup, tuer notre théâtre national.
Si l'on veut supprimer les primes, qu'on le fasse franchement et non d'une manière détournée. S'il était uniquement question de la littérature française, je dirais : Eh bien, soit ! Qu'on supprime les primes, mais à une condition : c'est qu'alors on modifie le traité littéraire avec la France et qu'on mette les auteurs belges sur le même pied que les auteurs étrangers. Mais je reconnais qu'il est excessivement difficile, sinon impossible de le faire.
Je demanderai donc, du moins, qu'on ne vienne pas changer les primes fixes en subsides arbitraires pouvant donner lieu à tous les abus et devant décourager les écrivains, et en ce qui concerne la littérature flamande, qu'on ne vienne pas détruire tous ses efforts par des mesures aussi antinationales.
M. Bara. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
A la séance d'hier, M. Brasseur a demandé la parole pour répondre à cette partie de mon discours qui le concernait, et il a dit qu'il attendrait, pour répondre, que mon discours eût paru aux Annales parlementaires.
Comme il est possible que je ne sois pas demain à telle ou telle heure à la Chambre, si M. Brasseur juge convenable d'intervenir dans le débat et combattre ce que j'ai pu dire, je tiens à être présent lors des observations qu'il aura à présenter.
Je demande donc, s'il veut répondre à mon discours, qu'il veuille bien le faire aujourd'hui ou que la Chambre fixe le jour où ce débat aura lieu.
M. Brasseur. - Messieurs, en réponse à l'observation que vient de faire l'honorable M. Bara, je dirai que j'avais demandé la parole dans la séance d'aujourd'hui. J'avais prié M. le président de m'accorder immédiatement la parole. On m'a fait observer qu'il valait mieux laisser voter l'article 99. Dans la croyance que cet article serait voté en quinze ou vingt minutes, j'ai consenti à retarder ma réponse à l'honorable M. Bara ; mais, contre mon attente, la discussion sur l'instruction primaire s'est prolongée et je n'ai pu prendre la parole.
Ce soir, je ne suis pas en mesure de prendre la parole sur l'incident, je n'ai pas même mes pièces sur moi, de sorte qu'il m'est matériellement, impossible de répondre au discours de l'honorable M. Bara.
Si demain l'honorable M. Bara doit être absent...
M. Baraù. - Non, je ne dois pas...
M. Brasseur. - Si l'honorable M. Bara peut assister demain à la séance, je présenterai mes observations au commencement de la séance. Si l'honorable M. Bara doit être absent, je n'ai pas l'habitude de parler (page 956) des personnes lorsqu'elles sont absentes. Je consentirai volontiers à attendre jusqu'à ce que l'honorable M. Bara soit présent.
M. Bara. - Je demande la parole.
M. le président. - Avant de vous donner la parole, je dois confirmer ce que vient de dire, M. Brasseur. M. Brasseur m'a fait demander par un billet la parole pour un fait personnel ; je l'ai prié de consentir à laisser d'abord voter l'article 99. M. Brasseur a accepté cette proposition.
M. Bara. - Il n'y a pas que le président qui doit être tenu au courant en pareille circonstance. M. Brasseur annonce formellement et solennellement que, lorsque mon discours sera aux Annales parlementaires, il me répondra ; je me suis tenu à sa disposition, je suis venu à deux heures pour entendre ses observations. M. Brasseur n'a pas demandé la parole, à ma connaissance. (Interruption.)
Mais je suis le seul intéressé ; si vous m'aviez prévenu que M. le président vous engageait à différer vos observations, évidemment j'aurais été informé et j'aurais su que vous retardiez vos observations.
Mais cela s'est passé entre vous et M. le président, et il me semble que j'aurais dû au moins savoir que vous étiez décidé à parler un autre jour.
Maintenant, M. Van Wambeke me faisait une observation sur ce que j'avais parlé de M. Brasseur en l'absence de M. Brasseur ; j'ai prononcé un très long discours dans lequel le nom de M. Brasseur se trouvait mentionné et je demande si un membre qui a un discours à prononcer et qui doit citer le nom d'un autre membre doit s'arrêter s'il s'aperçoit que ce membre n'est pas pour le moment dans la salle ?
Du reste, j'avais vu M. Brasseur quelques minutes avant de parler de lui. je l'avais vu au moment où je parlais de M. d'Hane. M. Brasseur a, dit-il, été appelé ; soit, devais-je pour cela interrompre ou mutiler mon discours ?
Au surplus, si le nom de M. Brasseur s'est trouvé dans ma bouche, c'est en citant un document qui est presque un texte sacré, un mandement d'évêque. (Interruption.)
Maintenant, je suis prêt à attendre la réponse de M. Brasseur ; je suis venu, aujourd'hui, je suis venu ce soir ; M. Brasseur m'a dit : Demain ; je viendrai demain.
M. Brasseur. - Il fallait commencer par là.
M. Bara.- Je ne pouvais pas voyager pendant quinze jours avec des pièces concernant M. Brasseur. Il est d'usage, d'ailleurs, que les faits personnels se vident immédiatement. Toute autre pratique est contraire aux habitudes parlementaires.
M. Brasseur. - Un nouveau fait vient de se produire. L'honorable M. Bara se permet une insinuation très méchante à mon égard ; il vient de dire que j'ai quitté la salle au moment où il a commencé à parler de M. d'Hane-Steenhuyse.
Il est vrai que j'étais ici au commencement de la séance. L'huissier vint m'informer que trois messieurs désiraient me parler. J'ai quitté immédiatement la séance. C'était au moment où M. Bara venait de commencer son discours. Je ne savais pas le moins du monde de quoi il allait parler. Je ne pouvais pas me douter qu'il allait parler de moi.
M. Bara. - Vous avez quitté la salle quand j'ai parlé de M. d'Hane.
M. Brasseur. - Vous n'aviez pas parlé trois minutes quand je suis sorti.
M. Bara. - Je le nie formellement. Vous avez quitté la salle au moment où je parlais de M. d'Hane.
M. Brasseur. - A votre dénégation j'oppose la dénégation» la plus formelle.
M. Bara. - Le pays jugera.
M. Brasseur. - Oui, le pays jugera. M. Bara ajoute qu'il ne peut voyager pendant quinze jours avec des dossiers en poche pour répondre à un de ses collègues. Je n'ai pas l'habitude de faire attendre mes adversaires. La vérité, la voici. J'ai annoncé que j'attendrais les Annales parlementaires, pour répondre à M. Bara.
J'ai reçu les Annales le matin, vers 8 heures. A 2 heures j'étais prêt..
II n'a pas dépendu de moi de prendre la parole. L'honorable président vient de vous affirmer que j'étais inscrit.
Mon intention n'était donc pas de faire attendre l'honorable M. Bara. Mais à supposer que j'eusse attendu la séance de demain pour prendre la parole, j'étais encore dans mon bon droit, car je pouvais me réserver au moins vingt-quatre heures pour préparer ma défense.
Je trouve donc le procédé de M. Bara étrange.
Je trouve sa réclamation plus étrange encore et, quant à sa dénégation, qui tend à m'accuser d'avoir fait une fugue lorsqu'il a parlé de M, d'Hane et d'avoir craint qu'il ne vînt à parler de moi...
M. Bara. - Je n'ai pas dit cela.
M. Brasseur. -Vous l'avez insinué.
M. Bara. - Soit, tout ce que vous voudrez.
M. Brasseur. - J'y oppose une dénégation formelle. Encore une. fois, l'honorable M. Bara n'avait pas parlé deux minutes quand j'ai quitté la salle.
Un des ministres qui n'est pas ici en ce moment est venu me dire dans la salle de lecture, où je causais avec les personnes qui étaient venues me demander : On vient de parler de vous.
Il s'était alors passé sept, peut-être plus de dix minutes depuis que j'étais sorti de la salle.
L'honorable M. Bara termine en m'annonçant qu'il sera prêt demain. Il me semble qu'il aurait mieux fait de commencer par là, pour ne pas prolonger un incident qui n'a aucune importance en lui-même et qui fait inutilement perdre beaucoup de temps au pays.
M. Thonissen. - Messieurs, tout à l'heure l'honorable M. Kervyn de Volkaersbeke a parlé du péril d'incendie qui menace le dépôt des archives de l'Etat.
Je tiens à constater que le même danger existe bien plus encore pour le riche dépôt qui constitue la bibliothèque royale.
Dans la plupart des capitales, on a pris de grandes précautions contre l'incendie des bibliothèques. On a remplacé les rayons en bois par des rayons en fer, on a substitué aux plafonds ordinaires des voûtes en briques ; en un mot, on n'emploie plus que le fer et la pierre.
A Bruxelles, ces précautions sont négligées. Il y a deux ans, j'ai signalé le fait à l'honorable M. Pirmez, alors ministre de l'intérieur, et l'honorable M. Pirmez me répondit par une espèce de plaisanterie. (Interruption.)
Ne vous fâchez pas ; je n'ai pas dit mauvaise plaisanterie, j'ai dit une espèce de plaisanterie. L'honorable député de Charleroi me répondit, en effet, que si l'on avait pris à Berlin et à Saint-Pétersbourg plus de précautions qu'à Bruxelles, c'était probablement parce que l'eau y était moins abondante. Comme si des livres réduits à l'état de bouillie ne devaient pas être mis sur la même ligne que des livres brûlés !
Quoi qu'il en soit, je soutiens qu'à Bruxelles les précautions nécessaires sont négligées. Non seulement on y a conservé les rayons en bois, mais on emploie le sapin, c'est-à-dire le bois le plus inflammable qui existe. On a même établi un dépôt de fourrages dans un local appartenant à l'Etat et adossé à la bibliothèque royale.
On a eu cependant à Bruxelles deux exemples qu'on ne devrait pas perdre de vue. Le feu a éclaté à la bibliothèque en 1751 et en 1825, et chaque fois une quantité de livres rares et précieux ont été brûlés.
J'appelle sur cette question l'attention toute particulière de l'honorable ministre de l'intérieur.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Je n'ai que deux mots à dire au sujet de la publication de la Biographie nationale.
Dans une de nos précédentes séances, l'honorable M. Thonissen a signalé l'importance de cette publication ; je pense, messieurs, qu'il serait utile qu'elle fût mise à la portée d'un plus grand nombre de personnes et fût traduite en flamand. (Interruption.) Pourquoi pas ? Si la traduction des Annales parlementaires en flamand présente certaines difficultés, ce que je reconnais, je ne vois ce qui empêcherait de traduire la Biographie nationale.
Comme l'a dit l'honorable M. Thonissen, cette publication compte parmi les plus importantes qui soient sorties des presses belges, il est bon, il est utile que le pays tout entier puisse la connaître. Si vous ne la traduisez pas en flamand, comment voulez-vous qu'elle produise l'effet que ses fondateurs se sont proposé ? Il faut qu'elle soit connue dans nos Flandres et puisse être lue par ceux qui ne sont pas familiarisés avec la langue française. Je demande donc à M. le ministre de l'intérieur s'il ne serait pas possible de faire traduire la Biographie nationale en flamand.
C'est la seule observation que j'avais encore à présenter sur ce chapitre.
M. Jottrand. - Je désire obtenir de M. le ministre de l'intérieur des explications sur les motifs qui l'ont déterminé à substituer, en matière de subsides au théâtre national et notamment au théâtre flamand, un système tout nouveau au système qui fonctionnait à la satisfaction de tous les intéressés depuis plusieurs années.
Les prédécesseurs de M. le ministre de l'intérieur avaient établi, en cette matière, un système que je puis qualifier de système modèle. Ce système rendait absolument impossible l'arbitraire administratif et y (page 957) substituait le jugement de l'opinion publique, le plus sûr de tous les jugements.
Voici, en effet, quel était le système en vigueur au moment où M. le ministre de l'intérieur a pris la direction de son département.
Suivant deux arrêtés, l'un du 31 mars 1860, l'autre du 20 janvier 1867, toute représentation dramatique dans le pays de langue flamande avait droit à un subside, pourvu qu'elle se trouvât dans certaines conditions. Il fallait d'abord que la pièce eût été admise par un comité de lecture tout à fait indépendant ; il fallait qu'un lui eût reconnu une valeur littéraire, une valeur artistique ; il fallait encore qu'il s'agît des premières représentations de pièces réunissant les conditions voulues.
Grâce à ce système, les sociétés dramatiques qui se chargeaient de la représentation des pièces n'étaient astreintes à aucune démarche ; elles n'étaient pas obligées de solliciter la protection d'une personnalité puissante et bien en cour.
Par le seul fait qu'elles apportaient leur petit grain de sable (interruption) ; par cela seul qu'elles apportaient leur molécule à l'édification de ce grand monument que nous désirons tous voir s'élever, celui d'une littérature nationale et surtout d'une littérature flamande, pourvu qu'elles travaillassent consciencieusement à cette œuvre, elles étaient certaines, sans aucune démarche, sans devoir s'incliner devant qui que ce fût, d'obtenir la coopération financière du gouvernement.
De leur côté, les auteurs avaient les mêmes garanties : ils n'étaient pas obligés de plier leurs inspirations au goût du jour et de la politique régnante, quelle que fût la direction dans laquelle Pégase les emportât, pourvu que leur œuvre eût une véritable valeur : ils étaient certains de n'avoir pas travaillé pour le roi de Prusse. (Interruption.)
Il est évident que si je parle du roi de Prusse, je veux parler du roi de Prusse du passé ; il est évident que je ne parle pas du roi de Prusse du présent.
Eh bien, ce système que je puis qualifier de système-modèle et qui respectait ce qu'il y a de plus respectable chez l'homme, l'inspiration et la spontanéité, avait produit d'excellents résultats. Les chambres de rhétorique, que tout patriote belge sait respecter et admirer dans le passé, ces chambres de rhétorique qui ont tant contribué à donner à notre mouvement littéraire et historique du XVIème siècle, un caractère tout spécial, un caractère qui a fait l'objet des études de tous les savants et de tous les littérateurs des pays voisins ; les chambres de rhétorique renaissaient.
Il y a quelques jours, je consultais un littérateur flamand de premier ordre, un dramaturge flamand des plus distingués, celui qui a peut-être rencontré le mieux le sentiment et la sympathie populaire. Je lui demandais quels ont été les résultats du système que consacraient les arrêtés de 1860 et de 1867, il me répondit que ces résultats avaient été énormes, et que dans son appréciation plus de 300 chambres de rhétorique modernes s'étaient reconstituées dans la partie flamande du pays. Cet honorable citoyen affirmait que ces sociétés se sont formées sous l'égide de ces arrêtés dans quatre provinces et demie du pays qui constitue chez nous l'élément néerlandais.
Il m'affirmait, d'un autre côté, que le régime improvisé par M. le ministre de l'intérieur aurait pour résultat immédiat de couper le cou net à la moitié de ces sociétés, parce que le Flamand, quelles que puissent être ses convictions religieuses, tient avant tout à son indépendance et à sa dignité personnelle, et que beaucoup de ces sociétés, qui étaient heureuses de vivre sous l'égide de la liberté, cesseraient leurs opérations et ne consentiraient pas à aller faire antichambre, même chez M. le ministre de l'intérieur.
Eh bien, je demande à M. le ministre de l'intérieur pourquoi, à ces conditions de vitalité qui ne menacent aucun intérêt du pays, il a substitué des conditions nouvelles qui auront pour résultat de diminuer toute cette vitalité ? Je désire savoir quel est le grand danger qui s'est manifesté ; pourquoi ces sociétés, dont je viens de constater l'existence, lui ont déplu ? Pourquoi n'a-t-il pas voulu consentir à ce qu'elles continuassent à vivre dans les conditions dans lesquelles elles étaient nées ? En définitive, M. le ministre de l'intérieur, pas plus qu'aucun d'entre nous ici, n'a mission de diriger le développement de l'esprit belge.
L'esprit belge a le droit de se développer spontanément comme il lui plaît, dans des conditions de liberté absolue.
Sont-ce ces conditions de liberté absolue qui. ont déplu à M. le ministre de l'intérieur, et a-t-il craint que ces sociétés de rhétorique modernes ne suivissent une voie qui n'était pas conforme à ses convictions et à ses désirs ?
Qu'il m'explique pourquoi il a substitué à ces droits absolus qui dérivaient, pour les sociétés de rhétorique moderne, des arrêtés de 1860 et 1867, des droits précaires ; pourquoi l'obtention des subsides et la coopération gouvernementale ne sont plus que des droits contingents, dont il est le seul juge, qu'il se réserve de conférer ou de refuser, puisque dorénavant des subsides ne devront plus être accordés, comme il était dit dans les arrêtés précédents, mais pourront tire accordés au gré arbitraire de M le ministre de l'intérieur.
J'attends la réponse de M. le ministre pour faire valoir d'autres considérations ou pour me déclarer satisfait, s'il y a lieu.
M. Rogier. - J'ai demandé la parole, messieurs, pour permettre à M. le ministre de l'intérieur de répondre en une fois aux diverses questions qui lui sont faites, pour autant qu'il veuille bien répondre. Jusqu'à présent, il ne m'a fait l'honneur d'une réponse à aucune des questions que je lui ai adressées. Je vais cependant lui en poser encore une.
- Un membre. - Plus haut !
M. Rogier. - Tenez-vous beaucoup à entendre ce que je dis ? (Interruption.)
Eh bien voici : je ne veux pas rentrer dans la discussion qui a été soulevée par MM. Hagemans et Jottrand : M. le ministre leur répondra peut-être.
Dans ce système nouveau qu'ils ont critiqué, une disposition m'a frappé. Nous, qu'on accuse quelquefois d'être des centralisateurs, nous avions déféré aux communes la mission de nommer des commissions spéciales, chargées de donner leur avis sur l'opportunité d'accorder un subside aux pièces qui seraient représentées dans la localité.
L'administration communale désignait des personnes connues par leurs aptitudes littéraires ou artistiques, leurs habitudes du théâtre, etc., et je ne pense pas que ces commissions remplissaient mal leur tâche. M. le ministre de l'inférieur, qui a fait figurer dans son programme la décentralisation, n'a pas trouvé ce système bon. Aux commissions désignées par les administrations communales il substitue des jurys gouvernementaux nommés par lui.
Pourquoi ? Si M. le ministre de l'intérieur avait la bonté de me dire pourquoi il a centralisé et repris à lui la nomination de ces commissions dont on n'avait pas à se plaindre, je lui en saurais gré.
S'il ne veut pas répondre à cette question non plus qu'aux autres que je lui ai posées, eh bien, je me résignerai et me bornerai à dire que je ne puis approuver l'évolution administrative que je viens de signaler.
Pourquoi a-t-il convenu à M. le ministre de l'intérieur de substituer des commissions gouvernementales aux commissions municipales que nous avions modestement instituées et qui remplissaient parfaitement leur petite mission, de donner, suivant les mœurs, l'esprit, les tendances des localités, leur avis sur le mérite de ces pièces qui se représentaient tantôt à Liège, tantôt à Gand, tantôt à Bruges ou ailleurs, avis auquel le gouvernement s'en référait volontiers ?
Voilà la simple question que je me permets de poser modestement à M. le ministre de l'intérieur.
Messieurs, je crois que M. le ministre de l'intérieur qui a dit, dans la séance précédente, qu'il allait étudier la loi de 1842, ne ferait pas mal d'étudier un peu les actes de ses prédécesseurs, avant de les transformer, de les modifier.
Je ne mets pas en doute que M. le ministre de l'intérieur ne puisse introduire des améliorations ; c'est son devoir. Je ne prétends pas que les prédécesseurs de M. le ministre de l'intérieur ont tout prévu et qu'il n'y ait plus rien à faire. Je crois, je le répète, qu'il peut introduire des améliorations en beaucoup de choses. Mais il me semble aussi qu'il ne faut pas confondre l'esprit d'amélioration avec l'esprit de bouleversement, avec l’esprit de transformation, sans savoir au juste où l'on va. Spécialement en ce qui concerne cette petite question, si ce n'est pas faire descendre trop bas M. le ministre de l'intérieur, je demande qu'il veuille bien me répondre.
M. Gerrits. - Messieurs, j'avais le désir de ne pas intervenir dans ce débat. Il me peine de voir la question flamande, qui pour moi est la plus importante de la politique belge pour notre nationalité et pour la civilisation, rabaissée trop souvent à une question d'argent, de subsides.
Chaque fois que la Chambre s'occupe de la langue flamande, le débat se ravale à la question de savoir si une poignée de gros sous sera distribuée à quelques écrivains.
Je me sers à dessein de cette expression : « poignée de gros sous. » De quoi s'agit-il dans l'occurrence ? Je viens de prendre, sur le bureau, le dossier concernant les encouragements donnés à l'art dramatique flamand. Je trouve que ces encouragements, pour toute une année, se montent à la somme de 8,762 fr. 45 c. distribuée aux auteurs dramatiques, plus une (page 958) somme de 8,762 fr. 45 c. partagée entre les directeurs de théâtre et les sociétés de rhétorique.
Au dire de l'honorable M. Jottrand, il y aurait 300 sociétés dramatiques. La moyenne de l'encouragement serait donc de moins de 30 francs par société. Et l'on fait tant de bruit pour une somme aussi misérable ! On prétend que ces sociétés ne pourraient vivre si elles n'avaient plus la certitude de jouir de l'espèce d'aumône qui forme leur part dans le subside annuel ! Je demande si ce n'est pas réellement ridicule ?
J'ai le droit de parler ainsi, car si l'honorable ministre de l'intérieur m'avait fait l'honneur de me consulter, je lui aurais déconseillé la mesure qu'il a prise. Mais j'ai tenu à réduire ce débat à sa véritable signification.
Au nom du mouvement flamand, je proteste contre cette manière de faire beaucoup de tapage pour des choses qui n'en valent pas la peine et de passer sous silence les griefs réels de la population flamande. On dirait vraiment que les 2 millions et demi de Belges qui, par l'ostracisme de leur langue, sont atteints dans leur fierté nationale et dans leurs intérêts les plus chers, devraient se déclarer satisfaits lorsqu'il a plu au gouvernement de donner à des sociétés ou à des écrivains quelques miettes du budget !
Voilà l'observation que j'avais à faire. Je laisse à M. le ministre de l'intérieur le soin d'expliquer les motifs qui l'ont décidé à modifier le précédent état de choses.
Dans tous les cas, si l'on veut réellement encourager l'art dramatique, ce n'est pas avec une somme aussi minime que l'on obtiendra des résultats utiles.
Je constate que la ville d'Anvers seule donne annuellement 14,000 francs pour encourager le théâtre flamand. Cette somme est à peu près égale à celle allouée par le gouvernement pour le pays tout entier. De plus, la commune d'Anvers construit un local pour la scène flamande qui coûtera un million. Voilà des encouragements sérieux. Je ne considère pas comme sérieux le mode de protection dont s'occupe la Chambre ce soir.
M. Bouvier. - Proposez une augmentation par amendement. J'y souscrirai pour ma part.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je me propose de répondre rapidement aux différentes observations qui ont été présentées.
Les premières se rapportent aux dépôts des archives de Bruxelles et de Gand.
J'aurai peu de chose à dire du dépôt d'archives de Bruxelles, si riche, si digne de toute la sollicitude du gouvernement et de la législature.
Comme un honorable préopinant l'a rappelé tout à l'heure, il y a sept ans déjà, je soutenais la même thèse dans cette enceinte et je me plaignais du retard qu'on apportait à lui assurer un local convenable. J'ai reconnu moi-même, depuis que je suis entré aux affaires, combien la solution de cette question est urgente et en même temps combien elle est entourée de difficultés.
J'ai déjà entamé des négociations, j'ai fait faire des recherches, et je regrette de devoir dire que, jusqu'à ce moment, elles n'ont point abouti, mais je prends bien volontiers l'engagement devant la Chambre de redoubler d'efforts pour que cette solution ne se fasse pas attendre davantage.
Quant au dépôt d'archives de Gand, il est vrai que depuis plusieurs mois des négociations sont entamées avec l'administration des hospices de cette ville ; il y a quelques semaines, elles paraissaient sur le point d'aboutir. Quelques difficultés sont survenues depuis ; j'espère qu'elles pourront être écartées et je ne négligerai rien pour procurer au dépôt des archives de Gand une installation plus convenable que celle qui existe aujourd'hui.
Il est une autre question qui a été traitée successivement par plusieurs orateurs, notamment par l'honorable M. Hagemans, par l'honorable M. Jottrand, par l'honorable M. Rogier et en dernier lieu par l'honorable M. Gerrits. Je veux parler du règlement qui se rapporte aux primes dramatiques.
Quand j'ai pris possession du ministère de l'intérieur, j'ai été saisi de la question de la révision de ce règlement. cette question avait déjà été étudiée dans les bureaux de l'administration, et il paraissait nécessaire de modifier en plusieurs points le règlement existant.
Je vais faire connaître à la Chambre, en quelques mots, ce qui justifiait cette révision.
Comme l'a fait remarquer l'honorable M. Rogier, il y avait un grand nombre de comités qui décidaient les questions des primes. Ces comités suivaient des systèmes tout à fait différents. Quelques-uns étaient sévères, d'autres l'étaient moins ; d'autres poussaient l'indulgence jusqu'aux dernières limites.
En ce qui concerne la littérature flamande à laquelle je rends hommage, (et je suis d'accord avec l'honorable M. Jottrand lorsqu'il constate l'importance de nos anciennes chambres de rhétorique), on avait pu reconnaître de divers côtés une influence fâcheuse : c'est que bien souvent des imitations de mauvaises pièces françaises jouissaient du bénéfice de primes dramatiques qui doivent avant tout et exclusivement appartenir à des compositeurs nationaux, s'inspirant aux traductions nationales, et ne cherchant pas au dehors ces regrettables exemples que flétrissait tout à l'heure l'honorable M. Hagemans.
A ce point de vue, messieurs, il est évident qu'une révision était nécessaire ; mais cette situation présentait un autre inconvénient : c'est que le système de répartition produisait ce résultat que parfois on allouait des primes réellement dérisoires.
Tout à l'heure, un honorable représentant d'Anvers disait que c'était bien peu de chose qu'une somme de 30 francs qui forme la part, d'après un calcul de l'honorable M. Jottrand, de chaque société dramatique flamande. En ce qui touche les auteurs, les choses étaient poussées beaucoup plus loin, et, si ma mémoire est fidèle, il y avait des représentations du chef desquelles l'auteur touchait une prime de moins de 10 francs.
Eh bien, messieurs, ces primes uniformes accordées quelquefois à des pièces très bonnes, mais souvent aussi à des pièces sans valeur, constituaient une situation qui, selon moi, ne pouvait être maintenue.
Certaines pièces devaient être écartées du bénéfice des primes. D'autres, au contraire, méritaient des encouragements sérieux.
Le règlement ministériel auquel ont fait allusion plusieurs honorables préopinants, n'a pas d'autre but que d'accorder ces encouragements sérieux à la littérature dramatique, en écartant les pièces qui ne les méritent point et en cherchant, au contraire, à améliorer la position des auteurs nationaux qui travaillent d'une manière louable et digne d'encouragement au développement de la littérature nationale. (Interruption.)
Messieurs, je pense que l'objection que renouvelle l'honorable M. Muller, ne sera point considérée comme sérieuse par la Chambre.
Lorsque le gouvernement a constitué trois comités : l'un pour la musique, un autre pour la littérature flamande, le troisième pour la littérature française, composés, en dehors de tout esprit de parti, des hommes les plus éminents, il a donné, à la Chambre et au pays une garantie incontestable, et, à coup sûr, le gouvernement a la résolution bien arrêtée de tenir compte des avis qu'il recevra ; car si, en l'absence de justes motifs, il repoussait l'opinion de ces comités, il assumerait évidemment une grave responsabilité.
En ce qui touche d'autres observations qui ont été présentées par l'honorable M. Hagemans, je puis déclarer que le gouvernement fera tout ce qui dépendra de lui pour respecter les droits acquis.
Quant à ce qui concerne certaines formalités dont l'honorable M. Hagemans s'est occupé et dont je ne me rends pas exactement compte à la simple audition de son discours, je réponds que rien ne modifiera la position des auteurs dramatiques dans leurs rapports avec le gouvernement.
Je termine en faisant remarquer à la Chambre que l'arrêté du 26 décembre dernier renferme une disposition qu'elle approuvera, je l'espère. Elle porte, en effet, que des subsides extraordinaires pourront être alloués aux directeurs de théâtres qui auront fait représenter les œuvres jugées les plus estimables.
Il y aura là pour la littérature dramatique un encouragement utile, et je crois qu'il est bon que la Chambre s'associe au gouvernement pour encourager non pas tout ce qui se fait, mais ce qui se fait de plus honnête et de meilleur.
M. le président. - Personne ne demandant plus la parole, la discussion sur le chapitre est close ; nous passons aux articles.
« Art. 100. Subsides et encouragements littéraires et scientifiques ; voyages et missions littéraires, scientifiques ou archéologiques ; fouilles et travaux dans l'intérêt de l'archéologie nationale ; subsides aux veuves et aux orphelins délaissés par les littérateurs Van Ryswyck, Vankerckhove, Gaucet, Denis Sotiau et H. Van Peene ; secours à des littérateurs ou savants qui sont dans le besoin ou aux familles de littérateurs ou savants décédés ; sociétés littéraires et scientifiques ; prix quinquennaux fondés par les arrêtés royaux du 1er décembre 1843 et du 6 juillet 1851 ; souscriptions ; acquisition d'ouvrages destinés aux bibliothèques populaires ; acquisition et reliure d'ouvrages littéraires ou scientifiques pour le service spécial de l'administration des lettres et des sciences ; dépenses diverses ; encouragements à la littérature et à (page 959) l'art dramatique (littéraire et musical) ; publication de documents rapportés d'Espagne et d'autres pays étrangers ; continuation de la publication des actes des anciens états généraux : fr. 111,000.
« Charge extraordinaire : fr. 2,500. »
- Adopté.
« Art. 101. Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique ; subsides extraordinaires à l'Académie royale de Belgique, afin de la mettre à même d'augmenter le chiffre des prix pour les principales questions portées aux programmes de ses concours ; publication des anciens monuments de la littérature flamande et d'une collection des grands écrivains du pays ; publication des Chroniques belges inédites ; rédaction et publication de la table chronologique des chartes, diplômes, lettres patentes et autres actes imprimés concernant l'histoire de la Belgique. ; publication d'une Biographie nationale ; publication d'un texte explicatif de la carte géologique de la Belgique : fr. 56,500.
« Charge extraordinaire : fr. 44,200. »
- Adopté.
« Art. 102. Observatoire royal ; personnel ; salaire des gens de service : fr. 12,540. »
- Adopté.
« Art. 103. Observatoire royal ; frais de matériel ; acquisition d'instruments, impressions : fr. 8,060. »
- Adopté.
« Art. 104. Bibliothèque royale ; personnel ; frais delà fusion des trois fonds et rédaction du catalogue général : fr. 47,500. »
- Adopté.
« Art. 105. Bibliothèque royale ; matériel et acquisitions : fr. 38,320. »
- Adopté.
« Art. 106. Musée royal d'histoire naturelle ; personnel : fr. 22,495. »
- Adopté.
« Art. 107. Musée royal d'histoire naturelle ; matériel et acquisitions : fr. 15,650.
« Charge extraordinaire : fr. 20,000. »
- Adopté.
« Art. 108. Archives du royaume ; personnel ; frais de classement des archives espagnoles et des archives allemandes : fr. 46,325.
« Charge extraordinaire : fr. 1,800. »
- Adopté.
« Art. 109. Archives du royaume ; matériel ; atelier de reliure pour la restauration des documents : fr. 4,700.
« Charge extraordinaire : fr. 3,500. »
- Adopté.
« Art. 110. Archives de l'Etat dans les provinces ; personnel : fr. 36,000. »
erratum« Art. 111. Frais de publication des Inventaires des archives ; frais de recouvrement de documents provenant des archives, tombés dans des mains privées ; frais d'acquisition ou de copie de documents concernant l'histoire nationale ; dépenses de matériel des dépôts d'archives dans les provinces ; subsides pour le classement et pour la publication des inventaires des archives appartenant aux provinces, aux communes, aux établissements publics ; dépenses diverses relatives aux archives ; recouvrement d'archives restées au pouvoir du gouvernement autrichien ; frais de classement, de copie et de transport, etc. : fr. 9,000.
« Charge extraordinaire : fr. 3,000. »
(erratum, page 983) - M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je propose d'augmenter cet article de 22,471 fr. 89 c. comme charge extraordinaire, pour l'agrandissement du local servant de dépôt des archives de l'Etat a Bruges.
- L'article, ainsi amendé, est adopté.
« Art. 112. Location de la maison servant de succursale au dépôt des archives de l'Etat ; charge extraordinaire : fr. 3,500. » - Adopté.
M. le président. - La discussion générale est ouverte. La parole est à M. Kervyn de Volkaersbeke.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Si la Chambre voulait me le permettre, je désirerais ne prendre la parole que demain.
- Plusieurs membres. - Non, non ! Parlez !
- D'autres membres. - A demain !.
M. le président. - Si M. Kervyn n'est point prêt à parler aujourd'hui, peut-être M. Hagemans, inscrit après lui, serait-il disposé à prendre la parole.
- Une voix. - Continuons ; nous pourrons terminer ce chapitre aujourd'hui.
M. Vandenpeereboom. - Je demande la parole ; j'en ai au moins pour une heure. (Interruption.)
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Dans le rapport de la section centrale sur les amendements présentés par le gouvernement, je lis le paragraphe suivant :
« La section centrale donne son plein assentiment à la protection et aux encouragements que le gouvernement accorde aux beaux-arts. Toutefois, elle ne comprend point qu'alors que l'on donne des subsides assez élevés aux conservatoires de musique de Bruxelles et de Liège, il n'est rien fait pour le conservatoire de Gand, qui, à tous égards, en présence des progrès incontestables qu'il a fait accomplir à l'art musical, mérite d'être placé, sur le même rang que les conservatoires de ces deux villes. Plusieurs de nos grands compositeurs et, parmi eux, les plus renommés sont sortis du conservatoire de Gand. Ils contribuent puissamment à répandre à l'étranger la réputation artistique de la Belgique. »
Loin de moi, messieurs, la pensée de blâmer le gouvernement, d'accorder à deux établissements aussi remarquables que les conservatoires de Bruxelles et de Liège, sa protection, son appui et ses subsides. Mais, messieurs, il faut que le gouvernement traite avec une impartialité complète les établissements du pays qui ont rendu des services aux arts et aux sciences.
J'espère bien que les honorables députés de Bruxelles et de Liège voudront bien reconnaître que le conservatoire de Gand est digne de marcher à côté de ces deux grands établissements dont leurs villes s'honorent à juste titre.
M. Elias. - J'aurai quelques observations à présenter.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Je les écouterai avec infiniment de plaisir. Seulement, réglons un petit compte. Le conservatoire de Bruxelles émarge au budget de l'intérieur une somme de 79,540 francs.
Le conservatoire de Liège, une somme de 40,240 francs ; ensemble. 119,740 francs.
J'ai déjà eu l'honneur de vous dire que je reconnaissais que ces deux établissements méritent parfaitement l'allocation portée au budget ; ils répondent à l'attente du pays, et je suis heureux de le proclamer dans cette enceinte.
Mais le conservatoire de Gand n'a pas moins de titres à faire valoir et cependant il se trouve dans une position exceptionnelle. Il a été fondé en 1835, et s'est soutenu par les subsides que la ville de Gand lui a accordés et qui s'élèvent par an à 25,000 francs.
Le conservatoire de Gand, de même que ceux de Bruxelles et de Liège, a produit des résultats dont certes le pays a le droit d'être fier.
II a eu quatre prix de Rome : Gevaert, Vanden Eede, Van Geluwa, et Waelput. Je crois, messieurs, que le premier de ces noms n'est inconnu à personne dans cette enceinte. Le rapporteur de la section centrale, mon honorable ami, M. De Lehaye, sait combien sont grands les sacrifices que la ville de Gand a faits. Quand Gevaert, quoique jeune encore, eut acquis sa réputation européenne, à l'époque où l'honorable M. De Lehaye, était bourgmestre de Gand, Gevaert fut nommé membre de la commission directrice du conservatoire ; il est incontestable que guidé par un compositeur aussi éminent, cet établissement a constamment marché dans la voie du progrès.
M. De Fré. - C'est un homme très distingué.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Eh bien, cet homme si distingué cet artiste, ou pour mieux dire ce savant hors ligne désire rentrer dans sa patrie. Il occupait une position brillante à Paris. Les événements l'ont ramené en Belgique, et, aujourd'hui, il désire se fixer à Gand. (Interruption.) Et je dis à Gand et pas ailleurs. Au talent et à la science qu'il possède et qui sont appréciés par tous les premiers compositeurs de l'Europe, (page 960) il joint un sentiment qui l'honore et auquel vous rendrez un légitime hommage ; il joint la mémoire du cœur. C'est au conservatoire de Gand qu'il a reçu les premiers éléments de la science musicale, et c'est à ce conservatoire qu'il veut consacrer sa vie.
Eh bien, messieurs, c'est sous l'égide de ce maître que le conservatoire du Gand désire pouvoir vivre, se développer et grandir.
Je ne demande pas que le conservatoire de Gand soit mis sur la même ligne que celui de Liège. Mes prétentions ne s'élèvent pas si haut, je ne demande pas 40,000 francs, mais simplement une allocation fixe de 21,000 francs, somme peu importante si on la compare aux subsides accordés à Bruxelles et a Liège et si l'on tient compte des magnifiques résultats que le conservatoire de Gand a obtenus jusqu'à ce jour.
J'espère que cette proposition que j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre, appuyée par tous mes honorables collègues de Gand, sera accueillie, sur les bancs de la gauche, comme sur ceux de la droite, avec la même faveur et j'espère que le gouvernement s'y associera.
Si nous sommes divisés sur des principes politiques, soyons unis sur un seul terrain, celui des arts et des sciences sur lequel nous pouvons tous nous tendre la main.
Je présente donc mon amendement à la Chambre avec une confiance pleine et entière.
M. le président. - L'amendement que M. Kervyn de Volkaersbeke vient de développer est ainsi conçu :
« Conservatoire de musique de Gand : Dotation de l'Etat destinée, avec le subside de la province et de la ville, à couvrir la dépense du personnel et du matériel, 21,000 francs.
« (Signé) : Kervyn de Volkaersbeke, Cruyt, Moerman, Drubbel, de Smet, De Lehaye et de Baets. »
- L'amendement est appuyé, il fait partie de la discussion.
M. le président. - La parole est à M. Hagemans.
M. Hagemans. - Je cède mon tour de parole à M. Thienpont.
M. Thienpont. - Au chapitre XIX, article 124, il est affecté un crédit pour monuments à élever aux hommes illustres. Je me crois donc autorisé à attirer l’attention du gouvernement sur une de ces illustrations à laquelle le pays doit une dette de reconnaissance.
Jean-Joseph Raepsaet, vous le reconnaîtrez avec moi, messieurs, est un homme dont la mémoire est et restera honorée en Belgique.
Il a plus d'un titre à notre admiration. Ses nombreux ouvrages perlent tous le cachet d'une science profonde et d'une remarquable rectitude de jugement. Quelle lucidité d'esprit, quel travail persévérant n'a-t-il pas fallu pour porter, comme il l'a fait, la lumière au milieu du chaos de nos lois anciennes !
Historien distingué, profond jurisconsulte, il eut aussi le mérite éminent de rendre à sa patrie les plus signalés services.
Ni la prison, ni l'exil n'ont pu le détourner de ses devoirs, ébranler ses convictions, abattre son courage.
Vivant à une époque de troubles, en pleine tourmente révolutionnaire, il parcourut avec honneur les phases si variées d'une vie longue et agitée, en la consacrant tout entière, et avec désintéressement, au service de sa patrie.
Aussi, en 179t0, les états de Flandre, se considérant comme investis des droits de souveraineté lui donnèrent-ils, au nom de la patrie, un témoignage de haute considération et de reconnaissance, en tenant sur les fonts baptismaux un de ses fils auquel les illustres parrains imposèrent les prénoms de Léo Fidelis.
Ce fils est devenu un homme respectable et respecté de toute la ville d'Audenarde, où il vit encore.
Jean-Joseph Raepsaet, quelques heures avant sa mort, répétait en souriant à ceux qui l'entouraient, qu'il ne craignait rien. J'ai servi Dieu, dit-il, j'ai servi ma patrie, j'ai travaillé pour mes enfants (de seize il en laissait dix en vie), je pars sans crainte.
Dieu n'aura pas oublié son serviteur ; mais jusqu'à ce jour, la patrie a peu songé au sien.
Espérons que le gouvernement aussi voudra bien s'en préoccuper et qu'il ne tardera pas à payer à cet illustre citoyen un tribut de reconnaissance bien mérité.
Ce n'est pas à la commune où il est né, où il a vécu, à prendre l'initiative. Raepsaet est une gloire nationale ; c'est à la nation à revendiquer l'honneur de lui ériger un monument.
- La séance est levée a 10 heures et un quart.