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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 17 mars 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 829) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces parvenues à la Chambre.

« Le sieur Dejardin, directeur-gérant de la société des charbonnages réunis de Fayt et Bois-d'Haine, se plaint de la défense faite par l'administration des chemins de fer, à la gare de la Croyère, d'expédier des waggons Centre, Manage-Wavre et Flénu sur d'autres lignes que leurs lignes respectives. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants d'une commune non dénommée demandent que la loi déclare l'enseignement primaire obligatoire. »

- Renvoi a la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.


« Des habitants de Chassepierre demandent que des mesures soient prises par les gouvernements intéressés, en vue de prévenir les épidémies pouvant résulter des inhumations sur les champs de bataille. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des industriels de la rive droite de la Meuse, entre Liège et Visé, demandent la canalisation de la Meuse en aval de Liège, entre les barrages de la fonderie à canons et d'Hermalle-sous-Argenteau.

« Même demande des sieurs Schmidt, vice-président, et Habets, secrétaire du comité de l'Union des charbonnages, mines et usines métallurgiques de la province de Liège. »

M. Braconier. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.

- Adopté.


« Des membres du conseil communal et des habitants d'Agimont demandent que le département des travaux publics accorde au sieur Grangier la concession d'un chemin de fer d'Agimont sur Athus. ».

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Adolphe Dictz, chimiste à Uccle, né à Colmar (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« M. de Liedekerke demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1871

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVI. Enseignement moyen

M. Vandenpeereboom (pour une motion d’ordre). - Au commencement de la séance d'hier, j'ai prié l'honorable ministre de l'intérieur de vouloir bien nous communiquer, à l'honorable M. Garnis et à moi, quelques renseignements officiels sur l'organisation de l'enseignement de la langue flamande à une section préparatoire de l'école moyenne et de la section professionnelle, à Anvers.

Après la séance, en vérifiant mes notes, j'ai constaté que j'avais lu et indiqué un 3 pour un 9 en ce qui concerne la section professionnelle.

C'est une erreur que j'ai commise, je tiens à le déclarer à la Chambre.

Quant à la seconde assertion que j'ai émise, j'étais dans le vrai et c'est l'honorable membre qui s'est trompé.

Quoi qu'il en soit, je prie l'honorable ministre de vouloir bien déposer ces renseignements sur le bureau, afin que l'honorable M. Gerrits puisse se convaincre de l'exactitude de ce que je viens de dire.

En résumé, erreur de mon côté sur un point ; erreur de mon honorable adversaire sur un autre.

Je crois donc que, dans ce duel à armes courtoises, après cette explication, l'honneur sera satisfait.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. -Messieurs, je défère au désir de l'honorable préopinant en déposant, sur le bureau de la Chambre, divers documents qui se rapportent à l'enseignement du flamand à l'athénée d'Anvers.

Article 87

M. le président. - Nous en sommes à l'article 87.

M. Bouvier. Messieurs, j'avais demandé hier à M. le ministre de l'intérieur des explications sur la nomination d'un deuxième régent de l'enseignement moyen à Turnhout.

Je désire savoir si ce régent est diplômé ou s'il a obtenu une dispense, le Moniteur étant muet sur ces deux points.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, hier, lorsque l'honorable M. Bouvier s'est occupé de la nomination d'un second régent à l'école moyenne de Turnhout, je n'ai pu me rendre compte de la portée de cette interpellation, car ce second régent avait déjà rempli les fonctions de troisième régent, qui exigent les mêmes preuves d'aptitude.

J'ai pris, du reste, ce matin, des renseignements à ce sujet, et j'espère que mes éclaircissements seront de nature à convaincre l'honorable membre qu'il n'y a rien eu d'irrégulier dans les nominations relatives à l'école moyenne de Turnhout.

AI. Bouvier. - Je ne demande pas mieux.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Le sieur De Meyer, qui fait l'objet de l'interpellation et qui sera quelque peu étonné, je pense, de voir son nom aux Annales parlementaires, a obtenu le diplôme d'aspirant professeur agrégé le 23 septembre 1865 et celui de professeur agrégé le 11 septembre 1866.

Le 25 septembre 1866, il a été nommé assistant à l'école moyenne de l'Etat à Aerschot, et deux ans après, par arrêté du 22 septembre 1868, il est devenu troisième régent à l'école moyenne de l'Etat à Turnhout ; on n'y eut qu'à se louer de ses services, et il était tout naturel de lui accorder une promotion qui était pleinement justifiée.

Cette nomination a, du reste, été faite d'accord avec le bureau administratif. Aucune discussion, aucune contestation ne s'est élevée, à cet égard, et je ne puis me rendre compte de l'importance que l'honorable M. Bouvier ajoute à cette nomination.

M. Bouvier. - Je ferai remarquer à M. le ministre de l'intérieur que, chaque fois que le Moniteur publie une nomination, il énumère les qualités du fonctionnaire ; j'ai fait remarquer hier que les titres du régent nommé à Turnhout n'avaient pas été indiqués.

Il est essentiel que cette lacune soit comblée, afin que ces titres soient connus et puissent être discutés, au besoin, dans l'intérêt de l'enseignement. Je prierai, en conséquence, M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien, à l'avenir, insérer dans les arrêtés les titres des titulaires qui ont décidé de leur nomination.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Ce que demande M. Bouvier est tout à fait irrégulier. Lorsqu'on nomme second régent un fonctionnaire qui est troisième régent, la mention du diplôme est superflue puisque, à raison de sa première position, on considère ce fonctionnaire comme déjà pourvu d'un diplôme.

(page 830) L'honorable M. Bouvier a fait remarquer que la mention du diplôme existait au Moniteur pour la nomination du troisième régent : c'est tout simplement parce que c'était là une première nomination. Mais, je le répète, quand ce troisième régent recevra une promotion, on ne mentionnera plus le diplôme qu'il est censé posséder.

M. Bouvier. - Vous n'avez pas dit que le professeur dont il s'agit était troisième régent.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Pardon.

M. Bouvier. - Cela ne se trouve pas au Moniteur.

M. Muller. - L'honorable ministre de l'intérieur, en prenant hier la parole, a commencé par nous apprendre solennellement que deux devoirs incombaient au gouvernement : celui de pourvoir aux dépenses nécessaires aux services publics et celui de restreindre ces dépenses dans de justes limites, de ne pas dépasser ce qui est raisonnable. Et tout cela, à propos d'une augmentation de crédit de 10,000 francs en faveur des établissements communaux d'enseignement moyen et spécialement des écoles du deuxième degré.

Je ne puis m'empêcher de faire remarquer qu'il y a quelques jours M. le ministre de l'intérieur s'est empressé de faire inscrire au budget, contrairement aux précédents législatifs, un poste tout spécial pour pourvoir aux frais d'une commission qu'il a créée, avec raison, pour l'examen des questions relatives aux jurys universitaires ; il avait d'abord demandé 15,000 francs et, quelques instants après, il a consenti à la réduire à 10,000 francs.

Or, je n'ai pas demandé une augmentation dépassant ce chiffre pour l'encouragement des écoles moyennes et il invoque les ménagements dus au trésor public !

M. le ministre de l'intérieur nous a dit ensuite qu'il n'y avait que cinq ou six demandes de création d'écoles moyennes. Il a cité Seraing, Bastogne et Blankenberghe.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Et Ellezelles.

M. Muller. - J'ai moi-même dit, dans mon premier discours, que l’établissement d'instruction d'Ellezelles avait été élevé au rang d'école moyenne communale. Il est donc hors de cause.

M. le ministre de l'intérieur nous a fait assez nettement entendre qu'aucune suite, ne pouvait être actuellement donnée à ces demandes.

Seraing et Bastogne sollicitaient la faveur d'être le siège d'une école moyenne de l'Etat. Or, en présence de la loi de 1850, la réalisation de leur vœu est impossible. Mais, messieurs, reportons-nous au point de départ de notre discussion : j'avais invoqué le dernier rapport triennal sur l'enseignement moyen, ainsi que les déclarations du prédécesseur de l'honorable M. Kervyn.

« En attendant une loi qui augmente le nombre des écoles moyennes de l'Etat, il faut encourager les communes, au moyen de subsides, à fonder des écoles moyennes. » Voilà la résolution qu'avait prise l'honorable M. Pirmez ; la conduite que vous deviez tenir à l'égard de Seraing et de Bastogne, c'était de leur dire : Nous ne pouvons pas, dès maintenant, vous accorder une école moyenne de l'Etat ; mais établissez provisoirement une école communale ; nous vous y aiderons par l'allocation de subsides suffisants.

Mais l'honorable M. Kervyn prend un parti beaucoup plus commode : il considère comme non avenues les demandes de Seraing et de Bastogne et il s'abstient de nous éclairer sur ses intentions relativement à l'augmentation du nombre des écoles moyennes de l'Etat.

De bonne foi, en cette circonstance, le devoir du gouvernement n'était-il pas, en attendant qu'il fût possible d'augmenter le nombre des écoles moyennes de l'Etat, d'offrir à ces communes, non pas des subsides dérisoires, comme on en distribue parfois, mais une subvention efficace, qui leur permît de créer une école moyenne, leur but désiré.

Ce devoir était d'autant plus impérieux que M. le ministre ne devait pas ignorer qu'à Bastogne il existe un collège du clergé et qu'il pourrait être soupçonné de se préoccuper bien plus des intérêts de cet (établissement que de ceux de l'enseignement de l'Etat. La position d'expectative dans laquelle il se renferme, et le peu de bon vouloir qu'il a montré en cette circonstance autorisent suffisamment cette supposition.

Pour Blankenberghe, il ne s'agit plus d'une école moyenne de l'Etat. Blankenberghe demande à créer une école moyenne communale et sollicite l'intervention pécuniaire du trésor public, et de la province. Jusqu'aujourd'hui, les provinces n'ont pas accordé de subsides aux écoles moyennes communales ; elles ne doivent intervenir que pour l'enseignement primaire.

Or, que fait M. le ministre de l'intérieur ? Il écarte la demande de Blankenberghe, en se fondant sur ce que la commune n'obtiendra rien de la province, sur laquelle ne pèse aucune obligation, et dont la députation permanente serait, d'ailleurs, peu sympathique.

C'était un motif de plus d'offrir à Blankenberghe une subvention assez forte qui pût suppléer à ce qu'elle avait réclamé sans succès de la province ; voilà quel était votre devoir. Et si vous n'avez pas agi de la sorte, c'est que vous voulez non seulement que le nombre des écoles moyennes de l'Etat ne soit pas accru, mais qu'il en soit de même des écoles moyennes communales.

A propos de la commune de Seraing, je dois faire une rectification à ce qu'a dit l'honorable ministre de l'intérieur, au sujet des précédents qui se rattachent à la demande faite, dans le temps, par l'administration de cette localité industrielle, et tendante à obtenir une école moyenne de l'Etat.

Le passage de la note que M. le ministre de l'intérieur nous a lu avait pour objet de nous apprendre que la députation permanente du conseil provincial de Liège aurait, en 1851, émis un avis défavorable à l'érection d'une école moyenne de l'Etat.

En ne fournissant aucun détail, en ne donnant aucune explication des circonstances, la note laisse supposer que Seraing n'aurait pas eu, dans l'esprit de la députation, des titres suffisants pour être érigée en école moyenne de l'Etat.

Or, cela est complètement inexact. Voici les faits. Après la promulgation de la loi de 1850, le gouvernement informa la députation de Liège qu'il avait résolu de créer dans cette province des écoles moyennes de l'Etat, dont le nombre ne pourrait excéder six. Ce collège, forcément limité dans ses choix, a dû naturellement examiner et peser comparativement les titres respectifs des communes postulantes.

Eh bien, messieurs, des six écoles moyennes de l'Etat qui ont été établies dans cette province, deux, celle de Dolhain et celle de Visé, si je ne me trompe, pouvaient se prévaloir de fondations d'instruction qui venaient singulièrement en aide à leur érection, en offrant des garanties financières de durée.

Ces écoles moyennes existaient déjà, si j'ai bon souvenir, à cette époque, sans en porter le titre officiel. Il y avait donc là une raison décisive pour attribuer une école moyenne de l'Etat à Dolhain et à Visé ; on en a conféré une à la ville de Huy, une autre à Spa et une autre à Stavelot. Leurs titres n'étaient pas mis en question, eu égard à leur situation respective.

Restait à opérer entre Waremme et Seraing, la députation ne pouvait obtenir à la fois l'une et l'autre. Eh bien, je le dirai franchement, il était impossible d'hésiter, quelque pénible que fût le choix à faire.

Waremme était chef-lieu d'un arrondissement qui compte aujourd'hui 56,000 âmes et qui ne pouvait pas rester dépourvu de tout établissement moyen du deuxième degré. Waremme a donc eu la préférence, non pas à titre de son importance de population locale, mais comme donnant satisfaction aux besoins de tout un arrondissement rural, celui de la Hesbaye.

Evidemment, si l'on avait pu obtenir une septième école moyenne, c'est Seraing, situé à près d'une lieue et demie de Liège, qui aurait obtenu, je ne dirai pas une faveur, mais un acte de justice. Maintenant, ce serait, eu égard à l'accroissement considérable de Seraing et à son développement industriel, qui va toujours grandissant, un véritable déni de justice de refuser de lui donner satisfaction.

Elle est réclamée au nom d'une population de près de 22,000 âmes, qui n'a aucune espèce d'établissement d'instruction moyenne, faute de ressources.

M. le ministre de l'intérieur qui doit être, je le répète, le tuteur, le protecteur de l'enseignement organisé, dirigé ou subsidié par l'Etat, a pris hier une triste détermination, c'est celle de nous démontrer que deux établissements appartenant à ces catégories comptent peu d'élèves. Il aurait dû réserver de telles armes aux adversaires systématiques de l'enseignement qui est placé sous le contrôle de l'autorité civile. Si les citations de l'honorable M. Kervyn ont été prises au hasard, le hasard l'a tellement servi que les deux localités qu'il a désignées comme n'ayant que peu d'élèves dans les établissements d'instruction moyenne subventionnés par le trésor public, possèdent chacune un collège du clergé qui leur fait concurrence. Cette circonstance devait rendre plus circonspect M. le ministre de l'intérieur et l'engager à avoir plus de ménagement pour ces deux communes dont il a, du reste, dépeint l'état de situation quant au personnel des élèves d'une manière que je tiens à rectifier.

Dînant et Diest, messieurs, possèdent chacune un collège communal subsidié et une école moyenne, et dans chacune de ces deux villes, se trouve également un établissement du clergé qui leur est opposé et hostile. L'école moyenne de Dinant et celle de Diest ne forment pas un local (page 831) entièrement distinct et séparé du collège communal ; en définitive il y a une école moyenne communale et une section d'humanités, la plupart des professeurs doivent donner des leçons a l'une et ù l'autre.

Eh bien, messieurs, qu'a fait M. le ministre de l'intérieur ? Il nous a dit que l'établissement moyen de l'Etat n'avait que 39 élèves à Dinant ; on lui a répondu, en l'interrompant : Il ne s'agit pas, dans votre citation, de l'école moyenne, elle n'est applicable qu'au collège communal subsidié.

De même pour Diest, une critique analogue a été présentée par M. le ministre de l'intérieur. Il en est venu à dire alors qu'à Diest les élèves du collège coûtaient la somme de 364 francs par tête au gouvernement. Je pense, messieurs, que ce chiffre a pu effrayer, si pas les membres de la gauche, au moins ceux de la droite, et exige quelque explication atténuante ; il semble juste, pour se rendre compte de la dépense, de la répartir sur le nombre total des élèves de l'école moyenne et du collège communal, et de vérifier ce que coûte ce double établissement qui ne doit avoir, comme je l'ai dit, qu'un seul local et pas deux corps de professeurs entièrement distincts.

Eh bien, pour Diest, au lieu d'arriver à 364 francs par an et par tête d'élève, j'arrive, en prenant cette base rationnelle, au chiffre de 105 fr. 75 c. Voilà une différence considérable, que je tiens à signaler.

Je regrette, de devoir entrer dans ces détails, mais ils m'ont paru de nature à faire ressortir l'esprit, je dois le dire, peu bienveillant qui anime M. le ministre de l'intérieur à l'égard de l'enseignement qui est placé sous la direction ou sous le contrôle et l'autorité de l'Etat.

S'il fallait une autre preuve de cet esprit peu favorable, je la puiserais dans un renseignement critique que vous a fourni M. le ministre sur la composition des écoles moyennes de l'Etat, je la puiserais dans ce zèle qu'il a apporté à démontrer qu'une section préparatoire dans les écoles moyennes de l'Etat était quelque chose d'anomal, d'abusif. Messieurs, cette révélation, si elle devait aboutir, en fait, à une prétendue réforme, ne pourrait qu'amener la suppression d'un grand nombre d'écoles moyennes de l'Etat et d'écoles moyennes communales, parce que, l'Etat bornant ses subsides, les communes ne pourraient plus, sans être écrasées sous le fardeau, pourvoir à la dépense.

Cette section préparatoire, messieurs, qu'est-elle ? Elle est une source de revenu pour l'école. La section préparatoire compte généralement des élèves payants. C'est une source de revenus pour le corps professoral qui touche les minervalia. Et c'est en dépit de cette grave considération, que l'on vient manifester l'intention de faire cesser ce qu'on appelle un abus !

C'est contre cette tendance que je proteste. Je ne suis pas fâché que M. le ministre de l'intérieur ait fait connaître toute sa pensée. Elle doit être désavouée par tous ceux qui veulent la propagation, non seulement de l'enseignement primaire, mais aussi de l'enseignement moyen du second degré répandu autant que possible dans les diverses classes de la société.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, parmi les reproches qui m'ont été adressés, il en est dont l'honorable M. Muller reconnaîtra lui-même le peu de fondement.

A l'en croire, j'ai repoussé la demande de Blankenberghe, celle de Seraing, celle de Bastogne. De plus, dans mes relations avec ces diverses localités, je n'ai pas tenu le langage qui, selon lui, était séant, était convenable dans la bouche du gouvernement. A tout ceci, ma réponse est bien simple.

En ce qui touche Blankenberghe, l'affaire date de 1869, et depuis cette époque, à ma connaissance, il n'y a plus été donné aucune suite.

Le document que j'ai invoqué hier est une lettre du gouverneur de la Flandre occidentale du 24 février 1869, qui fait connaître que l'administration communale de Blankenberghe sollicite à la fois un subside de la province et de l'Etat, mais qu'il est douteux que la députation permanente accorde ce subside. Depuis lors, il n'y a plus eu de demande, et je n'ai rien eu à faire.

M. Muller. - Je dis que vous ne voulez rien faire.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je n'ai reçu aucune demande de l'administration communale de Blankenberghe et par conséquent je n'ai eu aucune réponse à lui adresser.

En ce qui concerne Bastogne et Seraing, la situation est à peu près la même. C'est l'honorable M. Pirmez qui, avant de quitter le ministère, a écrit à ces communes qu'il n'y avait pas lieu de leur accorder une école moyenne de l'Etat, mais qu'il subsidierait volontiers des écoles moyennes organisées par les communes.

C'est là le langage que me conseillait tout à l'heure l'honorable M, Muller. Eh bien, ce langage a été tenu par M. Pirmez et est resté sans résultat ; car depuis lors je n'ai plus reçu aucune demande à cet égard.

Si mes souvenirs sont exacts, il n'y a, en ce moment-ci, au département de l'intérieur qu'une seule demande en instruction.

C'est en me rendant compte de cet état de choses et de la situation qu'on avait prévue sous M. Pirmez en réclamant une augmentation de crédit de 20,000 francs, que j'ai acquis la conviction que les éventualités que l'on avait prévues ne devaient pas se réaliser, et la preuve c'est que les demandes auxquelles on s'attendait n'ont pas été faites.

Voilà, messieurs, quelle est exactement la situation des choses et j'ai bien le droit d'assurer l'honorable M. Muller que si je croyais que le crédit de 210,000 francs pût être nécessaire, je le demanderais immédiatement à la Chambre ; et si je ne demande que 200,000 francs, c'est parce que je suis persuadé que cette somme suffit à tous les besoins.

Dans la séance d'hier, l'honorable M. Pirmez et aujourd'hui l'honorable M. Muller ont soutenu à ce propos un système tout nouveau. Lorsqu'on est sympathique à une catégorie de dépenses, il faut, nous ont-ils dit, demander le chiffre le plus élevé. La sympathie du gouvernement et de la Chambre s'apprécie, nous assure-t-on, d'après l'importance des crédits qui sont demandés et votés.

Messieurs, ce système me paraît contraire à toutes les traditions administratives.

Quelle était, à cet égard, l'opinion de l'honorable M. de Brouckere, qui a traité, avec tant de distinction, toutes les questions de droit administratif ? Voici en quels termes il définit, dans son Répertoire, les devoirs du gouvernement en ce qui concerne la confection dû budget :

« Dans les prévisions de son budget, chaque ministre indique le montant des sommes nécessaires pour assurer la marche du service d'après les prévisions qu'il a au moment de la confection du budget.

« Le devoir du ministre est de concilier, autant que possible, les exigences de la régularité du service avec celles de l'économie qui doit guider tous les dispensateurs des fonds de l'Etat. Il doit, chaque fois qu'il le peut, réduire les dépenses qui sont susceptibles de réduction, sans nuire à la régularité du service, parce que ces diminutions successives finissent par alléger le contribuable, et qu'il est de principe que, si chacun doit supporter sa part dans les charges publiques, en retour il est du devoir du gouvernement de veiller à ce que ces charges ne soient employées que d'une manière profitable à tous.

« En établissant les évaluations de son budget, chaque ministre doit donc, autant que possible, les calculer d'après les besoins réels du service, abstraction faite des événements imprévus, puisqu'il lui reste la ressource des crédits supplémentaires. »

Messieurs, si nous suivions d'autres règles, si nous écoutions nos sympathies pour les arts, les lettres et les sciences, par exemple, nous demanderions 100,000 francs, 200,000 francs, 300,000 francs de plus à chaque article ; nous ne dépenserions pas ces sommes, je le veux bien, mais nous aurions au moins donné un gage de sympathie à tel ou tel intérêt, à telle ou telle grande question.

Je crois que ni la Chambre ni le gouvernement ne peuvent s'engager dans cette voie.

Je n'ai plus, messieurs, qu'un mot à répondre à l'honorable M. Muller : c'est que je ne puis accepter davantage l'intention qu'il me prête de faire disparaître les sections préparatoires.

L'observation que j'ai faite hier n'avait que cette portée : que si les sections préparatoires ne doivent pas être organisées conformément à la loi de 1850, qui n'en permet l'établissement que là où le besoin en est constaté, que si au contraire c'est un moyen indirect de supprimer dans l'enseignement primaire l'exécution de la loi de 1842, tout système qui tend à ce but mérite d'être signalé comme regrettable et mauvais.

M. Bouvier. - Je demanderai à l'honorable ministre si, conformément à la pétition de Seraing, il se propose de déposer un projet de loi ayant pour objet d'augmenter le nombre des écoles moyennes de l'Etat aujourd'hui limité à cinquante.

Voilà ce que Seraing a demandé à deux reprises.

L'honorable M. Pirmez, prédécesseur du ministre actuel, avait répondu à l'administration de Seraing qu'il avait l'intention de déposer un projet de loi dans ce sens.

Je demande si aujourd'hui l'honorable ministre est d'avis, oui ou non, de déposer un pareil projet, car la loi du 1er juin 1850 n'est plus en rapport avec la population de plusieurs communes.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, je constate que le cabinet est en butte tous les jours à de véritables interrogatoires. Il est tenu de répondre par oui ou par non.

(page 832) M. Bouvier. - Vous êtes ministre pour quelque chose.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - S'il nous était permis, à notre tour, de poser une question, nous pourrions demander à nos honorables prédécesseurs et aux membres de la gauche pourquoi, pendant les longues années qu'ils ont été au pouvoir, ils n'ont pas présenté tel ou tel projet de loi et de quel droit ils viennent nous reprocher de ne pas faire ce qu'ils n'ont pas fait eux-mêmes.

M. Pirmez. - Je demande la parole. Je vous répondrai tout de suite.

MiK. - Il y a quelques jours à peine, il était question de modifications au programme des examens. L'honorable M. Sainctelette nous disait : Comment ! vous êtes au pouvoir depuis six mois et vous recourez aux commissions et vous n'avez pas encore déposé sur cette importante matière un projet de loi !

Encore une fois, nos prédécesseurs, nos adversaires, nos contradicteurs ont eu le pouvoir ; pourquoi n'ont-ils pas, dans cette importante matière, introduit ces modifications unanimement réclamées ? Pourquoi de même dans la question actuelle, l'honorable M. Pirmez n'a-t-il pas saisi la Chambre de la révision de la loi de 1850 qu'il indiquait vaguement dans une dépêche à la ville de Seraing ?

Voilà des questions que nous aurions le droit de poser.

La Chambre ne peut se dissimuler combien sont graves les discussions qui sont soulevées.

Lorsque la loi de 1850 a porté à 50 le chiffre des écoles moyennes de l'Etat, ce n'a été qu'après un long débat où l'on a pesé à la fois les droits de l'intervention de l'Etat et les droits de la liberté de l'enseignement. Je ferai remarquer que non seulement sur les bancs de la droite, mais aussi sur ceux de la gauche, on a contesté ce chiffre comme trop considérable ; je rappellerai que l'honorable M. de Brouckere. l'a énergiquement combattu.

La Chambre à cette époque était saisi d'un projet qui autorisait le gouvernement à fonder 50 écoles moyennes de l'Etat, mais on y a substitué un amendement portant que le gouvernement était simplement autorisé à élever à 50 le nombre des écoles moyennes de l'Etat.. Voilà comment s'offre la question au point de vue des antécédents de la Chambre, et il y a encore bien d'autres points qui mériteraient un sérieux examen.

Il faudrait d'abord démontrer l'utilité de cette réforme. En effet, quelle, est aujourd'hui la situation ? Il y a en moyenne dans chaque école de l'Etat 56 élèves. Ces écoles comprennent trois classes : ce qui fait moins de 20 élèves par classe. Cette situation constate-t-elle l'urgente nécessité d'une réforme de la loi de 1850 ? C'est ce que le gouvernement aura à examiner.

M. le président. - La parole est à M. de Rossius.

M. de Rossius. - Je la cède à M. Pirmez.

M. Pirmez. - L'honorable ministre de l'intérieur vient d'adresser une question au cabinet précédent ; je ne veux pas faire attendre la réponse, pour ne pas donner à M. le ministre de l'intérieur un mauvais exemple.

Pendant que nous avons été au ministère, nous avons toujours répondu à toutes les questions qui nous ont été posées ; jamais une question n'est restée sans réponse ; je constate que c'est le contraire qui arrive aujourd'hui ; nous ne pouvons obtenir de réponse à presque aucune de nos questions. (Interruption.)

La question que j'avais posée hier a été reposée par M. Muller ; M. le ministre de l'intérieur prend deux fois la parole et ne nous répond pas. M. Bouvier reproduit la question et cette fois, au lieu de répondre, M. le ministre pose une question à l'ancien cabinet en expliquant pourquoi il désire ne pas répondre.

Voici donc ma réponse. Dans le gouvernement on constate que certains besoins se développent chaque jour ; ce qui est nécessaire aujourd'hui n'était pas nécessaire antérieurement. Il est certain que lorsque la loi de 1850 a été faite, le nombre de cinquante écoles moyennes a été jugé suffisant. Mais, depuis quelques années, les demandes d'écoles moyennes ont pris une extension considérable et des réclamations sont arrivées au gouvernement. Lorsque cette situation s'est présentée, nous l'avons examinée et nous avons reconnu qu'il y avait lieu d'augmenter le nombre des écoles moyennes, et dans une dépêche qui a été lue hier et datant du mois d'avril de l'année dernière, nous avons constaté que le gouvernement avait l'intention d'augmenter le nombre des écoles moyennes de l'Etat.

Maintenant, est-ce sérieusement que M. le ministre de l'intérieur nous demande pourquoi depuis lors nous n'avons pas déposé un projet ? Je crois qu'il le sait parfaitement et qu'il ne regrette pas la cause qui, peu après le mois d'avril, nous a forcé à l'inaction.

Voilà ma réponse bien nette ; je reviens à ma question.

M. le ministre de l'intérieur nous dit : Je n'ai pas besoin des fonds que l'on propose parce que ce ne sont pas des écoles communales qu'on demande, mais des écoles moyennes de l'Etat ; il constate donc lui-même, dans son argumentation, que l'on demande l'augmentation du nombre des écoles moyennes de l'Etat ; ce n'est pas nous qui avons apporté cet élément dans le débat.

Eh bien, lorsque M. le ministre de l'intérieur proclamait lui-même que ce que l'on demandait c'étaient des écoles moyennes de l'E'at, je lui ai posé naturellement la question :

« Etes-vous disposé à augmenter le nombre de ces écoles moyennes ? » (Interruption.)

N'est-il pas dans le rôle de l'opposition de poser des questions au gouvernement ? (Nouvelle interruption.) Si nous n'avons pas le droit de demander au gouvernement quelle est sa ligne de conduite politique, nous n'avons plus rien à faire ici.

M. Bouvier. - Nous n'avons plus qu'à nous en aller.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. -- Bon voyage !

M. Pirmez. - Je n'accepterai pas ce souhait parti du cœur...

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Ce n'est pas à vous qu'il s'adressait.

M. Pirmez.- Je crois qu'aucun de mes collègues de la gauche n'aura à l'accepter ; qu'il ne leur convient pas de faire le voyage que la droite a fait, il y a quelques années, hors de cette enceinte.

Messieurs, je réitère la question que j'ai posée à M. le ministre de l'intérieur. J'ai répondu très franchement à celle qu'il m'a faite, je lui demande de faire de même à mon égard. S'il s'y refuse, je devrai tirer de son silence la conclusion qui, je crois, sera la vérité : c'est que le silence de M. le ministre de l'intérieur équivaut très clairement, à une réponse négative et signifie qu'il n'a pas l'intention d'augmenter le nombre des écoles moyennes de l'Etat.

M. de Rossius. - AI. le ministre de l'intérieur nous a fait une prétendue énumération des communes qui, d'après lui, réclameraient la création dans leur sein d'une école moyenne de l'Etat. S'il fallait l'en croire, leur nombre serait très limité. Cela, messieurs, n'est pas soutenable. Il est à ma connaissance personnelle que d'autres communes que celles citées par l'honorable Al. Kervyn ont réclamé des écoles moyennes de l'Etat.

M. Jacobs, ministre des finances. - Citez-les.

M. de Rossius. - La ville de Binche, en voilà une. Je crois ne pas me tromper en affirmant qu'il y a quelques années...

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Ah ! il y a quelques années !

M. Bara. - Vous parlez bien de l'affaire Habets, qui remonte à 1851.

M. de Rossius. - Je ne comprends vraiment pas l'objection de l'honorable ministre de l'intérieur ; elle est frappée au coin d'une logique à son usage spécial, mais qu'il m'est impossible de saisir.

La loi de 1850 a fixé au chiffre de cinquante le nombre des écoles moyennes de l’Etat. Depuis longtemps, ce nombre est atteint et le gouvernement s'est trouvé dans la nécessité de repousser les requêtes qui lui furent adressées par les communes. Je suis, a-t-il dit, je suis lié par l'article 3 de la loi qui m'interdit de créer au delà de cinquante établissements d'enseignement secondaire du degré inférieur. Que pouvaient faire ces communes ? Patienter et attendre des temps meilleurs, attendre la révision de l'article 3 de la loi de 1850, qui seule leur permettra de reproduire avec succès leur demande.

Ce n'est pas l'avis de l'honorable M. Kervyn. Du silence que forcément elles ont gardé, il conclut qu'elles ne désirent plus obtenir une école moyenne de l'Etat.

Voilà le raisonnement, voilà la logique rigoureuse de M. le ministre. Est-ce acceptable, messieurs, je vous le demande ? Ainsi Binche, autrefois, a sollicité semblable école. Le gouvernement a répondu : Je ne puis vous la donner, c'est la loi qui paralyse ma bonne volonté ; et Binche s'est tue. Mais, sans nul doute, elle réclamerait de nouveau si l'obstacle légal venait à disparaître. Elle insisterait pour que satisfaction lui fût donnée, comme le feraient un grand nombre de ces 76 communes de plus de 5,000 âmes qui sont privées de tout enseignement secondaire, et parmi lesquelles se trouvent Blankenberghe et Seraing.

On dit : Seraing peut créer une école moyenne communale, cédant ainsi au conseil que lui donnait l'honorable M. Pirmez en 1870. L'honorable M. Muller vous a dit ce que sont les subsides attribués aux établissements communaux d'enseignement moyen du degré inférieur. Ils sont très faibles ; (page 833) chaque commune obtient, 2,700 francs environ. Messieurs, la commune de Seraing n'est pas en mesure d'ouvrir une école moyenne avec un subside de 2,700 francs.

Elle s'est imposé des sacrifices énormes pour son enseignement. Je tiens en mains le rapport du collège échevinal pour 1869. J'y vois que les dépenses de l'instruction se sont élevées pendant cet exercice à 50,000 francs. Seraing possède des écoles primaires admirablement organisées, des écoles d'adultes sérieusement établies, une école industrielle qui rend les plus grands services à sa population de travailleurs, une école professionnelle d'exploitation des mines, une école de dessin, une école dominicale pour filles. En 1870, elle a organisé un établissement d'enseignement moyen pour les filles.

Voilà, messieurs, ce qu'a su faire Seraing. Mais elle se trouve impuissante à créer une école secondaire pour les garçons avec une maigre allocation de 2,700 francs puisée dans le trésor public. C'est l'état de ses finances qui l'arrête. Le refus de réviser l'article 3 de la loi de 1850 causera donc le plus grand préjudice à sa population. Il empêchera ses familles d'ouvriers auxquelles l'économie, le travail assidu ont donné une certaine aisance, de procurer à leurs fils un degré d'instruction supérieur à celui de l'école primaire.

Je ne puis donc que regretter, avec la plus vive amertume, la décision, prise par l'honorable. M. Kervyn de ne pas donner suite au projet de l'ancienne administration.

Je fais remarquer, en terminant, que la réponse donnée par l'honorable M. Kervyn, à propos des sections préparatoires, n'est nullement satisfaisante.

On lui a posé une question nette. Traduisons la déclaration en la dégageant du vague dont il l'a enveloppée.

Dans la séance d'hier, il a condamné le développement donné aux sections préparatoires des établissements secondaires du degré inférieur. Leur population étant trop considérable, il voudrait les supprimer.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'ai dit le contraire.

M. de Rossius. - Vous n'avez pas dit le contraire ; dans la séance d'hier, vous avez signalé l'existence et le développement de ces sections préparatoires comme constituant un abus. Aujourd'hui, vous vous êtes borné, je le reconnais, à déclarer que vous ne pourriez tolérer l'abus qui serait fait de ces sections préparatoires. Sans doute vous n'avez pas renouvelé aujourd'hui la déclaration faite par vous hier ; mais j'ai le droit de rapprocher vos deux affirmations. L'abus intolérable d'aujourd'hui, c'est bien la situation signalée hier. Par une diminution des allocations, on réduira l'importance des sections préparatoires. Tel est le sort réservé aux écoles moyennes de l'Etat et des communes.

M. Rogier. - Messieurs, j'ai demandé la parole, à la fin de la séance d'hier, lorsque j'ai entendu M. le ministre de l'intérieur parler comme d'un abus des sections préparatoires d'instruction primaire annexées aux écoles moyennes.

M. le ministre de, l'inférieur aurait-il perdu de vue l'article 27 de la loi du 1er juin 1850, paragraphe 2, ainsi conçu :

« Là où le besoin s'en fera sentir, il pourra être annexé à l'école moyenne une section préparatoire dans laquelle seront enseignées les matières attribuées aux écoles primaires. »

Eh bien, c'est cette disposition de la loi qui a été appliquée dans différentes communes ; dans des communes, par exemple, d'une population restreinte, où le nombre des élèves payants de l'école moyenne proprement dite n'avait pu suffire pour concourir efficacement aux frais de l'établissement.

Qu'ont fait les communes qui n'avaient pas de grandes ressources ? Elles ont fait ce que la loi du 1er juin 1850 les autorise à faire ; elles ont annexé à leur école moyenne une section préparatoire d'instruction primaire réservée, je pense, en principe, aux élèves payants.

Mais, dit-on, l'enseignement des sections préparatoires échappe à l'application de la loi du 23 septembre 1842 et tombe sous le régime de la loi du 1er juin 1850.

Voilà donc les sections préparatoires des écoles moyennes soustraites à l'enseignement religieux !

Il n'en est rien, messieurs ; l'enseignement de la religion est expressément inscrit dans le programme de l'instruction moyenne, article 8 de la loi de 1850, et les ministres des cultes sont invités à donner cet enseignement et à le surveiller, article 8.

Le clergé est-il exclu, quand il est invité à donner l'enseignement religieux et à le surveiller, et la religion est-elle exclue alors qu'elle figure en termes exprès dans le programme légal de l'enseignement moyen du second degré ? Qu'y a t-il donc à reprendre si l’enseignement religieux, dans la section préparatoire, est traité comme il l'est dans l'école moyenne proprement dite ?

Mais je crois qu'il y a un grief plus sérieux à la charge des sections préparatoires ; c'est qu'elles contribuent à fournir des ressources à la commune pour l'entretien de l'école moyenne. Je ne crois pas offenser M. le ministre de l'intérieur en lui disant que ses sympathies se portent plutôt du côté des écoles du clergé que du côté des écoles du gouvernement.

Si j'avais ces opinions-là, je n'hésiterais pas à les avouer, à les proclamer, et si l'honorable ministre de l'intérieur veut rester en conformité de vues et d'opinions avec la majorité qui le soutient, il doit les proclamer. La majorité, je pense, ou du moins la majorité de la majorité donne ouvertement la préférence aux établissements du clergé sur les établissements publics de l'Etat ou de la commune.

On peut avoir cette opinion-là très consciencieusement, mais il fau l'avouer et il faut marcher ouvertement et directement au but qu'on désire atteindre, et ne pas venir, par des moyens détournés, contrarier l’enseignement officiel contre lequel on a des préventions.

M. le ministre de l'intérieur, en supprimant les sections préparatoires primaires annexées aux écoles moyennes, diminuerait les ressources affectées à ces écoles ; et que fait-il, pour compenser, autant que possible, le. déficit qui résulterait de la suppression des sections primaires ? Il a trouvé, au budget proposé par son prédécesseur, une augmentation de subside pour les écoles moyennes ; il la supprime tout d'abord sans rien examiner.

Plus tard, faisant un retour, il consent à accepter la moitié du subside proposé. Eh bien, je l'engage, s'il veut sincèrement le maintien des écoles moyennes de l'Etat, ou de la commune, ou de la province, à rétablir au moins maintenant l'augmentation proposée, par l'honorable M. Pirmez et d'accepter les 20,000 francs. Il donnera par là un gage d'impartialité. Autrement, messieurs, il restera sur ses intentions des doutes que l'avenir, on peut le craindre, viendra justifier.

Que M. le ministre fasse donc encore un effort en rétablissant les 20,000 francs qu'il a trouvés au budget présenté par l'honorable M. Pirmez ; il contribuera ainsi, je le dis, à vaincre quelque peu les doutes qui se sont produits sur son désir d'encourager comme il le devrait les établissements officiels d'enseignement moyen. M. le ministre de l'intérieur nous a lu l'opinion d'un ancien administrateur-jurisconsulte sur les devoirs du gouvernement en ce qui concerne les dépenses publiques. Véritablement, messieurs, je crois qu'il aurait pu se dispenser de donner cette leçon élémentaire à la Chambre, je crois que personne dans cette enceinte, je dirai même dans le pays, ne viendra soutenir que lorsqu'il n'y a pas de besoins, il faut néanmoins présenter des demandes de dépenses. Il faudrait être possédé de la manie des dépenses pour venir proposer des dépenses alors que des besoins n'existent pas ou ne sont pas prévus.

Il n'est pas nécessaire de recourir à la science administrative ou juridique de qui que ce soit pour prouver cela. C'est une vérité des plus élémentaires.

On n'a pas demandé à M. le ministre de proposer une dépense inutile. L'honorable M. Pirmez, que je crois aussi d'une certaine valeur administrative, a fait une proposition de dépense en l'appuyant par des besoins constatés. M. le ministre de l'intérieur l'a supprimée de prime abord, sans justifier en aucune manière la suppression. Après cela, revenu à résipiscence, il a proposé la moitié seulement de l'augmentation, il n'en a pas dit davantage les motifs. Il n'a pas dit pourquoi il changeait d'avis, et la section centrale ne s'est pas enquise des motifs.

Eh bien, cette demi-concession ne me suffisant pas, je continue à soutenir la proposition de l'honorable M. Muller, qui n'est que la reproduction de la proposition de l'honorable M. Pirmez, et je pense que la majorité, dans cette circonstance, devrait se montrer plus large que M. le ministre de l'intérieur. L'honorable rapporteur me fait un signe négatif.

M. De Lehaye, rapporteur. - Je n'ai fait aucun signe.

M. Rogier. - Je ne fais que soutenir ici l'application de la loi de 1850, qui a prévu non seulement les cinquante écoles de l'Etat, mais qui, en supposant que les cinquante écoles ne suffiraient pas, a prescrit que des subsides seraient accordés par l'Etat pour venir en aide aux communes qui n'auraient pas d'écoles de l'Etat.

M. De Lehaye, rapporteur. - Je pense que toute personne qui a lu la loi sur l'enseignement moyen, sait cela. Je ne l'ai jamais contesté.

M. Rogier. - Ceux qui ont voté cette loi doivent, en effet, la connaître ; ils devraient donc se joindre à moi pour la défendre dans son esprit et dans ses dispositions, et sous ce rapport, je regrette que (page 834) l'honorable rapporteur, conformément au vote approbatif qu'il a donné à la loi de 1850 avec toute l'opinion qui soutenait alors le cabinet, ne me vienne pas en aide. Je lui demande un léger effort de mémoire et une preuve de bon vouloir en votant en faveur de la proposition de M. Muller.

M. le président. - Nous passons au vote sur la proposition de M. Muller. Elle tend à porter le chiffre à 210,000 francs.

M. Vandenpeereboom. - Est-ce que M. le ministre de l'intérieur ne répond pas aux questions qui lui ont été posées ? (Interruption.) Cela pourrait exercer une influence sur nos votes.

- Des membres. - Aux voix ! Aux voix !

M. Frère-Orban. - Je demande la parole.

M. le président. - Est-ce sur la position de la question ?

M. Frère-Orban. - Non, M. le président. C'est sur la question qui a été posée. (Interruption.) Mais la réponse à cette question peut avoir une influence sur le vote. Il est nécessaire de connaître quelles sont les intentions du gouvernement.

Le gouvernement prend une attitude qui est absolument inexplicable.

- Des membres. - Pas du tout.

M. Frère-Orban. - On dit au gouvernement : Facilitez la création d'écoles moyennes par les communes à l'aide d'allocation de subsides. Maintenez les crédits qui ont été proposés par le cabinet précédent.

Le gouvernement s'y refuse.

Il n'admet pas la situation établie par ses prédécesseurs. Il a d'abord supprimé tout accroissement de crédit : vaincu par l'évidence, il a ensuite proposé d'augmenter le crédit de la moitié de la somme primitivement réclamée. Il ne veut pas aller au delà, bien qu'il confesse une première erreur. Il me suffît, dit-il, de la somme qui a été indiquée pour satisfaire aux besoins que je croîs constatés.

Mais nous demandons au gouvernement : Voulez-vous satisfaire aux réclamations qui ont été faites par un grand nombre de communes de voir modifier la loi sur l'enseignement moyen, projet qui avait été annoncé par le cabinet précédent ?

Il importe de le savoir, car, si vous contestez la nécessité d'augmenter le crédit, c'est en prétendant que certaines communes ne demandent point de subsides pour créer des écoles moyennes communales, mais réclament l’établissement d'écoles moyennes de l'Etat.

Le ministère se refuse à répondre. Il ne veut, en réalité, ni créer des écoles moyennes de l'Etat ni faciliter la création d'écoles moyennes communales. Cela est bon à constater. Cela révèle toute une politique.

M. Kervyn de Volkaersbeke. - M. le ministre a répondu. Vous voulez une deuxième réponse. La première suffît.

M. Frère-Orban. - L'honorable ministre n'a pas répondu à cette question : Le gouvernement a-t-il l'intention de réaliser les intentions manifestées par le cabinet précédent, en proposant de modifier la loi de 1850 dans les dispositions qui limitent le nombre des écoles moyennes ? Qu'a dit, en effet, l'honorable ministre ? Le voici :

« Pourquoi le cabinet précédent ne l'a-t-il pas fait ? »

L'honorable M. Pirmez a répondu péremptoirement à M. le ministre de l'intérieur : qu'il avait fait connaître ses intentions dès qu'il a pu constater les besoins, dans les premiers mois de 1870, et au mois de juin nous étions renversés.

Or, ces besoins constatés dans diverses localités du pays, M. le ministre de l'intérieur les reconnaît également ; il dit à la commune de Seraing, à la commune de Blankenberghe, à d'autres : Le nombre des écoles moyennes de l'Etat est limité par la loi ; eh bien, nous vous demandons : Voulez-vous modifier la loi ? Est-ce là une question indiscrète ?

M. Thonissen. - On examinera.

M. Frère-Orban. - Si le gouvernement veut répondre qu'on examinera, s'il veut même répondre qu'on nommera une commission pour examiner, soit !

M. Vermeire (pour un rappel au règlement). - Messieurs, la discussion a été close et elle est rouverte sans le consentement de la Chambre ; ce qui est contraire aux prescriptions du règlement.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Les honorables membres de l'ancien cabinet se font honneur d'un projet préparé par eux à l'effet de porter au delà du nombre de 50 les écoles moyennes de l'Etat.

Je. prends bien volontiers l'engagement de rechercher ce projet ; mais je regrette d'ajouter que, d'après tous les renseignements que j'ai recueillis, il y a lieu de craindre que ces recherches ne restent complètement infructueuses. Je n'ai, jusqu'à ce moment, rencontré aucune trace d'un projet de loi préparé à ce sujet par le cabinet précédent. (Interruption.)

L'honorable M. Frère et l'honorable M. Pirmez, tous les deux, ont annoncé que le gouvernement avait l'intention de saisir la législature d'un projet de loi ; je rechercherai donc quels sont les documents préparés et quelles étaient les intentions du cabinet précédent.

M. Bouvier. - Je demande la parole.

- Voix à droite. - Oh ! oh !

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Mon langage, messieurs, est clair et précis : toutes les fois que les sections préparatoires s'organiseront dans l'esprit et selon la lettre de la loi de 1850, nous leur accorderons tout notre concours, mais nous sommes hostile à tout système qui tendrait à établir, sous une forme déguisée, des écoles primaires placées en dehors de l'application de la loi de 1842.

- Voix à gauche. - Ah !

- Voix à droite. - C'est cela !

- Voix nombreuses à droite. - La clôture !

M. Frère-Orban. - La parole ne peut m'être enlevée.

- Des voix à droite. - La clôture était demandée.

M. le président. - La discussion a été rouverte.

M. Frère-Orban. - J'avais la parole ; on n'avait pas le droit de me l'enlever, même par une demande de clôture. M. le ministre de l'intérieur m'a interrompu pour donner une explication ; j'ai réservé mon droit de parler et je le maintiens. (Interruption.)

Je suis vraiment étonné de l'espèce de terreur qui se manifeste à droite à l'idée que M. le ministre de l'intérieur pourrait avoir à répondre à cette question épouvantable de savoir si la loi de 1850 sera modifiée et si l'on étendra le nombre des écoles moyennes.

M. Hayez. - Ce n'est pas de la terreur, c'est de la lassitude et de l'ennui...

M. Frère-Orban. - Vous pouvez vous en aller si vous vous ennuyez.

M. Bouvier. - Il s'ennuie et il s'agit de l'instruction du peuple !

M. Frère-Orban. - Mais nous ne sommes pas précisément ici pour nous amuser ; nous y sommes pour remplir notre devoir.

- Un membre à droite. - Nous perdons notre temps.

M. Frère-Orban. - Je ne pense pas que j'aie abusé des moments de la Chambre ni que je sois intervenu d'une manière trop active dans cette discussion et je ne comprends pas qu'au moment où je me lève on m'accueille par une demande de clôture.

M. Snoy. - La clôture était demandée lorsque vous irez pris la parole.

M. Frère-Orban. - Elle n'avait pas été prononcée.

M. Muller. - C'est M. le président que vous accusez.

M. Frère-Orban. - M. le président m'a accordé la parole, j'avais donc le droit de parler.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - C'est sur la position de la question qu'on vous l'a accordée.

M. le président. - La clôture n'avait pas été mise aux voix ; j'étais au moment de mettre aux voix l'amendement de M. Muller quand M. Frère a demandé la parole.

- Une voix à droite. - Donc, il y avait clôture.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - M. le président a même demandé si c'était sur la position de la question que M. Frère demandait la parole.

M. le président. - Maintenant, M. Frère a la parole ; je prie de le laisser continuer.

M. Frère-Orban. - M. le président ayant annoncé qu'il allait mettre aux voix l'amendement de M. Muller, j'ai demandé la parole ; l'honorable président m'ayant demandé : Est-ce sur la position de la question ? j'ai dit : Non ; c'est sur la question qui a été posée à M. le ministre de l'intérieur ; la réponse que pourra faire M. le ministre de l'intérieur est de nature à exercer une certaine influence sur le vote ; voilà pourquoi j'ai demandé la parole, voilà pourquoi elle m'a été accordée ; il n'y avait pas de clôture.

M. Snoy. - C'est exact.

M. Frère-Orban. - Je constate maintenant que M. le ministre de l'intérieur refuse de répondre à une question qui lui a été adressée et qu'au lieu de répondre, a travesti nos paroles ; l'honorable ministre a (page 835) annoncé qu'il rechercherait le projet de loi qui avait été préparé suivant la déclaration de M. Pirmez. Or, M. Pirmez ni moi nous n'avons rien dit de semblable..,

M. Pirmez. - Absolument rien...

M. Frère-Orban. - Nous avons déclaré que nous avions annoncé l'intention de modifier la loi de 1850 et l'honorable M. Pirmez a annoncé ses intentions dans une lettre qui a été citée par l'honorable M. Bouvier, lettre qui porte la date du 15 avril 1870. Voilà ce qui a été dit ; pas autre chose.

Mais, M. le ministre de l'intérieur a constaté lui-même les besoins : Blankenberghe, nous a-t-il dit, demande une école moyenne de l'Etat ; il n'en peut pas être créé de nouvelles puisque la loi de 1850 en limite le nombre. Seraing a demandé également la création d'une école moyenne ; cette école n'a pas pu lui être accordée parce que la loi de 1850 y met obstacle.

Bastogne est dans la même situation. Les besoins existent donc ; M. le ministre de l'intérieur les constate lui-même. Il est en présence d'un fait positif, certain, indubitable, reconnu par lui-même. Nous lui demandons : Que ferez-vous ? Et il refuse de s'expliquer ; il refuse de dire s'il fera droit à ces réclamations en proposant une modification à la loi de 1850, qui permette d'augmenter le nombre des écoles moyennes de l'Etat.

Messieurs, on a cité la commune de Seraing ; on vous a montré ce que cette localité populeuse, mais qui n'est pas riche, qui est composée en grande partie d'ouvriers, ce que cette localité a fait dans l'intérêt de l'enseignement. Elle s'impose des sacrifices énormes, et il lui serait absolument impossible de créer encore une école moyenne.

Les ouvriers la réclament ; vous la refusez, on ne modifiera pas la loi de 1850 ; M. le ministre ne saura pas consentir à faire une proposition dans ce sens. Et pourquoi, messieurs ? Parce qu'il est hostile à la loi de 1850, à raison du principe de l'enseignement religieux. Voilà la vérité, voilà ce qu'il faudrait avouer ouvertement.

M. Dumortier. - Et quand cela serait ? (Interruption.)

M. Frère-Orban. - Mais dites-le donc.

M. Dumortier. - Ayez donc vous-même la franchise de dire que vous voulez tuer l'enseignement religieux.

M. Orts. - Tirez le premier, M. Dumortier !

M. Frère-Orban. - Ce n'est pas à moi, je pense, qu'on peut reprocher de manquer de franchise : j'ai coutume de dire très nettement toute ma pensée.

La loi de 1850 permet la création d'écoles moyennes avec adjonction de cours préparatoires, c'est-à-dire de véritables écoles primaires ; c'est la loi qui le dit.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Là où le besoin en est constaté.

M. Frère-Orban. - Eh ! sans doute. Mais que fait M. le ministre de l'intérieur ? Il se dit : Je vais m'ingénier à trouver le moyen d'empêcher que ces écoles préparatoires puissent être établies.

- Des voix. - Quand elles ne sont pas nécessaires.

M. Frère-Orban. - Mais qui donc a jamais songea en demander où les besoins n'existaient pas ? Qu'a dit M. le ministre de l'intérieur ? Je ne veux pas qu'on puisse, à l'aide de cette faculté, se soustraire à la loi de 1842.

Mais M. le ministre de l'intérieur oublie une chose : c'est que la loi de 1850 le dit elle-même ; c'est qu'il n'est pas en son pouvoir de modifier cette situation. La loi de 1850 prévoit expressément l'adjonction de cours préparatoires aux écoles moyennes, cours qui sont soumis à la loi de 1850.

M. le ministre n'a pas le droit, il n'a pas le pouvoir de ne pas exécuter cette loi ; il ne peut pas, sous prétexte que la loi de 1842 vaut mieux que celle de 1850, empêcher indirectement, par des moyens détournés, la création de sections préparatoires aux écoles moyennes.

Or, c'est bien là son intention : son refus de donner des subsides aux communes, pour la création d'écoles moyennes, repose uniquement sur la crainte qu'on n'y créât des sections préparatoires qui échapperaient à la loi de 1842.

Voilà le système ; voilà ce que veut le gouvernement ; voilà ce qu'appuie la majorité ; voilà ce qu'il importe de faire connaître au pays.

M. Kervyn de Volkaersbeke. - Vous voulez la suppression de la loi de 1842 et nous en voulons le maintien.

M. le président. - Je mets aux voix la clôture.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. Tack. - Je l'ai demandée aussi.

- La clôture est mise aux voix ; elle n'est pas prononcée.

M. Tack. - Messieurs, il n'entre dans l'intention de personne, sur ces bancs, de contrarier, comme le supposait tout à l'heure l'honorable M, Rogier, l'enseignement public donné dans les écoles moyennes de l'Etat.

Mais ce qui nous préoccupe, et ce qui a frappé M. le ministre de l'intérieur, c'est qu'au moyen de l'application qu'on fait de la loi du 1er juin 1850, on soustrait subrepticement d'une manière déguisée de véritables écoles primaires au régime de la loi du 23 septembre 1842.

C'est que, dans certaines localités, l'école moyenne n'est qu'une enseigne derrière laquelle se cache une école primaire.

La loi de 1850, dans son article 27, dit que là où le besoin se fera sentir, on pourra annexer à l'école moyenne une section préparatoire dans laquelle seront enseignées les matières attribuées aux écoles primaires. La section préparatoire ne peut être ici que l'accessoire de l’école moyenne.

Et savez-vous quel est le résultat auquel on est parvenu ? C'est que, dans certaines villes, d'après les tableaux officiels mêmes, la section préparatoire est devenue le principal ; on y a interverti la règle ; ainsi, je puis citer un cas où les élèves qui fréquentent l'école moyenne sont au nombre de 18, tandis que la section préparatoire en compte 240 ; est-ce là une école moyenne dans le sens de la loi de 1830 ? Non, c'est une véritable école primaire que vous placez sous le régime de la loi de 1850, au lieu d'y appliquer la loi de 1842. C'est une école primaire que vous entretenez au moyen des subsides de l'Etat. Sous ce rapport-là, il y a une inégalité frappante vis-à-vis des communes dont les écoles primaires sont régies par la loi de 1842.

L'instruction primaire est une charge obligatoire pour les communes. Vous en faites une charge du trésor public en faveur de quelques communes privilégiées, et quelles sont les classes qui en profitent ? En général, celles qui sont à même de payer ; car c'est en grande partie cette catégorie qui fréquente les écoles moyennes.

Voilà la tendance, voilà le système dont nous ne voulons pas. Mais, je le répète, il n'entre dans la pensée de personne de chercher à détruire ou à supprimer les écoles moyennes de l'Etat.

- La clôture de la discussion est prononcée.

L'amendement de M. Muller, tendant à porter à 210,000 francs le chiffre de l'article 87, est mis aux voix par appel nominal.

96 membres sont présents.

41 membres répondent oui.

55 membres répondent non.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont répondu oui :

MM. Anspach, Balisaux, Bara, Bergé, Boulenger, Bouvier, Braconier, Bricoult, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Lexhy, de Macar, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Mascart, Muller, Orts, Pirmez, Rogier, Sainctelette, Tesch, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem et Vleminckx.

Ont répondu non :

MM. Beeckman, Biebuyck, Brasseur, Cornesse, de Clercq, de Dorlodot, de Haerne, Delcour, De Lehaye, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Hayez, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Royer de Behr, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters et Vilain XIIII.

- Le chiffre de 200,000 francs est adopté.

Articles 88 à 90

« Art. 88. Frais du concours général entre les établissements d'instruction moyenne : fr. 25,000. »

- Adopté.


« Art. 89. Indemnités aux professeurs de l'enseignement moyen du premier et du deuxième degré qui sont sans emploi ; charge extraordinaire : fr. 5,292. »

- Adopté.


« Art. 90. Traitements de disponibilité : fr. 12,000. »

- Adopté.

Article 91

(page 836) « Art. 91. Encouragements pour la publication d'ouvrages classiques ; subsides, souscriptions, achats, etc. : fr. [chiffre illisible] ,000 »

M. Vleminckx. - Messieurs, j'aurais produit hier les observations que j'ai à soumettre à la Chambre si une indisposition ne m'avait empêché d'assister à la séance.

Ce que je désire demander à M. le ministre de l'intérieur se rapporte à l'enseignement primaire tout autant qu'à l'enseignement moyeu.

Nous avons discuté assez longtemps sur l'enseignement de la gymnastique. II y a entre M. le ministre de l'intérieur et l'honorable M. Couvreur et moi un grand dissentiment.

Nous disons, nous, que l'enseignement de la gymnastique n'est possible qu'à la condition que l'on crée une école normale pour la formation des professeurs.

Nous sollicitons par conséquent l'érection de cette école qui non seulement aurait pour effet de faire de bons professeurs de gymnastique, mais de répandre dans le pays de bonnes notions d'hygiène.

L'honorable ministre prétend, lui, de son côté, qu'il suffit de développer l'enseignement qui se donne actuellement et qui, pour nous, n'existe pas ou qui n'existe qu'à l'état rudimentaire.

Il me semble, messieurs, que nous ne pouvons rester dans cette situation et que la Chambre doit être éclairée afin de pouvoir décider la question.

Je demande donc à l'honorable ministre de l'intérieur s'il ne s'empresserait pas de déférer à la proposition que je vais lui faire, à savoir de présenter à la Chambre, au début de la session prochaine, un rapport spécial sur l'état de l'enseignement de la gymnastique dans les athénées et les écoles moyennes ainsi que dans les écoles normales et primaires pour filles et garçons.

Ce rapport ferait connaître comment et par qui cet enseignement est donné dans ces différents établissements et dans quelles institutions les maîtres ou les professeurs ont été formés.

Il renseignerait également la Chambre sur les locaux et les instruments dont il est fait emploi.

En un mot, aucun détail ne serait négligé pour permettre à la Chambre de juger la situation de l'enseignement de cette partie de nos programmes.

Ce n'est qu'à l'aide d'un pareil document que la Chambre pourra juger sainement si, comme nous le prétendons, une école normale de gymnastique est indispensable aux intérêts bien entendus de nos concitoyens.

La Chambre, je l'espère, ne perdra jamais de vue qu'augmenter la vigueur et la force du peuple, c'est travailler efficacement à la prospérité du pays. Or, c'est précisément ce but que nous cherchons à atteindre.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, je suis tout à fait d'accord avec l'honorable préopinant en ce qui touche les dernières paroles qu'il vient de prononcer.

Pour arriver au but désirable qui vient d'être indiqué, je ne vois aucun inconvénient à prendre l'engagement de déposer, dans les premiers jours de la session prochaine, le rapport que demande l'honorable membre.

J'ajoute même que je serai heureux de recourir à ses lumières pour mieux préciser les bases de l'enquête dont il vient de parler.

- L'article est adopté.

Article 92 (nouveau)

M. le président. - C'est ici que vient se placer la proposition de M. Muller, qui demande qu'on ajoute au budget un article 92, ainsi conçu :

« Subsides à des établissements communaux d'instruction moyenne pour filles, avec une allocation de 50,000 francs. »

M. Muller. - Messieurs, je viens d'avoir la mauvaise chance de voir un amendement tué sous moi. Je remercie tous mes collègues de l'opinion libérale de l'avoir au moins soutenu de leurs suffrages. Mais le sort de mon premier amendement et le vote certain qui atteindra le second ne me feront pas garder le silence. Mon devoir est de ne pas reculer devant un nouvel échec.

La question que je vais aborder se lie également à l'enseignement moyen ; elle est au moins aussi grave que celle que vous venez de résoudre contre nous : car, cette fois, c'est l'application nette d'un principe, contesté par nos adversaires politiques, que nous avons à défendre. En soulevant cette question, qui revêt, à nos yeux, un caractère social, qui est de la plus haute importance, je n'ai voulu, par l'amendement que j'ai soumis à la Chambre, que reproduire une proposition éminemment populaire qu'avait faite, dans son projet de budget de 1871, l'honorable M. Pirmez.

Pour faire comprendre toute la portée qui s'attache à l'instruction moyenne des filles, je ne puis mieux faire que de lui céder, en quelque sorte, la parole. Vous me permettrez donc de vous lire les considérations élevées par lesquelles il faisait ressortir la nécessité d'aviser à organiser sous le contrôle de l'autorité civile un enseignement moyen pour les filles.

M. Pirmez, dans la note jointe à l'appui de sa proposition budgétaire, qui était nouvelle et qui, comme je le rappelais hier, n'a pas même eu l'honneur d'être mentionnée par son successeur, M. Pirmez, dis-je, s'exprimait ainsi :

« Les filles peuvent aujourd'hui s'initier, dans toutes les communes du pays, aux connaissances que le programme de l'enseignement primaire embrasse ; mais les prévisions législatives ne vont point au delà. Quelques communes ont développé le programme de l'enseignement primaire, d'autres ont établi des écoles spéciales, mais les efforts sont loin de satisfaire aux besoins d'instruction qui se manifestent dans toutes les classes de la société. L'initiative privée ne supplée pas à l'insuffisance de l'enseignement public, surtout en ce qui concerne les classes moyennes ; n'étant pas, pour l'instruction des filles, sous le stimulant de la concurrence d'établissements officiels, l'enseignement privé ne réalise pas les progrès que réclame la situation actuelle.

« L'instruction de la femme ne doit pas nécessairement être la même que celle de l'homme ; il est des études que nos mœurs réservent spécialement à celui-ci, mais la différence de l'objet des études ne doit pas être un obstacle à ce qu'on cherche à établir entre eux une certaine égalité de culture intellectuelle. N'est-il pas du devoir de la société de fournir aux femmes aussi bien qu'aux hommes le moyen de parvenir au complet épanouissement de leurs facultés ; le caractère de la femme n'a-t-il pas besoin, autant que celui de l'homme, de trouver dans la formation de la raison la force que donne une instruction sérieuse et solide ?

« Cette instruction donnée à la jeune fille ne profitera pas à elle seule : la famille, dans nos mœurs chrétiennes, repose sur l'égalité de condition des époux ; mettre leurs connaissances au même niveau, c'est en resserrer les nœuds. L'influence de la femme est prépondérante dans l'éducation des enfants ; de l'instruction qu'elle aura reçue dépendra souvent la direction donnée à ceux-ci ; on a pu dire aussi avec vérité que l'instruction donnée à une jeune fille est une instruction donnée à toute une famille...

« Les résultats du développement de l'éducation des filles ne sont pas seulement moraux, ils ont une haute importance pratique. Dans aucun pays plus que dans le nôtre peut-être, les femmes ne sont appelées à prendre une part active aux affaires de la famille ; il faut les mettre à même de remplir avec succès la tâche qui peut leur incomber : c'est une nécessité pour la plupart des femmes de connaître les règles de la comptabilité, de savoir une langue étrangère, de posséder plus que les éléments du calcul, de ne pas ignorer ces notions des sciences qui permettent de comprendre les phénomènes physiques les plus ordinaires dans la nature ou dans l'industrie, et dissipent ainsi les préjugés. Mettre ces connaissances, ainsi que des études d'un caractère moins pratique, comme des notions d'histoire et de littérature, à la portée de beaucoup de jeunes filles, c'est rendre un service au pays. »

L'honorable M. Pirmez, passant en revue le mouvement progressif qui s'opère dans les pays étrangers en faveur des écoles moyennes des filles, dit ensuite, en ce qui concerne la Belgique :

« Le gouvernement belge ne peut continuer plus longtemps à se désintéresser dans une question d'une aussi haute importance sociale : il demande l'insertion au budget de l'instruction publique d'un crédit destiné à faciliter aux communes l'établissement d'écoles moyennes de filles. La somme qu'il sollicite semble suffisante pour une première année ; mais il est probable qu'elle devra, dans la suite, être augmentée. »

Examinant ensuite à quelles conditions le gouvernement accorderait des subsides aux communes qui voudraient établir de semblables écoles, l'honorable ministre de l'intérieur de l'année dernière les résumait dans les conditions imposées par la loi de 1850 aux subsides accordés aux établissements privés ; il reconnaissait, au surplus, dans les termes les plus formels, que la loi de 1850, à laquelle il voulait emprunter, par analogie, quelques dispositions tutélaires, n'est pas applicable aux écoles moyennes des filles. En effet, messieurs, aucun doute ne pourrait exister à cet égard.

Lorsque j'ai soumis mon amendement à la section centrale, le gouvernement a été consulté et voici sa réponse :

« En proposant à la législature d'allouer des subsides à des établissements d'instruction moyenne pour filles, on était parti de cette idée que les règles tracées par la loi de 1850 peuvent être rendues applicables aux établissements dont il s'agit.

« Or, ce point paraît inadmissible.

« Voici, en effet, ce que déclarait M. Rogier, au Sénat, dans la séance du 29 mai 1850 :

« Les écoles primaires supérieures de filles n’existent pas virtuellement (page 837) dans la loi d'enseignement primaire ; elles n'ont pas été prévues non plus dans la loi d'enseignement moyen ; mais elles ne viendront pas en déduction de nos cinquante écoles moyennes, qui suffiront à peine à tous les besoins. Les écoles seules des garçons passent de la loi d'enseignement primaire dans la loi d'enseignement moyen, etc. »

L'honorable M. Rogier constatait donc, lui aussi, que les écoles moyennes de filles ne sont prévues ni par la loi de 1850 ni par la loi de 1842.

M. Kervyn de Lettenhove poursuit ainsi :

« Le comité de législation institué près du département de l'intérieur a exprimé la même idée dans un rapport du 6 novembre 1867 répondant à la question qui lui avait été posée de savoir si l'enseignement des filles tombe sous l'application de la loi de 1850. « Il convient, dit le rapport, d'écarter la loi de 1850 de la discussion ; on n'a pas sérieusement soutenu qu'elle fût applicable aux écoles qui nous occupent. En effet, il n'est pas question de filles dans le texte de cette loi et dans la discussion. »

« En cet état de choses, il a paru au gouvernement que tant qu'une loi nouvelle n'aura point étendu aux établissements de filles les dispositions de la loi de 1850 qui régissent aujourd'hui les établissements de garçons, l'intervention de la législature par voie de subsides inscrits au chapitre du budget relatif à l’enseignement moyen ne serait pas régulière.

« Rien ne s'oppose, du reste, à ce que des subsides imputés sur le crédit ordinaire de l'enseignement primaire soient alloués actuellement aux établissements mentionnés plus haut qui présenteraient le caractère d'une école primaire à programme développé. »

De cette déclaration que M. le ministre adressait à la section centrale, on pourrait induire que le comité de législation a partagé complètement l'avis de M. le ministre de l'intérieur, et si la mémoire de l'honorable M. Vandenpeereboom n'avait pas été fidèle, si elle n'avait pas suscité des doutes dans son esprit, nous aurions pu verser dans une grave erreur, qui n'est plus possible depuis la publication de l'avis du comité de législation.

Je ferai remarquer, d'abord, que la phrase dans laquelle on invoque ce document est rédigée de telle sorte que les auteurs de la consultation semblent n'avoir eu à répondre qu'à une seule question posée : celle de savoir si l'enseignement des filles tombe sous l'application de la loi de 1850.

M. le ministre a soin de ne pas nous révéler toute la portée et le caractère d'ensemble de l'avis émis par les jurisconsultes éminents qui forment le comité de législation du département de l'intérieur. Or, ils ont formulé et motivé leur opinion sur la question de l'instruction des filles, non seulement au point de vue de la loi de 1850, mais à celui de la loi de 1842, et, en troisième lieu, de la loi communale.

Je regrette beaucoup, messieurs, de devoir encore me livrer à une lecture, aussi fatigante pour la Chambre que pour moi, mais il me semble indispensable qu'elle ait connaissance complète de l'avis émis par le comité des jurisconsultes.

Voici comment s'exprime ce comité :

« Bruxelles, le 6 septembre 1867.

« Monsieur le ministre,

« Vous nous demandez si les écoles primaires supérieures ou moyennes de filles, organisées dans quelques communes, doivent être soumises à la loi du 23 septembre 1842 ou à celle du 1er juin 1850, ou bien si les communes ont le droit de les diriger comme elles le veulent, en vertu de la loi communale.

« Il convient d'abord d'écarter la loi de 1850 de la discussion. On n'a pas sérieusement soutenu qu'elle fût applicable aux écoles qui nous occupent.

« En effet, il n'est pas question de l'enseignement des filles dans le texte de cette loi, et, dans la discussion, il n'en a pas été parlé, si ce n'est incidemment, au Sénat, où. M. Rogier, ministre de l'intérieur, prononça quelques mots pour dire que les écoles primaires supérieures de filles n'avaient pas été prévues dans la loi et resteraient, après la publication de celle-ci, ce qu'elles étaient auparavant.

« Le ministre ajouta qu'elles ne viendraient pas en déduction des cinquante écoles moyennes dont la loi nouvelle décrétait la création. »

Et, en effet, le gouvernement ne tarda pas à aliéner les écoles supérieures de filles qu'il avait établies et qu'il céda à des particuliers, tellement peu il les considérait comme régies par la loi nouvelle.

« Mais ces écoles supérieures de filles sont-elles soumises à la loi du 23 septembre 1842 ?

« L'administration l'a soutenu pendant quelque temps, mais nous pensons avec vous, monsieur le ministre, que ce sentiment n'est pas fondé.

« Les seuls arguments qu'on invoque pour ce système sont rappelés dans une note de la direction générale de l'instruction publique du 4 mars : c'est, d'une part, que la loi de l'instruction primaire, d'après ce qui a été dit dans la discussion, s'applique aux filles comme aux garçons ; c'est ensuite qu'il a été entendu que le programme des écoles primaires communales n'est pas limitatif et qu'on peut l'étendre suivant les besoins des localités.

« Il est vrai que la loi du 23 septembre 1842 a dû, d'après l'intention du législateur, s'étendre à l'enseignement des filles et qu'elle y a été étendue dans la pratique, mais il est bien entendu que c'est dans les limites de l’enseignement primaire communal, c'est-à-dire celui qui est destiné à donner les éléments de l'instruction aux classes laborieuses et pauvres.

« Qu'on applique donc la loi de 1842 à l'enseignement élémentaire destiné aux filles des artisans des villes et des campagnes, rien de mieux, rien de plus légal ; mais, dans les écoles qui nous occupent, il ne s'agit nullement d'un pareil enseignement ; c'est à tort qu'on voudrait considérer celui qui s'y donne comme un simple développement du programme contenu dans la loi de 1842.

« Cela se comprendrait, si l'on restait dans le cadre de l'enseignement primaire, de l'enseignement donné à des enfants qui ne sont pas destinés à avoir une instruction autre que l'instruction élémentaire.

« Mais quand on développe le programme primaire pour des enfants qui doivent recevoir une instruction plus élevée, alors il faut bien reconnaître que c'est d'un autre programme, d'un autre enseignement qu'il s'agit. Sans cela, on arriverait à dire qu'il n'y a qu'un seul enseignement possible : l'enseignement primaire. On devrait supprimer l'enseignement moyen et même l'enseignement supérieur.

« Nous sommes convaincus que le législateur n'a pas eu en vue de statuer pour l'enseignement dont il est question ici ; et c'est chose naturelle ; il y a peu d'années encore, on ne reconnaissait pas la nécessité pour les filles d'un enseignement public plus complet que l'enseignement primaire. Non seulement la classe ouvrière, mais la bourgeoisie elle-même se contentait, en général, pour ses filles, de l'instruction primaire. Pour celles en petit nombre auxquelles on voulait donner des connaissances plus élevées, ou bien on leur donnait des gouvernantes et des professeurs particuliers, ou bien on les envoyait dans les pensionnats, surtout à l'étranger.

« C'est ce qui explique le silence du législateur et pourquoi les écoles moyennes et primaires supérieures de filles ne sont sous l'application d'aucune disposition législative.

« Oh ne dit pas et nous ne voyons pas que cette situation présente de graves inconvénients. Nous n'entrevoyons pas quelle pourrait être l'utilité d'arrêter l'essor des administrations communales qui désirent établir des écoles moyennes pour les filles, en cherchant à abaisser, malgré ces administrations, de pareilles institutions au niveau de l'enseignement primaire. La faveur avec laquelle les écoles moyennes de filles sont accueillies, leur prospérité, leur multiplication prouvent d'ailleurs qu'elles répondent à un besoin réel et généralement senti : le développement de l'instruction de la femme.

« En entravant les administrations communales dans les efforts qu'elles font pour satisfaire au vœu des familles, on aboutirait à ce résultat fâcheux d'obliger les parents à envoyer, comme par le passé, leurs filles dans des institutions étrangères, et cette émigration ne serait pas sans danger pour l'éducation des femmes.

« En créant des écoles moyennes de filles, les conseils communaux usent du droit qui leur appartient de fonder des institutions dont un intérêt local commande la création, car tout ce qui est d'intérêt communal rentre dans les attributions du conseil communal, articles 108-2° de la Constitution ; 75 de la loi communale.

« Le gouvernement n'est appelé par aucune loi à intervenir dans la direction et la surveillance de ces écoles. Il en serait autrement, sans doute, si les administrations communales venaient réclamer des subsides ; ces subsides pourraient n'être accordés par la gouvernement que sous certaines conditions. »

Messieurs, il résulte de cette pièce quatre points importants, à savoir :

1° Que la loi de 1850 ne prévoyait pas les écoles moyennes de filles ;

2* Que les articles de la loi de 1842 ne leur sont pas plus applicables ;

3° Que les communes ont le droit de fonder ces écoles...

M. Dumortier. - Pas du tout ; cela n'est pas prouvé.

M. Muller. - Je résume l'avis du comité de législation...

M. Dumortier. - Vous n'ayez rien prouvé ni rien établi.

(page 838)

M. de Rossius. - Vous avez soutenu cela en 1850 et en 1864, M. Dumortier.

M. Dumortier. - Pas du tout.

M. Muller. - J'achève mon résumé :

Dans l'opinion du comité de législation, le gouvernement a parfaitement le droit de subsidier ces établissements communaux en subordonnant les subsides à telles conditions qu'il jugera devoir servir de garanties.

Nous sommes tous d'accord que la loi de 1850 ne prévoit pas d'écoles moyennes de filles ; mais on doit reconnaître que la loi de 1842 est moins applicable encore ; enfin les communes, en vertu de la loi de 1836, ont le droit d'établir des écoles moyennes de filles.

M. Dumortier. - En vertu de quel article ?

M. Muller. - Nous savons que l'honorable M. Dumortier est un de nos plus grands commentateurs de la Constitution et de nos lois ; mais nous n'ignorons pas que ses commentaires varient souvent ; cela dépend des époques et des causes qu'il défend. Quant à moi, je préfère l'avis d'un comité de législation qui...

M. Dumortier. - Je le crois bien ; parce qu'il est de votre avis. (Interruption.)

M. Muller. - Non, mais parce qu'il est composé d'hommes qui sont placés dans les meilleures conditions d'impartialité et de compétence ; et que l'opinion de MM. Tielemans, Liedts et Faider doit avoir, aux yeux de tous, plus de poids que celle de l'honorable M. Dumortier.

Remarquez, au surplus, messieurs, que l'honorable M. Kervyn lui-même partageait cet avis quand il écrivait à la section centrale, puisqu'il invoquait l'avis de ce comité ; seulement, il ne l'avait pas bien compris. On lui a remis une note qui avait besoin d'être corrigée.

Je le disais tantôt, messieurs, en la lisant, on devait, croire que le comité n'aurait été consulté que sur un point : La loi de 1850 est-elle applicable aux écoles moyennes de filles ?, tandis qu'il a été consulté sur trois points, et qu'il a conclu en disant, qu'aucun obstacle légal n'empêche le gouvernement de subventionner des écoles moyennes de filles en subordonnant ses subsides à des garanties.

Maintenant, en section centrale on a objecté à la proposition de l'honorable M. Pirmez, devenue mon amendement, l'article 17 de la Constitution qui porte : « L'instruction donnée aux frais de l'Etat est réglée par la loi. »

Il semblerait que, tant qu'il n'y a pas une loi d'organisation pour chaque matière d'instruction, ni les Chambres, ni le gouvernement ne pourraient allouer d'allocations ou de subsides à des établissements publics !

Mais, messieurs, s'il en était ainsi, on aurait depuis 1830 jusqu'en 1842, et même jusqu'en 1850, marché dans une voie d'illégalité permanente, dont personne ne se serait aperçu. Consultez tous les budgets de l'intérieur, pendant toute cette longue période, vous y verrez partout des subsides accordés, notamment pour l'enseignement primaire avant qu'il y eût une loi d'organisation ; de même pour l'instruction moyenne et l'enseignement universitaire.

L'honorable M. Pirmez a fait remarquer l'autre jour à M. le ministre de l'intérieur qu'il subsidie les écoles industrielles sans qu'il y ait aucune loi régissant ces établissements et M. le ministre a eu recours à un distinguo en disant : Les écoles industrielles ne constituent pas un enseignement proprement dit. Mais qu'est-ce donc qu'un enseignement proprement dit ? Où trouve-t-on cette distinction dans la loi ?

Tout le passé de la législature belge est, d'ailleurs, incompatible et jurerait avec l'opinion, qu'on ne pourrait pas subsidier un établissement d'instruction quelconque, en l'absence d'une loi organique de cet enseignement. '

C'est là une théorie toute nouvelle, contraire à une pratique constante, qu'on voudrait faire prévaloir au sein de la Chambre.

En section centrale, j'avais présenté à mes collègues l'observation suivante : « Il est impossible qu'on veuille que l'enseignement moyen des filles soit complètement livré aux établissements du clergé, aux corporations religieuses. »

M. le rapporteur de la section centrale a répondu que la majorité était également de cet avis, mais que la liberté d'instruction, consacrée par l'article 17 du pacte fondamental, rendait le monopole impossible.

Eh bien, messieurs, ce monopole impossible, en vertu de la Constitution, est un fait permanent en Belgique. Vous ne pouvez pas méconnaître, de bonne foi, que si l'autorité civile, à quelque degré que ce soit, n'a pas d'enseignement moyen des filles, vous aurez le monopole du clergé, qui tuera tout autre enseignement libre.

Maintenant, que l'on se plaigne que la loi de 1850 ait oublié l'enseignement moyen des filles ; je partage ces doléances. Il était désirable, que le législateur lui fît une part légitime, et j'en dis autant de la loi de 1842, qui n'avait rien organisé pour l'enseignement normal des filles.

Pour le dire en passant, vous avez tous ici, sans protestation, voté des subsides pour cet enseignement normal, avant qu'on eût créé législativement des écoles d'organisation, et ces subsides étaient destines à des établissements privés qu'agréait le gouvernement.

La thèse que la majorité de la section centrale et le gouvernement veulent faire prévaloir ne résiste donc pas à un examen sérieux ; elle est contraire à une foule d'actes portés antérieurement et sans contestation par la législature.

Je me résume : tous les partisans sincères de l'amélioration de l'instruction de la femme, tenue jusqu'aujourd'hui dans un état d'infériorité intellectuelle, trop général et dont les conséquences sont des plus préjudiciables à la société, doivent désirer qu'à côté d'un enseignement libre qui est, en définitive, celui du clergé, il y ait pour les filles un enseignement confié à l'autorité civile.

L'un corrigera l'autre, et tous deux y gagneront en solidité et en résultats fructueux.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, il est un point sur lequel je suis d'accord avec l'honorable M. Muller, c'est que l'enseignement des filles peut être amélioré et qu'il y a lieu de joindre à ce qu'elles apprennent déjà, d'autres connaissances utiles.

Ce qui nous sépare, c'est que l'honorable M. Muller place ces études en dehors de la loi de 1842, mais il ne les rattache pas davantage à la loi de 1850 (interruption)... en appliquant toutefois à ce qu'il appelle l'enseignement moyen des filles un certain nombre de dispositions de cette même loi de 1850. (Interruption.).

Si l'honorable M. Muller voulait bien reporter son amendement à un autre chapitre, à celui de l'enseignement primaire, avec la mention de l'introduction d'un programme développé, j'accepterais volontiers son amendement.

Si, au contraire, l'honorable M. Muller maintient son amendement tel qu'il l'a rédigé en le rattachant à l'enseignement moyen, je serai réduit à le combattre. En ce cas, je devrai entrer dans d'assez nombreuses considérations pour que je demande à la Chambre la permission de ne parler que demain.

M. Muller. - Je n'hésite pas dans le parti que j'ai à prendre : je maintiens mon amendement. Timeo Danaos et dona ferentes.

M. le président. - M. le ministre demande à parler demain. Quelqu'un demande-t-il la parole pour aujourd'hui ?

- Voix nombreuses. - A demain !

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.