(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 869) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des membres de la société dramatique de Ware Vrienden à Thollembeek demandent que la langue flamande soit, en tout, mise sur le même rang que la langue française. »
« Même demande de membres de la société dramatique de Ware Vrienden à Hasselt. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.
« Des cultivateurs, jardiniers et propriétaires du faubourg de Salzinne et d'autres faubourgs de Namur prient la Chambre de décréter que la fabrication des produits chimiques sera suspendue du 1er avril au 30 septembre. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« MM. Moncheur, Schollaert et Van Renynghe demandent des congés pour motif de santé. »
- Accordé.
M. le président. - La parole est à M. Rogier.
M. Rogier. - Je ferai remarquer que M. le ministre de l'intérieur n'est pas encore à son banc. Ayant à répondre à son discours, je désire qu'il soit présent.
M. Jacobs, ministre des finances. - Nous le remplacerons en cas de besoin.
M. Rogier. - Je désire qu'il soit ici avant de prendre la parole.
M. Van Humbeeck. - Je propose à la Chambre d'utiliser les moments de loisir que nous laisse M. le ministre de l'intérieur, en s'occupant de quelques projets de loi qui ne demandent d'ordinaire qu'un simple vote.
Je veux parler des projets de loi d'érection de commune qui sont à notre ordre du jour.
- Plusieurs membres. - Voilà M. le ministre.
- M. le ministre de l'intérieur entre dans la salle.)
M. Rogier. - Cette discussion a déjà duré longtemps. Je ne m'en plains pas.
M. le ministre de l'intérieur a donné au débat des proportions exceptionnelles ; il l'a élevé à une hauteur et lui a donné une étendue très grandes. Il a été suivi dans cette voie par d'honorables orateurs dont j'ai entendu les éloquents discours avec une grande satisfaction.
Je dois aussi me féliciter de l'étendue du discours de M. le. ministre de 1'jnléricur ; j'y ai trouvé des arguments qui me suffiront pour combattre victorieusement, j'espère, les parties essentielles de ce discours. Je tâcherai, au surplus, de renfermer, autant que possible, la discussion dans ses limites spéciales, à savoir : Faut-il pour la femme, pour la jeune fille, une instruction primaire ; faut-il une instruction supérieure à l'instruction primaire ?
A quel régime légal ce double enseignement doit-il être soumis ?
Quant à l'instruction primaire, je crois que, ouvertement, tout le monde est d'accord ; que personne dans cette enceinte ne voudrait soutenir qu'il faut que. la femme, toute bonne chrétienne qu'elle doive, être, reste complètement ignorante.
Faut-il un enseignement supérieur pour la femme ? Ici, Je ne sais pas si nous sommes encore tous d'accord. Mais je me hâte de m'emparer des déclarations formelles et catégoriques que nous a faites M. le ministre de l'intérieur, déclarations qui ne laissent absolument rien à désirer et qui vont même un peu au delà de ce que nous aurions formulé nous-mêmes.
L'enseignement primaire simple ou avec programme développé, comme on dit, doit se rattacher, selon M. le ministre, à la loi d'enseignement primaire de 1842. - Je pourrais combattre en partie cette opinion, je ne l'ai jamais défendue, quoi qu'on en ait dit ; mais enfin je veux bien, pour le moment, passer là-dessus.
Vient ensuite l'enseignement secondaire.
Quant à celui-ci, nous pensons qu'il doit être placé sous le régime de la loi de 1850, attendu qu'il se rattache à cette loi. Et ici nous sommes en complet désaccord avec M. le ministre de l'intérieur, qui, au seul nom de la loi de 1860, semble frissonner sur son banc.
Il ne veut pas de la loi de 1850 appliquée aux écoles secondaires de femmes. Il ne nous a pas dit pourquoi ; mais enfin il n'en veut à aucun prix.
Eh bien, je consens volontiers à accorder des augmentations de subsides pour l'enseignement primaire des femmes.
Je. suis prêt à accorder une augmentation de subside pour cet enseignement avec programme développé. Mais je soutiens avec mes honorables prédécesseurs que l'enseignement secondaire, tel qu'ils l'ont compris et tel qu'il a été accepté par M. le ministre de l'intérieur, ressortit à la loi de 1850.
J'appuie donc à la fois la proposition de l'honorable M. Muller et je voterai la proposition de M. le ministre de l'intérieur, si celle de l'honorable M. Muller est acceptée.
On s'est beaucoup occupé, dans les dernières séances, de la condition des femmes et du rôle qu'elles avaient à jouer dans l'organisation sociale
Ce n'est pas un mal que de pareilles questions soient soulevées dans la Chambre. Il est certain que, dans les temps anciens comme dans les temps modernes, le législateur ne s'est pas occupé avec assez de sollicitude de la position des femmes.
Sous ce rapport, notre législation laisse encore beaucoup à désirer, La femme n'est pas traitée, dans notre législation, sur un pied d'égalité, tel que l'a défini l'honorable M. de Theux ; loin de là, ; dans nos lois civiles et économiques, sans parler de nos lois politiques, la femme évidemment n'a pas le traitement auquel elle aurait droit.
Mais nous ne sommes pas ici dans un congrès libre où toutes les idées peuvent se produire. Je serais personnellement très tenté d'entrer dans de pareilles discussions ; mais je reconnais que ce n'est pas ici le lieu et qu'en tous cas le moment n'est pas, venu.
Sans être un idéologue, sans être partisan de ce qu'on appelle, ironiquement l'émancipation de la femme, je crois qu'il y a beaucoup à faire dans nos lois civiles et économiques pour la femme, qui forme la moitié de la société.
Quant à ce que disent des plaisants, que l'émancipation de la femme n'est pas quelque chose de nouveau, je le sais, un auteur comique gros de premier ordre s'est moqué très agréablement de, l'émancipation des femmes.
D'autres poètes, prosateurs, orateurs, ont fait la même critique. Cela n'empêche pas qu'il n'y ait de tout temps aussi des hommes très sérieux qui se sont occupés de cette question avec une grande sollicitude, avec science et conscience et qui l'ont résolue dans un sens plus ou moins émancipateur, pour me servir du mot.
Mais, je le répète, nous ne sommes pas dans un libre congrès, nous (page 870) sommes dans une chambre législative, et nous avons à nous occuper d'une question toute pratique, toute spéciale, qui en elle-même présente beaucoup d'intérêt.
Messieurs, l'on a parlé hier avec éloquence et avec une grande chaleur de la femme chrétienne. On a accusé l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, de vouloir supprimer dans la société l'influence de la femme chrétienne.
Je défie de citer un seul mot, parti de nos bancs, qui puisse justifier le moins du monde une pareille accusation.
Il est une expression, il est vrai, qui paraît avoir choqué l'honorable ministre de l'intérieur.
Dans une note officielle émanée de l'administration de l'honorable M. Pirmez, qui n'est pas que je sache un antichrétien, on a dit qu'il fallait cultiver la raison de la femme, et l'honorable ministre de l'intérieur a fait ressortir ce mot avec une ironie mêlée de tristesse, comme si la raison de la femme ne devait pas être cultivée comme son esprit et comme son cœur.
Pourquoi ce mot « raison de la femme » semble-t-il offusquer M. le ministre ?
Quant à moi, lorsque je soutiens l'enseignement primaire et l'enseignement moyen appropriés à la femme, j'entends qu'ils se donnent dans les conditions nécessaires pour développer et fortifier, avec ses autres facultés, sa raison. Qu'on m'appelle rationaliste si l'on veut, mais j'en fais la déclaration formelle. Est-ce que par hasard on ne pourrait pas être à la fois femme chrétienne et femme raisonnable ?
Si le but de l'instruction est d'éveiller, de fortifier, de développer le cœur, l'esprit et la raison de la femme, eh bien, je suis pour cet enseignement et je démontrerai à M. le ministre de l'intérieur que lui aussi est, en principe, pour cet enseignement ; je le lui démontrerai par ses déclarations formelles. Et cependant, en fait, il a des défiances contre l'enseignement moyen.
Au point de vue pratique, qui pourrait nier la grande utilité d'une instruction plus élevée que l'instruction primaire proprement dite pour la plupart des femmes de toutes les classes et surtout des classe moyennes ? Ne faut-il pas autre chose que l'enseignement primaire proprement dit pour les femmes des industriels, des commerçants, des fermiers ? Ne leur faut-il pas autre chose que de savoir lire et écrire ? On a donné hier à la femme un rôle que je consens bien volontiers à lui attribuer ; on a dit que c'était l'éducatrice naturelle de la famille. Eh bien, pour que la femme soit l'éducatrice utile de la famille, il faut qu'elle soit elle-même douée d'une instruction plus qu'élémentaire.
Si donc vous voulez que la mère soit l'éducatrice de la famille, procurez-lui les moyens de s'instruire. On sait que les enfants des familles aisées vont pour la plupart chercher l'instruction au dehors ; un honorable représentant de Louvain a combattu cet usage ; il veut que les enfants restent auprès de leur mère et fassent leur éducation auprès d'elle. Mais il y a un grand nombre de familles honnêtes qui ne peuvent pas recourir à ce moyen, les mères étant occupées de travaux nécessaires à l'entretien matériel de ses enfants ; là il faut que les jeunes filles puissent aller chercher l'instruction ailleurs encore que dans les couvents ou les établissements laïques où elles doivent payer de fortes pensions ; il faut qu'elles puissent trouver cette instruction dans les établissements de la commune même, près de leurs parents et dans des écoles garanties par la surveillance de l'autorité publique.
M. le ministre de l'intérieur accepte, au moins en paroles, la proposition de l'honorable Muller, en ce qui concerne les subsides à accorder aux écoles moyennes supérieures de filles, mais il veut que ces subsides ressortent de la loi de 1842 sur l’enseignement primaire et non de la loi de 1850 sur l'enseignement moyen.
D'un autre côté, il accepte des deux mains le programme préparé par l'honorable M. Vandenpeereboom, programme où se trouve développé tout un système d'enseignement qui n'a rien de commun avec l'enseignement primaire.
Ce programme, je ne dirai pas qu'il me paraît trop étendu ; mais il est établi sur une échelle élevée. M. le ministre de l'intérieur l'accepte, il l'a répété trois fois dans son discours ; ce programme était rédigé en vue des écoles primaires appelées à former des institutrices pour l'enseignement moyen. M. le ministre de l'intérieur va plus loin, il déclare qu'il est prêt a l’appliquer aux élèves elles-mêmes des écoles moyennes.
Voyons ce que renferme ce programme, dont nous devons la publication aux soins obligeants de M. le ministre de l'intérieur.
Non seulement il dépasse, en plusieurs points, le programme des écoles moyennes proprement dites, mais il égale le programme des athénées et collèges en diverses matières. Et M. le ministre de l'intérieur accepte, je le répète, ce programme non seulement pour les aspirantes institutrices dans les écoles normales, mais pour les élèves des écoles elles-mêmes.
Expliquez-moi cela. Il n'y met qu'une seule condition : c'est que ces écoles secondaires supérieures, du programme desquelles j'aurai l'honneur de faire connaître quelques articles, restent soumises à la loi de l'instruction primaire, ce qui est une impossibilité ; je ne veux pas dire ce qui est une absurdité, le mot est trop dur, mais enfin ce qui n'est pas soutenable une minute.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Cela s'adresse à M. Vandenpeereboom.
M. Vandenpeereboom. - Vous n'avez pas compris.
M. Rogier. - Non, ceci s'adresse à M. le ministre de l'intérieur, qui ne se tirera pas de sa position en rejetant sur ses prédécesseurs la responsabilité de ce qu'il dit et fait. Il faut qu'il se défende par lui-même.
M. Vandenpeereboom. - Ce programme ne s'appliquait qu'aux écoles normales.
M. Rogier. - Eh bien, ce programme qui ne s'appliquait qu'aux écoles normales, M. le ministre de l'intérieur veut l'appliquer aux écoles elles-mêmes. Il va donc plus loin que vous.
M. Vandenpeereboom. - C'est lui qui doit s'expliquer et pas moi.
M. Rogier. - Justement.
Voyons, messieurs, quelques-unes des dispositions de ce programme de l'honorable M. Vandenpeereboom, accepté par son successeur. Il est divisé en deux années d'études. Voici quelques-uns des articles que j'en extrais :
« Première année. Grammaire approfondie ; éléments de littérature ; histoire de la littérature française et de la littérature flamande aux XVIème et XVIIème siècles. Résumé et analyse de morceaux littéraires ; algèbre, géométrie ; histoire générale, etc.
« Botanique, zoologie, physique... »
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - « Notions » de botanique, « Aperçu » de l'histoire de la littérature.
M. Rogier. - Il est impossible que vous ayez lu ce programme, que vous l'acceptiez et que vous conserviez votre opinion que ce programme doit rentrer dans l'enseignement primaire.
Sans recourir à mes notes, je vais lire, pour plus de sûreté, le programme lui-même :
« Grammaire approfondie ; éléments de littérature et de style.
« Aperçu de l'histoire de la littérature française et flamande des XVIème et XVIIème siècles. »
- Un membre. - Vous n'aviez pas dit « aperçu. »
M. Rogier. - « Aperçu de l'histoire de la littérature française et flamande des XVIème et XVIIème siècles.
« Mathématiques, algèbre. »
Nous sommes dans la première année.
« Géométrie plane.
« Histoire. » Ici il ne s'agit pas d'un aperçu.
M. Vandenpeereboom. - C'est pour l'enseignement normal.
M. Rogier. - Mais l'honorable ministre de l'intérieur veut assimiler tout cela à l'enseignement primaire et l'appliquer aux écoles elles-mêmes.
« Histoire de la Belgique depuis la conquête de nos provinces jusqu'à l'établissement des seigneurs héréditaires. Aperçu de l'histoire générale jusqu'à la chute de l'empire romain d'Occident.
« Notions de botanique, de zoologie et de physique.
« Travaux d'aiguille, etc.
« Hygiène. - Economie domestique, pédagogie et méthodologie, etc.»
Voilà, messieurs, la première année de cet enseignement primaire à programme développé, comme l'appelle M. le ministre de l'intérieur..
« Deuxième année. Grammaire approfondie.
« Nombreux exercices dans les différents genres d'écrire.
« Aperçu de l'histoire de la littérature française et flamande aux XVIIIème et XIXème siècles.
« Règles de la versification. »
Tout cela est de l'enseignement primaire.
M. Delcour. - Supérieur.
M. Rogier. - « Notions de mythologie. »
Cela, je pense, ne peut pas faire de mal. II y a beaucoup de femmes qui ont appris la mythologie.
M. Bouvier. - Et qui sont restées chrétiennes.
M. Rogier. - « Langue allemande ou langue anglaise.
« Arithmétique, algèbre, géométrie.
« Histoire de la Belgique depuis... jusqu'à nos jours.
« Aperçu de l'Histoire générale depuis... jusqu'à nos jours.
« Organisation politique, administrative et judiciaire de la Belgique, Idée de la Constitution et des institutions nationales.
(page 871) « Aperçu de la géographie générale. »
Voilà un aperçu du programme, que je ne blâme pas du tout, de mon honorable successeur, M. Vandenpeereboom, et voilà le programme que M. le ministre de l'intérieur n'hésite pas à accepter des deux mains. J'en ai été véritablement stupéfait. Et ma satisfaction serait grande, si je croyais que M. le ministre de l'intérieur veut réaliser sérieusement un pareil programme.
Mais il y met une condition qui m'inspire des doutes. Ce programme sera considéré comme appartenant à l'enseignement primaire, il sera rattaché à la loi de 1842, et non à la loi de l'enseignement moyen de 1850.
Messieurs, je ne comprends pas, de la part d'un ministre chargé de l'exécution loyale des lois, cette guerre qu'il déclare ici à une loi tout aussi respectable que celle de 1842, la loi de 1850 qui a été votée dans les deux Chambres à une grande majorité sans qu'aucun membre ait proposé de revenir, quant à l'enseignement religieux, aux formules de la loi de 1842.
Non ; l'article 8 de la loi de 1850 semble frappé d'un discrédit complet. Hier, le sage M. de Theux a considéré cet article comme non avenu, attendu qu'il n'offrait pas des garanties suffisantes au clergé.
Par l'article 8 le gouvernement invite le clergé à venir donner et surveiller l'enseignement religieux dans les établissements régis par la loi. Cela ne suffit pas au clergé. Il lui faut des garanties. Et quelles garanties, s'il vous plaît ?
Quel est le ministre qui prendrait sur lui de signer les garanties qui seraient exigées par le clergé pour se rendre à cette invitation ?
Et que signifient ces garanties que réclame le clergé ? Est-ce que l'enseignement public, organisé par l'autorité, contrôlé par les pères de famille, offre des dangers pour les mœurs ou la religion ? Est-ce qu'à son tour l'autorité laïque ne pourrait pas dire au clergé : Avant de vous confier la direction et la surveillance de l'enseignement religieux dans nos écoles, nous demandons des garanties ; nous ne voulons pas que, sous prétexte de donner l'enseignement religieux, vous veniez inspirer aux élèves des sentiments contraires à nos lois, à notre Constitution.
- Voix à gauche. - Très bien !
M. Rogier. - Qu'est-ce donc que cette défiance contre les pouvoirs publics ? Quant à moi, ces garanties qu'on réclame pour le clergé, je ne les signerais pas comme ministre. Les garanties existent dans la responsabilité, je dirai dans le bon sens des pouvoirs publics qui ne permettront jamais que dans une école publique on vienne insulter à une religion quelconque et particulièrement à la religion de la grande majorité du pays. Des garanties ! je dois le dire à M. de Theux, je suis étonné qu'il soit venu les demander et je crains bien que ce ne soit là un prétexte pour cacher un mauvais vouloir à l'égard des établissements laïques.
Le clergé n'est pas favorable aux écoles moyennes. Pourquoi ? C'est bien simple ; les écoles moyennes font concurrence aux écoles exclusivement dirigées par lui ou qui se trouvent indirectement dans ses mains, et encore doit-on se féliciter si des membres du clergé, auxquels les écoles laïques sont ouvertes, ne viennent pas les desservir et y recruter des élèves pour les faire passer dans les écoles du clergé.
M. Vleminckx. - Cela est souvent armé.
M. de Rossius. - Cela est arrivé à Liège.
M. Bouvier. - Et ailleurs encore.
M. Rogier. - Je ne sais dans quel esprit M. le ministre de l'intérieur a voulu jeter une espèce de ridicule ou de défaveur sur l'enseignement moyen donné aux femmes en d'autres pays.
Il a cité comme exemple une demoiselle américaine, une jeune républicaine, qui s'était permis de dire : « Charles Ier a été condamné à mort, mais il l'avait mérité, pour avoir violé les lois de son pays. » Messieurs, ce n'est pas une peccadille, surtout pour un roi, de violer les lois de son pays. Cette jeune fille, qui avait été élevée dans les idées républicaines, avait donc dit cela. Eh bien, dit M. le ministre de l'intérieur, voilà où conduit l'enseignement moyen donné aux jeunes filles. En Angleterre, ajoute-t-il, il se passe des choses non moins graves ; dans certaines écoles on apprend le latin aux jeunes filles et on leur fait lire les six premiers chants de l'Enéide !
On a toujours tenu Virgile pour un des auteurs les plus purs, les plus corrects et les moins licencieux de l'antiquité. Mais non ! On fait lire aux jeunes filles, dit avec une intention de malice bien marquée M. le ministre de l'intérieur, les six premiers chants de l'Enéide. Ce n'est pas tout. On leur fait lire les Femmes savantes de Molière. Oh ! ceci passe un peu la permission. Tenir les jeunes filles en garde contre le ridicule des pédants ou des pédantes, quelle inconvenance t Mais y aurait-il, par hasard, quelque chose de contraire à la morale dans les Femmes savantes ?
Pour moi qui désire pour les femmes une culture intellectuelle et une instruction élevée, je trouve très bon que celles d'entre elles qui auraient des prédispositions à devenir prétentieuses et pédantes lisent les femmes savantes. Ce sera un excellent préservatif. J'ai cru un instant que M. le ministre de l'intérieur avait eu sur la langue le nom d'une autre pièce de Molière qui n'a pas, je pense, les sympathies de tous ses amis ; mais il ne l'a pas cité.
Il pourrait arriver aussi aux jeunes filles de lire le Bourgeois gentilhomme. Mais, messieurs, où serait le mal ? Il y a là un excellent caractère. Où est le mal de rire un peu des prétentions de ce bon bourgeois qui a la manie de trancher du gentilhomme ?
M. le ministre de l'intérieur, toujours en vue de combattre le développement de la raison chez la jeune fille, a emprunté je ne sais quelle citation aux mémoires d'une femme célèbre de la Révolution française, qui a partagé les opinions et le sort des Girondins.
C'était pourtant une parfaite chrétienne cette femme, quoi qu'on en ait dit, et qui valait bien, je crois, d'autres chrétiennes du temps de Louis XIV et de Louis XV, qui trouvaient des complaisants dans des membres du haut clergé. (Interruption.)
Je n'ai pas lu tout ce qu'a pu écrire cette femme remarquable, mais M. le ministre de l'intérieur s'est permis, à son égard, des insinuations qui ne sont pas dignes d'un historien de la valeur de l'honorable M. Kervyn.
Mais si le M. ministre a dit vrai, si, en effet, l'instruction développée peut nuire à la femme, si l'enseignement littéraire, historique peut conduire la femme à certains égarements, pourquoi donc M. le ministre de l'intérieur l'accepte-t-il ? Est-ce avec la réserve, par hasard, de s'occuper de la littérature du XVIIème siècle, en laissant de côté Molière ? Est-ce qu'il sera seulement permis de donner des aperçus de littérature dont on aura soin d'exclure les grands écrivains du XVIIème siècle et, à plus forte raison, ceux du XVIIIème ? Et que fera-t-on de ceux du XIXème ?
Comment donc s'y prendra-t-on pour donner, dans les écoles moyennes, telles que les accepte M. le ministre, les cours de littérature, les cours d'histoire ? Est-ce qu'il y aura des ouvrages expurgés dont on aura soin d'élaguer tout ce qui pourrait prétendument faire scandale ? Ou bien ira-t-on chercher la littérature des XVIIème, XVIIIème et XIXème siècles dans une seule catégorie d'écrivains, tant pour les Flamands que pour les Wallons ?
Je préviens M. le ministre de l'intérieur, après ce qu'il nous a dit sur l'instruction des femmes, qu'il s'est trop hâté, selon moi, d'admettre le programme de mon honorable prédécesseur, qu'il s'expose à de grandes déceptions si ce programme est exécuté comme il doit l'être, raisonnablement, si on enseigne l'histoire et la littérature suivant la vérité, suivant les traditions, et si l'on ne fait pas une histoire ou une littérature exclusivement à l'usage des femmes dites chrétiennes.
Quant aux écoles où ce programme sera mis en pratique, pourquoi M. le ministre de l'intérieur ne veut-il pas que ce genre d'écoles soient rattachées à la loi de 1850 ?
La loi de 1850, dit-il, n'a pas prévu l'enseignement moyen des filles, et l'honorable M. Rogier l'a déclaré lui-même.
Mais j'ai fait observer aussi que la loi de 1842 n'a pas non plus prévu virtuellement l'enseignement primaire des filles ; c'est par une espèce d'entente qui a eu lieu à la fin de la discussion et sur une motion d'ordre qui signalait cette lacune de la loi de l'enseignement primaire en ce qui concerne les filles ; c'est par une espèce d'entente, dis-je, qu'on a admis l'éventualité de cet enseignement. Mais il n'est pas un seul article de la loi de 1842 qui en parle. Il n'en est pas parlé non plus dans la loi de 1850. C'est vrai. Je l'ai dit au Sénat.
On vient aussi invoquer mes paroles pour soutenir que j'étais contraire à l'enseignement moyen des filles, rattaché à la loi de 1850. Il n'en est rien. Je vais établir en quelques mots qu'il y a là confusion.
Dans la discussion au Sénat, quand on est arrivé au programme des écoles moyennes comprenant, entre autres notions, la géométrie, l'arpentage, la gymnastique, un sénateur, croyant que cet article s'appliquait aux filles comme aux garçons, s'écria : « Quoi ! on va enseigner l'arpentage et la gymnastique aux filles ! »
A cela je répondis : Si vous voulez critiquer l'enseignement donné aux filles, votre blâme ne doit pas s'adresser au projet de loi en discussion, mais il doit s'adresser à la loi sur l'enseignement primaire, parce que cette loi même que vous préconisez et acceptez pour les filles comme pour les garçons, prescrit l'enseignement de l'arpentage, de la géométrie et de la gymnastique.
Voilà ce que j'ai déclaré au Sénat, et pas autre chose.
(page 872) Ou me dit aussi : « Vous ayez voulu si bien rattacher l'enseignement moyen des filles à l'enseignement primaire que, dans un des derniers arrêtés signés par vous en 1861, vous avez décidé qu'il serait créé, auprès des écoles normales primaires des filles, une section destinée à former des institutrices d'écoles moyennes. Donc, vous avez rattaché l'enseignement moyen à l'école primaire. »
Il n’en est rien. Ce qui a été fait pour les filles existait pour les garçons. Pour les professeurs des athénées et des collèges, nous avons des écoles normales annexées aux universités ; mais pour les écoles moyennes proprement dites, c'est dans les écoles normales primaires que se forment les professeurs et les instituteurs.
Il fut créé une section spéciale, à cet effet, a Nivelles et une à Lierre ; il y eut, en outre, des sections annexées à des écoles normales adoptées. Là se forment les professeurs pour les écoles moyennes de l'Etat et des communes. C'est à défaut d'un établissement spécial que j'ai rattaché ces cours aux écoles normales primaires, mais cela ne veut pas dire que j'aie voulu rattacher cet enseignement lui-même à la loi de 1842, ce qui serait une absurdité.
Du reste, je ne veux pas chicaner M. le ministre de l'intérieur sur ce point : s'il tient à rattacher à la loi de 1842 les écoles pour les filles, qu'il appelle des écoles primaires à programme développé, j'y consens. Mais autre chose est cette école primaire développée et autre chose est l'enseignement moyen ; l'enseignement moyen, tel que nous le comprenions mes honorables successeurs et moi.
Nous aurions donc deux subsides au lieu d'un ; nous aurions l'augmentation proposée par MM. Pirmez et Muller au chapitre de l'enseignement moyen et nous aurions l'augmentation proposée par M. le ministre de l'intérieur au chapitre de l'enseignement primaire. Je m'étonne d'une seule chose : c'est que M. le ministre ait attendu pour faire cette déclaration que la discussion du budget l'y ait amené.
Pourquoi n'a-t-il pas fait cette déclaration spontanément ? Il a de prime abord, sans donner aucun motif, rayé du budget l'augmentation proposée au chapitre de l'enseignement moyen et il n'a rien ajouté au chapitre de l'enseignement primaire. C'est après coup qu'il s'est décidé à reporter sur l'enseignement primaire une partie du subside proposé par M, Pirmez. Cette mesure, messieurs, ne remplit pas le but de l'amendement ; l'auteur de l'amendement a déclaré, en effet, que ce qu'il voulait, c'était un encouragement donne à l'enseignement moyen, tel, par exemple, que le comportât le programme arrêté par M. Vandenpeereboom. M, le ministre acceptant ce programme doit donc, pour être conséquent, accepter la proposition de M. Pirmez, reproduite par M. Muller.
Que risquez-vous, du reste, à vous y rallier, puisque dans vos discours vous vous montrez si partisan du programme ? Que craignez-vous ?
Ce programme ne porte-t-il pas en tête le cours de religion que le clergé sera chargé de donner et de surveiller, s'il accepte l'invitation qui doit lui en être faite. Qu'est-ce qui manque, que voulez-vous de plus ? Pourquoi cette défiance de la loi de 1850 ? Si vous étiez logique, et si cette loi de 1850 vous déplaît et vous pèse, il faudrait en proposer la révision. Si cette loi de 1850 renferme à vos yeux des dangers, il faut la modifier ; il ne faut plus l'appliquer, même aux collèges, aux athénées et aux écoles moyennes des garçons ; il faut vous empresser de la réviser. Mais vous ne le ferez pas, vous vous bornerez à la condamner en principe et à ne pas l'appliquer pour les filles.
Eh bien, ce n'est pas, de la part du chef du département, remplir son devoir, il faut exécuter loyalement et complètement la loi ou, si la loi est mauvaise, il faut en proposer la suppression ou y introduire les modifications qu'on jugera nécessaires ; mais tant qu'elle existe, il faut l'exécuter loyalement.
Les adversaires de la loi de 1850 lui reprochent, entre autres griefs, l'esprit de centralisation qui le domine. C'est tout le contraire qui existe. ; et notamment en ce qui concerne l'enseignement primaire supérieur, la loi de la. 1850 est moins centralisante que celle de 1842.
En vertu de cette dernière loi, articles 33 et 36, les écoles primaires supérieures étaient exclusivement aux mains du gouvernement, qui en nommait le personnel, et échappaient complètement au contrôle des communes.
Par la loi de 1850 nous avons transféré ces écoles dans l'enseignement moyen et nous les ayons tranformées en écoles moyennes, dans lesquelles les communes, qui n'avaient rien à voir dans les écoles primaires supérieures, ont une large part d'intervention. Témoin le bureau administratif présidé par le bourgmestre et dans lequel le collège échevinal entre tout entier, tandis que les autres membres sont nommés sur la présentation du conseil communal (article 12.)
Est-ce la de la centralisation ?
Les communes peuvent en outre créer des collèges et des écoles moyennes (article 5h) avec des subsides du gouvernement (article 28).
On nous a fait le grief de vouloir centraliser, alors que nous avons décentralisé, que les écoles primaires supérieures, qui étaient dans les mains exclusives de l'Etat, sont passées dans les mains des communes.
M. Delcour. - C'est une erreur. Voyez l'article 11 de la loi sur l'enseignement moyen.
M. Rogier. - Au moins quant à la surveillance, et le nombre en a été limité à cinquante.
Les communes, de leur côté, ont eu le droit de créer des écoles moyennes communales non surveillées directement par le gouvernement et subsidiées par lui.
En finissant, messieurs, je ferai une observation qui sera peut être de nature à fixer l'attention.
M. le ministre de l'intérieur a l'intention de soumettre tout l'enseignement destiné aux filles au régime de la loi de 1842. A-t-il tenu compte des conséquences de son système ?
Tout à l'heure, quand je parlais de la décentralisation de l'enseignement à propos des écoles primaires supérieures transférées dans la loi de 1850, j'avais aussi en vue les écoles primaires supérieures destinées aux filles. Si ces écoles continuent d'être soumises au régime de la loi de 1842, les articles 35et 36 devront donc leur être appliqués.
Si, au contraire, ces écoles sont soumises au régime de la loi de 1850, elles peuvent devenir communales et recevoir en cette qualité les subsides de l'Etat. C'est la proposition de M. Pirmez.
Messieurs, si l'on montre ces appréhensions, ces répugnances pour l'enseignement moyen des filles, rattaché à la loi sur l'enseignement moyen, si l'on veut, de gré ou de force, le faire rentrer sous le régime de la loi sur l'enseignement primaire, que peut-il arriver ? C'est qu'un certain nombre de communes refuseront les subsides ou ne demanderont pas de subsides au gouvernement et dirigeront leurs écoles moyennes comme elles l'entendent. Elles pourront, entre autres, supprimer l'enseignement religieux. C'est ce qui est admis en fait.
Par les subsides que le gouvernement accorde, il soumet ces écoles communales à certain contrôle, il leur impose certaines conditions. Si le gouvernement impose des conditions trop rigoureuses ou des conditions dont la commune ne veut pas, celle-ci se passera de subsides et créera ou encouragera des écoles à sa guise.
Je ne sais pas si cette perspective sourira aux partisans des écoles orthodoxes ; quant à moi, je préfère les écoles soumises au régime de la loi de 1850 à des écoles d'où l'enseignement religieux est exclu.
Eh bien, messieurs, je crois donc qu'en y réfléchissant M. le ministre de l'intérieur ferait bien de se rallier à la proposition qui nous est soumise.
Je conviens que l'état de choses actuel n'est pas parfaitement régulier ; il n'est pas tout à fait correct que nous ayons un enseignement public non réglé par la loi ; mais faisons des essais, encourageons des établissements et, quand nous serons éclairés par l'expérience, le moment viendra d'organiser sur des bases stables et légales les écoles de tous degrés destinées aux femmes, nous ferons ce qui a été fait pour d'autres branches d'enseignement. L'enseignement agricole, par exemple, qui a été mis, par voie administrative et budgétaire, et qui a été ensuite réglé par une loi en pratique.
Tout en déclarant qu'il faut une loi, l'honorable M. de Theux a fait hier une proposition qui me paraît de nature à faire ajourner indéfiniment cette loi et particulièrement l'établissement des écoles moyennes du degré supérieur.
Il a dit qu'il fallait faire une enquête dans les divers pays étrangers.
Mais cette enquête est faite. Il y a beaucoup de livres, de rapports et de mémoires spéciaux qui apprennent parfaitement ce qui se passe dans les divers pays et qui peuvent être utilement consultés.
Si nous faisons une enquête pour savoir ce qui se fait à l'étranger, nous en avons pour longtemps ; puis l'enquête sera soumise à une commission ; de manière que nous attendrons encore des années avant d'avoir un enseignement primaire et moyen largement organisé pour les filles.
J'engage le gouvernement à s'associer à la pensée de ses prédécesseurs et à essayer le plus tôt possible le régime des écoles moyennes du degré supérieur ; et quand il aura constaté leur degré d'utilité, il viendra proposer à la Chambre de régler une bonne fois, par une loi, tout ce qui concerne, cet enseignement.
(page 873) Il n'est ni bon ni juste que les femmes aient été oubliées dans l’une et l’autre loi.
Il faut que l'enseignement des filles soit garanti par une loi comme celui des garçons.
Je ne sais si je serai écouté de M. le ministre de l'intérieur, et pour conclure, je voterai, au chapitre de l'enseignement moyen, l'augmentation du subside proposé par les honorables MM. Muller et Pirmez, et s'il est accepté je voterai au chapitre de l'enseignement primaire la proposition de M. le ministre de l'intérieur.
M. Bergé. - Messieurs, je n'avais pas l'intention de prendre la parole dans cette discussion, mais M. le ministre de l'intérieur a commencé par entrouvrir la porte à la discussion générale et l'honorable M. Schollaert s'y est, en quelque sorte, précipité tout entier, ce qui explique assez que la porte est toute large ouverte.
Je demanderai donc pardon à l'assemblée si, dans les différentes observations que j'aurai la faveur de lui présenter, il m'arrive de. rencontrer quelques considérations qui s'écartent de l'amendement qui vous est proposé. L'exemple m'a été donné par les orateurs de la majorité ; il n'est que naturel que je les suive quelque peu sur le terrain où ils ont placé le débat.
M. le ministre a manifesté son étonnement de voir proposer, de la part des hommes qui désirent développer l'enseignement de la femme, des branches variées et il nous a donné lecture ici, en le critiquant, d'un programme où l'on ajoutait aux premières notions de l'enseignement, la botanique, l'histoire naturelle, la physique, l'astronomie et où les études seront variées par des exercices comprenant le jeu, la danse et le gymnase.
L'honorable ministre de l'intérieur a trouvé assez étrange que l'on fît figurer ces matières dans le cadre de l'enseignement. J'ai voulu me renseigner sur les matières qui figurent dans le programme de l’enseignement de certaines écoles que M. le ministre de l'intérieur approuve incontestablement avec tous ses collègues de la droite.
Dans les écoles dirigées par des religieuses, par les dames ursulines et les dames de Marie entre autres, je trouve un programme qui comprend la mythologie, le piano, le chant, le dessin, l'anglais, l'allemand, l'histoire naturelle, la physique, la musique instrumentale, l'harmonie, la peinture, l'aquarelle. J'y ai trouvé les leçons de maintien, de gymnastique et, de plus, j'ai vu qu'on apprenait aux élèves de ces institutions à monter sur les planches pour y jouer la comédie !
Je ne comprends pas l'étonnement de M. le ministre de l'intérieur. Vous vous étonnez qu'on demande le développement de l'enseignement des filles ? Mais, vous voyez que ce développement est tellement nécessaire que partout il s'impose et, qu'alors même qu'on néglige peut-être, dans certains établissements, l’étude sérieuse de ces différentes branches, tout au moins éprouve-t-on la nécessité de les faire figurer au programme et de les enseigner dans une certaine mesure.
L'honorable ministre de l'intérieur nous disait que s'il ne s'agissait que des écoles de filles organisées comme elles le sont en Prusse, il serait assez disposé à leur donner son approbation. Eh bien, dans les écoles allemandes vous voyez figurer au programme des études la gymnastique, les notions d'histoire naturelle ; les langues française, anglaise et italienne, qui viennent compléter l’étude de l'allemand ; nous y voyons figurer la physique, les sciences naturelles ; tout cela s'enseigne à l'école de Berlin, à l'école de Leipzig.
Si nous passons en Suisse, nous voyons, à l'école supérieure des jeunes filles de Genève, un enseignement très complet ; nous y voyons donner des notions de toutes les sciences ; ce qui n'empêchait pas, dans cet établissement qui compte plus de 400 jeunes filles, d'enseigner les travaux à l'aiguille, comme le réclamait si impérieusement hier M. Schollaert.
L'honorable ministre de l'intérieur trouvait encore singulier l'enseignement donné dans différentes écoles, particulièrement en Angleterre, enseignement où l'on faisait lire aux femmes certains ouvrages de littérature, notamment les Femmes savantes.
Vous venez d'entendre comment M. Rogier a répondu à l'honorable ministre de l'intérieur ; il a parfaitement fait comprendre combien il était convenable de préconiser même la lecture d'une œuvre littéraire aussi bien faite, aussi sérieuse, aussi utile et aussi morale que les Femmes savantes.
Mais on peut se demander de quelle façon se donne l'enseignement dans les écoles qui ont l'approbation des membres de la droite, dans des écoles qui sont patronnées par le clergé et recommandée très activement par les évêques. Eh bien, dans ces écoles on ne donne pas en lecture les œuvres de Molière, on ne fait pas lire aux jeunes filles les Femmes savantes ; mais on y donne un enseignement dont je trouve la reflet tout entier dans un ouvrage qui a été vivement recommandé par l’évêque de Bruges et par l’évêque de Tournai.
Dans cet ouvrage nous voyons présenter la royauté comme étant issue de la divinité ; il ne s'agit plus de royauté constitutionnelle ; le roi tient son autorité de Dieu ; c'est le droit divin. On y répudie tout ce qui sent l'affection, la tendresse, l'amour maternel.
Je citerai quelques passages de ce livre pour répondre aux citations faille par M. le ministre de l'intérieur d'un ouvrage auquel je n'ai rien à reprendre. L'auteur de cet ouvrage d'éducation catholique s'exprime comme suit :
« Les caresses sensuelles ne sont pas un bon moyen de récompenser l’enfant. Oh ! combien les tendres mères se trompent ! pourquoi ne comprennent-elles pas le mal qu'elles font à leurs petites filles en les tenant constamment suspendues à leurs lèvres ? » (p. 439). L'auteur n'aime pas du reste l’affection et empêche parmi nos élèves les trop grandes intimités : Si des élèves s'embrassent, ridiculisez-les. Un baiser passionné ternit la candeur angélique de l'enfance. »
L'amitié, elle-même, ne trouve point grâce devant l'auteur de ce livre. Celle noble et tendre amitié chantée par les poètes, que l'illustre Lacépède appelait cette passion sublime, ce sentiment des grandes âmes et ce bonheur du monde ; cette amitié, que Voltaire disait n'être point faite peur les cœurs corrompus, cette amitié n'est pas tolérée par le catholique auteur du livre que je cite : « Gardez-vous bien de l'amitié qui n'a que du sentiment ; conservez intact le trésor de vos affections. C'est un vase d'albâtre, plein de nard préparé par votre divin Sauveur (p. 147). Donner son cœur, c'est le dérober au Seigneur ; ce serait plus criminel que de voler les vases sacrés du temple. L'amitié conduit peu à peu deux jeunes personnes liées entre elles sur une pente dangereuse ; elles arrivent ainsi à n'être plus loin de l'égout de la sensualité (p. 150). - L'amitié est un exercice dangereux et funeste ; c'est jouer avec le jeu. » (p. 156).
L'auteur continue et il dit :
« Préservez votre maison de ces doctrines nébuleuses qui nous viennent de l'Allemagne protestante. » (Vous voyez qu'il n'est pas de l'avis de M. le ministre de l'intérieur, qui semble disposé à accepter ce qui vient de ce côté.) « Etudiez les vies des saints, il en sort un parfum embaumé ; le miel que vous y recueillerez nourrira vos affections, fortifiera votre intelligence, et que le catéchisme soit votre manuel de tous les jours. »
L'auteur condamne aussi bien le chagrin que l'affection ; dire que ce pauvre cœur humain a parfois de la douleur ; quel blasphème ! De l'indifférence, voilà qui est orthodoxe, voilà de la piété ! « Dire que les quatre cinquièmes des hommes meurent de chagrin ; quelle folie ! » (p. 126.)
Il n'y a que du froid, de l'égoïsme dans ce livre ; faire de l'élève un être inerte, souple, sans affection ni sentiment, voilà le but. Quand l'élève deviendra épouse, on lui recommandera de ne pas trop aimer son époux, parce qu'avant d'être unie à son mari elle doit se souvenir qu'elle est unie au Seigneur et qu'elle doit obéir aux ordres qu'il donne par l'intermédiaire des ministres du culte. Voilà les principes moraux de l'éducation catholique !
L'auteur de cet ouvrage examine ensuite les différentes matières qui peuvent faire l'objet de l'enseignement.
Les langues modernes sont considérées comme études frivoles ou sérieuses ; cela dépend du point de départ.
« Si l'on apprend l'allemand, l'anglais ou l'italien, uniquement pour connaître ces langues, c'est une étude frivole ; » mais si c'est pour lire les louanges, du Seigneur en plusieurs langues, c'est une étude, sérieuse, parce que la parole pieuse dite en différentes langues est plus sonore (p. 225).
La langue anglaise a de grands chefs-d'œuvre ; mais, cependant, il faut faire attention, parce que l'influence protestante est trop considérable dans ce pays.
Les ouvrages de poésie sont généralement dangereux ; cependant l'auteur du livre recommande la lecture de la Messiade de Klopstock !
« L'italien est une langue chère aux catholiques, ajoute l'auteur.
« L'espagnol est moins important, mais c'est cependant la langue de la séraphique sainte Thérèse, et c'est aussi la langue de ceux qui ont dominé notre Belgique et qui sont jugés si diversement, » L'espagnol jugé utile parce que c'était la langue des oppresseurs de la liberté dans nos provinces !
Voilà bien des sentiments catholiques.
Passons maintenant à ce que dit l'auteur des sciences naturelles. Il en dit que c'est un venin qui se rencontre dans les moindres livres, dans ceux mêmes qui ont l'air d'être le moins dangereux ; et il recommanda de faire l'étude des sciences naturelles à la façon de saint François d'Assise. (page 874) « Mais il y a deux façons d'étudier les mathématiques : on peut les étudier avec une âme croyante et chrétienne ; elles donnent de la force à la démonstration des sciences : mais quand on n’a pas l’âme chrétienne, les mathématiques ne présentent pas ces qualités sérieuses. »
La danse et le chant ne sont pas toujours condamnables : « chantez le Seigneur dans ses mystères d'amour et chantez Marie, c'est un moyen de se rappeler le Seigneur. »
En fait d'œuvres d'art, on demandera l'avis de M. Veuillot (p. 289).
Quant aux matières spéciales, l'auteur y range l'histoire, parce qu'il ne considère pas l'histoire comme devant faire partie de l'instruction générale. « Même en enseignant l'histoire orthodoxe, dit l'auteur, vous risquerez de donner a vos élèves le goût de lire l'histoire ; elles la liront à leur sortie de pension et bientôt, elles seront imbues de préjugés contre l'Eglise, elles auront des sentiments anticatholiques. »
Mais s'il ne faut lire ni ouvrages d'histoire, ni ouvrages de littérature, que faudra-t-il lire ? « D'abord, il faut lire peu ; dans ses moments de loisir, la jeune fille pourra toujours passer son temps à lire la Vie des saints et même elle fera bien de lire l'histoire de Siska Van Rosemael.
« Le chapelet doit être entre les mains de la jeune fille et celle qui n'en veut plus avoir est une fille perdue ; tout est à craindre d'elle. » (p. 412.)
Voilà ce que je trouve dans un ouvrage parfaitement approuvé par les évêques de Belgique, dans un livre parfaitement orthodoxe, dans un ouvrage de Mlle Van Biervliet.
- Un membre. - Elle est très compétente.
M. Bergé. - Evidemment, et c'est pourquoi je la cite.
Il y a différentes façons d'étudier les sciences, dit Mlle Van Biervliet ; j'en ai une preuve. J'ai lu un traité élémentaire des sciences physiques ; on y trouve de la mécanique, de la physique et de la chimie. Cet ouvrage est dû à M. Ferdinand Piérot ; il est directeur d'un pensionnat très orthodoxe à Gerbéviller ; l'ouvrage a reçu l'approbation ecclésiastique ; il se vend, du reste, dans toutes les librairies catholiques, notamment à Nancy, chez De Vagner ; et à Paris, à la librairie centrale catholique de Jacques Lecoffre.
L'auteur est très orthodoxe ; il s'indigne que toutes les sciences aient été sécularisées ; il dit que « la nature faite à la gloire de Dieu est asservie à la vanité de l'homme. »
Voici ce qu'il dit en parlant de l'attraction :
« C'est l'attraction qui réunit les molécules éparses pour former les corps et donner à chacun d'eux un caractère d'individualité ; c'est l'amour qui rapproche les deux sexes afin de produire des êtres. L'amour affermit nos premiers pas dans le chemin de la vie et nous lègue un nom connu. » (P. 226.)
« Rien n'est plus fort que l'attraction et quelle puissance peut-on comparer à l'amour ? Pour récompenser ses croyants, Mahomet n'a eu recours qu'à la partie sensuelle de cette tendance ; voyez quelle force y a trouvée l'islamisme. » Et l'auteur conclut à l'établissement part l'amour de la grande famille universelle ou Eglise catholique. (p. 227.)
Vous voyez qu'on trouve des choses réellement singulières dans les ouvrages où les doctrines de l'enseignement catholique sont développées.
Voici un autre auteur. C'est M. l'évêque de Namur. Il parle aussi de l'enseignement. Il a des idées ; il les communique au monde. Ces idées, les voici :
« La correction est un devoir rigoureux. N'épargnez pas la discipline à l'enfant. Vous lui donnerez de la verge et vous délivrerez ainsi son âme de l'enfer... La correction est particulièrement nécessaire à l'enfance, laquelle n'est guère accessible à la raison ou aux sentiments... La correction n'est pas moins nécessaire dans l'adolescence que dans la jeunesse. Les passions commencent à se faire sentir et le jeune homme qui s'en laisse dominer n'est plus capable d'écouter la voix de la persuasion... il faut avoir recours aux châtiments. Celui qui épargne la verge n'aime pas son fils, mais celui qui l'aime n'omet pas de le corriger. »
Ainsi tout ce que l'Ecriture donne, tout ce que l'enseignement de la morale catholique vous donne, tout cela n'est pas suffisant pour pouvoir conduire les enfants dans le chemin de la vertu ; ce qu'il vous faut, c'est la violence, c'est la force, c'est la verge, c'est la correction. (Interruption.) C'est le système de la correction corporelle qu'on avait établi dans toutes les écoles des jésuites et qui n'a cessé qu'à la révolution française. (Interruption.)
On a dit du côté de la droite : Il ne nous convient pas de faire de la politique vis-à-vis des jeunes filles. Il faut conserver leur âme pure ; il faut les élever en dehors de toutes ces passions et de fout ce trouble des affaires publiques.
Donnez à la jeune fille une éducation convenable, religieuse surtout, mais ne faites pas d’elle une femme forte ; surtout point d’histoire ni de politique.
Eh bien, donnez ces conseils, encore une fois, à ceux qui dirigent les établissements patronnés par des évêques ; car s'il y a des établissements où l'un fait de la politique à outrance, c'est là.
- Voix à droite. - Ah !
M. Bergé. - Je vais vous le prouver.
En 1857, lors de la fameuse loi des couvents... (interruption) au pensionnat des religieuses et ursulines de Saventhem, on a distribué à tout le monde l'ouvrage que je tiens ici à la main, et je vous mets au défi de me démentir. Cet ouvrage, c'est la Lanterne pour chercher le soleil en plein midi. (Interruption.) Cet ouvrage donne des illustrations assez jolies ; il donne, entre autres, le portrait de celui que le pays a eu l'honneur de compter parmi les présidents de cette assemblée.
L'honorable M. Verhaegen y est représenté avec des insignes maçonniques, d'une manière grotesque, de façon à faire rire les élèves du couvent : les oreilles d'âne n'y font pas défaut, pas plus que les cornes de Moïse. Dans cet ouvrage, dans ce libelle, je trouve tout d'abord un style qui sent un peu l'égout.
- Un membre. - Le style de sacristie. (Interruption.)
M. Bergé. - Un style de sacristie, comme le dit l'honorable membre, qui m'interrompt. (Interruption.)
Je vais, du reste, vous donner lecture de quelques passages. Vous jugerez.
« Les pauvres femmes n'ont jamais vu la bourse d'un libéral ; puis elles en disent sur certains cadets maçonniques. « Ces cadets, ce sont des gredins. » Quand on passait devant la synagogue, ils disaient de faire attention que ceux-là c'étaient des bons. »
P. 5. « Les de Mérode, les Malou, les de Thettx, les Liedekerke ne s'encanaillent jamais. »
P. 9. « Ces damnés de libéraux nous engueusent ; mais ce n'est rien, je voudrais déjà avoir l'occasion de leur flanquer un pavé à la tête.
« Mille bombes !... J'aurais envie de déboîter la tête de ce député libéral à la première occasion.
« Les libéraux sont des misérables, des canailles, mais nous voilà dégueusés et désencanaillés : Vivent les catholiques ! »
Cela continue ainsi, mais il y a quelque chose qui est encore mieux. Nécessairement, on rencontre dans cette brochure de grands éloges pour l'honorable M. Dumortier.
Puis, voici ce qu'on y dit :
« Qu'est-ce qui piquote donc ces messieurs les libéraux pour en vouloir à ces saintes filles ?
« Le docteur (un catholique). - Ce que veulent ces libéraux si humains, si courtois envers certaines dames, le voici : Les fondations de charité (hospices et autres) possèdent des terres et des fermes ; aux mains des libéraux, ces terres et ces fermes deviennent des armes politiques ; ils les louent à bas prix à leurs créatures et voilà, pour les jours des élections, autant de voix acquises ; mais comment ? Aux dépens et avec l'argent des pauvres. »
Voilà comment on représentait les administrateurs des hospices aux jeunes élèves des dames ursulines. Je n'ai pas besoin de faire remarquer que le style convient bien pour former les belles manières.
Cette petite brochure a été distribuée., non, je me trompe, elle a été vendue 10 centimes à toutes les élèves du pensionnat de Saventhem.
On a souvent fait dans cette assemblée l'éloge de l'enseignement donné par les congrégations. Mais il faut bien le reconnaître de bonne foi, à part quelques honorables exceptions, beaucoup de personnes qui entrent dans les couvents ne sont généralement que des êtres animés des plus mauvais penchants, dangereux pour la société. (Interruption.)
Et il n'y a pas à se récrier lorsque j'affirme cela. Car j'ai pour moi l'autorité de l'archevêque de Paris qui le reconnaît parfaitement : « Ne comprenez-vous pas que ceux qui entrent dans les cloîtres ne peuvent guère rester dans la société ? Aimeriez-vous mieux les voir, le fer à la main, imiter ces actes de désespoir qui chaque jour épouvantent et scandalisent le monde ? » Et plus loin : « Pour deux qui serviront la société par leur aptitude et leur vertu, trente l'affaibliront, la perdront même par leur ambition et toutes leurs passions désordonnées. Si de tels hommes viennent à s'enfermer dans le cloître, sera-ce une si grande perte ? Si vous élargissez l'étroite enceinte qui les retient captifs, si vous leur ôtez le mors qui les rend tranquilles et soumis, ne voyez-vous pas qu'ils vont aussi jeter le trouble dans la société, dévorer leurs frères, vous dévorer (page 875) vous-mêmes ? Rappelez-vous les écarts de la révolution ; plusieurs ont été causés par des moines échappés du cloître. Robespierre doit son éducation à un homme religieux. »
Le livre où je lis ces lignes est approuvé par l'archevêque de Paris ; il est dû à l'abbé Pinard, il a pour titre : Des bienfaits du catholicisme.
Cet ouvrage est donné en prix aux élèves des écoles du clergé. Par conséquent, la droite ne peut pas se récrier contre ce qu'il dit ; et si cela est, on peut en conclure que les personnes cloîtrées ne sont pas précisément celles qui conviennent pour donner l'éducation à la jeunesse.
L'honorable M. Schollaert a parlé des écoles mixtes. Je ne veux pas les défendre ici ; personne, du reste, ne les avait préconisées. L'honorable M. Schollaert en a parlé longuement. Je me bornerai à faire remarquer que c'est une question à examiner. Aux Etats-Unis, les écoles mixtes produisent généralement de bons résultats. Du reste, on ne doit pas avoir tant de craintes relativement à la présence d'enfants des deux sexes dans l'école. Car on ne doit pas oublier qu'a la campagne les enfants jouent constamment ensemble sans distinction de sexes, aussi bien les enfants des classes riches que les enfants des classes pauvres.
Il ne faut pas non plus oublier qu'en retournant chez eux, chemin faisant, les enfants des deux sexes sont encore ensemble, que par conséquent les inconvénients de la fréquentation des sexes différents se retrouvent partout, même à l'église, où les enfants des deux sexes vont ensemble à la messe et aux offices. Ils vont aux champs pour sarcler ou glaner sans qu'on trouve une objection à la présence simultanée des filles et des garçons.
Mais enfin, c'est une question accessoire, c'est une question spéciale qui doit faite l'objet d'un examen et dont l'honorable M. Schollaert a été le premier à parler dans cette enceinte.
L'honorable M. Schollaert croit qu'il y a danger à voir une femme maîtresse d'école, parce qu'il se pourrait que les élèves du sexe masculin seraient bien plus attentifs aux charmes de cette personne qu'à son enseignement. S'il en était ainsi, ne pourrait-on pas demander, quand un pasteur d'une religion quelconque prêche dans une église, si les femmes ne sont pas plus attentives aux charmes du prédicateur qu'à son discours.
L'honorable M. Schollaert s'est montré très large vis-à-vis de ses adversaires, c'est une justice que je dois lui rendre ; ainsi il a reconnu que tous, dans cette assemblée, nous sommes tous parfaitement honnêtes ; il a même dit que sur les bancs de la Chambre il n'y a pas d'athées.
Il a même reconnu que l'on pouvait soutenir différentes thèses philosophiques sans être accusé d'athéisme ; il a rendu hommage à M. Jules Simon et à plusieurs rationalistes non moins distingués. Ce langage diffère de celui que j'ai souvent entendu de la part des catholiques.
Je me rappelle, entre autres, avoir entendu accuser d'athéisme un honorable professeur de l'université de Bruxelles qui a cependant combattu l'athéisme avec une grande énergie. Mais il suffit qu'il ait donné à l'idée de Dieu des attributs différents que ceux qu'on enseigne à Rome pour encourir l'accusation d'alliée, que les catholiques exploitent avec tant d'adresse. L'honorable M. Schollaert n'est pas de cette école ; je l'en félicite.
Il y a une grande différence entre la tolérance de l'honorable M. Schollaert vis-à-vis des penseurs et les doctrines de certains catholiques ; il m'a été rapporté qu'un des candidats catholiques de Gand a dit que les personnes qui n'ont pas suivi un cours de religion ou qui demandent l'exclusion du prêtre de l'école, étaient des personnes bonnes à fusiller.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Personne n'a dit cela.
M. Bergé. - Je suis heureux d'entendre démentir ce propos par un membre de la droite.
L'honorable M. Schollaert a parlé de la constitution du comité des écoles de la ville de Londres et il a dit : « Ce comité spécial, dans une ville aussi libérale que Londres, a adopté la Bible comme base de l'éducation morale et religieuse des enfants. »
Cela est très vrai et cela se comprend : c'est que jusqu'à présent l'enseignement tout entier était livré aux corporations religieuses et qu'il était impossible d'introduire d'un seul coup une réforme trop radicale..
Du reste, messieurs, la citation n'est pas complète ; il y a un point que l'honorable M. Schollaert a négligé de citer, c'est que ce même bureau des écoles n'appelle point le prêtre pour donner l'enseignement religieux et ne lui confie aucune inspection et que pour éviter tout froissement on a accordé à toutes les écoles où les parents réclameraient qu'il n'y eût pas d'enseignement de la Bible, le droit absolu de satisfaire à ces réclamations.
L'honorable M. Schollaert, dans son grand discours, a en quelque sorte plaidé les circonstances atténuantes, pour disculper la droite du vote qu'elle va émettre sur l'amendement qui est présenté et il l'a fait avec habilité ; mais l'honorable M. Schollaert a émis certaines idées que je ne puis partager et à l'égard desquelles je crois devoir dire quelques mots.
Il a dit, entre autres, en s'appuyant sur une citation empruntée à l'honorable M. Quetelet, que l'enseignement de la lecture et de l'écriture ne suffisait pas (et en cela je suis parfaitement d'accord avec lui), et que la moralité n'avait rien à gagner de cette simple connaissance de la lecture et de l'écriture ; il en a même conclu qu'en certains cas cela pouvait être plus dangereux qu'utile à la société.
Il est évident que l'enseignement de la lecture et de l'écriture ne suffit pas pour former la moralité d'une personne, peur donner à l'homme les notions indispensables pour se conduire convenablement dans la société, mais il reconnaîtra que c'est un des éléments indispensables pour acquérir les autres, que c'est le début de l'instruction, la clef de la science et l'introduction à toute étude ; à tout développement des facultés ; il faut donc commencer par là.
Si l'on consulte la statistique criminelle, on trouve que dans la période de 1856 à 1860, sur 1,384 condamnations, 264 seulement se rapportent à des individus nés et domiciliés en ville.
Sur ces 1,384 condamnés, 151 savaient lire et écrire convenablement, 53 seulement possédaient une instruction supérieure à la simple connaissance, de la lecture et de l'écriture. Tout le reste, c'est-à-dire 1,200 condamnés étaient illettrés.
Sous le rapport des professions, on trouve la confirmation de ce que j'avance ; plus les professions exigent une instruction un peu développée, moins il y a de condamnés. 458 exerçaient des professions où l'intelligence n'a pas à intervenir grandement ; c'étaient des cultivateurs, des bûcherons, des terrassiers ; 38 exerçaient l'état de charretier ou de batelier ; 91 étaient domestiques ; 155 étaient des gens sans aveu, ne connaissant aucun métier ; 62 seulement exerçaient des professions libérales, on y rencontre des employés de l'Etat et des ecclésiastiques ; 89 étaient négociants, employés de commerce, colporteurs, etc.
Vous voyez donc que l'instruction constitue un élément indispensable pour assurer la moralité, puisque c'est parmi les personnes instruites que l'on constate le moins de délits et le moins de condamnations.
On nous a parlé, messieurs, de la femme des Etats-Unis L'honorable M. Schollaert se préoccupait, à juste titre, du sort qui doit être réservé à la femme et de la nécessité de l'enlever aux travaux rudes et dégradants, mais l'honorable M. Schollaert commettait une contradiction quand il s'oppose à ce qu'on lui donne, par l'instruction, le moyen de sortir de cette misérable position.
Ainsi il trouvait, mais sans oser cependant se prononcer d'une manière absolue, que l'instruction de la femme est suffisante.
D'autre part, dans le même discours, il reconnaissait que la femme est livrée aux travaux les plus grossiers, qu'on l'emploie comme force motrice, comme bête de somme. Mais, encore une fois, cela prouve qu'elles n'ont pas assez d'instruction, car, s'il en était autrement, elles pourraient se soustraire, aux travaux dont parlait l'honorable M. Schollaert. Que voyons-nous aux Etats-Unis ? Un écrivain belge qui voyage aux Etats-Unis depuis plusieurs années, et qui a pu juger d'une manière impartiale, M. Houzeau, écrivait ceci sur les femmes en Amérique :
« La plupart des voyageurs, frappés de ce trait remarquable, qui tranche si fortement sur les sociétés de l'ancien monde, ont essayé d'en pénétrer les causes. On a cité, en premier lieu, l'excellence des écoles publiques, dans lesquelles les jeunes filles puisent une première instruction sérieuse. On mentionne ensuite l'organisation de la vie américaine, qui accorde aux femmes, même à celles qui travaillent, certains loisirs et des facilités relatives pour cultiver leur esprit. Les femmes des Etats-Unis, dit-on, vivent dans l'intérieur des maisons ; les occupations qui leur sont dévolues ne les appellent pas au dehors et ne sont ni fatigantes, ni rudes. Dans le ménage, leur besogne est simplifiée par l'emploi d'une grande variété d'appareils mécaniques. Aussi n'y a-t-il guère aux Etats-Unis qu'une seule classe de femmes : ménagères, à certaines heures, avec l'aide des machines, et se consacrant ensuite à l'étude et à la lecture. En Europe, au contraire, il n'y a de femmes polies que parmi les oisives, incapables de se subvenir à elles-mêmes et d'exister sans le secours d'un autre, et il n'y a guère de femmes utiles que parmi celles qui descendent au rôle de servantes, empruntant de ce rôle jusqu'à l'impolitesse et l'ignorance.
« Toujours est-il que les Américaines ont trouvé le secret d'opérer l'alliance entre la femme utile et la femme polie, et elles doivent probablement leurs qualités acquises à ce genre de vie. De plus, aux Etats-Unis, les mœurs protègent admirablement le sexe féminin ; elles exigent qu'on traite les (page 876) femmes avec déférence, avec respect ; ce n'est pas là qu'on les attèlerait au train d'une charrue, ni qu'on les emploierait a porter des fardeaux. Les étrangers sont tout étonnés des égards dont les hommes se plaisant à les entourer. C'est la un trait national propre à l'Amérique, car il frappe, comme une nouveauté, les voyageurs anglais, aussi bien que ceux du continent européen. Basil Hall, Marryat, Dickens et beaucoup d'autres en parlent sous l'impression de l'imprévu et d'un véritable étonnement. Pour nous donner une idée de ces marques générales de respect, dans ce qu'elles ont de plus saillant et de plus visible, ils nous disent que, dans tous les lieux publics, dans les hôtels, sur les chemins de fer, à la table des bateaux, on ne s'occupe des hommes qu'après que toutes les femmes sont convenablement servies ou installées. N'est-ce pas, de la part des hommes, une sorte d'aveu de la haute valeur de la femme américaine ? N'est-ce pas au moins un hommage rendu aux mérites, sinon à la supériorité que les hommes reconnaissent dans leurs compagnes ? » (Revue de Belgique.)
L'auteur continue le développement de sa proposition dans cet excellent article, que je recommande à l'honorable M. Schollaert. Il se recrie aussi contre l'emploi de la femme aux rudes labeurs et il démontre qu'aux Etats-Unis, grâce à l'éducation qui leur est donnée, on leur réserve une autre mission plus digne d'elles et plus conforme à leurs facultés.
M. Schollaert trouvait étrange, avec d'autres membres de la droite, qu'on donne à la femme américaine une éducation soignée, qu'on lui permette même de fréquenter les universités. L'honorable M. Frère vous a démontré qu'à des époques déjà bien éloignées, tout cela se pratiquait en Europe sans soulever aucune plainte et qu'on s'en félicitait dans l'intérêt de tous.
Aux Etats-Unis, nous voyons la femme se livrer à certains travaux que nous voudrions leur voir pratiquer également dans notre pays. Quel inconvénient y'aurait-il, au point de vue de la morale, à voir la femme se livrer à. la pratique des accouchements ? Ce serait plutôt un avantage.
M. Van Wambeke. - Elle s'en occupe.
M. Bergé. - Vous approuvez aussi la chose ? Il faut donc développer l'instruction de la femme pour la rendre apte à ces travaux.
M. Schollaert s'est fait l'apologiste de la femme chrétienne ; il en a fait un long panégyrique. Mais la femme chrétienne a-t-elle été attaquée dans cette enceinte ? qui donc l'a attaquée ? qui donc a dit que la femme chrétienne est immorale ? Personne. M. Schollaert prenait donc la défense de ce qui n'avait pas été attaqué.
Mais il y a une différence entre la femme chrétienne d'une manière générale et la femme qui a reçu une éducation chrétienne spéciale, dirigée dans un sens déterminé ; ainsi on peut critiquer l'enseignement qui se donne dans certains établissements religieux ; on ne condamne pas pour cela d'une manière générale les femmes chrétiennes.
M. Schollaert a été dur à la fin de son discours ; il a fait l'éloge de la femme chrétienne, ce qui était inutile, mais ce qui était son droit ; puis il a été plus loin et il a demandé où, ailleurs que dans la femme chrétienne, on trouverait une personne civilisée et vertueuse ; il a exclu, pour ainsi dire, de la civilisation toutes les femmes qui ne seraient pas le fruit du développement du christianisme.
Eh bien, au moment où il parlait, une parole est partie de nos bancs, et comme objection on lui disait : Vous oubliez donc la femme israélite ! Et en effet, est-ce que la femme israélite est moins morale, moins instruite, est-ce qu'elle est moins sérieuse, moins aimante, moins bonne mère, moins bonne épouse et moins bonne sœur que la femme chrétienne, à quelque branche du christianisme qu'elle appartienne ? Non, la femme israélite présente toutes les qualités du cœur et de l'esprit de la femme chrétienne ; vous lui voyez donner des preuves de charité et de dévouement.
Comme la plupart des femmes chrétiennes, la femme israélite à la même élévation de pensée, la même dignité ; elle n'a pas la conscience asservie par d'aussi nombreux dogmes. La femme israélite respecte son culte comme la femme chrétienne obéit au dogme chrétien, mais il y a plus de spontanéité chez elle que dans la femme catholique ; elle est plus libre dans l'appréciation des faits ; elle relève davantage de sa conscience, elle relève moins que la femme catholique d'un directeur ecclésiastique. C'est là ce qui fait la supériorité, dans beaucoup de cas, de la femme israélite sur une certaine espèce de femme chrétienne, sur la femme qui se trouve en quelque sorte rivée à son confesseur, à son guide de conscience.
Et à côté de la femme israélite, n'avons-nous pas la femme rationaliste ? Et quand hier l'honorable M. Schollaert faisait l'éloge de M. J. Simon, quand il disait que c'est un honnête homme, quand il approuvait ses écrits, lorsqu'il se constituait, dans une certaine mesure, le défenseur de ces doctrines, il devait ne pas oublier que, de même qu'il y a des hommes qui pratiquent le rationalisme, il y a des femmes qui partagent les mêmes principes ; par conséquent il ne faut pas accorder au christianisme le monopole exclusif de la vertu.
Mais nous savons fort bien ce qu'il y a au fond de cette pensée : c'est toujours l'idée du catholicisme. Ce n'est pas la femme chrétienne qu'on vient défendre dans cette enceinte, c'est la femme catholique !
Vous n'avez pas voulu faire l'éloge de la femme protestante, que vous attaquez dans d'autres circonstances, et ce n'est pas la femme chrétienne dont vous avez pris la défense, d'abord parce que personne ici ne l'a attaquée et qu'elle n'avait par conséquent pas à être défendue ; mais ce que vous cherchez à établir, c'est la prépondérance de l'élément religieux ; c'est l'immixtion du prêtre dans l'école. C'est parce qu'on veut livrer l'enseignement tout entier aux mains du clergé, qu'on vient faire ici l'éloge de la femme chrétienne.
Et ne me demandez pas la preuve de ce que j'avance, vous la trouverez dans les paroles que prononçait M. l'évêque de Namur à l'occasion de son mandement ; c'est la justification la plus formelle de mon opinion. Que dit ce mandement ?
C'est qu'il ne faut accorder de position dans l'enseignement qu'à ceux qui pratiquent entièrement les principes du catholicisme ; c'est là une condition nécessaire, indispensable de la part aussi bien de l'instituteur de l'école primaire ou moyenne que de l'enseignement supérieur : il faut avant tout être un homme religieux et pratiquant ses devoirs de piété.
Et non seulement l'instituteur, le professeur devra aller à la messe, pratiquer ses devoirs religieux ; il faut encore, c'est toujours l'évêque de Namur qui parle, il faut encore qu'il se garde bien que, dans l'église, un sourire se présente sur ses lèvres, parce que si un élève venait à surprendre ce sourire, la discipline ecclésiastique, le respect absolu pour l'Eglise pourraient en être altérés.
« Qu'on ne vienne pas nous objecter, dit-il, que d'après la Constitution tous les Belges peuvent prétendre aux emplois. Ce que nous disons ici n'a rien de contraire à ce principe d'égalité de tous les citoyens devant la loi, à moins qu'on ne veuille soutenir qu'en vertu de ce principe, tous les Belges peuvent prétendre aux emplois, sans qu'ils soient aptes à les remplir. Certes, pour prétendre à un emploi, la première de toutes les conditions, c'est d'avoir l'aptitude qu'il exige et de même que nul n'est admis aux autres professions publiques sans avoir donné des preuves de capacité, ainsi nous regardons comme inhabile à exercer les fonctions d'instituteur de la jeunesse catholique, quiconque n'est pas animé de sentiments sincèrement chrétiens, quelle que puisse être d'ailleurs la grandeur de ses talents et de sa science. » (Interruption.)
Notez bien, messieurs, que ce programme ne s'applique pas à certains établissements particuliers congréganistes, à l'égard desquels l'évêque de Namur aurait évidemment le droit de parler comme il l'entend ; mais il s'applique parfaitement aux établissements de l'Etat.
M. Delcour. - Mais non !
M. Bergé. - Comment non ! Mais cela se trouve parfaitement dans le mandement. C'est le mandement qui déclare que c'est pour le gouvernement un devoir de ne nommer instituteurs et professeurs que des hommes remplissant les conditions qu'il prescrit.
M. Bouvier. - C'est cela, il faudra un certificat de l'évêque !
M. Bergé. - L'évêque de Namur, dans son mandement de cette année, déclare nettement que l'autorité publique, quelle qu'elle soit, ne peut confier l'enseignement de la jeunesse à des professeurs qui ne sont pas profondément catholiques.
Voilà, messieurs, quelles sont les prétentions du clergé ; et voilà ce que veut la majorité de cette assemblée.
Vous voulez la domination absolue de l'Eglise catholique ; nous, au contraire, nous sommes là pour défendre la liberté des cultes ; nous sommes là pour empêcher qu'on ne porte atteinte à la conscience des citoyens. N'y eût-il qu'un seul opprimé, la conscience de tous en souffrirait.
La liberté doit être absolue ; elle ne doit pas être un privilège, le privilège d'une majorité.
Et quand on vient parler ici d'une religion nationale, nous devons protester : il n'y a pas de religion nationale.
Nous sommes tous des citoyens libres ; chacun exerce son culte comme il l'entend ; il doit jouir à cet égard d'une liberté pleine et entière comme il doit y avoir liberté entière et pleine pour le citoyen qui veut s'abstenir,
M. Cruyt. - Je demande la parole pour un fait personnel.
(page 877) M. Cruyt. - Bien que les paroles que M. Bergé vient de me prêter soient bien éloignées et de ma pensée, et de ce que j'ai jamais dit, je crois néanmoins y reconnaître une allusion à des paroles que j'ai prononcées, à Gand, avant les élections du 14 juin. Je n'ai jamais, Dieu merci, voulu fusiller personne. Ce ne sont pas les catholiques qui fusillent. (Interruption.) Ils l'ont souvent été eux-mêmes par leurs adversaires, et quand ils ne sont pas fusillés matériellement, ils le sont souvent, comme ils viennent de l'être encore dans cette enceinte, par la calomnie.
Ce que j'ai dit au mois de juin, je le maintiens ici à la face du pays. J'ai dit et je répète qu'un peuple sans religion était un peuple ingouvernable. Eh, mon Dieu, que voyons-nous aujourd'hui même ? Nous avons, à nos portes, une ville où l'athéisme domine, une ville sans religion, Paris ; nous voyons dans quelle affreuse anarchie Paris, à défaut de tout frein religieux, se trouve tombé.
Ce lamentable exemple ne vient-il pas confirmer d'une manière éclatante ce que j'ai dit au mois de juin ? Si cet exemple n'est pas de nature à vous ouvrir les yeux, quelles autres preuves pourront donc vous convaincre ?
M. Bergé. - Vous comprenez, messieurs, qu'après les paroles qui viennent d'être prononcées, il m'est impossible de me taire. On a parlé de calomnie. Oublie-t-on que, d'après le règlement, il est interdit d'imputer à ses collègues des intentions mauvaises ?
Je n'ai pas même cité le nom de M. Cruyt. Je vais en dire la raison : c'est que le nom de M. Cruyt était sorti de mon esprit.
M. Cruyt. - J'ai soutenu que la religion est un besoin social, et à l'appui de mon opinion j'ai cité un mot qui n'est pas de moi, mais de Napoléon Ier ; il a dit : « Un peuple sans religion n'est bon qu'à mitrailler, » voulant signifier, à sa manière, qu'un tel peuple ne peut être gouverné que par l'emploi de la force.
M. Bergé. - Messieurs, je ferai mes sincères excuses à M. Cruyt ; au lieu de « fusiller », c'était « mitrailler » que j'aurais dû dire.
- Voix à droite. - La clôture !
M. le président. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Je demande la parole.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Cornesse, ministre de la justice - Messieurs, le débat, dans vos séances de hier et d'avant-hier, s'était élevé à une très grande hauteur. Aujourd'hui le dernier orateur que nous venons d'écouter l'a fait descendre... (Interruption.)
M. Bouvier - Comment descendre ? (Interruption.)
- Voix à droite. - Oui ! oui !
M. Cornesse, ministre de la justice. - ... l'a fait descendre à des détails et à des citations qui ne me paraissent pas rentrer dans l'objet soumis spécialement à l'examen de la Chambre. (Interruption.)
- Un membre. - Les citations vous gênent.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Ces citations ne me gênent pas du tout, et je suis, au contraire, tenté de remercier l'honorable M. Bergé de la franchise et de la netteté qu'il apporte généralement à cette tribune dans l'exposé de ses idées et de ses convictions.
L'honorable député de Bruxelles a prononcé un mot que je tiens à relever, parce qu'il m'a vivement froissé.
Il s'est interrompu dans l'une de ses citations pour dire que le langage de l'auteur qu'il lisait sentait l'égout.
Un membre de la gauche s'est écrié : « Dites la sacristie, » et l'honorable M. Bergé, reprenant cette expression pour la faire sienne, s'est approprié ainsi une comparaison inconvenante entre l'égout et ce que je puis en quelque sorte appeler le sanctuaire de la religion catholique. (Interruption.)
- Voix à droite. - Très bien !
M. Cornesse, ministre de la justice. - Vous avez applaudi tous ou presque tous, messieurs les membres de la gauche, à cette comparaison malséante !.
Et vous viendrez, après cela, vanter vos sentiments religieux ! Vous viendrez après cela nous dire sérieusement... (Interruption.) que dans le débat ouvert devant la Chambre, votre but final n'est autre que le respect et la propagation du sentiment religieux, sa diffusion, son expansion !...
L'honorable M. Frère-Orban reprochait hier aux catholiques, vous vous en souvenez, messieurs, de ne savoir pas propager et développer assez efficacement dans le peuple l'influence religieuse. Les catholiques, selon lui, ne feraient de l'enseignement qu'une question de prépondérance et de domination. Ils n'ont fait que du paganisme et rien de plus. L'honorable membre déplorait cette situation. Il n'y a pas, disait-il, assez de sentimentt religieux en Belgique.
Il voudrait voir les diverses classes de la société s'occuper de l'idée religieuse...
Et quand il parlait ainsi de la religion, l'honorable M. Frère avait apparemment en vue la religion catholique, qui est celle de l'immense majorité de la population belge ; car si la religion catholique n'est pas une religion d'Etat, ce que la Constitution proscrit et condamne, on peut dire qu'étant en réalité celle de la presque unanimité des Belges, elle est vraiment la religion nationale. (Interruption.)
M. David. - C'est inconstitutionnel.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Eh bien, messieurs, je compare le langage tenu par M. Frère avec celui tenu aujourd'hui par M. Bergé et approuvé par la gauche. Je signale au pays le contraste de ces deux langages et je me demande ce que deviendrait en Belgique le sentiment religieux si la direction en appartenait à nos adversaires !
Messieurs, je ne veux pas suivre M. Bergé dans tous les détails où il s'est complu. La Chambre paraît désireuse d'en finir avec cette discussion qui a déjà été extrêmement longue. Il me paraît néanmoins nécessaire de la replacer sur son véritable terrain, celui de l'amendement de l'honorable M. Muller.
Toute la question soumise en ce moment à la Chambre consiste à savoir si M. le ministre de l'intérieur a bien fait, s'il s'est conformé à la Constitution en ne maintenant pas la proposition de l'honorable M. Pirmez de porter au budget une somme de 50,000 francs pour être distribuée en subsides aux communes qui ont organisé ou qui organiseraient l'enseignement moyen des filles.
Je dois dire d'abord que j'incline vers l'opinion qui admet la liberté pour la commune de créer ou de subsidier des établissements d'enseignement moyen pour les filles. La commune, selon moi, est en quelque sorte, dans notre pays, l'être moral type. Elle a une capacité extrêmement étendue.
L'article 108 de la Constitution et l'article 75 de la loi communale lui accordent des pouvoirs considérables. Tout ce qui est d'intérêt communal rentre dans ses attributions.
Or, on peut certainement dire que quand une commune juge que les nécessités publiques exigent la création d'un établissement d'enseignement moyen des filles, il y a en jeu un intérêt communal de premier ordre. Elle doit donc pouvoir établir chez elle un enseignement de cette nature, si elle le fait à ses frais, sur ses propres ressources, sans rien demander à l'Etat. Il serait d'ailleurs difficile et dangereux de méconnaître ce droit aux grandes communes qui, seules, ont intérêt et les ressources suffisantes pour créer ces établissements. Telle est, messieurs, l'opinion vers laquelle j'incline.
Mais cette opinion a rencontré des contradicteurs très sérieux ; elle a été fortement combattue, notamment sur les bancs de la gauche.
On peut dire d'abord que cet enseignement, organisé par les communes en dehors de toute prescription légale, serait contraire à l'article 17 de la Constitution, qui exige que l'instruction publique donnée aux frais de l'Etat soit réglée par la loi.
Or, quand la Constitution parle de l'Etat, entend-elle parler non seulement de l'Etat proprement dit, mais encore de la province et de la commune ? Beaucoup de bons esprits l'ont soutenu et le prétendent.
M. Frère-Orban. - La droite a soutenu le contraire.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Mais la gauche est allée plus loin ; elle est allée jusqu'à soutenir, en matière d'instruction publique, les principes que je résume de la façon suivante :
Les communes ne peuvent s'occuper que d'intérêts communaux. En matière d'intérêts généraux, elles n'ont d'autres attributions que celles qui leur sont formellement déléguées par le pouvoir central, par le pouvoir législatif.
L'instruction publique à tous les degrés est essentiellement d'intérêt national, d'intérêt général ; donc, les communes n'ont, en matière d'instruction publique, aucune espèce de capacité, à moins d'une délégation formelle, expresse du législateur.
Telle était la thèse, messieurs, que soutenait, il n'y a pas bien longtemps, la grande majorité de la gauche, qui aujourd'hui nous accuse en masse d'être les partisans de l'ignorance et les ennemis des lumières, les ennemis du développement de l'instruction publique, parce que nous ne nous rallions pas à l'amendement de l'honorable M. Muller.
Oui, messieurs, des voix autorisées soutenaient naguère, à gauche, que (page 878) c’était une erreur fondamentale de reconnaître aux communes le droit de créer des établissements moyens en dehors d'une délégation expresse de la loi ; que le système de la liberté des communes, en cette matière, est condamné par la Constitution, par les lois sur l'instruction publique, par les véritables intérêts de la société, de la science et de la liberté.
Je vais immédiatement prouver, par des citations décisives et concluantes, ce que j'affirme en ce moment.
J'emprunterai mes citations à un des orateurs les plus écoulés de la gauche, parlant, après une longue préparation et avec mûre réflexion, dans une occasion gravé, solennelle, où il était l'organe de la majorité de ses amis politiques.
Ecoutez, messieurs !
L'orateur se demande d'abord quelle est la capacité des communes en général ?
« Il y a dans toute société deux sortes d'intérêts : les intérêts individuels et les intérêts publics.
« Les intérêts publics se subdivisent dans notre pays en intérêts généraux, en intérêts provinciaux et en intérêts communaux. Cette division est élémentaire ; elles est reconnue par les écrivains, elle est déposée dans la Constitution et dans toutes nos lois politiques. C'est pour ne l'avoir pas bien comprise, pour n'avoir pas su en déduire les conséquences logiques qu'on est tombé dans les plus étranges erreurs.
« Les matières d'intérêt général, bien qu'intéressant les communes et les provinces, doivent être réglées par la généralité des citoyens, par la nation, qu'il ne faut pas confondre avec le gouvernement, qui n'a que des pouvoirs d'exécution.
« Les matières d'intérêt général sont réglées par le législateur, par les représentants les plus fidèles, les plus vrais, les membres des deux Chambres et le Roi...
« A la nation, le soin des intérêts généraux.
« A la province, le soin des intérêts exclusivement ou principalement provinciaux.
« A la commune, le soin des intérêts exclusivement ou principalement communaux.
« Ceux-là ne savent pas respecter les limites des pouvoirs qui donnent à la commune le droit de régler les intérêts généraux et à la nation celui de régler les intérêts principalement communaux.
« Cette doctrine est consacrée par la Constitution que personne ne peut violer. Au titre des Pouvoirs, l'article 31 dispose que les intérêts exclusivement provinciaux et communaux sont réglés par les conseils provinciaux et communaux. Quand il ne s'agit plus d'un intérêt exclusivement provincial et communal, c'est la nation qui doit intervenir, parce que la commune ne peut pas poser des actes qui peuvent être préjudiciables à la généralité des citoyens. »
Voilà, messieurs, quant à la capacité des communes, et cette thèse était détendue à l'aide d'autorités très nombreuses, et, selon l'orateur, irréfutables.
L'orateur de la gauche terminait ainsi :
« Ainsi, messieurs, accord complet de tous les jurisconsultes sur la question. Pas un, à l'heure qu'il est, n'a soutenu que la commune ait, en matière d'intérêt général, des droits qui ne lui aient pas été conférés par la loi ou par un arrêté du pouvoir exécutif. Pas de délégations, pas d'attributions, voici ce qui résulte des enseignements de la science. »
Ce premier point établi, messieurs, l'orateur auquel j'emprunte cette citation peut-être un peu longue, mais à coup sûr extrêmement intéressante au point de vue de la question soumise à la Chambre, l'orateur se demandait si l'instruction publique à tous les degrés est d'intérêt général.
« Dois-je prouver, s'écriait-il, que l'instruction publique est d'intérêt général ? Mais qui oserait le contester ? Même pour l'enseignement primaire, la nation tout entière est intéressée non seulement à ce que, dans chaque commune, il y ait des écoles, mais à ce qu'il y ait dans chaque commune de bonnes écoles et non pas telle ou telle école, tel ou tel enseignement. C'est là un principe incontestable. Si l'instruction n'était pas un intérêt général, comment la loi aurait-elle le droit de forcer la commune à avoir une école ? Et comment pourrait-on soutenir, comme le font une partie de nos adversaires, que l'enseignement doit être obligatoire ? » L'orateur continue :
« La loi de 1850 considère encore l'enseignement moyen comme un intérêt général ; elle place sous son contrôle tous les établissements d'instruction moyenne.
« Il y a plus, écoutez : voici la condamnation de votre thèse. L'article 30 dispose comme suit :
« Les provinces et les communes, soit seules, soit aidées de la province, en se conformant aux conditions exigée par les articles 6, 7, 8, 9 et 10 de la présente loi, pourront créer ou entretenir des établissements d’instruction moyenne soit du premier, soit du second degré, dont elles auront l’administration. »
« Si la commune avait eu le droit de créer des établissements, en vertu de ses attributions propres, pourquoi lui accorder cette faculté ? Et on ne la lui accorde pas d'une manière absolue ; on l'oblige à observer les articles 6, 7, 8 et 9 de la loi.
« Ainsi vous ne pouvez créer une nouvelle école moyenne ou subsidier une école moyenne privée sans observer les articles 6, 7, 8 et 9 de la loi. Je vous demande ce que c'est que votre liberté de la commune de créer des établissements d'instruction ?
« En matière d'instruction moyenne, la délégation de la loi est donc formelle ; la commune ne peut agir qu'en vertu d'un pouvoir qui lui est délégué par l'article 30 de la loi. »
Poursuivant sa démonstration, l'orateur appliquait à l'instruction primaire ce qu'il venait de dire de l'enseignement moyen.
Ensuite, messieurs, allant plus loin dans cette voie, il disait, et je rends la Chambre attentive à cette dernière citation :
« Ni l'histoire, ni nos anciennes libertés communales, ni la Constitution belge, ni les lois sur l'instruction publique n'ont mis dans les attributions des communes l'enseignement moyen... Il devait en être ainsi comme je viens de le démontrer. Je crois donc avoir fait justice des reproches adressés au rapport d'avoir porté atteinte aux libertés provinciales et communales. Je puis, du reste, me rassurer quand je vois que les conseils provinciaux et communaux, qui sont certes les meilleurs gardiens des prérogatives de ces corps publics, ne réclament pas contre un projet qui, dit-on, mutile leurs libertés. »
L'orateur examine ensuite de plus près quelle limite la loi trace en cette matière à l'action du pouvoir communal.
« M. Tielemans, dit-il, se demande, si une commune, après avoir rempli les obligations qui lui sont imposées par la loi, après avoir concouru, dans la mesure de ces obligations, à réaliser le système d'enseignement réglé et ordonné par la loi, ne peut rien faire de plus pour étendre et multiplier les bienfaits de l'instruction dans l'intérêt de ses habitants.
« Mil. Tielemans et Van Humbecck répondent oui ; je réponds non, et pour répondre non je m'appuie sur le Répertoire de M. Tielemans, sur la Constitution, sur les lois sur l'instruction publique, et sur les véritables intérêts de la société, de la science et de la liberté.
« L'instruction publique est d'intérêt général ; M. Tielemans le reconnaît, M. Van Humbeeck aussi.
« Or, en matière d'attributions d'intérêt général la commune n'en a qu'autant que la loi ou un arrêté royal lui en ont conféré. ; ce n'est que par délégation que la commune a des attributions d'intérêt général. Pas de délégation, pas d'attribution. Or, la loi, en matière d'instruction primaire, défend formellement à la commune de faire plus que ce qu'elle prescrit. Dès que la commune a accordé un centime pour une école, cette école devient publique, elle tombe sous le régime de la loi.
« Ce système a triomphé même sous M. De Decker. Mais, s'écrie M. Van Humbeeck, je ne pourrais pas, moi, commune, ajouter, par exemple, une chaire d'économie politique à l'enseignement primaire ? Non, sans le consentement de l'autorité supérieure ; et, si le gouvernement autorisait l’établissement de cette chaire d'économie politique, cet enseignement deviendrait public et serait régi par toute les dispositions de la loi de 1842.
« Si une commune pouvait, à son gré, créer un enseignement public, ouvrir un cours d'économie politique, une autre commune pourrait instituer une chaire d'histoire d'après le pire Loriquet, une autre une chaire d'organisation sociale selon Proudhon, une autre une école supplémentaire dirigée par M. le curé. Que pourrait-on leur dire ? La commune se servirait du système de M. Van Humbeeck, elle dirait : J'ai rempli mes obligations, j'ai des écoles en nombre suffisant, j'ai des instituteurs bien payés ; il est de l'intérêt des habitants de la commune de connaître l'histoire d'après le père Loriquet, d'être initiés à la science sociale de Proudhon. J'ai le droit d'ajouter de pareils cours à ceux établis par la loi.
« Je comprends ce droit pour les citoyens, je ne le comprends pas pour les corps publics.
« Je comprends que des citoyens fassent ce que veut M. Van Humbeeck, mais non des corps publics. C'est contraire à tout ce qui s'est vu en matière d'instruction publique. Ce serait introduire l'anarchie dans l'instruction publique.
« Et, messieurs, je ne coupe pas les ailes aux communes ; si l'une d'elles croit que des branches d'enseignement doivent être ajoutées à (page 879) celles prescrites par la loi, elle a son droit, c’est de s’adresser au pouvoir central, qui l’autorisera ; et la loi de 1842 sera appliquée entièrement au cours dont elle aura augmenté l’enseignement primaire. Je ne veux pas et la loi ne veut pas qu’un centime soit dépensé par la commune sans contrôle du pouvoir central : sinon nous retournons aux petits frères et aux petites sœurs.
« La loi de 1842 ne vous donne donc pas de droit : vous n'en avez pas non plus en vertu de la loi de 1850.
« J'ai cité l'article 30 de cette loi ; il autorise la commune à créer des écoles, à la condition d'observer certaines règles, et notamment celle qui défend à la commune de déléguer ses droits à des tiers sur les établissements qu'elle créerait et elle veut que ces établissements soient soumis à la surveillance du gouvernement. La loi défend donc de créer un enseignement moyen en dehors de la loi de 1850. »
Tel est, messieurs, le langage que tenait, comme je le disais, un orateur des plus autorisés de la gauche, déniant aux communes, de la manière la plus formelle, le droit de créer des établissements d'instruction en dehors d'une délégation formelle et expresse de la loi, disant que l'opinion soutenue par MM. Tielemans et Van Humbeeck...
M. Bara. - Je demande la parole.
M. Cornesse, ministre de la justice. - ... était une opinion condamnée par la Constitution, par la loi sur l'instruction publique, par les intérêts de la science, de la liberté, de la société tout entière.
Et quel est l'orateur qui tenait ce langage ? Vous venez de le comprendre en lui entendant demander la parole. C'est l'honorable M. Bara. (Interruption.)
M. Bara. - Je l'avais déjà dit.
M. Cornesse, ministre de la justice. - C'est M. Bara, rapporteur de la loi des bourses et n'émettant pas alors une opinion personnelle, isolée, qui n'engageait que lui-même, mais énonçant une opinion acceptée par la majorité de la Chambre et par le gouvernement d'alors.
Eh bien, messieurs, je me demande comment il sera possible à M. Bara, qui a émis sur la liberté communale et sur les droits de la commune l'opinion que je viens d'avoir l'honneur de rappeler, de voter pour l'amendement de M. Muller qui tend, en définitive, à mettre aux mains du gouvernement une somme de 50,000 francs pour la donner en prime aux communes qui créent en dehors de toute prescription légale un enseignement moyen pour les filles ? Car il est une chose hors de conteste, reconnue par tout le monde, à gauche et à droite, c'est que l'enseignement moyen des filles n'est pas réglé par la loi, c'est que la loi de 1850 ne l'a pas organisé. Or, si les communes n'ont pas de capacité sans délégation, il est impossible que nous votions, nous législateurs, une somme de 50,000 fr. pour être distribuée à des communes qui violeraient ouvertement la loi et la Constitution.
Voilà, messieurs, un premier point sur lequel la gauche fera bien de se mettre d'accord ? (Interruption.)
Je me demande comment M. Bara conciliera son opinion avec celle de M. Muller et pourra voter l'amendement de celui-ci ?
Il ne le pourra qu'en donnant l'exemple de la plus éclatante palinodie. (Interruption.)
Une seconde question doit être examinée par la Chambre.
En acceptant comme point de départ la liberté de la commune, en reconnaissant sa capacité, les Chambres peuvent-elles porter au budget une somme de 50,000 francs en faveur de l'enseignement moyen des filles sans que cet enseignement soit préalablement organisé par la loi ? (Interruption.)
Pouvons-nous, par un article du budget, reconnaître et consacrer un enseignement non organisé par la loi ? Sur cette question, je n'hésite pas à répondre négativement.
Nous sommes ici en présence d'une prescription constitutionnelle qui s'impose au législateur. L'article 17 de la Constitution dit expressément que l'instruction publique donnée aux frais de l'Etat doit être réglée par la loi. Or, une loi de budget n'a pas pour but et ne peut avoir pour résultat de régler ni d'organiser une branche quelconque de l'instruction publique ; le budget n'est pas et ne peut être la loi de réglementation de l'instruction publique qu'exige la Constitution.
Aussi, quand il s'est agi d'organiser l'instruction publique à tous les degrés, instruction primaire, instruction moyenne, instruction supérieure, le législateur s'est cru dans la nécessité de faire des lois spéciales ; les lois de 1835, de 1842 et de 1850 ont été l'exécution de l'article 17.
Eh bien, si la Constitution nous impose l'obligation de déterminer par des lois les conditions de l'enseignement à tous les degrés, donné aux frais de l'Etat, le législateur peut-il porter des fonds au budget pour être distribués aux communes en faveur d'un enseignement que, de l'aveu de tous, la loi n'a point organisé ?
Le pouvoir exécutif, le gouvernement ne pourrait créer un établissement d'enseignement moyen de filles sans une loi organique sur la matière.
Peut-il faire indirectement ce qu'il ne peut faire directement ? Peut-il faire par l'intermédiaire, par l'interposition des communes ce que la Constitution lui interdit de faire lui-même ?
Quant à moi, je ne le pense pas. (Interruption.) On me dit qu'on l'a fait depuis 1830 jusqu'en 1850 ; mais l'honorable M. Bara se chargera de répondre à l'interruption. L'honorable M. Bara, en effet, a soutenu que tout ce qui s'était fait jusqu'en 1842 pour l'enseignement primaire et jusqu'en 1850 pour l'enseignement moyen, avait été irrégulier et illégal. Je n'invente rien, messieurs ; voici comment s'exprimait sur ce. point l'honorable M. Bara dans la même discussion à laquelle j'empruntais mes citations de tantôt :
« Après la révolution de 1830, les communes eurent des établissements,, mais comment ? La Constitution de 1830 n'avait rien changé aux principes ; nous l'avons vu, l'Etat était toujours chargé du soin de l'instruction publique ; l'Etat devait toujours régler cette instruction, mais, préoccupé par d'autres soins, il ne remplit pas son devoir.
« On attendit bien longtemps avant d'avoir un régime sur l'instruction publique ; nous n'avons eu qu'en 1835 une loi sur l'instruction supérieure,, en 1842 une loi sur l'enseignement primaire et en 1850 une loi sur l'enseignement moyen. Qu'arriva-t-il ? Que des communes créèrent des écoles et des collèges. C’était un état de choses irrégulier. Pourrait-on se plaindre de ce que la commune usurpait les droits de la nation, quand la nation désertait ses devoirs ? »
Ainsi, messieurs, état de choses illégal, irrégulier, usurpation par les communes des droits de l'Etat, voilà ce qu'a été, d'après l’honorable M. Bara, l'état de fait que vous invoquez pour justifier l'innovation que vous voulez introduire ! Mais, je me hâte de le dire, l'état de choses antérieur aux lois organiques de 1842 et de 1850 a été parfaitement justifié, par M. le ministre de l'intérieur dans le remarquable discours qu'il a prononcé à la séance du 18 mars.
Vous le savez, messieurs, il existe un décret du 12 octobre 1830 en vertu duquel l'Etat pouvait, avant que l'enseignement fût réglé par la loi, accorder des subsides, des encouragements aux universités, aux collèges, à l'enseignement élémentaire. La Constitution n'a pas réglé la matière de l'enseignement, elle a laissé ce soin au législateur.
Le gouvernement provisoire, en faisant son décret de 1830, avait supposé que le Congrès organiserait lui-même cette matière, comme il l'a fait pour la presse ; c'est pourquoi la mesure qu'il avait prise devait subsister jusqu'à l'époque de l'organisation par le Congrès lui-même. Mais celui-ci, comme je viens de le dire, n'a pas organisé l'enseignement ; il s'est borné à poser le principe :« L'instruction publique sera réglée par la loi.» Il s’en est remis à la législature ordinaire pour l'organisation. Par conséquent aussi longtemps que l'enseignement primaire et l'enseignement moyen n'ont pas été organisés, le décret du gouvernement provisoire a eu force et vigueur et a pu servir de base légale aux subsides accordés par l'Etat aux provinces et aux communes.
On a fait une autre objection contre l'opinion que je développe es ce moment. On a dit : La thèse de M. le ministre de l'intérieur n'est pas sérieuse ; elle ne résiste pas à l'examen. Comment ! l'Etat ne peut pas donner de subsides à des écoles qui ne sont pas organisées par la loi ; mais en matière d'enseignement agricole, en matière d'enseignement industriel, musical, etc., vous avez donné et vous donnez encore des subsides sans le moindre scrupule, quoiqu'il n'y ait pas de loi organique de ces espèces d'enseignements ; par conséquent vous pouvez aussi en accorder pour l'enseignement moyen des filles.
A cet argument, l'honorable ministre de l'intérieur a parfaitement répondu en disant : Mais les subsides donnés à l'enseignement agricole ou industriel sont plutôt des encouragements à l'agriculture et à l'industrie qu'à l'enseignement proprement dit.
On s'est récrié ; on a considéré la réponse comme peu sérieuse. Eh bien, ici encore, je puis opposer à nos adversaires une autorité qui siège sur leurs bancs.
L'opinion que l'honorable M. Kervyn a développée est précisément celle qu'a soutenue l'honorable M. Vandenpeereboom dans le discours qu'il a prononcé en 1868 sur la question des écoles d'adultes.
Ecoutez M. Vandenpeereboom. Voici ce qu'il dit :
« Indépendamment des écoles d'adultes créées par la loi du 23 septembre, il existe dans le pays d'autres écoles fréquentées le soir ou le dimanche par des adultes.
(page 880) « Telles sont les écoles Industrielles, les écoles d'agriculture, les écoles de dessin, les écoles de musique, les ateliers d'apprentissage des Flandres qui ont été réorganisées par arrêté du 8 février 1861, pris sur la proposition de mon honorable prédécesseur.
« Jamais il n'est venu à la pensée de personne de faire figurerait chapitre de l'enseignement primaire les crédits nécessaires pour subsidier ces établissements ; personne n'a jamais songé à les soumettre au régime de la loi de 1842 ; car tout le monde a compris que ces écoles ne sont pas, comme les institutions mentionnées à l'article 25 de la loi du 23 septembre, des écoles d'enseignement primaire ; qu'elles n'ont pas pour objet de donner l'instruction élémentaire proprement dite, mais de propager les connaissances industrielles, agricoles ou artistiques ; les crédits destinés à subsidier ces établissements ont toujours été portés, suivant le cas, aux chapitres Industrie, Agriculture ou Beaux-arts du budget de l'intérieur.
« Le gouvernement, la législature et même les autorités provinciales ont toujours établi une distinction bien marquée entre les diverses écoles d'adultes et on n'a fait figurer au chapitre de l'enseignement primaire du budget de l'Etat ou des provinces que les établissements mentionnés à l'article 25 de la loi de 1842 qui sont de véritables écoles d'enseignement primaire. »
Vous l'entendez, messieurs, il s'agit plutôt, en ces matières, d'encouragements donnés à l'industrie, à l'agriculture, à la musique, au dessin, que d'instruction proprement dite.
La place où ces subsides figurent au budget le prouve. Quand l'article 17 de la Constitution a prescrit comme obligatoire l'intervention du législateur pour organiser l'instruction publique, le Congrès national n'a eu évidemment en vue que l'instruction proprement dite à tous les degrés, primaire, moyen et supérieur. Il n'a pas pensé aux subsides que l'Etat aurait à accorder pour favoriser et développer les connaissances industrielles, agricoles ou artistiques.
Pour justifier votre système, vous invoquez à tort, je l'ai démontré, ce qui s'est fait, en matière d'instruction publique, de 1830 à 1842 ou à 1850.
Mais, nous-avons, nous, le droit de nous appuyer sur votre jurisprudence pendant la période de 1850 à 1870 ? Voudriez-vous me dire pourquoi dans cette longue période de vingt ans, pendant laquelle vous avez tenu presque constamment les rênes du gouvernement, pourquoi vous n'avez pas proposé au budget un subside pour l'enseignement moyen des filles ?
M. Vandenpeereboom. - Parce qu'il n'y avait pas d'écoles. (Interruption.)
M. Cornesse, ministre de la justice. - Il y avait des écoles ou l'on pouvait en créer. (Interruption.).
M. Bouvier. - Faites mieux que nous !
M. Cornesse, ministre de la justice. - Si l'enseignement moyen des filles est un grand intérêt social négligé, méconnu, ce que je nie, si c'est une nécessité publique et urgente de pourvoir à ce besoin, voudriez-vous me dire comment il se fait que vous soyez restés, pendant vingt ans de majorité et de pouvoir, sans vous en préoccuper ? (Interruption.)
De deux choses l'une, où cet enseignement public n'est pas une nécessité impérieuse comme vous le déclarez, ou bien pendant que vous étiez aux affaires vous avez manqué à tous vos devoirs. (Interruption.)
Messieurs, on n'a pas jusqu'ici proposé de subsidier les écoles moyennes de filles qui ne voudraient pas se soumettre au régime de la loi de 1842, parce que réellement il y a là une question extrêmement délicate, extrêmement épineuse, que le pouvoir exécutif devait redouter de trancher par un article du budget ou par un arrêté royal.
On pouvait faire une loi sur la matière, et c'était le moyen de dissiper tous les doutes ; mais pourquoi ne l'a-t-on pas proposée ? Je vais vous dire franchement toute ma pensée. Si une loi en matière d'enseignement moyen des filles avait été proposée, il eût fallu de toute nécessité y comprendre l'enseignement religieux comme obligatoire ; il eût fallu introduire dans cette loi, quant à l'instruction religieuse, les principes qui régissent la loi de 1842, car l'enseignement religieux est bien plus nécessaire encore à la jeune fille qu'aux enfants du peuple.
Elever les jeunes demoiselles dans l'indifférence ou dans la neutralité en matière de religion, c'est faire courir à la morale, à la famille, à la société les plus graves périls. Je suis convaincu que la conscience du pays se serait soulevée si l'on avait voulu soustraire nos filles et nos sœurs à l'atmosphère religieuse, si l'on avait voulu établir dans l'école moyenne une instruction complètement sécularisée. D'un autre côté, on ne voulait pas renforcer la loi de 1842, l'étendre aux écoles de filles ; cela pouvait jeter la division dans les rangs libéraux ; on a donc eu recours à un expédient pour ne pas soulever de discussion ni susciter les oppositions.
On s'est dit : Nous ferons indirectement ce que nous ne pouvons pas faire directement ; nous porterons au budget un article de 50,000 francs ; ce sera un premier jalon ; ce sera la pierre d'attente et à l'aide de ces 50,000 francs, nous pourrons subsidier des établissements communaux de filles qui refusent de se soumettre à la loi de 1812. (Interruption.)
Voilà ce qu'on a voulu, voilà la vérité vraie. (Interruption.) Eh bien, je félicite mon honorable collègue de l'intérieur de n'être pas entré dans cette voie.
M. Frère-Orban. - Vous n'avez pas lu la note du budget. (Interruption.)
M. Cornesse, ministre de la justice. - Messieurs, je félicite mon honorable ami, M. le ministre de l'intérieur, de n'avoir pas maintenu au budget ce subside de 50,000 francs qui ne pouvait y figurer qu'en violation d'une disposition constitutionnelle.
Messieurs, ce n'est pas, comme on l'a dit, par haine de l'instruction publique, par antipathie pour l'enseignement officiel que l'honorable ministre de l'intérieur a rayé ce subside du budget. Il a proposé à M. Muller, il vous en souvient, de le reporter au chapitre de l'instruction primaire pour rester dans la légalité.
Quand il a fait cette offre, que lui a-t-on répondu ? L'honorable M. Muller l'a repoussée dédaigneusement en s'écriant : Timeo Danaos et dona ferentes.
C'est une calomnie qu'on a souvent répétée et qu'on répète encore tous les jours contre les catholiques, de les accuser d'être les ennemis du développement de l'instruction. Puisque l'occasion s'en présente, je ne suis pas fâché de la relever et d'en faire justice.
Messieurs, au début de votre session, qu'a fait l'honorable ministre de l'intérieur ? Il vous a proposé le vote d'un nouveau million pour la construction de maisons d'école. C'est évidemment là une preuve éloquente de sollicitude en faveur du développement de l'enseignement officiel.
Mais que n'ont pas fait les catholiques en matière d'enseignement depuis 1830 ? Ils se sont toujours montrés les plus chauds partisans de la diffusion de l'instruction dans toutes les couches sociales. Il n'est pas de juge impartial qui ne soit obligé de le reconnaître. Avant nos lois organiques de 1842 et de 1850, qui donc avait créé ces nombreux établissements d'instruction qui ont donné à la Belgique cette génération morale, honnête, éclairée, dont le bon sens et la sagesse nous ont fait en Europe une situation si enviable à tous égards ?
M. Bara. - Il n'y avait rien.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Comment I il n'y avait rien ! Mais n'existait-il pas une quantité considérable d'écoles érigées par les catholiques avant la loi de 1842 ? N'existait-il pas une infinité d'écoles primaires libres ?
Mais les 1,200 écoles d'adultes dont vous avez constaté l'existence au moment de l'élaboration du règlement de 1866, par qui donc avaient-elles été créées pour la plupart ? Par les catholiques.
Mais les collèges épiscopaux, les collèges des jésuites qui sont très suivis et très fréquentés, même par les fils de familles libérales, ne sont-ils pas fort nombreux en Belgique ?
Et pour couronner l'œuvre, n'avez-vous pas un établissement d'instruction supérieure qui est, je puis le dire, l'une des gloires du pays, qui peut, à coup sûr, marcher l'égale des universités de l'Etat et de l'université de Bruxelles ? (Interruption.)
Et dans le passé, messieurs, les catholiques ne se sont-ils pas toujours montrés favorables à la diffusion de l'enseignement à tous les degrés ? Je suis étonné, vraiment, que l'honorable M. Bara m'interrompe ; car il a pu voir dans les actes de fondation qu'il a été appelé à manier, que ce sont des catholiques qui ont, presque exclusivement, constitué, en Belgique, le patrimoine de l'instruction publique qui a été réglementé par la loi de 1864.
Et ce que les catholiques ont fait, ils l'ont fait de leurs deniers, sans rien demander à personne, sans recourir à l'impôt ni à la coaction.
Eh bien, je le demande à mes adversaires de me montrer, en dehors de l'université libre de Bruxelles, qui vit et prospère grâce à de très larges subsides de la province et de la commune, je leur demande de me montrer les œuvres qu'ils ont créées de leurs deniers ? Qu'on fasse la comparaison entre les créations libres d'enseignement des catholiques et celles édifiées par nos adversaires, et qu'on dise de quel côté sont les vrais amis de l'instruction publique.
Naguère, pendant la discussion générale de ce budget, l'honorable M. Sainctelette faisait à cet égard un aveu précieux. Parlant du legs de l'honorable M. Verhaegen à la ville de Bruxelles pour favoriser le haut enseignement dans la capitale, l'honorable M. Sainctelette disait :
(page 881) « M. Verhaegen a légué cent mille francs à Bruxelles, mais prenez garde, si vous ratifiez ce legs, immédiatement des millions arriveront à l'université de Louvain. »
Donc les catholiques ne sont pas les ennemis de l'instruction ; ils en sont les amis : ils en sont les propagateurs. Leur foi est une foi qui agit, qui est féconde, généreuse. Ils savent s'imposer des sacrifices d'argent pour propager leurs idées et leurs doctrines, pour donner à la patrie, dans toutes les carrières, des citoyens également dévoués à leur pays et à leurs croyances. Et si demain la liberté d'enseignement était supprimée, si les catholiques perdaient leur féconde initiative, vous seriez condamnés à de nouveaux et énormes sacrifices pour combler l'immense lacune qui en résulterait pour l'enseignement du pays à tous les degrés. Vous devriez doubler votre budget de l'instruction publique. (Interruption.)
Messieurs, au fond, sur quoi roule cette discussion, des deux côtés de l'assemblée ?
Nous, nous demandons et le clergé ne demande en Belgique, il faut bien le proclamer, que de pouvoir, non pas, comme on dit, monopoliser l'instruction, mais exercer dans l'éducation et dans la moralisation des masses son influence bienfaisante et salutaire. Le clergé ne veut pas accaparer l'instruction ; c'est là un reproche injuste que l'on adresse au clergé et à nous-mêmes, qu'on se plaît à nommer les représentants serviles du clergé et de l'épiscopat. (Interruption.)
M. Bouvier. - Vous n'êtes ici que par l'épiscopat.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Qu'est-ce donc qui nous divise en matière d'instruction primaire ?
Nous demandons, nous, que la loi de 1842 soit maintenue, respectée, loyalement pratiquée dans son esprit et dans sa lettre.
Nous demandons qu'elle soit développée, ses bienfaits étendus, multipliés.
Cette loi de 1842 met-elle l'enseignement aux mains du clergé ? N'est-ce pas l'enseignement officiel, l'enseignement public, l'enseignement des communes et de l'Etat ? Que demandez-vous, au contraire, dans, les rangs de la gauche ? Que la loi de 1842 soit révisée, qu'on proscrive le prêtre de l'école... (Interruption) qu'on la sécularise complètement, qu'on en proscrive tout ce qui peut, selon vous, blesser la liberté de conscience de qui que ce soit ? Mais à quel résultat arriveriez-vous si vos théories se réalisaient ?
Ne vous apercevez-vous pas qu'en voulant bannir la religion de l'école populaire, vous vous montrez les pires ennemis de l'enseignement officiel ? (Interruption.)
Vous le niez. Je vous le prouve.
L'honorable M. Frère, dans une occasion solennelle, a dit le motif pour lequel il n'avait pas proposé la révision de la loi de 1842. C'est parce que, parmi ses amis, il en est un grand nombre qui pensent que ce serait, dans un temps plus ou moins rapproché, la désertion et la chute des écoles officielles. (Interruption.)
La révision tournerait donc au détriment de l'instruction populaire ; elle irait à rencontre du but que nous devons tous poursuivre. (Interruption.)
Ce n'est qu'une opinion sans doute, mais l'honorable M. Frère, en l'émettant, était l'organe d'un grand nombre de ses amis de la gauche.
Nous sommes donc, en réalité, les véritables amis de l'enseignement populaire même donné par l'Etat, tandis que vous, en poursuivant cette réforme dangereuse, antisociale de la proscription ou de la suspicion du prêtre... (Interruption.)
- Plusieurs membres.- Oui ! oui !
M. Cornesse, ministre de la justice. - ... vous en êtes les pires ennemis.
- Un membre. - Et la Hollande !
M. Cornesse, ministre de la justice.- Comparaison n'est pas raison. Pour bien juger ce qui se passe dans les pays étrangers, il faudrait vivre dans ces pays, voir, apprécier quelle est leur situation sociale, quelles sont leurs habitudes. Nous sommes en Belgique, messieurs, restons-y et arrangeons nos affaires de la manière qui convient le mieux à nos mœurs et à notre caractère national.
N'est-ce pas précisément ce que disait un jour dans cette Chambre l'honorable M. Pirmez ? Si j'étais en Hollande, disait l'honorable membre, je serais peut-être partisan de la séparation de l'enseignement civil de l'enseignement religieux, mais je suis en Belgique, j'étudie le tempérament, les mœurs, les habitudes de mon pays ; je respecte ces habitudes et je veux maintenir ce qu'il y a de bon dans les mœurs nationales. C'est pourquoi je suis partisan du maintien de la loi de 1842 qui a établi la jonction des deux enseignements.
Voilà le résumé de l'opinion qu'émettait, en 1868, avec beaucoup de bon sens, l'honorable M. Pirmez, qui venait d'être appelé par M. Frère à prendre le portefeuille de l'instruction publique.
Ne venez donc pas nous présenter sans cesse comme décisif l'exemple de la Hollande, de l'Irlande, des Etats-Unis. Restons dans notre pays, voyons ce qui s'y passe, ce qui lui convient le mieux et n'allons pas chercher ailleurs ce qu'il faut faire en matière d'instruction religieuse, pas plus que nous ne devons aller y chercher des leçons en matière de libertés publiques.
Sur cette question de l'enseignement primaire, que veulent nos adversaires au point de vue de l’enseignement religieux ? Il serait bon de les entendre une bonne fois se mettre d'accord et s'expliquer nettement. On ne compte pas moins de quatre systèmes sur l'intervention du prêtre.
Longtemps nos adversaires se sont bornés à une seule chose ; ils voulaient l'intervention du prêtre, mais ils ne la voulaient pas à titre d’autorité. C'était ainsi, je pense, que l'on parlait au congrès libéral :
Que signifient ces mots : « à titre d'autorité » ?
C'est ce que personne n'a jamais bien expliqué.
L'honorable M. Devaux lui-même, un des hommes les plus éminents de la gauche, a déclaré, à différentes reprises, qu'il n'était jamais parvenu à saisir ce que cela voulait dire.
Du moment, en effet, que l'on appelle le prêtre à l'école, du moment que l'on considère l'enseignement religieux comme une nécessité sociale, on tout au moins comme un bienfait, comme une chose salutaire, il est dans l'ordre d'accorder au ministre du culte une certaine part d'influence ; et cette part d'influence est inséparable d'une certaine autorité.
Il serait absurde et déraisonnable d'appeler le prêtre, de proclamer d'une part l'influence religieuse bienfaisante et nécessaire, et de permettre d'autre part que, par exemple, dans le choix des livres et dans l'enseignement des professeurs laïques, on pût combattre, neutraliser, ridiculiser peut-être l'enseignement donné par le prêtre.
Il faut donc que le ministre du culte exerce une certaine autorité pour qu'il puisse obtenir les fruits que vous attendez de son intervention et de son enseignement.
M. Frère-Orban. - Il faut aussi qu'il ait une part d'intervention dans les nominations.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Je vous démontrerais aisément que la part d'intervention que la loi de 1842 lui attribue dans les nominations n'est pas exagérée et qu'elle a été établie dans le but de maintenir sa légitime influence, de ne pas démolir d'un côté ce que l'on édifie de l'autre.
Quelques-uns de nos adversaires veulent l'enseignement religieux comme la droite, comme le gouvernement d'aujourd'hui. C'est le maintien de la loi de 1842.
Mais l'honorable M. Frère, si j'ai bien compris sa pensée, a développé une autre théorie. C'est la troisième. Il veut aujourd'hui une séparation de fait, la juxtaposition de l'église et de l'école, mais avec l'enseignement religieux obligatoire. Il le considère comme nécessaire ; seulement, au lieu que le prêtre vienne dans l'école le donner aux enfants, il veut que l'on conduise les élèves à l'église. Ce n'est qu'un changement de local et le déplacement des élèves substitué à celui du maître. Je ne sais si, en pratique, l'innovation serait heureuse !
M. Frère-Orban. - Vous avez mal compris.
M. Cornesse, ministre de la justice. - J'ai cru que telle était votre pensée. Je serais heureux de la connaître exactement.
Il en est d'autres parmi nos adversaires qui veulent une sécularisation complète et absolue de l'école. Ce sont les logiciens qui, tirant les conséquences des prémisses, poussent les choses à l'extrême. Ceux-là exigent que l'on ne puisse dans l'école prononcer une parole attentatoire à la liberté de conscience de l'un ou l'autre bambin ou des parents de ces bambins.
Cette opinion va logiquement jusqu'à prétendre qu'on ne pourrait même plus prononcer dans l'école le nom du souverain Maître, de la Divinité.
M. Bouvier. - C'est absurde !
M. Cornesse, ministre de la justice. - Messieurs, ce n'est pas absurde, c'est logique ; l'honorable M. Bergé, au début de nos travaux, n'a t-il pas refusé... ?
M. Bergé. - Comparaison n'est pas raison.
M. Cornesse, ministre de la justice.- L'honorable M. Bergé n’a-t-il pas refusé de voter l'adresse en réponse au discours du trône parce que le nom de Dieu y était introduit ? Et n'a-t-il pas invoqué, pour expliquer son refus, les droits de la liberté de conscience ? Si la liberté de conscience a cette conséquence dans une assemblée, elle doit l'avoir aussi (page 882) dans l'école ; la logique est une et indivisible ; elle ne diffère pas selon les temps et les lieux. (Interruption.)
La sécularisation absolue, c'est donc, en dernière analyse, l’école athée.
Messieurs, je termine, car cette discussion s'est déjà beaucoup trop prolongée ; la Chambre paraît fatiguée et l'heure est fort avancée.
Messieurs, il est triste de voir les débats entre les deux grands partis qui divisent le pays se porter sans cesse sur le terrain religieux.
M. De Fré. - C'est vous qui l'y avez porté.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Ce n'est pas nous qui l'y avons porté ; c'est vous qui, à propos du budget de l'intérieur, avez voulu introduire une nouveauté.
Je tiens à répondre à l'interruption qui nous accuse d'avoir provoqué ses tristes débats ; cette accusation est fausse, elle est injuste. C'est le ministère précédent qui a voulu introduire une nouveauté, une innovation à laquelle on n'avait jamais songé pendant les vingt années que le libéralisme a exercé le pouvoir.
Tous avez tenté, par un article du budget, de régler l'enseignement moyen des filles sans loi, sans la garantie d'une organisation faite par le pouvoir législatif.
Ce n'est donc pas nous qui sommes les provocateurs ; ce débat a été amené par ce qui a été fait avant notre arrivée au pouvoir et par la production de l'amendement de M. Muller.
Quant à moi, messieurs, je déplore ces discussions irritantes, passionnées, stériles qui touchent de si près aux intérêts essentiels, aux intérêts vitaux de la Belgique. Eh quoi ! messieurs, est-ce donc trop de tous les efforts réunis de l'Etat et de l'Eglise pour combattre l'ignorance et le vice, pour améliorer intellectuellement et moralement le sort des classes déshéritées, pour prévenir le cataclysme social qui semble nous menacer ?
M. Pirmez. - Eh bien, unissons-nous.
- Une voix à gauche. - Acceptez l'amendement de M. Muller.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Je crois parler en bon citoyen, je crois remplir un véritable devoir et j'espère, messieurs, être compris de tous ceux qui, comme nous, veulent le maintien de nos institutions, le développement de nos libertés, la conservation de l'état de choses qui, pendant quarante ans, a assuré à la Belgique une prospérité inouïe et nous a placés si haut dans l'estime de l'Europe et du monde...
- Voix à droite. - Très bien !
H. Cornesse, ministre de la justice. -... Je crois remplir un devoir en adjurant la Chambre, amis et adversaires, à réfléchir sérieusement à la situation sociale.
Le danger pour nos institutions, pour la société, ne vient pas de nos principes, ne vient pas de l'Eglise ni de ses ministres ; il ne vient pas non plus de l'exagération des principes religieux, du principe d'autorité et du respect des choses respectables.
Non, messieurs, si la société est malade, comme l'a dit un jour M. Frère, ce n'est pas du mal de l'exagération des croyances ; elle est bien plutôt minée par le mal contraire : l'absence de foi, le relâchement des principes d'autorité. L'armée du désordre a, en ce moment, une organisation puissante, qui, non seulement, en veut à la religion, mais qui déclare en même temps la guerre au capital, à la propriété, à la société tout entière.
Jamais, à aucune époque, cette armée ne fut plus puissamment organisée, elle enlace la plupart des pays qui nous avoisinent et peut-être nous enlace-t-elle nous-mêmes ; elle révèle son existence par des mouvements tumultueux qui vous alarment, qui nous alarment tous et contre lesquels vous avez dû, - je ne vous en fais pas un reproche, - vous défendre, à coups de fusil. (Interruption.)
M. Bara. - Vos amis étaient à l’Internationale ! (Interruption.)
M. Cornesse, ministre de la justice. - Je répète...
- Voix à gauche. - Vous assistiez à leurs meetings. (Interruption.)
M. Cornesse, ministre de la justice. - C'est faux, de toute fausseté !
M. Frère-Orban. - Vous faisiez des processions avec eux, à Liège. (Interruption.)
M. Cornesse, ministre de la justice. - Je le nie et je défie que vous le prouviez.
Ah ! je sens, messieurs, que je mets, en ce moment, le doigt sur une plaie vive.
- Voix à droite. - Oui ! oui ! c'est cela.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Oui, en semant ainsi la désaffection des croyances...
M. Bouvier. - Vous spéculez sur les croyances. (Interruption.)
M. Cornesse, ministre de la justice. - ... en cherchant à rendre le prêtre catholique odieux aux populations, en l'accusant sans cesse de vouloir, dans un but de domination, crétiniser, abrutir le peuple... (Interruption.)... vous frayez la voie aux démolisseurs ; vous compromettez les intérêts vitaux de la société, vous oubliez les devoirs de tout bon citoyen. (Interruption.)
- Voix à droite : Très bien ! très bien ! (Applaudissements à droite.)
- La séance est levée à 5 heures et demie.