(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 852) M. Reynaert procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Reynaert présente l'analyse suivante des pièces parvenues à la Chambre.
« Des membres de la Ligue de l'enseignement, à Bruges, demandent la construction de maisons d'école, en nombre suffisant pour que tous les enfants puissent recevoir l'enseignement primaire. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« Le sieur Geirnaert prie la Chambre de voter au budget de l'intérieur les fonds nécessaires pour que l'école normale de Saint-Nicolas et les autres se trouvant dans les mêmes conditions puissent obtenir les avantages dont jouissent les écoles normales adoptées depuis longtemps. »
- Même décision.
« Des membres d'une, société flamande à Poperinghe demandent que la langue flamande soit, en tout, mise sur le même rang que la langue française. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur une pétition relative au même objet.
« Le conseil communal de Villers-Potterie demande que le chemin de fer projeté de Charleroi sur Athus passe près de Châtelineau ou d'Acoz. »
M. Lelièvre. - J'appuie, la pétition et, comme elle a un caractère d'urgence, je demande qu'elle soit transmise à la commission spéciale avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Des habitants d'une commune non dénommée demandent que la loi décrète l'enseignement primaire obligatoire. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.
« Le sieur Pire propose un projet de loi sur la contrainte par corps en matière commerciale. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. Boucquéau demande un congé pour cause d'indisposition. »
« M. de Rossius, devant s'absenter, demande un congé d'un jour. »
- Ces congés sont accordés.
M. Lescarts. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour appeler l'attention du gouvernement sur la situation dans laquelle se trouve l'industrie charbonnière dans le Couchant de Mons, par suite du manque continu du matériel de transports. Cette situation est d'autant plus critique que si elle se prolongeait plus longtemps, nos exploitants de charbonnages devraient diminuer encore leur extraction, déjà réduite dans de vastes proportions, sinon l'arrêter tout à fait. Le stock des charbons dans le Couchant de Mons s'élève à quatre millions d'hectolitres, ce qui ne s'est jamais vu à aucune époque.
Pendant la terrible crise que nous venons de traverser, les 30,000 ouvriers charbonniers du Borinage ont supporté patiemment la diminution considérable qui a été apportée à leur travail, par conséquent à leurs salaires. Mais pourra-t-on toujours attendre d'eux la même altitude calme, si on ne leur fournit pas un travail suffisant pour leur permettre de vivre ?
Cette situation critique dans laquelle se trouve notre industrie charbonnière a pour cause unique le manque de matériel de chemins de fer, car les demandes de charbon sont nombreuses.
J'engagerai le gouvernement à prendre de suite toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à un état de choses qui n'est pas seulement une cause de gêne et de ruine pour notre industrie charbonnière, mais qui pourrait être une cause de trouble pour la tranquillité publique.
Je sais, messieurs, que l'honorable ministre actuel des travaux publics ne peut être rendu responsable du nombre restreint de waggons qui sont actuellement à la disposition de l'industrie. Mais je demanderai si l'on tire du matériel existant toute l'utilité voulue ? Je demanderai également si l'on applique exclusivement au transport des houilles les waggons construits spécialement à cet effet ? Il y a quelques mois, l'association charbonnière du Couchant de Mons réclamait l'organisation de services de nuit et l'augmentation du personnel des employés du service actif. Je demanderai au gouvernement s'il a eu égard à ces réclamations ?
- Voix à droite. - Mais c'est tout un discours !
M. Bouvier. - Laissez dire, c'est très important au point de vue de la classe ouvrière.
M. Lescarts. - Des plaintes nombreuses se sont encore produites, par rapport à la répartition irrégulière des waggons entre les diverses sociétés charbonnières. Je prie M. le ministre de vouloir bien donner des ordres pour que cette répartition se fasse d'une façon plus équitable.
Je demanderai enfin à M. le ministre des travaux publics si l'Etat belge est rentré en possession des 3,818 waggons qui étaient retenus en France et en Allemagne et si, d'un autre côté, l'Etat belge n'a pas dû restituer aux compagnies françaises du Nord et de l'Est les 3,316 waggons qui appartenaient à ces compagnies !
Il est évident que si nous avions dû restituer les waggons français, sans récupérer les waggons belges, il y aurait un déficit de 3,500 waggons. Quant aux waggons belges retenus en Allemagne et en France.il est incontestable que si ces waggons ne devaient pas nous revenir, ou s'ils ne nous revenaient, comme on doit le craindre, que dans un état de délabrement qui les mît dans l'impossibilité de servir utilement, le gouvernement aurait le devoir de venir immédiatement réclamer des Chambres de nouveaux crédits pour remplacer les waggons perdus ou qui ne seraient plus d'usage.
Je me permettrai de vous lire...
- Voix à droite. - Non ! non...
M. Lescarts. - Je ne serai pas long.
M. Bouvier. - C'est vous qui avez la parole. (Interruption.) Parlez.
M. Lescarts. - Il est bon que le gouvernement connaisse exactement la situation.
M. Bouvier. - C'est évident.
M. Lescarts. - Voici ce que dit la Gazette de Mons :
« Depuis longtemps les charbonnages du Couchant de Mons ne se sont trouvés, sous le rapport de la vente de leurs produits, dans une position aussi fâcheuse qu'en ce moment. Les demandes de charbons pour la France sont nombreuses et importantes, mais il est impossible de les satisfaire, même en partie, par suite du manque absolu du matériel des chemins de fer français. Les rivages sont encombrés ainsi que les magasins installés près des fosses. A aucune époque on n'a vu dans le Borinage un approvisionnement de charbons aussi considérable que celui qui y existe actuellement. Si cet état de choses ne se modifie pas avant peu, les charbonnages se verront, sans aucun doute, forcés de restreindre notablement (page 853) leur production, déjà si diminuée cependant, comparativement à celle de l'époque correspondante de 1870. On nous assure que plusieurs grandes exploitations ont décidé de mettre prochainement en chômage un certain nombre de puits importants qui fournirent du travail à plusieurs milliers d'ouvriers. Déjà, nous dit-on, le charbonnage du Bas-Flénu à Quaregnon a cessé tout travail.
« La position est grave et elle mérite d'attirer l'attention de l'autorité.
« D'un autre côté, nous apprenons que des maîtres de forges des environs de Maubeuge et d'Hautmont qui se disposaient à rallumer leurs fourneaux éteints depuis quelques mois, ne peuvent le faire à cause du manque de combustible. De plus, le défaut de charbons oblige à suspendre le travail dans les usines des mêmes localités qui avaient pu se maintenir en activité malgré les circonstances politiques. Le manque de waggons aura donc pour effet de retirer le travail aux ouvriers borains qui produisent le combustible et aux ouvriers métallurgistes français qui l'emploient.
« On nous rapporte aussi que les exploitants du Couchant de Mons n'ont pas lieu de se réjouir beaucoup de la reprise par l'Etat des lignes de la Société Générale d'exploitation. »
Le journal le Houilleur s'exprime en ces termes au même sujet :
« A aucune époque, les affaires n'ont été enrayées comme aujourd'hui par la difficulté des transports ; quelques bateaux seulement, cinq ou six, peuvent sortir journellement des eaux de Condé ; les chevaux manquent pour le service du halage, tous sont employés aux champs à réparer les dégâts occasionnés par un hiver trop rigoureux. Les waggons font défaut sur tous les chemins de fer - (le ministre des travaux publics n'a pas dit encore le résultat de ses démarches pour faire rentrer le matériel retenu à l'étranger) ; - l'arrêt dans les expéditions crée aux exploitations du Couchant de Mons une situation impossible ; on le comprendra mieux en sachant l'importance des stocks qui encombrent les rivages du canal de Mons à Condé et le carreau des fosses.
« En mars 1870, on estimait à 1,890,700 hectolitres la quantité de charbon en dépôt sur les rivages ; sur le carreau des fosses, il n'y en avait que 16,200 ; on en comptait, au 1er de ce mois, d'un côté, 3,351,750, de l'autre, 351,800, ensemble 3,685,530 hectolitres, et, depuis lors, les tas n'ont fait que monter. Nous ne sommes pas en dessous de la vérité en disant qu'ils contiennent aujourd'hui plus de 4,000,000 d'hectolitres !
« La valeur de tous ces charbons et cokes est de près de cinq millions et demi !!.. A-t-on bien songé à la perte qu'entraîne, pour les exploitants, ces emmagasinages excessifs ? Les chemins de fer prétendent toujours avoir un matériel suffisant pour les besoins du service ; ce n'est que de guerre lasse, et toujours à regret, qu'ils consentent à l'augmenter ; et cela parce qu'à certaines époques de l'année - périodes très courtes d'ailleurs - il arrive qu'une partie des waggons sont sans emploi. Mais qu'est-ce donc que la perte que ce chômage engendre, comparativement au préjudice que l'industrie éprouve lorsque les transports sont entravés ? Pour ne parler que des charbonnages, il est notoire que s'ils avaient eu du matériel à leur disposition, ils auraient expédié à l'intérieur, en Hollande et en Allemagne, des quantités telles, qu'ils ne se seraient pas aperçus de la privation momentanée du marché français. - Nous connaissons des établissements auxquels aucune limite d'envois n'avait été fixée - dont la vente de l'extraction entière était ainsi assurée - et qui n'ont pu obtenir qu'un ou deux waggons par jour.
« Quoi que l'on fasse,, on ne parviendra jamais à répartir les transports d'une manière égale pendant les douze mois de l'année ; il y aura toujours des périodes de chômage ; l'administration doit s'y résigner ; mais il est d'impérieuse nécessité qu'à toutes les époques elle soit à même de satisfaire aux exigences du service.
« Les chemins de fer est l'outil le plus puissant ; il ne peut être confié qu'à des mains habiles, car de la direction qui lui sera imprimée dépendra la prospérité industrielle du pays. »
L'Organe de Mons dit de son côté :
« On nous signale du Borinage un fait étrange : la Compagnie du gaz parisien, accaparant les waggons disponibles, jouit du monopole des expéditions de charbon sur Paris, et nos sociétés houillères, nos négociants ont, depuis quelques semaines, remisés dans une gare ou l'autre, des waggons chargés qu'on se refuse à expédier. »
Je demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que nous puissions sortir de cette situation.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Messieurs, les plaintes que vous venez d'entendre et qui émanent du Couchant de Mons m'ont également été adressées de la part des autres groupes charbonniers du pays.
Le gouvernement ne néglige aucun effort ni aucun moyen pour mettre fin a la situation anomale qui existe, mais il ne dépend pas de lui de faire davantage pour porter remède à cette situation.
Les réclamations qui s'élèvent s'appliquent à des faits dus uniquement à un état de choses qui a un caractère général et qui ne semble pas près de cesser : il se traduit par l'interruption dans les relations internationales et par l'impossibilité d'obtenir la rentrée de tout le matériel belge envoyé au delà de la frontière.
L'honorable M. Lescarts a parlé du transport de charbon vers la France. Je dois lui faire remarquer que tous les transports vers la France sont encore une fois complètement interrompus, et je ne sais si les réclamations dont il vient de se faire l'organe ne sont pas quelque peu exagérées. Je suis autorisé à le croire et je citerai à la Chambre quelques chiffres qui lui feront peut-être partager mon avis.
Pendant les mois de janvier et de février 1870, l'industrie charbonnière avait demandé 30,628 waggons pour ses transports par le chemin de fer de l'Etat ; il lui en avait été fourni 29,497 ; par conséquent il s'en est fallu de 1,131 waggons qu'il fût satisfait à toutes les demandes.
Pendant la période correspondante de 1871, il a été réclamé 48,156 waggons et quelque extension qu'ait pu prendre l'extraction du charbon, je demande à la Chambre si le chiffre n'accuse pas une certaine exagération. Dans tous les cas, je le livre tel qu'il est à l'appréciation de l'assemblée. De ces 48,156 waggons demandés en janvier et février 1871, ii en a été fourni 30,5835, soit à la vérité 17,573 waggons de moins que le nombre demandé, mais aussi 1,086 waggons de plus qu'il n'en avait été fourni aux charbonnages pendant la période correspondante de 1870.
Le nombre des waggons disponibles s'est augmenté, et j'ai eu l'occasion de dire à la Chambre, dans une circonstance récente, que nous avions, au 1er janvier dernier, 1,152 waggons de plus que l'année dernière. En outre, depuis lors, une partie de ceux que nous avions commandés a été fournie et une partie des waggons de la Société générale d'exploitation a été mise à notre disposition.
Ce qui est arrivé est donc une conséquence de l'interruption des communications et du courant des transports vers l'Allemagne.
An commencement de février, nous avions, pour les décomptes réciproques du matériel échangé avec les compagnies allemandes et françaises, une balance qui se soldait même par 150 waggons à notre bénéfice, mais aujourd'hui nous avons, retenus à l'étranger, 1,500 waggons de plus (pué nous n'avons de waggons étrangers en Belgique.
Que faire à cela ? Nous sommes en présence d'un dilemme excessivement sérieux. Faut-il, pour ne pas voir augmenter le nombre de nos waggons retenus au dehors, empêcher les expéditions vers l'étranger, ou bien faut-il continuer à permettre ces expéditions au risque de devoir augmenter le nombre des waggons retenus ? Je pose ce dilemme à l'honorable membre et je lui dis. : Choisissez ce que vous voulez. Est-ce qu'il oserait me dire : il ne faut plus permettre le transport de nos charbons vers l'Allemagne, ce serait courir le risque de voir nos waggons retenus ; oserait-il me dire : Je vous conseille de prendre sur vous la responsabilité d'empêcher le transport des houilles et des charbons vers l'Allemagne ?
Je crois que l'honorable membre dirait comme moi : Il vaut mieux risquer avoir quelques waggons de plus retenus à l'étranger que de fermer la seule voie qui reste ouverte à la sortie de nos produits.
Je le répète donc, tant que les circonstances resteront ce qu'elles sont, ii sera impossible au gouvernement, malgré la meilleure volonté, d'obvier aux inconvénients de la situation. Lorsque le commerce avec la France rentrera dans les conditions normales, cela apportera, je l'espère, un soulagement très grand.
La France nous enverra alors ses waggons et nous pourrons conserver les nôtres pour le service intérieur du pays.
J'aborde un deuxième objet.
On nous a dit, messieurs, que la distribution des waggons ne se fait pas bien.
L'administration, je puis en donner l'assurance à la Chambre, apporte cependant tout ses soins à ce qu'elle se fasse le plus équitablement possible.
Si vous voulez me permettre de. vous mettre au courant des agissements de l'administration à cet égard, je vous donnerai lecture d'une noie indiquant comment se fait cette répartition.
Cette note est ainsi conçue :
« Dès que l'administration se trouve dans l'impossibilité de satisfaire à toutes les demandes, la répartition se fait d'office entre les expéditeurs, en prenant pour base l'importance des expéditions effectuées pendant la période correspondante de l'exercice précédent.
(page 854) « Toutefois, lorsqu'il survient des extensions d'extraction, des ouvertures de puits nouveaux, des reprises de travaux, les chefs de service de l'exploitation indiquent dans quels rapports il faut tenir compte de ces modifications dans la répartition.
« Afin d'assurer la répartition égale sur tout le réseau, voici comment on procède :
« L'administration centrale se fait fournir, chaque jour, des renseignements qui lui permettent d'apprécier dans quelle proportion le matériel est fourni et de rectifier les irrégularités qui se produisent.
« C'est ainsi qu'elle enlève à telle ligne une certaine quantité de waggons qu'elle fait diriger vers telle autre ligne moins bien approvisionnée.
« Pour ne citer qu'un exemple, du 1er au 15 mars, 592 waggons charbonniers ont été enlevés à la ligne de l'Est (2ème groupe) et ont été dirigés, savoir :
« 69 sur le 1er groupe (Anvers) ;
« 452 sur le 5ème groupe (Mons) ;
« Et 71 sur le 6ème groupe (Ligne de Bruxelles à Namur).
« Les chefs de service procèdent à l'égard des dépôts, comme l'administration centrale à l'égard des groupes, et les dépôts agissent de même à l'égard des stations qui, à leur tour, font la répartition d'office entre les expéditeurs d'après les bases indiquées ci-dessus, de sorte qu'on peut en inférer que la répartition se fait d'une manière égale sur tout le réseau.
« Ce qui ne doit laisser aucun doute à cet égard, c'est que les réclamations adressées à l'administration émanent de toutes les parties du réseau indistinctement.
« Il y a, du reste, pour la plupart de ces réclamations, a faire la part de l'exagération et aussi du mobile qui les dicte.
« Nous avons eu la preuve, en effet, à la suite des instructions présentes, que les expéditeurs qui se plaignaient d'avoir été moins bien traités que d'autres avaient, au contraire, été favorisés.
« Quant au mobile, certains intéressés ont avoué qu'ils réclamaient dans l'espoir d'être ainsi mieux traités. »
Je le répète donc, nous ne pouvons pas venir en aide à l'industrie plus que nous le faisons. Il faut que la situation normale soit rétablie ; il faut surtout que nos relations avec la France soient rétablies, et que les waggons français viennent, comme d'habitude, chercher le charbon aux fosses belges. Il faut enfin que nous puissions récupérer le matériel que nous avons en Allemagne. Mais, je suis fâché de le dire, nous ne pouvons espérer cela très prochainement, attendu que la situation reste la même. Or, ne plus accepter les exportations vers l'Allemagne, ce serait corriger un mal par un plus grand mal.
Dans tous les cas, je crois pouvoir dire à l'honorable membre que l'administration ne perd pas un instant de vue les intérêts de l'industrie charbonnière ; que, dans la mesure du possible, elle fait tout ce qui est en son pouvoir et je promets qu'elle continuera à en agir ainsi.
M. Braconier. - Messieurs, la question qui nous occupe est très grave, principalement pour le bassin du Couchant de Mons. Je ne viens donc pas en parler spécialement au point de vue du bassin de Liège.
M. le ministre nous a donné quelques raisons qui expliquent, jusqu'à un certain point, les difficultés qui ont surgi dans les transports pendant ces derniers temps, mais il en est une dont il n'a pas parlé et qui est pour moi la principale : c'est le manque d'installations suffisantes. Les Installations de plusieurs gares importantes sont trop petites, les voies pour les manœuvres des waggons sont trop peu nombreuses, et le matériel, qui pourrait rendre des services beaucoup plus considérables, est immobilisé pendant un temps beaucoup plus long qu'il ne devrait l'être. Il y a des gares comme celles d'Anvers et celle d'Herbesthal, à la frontière allemande, où des encombrements continuels ont lieu.
La station d'Herbesthal étant encombrée, l'encombrement se produit immédiatement dans celle de Verviers et dans celle de Liège et remonte même jusqu'à celle de Louvain. La gare de Liège, en particulier, ne peut répondre au service qu'elle est destinée à faire. Sa position est très difficile, attendu qu'aucun train ne peut passer sans qu'il soit décomposé pour monter les plans inclinés. Ce sont des manœuvres considérables et nous ayons souvent cent, deux cents, trois cents waggons immobilisés pendant dix à quinze jours, et dont on ne peut retirer aucune espèce de service. Nous avons vu souvent les voies mêmes destinées aux convois de voyageurs encombrées de waggons de marchandises.
Un remède doit être apporté à cette situation. Il y a, de la part du département des travaux publics, une étude très sérieuse à faire ; elle doit se livrer à un travail d'ensemble. Elle ne doit pas s'amuser a dépenser quelques milliers de francs dans une petite gare pour donner à un représentant le plaisir d'annoncer à quelques-uns de ses électeurs qu'il a obtenu une voie de garage ou une grue mobile dans quelque petite station. C'est au mouvement général qu'il faut venir en aide et c'est à cela que la sollicitude du gouvernement doit s'appliquer.
Quant à la répartition du matériel dont vient de parler M. le ministre des travaux publics, il y a dans la base adoptée quelque chose de bon, mais cependant cette règle ne peut être suivie d'une manière absolue. Depuis plusieurs années, on prend cette base et lorsqu'il y a pénurie de matériel, on distribue les waggons proportionnellement à ce que les charbonnages ont eu les années antérieures, mais il en résulte que les charbonnages qui ont peu de développement se trouvent réduits à la portion congrue et, sous ce rapport, je crois qu'il y a quelque chose à modifier dans la règle suivie.
Je n'en dirai pas davantage. Je réserve mes observations pour la discussion du budget des travaux publics.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Il y a certainement du vrai dans ce que vient de dire l'honorable M. Braconier, quant au défaut d'installations dans certaines stations ; je le reconnais.
Si je n'en ai pas parlé à l'occasion de l'interpellation de l'honorable M. Lescarts, c'est que j’ai traité la question il y a quelque temps. J'ai dit alors que c'était pour pourvoir au plus pressé que j'avais demandé un crédit de 1,750,000 francs, et j'emploie ce crédit de la manière la plus propre à satisfaire aux besoins les plus urgents.
Mats je déclarais en même temps que ce crédit serait fort loin de suffire, qu'un examen complet devait être fait et je me suis empressé de le faire ; je dirais en même temps que ce serait seulement lorsque notre trafic serait rentré dans son état normal que cet examen pourrait être sérieux et profitable. En attendant, j'emploie le crédit que vous avez voté dans l'intérêt général et soyez convaincus que je ne poursuis nullement le but d'autoriser l'un ou l'autre de mes amis à dire qu'il a obtenu une faveur pour sa localité ; on travaille là où il est possible de travailler utilement et je puis attester que l'on travaille surtout dans la station et au chemin de fer de ceinture de Liège, travaux auxquels l'honorable membre doit porter un intérêt tout particulier.
M. Couvreur. - Messieurs, lorsque la législature a voté le crédit extraordinaire pour assurer la neutralité de la Belgique, le gouvernement a bien voulu prendre l'engagement de faire un rapport non seulement sur l'emploi des fonds mis à sa disposition, mais encore sur les avantages et les. inconvénients de notre organisation militaire, mis en lumière par la mobilisation et les opérations effectuées le long de nos frontières. Aussi longtemps que la guerre a duré, je n'ai pas insisté pour que ce rapport fût déposé.
Cela pouvait présenter des inconvénients et avait été réservé par le gouvernement.
En Suisse, cependant, on a été moins circonspect. Le général Herzog, commandant en chef de l'armée d'observation de la Confédération helvétique, a déjà, depuis plusieurs mois, renseigné le gouvernement et la représentation fédérale de son pays, et sur ses opérations et sur les observations qu'il a pu faire dans l'exercice de ses fonctions, quant aux vices de l'organisation militaire de l'armée mise à sa disposition. Une commission chargée à Berne de préparer la révision de la constitution fédérale a déjà fait de ces communications l'objet d'un examen très approfondi et arrêté toute une série de de résolutions à soumettre à la représentation nationale afin d'introduire dans l'organisation militaire les réformes dont l'urgence a été reconnue par elle sur le rapport des autorités militaires.
Il me serait agréable de savoir, messieurs, quand nous serons mis en possession du rapport qui nous a été promis par le gouvernement.
Le rapport du général suisse nous a été communiqué, Il a été imprimé dans les documents de la Chambre. Vous aurez remarqué, messieurs, que ce rapport est empreint d'une grande franchise, Il dévoile toutes les imperfections de l'organisation des milices helvétiques. Je ne doute nullement, que nous ne retrouvions le même mérite dans le rapport que nous attendons. La sincérité s'impose d'autant plus au gouvernement en cette circonstance que de vives critiques ont été dirigées à tort ou à raison, par l'opinion publique, soit contre certaines opérations de l'état-major, soit contre, les principes et la mise en application de l'organisation elle-même, qui nous régit. Je serais charmé de rencontrer dans le rapport la réfutation de ces critiques ou l'indication des moyens propres à y faire droit si elles sont fondées,
M. le général Guillaume, ministre de la guerre. - Je n'ai pas perdu de vue la promesse de faire un rapport a la Chambre ; je m'occupe (page 855) très activement de ce rapport et j'aurai l'honneur de le soumettre à la Chambre dans le plus bref délai. Je ne crois pas avoir besoin de dire que je mettrai la plus grande franchise dans l'exposé des faits qui se rapportent à l'organisation de l'armée.
M. Couvreur. - J'insiste pour que ce rapport soit déposé avant la discussion du budget de la guerre de 1872,
M. le général Guillaume, ministre de la guerre. - Mon rapport sera déposé dans quelques jours.
M. le président. - Les sections ont autorisé la lecture d'une proposition de loi qui est ainsi conçue :
« Art. 1er. En cas de délit de presse, nul ne peut être condamné à des dommages-intérêts ou autres réparations civiles, sans avoir été préalablement déclaré coupable par le jury.
« Art. 2. Si la publication ou la distribution d'un écrit, sans tomber dans les prévisions de la loi pénale, est de nature à causer un dommage à autrui, toute condamnation à des dommages-intérêts ou autres réparations civiles devra être précédée d'une réponse affirmative du jury.
« Dans ce cas, le président de la cour d'assises remettra aux jurés deux questions auxquelles ils auront à répondre séparément.
« La première aura pour but de constater si le défendeur est l'auteur, l'éditeur ou le distributeur de l'écrit.
« La seconde sera relative au point de savoir si l'écrit a eu pour conséquence de causer un dommage au plaignant.
« Art. 3. Dans les deux hypothèses prévues par les articles précédents, les dommages-intérêts ne pourront être alloués que par la cour d'assises.
« Art. 4. En matière de presse, la personne lésée, en se constituant partie civile, possède toujours le droit de citation directe devant la cour d'assises.
« La partie civile fera, par l'acte de citation, élection de domicile dans la ville où siège la cour d'assises. La citation énoncera les faits et tiendra lieu de plainte.
« Il y aura au moins un délai de huit jours, outre un jour par trois myriamètres de distance, entre la citation et le jugement, à peine de nullité. Néanmoins, cette nullité ne pourra être proposée qu'à la première audience et avant toute exception ou défense.
« L'exploit de citation directe devra, avec observation des mêmes délais, être notifié au procureur général ou au procureur du roi remplissant les fondions du ministère public près la cour d'assises.
« Art. 5. L'article 134 de l'arrêté royal du 18 juin 1853 est applicable à la personne lésée qui use de la faculté que lui accorde l'article précédent.
« Art. 6. Sauf le cas où le fait est qualifié crime par la loi, aucune visite domiciliaire tendante à découvrir l'auteur d'un écrit incriminé ne pourra être pratiquée.
« (Signé) de Baets. »
Messieurs, l'honorable M. de Baets m'écrit de Gand qu'il sera prêt à développer sa proposition la semaine prochaine.
Nous passons à l'ordre du jour.
Personne ne demandant la parole, la discussion générale est close.
« Art. 1er. Des crédits provisoires, à valoir sur les budgets des dépenses de l’exercice 1871, sont ouverts, savoir :
« 1° Au département de l'intérieur : fr. 2,300,000. »
« 2° Au département des travaux publics : fr. 8,000,000.
« Total : fr. 10,300,000. »
- Adopté.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication par le Moniteur. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur ce projet de loi.
94 membres y prennent part.
Tous répondent oui.
En conséquence la Chambre adopte.
Le projet de loi sera transmis au Sénat,
Ces membres sont :
MM. Biebuyck, Boulenger, Bouvier, Braconier, Brasseur, Cornesse, Cruyt, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, Defuisseaux, de Kerckhove, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Liedekerke, Demeur, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Smet, de Theux, Dethuin, de Vrints, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Elias, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Janssens, Jottrand, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Lelièvre, Lescarts, Liénart, Magherman, Mascart, Mouton, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Pirmez, Rembry, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sainctelette, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Balisaux, Bara, Bergé et Vilain XIIII.
(page 886) M. Schollaert. - Messieurs, j'aurais encore beaucoup de choses à dire sur les écoles mixtes, mais je ne veux pas entrer dans les détails, ni abuser de l'attention de la Chambre et de sa bienveillance.
Qu'il me soit cependant permis d'émettre encore une ou deux réflexions générales sur cet important sujet.
J'ai tâché de démontrer hier, en m'occupant tout spécialement des classes pauvres et laborieuses, combien il importe de diriger l'éducation de la femme de façon à en faire une bonne ménagère.
A mon avis, messieurs, et je ne suis pas seul à le penser, pour résoudre ce que l'on appelle la grande question ouvrière, la première chose indispensable, c'est de créer, car, dans bien des endroits, la chose est à créer, une habitation agréable pour l'ouvrier et sa famille. Un modeste logis, dirigé par une femme économe qui soigne bien le linge et prépare bien le repas, est peut-être le seul rival qui puisse être efficacement opposé au cabaret.
Aussi longtemps qu'on ne parviendra pas à fonder ce nid de famille, ce sweet home, comme en dit en Angleterre, j'ai bien peur que la régénération des classes ouvrières ne reste à l'état de problème.
Cela est vrai surtout au point de vue de l'enfant ! L'Eglise peut beaucoup, l'école peut beaucoup ; mais, pour que l'éducation de l'enfant soit complète, il lui faut une troisième chose : la maison.
Or, messieurs, ne nous faisons pas illusion, une maison ne se compose pas uniquement de bois, de chaux et de briques. Au fond, la maison c'est la femme. Quand la mère se retire, le nid se disperse.
Malheureusement, messieurs, il y a de nos jours au sommet de la société comme dans ses régions les plus humbles des causes diverses, mais concurrentes, qui poussent la femme hors du foyer domestique, vers des vocations qui répugnent à sa nature.
Celte tendance est, à mes yeux, un très fâcheux symptôme.
Tous les jours, la dure nécessité chasse des milliers de mères de famille de leur domaine naturel. Longtemps avant le jour, elles quittent leurs enfants pour aller dans une fabrique, dans une houillère ou sur un navire, ou on les emploie à des travaux virils pendant 14 à 16 heures !
Et pendant ces interminables journées, la maison demeure déserte. Comment l'enfant y resterait-il ? A moins qu'il ne s'enferme lui-même dans un atelier, et c'est presque toujours le parti le plus sage, il ne lui reste, quel que soit d'ailleurs son sexe, d'autre refuge que la rue.
Oh ! je sais combien il est difficile et imprudent de toucher à la liberté du travail ; je sais que c'est le besoin qui chasse ces femmes hors de la maison, et qu'avant de les rendre à leur destination naturelle il faudrait pouvoir leur assurer du pain. Je connais aussi la loi économique, qui est une loi naturelle contre laquelle aucune défense ne saurait prévaloir et qui s'impose irrésistiblement au monde industriel.
Oui, je sais et je connais tout cela ; et pourtant je n'ai pu me défendre, contre l'émotion très pénible, très amère dont je fus saisi, l'autre jour, en voyant, d'un des quais du port d'Anvers, des femmes, des mères de 30 a 40 ans tirer de la cale d'un navire américain un lourd chargement de peaux de buffle !
J'admirais ces malheureuses pour l'honnête et vaillant combat qu'elles livraient à la misère ; je les aimais pour les héroïques et rudes efforts dont elles payaient le pain de leurs enfants ; mais je me demandais si la civilisation où de telles nécessité paraissent inévitables est bien aussi chrétienne et aussi avancée que nous aimons à le croire ? Je comprends la femme ouvrière, messieurs, mais je ne comprendrai jamais la « femme ouvrier » ! Je me demande souvent avec inquiétude s’il n’y a rien à faire pour changer la situation actuelle ?
Et certes, messieurs, il ne faut désespérer de rien. Qui sait si le génie humain qui a fait tant de merveilles n'inventera pas un jour des métiers qui permettront à la femme de travailler sans quitter la maison ?
(page 887) La machine à coudre, dont l'importance sociale se révèle de plus en plus, n'est-elle point un premier pas dans cette voie glorieuse et réparatrice ? Dieu le veuille ! Mais, en attendant que le progrès se réalise, au profit de la femme, pourquoi ne songerions-nous pas à réaliser dès à présent tout ce qu'il est possible de faire dans l'intérêt de l'enfant ? Il résulte d'une enquête très intéressante que nous a fait distribuer l'honorable M. Jamar, que les écoles gardiennes tendent à se multiplier autour des grands centres industriels. Mais leur nombre est loin de suffire. Il n'y aura assez de salles d'asile que lorsque le dernier petit vagabond y aura été recueilli, et je ne saurais trop engager l'honorable ministre de l'intérieur à faire une large application et un généreux usage de l'article 25 de la loi de 1842.
Je voudrais que l'honorable M. Kervyn voulût bien examiner aussi s'il n'y a rien à faire pour régler le travail des enfants.
L'honorable M. Frère a fait ressortir, il n'y a pas longtemps, combien la question est délicate et commande des ménagements. Je partage son opinion sur bien des points. Mais quand l'industrie réclame l'enfant, l'Etat, qui est le tuteur de celui-ci, n'est-il pas en droit de poser des conditions ? Ne serait-il pas possible, par exemple, d'introduire chez nous cet admirable système du half-time qui fonctionne si bien en Angleterre et en Amérique ?
On a dit que ce serait un acheminement vers l'instruction obligatoire. Je ne le crois pas. Le half-time s'applique à une situation spéciale et exceptionnelle. Si l'honorable ministre de l'intérieur veut porter son attention sur ce point, il trouvera, comme moi, que la mesure peut être introduite sous le régime de la loi de 1842 et sans toucher à la liberté générale.
La question vaut bien d'ailleurs qu'on l'étudie. Elle est grave, elle est urgente. Tous les Etats ou presque, tous les Etats de l'Europe s'en préoccupent. Il serait étrange que la Belgique restât indifférente, au milieu de ce mouvement universel.
J'arrive, messieurs, à l'enseignement moyen des filles.
Et tout d'abord, messieurs, je déclare que j'approuve M. le ministre de l'intérieur de n'avoir pas conservé au budget le subside de 50,000 francs qu'aurait voulu y introduire son honorable prédécesseur.
J'ai pour cela deux raisons. La première est une raison de droit ; la seconde est une raison morale.
Sur la question de droit, c'est-à-dire sur la question de savoir si le gouvernement peut organiser des écoles moyennes de filles, je suis presque d'accord avec l'honorable M. Frère.
Je crois que les écoles que voulait organiser l'honorable M. Pirmez auraient été, en réalité, des écoles moyennes, et comme la loi de 1850 ne s'applique pas à l'enseignement moyen des filles, il est clair que l'instruction que l'honorable M. Pirmez aurait voulu introduire ou subsidier n'est réglée par aucune loi.
Faut-il conclure de là qu'il est interdit en Belgique de créer des écoles moyennes de filles ?
Aucunement. La création d'une école moyenne peut être d'intérêt communal.
En établissant une telle école, en l'absence d'une loi ou d'un règlement général contraires, les conseils communaux usent du droit qui leur appartient de fonder des institutions dont un intérêt local réclame l'établissement. (Articles 108-2° de la Constitution et 75 de la loi communale.)
Je vais plus loin. Je crois que l'Etat, qui n'est appelé, par aucune loi, à intervenir dans la direction et la surveillance de ces écoles, peut néanmoins leur accorder des subsides.
Mais ce que je ne saurais admettre, c'est que l'Etat puisse subordonner ces subsides à des conditions qui lui permettraient, en dernière analyse, d’'organiser, par un circuit, l'enseignement moyen des filles.
Je ne saurais citer un texte à l'appui de cette opinion, mais elle dérive de la nature des choses et me semble, sinon légalement au moins moralement, incontestable.
L'article 17 de la Constitution qui est, en matière d'enseignement, une de nos garanties les plus précieuses, veut que l'enseignement de l'Etat soit réglé par la loi.
Il ne peut être permis de violer cette disposition ni directement ni indirectement. C'est aux Chambres de veiller à son exécution, et d'empêcher le gouvernement, en refusant les subsides nécessaires, de se servir des communes comme de personnes interposées.
M. Rogier. - Je demande la parole.
M. Schollaert. - Si l'enseignement moyen des filles doit être organisé, et c'est une question que je m'abstiens de résoudre, il doit l'être par la loi.
C'est, je le répète, la Constitution qui l'a voulu ainsi.
La seconde raison pour laquelle je voterai contre l'amendement de l'honorable M. Muller est une raison morale.
L'annexe du projet de budget de l'honorable M. Pirmez est nés dans des conditions fâcheuses.
Son histoire, plus peut-être que son texte, devait alarmer les consciences chrétiennes et même tous ceux qui veulent rester dans la civilisation chrétienne et y maintenir le pays. Il suffira de rappeler cette histoire en très peu de mots pour justifier ces assertions.
Mais, avant de commencer, j'ai une réserve à faire. Je n'impute à qui que ce soit, et à l'honorable M. Pirmez moins qu'à personne, des intentions anti-chrétiennes. Je sais que, sur la question de l'enseignement, il y a sur les bancs de nos honorables adversaires des divisions profondes. Tandis que les uns iraient jusqu'à bannir tout enseignement religieux de l'école, d'autres s'approchent tellement de nous que j'aperçois à peine la nuance qui nous sépare.
Je ne veux pas citer de noms, mais il me serait difficile de ne pas dire combien j'ai été heureux naguère des fermes et généreuses déclarations que l'honorable M. Dolez a cru à propos de faire au Sénat sur ce grave et capital sujet.
L'honorable M. Frère nous accusait hier d'exagérer toutes choses pour exciter les mauvaises passions d'un public ignorant. Il nous accusait de traiter d'athées tous ceux qui n'appartiennent pas au giron de l'Eglise. Je proteste contre ce reproche et je rougirais de le mériter. On peut être rationaliste sans être athée.
L'honorable M. Jules Simon, dont j'ai à vous parler, n'est certes pas chrétien, mais on ne pourrait, sans commettre une grossière injustice, le traiter d'athée. Disciple de Cousin, il a défendu le spiritualisme pendant toute sa vie, et écrit un noble livre sur <Le Devoir.
Mais j'aborde mon histoire.
Le 15 août 1864 il parut, dans la Revue des Deux-Mondes, un article de l'honorable M. Jules Simon, qui fit immédiatement une très grande sensation.
Cet article signalait « un désaccord entre l'opinion des femmes et celle des hommes... » L'auteur y disait,-avec une franchise dont je le loue : « Il importe beaucoup au clergé de faire élever les femmes dans des sentiments de ferveur religieuse, car ce sont elles qui donnent la première éducation à leurs enfants... Dans les pays nominalement catholiques, où l'indifférence religieuse a envahi toutes les classes, les enfants sont baptisés, font leur première communion ; les mariages sont bénits ; on réclame les prières du clergé dans toutes les funérailles. Est-ce inconséquence des hommes ? Non, vraiment, c'est le triomphe de l'influence des femmes... »
M. Jules Simon ajoutait :
«... Plus cette influence ainsi exercée semble précieuse aux chrétiens fidèles, plus elle doit déplaire à ceux qui, n'ayant pas la même foi, redoutent comme une cause de perturbation pour les familles la différence profonde des doctrines du mari et des croyances de la femme... »
Ailleurs l'auteur avait dit :
« Nous ferons tenir tous nos vœux en deux mots : créer l'instruction des filles ; rendre l'instruction obligatoire... » (L’Ecole ? p. 115.)
Ce n'est pas pour critiquer les opinions de M. J. Simon que je vous lis ces passages, c'est pour vous montrer les tendances qu'ils révèlent, et qu'il nous importe à tous de connaître et de peser.
L'article de la Revue des Deux-Mondes fut le signal d'une espèce de croisade.
La presse française s'empara de la question, et vous savez comme moi quelle fut la nature des polémiques qui en résultèrent.
Lorsque, en 1865, M. Duruy, alors ministre de l'instruction publique, présenta son projet de loi sur renseignement primaire des garçons, l'occasion parut favorable pour faire un pas dans la voie qu'on s'était proposée.
Quelques députés (et je vous prie, messieurs, de bien vouloir peser leurs noms qui sont honorables, sans doute, mais singulièrement significatifs) MM. Carnot, J. Simon, Pelletan, Havin et Guéroult présentèrent l'amendement suivant :
(page 888) « Dans toutes les communes pourvues d'un lycée impérial, il y aura une école supérieure pour les filles. »,
le corps législatif repoussa cet amendement, et voici les paroles du rapporteur : « La création d'une école supérieure de filles dans les communes pourvues d'un lycée impérial ne saurait être considérée comme la satisfaction d'un véritable besoin, puisque toutes les villes ont des établissements libres où les parents qui en ont les moyens peuvent donner à leurs filles une instruction élevée. Elles n'ont pour ainsi dire que l'embarras du choix. En conséquence, la commission n'admet pas le principe de l'amendement et n'a pas a s'en occuper. »
Ceci cependant ne découragea ni les auteurs de la proposition ni M. le ministre Duruy. Le 3 octobre 1867, parut une circulaire où M. Duruy, qui n'avait pu obtenir une loi du corps législatif, fit à peu près ce que l'annexe se promettait de faire, c'est-à-dire de s'en passer.
Dans sa circulaire, restée fameuse, M. Duruy disait : « Nous pouvons nous occuper de donner satisfaction non plus à la loi elle-même, mais à des vœux qui ont été exprimés durant la discussion au sein du corps législatif et qui répondent au désir même du gouvernement... » Plus loin, l'honorable ministre ajoutait ces paroles reproduites dans l'annexe et qu'il est bon de rappeler : « L'enseignement secondaire des filles est et ne peut être que l'enseignement qui vient d'être constitué pour les garçons, par une loi du 21 juin 1865. »
J'ignore ce qu'il est advenu de l'œuvre de M. Duruy, mais je ne puis m'empêcher d'être vivement frappé des nombreuses analogies qui semblent rattacher le projet de l'ancien cabinet à l'entreprise de Mil. Duruy et Jules Simon !
Maintenant, messieurs, faites pour un moment abstraction de vos principes ; placez-vous à votre point de vue, au point de vue de nos convictions ; songez qu'il s'agit de nos intérêts les plus chers et demandez-vous si l'exposé que je viens de vous soumettre n'est pas de nature à alarmer l'épiscopat, les pères de famille chrétiens, tous les catholiques.
Je ne dirai pas que ces alarmes sont justifiées ; mais je vous demande si elles ne sont pas très naturelles ?
Je crois aux bonnes intentions de M. Pirmez, et, qu'il en soit bien persuadé, ce n'est point par banalité ni pour satisfaire à des exigences parlementaires, que je l'affirme.
Ce que M. Jules Simon entrevoit comme une espérance serait, je le sais, aux yeux de l'honorable M. Pirmez, un désastre social ; mais mes réserves ne sauraient détruire de fatales coïncidences, qui appartiennent à l'histoire et qu'il est désormais impossible de nier !
Hier l'honorable M. Frère s'est plaint du mauvais vouloir des évêques. Il les a dépeints comme intraitables en matière d'enseignement.
Je n'ai pas mission de défendre les évêques, je ne connais pas les faits auxquels se rapportent les observations de M. Frère, mais je me demande ce qui serait arrivé si l'ancien pouvoir avait été moins âpre et moins défiant à l'égard des évêques ; si, au lieu de voir en eux des rivaux altiers, l'Etat les avait traités en auxiliaires utiles et respectés ?
Quoi qu'il en soit, devant l'attitude du gouvernement et surtout devant des faits comme ceux que je viens d'exposer, comment l'épiscopat aurait-il pu ne pas s'alarmer et le pays catholique ne pas s'émouvoir ?
Je passe, messieurs, à une dernière question. Est-il nécessaire d'organiser, par la loi, l'enseignement des filles en Belgique ?
Cette question est grave.
Je n'y ferai pas une réponse absolue. Le gouvernement aura à l'examiner avec la maturité qu'il apporte à l'étude des questions sérieuses.
Permettez-moi seulement de vous communiquer certaines impressions qui me paraissent dominer la matière.
Je disais tout à l'heure que des causes diverses, mais concurrentes, tendent, aux pôles opposés de la société, à détourner la femme de sa destination naturelle et à la pousser hors de la maison dans la vie extérieure et virile.
Sous ce rapport, ce que la nécessité et le besoin font en bas, la vanité et l'ambition le font en haut. Cette manie des femmes de se produire se répand surtout en Angleterre et en Amérique,
Hier l'honorable M. Frère louait l'université de Londres d'avoir ouvert ses portes à la femme anglaise.
Il considérait ce fait comme un progrès et nous demandait pourquoi il n'en serait pas ainsi, puisque, même au moyen âge, il y avait des femmes qui apprenaient le grec et le latin.
Je ne partage pas, sur ce point, l'avis de l'honorable M. Frère. Je n'aime pas à voir la femme apparaître dans les universités, dans les amphithéâtres, dans les clubs de Londres, ou sur la plate-forme américaine.
Elle n'y est point à sa place ; elle s'y trouve déclassée, et, permettez-moi cette expression, elle s'y dénature.
Cela est grave, et peut, en se généralisant, conduire dans la vie privée aux plus grands désordres.
On dirait que notre temps est atteint d'une maladie que j'appellerais volontiers la myopie égalitaire. Il ne voit des objets que les lignes générales. Les différences et les détails semblent lui échapper.
Certes, il y a une égalité qu'il faut aimer et défendre, parce qu'elle n'est, au fond, qu'un synonyme ou un côté de la justice. L'égalité devant l'impôt, devant la loi et devant l'ennemi, qui songe à l'attaquer ? Qui ne la considère comme la base inviolable de notre droit public ?
Evidemment, ce n'est pas elle que j'ai en vue en ce moment. La myopie égalitaire dont je parle est celle qui, séduite, par un semblant d'équité, refuse de tenir compte des différences naturelles et des inégalités de fait, qui sont indestructibles dans les rapports sociaux comme dans tous les règnes de la vie. Ce genre d'aberration, je ne suis pas le premier à le dire, a singulièrement contribué à entraver dans la vie publique le progrès de la liberté. Sous prétexte que les hommes sont égaux devant la loi on a prétendu que tous doivent avoir la même part au gouvernement et l'on a proclamé la souveraineté brutale du nombre. Sous prétexte que la terre appartient à tous, on est arrivé à la négation de la propriété et aux exigences, variées dans la forme, mais au fond identiques, de tous les systèmes communistes. Parce que la femme est l'égale du mari, au point de vue de la justice, on a voulu qu'elle lui devînt semblable, et on a oublié, selon la judicieuse remarque de Le Play, que les deux sexes ont à remplir, dans l'ordre social, des fonctions non moins différentes que celles qui leur sont assignées dans l'ordre physique.
Or, messieurs, de toutes les erreurs que je viens de signaler, la dernière est la plus grossière et la moins excusable.
Il ne s'agit pas ici de savoir si la femme doit être instruite, selon l'état qu'elle occupe dans tout ce qui peut l'aider, dans la vie, à remplir, comme mère et comme épouse, sa mission spéciale et naturelle.
Tout le monde est d'accord sur ce point.
Ce que je conteste, c'est que la femme doive recevoir la même éducation que l'homme, posséder les mêmes connaissances, et être préparée à remplir, dans la société, le même rôle et les mêmes fonctions.
Tennyson a résolu la question dans un beau vers :
« Woman is not undeveloped man.
« But diverse... »
La femme n'est pas, comme on feint de le croire, un homme non développé, mais un être à part.
Elle a des aptitudes qui ne sont pas les nôtres ; nous avons des propriétés qui ne sont pas les siennes, parce que ses destinées et les nôtres sont différentes. Cela est tout simplement incontestable.
Le christianisme n'a jamais hésité sur ce point. Tout en admettant la parfaite unité de la famille, il a constamment maintenu les attributions diverses des membres qui la composent.
Je ne reprocherai ni à l'honorable M. Frère, ni à l'honorable M. Pirmez, de professer une opinion contraire. Il y a loin de l'enseignement moyen, qu'ils préconisent aux conclusions radicales que je combats. Moi-même, je ne suis pas fixé sur ce que l'on aura peut-être un jour à faire en cette matière délicate ; mais je veux prémunir la Chambre contre des entraînements dont je condamne l'origine et dont je prévois les funestes conséquences.
Il faut se défier des pentes. Il faut se mettre en garde surtout contre cette égalité chimérique que réprouve la nature.
N'encourageons pas la femme qui veut sortir du sanctuaire domestique ; tâchons au contraire de l'y attacher inébranlablement. Jamais la femme n'est plus gracieuse ni plus respectable que lorsqu'elle a un enfant sur son cœur et qu'elle apparaît comme la providence du foyer. Ne lui apprenons ni le grec ni le latin, ni la chimie ni les mathématiques appliquées. Ne la poussons pas à s'asseoir sur les bancs de nos universités. Elle ne s'arrêterait pas là. Après avoir reçu l'enseignement, elle voudrait le donner et du haut de nos chaires de droit, de médecine et de littérature, elle s'adresserait à des élèves plus attentifs à ses attraits qu'à ses leçons.
Elle irait plus loin, croyez-moi. Elle revendiquerait sa part dans la vie publique et sa place dans les bras complaisants du suffrage universel. De (page 889) simple électeur, elle deviendrait éligible et nos petits-enfants courraient risque de s'asseoir a côté d'elle sur les bancs où nous sommes assis... (Interruption.)
Mais à l'heure où je vous parle, ce mouvement est très prononcé en Angleterre. Un des plus illustres publicistes de ce grand pays, M. J. Stuart Mill, s'en est fait le patron et l'apôtre. En Amérique on est plus avancé encore, et, si je ne me trompe, il y existe des Etats où la femme prend part aux élections.
J'ignore, messieurs, si ces progrès vous accommodent ; pour moi, ils me font horreur !
Lorsque la femme aura définitivement déserté la maison pour devenir avocat, professeur, député, ministre, nous ne nous trouverons pas seulement devant une monstruosité ; ce sera bien pis ; il n'y aura plus de femme.
M. Bouvier. - Vous combattez des moulins à vent.
M. Schollaert. - Nous aurons le monde renversé. Quant à moi, je préfère le vieux système chrétien ; je préfère même celui de la vieille république romaine, qui ne connaissait pas les divorces aux jours de sa gloire et qui croyait qu'il n'y a pas de plus bel éloge àa graver sur l'urne cinéraire de ses Veturie et de ses Lucrèce que ces simples mots : Domi mansit, casta vixit.
Jusqu'ici je n'ai exposé que des tendances, je passe maintenant aux actualités.
Faut-il que la loi organise l'enseignement moyen des filles en Belgique ?
L'honorable M. Rogier posait, il y a quelques jours, une distinction bien sage à propos des écoles moyennes de garçons. Il observait que tous les jeunes gens ne sont pas appelés à fréquenter les athénées et qu'il y a, dans le petit commerce et la petite industrie, un nombre considérable d'élèves plus naturellement appelés à s'affilier à la première section de nos écoles moyennes.
Je crois, messieurs, que cette distinction est applicable aux filles comme aux garçons, et que la question, comme je la posais tout à l'heure, est trop générale dans ses termes.
Il faut se demander s'il est nécessaire d'organiser, par la loi, des écoles moyennes d'abord pour les filles d'une condition modeste et ensuite s'il importe d'organiser ces écoles pour les classes riches de la société ?
J'avoue, messieurs, que la première catégorie m'intéresse le plus. Les riches parviennent toujours à se tirer d'affaire. C'est vers les faibles et les humbles que la sollicitude de l'Etat doit se porter de préférence.
Parlons donc d'abord de la jeune fille appartenant à la petite bourgeoisie, à la petite culture, au commerce de détail, à cette société intermédiaire, très respectable, qui marche vers la fortune, mais qui n'y est pas encore arrivée ; j'ai fréquenté cette classe ; elle est digne, par son économie, par son âpreté au travail, par sa moralité, et par sa droiture, de tous les respects. Elle s'élève sans cesse et elle remplacera demain les riches oisifs et prodigues. Quelle éducation doit recevoir la jeune fille appartenant à celle classe de boutiquiers, d'artisans et de campagnards ? A-t-elle un bien grand intérêt à devenir une femme savante ? Qu'il soit utile de l'instruire solidement, sérieusement dans les diverses branches de l'enseignement primaire, et même de l'enseignement primaire à programme développé, suivant le système de l'honorable M. Vandenpeereboom, personne, je pense, ne le contestera.
Mais est-il nécessaire d'aller plus loin ; est-il nécessaire d'introduire la jeune paysanne, la jeune boutiquière, la future épouse du maître artisan dans le domaine de la science ?
Franchement, messieurs, je ne le crois pas. A quoi bon enfler l'amour-propre de ces modestes enfants en leur apprenant des choses dont elles n'auront jamais besoin et que la plupart oublieront un unis après avoir quitté l'école ? N'est-il pas à craindre que cette éducation exagérée ne les fasse dévier de leur sphère et ne les plonge, pour leur malheur, dans un abîme de convoitises et d'aspirations irréalisables ?
Que fera, rentrée chez elle, une enfant dont on aura ainsi surexcité, sans profit, les prétentions et la vanité ? Ne rougira-t-elle pas de sa condition ? Ne sera-t-elle pas humiliée de la position de ses vieux parents qui auront disposé de leurs épargnes pour lui permettre de passer plusieurs années dans un pensionnat ? Ne sont-ce pas ces déclassements inconsidérés qui produisent, au sein du peuple, les plus sombres drames domestiques ?
Un de nos plus illustres écrivains, M. Henri Conscience, a décrit avec un réalisme saisissant les conséquences de cette situation anomale et dangereuse ; ceux qui ont lu Siska Van Roosemael ont déjà compris mes appréhensions et toute ma pensée. Non, messieurs, il ne faut pas lancer l'imagination des enfants de notre bourgeoisie dans un monde chimérique où elles ne pénétreront jamais et qui les dégoûtera de celui où elles peuvent être heureuses et honorées.
Je passe, et c'est le dernier point que je traiterai, aux jeunes filles de la seconde catégorie, aux riches. Est-il nécessaire de créer des écoles moyennes pour elles ? Si j'en étais convaincu, je n'hésiterais pas à voter une loi qui comblerait cette lacune. Mais quand je regarde autour de moi, je suis fort porté à croire avec le rapporteur de la loi de 1865 que le besoin ne s'en fait aucunement sentir.
M. Jottrand. - C'est une erreur.
M. Frère-Orban. - Il n'y en n'a pas.
M. Schollaert. - Prouvez-moi que mon appréciation est inexacte, et je ne demande pas mieux que de concourir au vote d'une loi qui aurait pour objet de pourvoir aux besoins que vous signalez, pourvu, bien entendu, que cette loi m'assurât toutes les garanties, toutes les sécurités comme chrétien.
Mais je répète ma demande : ce besoin se fait-il réellement sentir ? N'avons nous pas, pour nos jeunes filles, des écoles de toute nature, des écoles laïques et des écoles religieuses également bien organisées ? Je parle en ce moment des classes aisées. Pourquoi leur donnerait-on de
l'argent ?
S'il est des riches qui ne sont pas satisfaits des écoles existantes, que ne font-ils profit de la liberté, cette puissance féconde qui autorise et protège tous les systèmes ?
Pour moi, je pense que les familles aisées (et c'est encore un mot que j'emprunte au rapporteur de la loi française) n'ont, pour ainsi dire, que l'embarras du choix.
Elles ont la mère d'abord ; c'est-à-dire, d'après Fénelon et Le Play, l'institutrice par excellence. Oh ! elle est trop abandonnée aujourd'hui la saine et sainte éducation du foyer ! On ne comprend plus assez qu'à côté d'une mère intelligente, toutes autres les maîtresses, religieuses ou laïques, ne sont que des auxiliaires, ou, s'il est permis de parler ainsi, des suppléantes. La mère est l'institutrice de la nature. Elle suit sa fille avec une sollicitude qui n'a d'égale que sa tendresse. Que dis-je ? Sa fille est sa continuation. Une mère est présente tout entière dans cet être charmant que ses flancs ont porté et qui n'a pas cessé un instant d'être la plus chère partie d'elle-même. N'essayez pas de tromper sa vigilance ! Elle lit dans la pensée de son enfant comme dans un livre ouvert. Elle connaît les penchants de sa fille ; elle devine ses faiblesses, et il n'est pas d'émotion qui traverse ce jeune cœur, fait à l'image du sien, dont elle n'éprouve aussitôt le retentissement dans son propre sein. On m'arrête et l'on me dit qu'une mère ne peut donner toutes les leçons, ni apprendre toutes les sciences qu'exige l'éducation moderne. Soit ! qu'elle s'entoure de professeurs, pourvu qu'elle garde sa fille sous ses ailes. Par ce simple procédé, l'élève pourra acquérir toutes les connaissances utiles, y compris ces arts d'agrément que Topffer, le spirituel humoriste genevois, trouvait souvent si désagréables...
Messieurs, J.-J. Rousseau voulait que les mères fussent les nourrices matérielles de leurs enfants. Je voudrais faire un pas de plus et conseiller à celles qui en ont les moyens et le loisir, d'être les nourrices morales de leurs filles.
Quelque excellente qu'elle soit, toutes les familles ne peuvent, j'en conviens, donner à leurs filles une éducation privée. Mais n'avons-nous pas, comme je viens de le dire, de nombreuses
écoles ?
On objecte que la plupart de ces écoles sont congréganistes. Mais nous les aimons ainsi et nous n'avons demandé des subsides à personne pour les fonder. Nous pensons que, pour une jeune fille, la meilleure institutrice après la mère est une sœur. En voulez-vous les raisons ?
On a dénié aux religieuses les qualités affectueuses que requiert l'éducation des enfants, parce qu'elles ignorent les joies de la famille et les tendresses maternelles. Eh bien, messieurs, dans mon opinion, c'est précisément parce que la religieuse n'est ni épouse ni mère, qu'elle convient éminemment à être la mère des enfants qu’on lui confie et qui ne sont pas les siens.
C'est parce qu'elle dispose de la plénitude du dévouement et de la tendresse que la nature a mis dans le cœur de toutes les femmes, que la religieuse peut les répandre sur les autres... (Interruption.)
Cela me paraît incontestable. L'institutrice la plus respectable, la plus pieuse, la plus attachée à ses devoirs, mais qui est mariée, qui a des enfants, qui a des intérêts sacrés, sans doute, mais personnels, ne dispose pas de tout son cœur. Elle sera, avant tout, la mère de ses propres (page 890) einfants ; et, le voulût-elle par vertu, elle n'élèvera jamais les enfants des autres à la hauteur de l'amour qu'elle porte a sa famille. Non seulement cela est, mais cela doit être. Une femme qui sentirait autrement manquerait de cœur ; ce serait une mauvaise épouse, une mauvaise mère ! (Interruption.)
On a dit encore que les maisons religieuses ne produisaient que des bigotes.
Je m'émeus fort peu de ces qualifications, je tâche de les ramener à leur sens véritable, et lorsqu'on me dit que les congrégations produisent' des bigotes, j'en conclus tout simplement qu'elles produisent des femmes chrétiennes.
Je ne puis que les en féliciter ; et beaucoup de personnes en Belgique seront de mon avis, quand j'ajouterais que la femme chrétienne est le plus incomparable produit et la plus noble fleur de l'histoire. Il a fallu douze siècles au christianisme pour former cette créature accomplie.
On a été dur pour les congrégations religieuses, je dirais presque qu'on a poussé la dureté jusqu'à l'ingratitude. Eh bien, dussé-je être mis demain sur la claie de tous les journaux irréligieux du pays, j'aurais le courage de les défendre, ces congrégations, et de répondre aux paroles méprisantes qui sont parties de cette tribune, par des paroles de bénédiction et de reconnaissance... (Interruption.)
Mais, messieurs, vos interruptions m'étonnent. N'avez-vous donc jamais pensé, sérieusement pensé au sens de ces mots : « Une femme chrétienne » ? Mais portez donc vos regards en arrière, portez-les au delà des frontières du christianisme, et montrez-moi la femme que vous préférez à vos sœurs, à vos épouses, à vos mères ! Est-ce dans l'antiquité que vous la trouverez ? Sera-ce la femme romaine dont la mari disposait à son gré, et qu'un affranchi chassait de la maison conjugale avec ces simples paroles : « Prends les hardes et sors ! » Collige sarcinulas et exi... ? (Interruption.) Soit ! je ne parlerai plus de l'antiquité, quoiqu'on ait librement parlé hier de Trajan et de Pline le Jeune.....Je veux me renfermer dans le christianisme.
Messieurs, lorsque le monde païen tomba meurtri et mourant aux pieds des Barbares, l'Eglise prit les filles de ces vainqueurs farouches ; elle les cacha dans ses monastères et se mit à leur enseigner non seulement l'Evangile, mais les connaissances profanes, la lecture, l'écriture, le calcul, la broderie et la peinture.
Dès le VIIème siècle, la Belgique, et c'est sa gloire, possédait des abbayes fameuses, où les filles des rois se faisaient maîtresses d'écoles ; de siècle en siècle on vit se développer et grandir la moisson chrétienne ; et au moment où se leva l'aube lumineuse de la Renaissance, longtemps avant que Luther recommandât à l'Allemagne l'enseignement primaire du peuple, cette moisson semée par les religieuses, couvrait toute l'Europe.
Le XVIIème siècle la vit arriver à sa glorieuse maturité. Il en sortit cette société admirable et polie dont rien dans les annales du monde n'égale l'éclat ni la distinction. La femme anglaise, la femme allemande, la femme française, toutes, sans exception, avaient été élevées par des religieuses et, pour ainsi dire, sur leurs genoux !
Que comparerez-vous à cette noble récolte ? Sera-ce la fille de l'Asie, languissant dans un sérail ? ou la Chinoise dont la jalousie conjugale a raccourci les pieds, ou la misérable squaw du Far-West... Sera-ce... (Interruption.)
Messieurs, je voudrais pouvoir conduire une femme chrétienne sur une montagne assez haute pour qu'elle pût, de là, embrasser d'un seul coup d'œil toutes les femmes et tous les peuples de la terre. Là, l'interrogeant à mon tour, non sur Holopherne ni sur Charles Ier, mais sur sa propre condition, je lui dirais :
« Regardez madame, et après avoir regardé, répondez-moi.
« Qui vous a émancipée ? qui vous a élevée au niveau de votre mari ? qui vous a fait pure, belle, royale et supérieure à toutes les malheureuses sœurs qui s'agitent à vos pieds ? »
Eh, messieurs, que pourrait-elle me répondre, sinon : « le christianisme !»
M. J. Simon a dit quelque part, qu'à notre époque la femme appartient au XVIIème siècle et l'homme à la fin du XVIIIème ; en ajoutant qu'il est indispensable d'élever l'épouse au niveau du mari.
Si M. J. Simon avait interrogé son illustre maître, M. Cousin, il n'eût pas écrit cela. Personne n'a mieux compris que M. Cousin la destination de la femme française. Il a tracé de main de maître, dans des livres qui ne périront pas, les portraits de quelques femmes illustres du grand siècle. Parmi ces portraits se trouve celui de Jacqueline, la digne sœur du grand Pascal, et voici comment M. Cousin s'exprime dans la préface de la Vie de cette illustre femme :
c Voltaire va succéder à Descartes... Voici venir comme femmes auteurs ou présidentes de coteries littéraires les Dudeffant, les Graffigny, les Geoffrin, les Duchâtelet... pas une femme véritable ; un peu de savoir en mathématiques et en physique, quelque bel esprit, aucun génie, nulle âme, nulle conviction, nul grand dessein, ni sur soi-même, ni sur les autres ; telles sont les femmes du XVIIIème siècle. »
M. Frère-Orban. - Elles avaient toutes été élevées dans les couvents.
M. Schollaert. - Je ne me serais pas permis, messieurs, de parler ici de femmes chrétiennes si elles n'avaient été attaquées.
Nous ne pouvons, d'autre part, laisser sans défense celles qui ont élevé nos sœurs et nos mères.
- Un membre : Qui les a attaqué ?
M. Schollaert. - Si nous sommes d'accord, j'en suis heureux.
Messieurs, la conclusion de ce discours n'est pas qu'aucun enseignement moyen pour les filles ne doive être organisé par la loi ; je conseille à M. le ministre de l'intérieur de bien méditer sur cette question, mais d'agir, le cas échéant, avec beaucoup de prudence et de ne toucher à aucun prix à cette éducation chrétienne dont je viens de retracer les bienfaits et les triomphes.
La femme chrétienne est, d'après un illustre évêque, la réserve de la vertu parmi nous.
Elle est autre chose encore ; elle est la réserve de la distinction et de toutes les grâces sociales.
Elle est, messieurs, le cœur de l'Europe civilisée et elle en est la couronne.
(page 855) M. Funck.- Je n'avais pas, messieurs, l'intention de prendre part à ce débat. Qu'aurais-je ajouté, en effet, à l'exposé si clair, si net, si précis que l'honorable M. Muller a fait de son amendement ? Que pourrai-je ajouter encore aujourd'hui à la réfutation si brillante que l'honorable M. Frère a faite de toute l'argumentation de M. le ministre de l'intérieur ?
Me laisserais-je entraîner en ce moment sur le terrain où l'honorable M. Schollaert voudrait porter la discussion et aurais-je ainsi à répondre à ces idées d'un autre âge, émises, du reste, avec beaucoup de talent par l'honorable député de Louvain, sur l'éducation de la femme ?
Dois-je enfin établir que personne dans cette enceinte n'a attaqué la femme chrétienne, que l'honorable M. Schollaert s'est donné inutilement la mission de défendre ?
Non, messieurs, la discussion actuelle a atteint son but, elle a dévoilé la pensée du gouvernement, nous savons ce que nous pouvons attendre de lui ; nous pouvons apprécier ce que valent ses promesses ; nous savons que l'enseignement moyen des filles ne sera subsidié qu'à la condition d'être placé sous le régime de la loi de 1842.
Ainsi ce n'est plus seulement pour l'enseignement primaire que l'atmosphère de l'école doit être religieuse, pour me servir d'une expression souvent employée dans un sens qui ne rend nullement la pensée de son auteur, c'est encore dans l'enseignement moyen des filles, c'est dans cet enseignement qu'il faut faire entrer le clergé à titre d'autorité ; et si la loi de 1850 était à refaire, on aurait la même raison pour l'introduire dans l'enseignement des garçons, en attendant qu'on soumette quelque jour l'enseignement supérieur au contrôle du clergé.
Cette situation me convient, elle rend notre position plus nette. Nous pouvons apprécier ainsi, et le pays appréciera, à son tour, comment il faut entendre cette doctrine de conciliation qu'on nous a vantée si fort, il y a quelques mois, lors de l'avènement du cabinet. Le pays saura comment le ministère entend le progrès en toutes choses, qu'il nous promettait dans son programme.
Ce progrès est pour nous le progrès à rebours, c'est-à-dire, la réaction.
Je ne reviendrai donc pas sur cette discussion. Elle me suffit pour constater ce que je voulais établir. J'ai demandé la parole sur un incident.
Pour justifier sa théorie, M. le ministre de l'intérieur a jugé à propos de mettre en cause une institution d'enseignement pour les jeunes filles, fondée depuis quelques années par la ville de Bruxelles.
Je ne puis affirmer qu'il en ait dit beaucoup de mal. Il n'en a pas dit, non plus, beaucoup de bien ; il s'est borné à la représenter, en quelque sorte, comme un repoussoir.
Je comprends, du reste, que M. le ministre de l'intérieur n'aime pas cette école qui a obtenu de brillants succès et qui fait une redoutable concurrence à l'enseignement congréganiste. Il en a parfaitement le droi'.
Je ne vous parlerai pas, messieurs, de cette erreur regrettable, je pourrais dire impardonnable, de la part du ministre qui a dans ses attributions l'instruction publique, et qui consiste à avoir attribué à Mlle Gatti un livre publié à une époque où celle-ci n'était pas née, par Mlle de Gamond.
M. le ministre de l'intérieur devait cependant connaître Mme Gatti. Elle a occupé des fonctions publiques qui relevaient du ministère de l'intérieur ; elle a été inspectrice, si je puis employer ce terme, de l'enseignement des (page 856) filles, et, à ce titre, elle ne doit pas être inconnue au département de l’intérieur.
Loin d'insister sur ce point, je veux remercier, au contraire, l'honorable M. Kervyn de m'avoir fait connaître ce livre.
Il contient quelques pages qui sont écrites de main de maître ; il respire le sentiment de la moralité la plus pure ; il ne renferme pas une phrase qui ne puisse être hautement avouée ; il n'exprime pas une pensée que le moraliste le plus sévère ne signerait des deux mains.
Mais l'auteur a commis une faute impardonnable, un péché irrémissible aux yeux de M. le ministre de l'intérieur.
À une époque où beaucoup de bons esprits pensaient qu'il y avait une réforme radicale à introduire dans l'éducation des femmes, alors que cette question était discutée par les publicistes les plus éminents, alors que M. Delessert disait à la tribune de la chambre des députés de France, dans la séance du 3 mai 1833 :
« L'éducation des femmes est aussi digne de noire attention que celle des hommes ; il importe que la législation sur l'éducation des filles soit révisée. Je demande que M. le ministre veuille bien prendre l'engagement de présenter, dans la prochaine session, une loi sur l'instruction des filles. »
Et que M. Guizot lui répondait :
« Le régime des écoles des filles est aujourd'hui si diffus, les faits sont si mal saisis, que je suis forcé de me déclarer hors d'état de présenter, quant à présent, un ensemble de dispositions raisonnables sur la législation en ce qui concerne l'instruction dans les écoles des filles. Je ne puis fixer l'époque où je pourrai présenter un projet de loi sur ce sujet. »
A l'époque donc où l'on agitait cette question, Mmme de Gamond a publié un livre dans lequel elle réclame une réforme de l'éducation des femmes et dans lequel elle déclare, en effet, qu'il est indispensable de relever le niveau moral de la femme.
D'une façon tout à fait accidentelle elle parle, dans ce livre, de Mme Roland ; elle dit que Mme Roland est un modèle ) étudier, non pas au point de vue de sa vie et de ses opinions politiques, mais au point de vue de ses vertus privées.
Voici comme elle s'exprime : « Lorsque je promène mes regards autour de moi dans l'histoire moderne et presque contemporaine, ma vue est frappée de la forme noble et sévère d'une femme qui, sans avoir jamais songé à se proposer pour modèle, semble avoir laissé son exemple aux femmes de notre âge, pour leur montrer ce qu'elles peuvent et ce qu'elles devraient être : c'est de Mme Roland que je veux parler et c'est sur elle que je voudrais essayer d’appeler l'attention ; car il y a pour bien des femmes un beau sujet de méditations et de sages pensées dans l'étude de sa vie et de son caractère. Quant aux privilèges particuliers dont elle fut douée par le génie, qu'ils nous servent seulement à témoigner contre ceux qui prétendent que, dans une femme, la vigueur de l'âme ne saurait être unie aux qualités douces et touchantes, et qu'ils ne nous empêchent pas de la présenter hardiment pour modèle, puisque nous voulons la considérer, non dans l'exception où l’avait placée son génie, mais seulement dans l'ensemble des choses qui lui étaient communes avec le reste des femmes. »
C'est précisément cette dernière phrase, qu'on n'a pas lue, qui explique tout et qui donne la portée de la pensée de Mlle de Gamond.
Certes, messieurs, libre à M. Kervyn et aux historiens de son école de parler de Mme Roland avec un certain dédain et de prétendre « qu'il n'y a de grand dans la vie de cette femme que sa mort » ; ce sont les expressions de M. le ministre de l'intérieur ; mais qu'il permette au moins à ceux qui puisent leurs renseignements historiques ailleurs qu'aux sources du père Loriquet, qu'il permette à ceux qui pensent, par exemple, avec M. Thiers, l'éminent historien de la révolution française, que Mme Roland joignait à toutes les vertus privées de la femme « l'héroïsme d'une Romaine », qu'il permette au moins à un écrivain de rendre un hommage légitime aux vertus privées d'une femme qui, dans un autre ordre d'idées, a été souvent calomniée ou jugée avec bien peu d'indulgence.
Quant à l'école en elle-même dont on a parlé, ai-je encore besoin de la défendre devant vous ? Je le pouvais, je le devais même et je l'ai fait en 1864. Mais alors, l'institution était naissante ; on ne pouvait pas apprécier ses fruits, car elle n'avait pu produire encore aucun résultat. Mais aujourd'hui, après sept ans d'existence, alors que plus de 2,000 pères de famille, appartenant à l'élite de notre bourgeoisie, lui ont confié l'éducation de leurs enfants, alors que 600 enfants suivent chaque jour ses leçons, alors que cette institution occupe un rang tellement élevé qu'on la considère non seulement dans la capitale, mais encore dans le monde scientifique, comme pouvant rivaliser avec les premiers établissements de l'Europe, il m'est bien permis de me taire et de passer sous silence ces accusations insolites que rien ne justifie, accusations contre lesquelles protestent à la fois et les brillants succès obtenus par l'école et la légitime confiance qu'elle inspire aux mères de famille.
Après avoir déposé cette protestation contre les accusations de M. le ministre de l'intérieur, je termine en disant, comme je l'ai fait en commençant, que cette discussion ne me déplaît pas. Il en résulte, pour tous, un grand enseignement.
Elle apprend au pays comment nos adversaires politiques entendent les principes de conciliation ; elle lui démontre qu'ils n'ont rien appris, mais aussi qu'ils n'ont rien oublié de leurs doctrines, de leurs prétentions ; que, loin de se borner à conserver les conquêtes faites, ils veulent en faire de nouvelles ; qu'au lieu de se borner à maintenir la loi de 1842 et de l'appliquer à l'enseignement primaire seulement, ils veulent la faire remonter jusqu'à l'enseignement moyen.
Nous y puisons aussi un autre enseignement, et je m'en félicite : nous y trouvons la preuve que le moment est venu de reconstituer l'union entre les libéraux de toutes les nuances et de réunir tous nos efforts contre l'ennemi commun ; elle nous enseigne que tous nous devons nous donner la main pour résister à la réaction qui nous menace. Rappelons-nous que nous tous, membres de la gauche, nous sommes soldats de la charte libérale et que cette charte est en danger chaque fois qu'on veut porter une main coupable sur l'indépendance du pouvoir civil.
- M. Thibaut remplace M. Vilain XIIII au fauteuil de la présidence.
M. de Theux. - Je suis décidé, messieurs, a repousser l'amendement de l'honorable M. Muller.
Je pense qu'avant de se décider a introduire dans notre code d'enseignement une nouvelle catégorie d'établissements pour l'enseignement moyen des femmes, il y a lieu de faire une enquête ; et, pour ma part, j'engage le gouvernement à la faire sérieuse et complète, non seulement en Belgique, mais aussi en Allemagne, en France, en Angleterre, en Amérique, puisqu'on a parlé de tous ces pays.
Nous connaîtrons alors les systèmes d'instruction de là femme dans ces différents pays ; nous saurons quelle étendue elle y a reçue ; quels fruits elle a produits.
Cela est très essentiel et me paraît indispensable avant de s'occuper d'une législation nouvelle.
Il faut aussi que le gouvernement nous fasse connaître la différence des situations et les causes de ces différences. C'est encore là un point essentiel, car des citations vagues comme celles qu'on a produites dans cette Chambre ne peuvent exercer sur moi aucune influence. Aucun législateur sérieux ne pourrait, sur la foi de pareils renseignements, se prononcer en connaissance de cause.
On à parlé de l'Allemagne, mais l'Allemagne a des institutions organisées sur le principe religieux de la manière la plus complète et dans tous les établissements d'éducation l'enseignement est donné par un prêtre.
Pourquoi cela est-il ?
C'est parce qu'en Allemagne il y a agglomération de populations d'un même culte ; il y a la partie catholique et la partie protestante ; il n'y a pas la même confusion de cultes qu'en Angleterre, en Amérique et en Hollande et le gouvernement y a organisé l'enseignement sur des bases essentiellement confessionnelles, religieuses.
Mais en définitive, en Belgique la situation est encore bien plus simple qu'en Allemagne, car toute la nation est unie dans un seul culte, et pourquoi, dès lors, abandonnerions-nous l'enseignement religieux, l'enseignement confessionnel ?
Ce serait un non-sens qui ne serait justifié par l'exemple d'aucun autre peuple.
En Amérique, les sectes religieuses abondent et sont entremêlées ; en Angleterre, il en est de même, et cela est aussi dans une partie de la France et dans la Hollande.
Ce sont là des situations tout à fait différentes de la nôtre et certainement, messieurs, nous ne suivrions pas les vœux de nos commettants, en introduisant ainsi l'indifférentisme.
Nous savons tous que l'enseignement religieux, que l'enseignement dogmatique c'est autre chose, et tous les hommes de bon sens considéreront que l'indifférence en matière religieuse est une plaie sociale qui tend à grandir.
C'est une plaie sociale qui peut être comparée à celle des sociétés internationales qui ont aussi une grande tendance à se développer et qui se sont depuis quelques années considérablement étendues. L'idée dominante des sociétés socialistes, c'est la domination par le nombre et on n'y connaît aucun frein religieux ni politique ; aussi la société s'arme-t-elle (page 857) contre ces tendances ; elle organise toutes ses forces pour la guerre qui pourrait se déclarer d'ici à quelques années ; c'est déjà une partie de ces sociétés internationales qui s'est établie dans la capitale de la France.
Nous avons introduit dans notre Constitution et dans notre législation des principes fondamentaux auxquels je suis heureux d'avoir contribué ; je les ai votés, et je les approuve encore aujourd'hui. Nous avons développé les principes d'égalité et de fraternité, qui ne sont plus des mots avec la signification que leur accordait la Convention nationale de France ; ce sont des principes sérieux qui ont une signification sérieuse et qui ont leur application, car nous avons réservé aux plus humbles habitants de la Belgique le droit et la faculté d'arriver par l'instruction à une position supérieure, n'ayant pas d'emplois publics privilégiés.
Voilà bien l'égalité.
Quant à la fraternité, messieurs, nous faisons immensément ; nous accordons des secours à toutes les misères, à toutes les indigences ; nous payons l'éducation du pauvre ; nous avons soin de procurer du travail aux pauvres par des travaux publics et par d'autres moyens.
Mais, messieurs, tous ces bienfaits que le pouvoir législatif, que toutes les corporations communales, provinciales, particulières et les individus accordent aux classes indigentes, ne seraient point sans le principe religieux. C'est le principe religieux, c'est le principe chrétien qui les a développés dans le monde, qui les soutient et qui les fortifie de jour en jour.
Maintenant, messieurs, on veut changer l'éducation de la femme, celle qui est appelée à exercer le plus de prépondérance dans la société, puisqu'il s'agit du sexe féminin des classes les plus élevées.
Ces femmes, messieurs, élevées dans les principes et dans la pratiqué de l'évangile, exercent une influence immense. Je puis dire que ce sont elles qui maintiennent la plupart des hommes dans la bonne voie, dans les bons sentiments et qui contribuent d'une manière indirecte, mais forte, à nous faire porter les lois de bienfaisance que nous portons. C'est une chose à laquelle on n'a pas assez souvent réfléchi, mais quiconque voudra se donner la peine d'approfondir la situation et de voir l'action de la femme sur la société dira que je n'avance qu'une vérité claire et incontestable.
Revenons au subside.
Le gouvernement consent, pour développer l'instruction dans l'école primaire, à accorder à toutes les localités ce qu'elles peuvent raisonnablement désirer. Je vous le demande, messieurs, n'est-il pas cent fois préférable d'entrer dans cette voie que de créer de nouveaux établissements ? Ces écoles primaires développées rendront mille fois plus de services que les écoles élevées. Elles peuvent s'étendre à la plus grande partie du pays, tandis que les écoles que vous voulez fonder seront toujours des écoles privilégiées pour la haute société, bourgeoise et autre.
Il n'y a donc aucune comparaison entre l'utilité d'un subside et l'utilité de l'autre. Il y a cet avantage que l'école primaire avec un programme développé satisfait à tous les besoins, tandis que vos écoles moyennes de femmes satisfont à très peu de chose.
On a beaucoup parlé, messieurs, de l'importance de la femme pour démontrer l'utilité du crédit sollicité.
Eh bien, c'est précisément à cause de l'importance de la femme que je ne puis me rallier à la proposition qui est faite, s'il n'y a pas de loi organique de cette espèce d'établissements.
Je ne veux pas que ces établissements puissent être abandonnés à l'indifférentisme.
Le clergé, dit-on, sera invité à prêter son concours à ces établissements comme la loi de 1850 le fait pour les écoles moyennes de garçons, pour les collèges, les athénées. Mais qu'est-ce que c'est que cette invitation s'il n'y a pas de garantie pour le clergé ?
Est-ce que le clergé ira mettre une fausse enseigne sur un établissement qui n'offre pas les garanties dont la religion a besoin ? Personne ne sera assez insensé pour faire cela ; le clergé demande des garanties sérieuses, positives, il a raison et c'est pour cela que le Congrès national a décrété par l'article 17 de la Constitution que l'enseignement public donné aux frais de l'Etat doit être organisé par la loi.
Qu'avons-nous eu avant la Constitution, avant l'indépendance de la Belgique ? Nous avons eu cinquante années pendant lesquelles la bonne éducation était empêchée, parce que le gouvernement avait refusé toute autorisation aux écoles sérieusement catholiques.
Il est vrai que sous le gouvernement des Pays-Bas on a quelquefois nommé un prêtre principal auprès d'un collège. Mais j'ai entendu de la bouche d'un de nos anciens collègues du Congrès qui avait rempli ces fonctions, qu'il l'avait regretté, parce qu'il n'avait pu produire, dans cet établissement, aucun bien à cause des choses délétères qui détruisaient toute son action et la paralysaient complètement.
On a dit : Mais l'enseignement confessionnel n'est pas nécessaire dans l'école. C'est à l'église qu'on doit le prendre et le recevoir. Mais, messieurs, pensez-vous que les femmes qui, par leur savoir, par leur distinction, exerceront toujours une influence très grande dans la famille, enverront leurs filles à l'église pour prendre l'enseignement confessionnel ? Mais quand l'enfant sera dans la maison maternelle, il y rencontrera peut-être une indifférence complète des pratiques de la religion. Qu'arrivera-t-il ? Donc cet argument qu'on a fait valoir avec tant d'emphase ne signifie absolument rien.
On a parlé de l'ignorance de la femme. Je regrette qu'on ait parlé ainsi de nos femmes, dont un grand nombre sont si distinguées par toutes les qualités désirables et spécialement par l'instruction. N'est-il pas vrai qu'une quantité de demoiselles, élevées dans nos pensionnats et entrées en religion, sont demandées à Paris, à Londres, à Rome, en Allemagne, en Amérique, partout, et y sont reçues avec bonheur à cause de leur savoir ? N'y a-t-il pas, parmi vous, plusieurs qui ont reçu, dans leur maison, de ces institutrices formées dans les écoles normales et celles-ci n'ont-elles pas donné à vos enfants la meilleure éducation sous tous les rapports, une éducation très avancée ?
Je connais telle jeune personne qui, sous le rapport de l'histoire, de la littérature, de la géographie, des arts, en remontreraient à beaucoup de nos jeunes gens sortant des athénées et feraient confusion à ceux-ci dans un examen.
Et puis, n'y a-t-il pas de ces établissements libres qui sont à la portée de toutes les fortunes et où l'on peut recevoir une éducation brillante aussi bien artistique que littéraire ? Si l'on dit que nos jeunes demoiselles ne peuvent se contenter de l'instruction que l'on donne dans ces établissements, il y a toujours une ressource pour celles qui veulent aller plus loin. Vous avez des maîtres particuliers qui suppléent à ce que l'éducation première a laissé à désirer.
Et ce qui est plus important encore, ce sont ces écoles ouvertes à toutes les classes de la société, particulièrement aux classes secondaires et inférieures ; ce sont ces pensionnats qui font le bonheur de la petite bourgeoisie et des bonnes familles de la campagne.
J'ai souvent entendu vanter les immenses avantages de la liberté de l'enseignement.
Il n'était pas à la portée de toutes les familles sous le royaume des Pays-Bas, surtout pour l'éducation des filles.
Aujourd'hui elle est à bas prix à la porte de toutes les communes et c'est là un des plus grands avantages que le pays ait recueillis de la liberté de l'enseignement. C'est pour cela que la liberté de l'enseignement est si populaire.
Il n'y a pas seulement des pensionnats pour les internes, mais à côté des pensionnats il y a des institutions où l'on reçoit des externes. C'est ainsi que la liberté répond aux besoins de tout le monde.
Maintenant faut-il organiser une éducation supérieure ? C'est ce que nous pourrons apprécier lorsque le gouvernement nous aura fait connaître le résultat de ses investigations. Alors nous pourrons voter une loi, si nous le jugeons utile, mais cette loi, je le déclare d'avance, devra présenter des garanties religieuses et morales aussi complètes que celles que présente la loi sur l'enseignement primaire.
S'il n'en est pas ainsi, la loi ne sera pas votée, ou si elle l'était, les établissements fondés en dehors de ces principes tomberaient successivement.
L'honorable M. Schollaert a fait des réflexions justes, en partie du moins (car je ne les admets pas complètement), sur les écoles primaires de filles dans les communes rurales et dans les villes, pour les classes tout à fait inférieures.
Il y aurait certainement un très grand avantage à les multiplier, mais à qui la faute si ces écoles sont trop peu nombreuses ? C'est parce que le gouvernement a mis obstacle, pendant un temps très long, à la création suffisante d'écoles normales et à l'adoption d'écoles de filles par les communes.
On fait un grand grief au clergé : Il combat les institutions qui ne sont pas religieuses ; je distingue : le clergé ne combat, en aucune manière, les écoles laïques ; il les soutient autant qu'il le peut et il ne demande pas à créer des écoles dirigées par des religieux ou des religieuses là où il y a de bonnes écoles laïques.
Il a assez à faire pour l'enseignement, partout où son intervention est nécessaire, mais dans les communes où il y a une bonne instruction primaire, il est bien plus commode pour le clergé d'user du laisser aller, de (page 858) ne se mettre en opposition avec personne et de recueillir les louanges de fout le monde ; mais on ne réfléchit pas que ce n'est pas une affaire de caprice, que c'est une affaire de conscience ; le clergé qui n'userait pas de tous ses moyens pour maintenir le culte et la morale dans leur intégrité prouverait ou qu'il est inutile ou qu'il n'a pas foi dans son culte.
C'est la conclusion toute naturelle qu'on pourrait en tirer.
Messieurs, il s'agit ici de justice, et la justice n'est jamais impunément méconnue.
Si l'on procurait l'enseignement, chacun à ses frais, ce serait user de armes de la liberté. Mais c'est aux frais de l'Etat, à l'aide du budget de l'Etat, des provinces et des communes que l'on veut faire ces choses. On veut que les hommes les plus religieux parmi les catholiques payent ces établissements contraires à leurs principes.
Cela n'est pas juste. N'avons-nous pas entendu, hier encore, soulever incidemment la question des Cimetières ?
Or, que voulons-nous en cette matière ?
Nous voulons la liberté d'avoir des cimetières à nous, rien de plus, rien de moins.
La question disparaîtra complètement si on nous laisse ce droit constitutionnel, car il est certain que toutes les pratiques du culte qui existaient avant 1830 sont confirmées, quant à la liberté, par la Constitution, et il est impossible de toucher à aucune de ces libertés sans violer la Constitution.
Messieurs, je reproduis encore mon argument de l'article 17 de la Constitution. Cet article a été édicté, parce que pendant cinquante années on avait opprimé l'enseignement religieux dans le pays ; il établit la liberté d'enseignement qui est l'égale de la liberté des cultes et de toutes nos autres libertés ; il met l'enseignement public sous l'égide de la loi, c'est-à-dire des pères de famille qui élisent les Chambres ; or, le vœu des pères de famille n'est pas douteux.
Si nous avions, messieurs, la sagesse de mettre de côté les contestation des droits constitutionnels que nous exerçons tous les uns dans un sens, les autres dans un autre, nous serions d'accord ; le pays en recevrait une nouvelle force et il nous applaudirait.
Je ne parle pas, messieurs, des contestations légitimes fondées sur la raison, mais des contestations injustes qui tendent a ravir à une partie du pays ses droits. Si ces contestations disparaissaient, nous aurions cette tolérance pratique qui fait naître l'harmonie. Nous serions, comme on dit, fous frères dans une même famille, dans un même pays.
- Plusieurs voix. - A demain !
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.