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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 15 mars 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 804) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal de Pellenberg demandent la construction d'un chemin de fer direct de Louvain à Diest par Pellenberg et son prolongement par Beeringen au camp de Beverloo. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres de l'administration communale de Fosses présentent des observations contre le rapport de la commission des pétitions relatives au projet de l'érection de la commune d'Aisémont. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« M. le ministre de la justice adresse à la Chambre deux exemplaires du deuxième volume de la deuxième série du Recueil des ordonnances de la principauté de Liège, publié par la commission royale des anciennes lois de la Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. de Borchgrave demande un congé pour cause d'indisposition. »

- Accordé.

Motion d’ordre relative aux mesures prises pour lutter contre la peste bovine

M. Hagemans. - Il y a une huitaine de jours, dans une conversation que j'eus l'honneur d'avoir avec M. le ministre de l'intérieur, je lui signalai le danger qu'il y avait pour nous de voir pénétrer par nos frontières la peste bovine qui fait de si grands ravages en France, et j'appelai son attention sur les mesures à prendre pour conjurer ce danger.

L'honorable ministre me répondit que des mesures avaient été prises depuis la veille et que M. le ministre de la guerre avait donné des ordres pour renforcer le cordon sanitaire.

J'ai, depuis, reçu des renseignements ; mais, malheureusement, d'après ces renseignements, cette promesse n'aurait pas été exécutée : on n'aurait pas renforcé le cordon sanitaire ; rien n'a été fait.

Cependant, messieurs, le danger est très grave ; il est imminent. Déjà à Dailly, village situé près de Couvin, non loin des limites du canton de Chimay que j'ai l'honneur de représenter, la peste bovine a éclaté ; et, si l'on ne prend pas des mesures excessivement sérieuses, le mal s'étendra bientôt à tous les cantons voisins.

Or, l'élève du bétail est la principale industrie de ces contrées ; de sorte que des pertes considérables sont à redouter.

Je prierai donc M. le ministre de l'intérieur de prendre les mesures les plus sérieuses et les plus promptes pour circonscrire le mal, pour empêcher la propagation du fléau et, pour atteindre ce but, d'empêcher la sortie du bétail des localités signalées comme dangereuses.

J'aurai également à attirer son attention sur un autre point. Je désirerais qu'on envoyât dans les localités menacées des hommes spéciaux. Nous n'avons, en effet, dans le canton de Chimay, par exemple, qu'un seul vétérinaire. Les secours seraient nécessairement inefficaces si le mal venait à éclater.

Je prierai donc M. le ministre de l'intérieur de lui envoyer du renfort en cas de besoin.

Je compte surtout sur des faits plus que sur des promesses.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Aussitôt que la peste bovine a été signalée près de nos frontières, le gouvernement a pris les mesures les plus promptes, les plus efficaces. Dès les premiers jours d'octobre de l'année dernière, les foires et les marchés avaient été interdits dans la province de Luxembourg, et un mois s’écoula avant que le premier cas de peste bovine fût signalé à Jamoigne. Depuis lors, quelques localités de la province de Luxembourg ont vu le même fléau apparaître et 53 têtes de bétail ont été successivement abattues par ordre du gouvernement.

Ces mesures énergiques ont produit les meilleurs résultats ; et, d'après les renseignements que le gouvernement a reçus, il n'existe plus aujourd'hui un seul cas de peste bovine dans la province de Luxembourg.

Les alarmes exprimées par l'honorable membre se rapportent, je pense, à la province de Namur et à la lisière de la province de Hainaut.

En effet, de ce côté, quelques cas ont été signalés. II y en a eu à Bohan et à Bruly, et quatre têtes de bétail y ont été également abattues. Grâce à ces mesures, les foyers d'infection ont été complètement éteints. D'après les renseignements que le gouvernement possède, il n'y a aujourd'hui que deux localités infectées par la peste bovine : Dailly et un village voisin. C'est, je crois, à ces localités que l'honorable M. Hagemans a fait allusion.

De ce côté aussi, les mesures les plus énergiques ont été prises : non seulement nous avons maintenu les prescriptions qui soumettent au recensement les localités voisines de la frontière et qui interdisent les foires, les marchés ; mais par une disposition toute récente, le gouvernement a étendu ces prohibitions aux provinces entières de Hainaut, de Namur et de Flandre occidentale.

C'est qu'en effet le péril n'existe plus que du côté des frontières de France, et nous venons d'apprendre que la contagion s'est manifestée dans le département du Nord.

Il y a donc lieu aujourd'hui de recourir avec énergie, sûr les frontières, du Sud, aux mesures qui ont été exécutées avec succès sur nos frontières de l'Est, et je puis donner à l'honorable membre l'assurance que le gouvernement ne faillira pas à ce devoir.

Ce sont du reste les mêmes mesures dont l'expérience de 1867 a constaté l'efficacité, et j'espère que si, du côté de l'Allemagne, nous avons pu arrêter, la contagion, nous réussirons à éloigner le même péril de nos frontières voisines de la France.

Ordre des travaux de la Chambre

M. De Fré (pour une motion d’ordre). - Je demande à la Chambre s'il ne lui convient pas de faire discuter, vendredi prochain, les prompts rapports.

Parmi les pétitions pour lesquelles on a demandé un prompt rapport, il en est qui présentent un caractère de très grande urgence ; il s'agit, notamment, d'une pétition envoyée à la Chambre par le conseil communal de Saint-Gilles, concernant l'usine de MM. Vander Elst.

Si la Chambre décide que les prompts rapports ne viendront pas à l'ordre du jour de vendredi prochain, je me réserve d'interpeller alors M. le ministre de l'intérieur relativement à cet objet.

M. Bouvier. - Je propose, à la Chambre de discuter les prompts rapports immédiatement après le vote du budget de l'intérieur.

M. De Fré. - Je propose formellement à la Chambre de discuter les prompts rapports vendredi prochain.

- La proposition de M. De Fré est mise aux voix et n'est pas adoptée.

La proposition de M. Bouvier est ensuite mise aux voix et adoptée.

En conséquence, les prompts rapports viendront immédiatement à l'ordre du jour après le vote du budget de l'intérieur.

Motion d’ordre relative au choix des pierres employées dans la construction du palais de justice de Bruxelles

(page 805) M. Houtart. - Messieurs, j'ai lu dans les journaux, et les rapports qui me sont parvenus s'accordent sur ce point, que les travaux du palais de justice étaient suspendus ou tout au moins conduits avec la plus extrême lenteur. Cela a pour cause le manque de matériaux et particulièrement de la pierre de France.

Représentant d'une localité qui extrait une partie considérable de pierres à bâtir, je demanderai à M. le ministre de la justice pourquoi, dans cette circonstance, il ne s'est pas adressé aux maîtres des carrières des Ecaussines et de Soignies pour se procurer les matériaux nécessaires afin de continuer les travaux du palais de justice.

Les carrières, dans ce moment surtout, souffrent du malaise général ; elles sont en mesure de fournir des pierres de qualité convenable et en quantité suffisante pour continuer et achever les travaux.

D'un autre côté, on peut les avoir à meilleur compte que les pierres qu'on fait venir à grands frais de France et qui s'appellent, je pense, pierres de Comblanchien.

Ces pierres sont payées à l'entrepreneur au prix de 234 francs le mètre cube, tandis qu'on peut avoir la pierre de Soignies et des Ecaussines qui est d'une qualité supérieure, à raison de 119 francs le mètre : différence 115 francs.

Si j'applique cette différence à la quantité de 3,000 mètres cubes qu'on me dit devoir être employée a la construction du palais de justice, je trouve une économie assez sensible et qui s'élève, avec le travail de moulure, à environ 500,000 francs.

Ce point me paraît assez important pour être soumis à l'examen de M. le ministre de la justice et lui être signalé.

Nos maîtres de carrières, justement alarmés dans ces circonstances de voir leurs intérêts ou compromis ou oubliés, se demandent avec inquiétude quelles sont les raisons qui ont pu engager M. le ministre de la justice à ne pas s'adresser à eux pour obtenir les matériaux nécessaires.

Si M. le ministre de la justice a des motifs sérieux pour repousser les pierres de notre pays, je l'engage à nous les faire connaître ; c'est assez important pour rassurer les graves intérêts engagés dans cette question, et nous lui serons reconnaissants de sa complaisance.

M. Cornesse, ministre de la justice. - Messieurs, l'interpellation de l'honorable M. Houtart porte sur deux points. D'abord, l'honorable membre demande s'il est vrai, d'après les bruits publics, qu'il s'agirait de la suspension des travaux du palais de justice.

Ces bruits n'ont aucune espèce de fondement. Les travaux ne seront pas suspendus pendant la prochaine campagne ; mais forcément ils subiront un certain retard et la raison en est bien simple : l'expédition des pierres de France en Belgique a été interrompue par les récents événements.

Mais, aujourd'hui même, j'ai reçu du directeur des travaux l'annonce que l'extraction et l'expédition des pierres allaient recevoir une vive impulsion, que les travaux, par conséquent, pourraient être bientôt repris avec activité. Le retard subi sera donc de très courte durée.

La seconde partie de l'interpellation consiste à demander que le ministre de la justice actuel substitue aux pierres de Comblanchien, qui ont été choisies primitivement, des pierres du pays.

La substitution d'une pierre à une autre est aujourd'hui absolument impossible.

La pierre de Comblanchien n'a pas été choisie par le ministère actuel. Ce choix était fait longtemps avant notre arrivée au pouvoir. La pierre de Comblanchien a été préférée après des expériences nombreuses sur le mérite de cette pierre, sur ses qualités de résistance ; et l'avis de l'architecte a dit exercer sur le choix la plus grande influence ; il n'y a pas seulement ici, en effet, une question commerciale et industrielle ; il y a aussi une question d'art.

La protection due à l'industrie nationale ne doit pas aller jusqu'à sacrifier l'intérêt artistique lorsqu'il s'agit d'un édifice aussi important que le palais de justice, qui sera l'un des plus beaux monuments de la capitale.

J'ajoute, messieurs, qu'une modification dans le choix de la pierre entraînerait le gouvernement dans une perte considérable ; il y a, en effet, en ce moment, à pied d'œuvre, dans le chantier des travaux, une quantité assez considérable de pierres de Comblanchien qui sont complètement taillées, mises en œuvre et prêtes à être placées.

Or, si l'on modifiait le genre de pierres, on ne pourrait utiliser toutes celles qui aujourd'hui sont déjà travaillées. Comment trouver dans les carrières belges ou dans les carrières françaises des pierres semblables à celles de Comblanchien ? On ne peut cependant employer des pierres différentes pour un pareil édifice ; ce serait choquant, disparate.

Une dernière observation : la pierre de Comblanchien a été désignée à l'entrepreneur. Elle lui a été imposée et, tout naturellement, l'entrepreneur, à la suite de l'ordre qui lui a été donné, a contracté avec les carrières étrangères. Il s'est engagé envers elles par des conventions formelles et, pour se dégager, il devrait leur payer des dommages-intérêts considérables. Si l'Etat lui imposait l'obligation de s'approvisionner ailleurs, ce serait l'Etat qui, en bonne justice, devrait l'indemniser de ces pertes.

Par toutes ces considérations, il est complètement impossible de substituer aujourd'hui la pierre du pays à la pierre qui a été indiquée comme devant être employée dans la construction du nouveau palais de justice.

Du reste je dois dire que l'industrie nationale n'aura pas trop à se plaindre, car en définitive le tiers environ des pierres employées dans cette construction proviendra des carrières du pays. Dans cette situation je ne puis que maintenir la décision prise sous l'administration précédente, et j'espère que ces explications satisferont l'honorable député de Soignies.

M. Houtart. - Il résulte des explications que vient de donner M. le ministre de la justice, et dont je le remercie, qu'il sera prudent d'apporter à l'avenir la plus grande réserve lorsqu'il s'agira de commander des matériaux à l'étranger.

Nous sommes à la veille de constructions très importantes. Nous avons en perspective la construction d'un palais des beaux-arts, la construction d'un hôtel des postes, la construction d'un atelier pour la fabrication des monnaies.

Eh bien, j'appellerai l'attention toute particulière du gouvernement sur ce point. Je lui demanderai de recommander à MM. les architectes qui seront chargés des plans de ne pas oublier que nous avons en Belgique une industrie très importante qui contribue puissamment à la prospérité générale du pays et qui entretient de fort nombreux ouvriers. Je prierai monsieur le ministre des travaux publics, en particulier, de rappeler à MM. les architectes qu'on peut obtenir, avec la pierre du pays, autant d'élégance et infiniment plus de solidité qu'avec la pierre étrangère.

Je ne demande pas une déclaration formelle au gouvernement, mais je l'engage à prendre note de ce que je dis ici, pour qu'il ne puisse pas prétexter plus tard qu'il n'a pas été prévenu de la nécessité d'encourager et de soutenir l'industrie des pierres de taille de notre pays.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1871

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVI. Enseignement moten

La discussion continue sur le chapitre XVI, Enseignement moyen.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs un incident imprévu, qui s'est élevé à la fin de la séance d'hier, a donné lieu à des affirmations nombreuses et assez confuses, et j'ai cru qu'il importait de rétablir l'ordre exact et la réalité des faits. Je me bornerai à l'exposé le plus simple et le plus concis. Je pense que la Chambre y trouvera la confirmation et la justification des déclarations que j'ai eu l'honneur de faire dans la séance d'hier.

Un arrêté royal du 14 janvier 1859 a institué au ministère de l'intérieur trois directions générales, dont une était consacrée au service des beaux-arts, des sciences et des lettres. Le rapport au Roi qui accompagnait cet arrêté, renfermait les lignes suivantes dues à l'honorable M. Rogier : « Parmi les mesures dont la réalisation est prochaine, je signalerai la formation d'une section particulière pour la littérature flamande. Cette création répondra à un vœu qui se recommande, sous tous les rapports, au bienveillant accueil de l'administration. »

Cette intention exprimée par l'honorable M. Rogier est restée sans suite, et cette section n'a point été organisée sous son administration ; la seule disposition qui ait été prise sur cette matière est un arrêté du 29 janvier 1859 portant que M. Delcroix, homme de lettres, était attaché au ministère de l'intérieur pour y traiter spécialement, à la direction générale des beaux-arts, des lettres et des sciences, les questions relatives à la littérature flamande.

L'honorable M. Vandenpeereboom n'a rien changé à cet état de choses. Cependant, dans une annexe au budget de 1863, il fit remarquer que dans son esprit l'arrêté de 1859 avait eu pour effet de créer une section flamande à la direction des beaux-arts et des lettres, et il en résulta que sous le ministère de l'honorable M. Vandenpeereboom, c'est-à-dire depuis 1862 l’Almanach officiel mentionna un bureau chargé des affaires spéciales à la littérature flamande ; mais l’Almanach officiel qui se rapporte aux années 1800 et 1801, c'est-à-dire à l'administration de l'honorable M. Rogier, n'offre à cet égard rien de semblable.

C'est sous l'administration de l'honorable M. Vandenpeereboom (page 806) seulement que l’Almanach officiel mentionne le bureau chargé des affaires spéciales a la littérature flamande, mais j'ajoute qu'aucun arrêté réglementaire, aucune disposition régulière n'existait, même sous l'administration de l'honorable M. Vandenpeereboom.

Qu'arriva-t-il sous l'administration de l'honorable M. Pirmez ? C'est que l'honorable M. Pirmez ne reconnut pas même l'existence de cette section flamande.

Dans son règlement d'attributions du 31 décembre 1868, toutes les mesures spéciales relatives à la littérature flamande furent inscrites purement et simplement parmi les attributions assez nombreuses et assez confuses de l'administration des sciences et des lettres.

Aussi, sous l'administration de l'honorable M. Pirmez, l’Almanach officiel ne mentionne t-il plus l'existence d'un bureau flamand.

Telle était, messieurs, la situation des choses lorsque j'eus l'honneur de prendre possession du portefeuille de l'intérieur.

En vertu de l'arrêté royal de 1868, j'avais le droit de prendre un règlement portant répartition des services, et le 6 octobre 1870, non seulement je confiai les fonctions de chef de bureau à M. Delcroix, mais un deuxième arrêté portant la même date organisa de plus une section spéciale chargée des intérêts de la littérature flamande.

En effet, au chapitre relatif à l'administration des arts et des lettres, on établit une division qui classe en sections séparées les affaires de la littérature française et celles de la littérature flamande. Cette dernière section porte le libellé suivant :

Littérature flamande : sociétés littéraires, encouragements, souscriptions, achats, missions diverses.

Tout ceci se trouve reproduit dans l’Almanach officiel de 1871, dont les premières feuilles sont déjà imprimées.

C’est au 6 octobre 1870 que remonte non seulement la nomination d'un fonctionnaire au titre de chef de bureau, mais l'organisation régulière du bureau qui lui est confié.

Il est donc établi, messieurs, que ce qui a existé en fait sous l'honorable M. Rogier et sous l'honorable M. Vandenpeereboom a été pour la première fois l'objet d'un arrêté ministériel, c'est-à-dire d'une disposition réglementaire, le 6 octobre 1870.

M. Pirmez. - Messieurs, je regrette de devoir rentrer dans un débat auquel M. le ministre de l'intérieur attache tant d'importance.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je ne l'ai pas soulevé.

M. Pirmez. - Il veut absolument être le créateur du bureau chargé spécialement au département de l'intérieur de veiller aux intérêts de la littérature flamande.

Il a affirmé, de la manière la plus nette, dans son discours aux Annales parlementaires, - il ne l'avait pas dit en séance, - mais il a modifié sol discours, il a affirmé que le bureau n'existait pas avant lui.

Déjà, j'ai produit l'arrêté royal qui à nommé le fonctionnaire chargé de veiller à ces intérêts, mesure qui constituait par conséquent le service dont il s'agit.

Il y a d'autres preuves aussi claires.

Voici ce que porte l’Almanach royal de 1862. Je pense que l'honorable M. Kervyn n'était pas au département de l'intérieur à cette époque.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - C'était l'honorable M. Vandenpeereboom.

M. Pirmez. - Voici ce que porte l’Almanach :

« Direction générale des beaux-arts, lettres et sciences.

« Premier bureau...-Deuxième bureau... - Troisième bureau : Affaires spéciales à la littérature flamande.

« Chef : Delcroix (D.), chevalier de l'ordre de la couronne de Chêne.

« 1° Sociétés littéraires ; 2° encouragements, souscriptions, achats ; 3° mesures en faveur de l'art, de la littérature dramatique ; 4° publication des anciens manuscrits de la littérature flamande. »

Ainsi, l’Almanach royal de 1862 indique formellement le bureau chargé des affaires concernant la littérature flamande.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je l'ai dit.

M. Pirmez. - Vous discutez aujourd'hui si c'est l'honorable M. Rogier ou l'honorable M. Vandenpeereboom à qui revient l'honneur de cette création. Mais si c'est M. Vandenpeereboom, ce n'est pas vous. Croyez-vous que la gloire de M. Rogier soit attachée à cette mesure, à laquelle vous donnez tant d'importance ?

Quelques années après, nous voyons le libellé modifié dans l'almanach et ce service indiqué comme section...

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Cela n'est 'pas exact.

M. Pirmez. - Nous allons voir. Voici ce que porte l’Almanach de 1864.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Lisez les Almanachs de 1868 à 1870.

M. Pirmez. - Je vais y arriver. Au nom de l'histoire, laissez-moi au moins suivre l'ordre chronologique.

En 1864, le service est qualifié de section, et nous voyons une section du bureau des lettres et sciences, intitulée : « Affaires spéciales à la littérature flamande », et le détail des attributions de ce bureau est le même que celui que j'ai lu dans l’Almanach de 1862.

Mais voici où triomphe M. le ministre de l'intérieur.

J'ai fait un règlement organique le 31 décembre 1868, si Je me rappelle bien, et là, j'aurais complètement supprimé le bureau flamand.

J'avoue que le bureau ne figure pas dans l'arrêté organique, mais M. le ministre oublie un petit détail : c'est qu'aucun bureau ne figure dans cet arrêté.

Donc, si j'ai supprimé le bureau de littérature flamande, parce qu'il n'est pas mentionné dans cet arrêté, j'ai supprimé tous les bureaux au département de l'intérieur, et la Chambre apprendra avec surprise qu'il n'existe plus de bureaux au ministère de l'intérieur !

M. Jourdain demandait à son maître de philosophie de lui apprendre l'almanach pour savoir quand il y a de la lune et quand il n'y en a pas. M. le ministre de l'intérieur devrait apprendre l'almanach pour savoir quand il y a un bureau et quand il n'y en a pas.

M. le ministre a, dit-il, pris un arrêté organisant le bureau flamand.

Qu'est-ce qu'un bureau ? C'est une partie de l'administration.

L'arrêté organique du département de l'intérieur divise ce ministère en directions générales.

Les chefs de service chargent les fonctionnaires sous leurs ordres de s'occuper de telle ou telle partie du service.

Voilà comment les choses se passent, et je ne vois pas pourquoi il faut un arrêté organique pour le bureau flamand, arrêté qui n'existe pas pour les autres bureaux.

Si, dans l'arrêté organique de 1863, on n'a pas déterminé les attributions de chaque bureau, c'est pour permettre au jeu de l'administration de se faire plus facilement. L'arrêté organique renferme l'indication des mêmes services que les arrêtés antérieurs, et M. Delcroix est resté chargé de faire la même chose qu'il faisait depuis dix ans.

M. le ministre de l'intérieur a donné un titre à M. Delcroix, mais il le lui a conféré hors cadre ; si cela avait une valeur, ce serait de prouver que le bureau n'existe pas encore.

Mais au ministère de l'intérieur, les attributions ne sont pas réglées d'après les titres des fonctionnaires et l'on y voit des commis continuer comme chefs de bureau et dans des grades plus élevés les mêmes fonctions et le titre n'a ainsi d'importance que pour celui qui l'obtient.

Si M. le ministre de l'intérieur a rendu un signalé service à la littérature flamande, s'il lui fait tant d'honneur en confiant le service flamand à un chef de bureau hors cadre, de quel déshonneur n'a-t-il pas frappé l'enseignement primaire à la tête duquel se trouvait un directeur, et à la tête duquel il a placé un premier commis qu'il a créé chef de bureau ! S'il pouvait y avoir honneur d'un côté, il devrait y avoir déshonneur de l'autre.

Mais il n'y a rien de tout cela ; M. le ministre n'a rien fait que maintenir ce qui existait quant à la littérature flamande, et son tort est de vouloir s'approprier la création du bureau flamand, qui appartient à M. Rogier.

M. Rogier. - Il a convenu, je ne sais pourquoi, à M. le ministre de l'intérieur de réveiller la discussion que je croyais terminée hier. Je souffre vraiment à devoir encore lui répondre, moins pour moi que pour lui.

La Chambre voudra bien reconnaître que je ne fais pas de cette question une question d'amour-propre, mais une question de bonne foi.

M. le ministre de l'intérieur ayant dit qu'il avait créé au département de l'intérieur pour la littérature flamande un bureau spécial qui n'existait pas, un de ses prédécesseurs a fait observer qu'il se trompait, que cette section flamande existait ; j'ai fait la même observation et j'y suis d'autant plus autorisé que c'était sous mon administration que la section flamande avait été instituée. Malgré cela, M. le ministre de l'intérieur a persisté à soutenir que ce bureau n'existait pas et pour preuve il déclare que l’Almanach officiel de 1862 n'en parlait pas ; on lui a répondu qu'au bulletin officiel du ministère de l'intérieur, année 1859, figure un arrêté qui porte création d'une section flamande à la direction générale des beaux-arts et attache M.... à la direction de cette section.

(<page 807) Rien n'y fait : M. le ministre de l'intérieur ne veut ni lire ni voir ; en dépit des affirmations contraires de mon prédécesseur, il persiste à soutenir, dans trois séances successives, y compris celle-ci, qu'il n'y avait pas de bureau flamand avant son avènement au ministère, que c'est lui qui l'a créé. Cela devient, si je puis le dire, une espèce de monomanie.

M. le ministre a bien voulu rendre hommage à ma loyauté, et je l'en remercie ; mais alors comment peut-il admettre que je m'amuserais ici à me prévaloir d'un acte qui n'existe pas ? Pareille supposition de sa part me ferait douter de son impartialité.

Messieurs, je ne veux pas rappeler les diverses mesures que j'ai prises en faveur de la langue flamande ; le détail, j'ose le dire, en serait trop long. Pour me renfermer spécialement dans la section flamande qui nous occupe, non seulement j'ai nommé le littérateur dont j'ai parlé hier, mais je l'ai renforcé du concours d'un autre littérateur distingué, M. Hiel, qui a été attaché à la même section, si je ne me trompe, dès l'année 1859, alors qu'il y avait un personnel avec des attributions. Dans quelle intention M. le ministre persiste-t-il à soutenir qu'il n'y avait rien ?

De quel côté est la vérité ? Est-ce de la part de celui qui affirme et qui prouve ou de la part de celui qui affirme et qui ne prouve pas ?

Véritablement, M. le ministre de l'intérieur, avant de se lancer dans de pareilles affaires, devrait y réfléchir. Je le répète, je trouve cette discussion fort pénible, pour le gouvernement surtout.

M. le ministre de l'intérieur ne se tient pas assez en garde, me semble-t-il, contre certains entraînements. Il n'examine pas assez, je le crains, les questions qu'il apporte à la Chambre ; et, dans ces affaires délicates où ses prédécesseurs sont en jeu, il devrait y regarder à deux fois avant de les attirer malgré eux dans des discussions comme celle-ci.

Si donc M. le ministre de l'intérieur ne veut absolument pas revenir sur son erreur, je l'engage, pour l'avenir, à être plus circonspect, à bien relire les rétroactes, comme on dit dans le langage administratif, avant de venir ici émettre des affirmations que les faits démentent de la manière la plus absolue.

Messieurs, encore une fois, je regrette d'avoir eu à reprendre la parole sur cette question et je prie la Chambre de constater que ce n'est pas moi qui ai soulevé ce débat et que si l'opposition est quelquefois amenée à prolonger des discussions sur des points accessoires, c'est qu'elle y est entraînée par les provocations mêmes du banc ministériel.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je ne puis pas accepter les observations de l'honorable M. Rogier. J'en appelle aux souvenirs de la Chambre : lorsque, dans la séance d'hier, j'ai passé en revue les actes des cabinets précédents, n'ai-je pas été le premier à rendre hommage aux excellentes mesures prises par l'honorable M. Vandenpeereboom ? L'honorable M. Rogier sait que, dans maintes circonstances, j'ai rendu hommage à d'autres mesures prises sur sa propre initiative.

Mais qu'est-il arrivé ? Est-ce moi qui, dans la dernière séance, ai réveillé cet incident ? On discutait la question flamande et j'en examinais l'aspect le plus général, lorsque l'honorable M. Rogier m'a interrompu pour me reprocher des assertions erronées, en citant comme exemple ce que j'avais dit sur le bureau flamand.

Or, devant cette affirmation de l'honorable M. Rogier, qui mettait en doute l'exactitude de mes déclarations à la Chambre, j'avais un devoir à remplir : c'était de reproduire l'exposé fidèle et complet de tout ce qui s'était fait. Aujourd'hui, comme hier, je reconnais bien volontiers qu'il y a, depuis longtemps, au département de l'intérieur, un fonctionnaire chargé des intérêts de la littérature flamande ; mais ce que j'affirme aujourd'hui comme hier, c'est qu'aucune mesure régulière, aucune mesure réglementaire n'avait organisé ce qui n'était qu'un fait... (Interruption.) ce qui n'était qu'un fait.

- Voix à gauche. - Le fait est tout !

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Non, le fait n'est pas tout. Dans les administrations publiques, on voit souvent des fonctionnaires chargés de tels ou tels intérêts ; c'est un hommage qu'on rend à leur zèle et à leur capacité, mais, au point de vue même des intérêts qui leur sont confiés, il y a une grande distance entre un simple fait et des attributions consacrées par des dispositions régulières.

Bien souvent, le fait se lie à l'importance du fonctionnaire ; au contraire, les attributions résultent de l'importance accordée à la chose même qui est traitée.

C'est surtout pour rendre hommage à la littérature flamande, ainsi que je l'ai rappelé dans d'autres circonstances, qu'il fallait régulariser par un arrêté la position du fonctionnaire et donner, en même temps, une consécration plus solennelle aux fonctions mêmes dont il est revêtu.

Je crois que ce langage ne devait pas blesser le moins du monde l'honorable M. Rogier ni l'honorable M. Vandenpeereboom, et si, dans la séance d'hier, M. Rogier n'était pas revenu sur ce sujet d'une manière désobligeante pour moi en révoquant en doute ce que j'avais dit, je n'aurais pas songé à m'en occuper de nouveau.

Mais la Chambre comprendra qu'il était de mon devoir, en présence de mes affirmations qui étaient contestées, d'exposer de nouveau les faits ; et j'espère que l'honorable M. Rogier en reconnaîtra l'exactitude.

M. Couvreur. - Dans la séance de samedi dernier, en répondant à l'honorable M. Vleminckx, M. le ministre de l'intérieur a déclaré qu'il était favorable à l'introduction de la gymnastique dans l'enseignement à tous ses degrés ; qu'il avait, comme nous et avant nous...

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Comme vous, pas avant vous.

M. Couvreur. - Soit, comme nous reconnu, apprécié et proclamé son importance et son utilité au point de vue de l'organisation de la défense nationale et de la réduction du temps de service militaire.

Aujourd'hui, une chose m'étonne.

C'est qu'après une profession de foi, si sympathique à l'enseignement de la gymnastique, l'honorable chef du département de l'intérieur ne sache pas encore comment il faut organiser cet enseignement.

Pour cet objet, qui lui tient tant à cœur, ses idées, de son propre aveu, ne sont pas bien nettes. Il se demande comment il va procéder. La difficulté, c'est d'avoir de bons professeurs. Or, M. le ministre ne sait pas si l'on ne pourrait pas se contenter d'un programme bien coordonné et s'il rentre dans les attributions de l'Etat de former ces professeurs.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Par une école normale spéciale.

M. Couvreur. - Evidemment. Eh bien, je n'hésite pas à le dire, si l'honorable M. Kervyn de Lettenhove plane dans ces incertitudes, s'il croit que des programmes suffisent à former des professeurs et à doter la Belgique d'un enseignement de la gymnastique tel que l'exige le grand intérêt national qui se rattache à cet enseignement, il fera moins encore que ses prédécesseurs.

J'admets que l'honorable M. Pirmez n'avait pas apprécié toute l'importance du problème, qu'il en avait à peine entrevu la solution.

Mais du moins, il nous avait donné quelque chose de plus que de vaines paroles et de vagues promesses.

Il avait mis la main à l'œuvre et écrit une circulaire.

Ce n'est pas beaucoup, je le sais ; mais c'est quelque chose, alors surtout, que cette circulaire avait pour but de rappeler les obligations des lois de 1842 et de 1850.

Mais M. Pirmez avait fait mieux : il avait prescrit à toutes les communes d'établir des préaux couverts auprès des différentes écoles.

J'ai été fort surpris d'apprendre que cette excellente mesure avait été rapportée par le titulaire actuel du département de l'intérieur ; et je serais curieux de connaître les motifs de cette détermination.

Je n'attache pas grande importance aux préaux couverts au point de vue des instruments de gymnastique qu'ils peuvent abriter. La gymnastique avec instruments n'est guère applicable à l'enseignement primaire inférieur. Mais le grand avantage des préaux couverts, c'est de donner aux enfants un lieu où ils puissent se livrer à leurs jeux, à l'heure des récréations, sous l'œil de l'instituteur et à l'abri des intempéries de l'air. Or, ces jeux, ces récréations sont une condition essentielle d'un bon enseignement, d'une bonne discipline. Tous les pédagogues modernes reconnaissent que retenir l'enfant trop longtemps à l'étude, c'est lui infliger un supplice plus nuisible que profitable a ses progrès.

Telle est la véritable interprétation du système du demi-temps. Les jeux, les exercices corporels doivent alterner avec l'enseignement proprement dit.

Si vous supprimez les hangars, il faudra donc que l'instituteur envoie les enfants jouer à la pluie, à la neige, ou qu'il les tienne dans l'atmosphère plus ou moins empoisonnée des classes, au grand détriment de leur santé. Cela est-il pratique et raisonnable ? Or, c'est à ce résultat qu'on arrive avec la suppression des préaux couverts.

Quant à l'organisation de l'enseignement de la gymnastique, que M. le ministre de l'intérieur soit bien convaincu que ses programmes, si bons (page 808) qu'ils soient, ne formeront jamais des professeurs. Nous ne les obtiendrons pas non plus, en attendant des communes l'initiative d'un enseignement rationnel de la gymnastique.

Je me demande quels peuvent être les motifs sérieux qui font hésiter l’honorable ministre de l'intérieur à former des professeurs de gymnastique dans un établissement modèle.

La loi prescrit l'enseignement de la gymnastique, non seulement pour l'enseignement primaire, mais aussi pour l'enseignement moyen. Ce serait déjà une raison de créer une école normale de gymnastique. Mais l'armée aussi a besoin de professeurs de gymnastique, et bien des corps de métier sont dans le même cas.

D'ailleurs, nous sommes, je le crois, d'accord sur le but à atteindre ; nous reconnaissons qu'il s'agit d'un intérêt véritablement national.

Pourquoi, alors, ne vouloir pas des moyens qui donnent satisfaction à cet intérêt ?

Ils sont pourtant bien simples ces moyens. IIly a, dans le centre et dans le nord de l'Europe, des pays qui doivent la meilleure part de leur puissance militaire et, j'ajouterai, de leur supériorité morale et intellectuelle, à l'enseignement rationnel, approfondi de la gymnastique. Etudions ce que les pays ont fait, introduisons-le chez nous. Le procédé est élémentaire. Nous avons trop longtemps cherché nos modèles en France. Voyons un peu ce qui se pratique de l'autre côté du Rhin.

Depuis plus d'un siècle l'Allemagne a compris l'importance de la gymnastique. C'est en 1775 qu'un célèbre pédagogue de ce pays, Bassedow, rappela par ses écrits que les anciens faisaient marcher de pair l'éducation de l'âme et l'éducation du corps, et qu'il établit sur ces principes à Magdebourg, je crois, un institut modèle.

Ecrasée sous la domination française, l'idée reparut en Allemagne avec plus de force que jamais dans l'organisation des sociétés secrètes qui préparèrent la grande époque de l'affranchissement national. Elle se développa puissamment dans les esprits de la jeunesse universitaire après 1815. Personne ici n'ignore le rôle que jouèrent les « gymnasiarques », les Turner et les Tugenbund dans l'histoire de l'Allemagne depuis 1812 jusqu'en 1821.

A la suite de persécutions dirigées par le gouvernement allemand contre les patriotes qui voulaient fonder à la fois l'unité et la liberté dans leur pays, l'enseignement de la gymnastique fut proscrit au même titre que ceux qui en étaient les propagateurs. Mais en 1840, au premier réveil des idées libérales, la puissance du principe, son incontestable utilité s'imposa de nouveau.

Dès 1842, un arrêté-loi du roi Guillaume de Prusse décrétait l'obligation de l'enseignement de la gymnastique dans toutes les écoles du royaume.

Aujourd'hui, cet enseignement est organisé systématiquement dans toute l'étendue de l'ancienne Confédération du Nord. Je parle de celle qui a existé de 1866 à 1870 et qui vient de disparaître. Il s'adresse à l'armée, aux écoles publiques et privées, aux écoles normales (schullchrer seminarium), aux universités. Il se modèle non seulement par des programmes arrêtés par le gouvernement, mais par des établissements spéciaux organisés ad hoc.

L'enseignement de la gymnastique est obligatoire depuis l'école primaire jusqu'à l'université. L'obligation ne cesse qu'avec l'enseignement supérieur, et encore aux universités sont attachés des professeurs de gymnastique, lesquels ne sont pas les premiers venus : des maîtres d'armes, d'anciens sous-officiers qui sont en même temps des hommes formés littérairement et scientifiquement.

Ainsi à Heidelberg, le cours de gymnastique, qui ne comprend pas seulement des exercices plus ou moins difficiles, mais encore des notions d'hygiène et d'anatomie, est donné par un docteur en philosophie.

M. Brasseur. - Ce n'est pas un professeur d'université, ni à Heidelberg, ni aux autres universités de l'Allemagne. Il n'en a ni le titre ni les prérogatives : c'est tout simplement un particulier qui annonce aux étudiants un cours de gymnastique, absolument comme s'il annonçait un cours de danse.

M. Couvreur. - C'est un professeur qui peut s'établir librement, mais qui est attaché à l'université et qui, à Heidelberg spécialement, est nommé par le gouvernement.

M. Brasseur. - - Comme un professeur de chant, pas autrement. Nous avons également à Bruxelles des professeurs de gymnastique.

M. Couvreur. - Avons-nous ici, soit à Bruxelles, soit aux universités de l'Etat, des cours de gymnastique régulièrement organisés ?

D'ailleurs, peu importe que le professeur soit un professeur d'université ou un professeur de l'université. Ce que l'honorable M. Brasseur ne contestera pas à coup sûr, c'est que, dans les instituts de gymnastique organisés par l'Etat, dans les différents pays de l'Allemagne confédérée, on ne forme scientifiquement des professeurs de gymnastique aussi bien pour l'armée que pour les universités, pour les écoles normales, pour les écoles moyennes ; que pour être admis à ces instituts comme candidat professeur de gymnastique, il faut avoir passé un examen scolaire d'études moyennes et enfin, que dans ces instituts, les cours sont donnés par des professeurs ayant rang d'officier.

Avant de quitter l'école normale de gymnastique et d'obtenir l'autorisation d'enseigner cette science, l'élève doit passer un examen théorique et pratique. Il doit savoir exécuter les exercices, il doit connaître l'art de les enseigner, il doit avoir donné des leçons, il doit répondre enfin oralement et par écrit à des questions sur l'anatomie du corps humain, sur la physiologie, sur l'hygiène, sur la méthodologie, la pédagogie, la littérature et l'histoire de la gymnastique.

Les cours, aux instituts de gymnastique, durent, en moyenne, deux années, à raison de six mois par année et de 28 a 32 heures par semaine.

Cela paraît beaucoup et ce n'est rien de trop quand on considère que le programme des études ne comprend pas seulement des exercices physiques, mais embrasse aussi les sciences qui se rattachent soit à un développement scientifique des forces du corps humain, soit à la guérison des maladies par un usage rationnel des exercices gymnastique».

C'est une très grande erreur que de croire que la gymnastique n'est que l'art de faire plus ou moins gracieusement des tours de force. En Suède, en Danemark, en Allemagne, l'art de guérir et l'art plus important de prévenir les maladies doivent de précieuses ressources à la science, si ignorée chez nous, de la gymnastique.

Encouragés, stimulés par l'exemple de l'Etat, les grandes villes d'Allemagne, à leur tour, ont fondé des établissements modèles pour l'étude et la pratique de la gymnastique, abstraction faite des gymnases particuliers attachés aux écoles.

Les cours de ces établissements sont fréquentés par la jeunesse virile qui a quitté les bancs de l'école et qui sent le besoin d'entretenir la vigueur de son corps et de son âme. Dois-je faire ressortir de quelle utilité sont ces créations, non seulement pour le recrutement dans les villes des gardiens de la sécurité publique : pompiers et agents de police, mais encore pour l'éducation physique de tous les artisans, peintres, maçons, charpentiers, vitriers, couvreurs, dont la vie dépend souvent de la force ou de l'agilité qu'ils peuvent dépenser à un moment donné et abstraction faite des bénéfices moraux qui en résultent soit pour les gens de métier, soit pour les classes aisées vivant de la vie de l'intelligence et non du travail de leurs mains.

La ville de Berlin, appréciant tous ces avantages, a dépensé, de 1864 à 1867, plus d'un million pour l'enseignement de la gymnastique. Un gymnase construit en 1864 lui a coûté 500,000 francs.

En 1868, elle a décrété la fondation d'un second établissement dont le terrain seul a nécessité une dépense de 250,000 francs.

Ajoutez à cela que toutes les nouvelles écoles qui s'édifient à Berlin sont pourvues de vastes préaux pour les jeux et la gymnastique, et que la ville s'impose de grands sacrifices pour doter du même avantage le» anciennes écoles qui en étaient privées. On estime que la ville de Berlin, de 1865 à 1867, a consacré quatre millions de francs à l'édification et à l'ameublement de nouvelles écoles.

La Saxe a précédé la Prusse dans l'introduction obligatoire de la gymnastique.

Dès 1837, le gouvernement saxon a fondé à Dresde un institut normal de gymnastique, qui lui a coûté 200,000 francs et qui forme des professeurs tant pour l'armée que pour toutes les écoles du pays.

Là, comme en Prusse, l'étude de la gymnastique est obligatoire. On ne peut en être dispensé que par un certificat de médecin.

La même règle s'applique aux élèves instituteurs des écoles normales. Tout instituteur, avant d'être diplômé, doit passer un examen dans lequel la gymnastique est comprise scientifiquement et pratiquement. L'aspirant instituteur doit exécuter les mouvements ; il doit donner une leçon en présence des examinateurs ; il doit enfin pouvoir rendre compte de l'effet des mouvements sur telle ou telle partie du corps humain.

Comme en Prusse, encore, les villes, les grandes villes ont marché dans les voies ouvertes par le gouvernement. Leipzig possède un grand établissement de gymnastique, dirigé par un professeur et six assistants.

Sur un budget de 750 mille francs consacré à l'enseignement communal, cet établissement absorbe 21,000 francs ; et comme la ville de Leipzig avait, en 1867, une population scolaire de 22,000 enfants en dessous (page 809) de quatorze ans, on peut dire qu'elle dépense un franc par tête d'enfant pour son établissement modèle, sans parler des charges du même enseignement dans les écoles moyennes et primaires.

Le Wurtemberg est un pays privilégié. La gymnastique a pu s'y développer depuis 1815 sans entraves. Il y a, au budget de l'Etat, un chapitre spécial consacré à l'enseignement de cette science. De 1861 à 1871, l'Etat a dépensé, pour sa part dans la formation de professeurs de gymnastique, dans l'établissement de gymnases, dans les traitements des professeurs de gymnastique, près de 600,000 francs par an. L'Institut normal de Stuttgard figurait au budget de 1870 pour une somme de 25,000 francs par an. Là aussi, les cours sont de six mois à raison de 32 heures par semaine.

M. Boucquéau. - 32 heures par élève ?

M. Couvreur. - 32 heures par semaine. Mais ne perdez pas de vue que l'institut forme des professeurs pour l'armée ; et les élèves de ces professeurs ne se livrent pas seulement à des exercices, à l'étude pratique de la gymnastique, mais ils reçoivent aussi des leçons de théorie sur l'anatomie, sur l'hygiène, en un mot, sur tout ce qui se rattache à l'organisme du corps humain.

Sachez, d'ailleurs, que les élèves des écoles moyennes doivent consacrer 4 heures par semaine, sur 32 ou 36 heures de classe, à la gymnastique ; c'est-à-dire plus qu'on n'en consacre en Belgique à l'étude de la géographie. Dans ces conditions, on peut bien donner 36 heures de leçons par semaine aux élèves de l'école de gymnastique. Dans le grand-duché de Bade, l'institut normal de Carlsruhe a été inauguré il y a deux ans. Il a coûté 80,000 francs.

Tous ces établissements modèles de l'Allemagne sont calqués sur l'institut de Stockholm, au sujet duquel notre honorable collègue, M. le docteur Vleminckx, a donné des renseignements fort intéressants dans un article publié par la Revue de Belgique. Je m'abstiens donc d'en parler.

Quant à mes informations sur l'Allemagne, elles sont puisées et dans le travail d'un professeur allemand de gymnastique établi à Bruxelles, M. le docteur Euler, et dans un rapport adressé à M. Duruy par un délégué spécial, M. Page, chargé d'aller étudier l'organisation de la gymnastique d'outre-Rhin après 1867.

Voilà, messieurs, par quelles mesures l'Allemagne a assuré sa suprématie militaire, et j'ajouterai, sa suprématie morale ; car ses conquêtes matérielles ne sont que les effets de causes morales. Si je ne craignais d'être taxé d'exagération, je dirais que la gymnastique est pour une bonne part dans ces résultats. C'est qu'en effet la gymnastique ne crée pas seulement des corps sains, aptes à recevoir mieux que d'autres l'enseignement intellectuel ; elle fait aussi pénétrer dans les âmes le calme, la fermeté, le sentiment de la discipline, l'habitude de l'obéissance et le talent du commandement. Or, ces qualités sont d'autant plus indispensables aux peuples, qu'ils jouissent de libertés plus grandes. Le grand malheur de la France, c'est de l'avoir oublié. Les libertés, lorsqu'elles ne sont pas contenues et réglées non par la loi, mais par une forte discipline volontairement acceptée, tournent à la licence.

Quoi qu'il en soit, et pour ne pas sortir de mon sujet, je ne serai contredit par personne en affirmant que c'est à l'étude et à la pratique de la gymnastique que l'Allemagne du Nord doit ces magnifiques armées qui, la science de ses officiers aidant, ont vaincu l'Autriche à Sadowa et terrassé la France à Sedan.

Que peut la science militaire lorsqu'elle n'est pas secondée par l'instrument qu'elle met en œuvre ? C'est un fait bien connu que le désastre de Sedan a été dû, en partie, à l'impuissance du maréchal Mac-Mahon à opérer ses mouvements avec la rapidité et la précision de ses adversaires.

Lisez tous les écrivains militaires qui ont suivi soit la campagne d'Autriche, soit celle de France ; tous sont dans l'admiration devant la puissance de mouvements des armées allemandes. Les étapes sont franchies allègrement, et elles ne sont pas petites. Chaque régiment arrive à son heure, au complet, à son poste d'action.

La traversée des Vosges par le corps d'armée du prince royal de Prusse, à travers d'étroits défilés, avec un train d'artillerie considérable, le mouvement tournant du prince Frédéric-Charles au sud de Metz ; la marche accélérée de son cousin et des Saxons de Bar-le-Duc vers Beaumont et les Ardennes, sont, de l'avis de toutes les autorités compétentes, des opérations qui placent l'infanterie allemande sur le même rang que les légions romaines de César. Ces succès, elle les doit à l'étude et à la pratique constante de la gymnastique.

Aussi, un des hommes les plus éminents du dernier empire français, le meilleur ministre de l'instruction publique qu'elle ait possédé pendant toute cette époque néfaste de son histoire, M. Duruy, avait bien compris l'importance de cette science. Il avait envoyé en Allemagne un homme spécial chargé de lui faire un rapport sur la matière ; puis, sans attendre l'assentiment du corps législatif, certain de son approbation, il avait, par un décret ministériel en treize articles, soumis à l'examen des communes tout un projet pour l'introduction de l'étude obligatoire de la gymnastique à tous les degrés.

Un maître spécial devait être attaché à chaque établissement, l'enseignement aurait été donné sous la surveillance du corps médical ; les leçons ne devaient pas être prises sur le temps consacré aux récréations ; enfin, des diplômes spéciaux pour l'enseignement de la gymnastique devaient être délivrés par un jury spécial.

C'étaient d'excellentes mesures préparatoires. La guerre les réduisit à néant.

Mais ce n'est pas seulement en France que l'importance de la gymnastique a été sentie après les événements de 1866. En Autriche, où cette science était mal notée par suite des souvenirs de 1815, dès le mois de novembre 1867, des pétitions arrivèrent au reichsrath pour demander que le gouvernement en rendît l'enseignement obligatoire dans tous les établissements d'instruction publique.

Ce n'est pas par de vagues promesses que le ministre de l'intérieur de l'époque répondit à ces pétitions et aux membres du reichsrath qui les appuyèrent. Il déclara que le gouvernement avait pris les devants ; que, déjà, des instructions étaient données pour prescrire l'introduction de la gymnastique obligatoire dans les écoles ; enfin, qu'il avait donné à sa recommandation une efficacité réelle en organisant des cours d'enseignement pour former de bons professeurs de gymnastique.

Indépendamment des dépenses décrétées de ce chef par le gouvernement central de la Cisleithanie, la diète de la Basse-Autriche a inscrit à son budget une somme de 6,000 francs, pour des cours normaux d'enseignement de la gymnastique.

La Bavière qui, après l'Autriche, était le pays d'Allemagne le plus arriéré au point de vue de l'instruction, la Bavière a essayé, elle aussi, de regagner le terrain perdu.

Un député bavarois, très estimé et très estimable, mais dont le nom sonnera mal peut-être à des oreilles belges, parce qu'il s'est fait l'écho, à un certain moment, d'accusations injustes dirigées contre notre pays, à l'époque où des blessés allemands durent le traverser, accusations qu'il a, du reste, retirées ou atténuées très loyalement lorsque leur injustice lui a été démontrée, M. le docteur Edel, professeur et député de l'univeisité de Wurzbourg a, le premier, dès 1867, - un an après l'établissement de la Confédération du Nord, - saisi la seconde chambre de Bavière d'une motion tendante à inscrire, dans une nouvelle loi scolaire l'obligation da l'enseignement de la gymnastique ; à appliquer immédiatement cet enseignement obligatoire dans les classes supérieures des écoles primaires pour garçons et dans toutes les écoles moyennes ; à mettre cet enseignement en rapport avec le service militaire obligatoire ; à ne le confier qu'à des professeurs diplômés, et enfin à inscrire au budget toutes les sommes nécessaires à l'exécution de ces résolutions.

Dans ses développements, l'honorable M. Edel insista beaucoup et avec raison sur l'utilité de n'admettre dans l'enseignement de la gymnastique que des professeurs régulièrement diplômés, sous peine de nuire à la santé des populations au lieu de la servir.

Cette motion, accueillie avec faveur par le gouvernement, sous réserve de quelques détails d'exécution, votée par l'assemblée qui en avait été saisie, amendée par la chambre haute de Bavière, est, depuis 1868, une des lois de l'Etat. L'entrée de la Bavière dans l'empire germanique' n'en pourra que développer les effets.

Si j'avais un reproche à adresser à l'organisation de l'enseignement de la gymnastique en Allemagne, ce serait de ne faire pas assez pour les enfants du sexe féminin.

M. Vleminckx. – Ce reproche ne peut pas s'adresser à la Suède,

M. Couvreur. - Non, mais à l'Allemagne. On n'y forme pas encore des maîtresses pour les écoles de filles. Or, la gymnastique n'est pas moins nécessaire pour la femme que pour l'homme ; elle est plus nécessaire, peut-être, pour des raisons que je n'ai pas besoin de développer.

Où en sommes-nous, en Belgique, messieurs, au milieu de ce mouvement général de l'Europe qui rend à l'éducation du corps des droits trop longtemps méconnus ?

Hélas ! nous en sommes au discours de l'honorable ministre de l'intérieur, discours plein de bonnes intentions, je le veux bien, mais qui n'a rien produit encore et qui, je le crains bien, restera stérile dans l'avenir. Oh ! je le sais bien, l'enseignement de la gymnastique figure dans les (page 810) programmes de l'instruction primaire et de l'instruction moyenne ; mais il n'y figure pas à titre obligatoire et il est, par conséquent, fort négligé dans les écoles normales autant qu'ailleurs.

Nous n'ayons pas, dans nos écoles normales, d'enseignement gymnastique méthodiquement organisé. On fait un peu de gymnastique dans les écoles moyennes et les écoles primaires supérieures de quelques communes. Mais comment ? A titre de récréation.

Nulle part, nous n'avons un enseignement normal pour former des professeurs de gymnastique. On n'enseigne pas ou l'on enseigne mal la gymnastique dans nos écoles normales et on ne l'enseigne pas du tout dans les écoles primaires inférieures.

M. Funck. - Sauf a Bruxelles.

M. Couvreur. - Sauf à Bruxelles et dans quelques autres villes, je l'ai dit.

M. Pirmez. - Il y a une étude au ministère de l'intérieur.

M. Couvreur. - Je suis heureux de l'apprendre ; mais cela confirme mes critiques.

Jusqu'à présent, sauf dans quelques grandes villes, l'enseignement de la gymnastique, je le répète, n'existe pas en Belgique.

Je parle de l'enseignement gymnastique rationnel, basé sur les règles de la science, et non de leçons que peuvent donner çà et là des professeurs de fantaisie.

M. Brasseur. - A Bruxelles, l'enseignement de la gymnastique n'est pas obligatoire.

M. Funck.- Pardon, il est obligatoire dans nos écoles moyennes.

M. Couvreur. - C'est l'activité privée des citoyens qui a créé le seul enseignement gymnastique qui existe dans notre pays. Nous avons quelques bons professeurs. Ils sont attachés à des sociétés de gymnasiarques établies à Bruxelles, à Liège, à Anvers.

Voilà le fond le plus clair de la gymnastique en Belgique. Mais, en général, ni l'Etat, ni les communes, ni les particuliers n'ont rien fait jusqu'ici de sérieux, de méthodique, sous ce rapport.

M. de Haerne. - La gymnastique est. même enseignée dans nos écoles de sourds-muets, d'après les conseils du gouvernement.

M. Vleminckx. - Est-elle aussi enseignée dans les petits séminaires ?

M. Couvreur. - Je serais curieux de la voir fonctionner dans les écoles de sourds-muets ; mais je constate que l'honorable M. de Haerne ne répond pas à la question de l'honorable M. Vleminckx. (Interruption.)

M. de Haerne. - On enseigne la gymnastique dans le collège d'Ypres. (Interruption.)

M. Couvreur. - S'il en est ainsi, je ne crains pas de dire que c'est un enseignement empirique, et non un enseignement rationnel fondé sur les principes de l'hygiène et de l'anatomie.

M. de Haerne.- Il y a un professeur français pour l'enseignement de la gymnastique. (Interruption.)

M. le président. - N'interrompez pas, messieurs.

M. Couvreur. - Je crois qu'il ne faut pas généraliser. Ce n'est pas parce qu'on fait de la gymnastique dans certains établissements qu'on peut dire que l’enseignement.de la gymnastique y est sérieusement organisé, surtout si cet enseignement est confié à un professeur français. La France, en matière de gymnastique, est aussi pauvre que nous. Ou elle n'a pas de professeurs convenablement formés, ou elle en a fort peu.

Je ne parle pas de ces professeurs qui croient pouvoir enseigner la gymnastique parce qu'ils ont été prévôts d'armes au régiment. J'en ai connu qui étaient entrés dans la carrière de l'enseignement après avoir fait des tours de force à la foire et brisé des pavés à coups de poing sur la place publique. Ce que je demande, ce n'est pas un enseignement quelconque, donné par le premier hercule venu ; c'est un enseignement basé sur les principes de la science, de l'anatomie et de l'hygiène et propagé par un homme ayant le sentiment de sa mission. On peut faire beaucoup de bien, on peut faire beaucoup de mal avec la gymnastique ; tout dépend de la manière dont on l'enseigne. Des mouvements fort inoffensifs en apparence peuvent déformer le corps, compromettre le jeu de certains organes.

Sous ce rapport, je m'en réfère à ce que pourra en dire avec plus d'autorité que moi notre honorable et savant collègue, M. le président de l'Académie de médecine.

Ce que nous avons a faire si nous voulons suivre sérieusement l'exemple de l'Allemagne, c'est, d'abord, de créer un établissement normal d'enseignement de la gymnastique. Là est le premier besoin. Cela peut se faire moyennant une dépense relativement modique. Dans cet établissement, on formera des professeurs pour l'armée d'une part, pour les écoles à tous les degrés d'autre part. Là, les écoles normales pour garçons et pour filles, les écoles à tous les degrés, publiques et privées, viendront demander des maîtres qui sauront comprendre et remplir leur mission. Cela vaudra mieux que de faire de beaux programmes, peu ou mal exécutés. Voilà, messieurs, la première chose à faire.

En second lieu, il faudra modifier les lois de 1842 et de 1850. Il faudra faire, pour toutes les communes du pays, ce que Bruxelles a déjà fait pour ses écoles moyennes ; il faudra décréter que l'enseignement de la gymnastique est obligatoire à tous les degrés de 1'enseignement primaire et moyen. Aujourd'hui, la gymnastique est facultative. C'est dire qu'elle n'existe pas. Elle existe dans l'enseignement inférieur et moyen comme les cours à certificat existent dans les universités.

Cependant, comme je l'ai dit au début de mon discours, gardez-vous de croire, messieurs, que je veuille faire de tous les Belges des acrobates. L'enseignement de la gymnastique doit avoir des degrés comme tout autre enseignement. Plus complet pour l'armée, pour les écoles normales, pour des établissements publics accessibles à certains corps de métiers, il doit être autre pour les écoles moyennes de garçons, autre pour les écoles moyennes de filles, autre encore pour l'enseignement primaire dans les villes et dans les communes rurales.

Je ne pense pas, par exemple, qu'il faille introduire, dans les écoles primaires rurales, la gymnastique avec des instruments ; ce serait chose irréalisable et inutile.

Des mouvements applicables à tous les muscles du corps : mouvements hygiéniques bien coordonnés, méthodiquement répétés, peuvent suffire pour donner aux jeunes filles la souplesse et la grâce, aux garçons la force et l'agilité.

Des marches, des courses, les éléments de l'école du soldat et de l'école de peloton compléteront pour les garçons cet enseignement élémentaire qui, toujours et partout, doit s'inspirer des règles de la science et être enseigné par un professeur qui la possède dans toute son étendue.

Plus d'un, parmi vous, messieurs, estime peut-être que j'exagère les bienfaits et l'importance de la gymnastique. Je prie ceux qui penseraient ainsi de se bien pénétrer qu'une bonne organisation de l'enseignement de cette science, abstraction faite de ses autres mérites, nous donnera la clef, la solution du difficile problème de notre organisation militaire.

Je signale ce point à l'attention de ceux des membres de cette Chambre qui représentent plus spécialement les districts ruraux et qui savent de quel poids énorme notre service militaire pèse sur le paysan.

Ce service dure vingt-sept mois pour l'infanterie. Pourquoi ? Parce que les autorités compétentes déclarent qu'il faut au moins ce temps pour faire un soldat. Je les crois volontiers. Mais n'est-ce pas un vrai non-sens que d'apprendre longuement, péniblement à un homme de vingt ans, lourd, pataud ou chétif, dont les muscles sont déjà ankylosés, ce qu'on enseignerait, en jouant et à leur grand amusement, à des enfants de dix ans ?

Ce n'est pas tout. La réorganisation de notre système militaire date d'hier et il est déjà trop vieux pour le temps où nous vivons. Bon gré, mal gré, nous devrons le modifier. Les événements nous débordent.

Supprimerons-nous l'armée pour ne garder qu'une force de police recrutée, comme la douane ou la gendarmerie ? Ce serait une solution bien simple, mais je doute qu'elle triomphe de sitôt, soit dans cette enceinte, suit au dehors. Les peuples et les gouvernements n'aiment pas les solutions simples et radicales et ne les pratiquent guère.

Donc, nous ne supprimerons ni l'armée ni son recrutement forcé.

Que ferons-nous alors ? Ou bien - et ce serait, à mon avis, une mesure juste et équitable - nous ferons peser sur les épaules de tous les citoyens, sans distinction de classe et de position, la charge du service personnel, ou nous maintiendrons le remplacement, sauf à le rendre plus difficile et plus onéreux. Dans la seconde hypothèse, l'habitant des villes, gagnant un salaire supérieur à celui des campagnes, pourra toujours, avec un peu d'esprit de prévoyance et d'économie, se racheter plus facilement que le paysan.

C'est sur le campagnard que le fardeau retombera de tout son poids, mais dans tous les cas, avec ou sans remplacement, le service militaire sera d'autant plus court, que l'enseignement de la gymnastique sera mieux organisé. Il faut trois années pour faire un soldat en Prusse ; mais la Prusse est un pays conquérant et nous n'aspirons pas à marcher sur ses traces.

La Suisse n'a, pour sa milice, qu'un service de quelques semaines. C’est trop peu. Mais, entre les deux systèmes, il y a de la marge, et pour ma part, je suis convaincu que si, au lieu de livrer à nos officiers instructeurs des jeunes gens épais ou malingres, enlevés à la charrue ou au (page 811) métier à l'heure où ils y sont le plus nécessaires pour gagner leur pain ou celui de leurs parents, je suis convaincu, dis-je, que si nous leur présentions des recrues déjà assouplies et fortifiées pur la gymnastique et les habitudes d'ordre, de discipline et d'hygiène qu'elle entraîne, nous pourrions réduire très sensiblement la durée du service militaire.

Aujourd'hui, il faut en Belgique 27 mois pour faire un soldat d'infanterie passable. Un enseignement gymnastique bien organisé vous permettra d'arriver à de meilleurs résultats avec un temps de service limité à douze mois.

Que cette conclusion soit auprès de vous, messieurs, la justification de mon trop long discours.

M. de Haerne. - Messieurs, j'ai demandé la parole lorsque, dans une séance précédente, on a critiqué l'enseignement religieux qui se donne à Rome, pour faire indirectement la critique de celui qui se donne dans les établissements du pays. Je vais me placer au point de vue du pays, et je crois remplir ainsi un devoir patriotique.

On a cherché, messieurs, à rabaisser les études romaines, d'après un journal anti-romain, la Gazette d'Augsbourg, et on a tiré de là des conclusions défavorables pour la Belgique.

« Les résultats des examens faits dernièrement à Rome ont été on ne peut plus insignifiants, » dit la Gazette d'Augsbourg, qui conclut de là à une déplorable ignorance du pays et à une quasi-nullité des études.

Pour juger, messieurs, de la véracité du publiciste qui a communiqué ces observations à la Gazette d'Augsbourg, examinons quelques faits relatifs à l'enseignement élémentaire. Il prétend qu'il y a à Rome absence complète d'enseignement élémentaire : ce sont, je crois, les expressions dont s'est servi l'honorable M. David, d'après ce journal.

Messieurs, j'ai vu Rome à deux reprises différentes : d'abord, en 1846, et aussi l'année dernière ; j'ai eu l'occasion de visiter des établissements d'instruction publique et je puis assurer à la Chambre que c'est une contre-vérité qu'on a avancée à ce sujet. Mais mes assertions pourraient paraître suspectes si je ne pouvais invoquer des autorités. Certes, les autorités ne me font pas défaut.

Je commencerai par citer un auteur qui n'est nullement suspect, puisqu'il est protestant : c'est M. Barnard, un des publicistes les plus distingués des Etats-Unis, qui, dans son ouvrage : The national éducation in Europe, parle de l'Italie et de Rome comme des autres pays de l'Europe.

A propos de Rome, il dit qu'il y a dans cette ville des écoles primaires de six espèces, qu'il met, pour les matières enseignées, sur la même ligne que celles des autres pays d'Italie :

1° Des orphelinats qui ont, dit-il, 1,000 élèves. Il cite l'école industrielle de Saint-Michel, qui comptait 530 élèves, dont 280 filles ;

2° Les écoles paroissiales, qui avaient, en 1847, 1,000 élèves de 5 à 12 ans ;

3° Des écoles congréganistes, ayant plus de 2,900 élèves ;

4° Des écoles élémentaires de filles. Dans l'une d'elles, il y a 60 filles logées et nourries ;

5° Des écoles régionnaires, qui ont à peu près 1,000 élèves ;

6° Des écoles établies par des particuliers et, entre autres, celle du prince Massimo et l'école du soir fondée par le graveur Casaglio.

Voilà, messieurs, ce qu'atteste cet auteur américain, qui mérite toute confiance au point de vue surtout de l'impartialité et aussi de la science.

Mais entrons plus au fond de la question et précisons les faits et les statistiques, qu'il suffit d'invoquer pour les pays protestants, mais qu'on doit appuyer de preuves quand il s'agit de pays catholiques, surtout de Rome.

Un auteur italien, Mgr Morichini, dans son ouvrage remarquable que j'ai sous la main (Degl'Istituti di pubblica carità, etc., in Roma), donne la statistique détaillée des écoles primaires et des nombreuses fondations qui fournissent des ressources à l'enseignement élémentaire.

Je dois vous demander pardon, messieurs, si je parle un peu lentement ; mais je n'ai pas eu le temps d'écrire la traduction : je dois la faire à vue.

J'y lis : « En comparant la population des élèves à la population totale de la ville, il y a une proportion de 1 élève sur 8 habitants, qui est la plus grande qui existe dans les pays où l'instruction est la plus répandue, comme en Lombardie et en Bavière. »

Voilà ce qu'écrivait Mgr Morichini en 1842.

Vous pourriez croire, messieurs, que cet état de choses a notablement changé depuis lors ; mais je vais vous détromper.

Voyons donc s'il en est encore ainsi ou plutôt s'il en était encore ainsi avant les bouleversements politiques qui ont fait de Rome ce que vous savez. Voici ce que je lis dans l'Encyclopédie allemande, sur l'état de l'instruction en général, par Hermann Rolfus et Ad. Pfister, publiée en 1867 :

On y constate que la population des Etats Romains, qui est de 13 p. c. plus dense que celle de la France, s'est accrue, de 1816 à 1866, de 33 p. c. et les écoles y ont suivi largement la même progression.

Sur environ 28,000 enfants en âge d'école, il y'en avait, en 1866, 27,370 qui fréquentaient les écoles, savoir : 15,070 garçons et 12,300 filles. C’est près de 10 élèves sur 100 habitants, un peu plus de 1 sur 8, ce qui revient à peu près à la proportion indiquée par Morichini. La comparaison corrobore la statistique parfois inexacte.

C'est presque la population scolaire de la Prusse ; 16 sur 100 habitants. Mais cette population à Rome est bien supérieure à celle de Berlin, où l'on ne compte que 10 élèves primaires sur 100 habitants.

Comment s'expliquer ce grand nombre d'enfants dans les écoles à Rome ? D'une manière bien simple, par le grand nombre d'écoles et le grand nombre d'instituteurs.

Un auteur que je tiens à citer ici et qui a publié un ouvrage sur l'Italie à Heidelberg, M. Mittermaier, dit qu'il y a dans la ville de Rome plus de 100 écoles primaires, dont la plupart donnent l'instruction gratuite. (Italienische Zustande, 1844, p. 232-261.)

Sur une population de 178,000 habitants, on y comptait en l1866 160 écoles gardiennes, d'après l'encyclopédie citée.

M. Anspach. - Il y a un zéro de trop, M. de Haerne ; cela n'est pas sérieux.

M. de Haerne. - Je sais que certaines de ces écoles n'ont que 5 ou 6 enfants, ce sont des écoles pour les petits enfants.. Mais soit, 16 ; ce serait encore bien plus qu'à Berlin, qui n'en a que 14 sur 548,000 habitants.

M. Bouvier. - Ce sont des écoles de catéchisme.

M. de Haerne. - On n'enseigne pas à écrire aux enfants de deux à quatre ans. Du reste, je cite l'encyclopédie allemande dont je viens de parler.

M. Muller. - C'est une erreur.

M. Bouvier. - Cela vient de Rome.

M. de Haerne. - Cela ferait une école pour à peu près 1,100 habitants. Dans plus d'un village belge de 1,000 âmes on trouve une école gardienne. Je remarque une chose, messieurs, c'est que pour certains pays, comme je l'ai déjà dit, notamment pour les pays protestants, on se contente des statistiques, mais quand il s'agit des pays catholiques et surtout de Rome, la statistique, l'histoire, les faits ne signifient plus rien ; là, il faut bien autre chose. Je ne recule pas devant la démonstration, mais je craindrais d'abuser des moments de la Chambre.

M. Bouvier. - Non ! non ! c'est très instructif.

M. de Haerne. - Messieurs, permettez que je dise un mot à l'appui de la statistique d'après l'encyclopédie déjà citée, qui est de 1867, par rapport à l'instruction primaire, telle qu'elle se donne à Rome et au nombre d'écoles, qui ne sont pas toutes congréganistes, comme on l'a prétendu.

Dans les Etats de l'Eglise, on compte 1,219 communes et il n'y en a pas une qui n'ait son école tant pour les garçons que pour les filles. La séparation des sexes existe presque partout. Ces écoles sont ou bien communales ou bien privées.

Dans les écoles communales, les grades d'instituteur ne sont conférés qu'après un examen de concurrence devant les magistrats et un délégué de l'évêque. (Interruption.)

Mais c'est la même chose en Prusse où il y a toujours un ecclésiastique parmi les examinateurs, ne fût-ce que pour la partie religieuse.

En règle, messieurs, cette nomination n'est que provisoire ; elle est faite pour deux ans, après lesquels le magistrat décide de l'admission définitive, à la pluralité des voix, d'après les résultats constatés dans les diverses branches de l'enseignement.

L'instituteur, dans les Etats pontificaux tels qu'ils existaient avant les invasions successives dont ils ont été l'objet, c'est-à-dire, lorsqu'ils avaient une population de 3,017,000 habitants, l'instituteur ne pouvait avoir que 60 élèves ; s'il en avait davantage, il devait prendre des sous-instituteurs. Les classes étaient de 6 heures par jour. Ces dispositions étaient applicables aux institutrices comme aux instituteurs.

Telle est, messieurs, la situation de l'instruction primaire dans les Etats de l'Eglise. Et l'on ose dire, après cela, que l'enseignement est nul et que nous sommes exposés à tomber dans la même ignorance, si nous prenons exemple de ce qui se passe à Rome !

On est donc plus avancé en instruction primaire a Rome que chez nous.

Nous progressons ; mais nous sommes trop jeunes pour pouvoir présenter de pareils résultats.

(page 812) Les institutions demandent du temps pour se développer et nous n'avons pas eu le temps nécessaire. La ville Eternelle devance tous les pays sous ce rapport.

Ces faits suffiront, je l'espère, pour répondre, quant à l'instruction primaire, aux allégations de la Gazette d'Augsbourg qu'on invoque bien mal à propos.

Mais les attaques de ce journal qui émanent de source italienne, comme j'aurai l'honneur de le faire voir tout à l'heure, sont dirigées surtout contre les candidats qui se présentent aux études moyennes et supérieures.

Voyons donc, messieurs, dans quelle position se trouvaient les établissements supérieurs sous le régime pontifical.

Dans les Etats du pape, d'après l'encyclopédie citée, il existait, en 1859, outre les écoles communales, 2,993 autres écoles fréquentées par 70,000 externes et 107 collèges et séminaires ayant 5,876 internes.

Le nombre des professeurs était de 850, tandis que celui des instituteurs s'élevait à 5,509.

53,343 filles recevaient l'instruction dans 1,892 institutions, en dehors des écelcs primaires.

De plus, dans les Etats de l'Eglise, avant les annexions piémontaises, il y avait 7 universités pour une population de 3,197,000 âmes, savoir : Rome, Bologne, Ferrare, Urbin, Macerata, Pérouse et Camerino.

Chacune de ces universités avait quatre facultés. Celles de Rome et de Bologne en avaient une cinquième, la faculté de philologie, qui embrassait les langues classiques et orientales, la littérature italienne, l'histoire, l'archéologie grecque, étrusque, égyptienne et latine de même que l'éloquence.

A l'université de Rome, il y avait quarante-six chaires ; à l'université de Bologne, trente-huit.

On comptait, dans les Etats du pape, 28,809 étudiants de toute espèce sur une population, comme je viens de le dire, de 3,197,000 âmes, soit 90 sur 10,000, c'est-à-dire, plus du double de ce que nous avons en Belgique et même de ce qu'il y a en Allemagne.

Ce chiffre paraît inadmissible an premier abord, mais il s'explique surtout, messieurs, d'après les pièces que j'invoquerai tout à l'heure, par le grand nombre d'étrangers qui affluent à Rome, par le grand nombre d'élèves qui y arrivent, non seulement de toutes les parties de l'Italie, mais de toutes les parties de l'Europe et même de l'Amérique.

Cela prouve que les études doivent y être excellentes ; sans cela, les établissements n'attireraient pas cette foule d'étudiants.

On trouve une autre preuve de l'état avancé des études supérieures dans le grand nombre de médecins et de chirurgiens ; le nombre s'en élevait en 1866 à 7,049 dans, les Etats du Pape.

M. Bouvier. - Il a fallu faire venir Nélaton pour guérir Garibaldi.

M. de Haerne. - Oui, mais pas à Rome ! Que cette situation ait changé, messieurs, depuis les bouleversements qui ont agité la ville de Rome, je ne le contesterai pas ; cependant je dois dire que les allégations de la feuille d'Augsbourg sont très suspectes, dans tous les cas exagérées et évidemment dictées par l'esprit de parti.

Mais, comme je vous le ferai voir mieux encore tout à l'heure, on ne peut pas tirer de là une conclusion contre l'état des études en général, puisqu'il ne s'agit, d'après le journal, que de 650 élèves, sur des milliers qu'on y compte.

Du reste, pour donner une réponse directe à cette allégation et pour faire voir qu'on ne peut pas imputer à l'enseignement romain la décadence dont il s'agit, si tant est qu'elle soit réelle, je dirai que dans l'état des choses, tel qu'il nous est signalé ici d'après la Gazette d'Augsbourg et d'après M. Brioschi, dont j'aurai à parler tout à l'heure, cette décadence se remarque dans les autres Etats d'Italie et que des résultats semblables ont été constatés dans les examens qui ont été passés à Florence et ailleurs en Italie.

M. Bouvier. - C'est une erreur.

M. de Haerne. - Nous verrons ! C'est pour l'ensemble de l'Italie et particulièrement pour Milan qu'on a constaté cet abaissement du niveau des études. J'en tire la preuve d'un journal de Genève, la Correspondance, qui parle de l'état des études en Italie, des examens subis en général dans les termes suivants :

« M. Brioschi, véritable factotum de l'instruction publique en Italie, vient de publier un rapport qu'on peut appeler le chef-d'œuvre du genre. Dénaturant les faits, confondant tous les éléments de la question, groupant les chiffres avec cet art qui force leur inflexibilité à mentir, il a réussi à bâtir, vaille que vaille, un échafaudage à la gloire de son Italie régénérée et à l'abaissement de la science romaine qu'il calomnie impudemment. Par malheur, les documents officiels à la main, une brochure intitulée : « Niveau des études secondaires dans le royaume d'Italie et dans les écoles romaines de 1859 à 1869 » ne laisse pas pierre sur pierre de son ruineux édifiée. Bornons-nous à reproduire ce petit tableau des examens des lycées en Italie et des résultats qu'ils ont produits.

M. David. - Dans quelle ville les élèves ont-ils été examinés ?

M. de Haerne. - cette statistique est officielle ; elle se rapporte à toute l'Italie. Je continue :

1867 : sur 2,523 élèves examinés, 753 admis et 1,575 refusés.

1868 : sur 2,855 élèves examinés, 456 admis et 2,399 refusés.

1869 : sur 2,805 élèves examinés, 269 admis et 2,536 refusés.

« Ces chiffres ont leur éloquence, » ajoute la Correspondance de Genève. Ils arrachent au président de l'Académie de Milan, à la Perseveranza, au Diritto, à la Gazette officielle du royaume d'Italie un cri d'alarme. Ce résultat, disent-ils « est une catastrophe, c'est Custozza après Lissa », et ils répètent cet adage, cruel pour les réformateurs : « Cela allait mieux quand cela allait plus mal » ; Si stava meglio quando si stava peggio !

Quant aux causes de cette situation, voici comment s'exprime la Perseveranza. Je vous demande, messieurs, la permission de vous lire encore ces quelques lignes :

« L'indiscipline continuelle des écoles, la dissipation des jeunes gens depuis dix ans, le choix, malheureux en bien des cas, des professeurs, le peu de valeur des livres à expliquer, l'étendue exagérée des programmes, la diversité des matières, le vice radical des méthodes, et, par-dessus tout, le changement continuel de l'ordre classique, la menace perpétuelle que tout sera changé chaque jour, l'absence de sécurité tant pour les règles que pour les personnes, le peu d'égard qu'on a eu au vrai mérite et l'accueil complaisant fait aux protégés des hommes de parti et des députés, voilà, en abrégé, les causes pour lesquelles nous offrons au monde un spectacle si pitoyable. »

M. Brioschi, ajoute la Correspondance de Genève, est bien à plaindre d'avoir à essuyer, de la part des siens, de tels démentis.

Je regrette, messieurs, de devoir entrer dans ces détails ; mais il me semble que, pour rendre ma pensée bien claire et bien nette, je devais nécessairement recourir à ces autorités. Sans cela j'aurais parlé dans le désert ; je ne me fais pas la moindre illusion à cet égard.

Mais, messieurs, les accusations dirigées contre les études romaines ne sont pas restées sans réponse à Rome même. Il y a eu une protestation dirigée contre ces accusations par la principale université de Rome, par le collège romain.

Le collège romain, dans une protestation signée par le recteur, au nom des 46 professeurs de l'établissement, dit :

« Il a paru dans la Gazette officielle un rapport de M. le commissaire Brioschi, conseiller de la lieutenance pour l'instruction publique à Rome, adressé à S. E. le ministre.de l'instruction publique dans le royaume d'Italie et dans lequel M. Brioschi expose la situation malheureuse de l'enseignement à Rome et attribue cette calamité au défaut de méthode, de capacité et de loyauté de la part de ceux auxquels est confiée la grave charge de l'enseignement.

« Comme il est certain que le collège romain est compris dans la réprobation et qu'il est très probable que c'est cet établissement qu'on a voulu particulièrement frapper, le soussigné, recteur dudit collège et à ce titre président du corps professoral, dont il a fait partie dans le temps, croit qu'il est de son devoir de protester devant le public, en son nom et au nom des professeurs de ce collège, et de repousser comme fausses, injustes et injurieuses les assertions contenues dans ledit rapport ; et pour prouver cette fausseté, il en appelle au jugement non d'une commission inconnue chargée d'examiner un très petit nombre de petits écoliers (di pochissimi scolarelli), on ne sait lesquels, ni comment ils ont été examinés ; mais au jugement de ces milliers d'hommes savants, qui ont fait dans les temps divers et de diverses manières, jusqu'à la fin du mois de septembre dernier, l'honneur de ces écoles, dont un très grand nombre occupent en Italie et hors de l'Italie des places distinguées et des chaires renommées et jouissent d'une réputation de science incontestable.

Messieurs, il est arrivé à Rome une chose que je dois signaler à l'attention de la Chambre : c'est que lorsque la Ville Eternelle a été occupée par les troupes italiennes, on a voulu supprimer une foule de cours, sous un prétexte quelconque, mais, au fond, pour des raisons politiques que tout le monde peut comprendre. Qu'en est-il résulté ? On avait déclaré que les élèves qui fréquenteraient ces cours ne seraient plus admis aux fonctions (page 813) publiques. Eh bien, malgré cela, les élèves se sont présentés en masse à l'ancienne université, à telles enseignes que les salles étaient trop étroites pour les contenir. Les parents venaient supplier les professeurs de recevoir leurs enfants, dussent-ils rester debout dans la salle ; et c'est alors que le gouvernement italien a décidé, sous prétexte d'hygiène, qu'on n'admettrait plus au collège romain que des étrangers.

On comprend par là que les élèves restés fidèles à l'ancien ordre de choses étaient sortis de l'établissement, et que ceux qui se présentaient aux examens mentionnés par l'Allgemeine Zeitung d'Augsbourg, ne jouissant pas des faveurs du régime pontifical pour les études, étaient les plus faibles ; on comprend, dis-je, que ces derniers ne pouvaient pas répondre d'une manière satisfaisante. Voilà, d'après une autorité romaine, tout le secret de cette affaire.

Maintenant l'auteur de cette pièce demande, si c'est par l'ignorance des professeurs que les élèves sont tombés dans cet état de décadence et ont si mal répondu aux examens, comment il se fait que nous ayons, dit-il, tant de professeurs renommés dans le monde entier, signalés par leurs ouvrages qui ont été applaudis par les hommes les plus savants, non seulement d'Italie mais des autres pays de l'Europe. Il énumère ces professeurs : les Patrizi, les Franzelin, les Perrone, les Ballerini, les Tarifuini, les Angelini, les Sanguinetti, auxquels il faut joindre Schrader, tous auteurs de savants ouvrages.

M. David. - Laïques.

M. de Haerne. - Laïques et autres. Mais à Rome on ne fait pas acception de personnes sous le rapport de l'instruction. On pense que l'habit ne fait pas le moine en fait de science. On fait comme en Prusse : on admet les religieux et les religieuses quand ils sont suffisamment instruits.

Le recteur cite encore pour exemples le savant Bollig, connu comme philologue ; Solimani, Durowski, Tongiorgi et Liberatore, comme philosophes, tous hommes qui sont connus par leur science dans toute l'Europe et en Amérique.

Pour la physique, dit-il, nous avons Pianziani et Provenzali, dont la réputation échappe à la critique. Il ajoute le père Secchi, qui est connu en Amérique aussi bien qu'en Europe, comme un des premiers astronomes de l'époque actuelle.

M. Bouvier. - Cela est vrai !

M. de Haerne. - Pour l'antiquité sacrée et profane, nous avons Garrucci et Tongiorgi et d'autres. II. Bouvier. - Qui cela ? (Interruption.)

M. de Haerne. - Entre autres Marchi et Giampietro-Secchi. En géographie, Nicola Angelini se distingue par un ouvrage classique qu'il vient de publier. On a osé dire que la langue et la littérature italiennes étaient négligées ; eh bien, dans ce document le recteur cite les auteurs d'ouvrages remarquables sur la langue italienne, savoir : Bresciani et le P. Paria.

Vous voyez donc qu'en Italie plus qu'ailleurs, toutes ces sciences sont cultivées comme elles doivent l'être

On ne se contente pas des auteurs anciens pour les études ; on travaille, on écrit, on publie des ouvrages d'après les besoins de l'époque, et comme dit l'auteur de la protestation, est-il possible de supposer qu'on ait voulu et pu abrutir la jeunesse comme on ose le dire effrontément, puisque nous avons nos examens publics pour la philosophie, pour la physique, pour les mathématiques ?

Là, sans qu'il y ait rien de prémédité, tout le monde peut se présenter ; tout le monde peut interroger, tout le monde peut objecter. Les élèves qui se présentent aux examens font donc leurs preuves sous les yeux du public.

Voilà ce qu'il affirme.

Ensuite, messieurs, le savant recteur du collège romain fait une apostrophe aux étrangers. Ne parlez pas seulement aux Romains, dit-il, parlez aussi aux autres Italiens, aux Français, aux Anglais, aux Américains, aux Allemands, aux Belges qui fréquentent nos universités par centaines et par milliers et demandez-leur s'ils se sont jamais doutés qu'une telle accusation pût être dirigée contre eux et si, maintenant qu'ils sont répandus dans tous les pays de l'Europe et de l'Amérique, pour occuper des places distinguées, et des chaires, où ils se distinguent par la science, se seraient-ils jamais doutés qu'ils pussent être l'objet de pareilles accusations ?

On a parlé de la Belgique. Nous pouvons dire que nous avons aussi, en Belgique, des docteurs romains qui font honneur au pays.

Nous en avons dans nos écoles, dans nos collèges, dans nos séminaires, notamment à Bruges.

Si M, David veut me faire un jour l'honneur d'une visite, je le confronterai avec ces professeurs, et il pourra juger de leur savoir.

Le recteur du collège romain, Pietro Ragazzîni, termine ainsi ;

« Telle est la protestation publique faite au nom du collège romain et de tous les collèges qui se trouvent dans la même position et qui ont eu à subir les mêmes accusations. Telle est la protestation publique que je devais faire pour l'honneur du professorat vilipendé, pour celui de nos élèves et des familles, pour les droits de la justice et de la vérité, qui ont été foulés aux pieds. »

Eh bien, puisque l'on veut appliquer à la Belgique, comme on l'a fait entendre, ce qu'on appelle l'ignorance romaine, je crois devoir faire ici la même protestation au nom de ceux qui s'intéressent à la vraie science et de ceux qui sont chargés de l'enseignement, dans nos écoles, dans nos collèges et dans nos établissements d'enseignement supérieur.

M. David. - L'honorable M. de Haerne est venu confirmer les faits qui étaient rapportés par la Gazette d’Augsbourg du 5 mars et que je vous ai communiqués dans la séance de samedi. Il vous a cité Florence, Milan, pour vous démontrer que, dans toutes les autres parties de l'Italie, l'ignorance était presque aussi profonde qu'à Rome.

L'honorable M. de Haerne aurait dû vous citer la date de l'émancipation de l'Italie. Ce pays a été émancipé en 1859 et le gouvernement italien a eu depuis lors assez de préoccupations de toutes les sortes pour qu'il n'ait pu faire tout ce qu'il aurait désiré pour relever l'instruction publique. Il l'a immédiatement améliorée, mais que. pouvait-il depuis 1859, par conséquent depuis douze ans seulement ? Tout au plus, pourrait-on constater que les élèves des écoles primaires en savent un peu plus que ceux qui ont fréquenté les écoles des curés et des congrégations. (Interruption.)

- Des membres. - Allons donc !

M. Bouvier. - On ne peut pas prononcer le mot de « curé » sans soulever vos exclamations.

M. David. - Mais l'enseignement, dans ce pays, était complètement dans les mains du clergé ; il suffisait de porter un froc pour être instituteur ou professeur. Quelle instruction donnait-on dans le royaume de Naples et en Sicile ? Quel enseignement donnait-on à Parme et à Plaisance, en Toscane ? Quel enseignement donnait-on à Modène ? Tous ces pays étaient complètement sous la férule des jésuites et des congrégations religieuses.

On a cité Milan. Mais c'étaient les jésuites autrichiens qui y donnaient l'instruction et qui y maintenaient l'enseignement, pour le commun des martyrs, dans l'état d'abaissement le plus complet possible. C'était, sous ce rapport, absolument la même chose qu'à Rome.

Je ne dis pas, et l'honorable M. de Haerne en sait plus long que moi là-dessus, que, dans les écoles supérieures des jésuites à Rome, on ne forme pas des sujets convenables. Mais vous savez par combien d'épreuves ces jésuites doivent passer avant d'arriver à quelque chose, et on les classe d'après leurs facultés, d'après leur intelligence.

Il y a des jésuites qui ne sont que portiers, il y en a qui ne sont que décrotteurs ; d'autres sont prédicateurs, professeurs, confesseurs ou sont employés comme prêtres dans les paroisses. Mais, avant cela, tous ces messieurs doivent passer par une quantité de maisons ou établissements dont les études et les épreuves sont graduées et où on les fait passer dans un crible très serré, afin de reconnaître leurs aptitudes spéciales et de discerner quel est le rôle véritable qu'ils auront à jouer. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que, parmi les sujets préparés tout spécialement, soumis à tant d'épreuves sévères et destinés à remplir des missions différentes, d'après leur intelligence et d'après leurs facultés naturelles, il se trouve des professeurs tels que ceux dont l'honorable M. de Haerne nous a parlé.

L'honorable M. de Haerne a fait des statistiques sur le nombre des écoles, sur le nombre des élèves et des professeurs ; mais quiconque, dans les Etats Romains, porte le froc est instituteur ou professeur, et ce que l'honorable M. de Haerne s'est bien gardé de nous faire connaître, ce sont les fruits de cet enseignement.

Il ne nous a pas dit : « De telle école il sort, tous les ans, tel nombre de jeunes gens avec tel ou tel diplôme. » Il savait très bien que cette grande quantité d'élèves ne vont à l'école que pour appendre le catéchisme et faire leur première communion, et que, la plupart du temps, ils apprennent le catéchisme par cœur, ne sachant ni lire ni écrire.

J'ai bien souvent voyagé en Italie et rencontré beaucoup de femmes, même de la bonne société, qui lisaient, mais qui écrivaient très peu et très mal l'italien. (Interruption.) C'est par expérience que je puis vous l'assurer.

M. Kervyn de Volkaersbeke. - M. de Haerne a donné des preuves.

(page 814) M. David. - M. de Haerne nous a parlé de beaucoup d'écoles et de beaucoup d'élèves ; mais il ne nous a pas dit ce que ces élèves avaient appris. Il ne suffît pas de fréquenter une école ; il faut encore y apprendre quelque chose. Si M, de Haerne avait comparé l'enseignement donné en Piémont, la où l'Etat et les communes s'en occupent à côté de la liberté, avec celui des pays d'Italie dont l'enseignement est entre les mains des congrégations, vous auriez pu juger de la différence du développement intellectuel dans les diverses parties d'un même pays.

Messieurs, un renseignement qui aurait été très curieux et que l'honorable M. de Haerne a oublié de nous donner, c'est la dépense que l'on fait à Rome pour l'enseignement...

M. de Haerne. - J'ai cité les journaux italiens.

M. David. - Je crois, messieurs, que la démonstration que je viens de faire...

M. Kervyn de Volkaersbeke. - Vous n'avez rien démontré du tout.

M. Bouvier. - Il y a une ignorance crasse à Rome !

M. Van Wambeke. - A Virton, oui !

M. David. - Puisque je n'ai rien démontré, je vais de nouveau vous faire connaître les résultats de l'enseignement donné par les congrégations religieuses et les jésuites.

La Lombardie, Parme, Plaisance, Modène et le royaume de Naples, jusqu'à leur affranchissement par le roi du Piémont, subissaient absolument le même système d'obscurantisme qu'à Rome.

M. de Haerne. - Voici le programme : Religion, lecture, écriture, arithmétique.

M. le président. - Occupons-nous de la Belgique.

M. David. - Je veux, M. le président, éviter que, dans notre pays, nous arrivions à un résultat aussi lamentable.

L'honorable M. de Haerne nous a donné la statistique des examens de je ne sais quelles écoles à Florence et à Milan, mais je n'ai pu noter que les chiffres donnés pour Florence en 1869. Cette année, sur 2,105 élèves inscrits, il n'y en avait eu que 269 admis et 1,836 refusés.

N'est-ce pas la meilleure preuve donnée par l'honorable membre lui-même de ce que j'ai avancé ? Ces jeunes gens avaient reçu à peu près toute leur instruction avant la réorganisation de l'enseignement par le gouvernement italien.

Quant au journal dans lequel j'avais puisé mes renseignements, je ferai remarquer que ce journal s'imprime en Bavière, dans un des pays les plus catholiques de l'Europe, et il a un très grand nombre de lecteurs. Il n'est pas anticatholique ni anti-romain, mais antiinfaillibiliste.

Nécessairement, s'il choquait les opinions religieuses de ce pays, il perdrait ses abonnés et bientôt il devrait vendre ses presses. Nous pouvons donc avoir une entière confiance dans ce qu'il affirme.

Les statistiques d'auteurs américains, italiens et allemands, quant au nombre d'enfants qui fréquentent les écoles, ne veulent pas dire grand-chose quant à la population de Rome, parce que c'est principalement la. religion et le catéchisme que l'on enseigne dans toutes les écoles qu'a citées l'honorable M. de Haerne. Ces écrivains, pas plus que M. de Haerne, n'ont constaté les résultats obtenus dans ces écoles ; donc, nous devons nous en tenir aux déplorables renseignements fournis par les examens subis à Rome, dans les derniers mois de 1870, par les jeunes gens qui désiraient entrer dans le lycée, le gymnase ou l'école industrielle ouverts à Rome, le 10 décembre 1870, par le gouvernement italien.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, je désire répondre quelques mots aux observations présentées par l'honorable M. Couvreur en ce qui concerne l'enseignement de la gymnastique.

Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable M. Couvreur sur l'importance de cet enseignement et sur l'extension qu'il convient d'y donner.

L'observation que l'honorable membre a faite, se rapportait uniquement à l'organisation d'écoles spéciales de gymnastique.

Je me suis demandé si le gouvernement ferait chose utile en organisant ces écoles spéciales, et cela en me plaçant à ce point de vue, indiqué par l'honorable préopinant lui-même, qu'il importe d'associer toujours l'enseignement intellectuel à l'enseignement physique.

Or j'ai pensé que si l'on formait des établissements spéciaux de gymnastique, on n'arriverait pas au résultat que l'honorable membre indiquait tout à l'heure, lorsqu'il parlait de ces universités d'Allemagne où le même professeur qui enseigne la gymnastique pouvait en même temps, se faire honneur d'un diplôme de docteur en philosophie et lettres.

Ce qui m'a paru le plus pratique, c'est de développer davantage, dans les écoles normales, l’enseignement de la gymnastique. Cet enseignement y existe déjà aujourd’hui, et j'ai sous les yeux le règlement des écoles normales, publié en 1868, où l'on indique, pour chacune des trois années d'étude, les mêmes exercices gymnastiques imposés aux normalistes.

C'est ce programme qu'il faut revoir et améliorer.

Dans la réunion des inspecteurs primaires qui a eu lieu au mois de décembre, on s'est occupé spécialement de cette question, et l'on a reconnu l'utilité du développement de la gymnastique.

Je pense qu'à ce point de vue je suis d'accord avec l'honorable membre. Qu'il me permette seulement de chercher à lui persuader que la situation de l'enseignement gymnastique, dans les écoles primaires, n'est pas aussi négligée qu'il se le figure.

J'ai ici des renseignements qui me sont arrivés de différentes provinces, mais, comme l'heure est avancée, je me bornerai à prendre quelques lignes au hasard dans un des rapports que j'ai sous lès yeux.

Dans le rapport de la province de Liège, qui remonte à quelques mois, je lis ce qui suit...

M. de Rossius. - Le hasard vous sert bien !

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - ... « Déjà, depuis plusieurs années, des exercices de gymnastique étaient donnés, pendant les récréations, dans les écoles de Liège, de Verviers, d'Ensival, de Seraing-sur-Meuse, de Xhendremael, d'Ans, etc., avec le plus grand succès. Dès l'année dernière, ils ont été introduits dans toutes les écoles de la province, aussi bien dans les écoles de filles que dans les écoles de garçons, et partout, on a constaté les plus heureux résultats. »

Ainsi, dans la province de Liège, voilà une situation satisfaisante.

Pour le Hainaut, M. l'inspecteur Courtois constate également que l'enseignement de la gymnastique se répand, et loin de considérer cet enseignement comme devant être l'objet de prescriptions obligatoires, il fait remarquer que les jeunes gens sont heureux de voir suspendre leur» études pour se livrer à des exercices gymnastiques, et que ces exercices sont accueillis partout avec la plus vive sympathie.

Dans la province de Namur, l'inspecteur provincial insiste également sur les bons effets des mesures introduites.

Tous les inspecteurs sont d'accord sur ce point, qu'il faut développer davantage l'enseignement de la gymnastique dans les écoles normales et ils demandent, de. plus, que, dans les conférences trimestrielles des instituteurs, on s'occupe aussi de tout ce qui peut contribuer au développement de la gymnastique. En se plaçant à ces divers points de vue, ils se préoccupent des améliorations à introduire dans les écoles primaires.

L'heure de la séance étant très avancée, je n'ai pas à insister plus longtemps sur ce point. Mais il est une autre question, sur laquelle je dois une explication à la Chambre. ; car l'honorable M. Couvreur a reproduit, dans la séance d'aujourd'hui, une observation critique à laquelle je suis sensible et qui avait déjà été exprimée par l'honorable M. Pirmez.

D'après les honorables préopinants, j'aurais supprimé les préaux couverts et cela se trouverait énoncé dans une circulaire du 11 décembre dernier.

Je dois déclarer que je ne mérite pas ce reproche. J'ai sous les yeux ma circulaire datée du 11 décembre et je demande à la Chambre la permission d'en résumer le but et la portée.

Toutes les fois que les communes ont des ressources suffisantes, il est à désirer qu'elles établissent des préaux couverts ; mais lorsqu'il s'agit de communes pauvres qui, dans la situation actuelle des choses, reculent le plus souvent devant une dépense nécessaire, il convient de les dispenser de la création de préaux couverts, afin d'arriver plus tôt à l'établissement des écoles mêmes, qui sont le grand besoin de notre temps. C'est là ce qui se trouve exprimé notamment dans le passage suivant de ma circulaire :

« Il faut, dans un terme peu éloigné et en présence des nécessités reconnues, créer des établissements convenables pour l'instruction du peuple, partout où il y a une lacune à remplir. »

Dans une séance précédente, j'ai eu l'honneur d'insister sur cette situation. Il y a pour tous les pouvoirs un devoir impérieux de favoriser l'instruction du peuple. Il ne faut pas hésiter à le reconnaître : dans un grand nombre de communes, la situation pénible dans laquelle on se trouve résulte de l'absence d'établissements convenables pour réunir les jeunes gens qui désirent recevoir l'instruction. Or, s'il fallait renoncer à la création de quelques préaux couverts pour favoriser la multiplication des écoles, on ne saurait hésiter à le faire. D'autre part, je ferai remarquer, comme l'a dit tout à l'heure l'honorable représentant de Bruxelles qui vient de se rasseoir, qu'il ne s'agit pas de créer dans les communes rurales des gymnases munis d'instruments spéciaux. Il s'agit simplement d'exercices corporels ; les enfants de nos villages ne craignent pas de se livrer à ces exercices à l'air et dans la poussière...

(page 815) M. Bouvier. - Et dans la neige ; voilà de l'humanité !

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. – Je regrette ces interruptions, car je pense que les principes auxquels j'ai rendu hommage sont placés au-dessus de toutes les divisions de partis. J'ai cru répondre à un grand intérêt social en provoquant de toutes parts un mouvement qui doit favoriser le développement de l'instruction publique.

Je m'applaudis déjà d'avoir été compris par beaucoup de provinces, par beaucoup de communes, et j'aime à croire que je le serai aussi par un grand nombre de membres de cette Chambre.

En terminant ces observations, je vous demande, pour ma justification, messieurs, la permission de mettre sous vos yeux quelques lignes écrites par une députation libérale, par la députation permanente du Hainaut, qui, ayant à décider s'il convenait d'ajourner jusqu'en 1873 l'exécution de cette circulaire du 11 décembre (ce que j'avais autorisé parce qu'un grand nombre de budgets étaient déjà préparés), a cru néanmoins devoir s'adresser au gouvernement pour obtenir l'exécution immédiate d'une mesure qu'elle considère comme un bienfait pour la diffusion de l'instruction publique. Voici en quels termes M. le gouverneur du Hainaut résume les observations de la députation permanente :

« Ce collège a accueilli la circulaire du 11 décembre avec satisfaction et il a rendu un hommage unanime à la sagesse et aux qualités remarquables qui caractérisent cette mesure. Il verrait avec d'autant plus de regret tout ajournement à l'application immédiate d'une instruction dont il a reconnu l'utilité pratique que, précisément à la date du 15 décembre, aucun budget scolaire n'était approuvé et que, depuis lors, un grand nombre a reçu cette approbation après que les conseils communaux eussent consenti à y faire figurer le supplément d'intervention qui leur était demandé dans les frais primitivement votés pour le service dont il s'agit.

« La députation permanente et, sauf quelques rares exceptions, les communes elles-mêmes ont donné leur entière adhésion aux nouvelles règles admises. »

M. Bara. - C'est inexact ; toutes les communes du Hainaut n'ont pas donné leur approbation à la nouvelle circulaire. J'ai reçu plusieurs réclamations.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Ce que je tiens à établir c'est que, dans cette matière, qui touche aux grands intérêts de l'instruction publique, nous devrions nous réunir dans une commune pensée pour servir ces intérêts, parce qu'ils présentent un caractère véritablement social ; et je regrette que, dans cette tâche, on cède trop souvent à l'esprit de parti au lieu d'associer tous les efforts pour arriver plus rapidement au but que nous devons atteindre.

M. Couvreur. - Je ne veux certes pas contester les excellentes intentions de M. le ministre de l'intérieur ; mais nous n'avons pas ici à apprécier les intentions. Nous avons à vérifier si les faits correspondent aux intentions. Autre chose sont les paroles, autre chose les actes. Ce sont les actes que nous discutons, non les intentions.

Or, si j'examine les actes, si je prends notamment la circulaire dont M. le ministre de l'intérieur vient de parler, et qui lui a valu des félicitations dont il est si satisfait, je constate, à mon très grand regret, que l'esprit et les termes de cette circulaire ne s'accordent nullement avec l'interprétation qu'il vient de lui donner.

Quel est le but, la tendance de celle circulaire ? Mais c'est précisément d'indiquer aux communes les points sur lesquels des économies auront à être réalisées sur les subsides de l'Etat. Est-ce là favoriser l'enseignement primaire ? Et pour ne pas sortir du terrain de la discussion actuelle, quel est l'un des objets signalés par M. le ministre de l'intérieur comme inutiles ou superflus et pouvant ouvrir la porte à des économies ? Ce sont précisément les préaux couverts.

Comment ! il faut supprimer les préaux couverts, ne plus donner de subsides de ce chef ? Et quelles sont les communes que vient ainsi frapper la circulaire ministérielle ? Ce sont les communes les plus pauvres, celles qui ont le plus grand besoin des ressources du trésor public pour leur enseignement primaire.

Est-ce que, par hasard, dans ces communes, le préau couvert ne rendrait pas les mêmes services que dans les communes riches qui peuvent se passer des subsides de l'Etat ? Et peut-on admettre, quoi qu'en dise M. le ministre, que, dans ces communes plus que dans d'autres, les enfants aillent se livrer à leurs jeux ou à leurs exercices de gymnastique en plein air, exposés à toutes les intempéries des saisons et du climat ?

Pour moi, je ne puis ratifier la théorie à cet égard, et je l'engage fort, s'il veut réaliser des économies, à les porter sur quelque autre branche de son administration.

Il est un second point de la réponse de l'honorable ministre que je ne puis laisser passer sans contradiction.

Nous sommes d'accord qu'il n'y a pas lieu d'introduire dans l'enseignement primaire inférieur, surtout à la campagne, la gymnastique pratiquée avec des instruments.

Mais s'ensuit-il qu'on puisse se dispenser de créer un enseignement normal de la gymnastique ?

Ce n'est pas mon avis. Il faut que quiconque enseigne la gymnastique connaisse cette science dans tous ses éléments, sinon on risque de faire aux enfants plus de mal que de bien.

Il faut que l'instituteur le plus humble puisse se rendre compte de la portée et des conséquences physiques de chaque mouvement. Il faut aussi qu'il puisse inculquer à ses élèves les notions d'hygiène qui font partie intégrante de la gymnastique.

Remarquez, d'ailleurs, que votre école normale de gymnastique ne doit pas seulement former des instituteurs aptes à enseigner la gymnastique. Cela peut et doit se faire dans les écoles normales. Mais il vous faut un institut supérieur pour les besoins de l'armée, pour ceux des écoles moyennes, pour les établissements publics ou privés qui peuvent se créer dans l'intérêt de certains corps de métier. Il vous faut, surtout, un établissement type pour éviter que l'enseignement de la gymnastique ne dégénère, pour qu'il reste constamment à la hauteur des progrès de la science physiologique.

C'est dans cette voie seulement que se trouve le succès.

Un institut supérieur formant de bons professeurs diplômés, d'après un programme analogue à ceux qui sont en vigueur en Allemagne, est aussi nécessaire à l'enseignement le plus élémentaire de la gymnastique que les universités sont nécessaires à l'enseignement primaire ; que les académies de peinture, les galeries de tableaux, les œuvres des grands maîtres sont indispensables à l'enseignement de ce qu'on appelle l'art industriel.

Il n'y a pas un grand art et un petit art, il n'y a pas un grand et un petit enseignement.

L'école de l'humble maître de village ne se comprend pas si au-dessus d'elle ne plane la lumière de la science telle qu'elle brille dans les chaires les plus illustres. Il y a là un enchaînement de faits, d'idées, d'exemples, de progrès, que rien ne peut détruire. Ce qui est vrai pour les arts et pour la science en général, l'est aussi pour la gymnastique.

Sans enseignement normal de cette science on ne fera rien de bon, rien de sérieux, rien de pratique, rien de durable.

Avant de me rasseoir, je me permettrai de demander à M. le ministre de l'intérieur s'il est vrai que, pour réaliser des économies, il ait supprimé, à l'école normale de Mons, le cours de gymnastique. Cela ne prouverait guère en faveur de ses sympathies pour la propagation de cet enseignement.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je n'en sais rien.

M. Sainctelette. - Je n'oserais pas l'affirmer ; mais je crois me rappeler qu'il m'a été dit que, lors de l'examen des plans, fait sous vos yeux par la commission des inspecteurs provinciaux, on avait supprimé l'emplacement du gymnase.

M. le président. - Nous abordons maintenant la discussion de l'article 80.

- La séance est levée à 5 heures.